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INSERM U 558 Observatoire Régional de la Santé de Midi-Pyrénées Association PRISM La constitution du handicap psychique dans le secteur de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes Rapport de recherche financée par la MiRe et la DREES Contrat d’étude CNV05125 Programme « handicap psychique » Ingrid VOLERY Monique GARNUNG Jean MANTOVANI François FIERRO Annelise HORIOT Responsable scientifique : Pr Thierry LANG Septembre 2007

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Page 1: Rapport Handicap Psychique - IFERISS · 2015-03-04 · INSERM U 558 Observatoire Régional de la Santé de Midi-Pyrénées Association PRISM La constitution du handicap psychique

INSERM U 558 Observatoire Régional de la Santé de Midi-Pyrénées

Association PRISM

La constitution du handicap psychique

dans le secteur de l’insertion sociale

et professionnelle des jeunes

Rapport de recherche financée par la MiRe et la DREES Contrat d’étude CNV05125

Programme « handicap psychique »

Ingrid VOLERY

Monique GARNUNG

Jean MANTOVANI

François FIERRO

Annelise HORIOT

Responsable scientifique :

Pr Thierry LANG

Septembre 2007

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Ingrid VOLERY LASURES – Université de Nancy 2

Monique GARNUNG Observatoire régional de la Santé de Midi-Pyrénées

Jean MANTOVANI Observatoire régional de la Santé de Midi-Pyrénées. Unité INSERM 558

François FIERRO Pour la Recherche et l’Information Sociale et Médicale

Annelise HORIOT DESS UTM

Professeur Thierry LANG Unité INSERM 558

La constitution du handicap psychique

dans le secteur de l’insertion sociale

et professionnelle des jeunes

Rapport de recherche financée par la MiRe et la DREES Contrat d’étude CNV05125

Programme « handicap psychique

Septembre 2007

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TABLE DES MATIERES HYPOTHESES DE DEPART ET DEMARCHE 1 PROBLEMATIQUE : UNE APPROCHE DES CONSTRUITS CATEGORIELS 2 a) Objectif et publics considérés 2 b) Modalités de constitution du handicap psychique dans le secteur de l’insertion

socioprofessionnelle 2 c) Analyse des modalités des catégorisations individuelles et collectives : entre logiques professionnelles, savoirs profanes et cadres institutionnels 3 d) Intégration du handicap psychique dans les réseaux d’insertion socioprofessionnelle 5 ORIENTATIONS METHODOLOGIQUES 6 a) Entretiens semi-directifs initiaux avec les professionnels des diverses structures

d’insertion (Missions locales, associations mandatées) sur le site toulousain 6 b) Travail sur dossiers médico-sociaux anonymisés informés par les médecins salariés

de l’association PRISM 7 c) Les membres de l’équipe ont participé aux commissions partenariales

d’insertion du PLIE 7 d) Enquête par entretiens individuels auprès de jeunes en parcours d’insertion 7 INTRODUCTION

Une approche sociogénétique de la constitution du handicap psychique dans le secteur de l’insertion socioprofessionnelle 9 AVANT-PROPOS

La construction du sens dans les politiques publiques : des points de vue aux points de voir 12 1. Des processus de traduction des catégories sectorielles nationales aux processus de constitution de catégories territoriales 12 2. Relations d’interdépendance et ancrage social des représentations et des croyances 14 PREMIERE PARTIE

La constitution du handicap psychique à l’échelle nationale : Le poids du mode de production de la loi 16

I. Une loi fortement orientée par les associations de familles de patients : quand l’expertise d’usage associative supplante l’expertise médicale 17 1. La place des associations de famille 18 2. Une expertise médicale peu convoquée 26

II. Entre enjeu institutionnel et économique : l’ambivalence de la position étatique 32 1. Le handicap psychique ou la question du traitement social de l’inactivité 33

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2. Un contexte de changement de posture d’intervention de l’Etat français : le recours au principe de subsidiarité 36

2.1. Une individualisation des prises en charge 36 2.2. La remise en cause du pilotage des prises en charge institutionnelles du handicap 37

Conclusion de la première partie 42 DEUXIEME PARTIE

Le recours à la difficulté psychique dans les espaces territoriaux de l’insertion socioprofessionnelle des jeunes : le poids des contextes organisationnels et des topiques professionnelles 44

1. Un contexte doublement marqué par la diffusion de l’approche globale et les récentes évolutions des politiques de l’emploi 46 1.1. L’histoire des tensions entre insertion sociale et insertion professionnelle 46 1.2. Un secteur fragmenté : un héritage structurel de la diffusion de l’approche globale 49

a) Les services d’insertion professionnelle réservés aux personnes handicapées 49 b) La structuration d’une prise en charge de droit commun 54 c) Les accompagnateurs de droit commun spécifique 56 d) Un dispositif transversal : le PLIE 58

1.3. Les effets des politiques d’activation : une codification progressive des troubles de l’employabilité en troubles de la personnalité 62

a) Un premier niveau de codage : les conseillers de l’ANPE et des Missions locales 63

b) La santé psychique comme compétence 70 c) Un deuxième niveau de codage : Les partenaires ‘santé’ du service

public de l’emploi et le secteur de l’insertion spécialisée 81

2. Conclusions : la difficulté psychique et ses usages 98 2.1. Sociogénèse territoriale de la pluralité des postures d’accompagnement 100

a) Une gestion de l’intempérance dans l’emploi 101 b) La gestion de difficultés personnelles obstacles à l’employabilité 104 c) Un travail sur l’individu : entre conversion et restructuration identitaire 105

2.2. Les usages politiques de la nébuleuse « difficultés psychiques » 106 a) Un mode de gestion des frontières entre emploi, social et médico-social

et médical 107 b) Un mode de gestion de la relation aux financeurs/prescripteurs 109 c) La liminalité comme mode de gestion d’une impossible inscription

durable dans l’emploi 111

3. Conclusion de la deuxième partie 115

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TROISIEME PARTIE

Les rapports à l’emploi et à l’insertion des jeunes : Le poids de l’étiquetage institutionnel et des socialisations genrées 116

I- Des conceptions décalées de celles promues par le modèle insertioniste français 120

1. Un monde de l’opportunité, peuplé de coups, de tentatives, de personnages providentiels ou de censeurs 121 2. Faire sa vie ou se saisir des opportunités 125

II. La quête de l’autonomie : des conceptions et des stratégies genrées 128 1. Les parcours masculins 128 2. Les parcours féminins 131

III. Le poids du type d’étiquetage 135

1. Les précocement désignés 135 1.1. La reconnaissance d’un lien entre difficultés comportementales et problèmes psychologiques 135 1.2. Une autonomisation tenant à la reconnaissance par les pairs 136

2. Les jeunes orientés à la suite d’échecs répétés des solutions d’insertion proposées 137 2.1 Le poids des expériences professionnelles préalables dans l’explication des difficultés rencontrées 139 2.2 La résistance aux explications psychologiques et la distance aux jugements médicaux comme psychologiques 140 2.3. L’autonomisation parentale 141

IV. Rapports a l’autonomie et aux mesures d’insertion 144 SYNTHESE ET CONCLUSION 146

BIBLIOGRAPHIE 154

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Hypothèses de départ et démarche

C’est en regard de ses implications sociales, professionnelles, familiales que la notion de

handicap psychique est mise sur l’agenda. Elle ne s’appuie donc pas seulement sur des

formalisations médicales permettant de définir ce qu’elle recouvre, d’en dégager a priori des

formes différenciées, ni même encore d’en apprécier avec certitude les enjeux en matière

d’insertion socioprofessionnelles.

Mais nous savons en revanche combien les troubles psychiques occasionnent de grandes

difficultés dans la vie socioprofessionnelle des patients et de leurs familles1. Aussi, avant même

que la doctrine médicale et la prise en charge institutionnelle ne soient questionnées, les

structures d’insertion socioprofessionnelle (y compris généralistes) ont été précocement

confrontées à la question. De ce fait, aux marges des cadres politiques et législatifs, ces

professionnels ont progressivement construit des critères permettant de repérer les « troubles

psychiques » (appréciés au titre de handicap ou non), de donner corps à cette idée selon des

termes plus ou moins congruents avec les réflexions médicales et les stabilisations

réglementaires qui ont pu en découler et de développer des modes de réponse (ou d’évitement

de réponse) individuelles ou partenariales.

Dans cette perspective, notre proposition de recherche entendait retracer, d’une part, les

modalités de construction du handicap psychique dans les espaces de l’insertion

socioprofessionnelle, sa mise en catégorisation pratique (les cas rassemblés), son impact sur les

parcours des personnes, son éventuelle inscription dans des dispositifs d’intervention publique

ainsi que les effets de la récente proposition de loi (redéfinition des casuistiques élaborées et des

prises en charge) et, d’autre part, les effets que ces catégorisations peuvent avoir sur les identités

et stratégies des publics (I).

Cette focale en appelait à une méthodologie composite croisant plusieurs types de

matériaux (documentation, entretiens et séquences d’observations) que nous décrivons dans la

partie (II).

1 Handicaps, Incapacités, Dépendance de l’INSEE

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I- Problématique : une approche des construits caté goriels

a) Objectif et publics considérés

Compte tenu de la difficulté de dégager des définitions substantielles du handicap psychique,

nous nous proposions de porter notre analyse sur les lieux et processus de catégorisation

repérables dans les parcours d’insertion des publics de jeunes de 18 à 25 ans. Ce champ ne

recoupe que très partiellement celui de la médecine des troubles mentaux, même si certains des

jeunes considérés peuvent se voir ponctuellement ou durablement orientés vers une structure de

soins. Nous cherchions donc à nous situer en amont du diagnostic médical spécialisé, autour de

deux figures type de jeunes personnes qui font l’objet d’un suivi « global », social,

psychologique et médical, dans le cadre du dispositif toulousain de l’Insertion socio-

économique :

- celle des jeunes inscrits dans un protocole d’ouverture de dossier COTOREP,

- celle, plus large, des jeunes en mal d’insertion économique orientés vers

l’association PRISM pour expertise médicale, suite à problèmes personnels repérés,

affectifs, relationnels, cognitifs….

Compte tenu des impératifs de confidentialité de l’information médicale, mais aussi des codes

déontologiques des professionnels engagés dans ces démarches, nous n’avons pas cherché à

recomposer des biographies individuelles nominatives : nous nous proposions de réaliser

plusieurs approches complémentaires mais disjointes des parcours et biographies de personnes,

en analysant :

- d’une part les produits « exogènes » (ceux des intervenants professionnels), en

tablant sur des données discursives et sur des données techniques de parcours.

- d’autre part le point de vue endogène (celui des jeunes et de leur entourage), les

expériences de jeunes et les résonances de leurs rapports à l’offre d’insertion et de

soins.

b) Modalités de construction du handicap psychique

dans le secteur de l’insertion socioprofessionnelle

Aux marges des textes réglementaires et des définitions médicales, les professionnels de

l’insertion ont développé des classements profanes sur le versant psycho-social (repérage de

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publics, élaboration de cas) et des modalités de réponse partagées2. Pour les saisir, nous

entendions retracer une généalogie « ordinaire » du trouble psychique en reprenant les termes de

Michel Foucault. Le propre de notre démarche était de partir à la recherche des pratiques clivant

le cas « psy » du « non psy », le normal du pathologique, autant de hiérarchisations recouvrant

les appréciations des potentiels d’insertion que l’on peut attendre des professionnels de ce

secteur3.

Notre démarche s’intéressait donc aux catégorisations professionnelles déployées in acto,

souvent lors de relations interindividuelles, entre intervenants et avec les jeunes en parcours

d’insertion. Elle s’efforçait d’en saisir les modes d’inscription dans les réponses individuelles,

institutionnelles et transversales.

Appliquée au secteur de l’insertion socioprofessionnelle, cette perspective d’analyse visait à

comprendre sur quels critères et savoirs, les conseillers en insertion s’appuient pour repérer des

troubles relevant du handicap psychique de manière individuelle et collective (1).

Nous nous intéressions ensuite aux incidences éventuelles sur les modes de prise en charge

individuelles et partenariales. Pour ce faire, nous nous sommes appliqués à reconstituer les

parcours institutionnels des individus (les diverses mesures institutionnelles dont ils ont fait

l’objet, orientations …), de façon à saisir la manière dont ces professionnels expérimentent des

réponses, plus ou moins « bricolées » dans les interstices des dispositifs, s’étayent ou non des

textes existants4, et donc de façon plus générale, à mieux comprendre les modes de structuration

de l’offre, les processus de mise en dispositif. (2)

c) Analyse des modalités des catégorisations individuelles et collectives :

entre logiques professionnelles, savoirs profanes et cadres institutionnels

De nombreuses recherches conduites en sociologie ont montré combien les relations de service

public induisent des processus de catégorisation déterminant le mérite et la bonne foi des

usagers, leur éligibilité aux dispositifs de l’aide socioprofessionnelle5. Dans des contextes de

flou réglementaire, ces arbitrages dessinent même les contours d’une véritable magistrature

sociale échappant aux cadres législatifs et institutionnels. Le cas du RMI en est caractéristique.

2 Dans cette configuration, la construction d’une politique publique s’inscrit dans un contexte où des habitudes de travail et des représentations sectorielles sont déjà constituées. Ce processus est assez similaire à celui observée dans le cadre de la construction de politiques éducatives locales appelées à intégrer les multiples prestations de service loisir, culturel, préventive déployées depuis plus de trente ans. 3 « Ce sont les pratiques entendues comme mode d’agir et de penser à la fois qui donnent la clef d’intelligibilité pour la constitution corrélative du sujet et de l’objet ». Anthologie, 47-48 4 Notamment comment articulent-t-il ces textes avec les récentes orientations de la loi Borloo ? 5 Cf notamment Dubois, Weller dans le champ de la sociologie politique.

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Le cas des dispositifs d’insertion mandatés pour un accompagnement global et une prise en

charge préventive qui n’est pas exclusivement centré sur la santé mentale apparaît assez

similaire6. Mais nous partions de l’idée que la dynamique de ces processus de classement

déborde largement le périmètre du face à face individuel entre professionnel et « public » (elle

se déploie dans des espaces collectifs au sein desquels des acteurs médicaux, sociaux et

professionnels confrontent leurs perceptions et leurs jugements).

Le handicap psychique : souffrance ? Fragilité ? Folie ? Handicap ?

La dimension des savoirs de sens commun

Dans le cadre des découpages historiques du travail social, ces catégorisations initiales relèvent

des régulations institutionnelles et professionnelles (référentiels institutionnels, de métiers, de

formations). Or dans le cas de l’insertion socioprofessionnelle, cette activité est prise en charge

par des professionnels aux parcours disparates, souvent peu aguerris aux savoirs médicaux et

plutôt à distance des débats d’experts qui cherchent à définir les traits significatifs du handicap

psychique. Dans cette configuration, il nous paraissait d’autant plus important de considérer le

poids des raisonnements pratiques (ajustements, bricolages, impressions) et des savoirs de sens

commun qui les alimentent.

Quelles représentations propres au secteur de l’insertion socioprofessionnelle ?

Nous avons cherché à interroger la manière dont les structurations du secteur de l’insertion

socioprofessionnelle infléchissent l’appréciation des handicaps mais également les compétences

que les conseillers et autres acteurs estiment nécessaire à l’insertion. La personne est ici jugée

« en difficulté » d’abord au regard de son « employabilité », soit de ce que le professionnel

identifie des aptitudes sociales, relationnelles, cognitives requises dans les situations d’emploi.

De ce point de vue, les besoins de caractérisation du handicap psychique et les exigences du

travail d’insertion s’inscrivent dans un champ contradictoire. L’action d’insertion apparaît

comme fortement recentrée sur des objectifs visant à accroître l’autonomie des individus, leur

capacité à opérer un travail réflexif et à construire des projets de vie. Le lancement des contrats

d’insertion et plus largement la multiplication des pratiques d’empowerment le soulignent

nettement. Tout semble se passer comme si plus les perspectives objectives de retour à l’emploi

s’amenuisent, plus l’injonction paradoxale à maîtriser sa vie se fait pressante. Souvent même

érigée en critère d’insertion, l’aptitude à formuler des projets n’est donc pas sans butter sur les

difficultés éprouvées par certains publics définis comme ensembles de personnes souffrant de

trouble psychique (difficultés à se projeter notamment). Nous avons cherché à questionner dans

6 Dans le cas des missions locales, l’analyse des informations mises à disposition des professionnels rend compte du flou dans la catégorisation.

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quelle mesure la structuration même des pratiques d’insertion socioprofessionnelle permet ou

non l’intégration des spécificités liées à ce type de handicap.

d) Intégration du handicap psychique dans les réseaux d’insertion

socioprofessionnelle

Il s’agissait de comprendre la manière dont les nouvelles orientations autour du handicap

psychique sont intégrées, appropriées ou détournées par les structures. Pour ce faire, nous

proposions d’explorer les modalités d’inscription cognitive et organisationnelle.

La prise en compte cognitive du handicap psychique

Nous entendions d’abord de repérer les espaces et formes de catégorisation du handicap

psychique. En quoi les instances nationales de l’Insertion participent-elles à la construction d’un

savoir partagé ? Peut-on parler de constructions locales de l’action de santé mentale en direction

des publics de l’insertion ? En quoi les arbitrages individuels sont-ils ou non fortement

dépendants des contextes d’interactions ?

Pour les intervenants, la prise en charge du handicap psychique relève-t-elle d’une action santé à

inscrire le cas échéant dans un processus d’insertion professionnelle ? Est-elle plutôt

appréhendée en termes de lutte contre les discriminations ? Ou bien s’enracine-t-elle dans des

questionnements pratiques liés à l’absence de réponses existantes7 ?

Nous souhaitions d’une part porter une attention majeure sur les cadres organisationnels et les

dispositifs partenariaux dans lesquels les professionnels travaillent, et d’autre part mesurer la

manière dont les cadres réglementaires et organisationnels peuvent infléchir et intégrer de tels

arbitrages.

La prise en compte organisationnelle et partenariale

Pour saisir les variations possibles, nous nous proposions de comparer les modes de prise en

charge des publics souffrant de handicap psychique expérimentés par les structures d’insertion

généralistes et spécialisées. Au-delà des conditions de travail et de prise en charge, il nous

semblait que les systèmes de catégorisation mobilisés fluctuaient eux-aussi. Comment les

professionnels concernés mettent le handicap psychique en relation avec les autres types

d’incapacités : quels systèmes de catégorisations spécifiques peut-on mettre au jour ? Plus

largement, comment le cadrage réglementaire facilite ou non l’adaptation des

7 Chez certains travailleurs sociaux, le recours à l’AAH apparaît parfois comme une « solution » de moindre mal face à des situations de personnes considérées comme n’ayant « plus leur place » dans les dispositifs d’insertion.

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réponses (existence de formation, d’accompagnement, de partenariats avec les acteurs

médicaux) ? A travers cette investigation, nous avons cherché à apprécier la ressource

éventuelle qu’un cadrage réglementaire dressé a priori peut constituer, comment la prise en

compte du handicap psychique se matérialise : existe-t-il des référents et lesquels (référents-

santé) ? Comment les informations sont-elles capitalisées et comment circulent-elles entre les

divers acteurs intervenant ? Des commissions de travail et/ou des formations spécifiques ont-

elles été engagées ? Comment les injonctions spécifiques au secteur de l’emploi s’articulent-

elles avec les orientations décidées dans le cadre de la loi du 11 février 2005 ? Comment

l’agenda politique construit autour des droits des personnes handicapées résonne-t-il avec

l’exigence de lutte contre les discriminations ? Il s’agissait plus largement de repérer la manière

dont ces dispositions sont intégrées, appropriées par les acteurs de l’insertion

socioprofessionnelle. En la matière, les catégorisations initialement opérées par les intervenants

de terrain semblent apposer leur empreinte sur la structuration des réseaux partenariaux de

l’insertion professionnelle et sur leurs modes d’ouverture aux acteurs médicaux, aux élus et aux

familles. On pouvait penser que selon les lectures précédemment formalisées, certains acteurs

sont tantôt mis au centre, tantôt occultés. Dans de tels contextes, comment les divers modes de

prise charge territoriale sont-ils susceptibles de relayer les orientations engagées autour du

handicap psychique ? Nous souhaitions ensuite nous pencher sur le périmètre de l’insertion

socioprofessionnelle : les partenaires mobilisés et les modes de formalisation existants

(protocoles, conventions, réunions stabilisées). Ces structurations nous semblaient également

déterminer la manière dont les orientations de la nouvelle loi de 2005 pouvaient être intégrées et

localement déclinées.

Notre recherche se proposait d’explorer les modalités d’apparition du questionnement dans les

scènes de l’intervention professionnelle tout en analysant leurs liens avec les formulations

nationalement opérées.

II - orientations méthodologiques Nous nous proposions de mener une investigation en quatre volets :

a) Entretiens semi-directifs initiaux avec les professionnels des diverses structures

d’insertion (Missions locales, associations mandatées) sur le site toulousain

Un premier test de grille d’entretien semi-directif a été testé lors des trois premières

interviews, réalisés avec des responsables de structures, insistant notamment sur la

définition des catégories et situations types susceptibles de relever du handicap psychique.

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Cette grille a ensuite été adaptée à l’ensemble des intervenants. L’ensemble des entretiens a

été enregistré et retranscrit après anonymisation, avant élaboration d’une fiche de synthèse.

L’objectif initial était d’une dizaine d’entretiens entre responsables des structures et acteurs

en contact direct avec les publics. Le décompte final s’établit à une trentaine d’interviews,

réalisés auprès de représentants : de Missions Locales pour l’insertion économique

(responsable et conseillers), ANPE, PRISM, associations partenaires du PLIE, Cap Emploi,

Réseau Ville-Hôpital, CMP, autres associations en charge de l’accompagnement des jeunes

vers l’emploi…

b) Travail sur dossiers médico-sociaux anonymisés informés par les médecins

salariés de l’association PRISM

Un protocole de recueil de l’information a été élaboré par l’équipe de recherche en relation

avec les médecins de l’association, à la fois à des fins d’analyse de leurs pratiques et de

définitions des situations et des parcours de personnes qu’ils suivent.

Nous avons pu en outre recueillir le résultat de quelques analyses de cas formalisées dans

le cadre du collectif du Plan Local pour L’insertion Economique.

Une dizaine de situations et parcours de jeunes a ainsi pu faire l’objet d’échanges avec les

professionnels.

c) Les membres de l’équipe ont participé aux commissions partenariales

d’insertion du PLIE

Cette instance a cessé de fonctionner au cours de la période de recherche, mais l’équipe a

participé à trois séances. Le recueil de l’information portant sur les échanges et les

situations évoquées a été réalisé par cahier d’enquête et compte-rendu de synthèse.

d) Enquête par entretiens individuels auprès de jeunes en parcours d’insertion.

Les rencontres directes avec les personnes relevant d’une définition du trouble ou du

handicap psychique a fait appel à la médiation des professionnels associés à la démarche.

Chaque entretien, réalisé à partir d’une grille semi-directive, a été également enregistré et

retranscrit.

Nous avons interrogé deux types de « publics » :

- des personnes qui font l’objet d’un suivi par les Missions Locales pour l’insertion

des jeunes, orientés vers l’association PRISM pour diagnostic de santé

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- des personnes qui ont fait l’objet d’une orientation vers d’autres instances

spécialisées d’insertion (jeunes orientés vers un CMP, une consultation de

psychologue, une structure médico-sociale)

Nous nous proposions dans un premier temps de réaliser de dix à quinze entretiens semi-

directifs enregistrés. C’est l’hypothèse basse qui s’est réalisée, la médiation des professionnels

s’étant souvent révélée insuffisante pour établir la relation d’enquête.

L’équipe a en outre animé différentes réunions de présentation de la démarche, de débat sur les

besoins d’une action partenariale, de restitution partielle des résultats de la recherche.

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9

Introduction

Une approche sociogénétique de la constitution du h andicap psychique

dans le secteur de l’insertion socioprofessionnelle

Le 11 février 2005, la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la

citoyenneté des personnes handicapées ajoute le handicap psychique aux déficiences motrices,

sensorielles et mentales, déjà reconnues par les expertises médicales (classification DSM 1 et 2)

et par le législateur (loi de 1975) : « (article 2) constitue un handicap, au sens de la présente loi,

toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son

environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive

d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un

polyhandicap ou trouble de santé invalidant ». Le choix de questionner les processus de

constitution/appropriation de cette catégorie s’explique par plusieurs raisons tenant à la fois aux

modalités de sa désignation et de sa prise en charge.

Premièrement, l’existence de difficultés liées à des pathologies de type psychotique par exemple

n’a rien de nouveau. Dès lors, comment expliquer l’attention portée à ce problème ? Par quels

processus devient-il un problème public et politique ? Et bien évidemment selon quelles

modalités ? Sur ce point, des recherches antérieures ont montré combien les systèmes politico-

institutionnels n’ont rien d’une boîte noire se saisissant de problèmes sociaux qui lui seraient

totalement extérieurs. Même en présence de problèmes stabilisés aux yeux des scientifiques

et/ou de la société civile, les acteurs politiques et institutionnels les remanient, les priorisent et

en déplacent bien souvent le sens comme la portée. De la même manière, de nombreux travaux

ont montré que les pouvoirs publics peuvent constituer des problèmes publics ne bénéficiant pas

d’une acuité sociale préalable8. De sorte que la relation entre l’apparition d’une difficulté et son

traitement institutionnel est éminemment problématique.

La deuxième raison justifiant l’étude des processus de constitution/appropriation du « handicap

psychique » tient bien évidemment aux caractéristiques de cette désignation institutionnelle qui

entretient des liens complexes avec l’étiologie médicale. En témoigne l’utilisation du terme de

handicap, sont d’ailleurs considérées les incidences supposées de pathologies diverses sur la vie

8 GUSFIELD J-R. La mise en relation préalable de faits évoquée par Gusfield s’apparente au « porter à connaissance » dont parlent P. Lascoumes et J-P. Le Bourhis. LASCOUMES P., LE BOURHIS J-P., 1997, 1998.

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des personnes. Outre les incertitudes concernant les types de maladies susceptibles de générer

des handicaps psychiques, la manière dont les administrations sectorielles (santé, médico-

sociale et sociale), les collectivités territoriales et les structures d’insertion se saisissent ou non

de cette désignation gagne donc à être questionnée.

La troisième raison découle directement des réformes concomitamment opérées dans la prise en

charge du handicap. A l’échelon législatif central jusqu’alors prioritairement concerné

s’ajoutent désormais les scènes territoriales que la loi de 2005 dote de plus amples capacités

d’action. Par exemple si le financement des allocations et prestations compensatoires n’est pas

entièrement délégué aux départements, il n’en reste par moins que les acteurs publics locaux ont

un rôle prépondérant à jouer dans la reconnaissance et l’estimation des handicaps ainsi que dans

les processus d’attribution des aides financières et matérielles. L’on admettra ici que l’étude des

appropriations de la notion de handicap psychique ne saurait se résumer à l’analyse des

productions législatives centrales et à la qualité des traductions territoriales qui peuvent en être

opérées. Or depuis le début des années 80, les réformes initiées par les lois de décentralisation

ont entraîné un double processus de déconventionnalisation des lectures sectorielles structurées

à mesure de l’édification de l’Etat social interventionniste (redéfinition des champs de

compétence des instances sectorielles et des collectivités territoriales, développement d’une

approche dite transversale accentuant la porosité des frontières entre secteurs) et de pluralisation

des pratiques de prise en charge (expérimentations territoriales diverses). Dans ce contexte

d’autonomisation relative des scènes territoriales, il importe alors de se demander si la notion de

« handicap psychique » est effectivement mobilisée par les administrations concernées (affaires

sanitaires et sociales, emploi, travail et formation professionnelle par exemple), par les

collectivités territoriales et par les structures spécialisées ou non en charge de l’insertion. Si tel

n’est pas le cas, les acteurs concernés identifient-ils des problèmes de nature psychique non

solubles dans la catégorie des maladies mentales ? A quelles notions propres à leurs secteurs

d’intervention raccrochent-ils ces différences ? De quelle manière ? Et quelles décisions en

découle-t-il ?

Considérée sous cet angle, l’analyse de la constitution du handicap psychique (catégorie

institutionnelle centrale) dans le secteur territorialisé de l’insertion socioprofessionnelle renvoie

à un questionnement théorique taraudant le domaine des sciences du politique contemporain :

celui de la construction du sens dans sa double acception de signification (détermination de

critères d’éligibilité des publics, de procédures d’intervention, de contreparties) mais aussi de

direction (redéfinition des objectifs d’intervention poursuivis à mesure de la mise en œuvre d’un

texte législatif nécessairement flou). Plus exactement, ce terrain de recherche implique de

revenir sur un certain nombre de postures habituellement mobilisées par la sociologie politique :

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la manière d’appréhender la question de la construction du sens dans les politiques publiques

ainsi que la façon de problématiser les croyances auxquelles les professionnels adhèrent. Aussi

ce premier chapitre vise-t-il à présenter les lignes théoriques qui seront mobilisées dans

l’ensemble de la recherche.

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Avant-propos

La construction du sens dans les politiques publiqu es :

des points de vue aux points de voir

1. Des processus de traduction des catégories sectorielles nationales

aux processus de constitution de catégories territoriales

Dans la sociologie politique française, l’étude de la construction des catégories de l’action

publique hérite d’un double contexte empirique et théorique. Au plan empirique, les travaux s’y

rapportant se sont essentiellement intéressés à deux types de politiques publiques encore

majoritaires au début des années 1980 : les politiques réglementaires ou distributives. Ces

politiques présentent l’ensemble des caractéristiques que Norbert Elias utilise pour décrire l’Etat

moderne : une forte centralisation des lieux de définition des orientations politico-

institutionnelles (le rôle des ministères) ; une importante différenciation des rôles de chacun des

services étatiques et acteurs locaux impliqués (la sectorisation) ; et une structure administrative

maîtrisant encore fortement les modalités de mise en œuvre des objectifs préalablement

formalisés (poids des mandats et des nomenclatures administratives dans la gestion des

problèmes sociaux)9. Indirectement les travaux que Jean-Gustave Padioleau consacre à la mise

sur agenda en témoignent. Par exemple, dans son ouvrage L’Etat au concret paru en 1982, il

investigue la construction du sens de l’intervention étatique en partant des mécanismes de

sélection et de hiérarchisation de problèmes publics pour ainsi dire déjà constitués10. L’étude du

cas des débats sur l’avortement en est exemplaire.

Engagés dans une perspective relativement similaire, on peut également se référer aux

déploiements initiés par les chercheurs du CERAT qui ont reposé la question du sens des

politiques publiques en étendant cette fois-ci l’investigation à la mise en œuvre et aux

reformulations/inflexions qu’elle induit11. D’un côté comme de l’autre, la construction du sens

reste essentiellement appréhendée à partir des systèmes de représentation de ceux qui

conçoivent et/ou appliquent les programmes d’intervention. La difficulté à intégrer les

productions sémantiques issues des négociations territoriales dans la notion de référentiel

souligne à la fois la prégnance et les difficultés d’un tel cadre théorique. Par exemple, lorsque

9 ELIAS N., 1969, réed. 1975. 10 PADIOLEAU J-G., 1982. 11 FAURE A., POLLET G., WARIN Ph, 1995

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Pierre Muller se penche sur l’hybridation des orientations sectorielles liées aux discussions

territoriales, il reste malgré tout focalisé sur les catégories étatiques initiales. Nombre de

recherches ont pourtant montré combien les scènes d’action publique territoriale, dont

l’autonomie a été renforcée par les lois de décentralisation, produisaient des cadres interprétatifs

et des principes d’intervention décalés des modes de penser étatiques12. De sorte que l’étude des

traductions des orientations politiques centrales gagne à être complétée par celle des processus

de constitution en actes dans des scènes territoriales plurielles.

Au plan théorique, la réflexion visant les modalités de production des catégories de l’action

publique s’engage en outre dans un contexte scientifique opposant, d’un côté, les tenants des

approches organisationnelles et, de l’autre, des chercheurs soucieux de renouer avec la place du

symbolique dans l’action publique. Tel est explicitement le débat à l’origine des tentatives de

formalisation de la notion de référentiel. Ainsi est-il souligné combien le référentiel recouvre :

« Un processus permanent de réinterprétation du monde, d’infléchissement des rhétoriques

politiques et de reconstruction des normes institutionnelles13» ou bien encore « L’ensemble de

production de normes et de représentations qui accompagne chaque nouvelle orientation ou

institution de l’action publique14». Or cette caractéristique a durablement marqué les

problématisations qui en découlent. En substance ont été opposées les notions de rationalité –

abusivement réduites à leur portion congrue de rationalité instrumentale – et de productions

interprétatives et normatives. A l’instar d’auteurs comme Raymond Boudon ou François Chazel

qui ont déjà habilement souligné le poids et les incidences de cette posture positiviste15, le

premier déplacement au principe de la problématique de recherche que nous avons mobilisée est

de considérer que les acteurs ont de « bonnes raisons » de croire aux perceptions,

interprétations, normes auxquels ils adhèrent. Il convient alors d’approcher les contextes

(organisationnels, relationnels, etc.) pouvant expliquer les rapports que les professionnels

intervenant auprès des jeunes entretiennent avec un certain nombre de conceptions relatives à

l’accompagnement, aux aptitudes et difficultés repérées.

Très logiquement, le second déplacement opéré concerne la portée de l’investigation déployée.

En un mot, nous considérons que le sociologue ne doit pas seulement s’efforcer de dresser un

tableau synoptique des « valeurs » mobilisées par les acteurs institutionnels mais également

restituer les contextes et processus présidant à l’émergence de ces cadres interprétatifs. Ainsi

que l’ont précocement souligné les pairs fondateurs, nulle mutation « représentationnelle » ne

12BERTHET Th., 1997 13 JOBERT B., 1995 14 WARIN Ph. 15 BOUDON R., 1997 ; CHAZEL F.

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saurait résulter d’un processus autogénéré. Elle s’enracine toujours dans des configurations ; ce

qui commande pour Norbert Elias l’engagement d’une approche sociogénétique capable d’en

restituer la nature et les dynamiques présidant à leur structuration. A cette occasion, sont en

effet « définies de manière spécifique les relations existantes entre sujets sociaux et les

dépendances réciproques qui les lient les uns aux autres et engendrent des codes et des

comportements originaux16». Ceci étant, un tel objectif pose immédiatement un autre problème,

comment approcher les mécanismes sous-tendant la production et l’adhésion à de telles

lectures ? Comment caractériser les contextes desquels ces cadres interprétatifs et normatifs

émergent ?

2. Relations d’interdépendance et ancrage social des représentations et des croyances

Bien évidemment, interroger l’ancrage social des représentations et des croyances implique au

préalable de rompre avec un certain nombre d’approches définissant la culture comme un

système de représentations intériorisées. Dans la recherche effectuée, nous considérons que la

« culture » des intervenants associatifs et institutionnels enquêtés s’enracine dans des contextes

d’intervention susceptibles d’orienter les lectures des situations à traiter, des principes et des

réponses à engager. Ceci étant, il y a plusieurs manières de les approcher.

Proposée par Mary Douglas et reprise par Marcel Calvez, une première perspective consiste à

partir des modes de structuration des groupes sociaux, en les caractérisant en regard des

modalités d’articulation individu/groupe17. Dans la typologie « grid-group » mobilisée, les

cadres à partir desquels les individus s’approprient, détournent ou produisent des interprétations

dépendent de deux dimensions : le degré d’incorporation (le groupe d’affiliation privilégie-t-il

l’individu ou le collectif ?) et le degré de contrôle des rôles sociaux à tenir (rôles prescrits ou

composites). L’intérêt majeur de cette proposition est, d’une part, de se distancier des approches

mentalistes interrogeant les croyances individuelles à partir de systèmes de représentations

intériorisées et, d’autre part, d’embrasser la pluralité des rationalités auxquels les acteurs se

réfèrent. Ceci étant, cette typologie gagne à être affinée en prenant en compte deux points :

• identifier le(s) groupe(s) auquel les acteurs (association, administration, professionnel ou

jeune) se réfèrent. D’une part, ces groupes ne sont pas nécessairement ceux avec lesquels

l’acteur est en coprésence régulière. D’autre part, ils ne sont pas donnés une fois pour toutes

et peuvent changer selon les situations ou les moments biographiques dans lesquels les

16 ELIAS N., 1969, réed. 1985 17 CALVEZ M., 1999.

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individus se situent. Ainsi les groupes de référence seront-ils approchés en regard du type de

rapports que l’acteur mobilise pour penser et expliquer sa situation, ses projets.

• qualifier la nature des relations individus et groupes : par exemple, plutôt que de centrer

l’analyse sur la tension individu/collectif, nous nous sommes efforcés de préciser la nature

du rapport engagé – rapport de filiation dans le cas des jeunes, rapport de concurrence dans

le cas de certains acteurs territoriaux, etc. Il en va de même pour la question des formes de

contrainte. Si l’étude des modalités de pression du groupe est essentielle, il apparaît quelque

peu réducteur de ne l’aborder que sous l’angle du degré de coercition ; étant entendu que les

rapports de pouvoir se déploient aussi à travers des mécanismes de gratification et de

guidage plus diffus. De sorte qu’à la suite de Norbert Elias, nous avons privilégié la nature

des relations d’interdépendance en actes dans les scènes politico-institutionnelles centrales

et territoriales, dans les relations professionnels jeunes ainsi que dans les relations que les

jeunes entretiennent avec les autruis familiaux.

Conformément à son approche sociogénétique, c’est donc à l’aune de cette spécification des

configurations relationnelles et des contextes organisationnels que nous avons interrogé les

processus sous-tendant à la fois la désignation et la politisation nationale de la catégorie

« Handicap Psychique », l’émergence des catégorisations territoriales des « difficultés

psychiques » étroitement reliées aux difficultés d’insertion professionnelle, la nature des

principes qui en découlent ainsi que la manière dont les jeunes ciblés mettent en sens leurs

propres difficultés et élaborent des réponses. Aussi la première partie de ce rapport analyse le

contexte national dans lequel la loi de 2005 en vient à reconnaître la catégorie de handicap

psychique. Nous avons ici examiné les relations que les associations de familles d’handicapés

entretenaient avec les pouvoirs publics, leurs revendications, leurs stratégies d’action et la

manière dont l’Etat s’en saisit. Dans un deuxième temps, nous avons plus particulièrement porté

l’attention sur les configurations territoriales à travers lesquelles les instances d’insertion et les

associations prestataires de service santé/insertion sociale/emploi s’approprient la notion de

difficulté psychique en lui donnant une acception décalée des intentions associatives et

institutionnelles nationales. Nous avons également étudié la façon dont ces jeux sémantiques

sont utilisés pour stabiliser leurs places dans des dispositifs mouvants. Enfin, en dernier lieu,

nous nous sommes attachés à montrer combien les vécus ordinaires des jeunes et moins jeunes

censés présenter un trouble psychique sont éloignés des désignations institutionnelles nationales

comme territoriales et à quel point les perceptions et usages des mesures d’insertion sont

déterminés par des logiques complexes d’autonomisation.

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PREMIERE PARTIE

La constitution du handicap

psychique à l’échelle nationale :

Le poids du mode de production de la loi

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La catégorie handicap psychique est instituée par la loi ordinaire du 11 février 2005 pour

l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (2005-112).

Dans cette première partie, nous proposons d’analyser les processus de mise sur agenda d’un

problème social préexistant (la prise en charge en milieu ordinaire et la présence dans la cité

d’individus souffrant de psychoses) et les déplacements de signification découlant des

négociations engagées entre les associations et les instances ministérielles. Pour ce faire, nous

nous sommes attachés à repérer les principaux acteurs en présence. A chaque fois, nous

présentons les enjeux qui les animent, les formulations et les modalités d’action proposées18. A

l’instar de ce que les travaux anglo-saxons nous ont appris du poids des négociations propres à

l’engagement de toute action collective sur la formulation du problème à résoudre, nous en

examinons ensuite les conséquences sur l’objet handicap psychique : un flou notionnel

persistant car nécessaire à l’obtention d’un compromis et une incertitude dans les modalités de

prise en charge prévues.

I. Une loi fortement orientée par les associations de familles de patients :

quand l’expertise d’usage associative supplante l’ expertise médicale

Il est très difficile de reconstituer a posteriori une mise sur agenda impliquant bien souvent de

multiples acteurs et une série de débats plus ou moins confidentiels qui apposent néanmoins une

marque profonde sur les termes de l’accord final19. Ceci étant, les traces analysées tendent à

montrer, d’une part, la place des associations de familles de personnes handicapées et plus

exactement de familles dont les enfants souffrent de troubles psychiques ne relevant pas de la

déficience mentale et cognitive (parents de schizophrènes notamment), et d’autre part, le retrait

des experts médicaux dont l’extension des rôles est pourtant aujourd’hui largement soulignée20.

18 Le financement de cette recherche consacrée aux espaces de l’insertion sociale et professionnelle territoriale ne nous a pas permis de réaliser des entretiens avec les principaux protagonistes, impliqués dans l’élaboration et la mise en œuvre de la loi de 2005. Nous avons donc étudié la documentation administrative, institutionnelle et associative : textes de lois, décrets et circulaires d’application, audits administratifs notamment sur le fonctionnement des COTOREP/MDPH et l’attribution de l’AAH. Nous avons également compulsé une série d’articles rédigés par les associations de familles notamment l’UNAPEI et l’UNAFAM. 19 Sur cette question, cf. PADIOLEAU J-G., 1982. Pour une analyse plus précise de l’influence des modalités de cadrages successifs, cf. COBB R. W., ELDER C. D., CEFAÏ D., 1996. 20 Dominique Memmi, Didier Fassin mais aussi Nicolas Dodier ont bien montré la place aujourd’hui occupée par l’expertise médicale, y compris dans des secteurs n’impliquant pas seulement leur compétence diagnostique et soignante première (les médecins chargés d’une expertise auprès de commissions éthiques, de tribunaux, ceux de l’inspection du travail, etc). FASSIN D., MEMMI D., 2004 ; DODIER N., 1993.

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1. La place des associations de famille

Malgré l’ancrage historique d’un modèle de gestion centralisé, en France, la prise en charge du

handicap est depuis fort longtemps investie par des associations qui ne se positionnent pas

seulement en gestionnaires de services sociaux mais en groupes de défense d’intérêt21. Cette

caractéristique s’explique largement par l’histoire institutionnelle de la catégorie « handicap »,

mise en agenda à partir de l’initiative d’anciens combattants, qui dès 1945, œuvrent pour la

reconnaissance de l’invalidité de guerre (reconnaissance législative mais aussi implication dans

les organismes de sécurité sociale et médico-sociaux en charge de l’attribution et de la gestion

des pensions)22. D’une certaine manière, cette stratégie initiale a ouvert la voie à la

reconnaissance d’autres types de handicaps physiques, mentaux et tout récemment psychiques.

Dans le cas qui nous occupe, deux associations ont été particulièrement actives dans la

négociation non seulement de l’application de la loi de février 2005 mais plus

fondamentalement de son élaboration : l’UNAPEI et l’UNAFAM.

Impliquée au titre de sa mission de représentant des intérêts des personnes handicapées et de

leurs familles, la première association est l’UNAPEI – Union Nationale des Amis et Parents

d’Handicapés Mentaux. Regroupant 750 associations fédérées, elle entend « assurer la défense

des intérêts matériels et moraux des personnes handicapés mentales et de leurs familles ». Dès

le 20 octobre 2004, l’UNAPEI exprime des revendications se déployant sur trois registres.

Au plan de l’orientation politique, l’association plaide premièrement pour la résorption des

disparités territoriales observables dans les prises en charge financières mais aussi matérielles

du handicap : variabilité des critères d’attribution des Allocations Adultes Handicapées sur

lesquels nous reviendrons, hétérogénéité des modes d’inscription de la question du handicap

dans les politiques conduites par les Conseils Généraux et les Programmes Départementaux

d’insertion – PDITH, manque de place dans les établissements spécialisés et difficultés à

accéder au logement. En témoignent ces revendications, l’action de l’UNAPEI ne vise pas

seulement l’augmentation des moyens mis à disposition mais plus fondamentalement leur

cohérence et leur inscription dans une politique publique nationale : plaidoyer pour

l’engagement de véritables plans de programmation traduisant les engagements de principe

portés dans les textes de loi et constitution d’une gouvernance territoriale susceptible de les

piloter. Ainsi en est-il de leur volonté, d’une part, de voir confié à la Caisse Nationale pour la

21 Sur la question, cf. BLANC A., 2006. En ce sens, ce champ d’intervention publique se distingue de secteurs tels que l’action socioculturelle par exemple, où les associations en présence se sont progressivement positionnées en co-gestionnaires ou prestataires de services publics – une grande partie de l’activité des FRANCAS et des CEMEA porte aujourd’hui sur la gestion de centres de loisir mettant en œuvre des orientations souvent définies par les collectivités territoriales. 22 GUESLIN A., 2003 ; STIKER H-J., 2001; CALVEZ M., 2000.

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Solidarité et l’Autonomie (CNAS) un rôle de pilotage global des politiques de prise en charge

de la perte d’autonomie et de promotion de l’égalité des droits, puis, d’autre part, de pousser

l’Etat à instaurer un plan régional de programmation de l’action médico-sociale permettant de

mieux articuler les initiatives centrales, départementales et locales. Au-delà de la reconnaissance

législative du statut de handicapé mental et de l’amélioration du système de protection juridique

et institutionnel, l’association entend peser sur la mise en œuvre des lois et décisions centrales,

selon elle responsables des difficultés observées en matière d’accès aux structures spécialisées

notamment.

Au plan de la représentation politique, l’UNAPEI entend deuxièmement renforcer le pouvoir de

décision des associations représentant les intérêts des personnes handicapés dans les instances

territoriales (notamment dans les MDPH qui vont occuper des positions centrales dans la

conduite de la politique engagée autour du handicap). Ainsi l’association a-t-elle œuvré pour le

changement des modes de représentation des associations au sein des instances locales

(commission d’orientation par exemple). Plus exactement, la règle de parité entre associations

gestionnaires et non gestionnaires de structures spécialisées jusqu’alors en vigueur devrait selon

elle laisser place à des critères objectifs de représentativité. Ce point a d’ailleurs fait l’objet de

batailles puisqu’il a été introduit dans le texte de loi de 2005, enlevé au moment de l’examen du

texte au Sénat (adoption d’un amendement imposant la parité entre structures) puis à nouveau

réintroduit dans un décret d’application de la loi en 2006.

Au plan idéologique enfin, l’UNAPEI occupe une position dont nous verrons qu’elle diffère de

celle de l’UNAFAM particulièrement concernée par le handicap psychique : la valorisation d’un

modèle de protection sociale soucieux de l’intégration sociale et professionnelle des handicapés

et la mise à distance d’une approche strictement indemnisatrice. Par exemple, dans une

déclaration mise en ligne sur leur site, les responsables nationaux réagissent au décret du 16 juin

2006 relatif aux établissements et services d’aide par le travail, censé appliquer les décisions

prises par la loi de 200523. Est ainsi souligné que : « Dans ses trois arrêts rendus le 24/01/2006,

la cour de cassation porte un jugement sur le principe de compensation du handicap qui serait

selon ses propres termes « forfaitaire » et « sans rapport raisonnable avec une créance de

réparation intégrable ». Or l’UNAPEI rappelle combien le principe de compensation du

handicap issu de la loi du 4 Mai 2002 ne doit pas alimenter une approche strictement

indemnisatrice, occultant la variété des secteurs et des réponses à engager (école, emploi adapté,

hébergement, protection juridique) : « La logique d’aide sociale n’a pas complètement cédé la

place à celle de protection sociale comme en témoignent les dispositions relatives aux

23 UNAPEI, « Ressources des travailleurs d’établissements et services d’aide par le travail : réforme ou supercherie ».

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20

ressources (à propos des travailleurs en établissement spécialisés) ». Dans cette perspective,

deux initiatives étatiques datant de 2006 sont particulièrement contestées : d’une part, la réforme

des ESAT (loi du 11/02/2005) qui modifie le fonctionnement des ateliers protégés en les

transformant en entreprises adaptées (elle génèrerait un moindre financement des aides au poste

TH et l’éviction des travailleurs les moins productifs) ; d’autre part, la modification du calcul

des AAH différentielles qui occasionnerait selon l’UNAPEI une baisse du pouvoir d’achat de

1,5% : « loin d’apporter une amélioration à la situation matérielle des 100 000 travailleurs

handicapés d’ESAT, le texte ne contribue donc qu’à la détériorer malgré de nombreuses

propositions formulées par l’UNAPEI au cours de la concertation pour rendre le texte (de

2005) acceptable ».

Face à cela, deux options sont privilégiées et défendues par l’UNAPEI :

• le passage à une logique de protection sociale non conditionnelle : par exemple

l’UNAPEI plaide pour que les barrières d’âge réglementant la prestation de compensation

soient supprimées ; pour que l’AAH soit alignée sur le SMIC ; pour que les ressources

minimales des personnes en établissement soient augmentées (quelles que soient leurs

contributions productives) et enfin pour que les sommes versées au titre des pensions

d’entretien et d’hébergement ne soient pas récupérées. A travers ces demandes, les aides

financières attribuées aux Handicapés Mentaux ne sont plus soumises aux critères

traditionnels réglementant l’aide sociale – contributions salariales préalables, niveaux de

ressources desquelles la personne bénéficie indirectement ; elles ont vocation à devenir un

filet de sécurité découlant de la reconnaissance d’un 5ème risque « dépendance » que les

associations de retraités et de personnes âgées demandent elles-aussi.

• Une réelle politique d’autonomisation passant notamment par l’accès à l’emploi et

l’engagement d’une politique spécifique à la prise en charge du handicap et de la

dépendance : se posent ici les questions du financement de l’emploi adapté et de l’insertion

professionnelle des personnes handicapées. Contrairement à la position qui sera adoptée par

le législateur et les services étatiques, l’UNAPEI plaide pour la constitution de services

d’insertion professionnelle spécifiques et articulés aux services emploi de droit commun

(encore appelé SPE –service public de l’emploi).

Si l’UNAPEI a joué un rôle évident dans le contenu global de la loi de 2005, c’est

essentiellement à l’UNAFAM que l’on doit l’inscription législative de la catégorie « handicap

psychique ».

L’UNAFAM (Union Nationale des Amis et Familles de Malades Psychiques) est reconnue

d’utilité publique depuis 1968. Cette association a été fondée sur l’initiative de familles

directement confrontées à la réforme de la psychiatrie et à l’augmentation de la prise en charge

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en milieu ouvert. Elle réunit 97 sections départementales et s’est dotée d’une expertise qu’elle

entend faire valoir auprès des pouvoirs publics24. En témoignent l’engagement de diverses

enquêtes mobilisant parfois des soignants et des spécialistes des sciences sociales (en 200425) et

avant cela le livre blanc des partenaires de la santé mentale en France : usagers, soignants,

responsables du social, rédigé en 2001 avec la FNAP-PSY, la Fédération Croix Marine, la

Fédération Française de Psychiatrie, la Ligue Française de la Santé Mentale, l’association des

conférences de président des CRE. Contrairement à l’apparente similitude du projet associatif

(la défense des intérêts des personnes handicapées et de leurs familles), les revendications et les

modalités d’action des associations de familles de patients souffrant de troubles psychiques se

distinguent nettement de celles précédemment présentées.

Apparaît en premier lieu la volonté de distinguer le handicap mental du handicap psychique à la

fois dans le pronostic de la maladie (son évolution) et dans les difficultés que cela pose :

« (selon la fédération de la croix marine s’exprimant dans le livre blanc) La croix marine portait

le concept de handicap psychique bien avant la loi de 1975 pour le distinguer du handicap

mental qui fait référence en psychiatrie à une déficience liée à une altération du système

nerveux26 » ; le handicap psychique recouvrirait quant à lui des cas de non adéquation du

rapport à l’environnement. Pour l’UNAFAM, le handicap mental se définit comme « la

conséquence permanente ou un retard durable des capacités intellectuelles » tandis que le

handicap psychique serait la « conséquence de maladies graves que les professionnels

regroupent en parlant de psychoses ». Contrairement aux familles de patients souffrant de

handicap mental, la singularisation du handicap psychique constitue un enjeu fondamental.

Aussi dans le livre blanc, plusieurs caractéristiques sont-elles mises en exergue :

« Contrairement au handicap mental, les capacités intellectuelles peuvent rester vives

Les soins demeurent importants alors que dans le cas du handicap mental, l’état est bien

souvent stable.

Les manifestations de la pathologie sont variables, incertaines et commandent un

ajustement perpétuel des patients, des familles, des soignants et des acteurs sociaux

impliqués.

(…) Du fait de la réforme de la psychiatrie, 90 % des personnes en souffrant sont censés

vivre dans la cité, interpellant quotidiennement des acteurs méconnaissant les questions

relatives à la santé mentale (élus, travailleurs sociaux, employeurs, etc) ». 24 Ces stratégies d’acquisition d’expertise ne sont pas propres au secteur du Handicap mais se rencontrent également chez des associations du secteur social. Elles semblent cependant garantir l’accès aux espaces institutionnels et législatifs centraux (cas d’Emmaüs, du Secours Populaire). 25 UNAFAM, 2004, accessible à http://www.unafam.org/telechargements/enqueteunafam2004.pdf 26 Le livre Blanc des partenaires de Santé Mentale France, associations d’usagers de la psychiatrie, de soignants et de responsables du social dans la cité. Propositions faites lors des réunions de Juin 2001.

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22

Ceci étant, s’il émerge un consensus autour de la nécessaire spécification du Handicap

Psychique et de l’autonomisation relative de sa prise en charge, il n’existe cependant pas

d’accord sur les frontières de ce que la notion recouvre. Si pour l’UNAFAM, le Handicap

psychique est clairement identifié aux psychoses (schizophrénies et syndrome maniaco-

dépressif), on trouve aussi des acceptions plus élargies. La Croix Marine y inclut par exemple

les situations occasionnant de la souffrance psychique (comme la dépression par exemple). La

mobilisation d’acteurs, porteurs de définitions disparates, commande cependant l’élaboration

d’une grille de lecture minimale dont nous allons voir qu’elle se fonde essentiellement sur les

difficultés rencontrées dans la vie sociale ordinaire. Ainsi le livre blanc souligne-t-il que le

handicap psychique recouvre essentiellement un handicap comportemental dont les dimensions

reflètent les aptitudes individuelles attendues dans l’activité sociale et productive d’une société

donnée à un moment singulier de son histoire27.

« difficultés à acquérir des habiletés psychosociales avec des difficultés d’attention et des

difficultés à suivre un plan d’action

alternance d’états psychiques continus tendus empêchant souvent une activité

professionnelle mais n’excluant pas une vie en milieu ordinaire ».

Par exemple, les deux éléments définissant le handicap comportemental lié aux troubles

psychiques renvoient à la capacité à programmer son action dans des contextes productifs

commandant la gestion simultanée de plusieurs tâches et la prévision et dans des contextes

sociaux où les places sociales ne sont plus acquises une fois pour toutes – précarisation des

trajectoires, nécessité de « gérer » les bifurcations biographiques occasionnées par un

licenciement, un déménagement etc. Cette acception tout à fait particulière explique sans doute

le fait que, paradoxalement, les difficultés liées à l’épilepsie sont rarement évoquées dans les

discours associatifs et institutionnels. Nous verrons d’ailleurs dans la seconde partie de ce

rapport, combien les exigences sociales et productives actuelles pèsent sur les définitions que

les professionnels de l’insertion en donnent.

Pour l’heure, examinons la façon dont la désignation initiale de la pathologie, telle que vécue

par les patients et leurs familles, infléchit la manière dont ils formulent les problèmes qui les

concernent, les revendications portées auprès des institutions et les modalités d’action

déployées. Pour l’UNAFAM, la FNAP PSY ou encore la Croix marine, il ne s’agit plus

prioritairement d’agir sur les politiques de prise en charge et d’insertion des handicapés mais de

pousser le législateur à autonomiser la catégorie (« nommer pour faire exister »), puis à

27 On doit entre autres à Roger Bastide l’étude des liens complexes existants entre aires culturelles et désignations de la maladie et du malade mental. BASTIDE R., 1965.

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organiser des droits spécifiques ciblés sur la protection juridique et l’accès aux services médico-

sociaux ; l’insertion professionnelle est assez peu abordé. En ce qui concerne les droits

revendiqués, on note ici la référence à la protection juridique (loi de 1968) ; à l’hospitalisation

non volontaire (loi de 1990) ; aux limites de la responsabilité pénale (art. 122.1 du Code Pénal) ;

au droit à compensation sans rappel des versements antérieurs en cas de « retour à meilleure

fortune » (Art. 332. 8 du NCAS) ; enfin, à la protection du statut notamment eut égard au risque

de déni de la maladie par le patient (censé être garantie par la COTOREP/MDPH).

En ce qui concerne les modes de prise en charge, quatre priorités se dégagent. Certaines sont

partagées par l’UNAPEI : la représentation par l’UNAFAM des intérêts des personnes

handicapées psychiques dans les MDPH en vue de permettre une évaluation plus adaptée des

incapacités de nature psychique ; le lissage du système de prise en charge existant :

l’harmonisation des prestations (alignement des versements effectués au titre de l’AAH sur la

pension d’invalidité complétée par le fonds social d’invalidité) et la résorption des disparités

territoriales. D’autres se singularisent et privilégient des réponses juridiques et médico-sociales :

• le développement des alternatives à l’hospitalisation à travers l’organisation d’un partenariat

actif de soins et le développement des services médico-sociaux (« rendre les conseils de

secteur opérationnels (…) ils doivent pouvoir évaluer l’ensemble des moyens à mettre en

œuvre depuis les structures d’hébergement jusque l’accompagnement à domicile, les rendre

interlocuteurs des Agences régionales d’hospitalisation et en capacité de garantir la

continuité des soins ») et le soutien aux associations – notamment le développement et la

promotion des CLUBS/groupes d’entraide

• l’insertion sociale : sont plus particulièrement évoquées l’importance de l’accès au logement

et la « garantie d’un minimum de lien social » au nom des droits de l’homme et de la

protection des personnes. Il est ainsi fait référence à une « exigence d’humanité » face à

« l’horreur de l’isolement ».

Extrait du plan de l’UNAFAM

1) Assurer la continuité des soins

2) Accéder au logement et à des hébergements adaptés

3) Garantir l’accueil et l’accompagnement

4) Protection juridique

5) Rendre possibles les activités

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Cette rapide présentation des revendications comme des modes d’action des associations

défendant les intérêts des personnes handicapées mentales et psychiques et de leur entourage

montre, d’une part, de notables différences dans les revendications portées et, d’autre part,

l’influence que les caractéristiques de la pathologie et les prises en charge existantes ont sur la

nature des revendications et les leviers d’action mobilisés28. C’est ce dont rend compte le

tableau ci-après.

Tableau 1. Les revendications des associations du secteur du handicap mental et psychique

UNAPEI - Handicap mental UNAFAM - Handicap psychique

FACTEURS EXPLICATIFS

Caractéristiques de la pathologie

Pathologie peu évolutive, symptômes stables Traitement médical peu présent

Pathologie évolutive, symptômes variables Traitement médical important nécessitant plusieurs ajustements

Congruence problèmes rencontrés/réponses institutionnelles préexistantes

Problème constitué bénéficiant de diagnostics médicaux stabilisés et appelant peu d’allers-retours dans la prise en charge

Problème peu constitué ne bénéficiant pas de diagnostics médicaux homogènes et stabilisés Appelant une prise en charge fluctuante oscillant entre droit commun et mesures relevant du secteur du handicap

FORMULATIONS DES DIFFICULTES ET DES REVENDICATIONS

Difficultés rencontrées par les familles

Accès aux structures de droit commun (établissements scolaires) et spécialisées (ESAT) Aide financière et matérielle à la prise en charge Autonomie par insertion professionnelle en milieu protégé

Visibilisation et compréhension de la maladie Rigidités et défaillances de la prise en charge médico-sociale Autonomie par insertion sociale « rompre l’isolement »

Revendications portées

Constituer une politique de prise en charge du handicap Insertion professionnelle Ampleur de la prise en charge institutionnelle spécialisée (nombre de place en établissements spécialisés)

Nommer pour faire exister : reconnaissance de la catégorie de Handicap Psychique Insertion sociale (logement et lien social) et développement de réponses associatives (groupes d’entraide) Adaptabilité de la prise en charge médico-sociale

Leviers d’action

Implication associative dans les instances décisionnaires nationales mais aussi territoriales (MDPH)

Implication associative nationale Constitution d’une expertise associative et recours à l’expertise scientifique en vue d’autonomiser la catégorie Handicap Psychique

28 Ce lien est particulièrement travaillé par les auteurs analysant la constitution des mouvements sociaux à partir des processus d’alignement de cadre (frame analysis). SNOW D. A., 1986. Dans un autre registre, Alain Blanc y voit une des caractéristiques majeures de la mobilisation associative dans le secteur du handicap. Le poids de la communauté d’expérience des personnes handicapées et de leur entourage conduirait à une fragmentation des revendications, focalisées sur la singularité des déficiences et la spécificité des prises en charge que cela commande. BLANC A., 2006

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Ainsi, dans le cas de l’UNAPEI, le problème du handicap mental bénéficie de diagnostics

médicaux stabilisés, d’une formulation collective assise et d’une reconnaissance institutionnelle

préalable. Les dispositifs institutionnels existent (même s’ils restent à développer) et, une fois la

prise en charge effective, la stabilité de la pathologie et des symptômes appelle peu d’allers-

retours. Ces particularités expliquent le type de revendications portées : une amélioration et

surtout une mise en cohérence de la prise en charge. En revanche, le handicap psychique ne

s’appuie pas sur des diagnostics médicaux homogènes et stabilisés (difficultés à établir des

diagnostics et des pronostics). Il ne bénéficie pas réellement d’une formulation collective (au

plan social, le Handicap Psychique est réduit au trouble mental, au plan associatif, les différents

acteurs ne partagent pas la même conception de ses frontières). Enfin, les dispositifs de prise en

charge sont souvent peu adaptés et surtout rigides. De là découlent trois spécificités.

Premièrement, l’attention est portée à l’appellation qui doit moins permettre le développement

d’une politique spécifique que la visibilisation de la différence existante entre handicap mental

et psychique aux yeux des institutions et de la société civile. Deuxièmement, les associations

privilégient les actions améliorant la protection juridique et médico-sociale. Contrairement au

cas des Handicapés Mentaux, la question de l’insertion professionnelle en milieu ordinaire ou

protégé n’est que peu évoquée. A minima est-il rappelé qu’« il faut que l’administration

admette que l’intégration dans le milieu du travail reste un des objectifs principaux, il importe

en attendant que des alternatives à cette intégration existent et soient financées sans oublier que

celles ci doivent être adaptées à la nature particulière du handicap et à sa variabilité dans le

temps » (Livre Blanc, p.18). Troisièmement, le principal enjeu impliquant moins la gestion que

la désignation, les associations réunies autour de l’UNAFAM privilégient l’accès aux arènes

législatives centrales et la mobilisation d’une expertise d’usage articulée à une expertise issue

des sciences sociales dans le cas du Handicap Psychique29. Elles négligent du même coup

l’accès aux directions technico-administratives nationales et territoriales, d’où en partie leur

absence des espaces de l’insertion sociale et professionnelle présentés dans la deuxième partie

de ce rapport.

Si les associations de familles ont été particulièrement actives au moment de l’élaboration de la

loi de 2005, il n’en est pas de même des médecins pourtant fortement concernés par la

reconnaissance institutionnelle de difficultés liées à des pathologies dont le diagnostic relève de

leurs compétences.

29 La présence et la participation active de l’UNAFAM aux sessions de travail réunissant les équipes de recherche engagées dans le programme financé par la Mire et la DRESS témoignent d’ailleurs de cette stratégie.

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2. Une expertise médicale peu convoquée

Il faut encore ici renouveler nos précautions quant au statut de nos propos. Il s’agit d’une

reconstitution a posteriori des modalités de mise en agenda politique à partir de « traces ». Ici

les traces sont celles d’une partie des débats qui ont entouré la publication puis les différentes

révisions de la Classification Internationale des Handicaps (connue aujourd’hui dans sa dernière

version CIH2 ou CIF), jusqu’à l’adoption de cette dernière par l’OMS en mai 2001.

Si nous avons retenu ici comme « corpus » les différentes controverses autour de cette

classification, c’est en premier lieu parce que malgré le fort désaccord qu’elle a suscité au sein

de la communauté des psychiatres français, elle est reprise au niveau législatif. Cet apparent

paradoxe signale au passage que l’élaboration du cadre législatif doit peu à l’expertise médicale.

Ceci étant, la teneur des débats renseigne la question de la définition du handicap psychique et

montre que son absence de stabilisation du côté de sa désignation médicale tient moins à une

incertitude diagnostique de la part de la communauté psychiatrique qu’à un effet possible des

usages de cette classification et de celle de la CIM30.

En effet, une grande partie des controverses suscitées tourne en effet autour de la question des

causes31 du handicap : y fait débat non pas la sanitarisation de la question sociale mais bien la

socialisation de la question sanitaire (notamment l’articulation entre le sanitaire, le médico-

social et le social et plus largement l’amalgame entre les politiques de l’exclusion et les

politiques du handicap). Le cadre de cette étude ne nous permet pas d’entrer en profondeur dans

les termes d’un débat complexe qui souligne la multiplicité des enjeux, y compris politiques,

soulevés par un outil classificatoire32. Nous nous contenterons de brosser à grands traits les

cadres d’un tableau que d’autres auteurs, F. Chapireau (psychiatre) et Michael Jaeger

(sociologue) ont esquissés au sujet de la tension entre les approches médicales et sociales du

handicap. La première classification proposée par l’OMS, dite de Wood, porte le sous-titre

suivant « Un manuel de classification des conséquences des maladies ». Elle poursuit le projet

de proposer un cadre conceptuel approprié au recueil d’information « réelles » dans un contexte

où dominent désormais les maladies chroniques. Centré sur le diagnostic, le modèle biomédical,

« pertinent lorsque les objectifs de santé publique concernent les maladies aiguës, est limité dès

lors que les troubles au long cours deviennent importants »33. C’est, selon F. Chapireau, ardent

30 « Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes » (International Statistical Classification of Diseases and Related Health Problems, publiée par l’OMS : « Troubles mentaux et du comportement »). 31 Le débat ne se réduit cependant pas à ce point. 32 Pour une analyse sociologique des incidences des outils classificatoires, diagnostiques et de pilotage, cf. LASCOUMES P., LE GALES P. ; 2004. 33 CHAPIREAU F., JAEGER M. ; 2000.

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défenseur de l’approche conceptuelle de la classification, le sens de la commande de l’OMS

envers P. Wood. Selon lui encore, « le modèle est descriptif, il ne préjuge pas des causes mais a

bien plutôt pour objectif de permettre le recueil d’informations en vue d’une recherche de ces

causes. Sa particularité est d’être ouvert à des causalités multiples en interaction l’une avec

l’autre. Par conséquent, c’est aussi un modèle propice aux actions en partenariat, chacun dans

son domaine agissant sur un aspect des difficultés, tout en tenant compte des autres. La

description est résolument centrée sur la personne et non sur les dispositifs d’aide et de soins ».

Citant Wood, « Il y a eu une vogue récente pour promouvoir la notion de handicap social,

attirant l’attention sur des problèmes comme la pauvreté et le mauvais logement sans relation

avec leurs influences directes sur la santé. Bien que tout effort en vue de combattre les carences

sociales suscite de la sympathie, une telle dilution du concept de handicap [désavantage social]

n’est d’aucun secours parce qu’elle tend à la confusion lors de l’identification des expériences

spécifiquement liées à la santé et des moyens par lesquels elles pourraient être contrôlées ».

L’auteur note ici que la classification « se limite strictement au domaine de la santé, comme

chacune des trois définitions le rappelle répétitivement (déficience, incapacité, handicap) ».

Il cite ensuite deux critiques qui ont été faites à la classification, notamment à propos des

causes. Une des propositions formulées par les experts « qui considèrent volontiers qu’une

classification médicale ne doit pas sortir de son domaine pour envisager les services sociaux »

est de supprimer le niveau du désavantage social, déjà inclus selon eux dans les incapacités.

L’autre proposition serait le fait « d’un groupe de spécialistes souhaitant faire apparaître la

causalité sociale dès le recueil des données, de manière à appuyer un militantisme pour

modifier l’environnement défavorable, voire oppressif ». Elle vise au contraire à développer ce

niveau des incapacités « de manière à inclure tout ce qui relève d’un déterminisme social, même

en partie. Le plan des incapacités serait alors réduit à ce qui est strictement attribuable à la

personne lors d’un examen clinique ». C’est la prise en compte de cette dernière proposition que

F. Chapireau reproche pour sa part à la nouvelle classification34. Par exemple, selon lui, la

version provisoire Bêta 2 reflète clairement les positions de l’association Disabled People’s

International. Est donc ici dénoncé le lobbying de cette association auprès des instances de

réflexion mondiales et européennes.

S’interrogeant pour sa part sur les « Apports et limites de la CIH1 et de la CIH2 pour les

politiques d’aide et de soins en santé mentale » Michael Jaeger, sociologue, reprend à son tour

la question de la causalité en notant l’ancrage de la CIH2 dans un causalisme sociologique.

Rappelant qu’« en Psychiatrie les facteurs psychosociaux ont souvent été présentés comme des

34 Cette inclusion reprend selon lui les différentes définitions du handicap présentées dans l’article signé par BICKENBACH J. E., 1999

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« facteurs étiologiques » pour recenser les caractéristiques familiales, scolaires, socio-

économiques, socioprofessionnelles..., liées à l’émergence de la pathologie et à l’évolution de

ses manifestations » cet auteur affirme qu’« à l’occasion de la révision de la CIH, nous

assistons à un retour en force du causalisme, mais avec un déplacement de l’amont (la question

de la causalité sociale dans l’apparition de la déficience, par exemple, est moins centrale,

même si elle est toujours présente) vers l’aval : le défaut de participation des personnes

déficientes à la vie sociale ordinaire a pour cause, nous dit-on, le rejet dont ils sont victimes, a

minima l’inadéquation de la société à leurs besoins spécifiques ». Ce constat comporte selon

lui, entre autre danger, celui de « l’amalgame entre politiques de l’exclusion et politiques du

handicap »

Par sa teneur mais aussi par son objet (la classification proposée par l’OMS) ce débat dépasse

largement le seul champ médical. Car l’intention qui a présidé à l’élaboration de l’outil :

« proposer un langage uniformisé et normalisé ainsi qu'un cadre de travail pour la description

des états de santé 35» ne préjuge pas de ses usages, d’ores et déjà divers. Si la communauté

médicale a sans doute peu participé au débat législatif autour du handicap36, tout au moins dans

son cadre national37, on constate cependant que les outils classificatoires discutés au sein du

médical ont été repris dans le domaine administratif. Par exemple, le guide barème du 4

novembre 1993 pour les CDES et COTOREP est construit sur une notion de déficience

exprimée en termes d’incapacité : elle s’appuie donc sur la classification de Wood, sans pour

autant la reprendre terme à terme. Comme le fait remarquer M. Jaeger38 à propos de la reprise de

la CIH dans le guide barème, elle n’est utilisée dans ce décret que pour les registres de la

déficience et de l’incapacité. Le désavantage social n’y est pas évoqué39. Dans les termes mêmes

de la loi de 2005, la définition du handicap s’appuie sur la Classification Internationale du

Fonctionnement, de la santé et du handicap (CIF) qui s’est substituée à la classification 35 CIH2, Introduction 36 Concernant celle de 1975, la majorité des psychiatres s’y est montré hostile comme en témoigne le Dr Bernard DURAND, Président de la Fédération d’Aide à la Santé Mentale Croix-Marine, dans une communication au colloque Handicap et enjeux de société 2006, organisé par le centre de ressources SMS Ile de France : « Cette loi a été l’objet de beaucoup de malentendus et de polémique parce que les psychiatres ne voulaient pas que l’on parle de handicap à propos de leurs patients. C’était tellement violent à l’époque que l’on parlait de « lois scélérates » et que certains avaient préconisé le boycott des commissions prévues par la loi (COTOREP et CDES)». 37 Il est possible qu’au niveau européen, niveau très influent sur l’élaboration des politiques nationales, la communauté médicale y ait participé. Nous ne pouvons pour notre part que constater l’influence de l’OMS. 38 Rapports pour la conférence d’expert « Classification internationale des handicaps et santé mentale », Marcel JAEGER, 2000 ; AZEMA B., mai 2001. 39 Le guide-barème basé sur l’approche conceptuelle de Wood n’en est pas une stricte reprise. Le mode d’entrée est essentiellement celui des déficiences et des incapacités. La fixation du taux d’incapacité prend en compte à la fois les incapacités et certains désavantages. Il fait actuellement l’objet d’une réflexion en vue de sa révision, afin de tenir compte des insuffisances constatées par les praticiens et des conséquences de l’évolution des connaissances médicales.

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internationale des handicaps (CIH) qu’avait proposé PN WOOD : « Constitue un handicap, au

sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en

société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle,

durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives

ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ». Le Handicap est ici un

terme générique désignant les déficiences, les limitations d’activité et les restrictions de la

participation. Il désigne les aspects négatifs de l’interaction entre un individu (ayant un

problème de santé) et les facteurs contextuels dans lesquels il évolue (facteurs personnels et

environnementaux).

En raison d’un emboîtement voulu des deux classifications, la définition d’un problème de santé

est renvoyée à la classification CIM. Cette dernière reflète l’élargissement du concept de la

santé préconisé par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). Délaissant le terme de maladie

au profit de celui de trouble, la catégorie de santé mentale déplace le raisonnement

psychiatrique d’une focalisation sur l’étiologie à une lecture de la symptomatologie. Dans le

DSM40 comme dans La Classification internationale des maladies (CIM) de l’OMS, le terme de

maladie psychique laisse place à celui de troubles41. Or cette notion ne dit plus rien ou presque

des étiologies en termes pathologiques et s’élargit à des étiologies plus sociales. On peut dès

lors s’interroger sur les modalités thérapeutiques (les mêmes ? d’autres ?) que ce déplacement

entraîne : le traitement relèverait tout autant d’une prévention des « risques »42 du mal-être que

d’une thérapie strictement médicale.

Il ne s’agit pas ici de rentrer ni dans la genèse ni dans les incertitudes et les paradoxes de ce

nouveau « champ » de la santé mentale mais de signaler combien ces déplacements autorisent la

40 Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), aujourd’hui dans sa quatrième édition, (DSM-IV) est le manuel de référence le plus utilisé pour diagnostiquer les troubles psychiatriques. Il est édité par l'Association américaine de psychiatrie (American Psychiatric Association, APA). Le DSM-IV comporte cinq axes : Axe I : les troubles cliniques Axe II : les troubles de la personnalité et le retard mental Axe III : affections médicales générales, Troubles ou affections physiques associées (santé physique) Axe IV : troubles psychosociaux et environnementaux Axe V : évaluation globale et fonctionnement 41 Relevé par LOVELL A. et EHRENBERG A., 2001. 42 Dans un article récent, Luc Berlivet analyse de façon très éclairante les récentes transformations du discours de santé publique. Il décrit l’essor récent (ces 15 dernières années) de l’épidémiologie moderne, la notion de risque se substituant à la notion de cause. Cette substitution tient à l’extension de la recherche épidémiologique (= étude de la fréquence et la répartition dans l’espace des problèmes de santé dans des populations humaines, ainsi que le rôle des facteurs qui la déterminent) des maladies infectieuses aux maladies chroniques. En effet, appliqué à ces dernières, le concept de cause devenait faux car on ne constatait plus que des corrélations statistiques. L’épidémiologie du risque qui bientôt promeut des analyses en termes de style de vie, dont on sait les dérives moralisatrices, impose une nouvelle représentation de la maladie, probabiliste, et crée également une nouvelle catégorie d’individus, entre le normal et le pathologique : les individus à risque. Pour plus de détails, voir BERLIVET L., 2001.

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qualification de problèmes sociaux en des termes qui renvoient au sanitaire. En effet, à côté de

l’assise théorico-explicative première (l’inconscient, le désir et l’interdit), une telle conception

de la santé mentale mobilise des schémas explicatifs qui se basent sur des « défauts » dans la

construction identitaire et sur la perte d’objets (éventuellement sociaux). Le champ de la

thérapie mentale s’en trouve dès lors considérablement élargi : d’une part la psychiatrie est

désormais convoquée sur des terrains sociaux, au motif général de la « souffrance psychique »

et d’autre part elle rejoint sur le marché du mal-être d’autres acteurs des thérapies de l’âme ou

de l’identité. De cette évolution de la psychiatrie naît le concept de santé mentale, sorte de

domaine d’intervention « médian » entre la psychiatrie et la santé publique. Cette mise en

sourdine de la dimension étiologique de la souffrance mentale a pour effet de laisser ouverte la

qualification des origines de la souffrance dans le champ du social. Elle ne limite plus le

traitement de la souffrance psychique au seul champ du thérapeutique (entendu dans son sens

médical) et élargit donc le périmètre de l’intervention psychiatrique.

Apparaît ici un glissement du sanitaire vers le social dont un détour par la scène politique

internationale nous permet de mieux saisir les modalités, les enjeux et les acteurs y ayant

contribué. En 1999, l’OMS a lancé un appel à la mobilisation mondiale contre les troubles

mentaux. Le rapport annuel de l’OMS 2001 est d’ailleurs consacré aux maladies du système

nerveux et aux troubles mentaux, ces derniers étant présentés comme le résultat d’interactions

complexes de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Ainsi « La pauvreté, le chômage,

l’insécurité de l’emploi, les désastres naturels ou provoqués par l’homme, les violences, les

guerres, etc., les discriminations inter-sexes ou ethniques, les violences contre les enfants ou les

personnes âgées ont une influence négative sur la santé mentale. ». L’OMS propose entre autres

d’accroître la dimension de la santé mentale dans les programmes de santé publique et dans les

politiques de santé. Ses priorités sont orientées vers les enfants et les adolescents, la vie active et

l’emploi, enfin le vieillissement de la population.

En outre, depuis la définition de la santé comme « état complet de bien-être physique, mental et

social » promulguée en 1978, pour l'OMS, le bien-être mental fait partie intégrante de la santé

mentale. Ainsi la campagne lancée en 1999 repose-t-elle sur l’idée selon laquelle la « santé

mentale » va au-delà de la simple absence de trouble mental ou neurologique. Afin d'alléger le

« poids » des troubles mentaux et des maladies neurologiques, le directeur général de l’OMS

présentait d’ailleurs en ces termes les nouvelles stratégies mondiales de l'OMS pour la santé

mentale : « Le « poids » de ces troubles se base sur une nouvelle mesure , qui tient compte à la

fois des années de vie perdues mais aussi des années productives perdues du fait de l’incapacité

(alors que les méthodes traditionnelles utilisées pour attribuer un rang de priorité aux problèmes

de santé se basent sur la mortalité et la prévalence d'une maladie) ». C’est ainsi que selon les

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estimations de l’OMS, dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement, cinq

des dix grandes causes d'incapacité dans le monde découleraient de problèmes mentaux :

épisodes dépressifs sévères, schizophrénie, troubles affectifs bipolaires, dépendance alcoolique

et troubles obsessionnels compulsifs. Pour les estimations des DALY de 1998, les épisodes

dépressifs sévères figurent en cinquième place sur cette liste.

Parmi les stratégies annoncées, on note le lancement, dans 19 pays, de l’enquête santé mentale

2000. Les premiers résultats de l’enquête française présentent une évaluation de la prévalence

différentielle des troubles mentaux selon des critères « sociaux » tels que le genre, le niveau de

diplôme et la situation d’emploi ou bien encore la situation familiale. Il faut également noter que

cette étude s’intéresse aux représentations profanes des problèmes de santé mentale. Outre

l’évaluation de la prévalence des principaux troubles mentaux, la SMPG interroge les personnes

sur leurs représentations de la maladie mentale. On y apprend que les termes de « fou » et de

« malade mental » restent le plus souvent associés à des comportements violents (45% des

personnes interrogées pensent par exemple que commettre un meurtre est associé au fait d’être

un « fou » et 30% « malade mental »), que le « malade mental » est plus souvent perçu comme

ayant un problème médical et que le « dépressif » est quant à lui considéré comme capable

d’être soigné et de guérir (94% des personnes), au contraire du fou (55% pensent qu’on peut

guérir un « fou ») et du « malade mental » (69%).

Concernant maintenant la scène de la politique nationale de la Santé publique, on constate une

reprise discursive de l’argument « environnement social = facteur de risque potentiel de la

maladie mentale ». En novembre 2001, B. Kouchner, ministre délégué à la santé, assignait à la

politique de santé mentale de notre pays l’objectif de « mobiliser une réponse adaptée aux

malades les plus sévèrement atteints, pour lesquels le processus pathologique prend le pas sur

les conditions environnementales, ainsi qu’aux personnes qui manifestent un trouble en relation

avec des événements extérieurs, liés à leur environnement familial, social ou professionnel ». Je

tiens en effet, disait-il, « à ce que notre pays soit en capacité de répondre à l’ensemble de la

gamme des besoins qui s’expriment dans le champ de la santé mentale : de la maladie mentale

sévère jusqu’à la souffrance que n’expriment pas toujours les populations les plus en difficultés,

confrontées notamment à la précarité ». Ces éléments de délimitation du champ de la santé

mentale sont cruciaux et ont des conséquences lourdes sur l’étendue de la prise en charge qui

peut être proposée, sur les compétences des acteurs de la santé mentale, et en toute fin, sur les

exigences exprimées par les usagers. Le modèle tenant compte à la fois des aspects biologiques,

psychologiques, et sociaux est en effet celui qui sous-tend les politiques de santé publique au

plan international, notamment au sein de l’OMS. Si ce discours ne se voit pas concrétisé dans la

Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 de santé publique, on se souviendra que la circulaire de santé

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publique du 14 mars 1990 instaure, dans la ligne du dispositif RMI, les relations

interinstitutionnelles entre champ du social et du médical et positionne la psychiatrie comme

institution ressource sur les questions de santé mentale. Néanmoins ces relations restent peu

pratiquées.

Enfin, du côté des médecins, la classification internationale DSM est jugée imprécise et fait

débat dans la mesure où elle institutionnalise des catégories assises non pas sur une étiologie

médicale mais sur des difficultés symptomatiques. La cih2, adoptée en 2001 est d’ailleurs jugée

par un certain nombre de psychiatres comme résolument placée du côté d’une approche

politico-sociale du handicap ; et ce, du fait de l’influence militante de l’association des

« disabled people ». Selon F. Chapireau, cette approche sociale de la notion de handicap

« interdit et autorise à la fois ce que nous appelons en français le handicap social, c’est-à-dire

la réunion dans une même catégorie des difficultés liées à la santé et celles tenant à d’autres

causes ». De sorte que cette polysémie de la notion de causalité en autorise tous les usages : « il

est possible que chacun utilise l’affirmation qui l’intéresse, sans se laisser arrêter par

l’affirmation contraire ».

Parce qu’il se sépare d’un modèle curatif basé sur la maladie mentale et détache la souffrance

psychique de la folie pour s’apparenter à la souffrance d’individus ordinaires, ce contexte de

promotion de la santé mentale pose donc la question de la qualification des troubles mentaux et

des lieux de cette qualification. Si ce chapitre a traité du glissement du sanitaire vers le social

(en partie initié par la conception de la santé proposée par l’OMS), il importe maintenant de

s’intéresser à un glissement concomitant du social vers le sanitaire, et notamment au recours à la

difficulté psychique pour expliquer les difficultés que les pouvoirs publics rencontrent dans la

gestion de l’accès à l’emploi.

II. Entre enjeu institutionnel et économique :

l’ambivalence de la position étatique

La constitution du Handicap Psychique - et plus largement la prise en compte du Handicap -

gagne ici à être replacée dans le contexte plus général d’une transformation des objectifs et

postures d’intervention publique engagée depuis le début des années 8043. Les débats sur

l’immuabilité de l’Etat social à la française et sur l’inertie d’institutions engoncées dans un

modèle bureaucratique sont légion. Pour autant, l’observateur attentif ne manquera pas de

43 CULPEPPER P., 2006.

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repérer des transformations qui sous des aspects techniques et réglementaires n’en sont pas

moins éminemment importantes. Ces changements concernent à la fois les principes de

l’intervention étatique (les pratiques d’allocation et plus précisément de gestion de l’emploi et

du traitement social de l’inactivité) et ses formes (les pratiques d’autorité et notamment le lien

existant entre les niveaux de gouvernement central et territorial).

1. Le handicap psychique ou la question du traitement social de l’inactivité

Si pour les associations, la loi de 2005 doit permettre la reconnaissance des difficultés liées à

des troubles psychiques et sociaux ne relevant pas d’une déficience mentale stable, pour les

instances étatiques, les enjeux sont tout autres. C’est du moins ce que fait apparaître l’analyse

du texte législatif et de ses modalités de traduction. En substance, le législateur s’avère moins

préoccupé par la spécificité du handicap psychique que par l’organisation des protections

collectives et des médiations permettant l’accès/le retour à l’emploi.

Dans un premier temps, la question du Handicap Psychique doit être inscrite dans la perspective

plus générale du traitement institutionnel de l’inactivité professionnelle. En la matière, l’étude

du texte de loi et de ses déclinaisons institutionnelles44 montre combien les décideurs oscillent

constamment entre deux positions difficilement articulables : d’un côté instituer des aides

sociales ne dépendant pas des contributions salariales préalables, de l’autre, éviter les trappes

d’inactivité et encourager le retour à l’emploi. Les décisions quant à la prise en charge du

handicap sont en effet marquées par cette tension caractérisant les voies de refondation de l’Etat

social à la française45 : une oscillation entre un modèle assurantiel (protections collectives non

assises sur des contributions salariales préalables mais sur l’institutionnalisation de droits

attachées à la personne - conditions de vie dignes, absence de discrimination, égalité d’accès et

de participation à la vie sociale et politique du pays, mises en place d’aides sociales

inconditionnelles à l’image du RMA ou de la CMU) et une logique assistancielle

(solvabilisation de la prise en charge en facilitant l’accès et/ou le retour à l’emploi). D’un côté,

et suivant les revendications associatives, la loi de 2005 promeut des droits fondamentaux et

tend à traiter le handicap comme un 5ème risque héritant des thématisations historiquement

construites pour gérer la protection sociale : « promotion de droits fondamentaux tels que

l’emploi, la scolarité, l’accessibilité, l’accès à de nouvelles prestations sociales ». De l’autre,

l’étude des décrets d’application et des conventions passées entre Etat et AGEFIP fait apparaître

le souci d’encourager le retour à l’emploi. Premier exemple, l’assouplissement des frontières

entre milieu de travail protégé et ordinaire ainsi que le passage aux ESAT semblent 44 Déclaration de LARCHER J-M.et convention Etat-AGEFIP, 2004-2007. 45 CULPEPPER P., 2006.

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concomitamment témoigner du souci d’augmenter les contributions productives des TH. On

retrouve ici les constats posés par les observateurs des mutations de la protection sociale

française et notamment la redéfinition du rôle de l’Etat qui tend de plus en plus à prendre en

charge les conséquences sociales des stratégies entrepreneuriales : subvention au retrait du

marché du travail par les départs en préretraite, traitement social du chômage, mise en place de

prestations compensatoires ajoutées à l’AAH existante, subvention à l’emploi peu qualifié via le

financement partiel des salaires de Travailleurs Handicapés et, dans le même temps,

développement de mesures incitatives évitant les trappes d’inactivité. Autre exemple, les auteurs

du rapport commandité suite à la promulgation de la loi de 2005 soulignent combien

l’attribution de l’AAH à des personnes présentant des handicaps qu’il est difficile de relier à une

pathologie stabilisée pose la question de la concurrence de la mesure avec le RMI : d’abord

parce que les frontières du Handicap Psychique restent poreuses et peuvent inclure des individus

souffrant de troubles psychiques en l’absence de pathologies diagnostiquées ; puis parce que les

services départementaux en position de force dans les MDPH financent le RMI et non l’AAH –

ils peuvent avoir tendance à faire glisser des individus de l’aide sociale conditionnelle (RMI) à

une protection sociale peu conditionnelle (l’AAH)46. Dit autrement, la réaffirmation du trouble

psychique comme critère d’éligibilité à l’AAH peut brouiller les frontières entre aide sociale et

protection sociale.

Peu porté par les associations, cet aspect du problème réactive bien évidemment l’épineuse

question des mesures d’insertion professionnelle, au demeurant peu discutées au moment de

l’élaboration de la loi de 2005 et finalement peu clarifiées par la production législative finale. Si

l’on excepte les déclarations de principes, deux mesures de la loi de 2005 sont susceptibles

d’améliorer l’accès à l’emploi des personnes handicapées – et notamment des bénéficiaires de

l’AAH : la possibilité de cumuler AAH et revenus d’activités jusqu’à 1,3 SMIC et l’extension

du bénéfice de l’obligation d’emploi des TH aux AAH. Enfin la loi du 26/07/2005 relative au

développement des services à la personne ouvre les contrats d’avenir et les CI/RMA aux AAH.

Ceci étant, ces nouvelles règles n’ont pas été accompagnées d’instructions spécifiques quant à

leur mise en œuvre par le service public de l’emploi. A l’exception de la désignation d’un

référent insertion dans les MDPH, il n’existe toujours pas de relations instituées entre cette

structure et le SPE. A cette absence de réflexion quant aux modalités d’articulation des

politiques d’insertion professionnelle et de prise en charge du handicap, s’ajoute la

transformation des capacités d’action étatiques dans le domaine de l’emploi.

Dans un second temps, l’étude des enjeux étatiques sous-tendant la production de la loi de 2005

doit donc être éclairée par la prise en compte de la capacité d’action étatique sur les pratiques

46 IGF, IGAS, Mission d’audit de modernisation, 2006.

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des entreprises susceptibles d’accueillir les travailleurs handicapés. De manière générale, les

recherches portant sur la place de l’Etat dans la régulation du marché de l’emploi, des

conditions de travail et du chômage ne manquent pas. Il nous serait d’ailleurs bien difficile d’en

faire une recension exhaustive. Ceci étant, un élément préalablement mis au jour marque les

modalités de prise en charge du handicap – a fortiori psychique : la transformation de

l’encadrement étatique des rapports productifs et de la régulation des modalités d’indemnisation

qui, de standardisées et réglementées, connaissent aujourd’hui un mouvement

d’individualisation et de localisation. Deux exemples ne touchant pas directement la question du

handicap peuvent néanmoins être cités. Dans une récente contribution, Michel Lallement

montre en effet combien des mesures de prime abord techniques ont profondément transformé

la régulation étatique du marché de l’emploi47. Ainsi la mise en œuvre de la loi concernant la

réduction du temps de travail a largement contribué à déplacer les négociations sur le temps et

les conditions de travail du niveau central au niveau des entreprises. De la même manière, les

mesures relatives aux plans sociaux ont elles aussi accéléré le déplacement des lieux de gestion

des licenciements de l’échelle centrale au niveau des entreprises. De sorte qu’en matière

d’emploi et d’insertion professionnelle, l’Etat entend moins (et est moins capable) orienter les

politiques des entreprises que réguler les effets qui en découlent (licenciements, intensification

de la charge et de la vitesse de travail observée depuis le passage aux 35 heures dans bien des

secteurs, etc.)48. Dès lors, les dispositions législatives prises en faveur de l’emploi des personnes

handicapées (décrets, mesures incitatives au recrutement) doivent être reconsidérées sous cet

angle49. Plus exactement, le choix d’intervenir en légiférant (décrets) n’est pas nécessairement

adapté à une régulation à déployer au plus près des entreprises. Elle requiert au contraire la

maîtrise d’une mise en œuvre qui, si l’on en croit la seule incitation à établir des pactes

territoriaux tenant compte de l’emploi des handicapés, est à cette étape peu pensée par les textes

de lois. Pour les services étatiques concernés par la prise en charge du Handicap, les enjeux

semblent donc moins situés du côté de la permanence des soins et de l’amélioration du réseau

47 LALLEMENT M., 2006. 48 Dans le cas du Handicap psychique, l’on notera que le soutien à l’emploi en milieu ordinaire passe également par des mesures financières incitatives (aide étatique au poste à hauteur de 80% du SMIC). 49 Conformément à l’approche institutionnaliste caractérisant la protection sociale à la française (privilégiant la réforme ou la création d’institutions), nous faisons ici référence à la création d’instances ad hoc – Caisse nationale de la solidarité pour l’autonomie instituée par le Décret 2005-373 du 20/04/05, création des MDPH par le décret n° 2005-1587 du 19.12.2005 ; modification des codes de la sécurité sociale et du code des familles ; décrets concernant les domaines scolaire et professionnel (décret sur les dispositifs de soutien à la scolarité), décret n° 2006-26 du 9/01/2006 concernant la formation professionnelle des personnes handicapées ou présentant un trouble invalidant ; décret n° 2005-1732 du 30.12.2005 modifiant le code du travail et le statut des entreprises adaptées (passage aux ESAT) ; création et modification de prestations compensatoires prenant en charge les difficultés liées au handicap sans référence à une contribution salariale préalable. Outre l’AAH perçue pour une durée de 1 à 5 ans, financée par l’Etat et versée par la CAF aux personnes dont le taux d’incapacité est de 50 à 80 %, une prestation de compensation à Domicile est créée. En revanche, la déclinaison des orientations législatives dans les diverses politiques publiques est renvoyée à l’échelle des territoires et des structures d’animation qui s’y trouvent (PDI TH et MDPH).

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de prise en charge médico-sociale que du côté des modes de solvabilisation partielle des aides

octroyées – dont l’insertion professionnelle des personnes handicapées fait partie. A cet enjeu

s’en ajoute un autre, cette fois-ci relatif à des transformations internes affectant les pratiques

étatiques d’autorité et plus exactement des relations entre niveaux de gouvernement territoriaux.

2. Un contexte de changement de posture d’intervention de l’Etat français :

le recours au principe de subsidiarité

Si les débats autour du Handicap Psychique posent la question de l’articulation entre protection

et aide sociales, ils touchent également à la manière dont la prise en charge institutionnelle peut

être repensée dans le contexte des lois de décentralisation et de modernisation de l’intervention

étatique. Largement analysé par la sociologie politique50, ce changement de posture sera ici

considéré sous deux aspects : le mode d’intervention sociale et le mode de gouvernance

aujourd’hui encouragé par l’Etat et les instances territoriales.

2.1. Une individualisation des prises en charge

Traditionnellement, les réflexions engagées par les spécialistes du handicap opposent les

modèles d’intervention anglo-saxons visant les capacités des personnes handicapées au modèle

français privilégiant les déficiences et la prise en charge des difficultés51. Il nous semble

cependant que les termes de ce débat se déplacent quelque peu sous l’effet d’un processus plus

global de transformation du traitement français de l’inactivité et des difficultés socio-

économiques – qu’elles soient liées au handicap ou non. Ici la littérature sociologique portant

sur les politiques sociales (retraite, dépendance, prévention sociale, aide éducative apportée aux

familles etc.) a déjà largement montré que l’organisation des protections collectives sur laquelle

l’Etat social s’est structuré laissait progressivement place à des interventions visant à répartir les

habilitations individuelles (travail sur l’autonomie) et les ressources collectives (aides

financières par exemple). Suivant ce mouvement, il semblerait que l’on s’achemine vers une

prise en charge personnalisée et globale du handicap rappelée dans la loi mais également dans le

décret instituant le passage aux ESAT : « aide à la définition d’un projet de vie (et non

professionnel) à partir duquel sont d’abord définis des besoins en termes de compensation,

équipes pluridisciplinaires évaluant les besoins et les types de parcours (toujours en regard du

projet de vie) ». Fortement présent dans les espaces de l’insertion, le recours à la catégorie du

50 Entre autres références, on citera DURAN P., 1999 ; GAUDIN J-P., 1999. 51 Tel est le sens de la recherche conduite par Anne Lovell dans le cadre du programme financé par la Mire-Dress. Cf. Séminaire du 4 juin 2007.

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« projet de vie des TH » témoigne d’un changement similaire. Il en est de même pour

l’indemnisation de plus en plus soumise à des évaluations régulières des parcours (utilisation du

logiciel TRACE, tracé des parcours institutionnels, etc.) ; à telle enseigne que les salariés (qu’ils

soient jeunes ou non, reconnus handicapés ou non) ont aujourd’hui des itinéraires professionnels

beaucoup plus erratiques, davantage influencés par les démarches d’insertion individualisés que

par des négociations collectives centrales et les législations adoptées en matière de droit du

travail. Nous verrons d’ailleurs dans la seconde partie du rapport combien l’accès aux

ressources d’insertion se déduit de moins en moins d’un statut collectif (par exemple la

reconnaissance du statut de RQTH) et de plus en plus de la propension individuelle à se faire

sujet de son parcours (prendre les démarches en main, etc.). La question n’est donc pas

seulement de savoir si oui ou non la loi de 2005 a généré des pratiques institutionnelles

mobilisant les capacités des TH mais plutôt de saisir la manière dont ces orientations se sont

articulées à des principes préexistants, propres aux politiques d’insertion (notamment de quelles

capacités s’agit-il, de quelle manière sont-elles mobilisées et à quelles fins ?).

2.2. La remise en cause du pilotage des prises en charge institutionnelles du handicap

Central, le second aspect concerne la transformation des modes de pilotage territorial des

politiques publiques – qu’elles concernent ou non le handicap. Si l’on observe les leviers

d’action auxquels les textes de loi et les déclarations institutionnelles se réfèrent, on constate en

effet la mise en question étatique des défaillances du pilotage territorial des politiques du

handicap et la mobilisation de méthodes dites procédurales.

a) La mise en cause étatique de la gestion territoriale de la prise en charge du handicap

Suite à la promulgation de la loi de 2005, l’Etat lance une mission en charge d’examiner les

étapes sous-tendant les décisions d’attribution et les renouvellements de l’AAH. Le rapport sur

l’allocation aux adultes handicapés rendu par la direction générale des affaires sociales et

l’inspection générale des finances en avril 2006 met en exergue deux éléments : la variabilité

des critères et modes de gestion des demandes AAH et les défaillances organisationnelles et

institutionnelles qui en sont responsables52.

Premier niveau de défaillance : l’examen de la demande. Ainsi le formulaire médical obligatoire

indiquant l’origine du handicap, ses manifestations, son traitement et ses conséquences est-il

52 IGF, IGAS, Mission d’audit de modernisation, Rapport sur l’Allocation aux Adultes Handicapés, op. cit.

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souvent rempli par des médecins généralistes ne maîtrisant pas les barèmes Cotorep et les

procédures attenantes. Qui plus est, les médecins vacataires exerçant pour la COTOREP/MDPH

sont rémunérés au dossier, ce qui les pousse à consacrer moins de temps qu’ils ne devraient le

faire et à expertiser sans avoir vu la personne en consultation médicale. Deux conséquences

directes sont soulignées. D’abord, la qualité des informations médicales, à partir desquelles le

dossier est examiné, est donc extrêmement variable et partielle. Par exemple, si la pathologie est

assez souvent bien désignée, les informations relatives aux manifestations du handicap et aux

impacts sur la vie quotidienne sont peu précisées. Dans le cas des Handicaps Psychiques, les

dossiers sont bien souvent examinés en l’absence de test neurologiques et de test de QI, ce qui

gène la décision et pousse souvent le médecin expert à commander des examens

complémentaires (cf. partie II et III). Deuxième conséquence : le temps de traitement des

dossiers est d’autant plus allongé, a fortiori dans les cas de Handicap Psychique impliquant

l’intervention de médecins psychiatres (certains départements affichent un délai d’attente de 15

mois pour consulter un psychiatre habilité).

Second niveau de défaillance : les procédures de décision et la place accordée à l’orientation

professionnelle des demandeurs. Est ici souligné le caractère artificiellement collégial des

décisions AAH qui, malgré les textes de loi, dépendent bien souvent des avis notifiés par les

médecins généralistes librement consultés par les personnes, puis entérinés par les médecins

experts. Le médecin se retrouve donc seul en charge de juger d’un taux d’incapacité et de

proposer des mesures professionnelles commandant la connaissance du marché de l’emploi

local, de la formation et du projet du demandeur, etc. Plus fondamentalement, cette appréciation

des aptitudes professionnelles fait l’objet d’interprétations diverses. La première ambiguïté

concerne l’interprétation de la reconnaissance IPRE (Impossibilité de rechercher un emploi).

Dans l’absolu, l’IPRE n’est absolument pas incompatible avec la RQTH et la démarche

d’insertion professionnelle qui l’accompagne. Ceci étant, nombre de Cotorep les opposent. Les

auteurs proposent même de remplacer le terme d’incapacité par celui de « désavantage ». La

seconde ambiguïté relevée par les auteurs du rapport concerne cette fois ci non plus le champ de

pertinence de l’IPRE mais sa définition. La circulaire DGAS/DGEFP du 23 septembre 2005

précise les critères de l’IPRE comme suit : « une perte de chance par rapport au marché du

travail dont l’origine vient exclusivement du handicap ». Une telle définition exclut tous les

facteurs liés à la personne (âge, situation familiale, formation, qualification, accès aux

transports) et ceux liés au marché de l’emploi (état du tissu économique, etc.). Cette procédure

est d’ailleurs censée réduire les possibilités d’attribuer l’AAH « au motif d’un handicap social

qui placerait directement cette allocation sur le registre du RMI » (cf. tension entre modèle de

l’assurance et de l’aide sociale antérieurement présentée). Ceci étant, le flou du texte et la

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difficulté d’autonomiser des facteurs directement reliés aux handicaps poussent les commissions

à développer leurs propres façons de faire ; d’où des pratiques très diverses. Par exemples selon

les auteurs de ce rapport, dans certains départements, les commissions tendent à refuser

l’attribution des AAH aux plus jeunes en vue de ne pas les installer dans l’assistance tandis

qu’elles les accordent aux plus de 60 ans jugés inemployables. D’autres prennent au contraire en

compte l’état du marché de l’emploi local et le profil du demandeur. Ces défaillances

organisationnelles seraient responsables de la faible qualité des décisions Cotorep53 ainsi que de

l’inégalité de traitement des demandes selon les territoires54: « impossible à quantifier –

l’enquête de terrain menée par la mission en tout cas ne le permet pas – l’importance de la

pratique locale apparaît toutefois indispensable pour comprendre la diversité des situations

départementales et est même essentielle s’agissant de l’attribution du L 821-2 » (p. 17).

Enfin, troisième niveau de défaillance : outre l’activité propre à chacune des COTOREP, le

pilotage national et territorial, notamment des mesures d’insertion professionnelle des personnes

handicapées, est également mis en question. Les auteurs du rapport soulignent ici l’absence

d’objectifs clairs et la faible implication des directions des administrations centrales –

notamment de celle de l’emploi et de la formation professionnelle : « Aucune instruction sur les

objectifs, les attendus en termes productivité – seulement des circulaires ponctuelles rappelant

la règle et les conditions d’attribution de l’allocation. Pour la DGEFP, la catégorie AAH n’est

même pas identifiée comme un public cible des politique de lutte contre le chômage et

l’insertion ». Il y a par ailleurs une faible remontée des informations statistiques des Cotorep

aux administrations centrales en même temps qu’une faible précision des outils statistiques ne

permettant par exemple pas de savoir si les personnes bénéficiant d’une AEEH (allocation aux

enfants handicapés) basculent ensuite sur de l’AAH. Au plan local, les experts institutionnels

ont en outre constaté une faible coordination entre Cotorep et acteurs de l’insertion ; aucun

retour d’information quant à l’orientation professionnelle proposée par la Cotorep n’est prévu.

Ces constats récurrents ont poussé les services étatiques et les administrations concernées par la

prise en charge du handicap à opter pour une méthode procédurale qui encourage les initiatives

territoriales tout en s’efforçant de les structurer.

53 D’après les auteurs du rapport qui ont examiné 450 dossiers classés L 821/2, 32 % présenteraient des décisions non justifiées (erreurs dans les taux, mauvaises appréciations des IPRE). 1 fois sur 2 la personne n’est pas reçue en visite médicale. 54 Fait intéressant, selon les auteurs du rapport, ce sont moins les situations socioéconomiques effectives des départements que l’organisation interne des COTOREP/MDPH qui expliquerait l’inégalité des taux AAH. Par exemple, le département du Gard présente une situation socio économique assez défavorable tandis que les pourcentages d’individus reconnus IPRE fait partie des plus faibles. Cette remarque tend à nuancer l’hypothèse selon laquelle les professionnels recourraient à la reconnaissance COTOREP pour prendre en charge des personnes durablement écartés du marché de l’emploi. Elle nous encourage à comprendre les désignations et prises en charge du handicap à partir des contextes et choix organisationnels territorialement opérés (cf. Deuxième partie du rapport).

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b) Le choix d’une méthode procédurale et du principe de subsidiarité

Observable dans l’ensemble des secteurs – y compris ceux traditionnellement plus étatisés que

sont la santé, la famille et la pauvreté55, cette méthode pose des principes de fonctionnement

sans véritablement assigner des places claires à chacun des acteurs territoriaux et sans non plus

préciser ce qui ressortit du handicap a fortiori psychique. Deux principes ont des incidences

importantes pour la question qui nous occupe :

- La mobilisation d’un principe de subsidiarité : Il ne s’agit plus vraiment d’opposer un centre

décisionnaire à une mise en œuvre adaptée aux territoires mais d’envisager au contraire que les

acteurs territoriaux, jugés plus au fait des difficultés et ressources des publics concernés,

peuvent définir par eux mêmes leurs propres objectifs à l’intérieur d’un cadre plutôt général.

Rappelons que le dossier handicap psychique est traité dans un contexte où dans bon nombre de

politiques sectorielles, l’Etat lance des contrats territoriaux devant permettre à ses propres

services de retrouver une place et une prise sur les objectifs d’action territorialement

développés. Par exemple, inspiré des projets territoriaux d’Etat engagés au moment de la

politique de la ville, le Contrat Educatif Local que nous avons eu l’occasion d’étudier est

clairement présenté comme un instrument devant permettre aux services de jeunesse et sports de

retrouver prise sur des orientations locales desquelles les rôles gestionnaires et administratifs

dans lesquels ils ont été contenus les privent. Dans le cas du Handicap, des structures

territorialisées (les MDPH) sont par exemple créées pour désigner les situations relevant du

Handicap psychique, réguler la production des PDITH et ainsi atténuer l’hétérogénéité des

territoires en matière de reconnaissance des capacités et droits, puis de prise en charge des

difficultés liées au handicap. Ce renversement de la perspective nous invite à prendre en sérieux

les productions territoriales que nous examinerons dans la seconde partie de ce rapport.

- Apparaît également un principe de pluralisme négocié qui renouvelle les méthodes

d’intervention publique et les relations entre niveaux de gouvernement territoriaux. Le

développement des politiques de type constitutif et plus largement de la démarche procédurale

en rend bien compte : « Une politique constitutive édicte des règles sur les règles ou des

procédures organisationnelles. Elle ne dit pas quelle est la définition du problème et quelles sont

les modalités de son traitement opérationnel. Elle se contente de définir des procédures qui

servent de contexte d’action sans que soit présupposé pour autant le degré d’accord et

d’implication des acteurs retenus. Des scènes d’action et des territoires sont créés qui offrent des

positions d’échange et d’ajustement que la puissance publique investit de valeurs, de légitimité

55 LALLEMENT M., 2004.; VOLERY I., 2005.

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ou de cognition. La politique constitutive délègue le traitement du contenu »56. En substance,

l’Etat formalise la méthode à suivre mais ne règle pas entièrement les objets à traiter, des

réponses à mettre en œuvre et des objectifs à poursuivre. Aussi, bien que la question du

handicap psychique ait été mise sur l’agenda politique national et inscrite dans une production

législative, aucun décret ne formalise son repérage et sa désignation à l’échelle des politiques

sectorielles susceptibles d’y être confrontées. Tout au plus les textes de loi font référence aux

acteurs à associer aux négociations. On trouve ainsi cité le préfet et la Direction Régionale du

Travail de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, censée garantir l’application d’une

politique dont le ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale a rappelé combien il

s’agissait d’une politique étatique. Viennent ensuite les institutions spécialisées dans la gestion

de la recherche d’emploi et de la formation - qu’elles soient ou non destinées aux personnes

reconnues handicapées (ANPE, CAP EMPLOI, ASSOCIATIONS, MISSION LOCALE,

AGEFIP, MDPH). Puis sont bien évidemment associées les collectivités territoriales mandatées

sur le secteur de l’emploi (notamment le CONSEIL REGIONAL qui a compétence sur les

politiques de formation et de développement économique). Ceci étant, d’une part, le périmètre

des acteurs à impliquer n’est pas exclusif (et ce d’autant que, comme nous le verrons, la prise en

charge locale s’est structurée autour des acteurs du social et du médico-social d’où l’implication

indirecte des DRASS, CRAM, CG, Villes etc) ; d’autre part, les places à occuper ne sont pas

fixées a priori57. Il importe alors de prendre au sérieux les configurations politico-

institutionnelles territoriales dans lesquelles la prise en charge de publics handicapés est

susceptible de se déployer : les espaces de l’insertion professionnelle.

56 DURAN P., 1996 57 Ce flou stratégique est compensé par l’injonction à la négociation et le recours au contrat – une « nouvelle rationalité institutionnelle » dont beaucoup d’analystes du politique s’accordent à souligner l’importance. CULPEPPER P., 2006. et GAUDIN J-P., 1999.

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Conclusion de la première partie

L’analyse du contexte national dans lequel émerge la loi de février 2005 fait donc apparaître un

certain nombre de caractéristiques qui vont marquer à la fois la définition de ce que recouvre le

Handicap Psychique et les modes de prise en charge à déployer.

Première conséquence, le mode d’élaboration de la loi a manifestement des conséquences sur la

définition du handicap psychique retenue par le législateur. La place accordée aux acteurs

associatifs et à la concertation a :

- privilégié l’expertise d’usage associative au détriment de l’expertise médicale : d’où d’une

part, une politisation du problème partant du « privé » et des expériences familiales (références

à la souffrance, à l’isolement comme critère d’éligibilité au handicap psychique), d’autre part,

une tendance à penser le handicap psychique à l’aune de la schizophrénie alors même que

l’étude des dossiers des patients reconnus comme HP tend à montrer la part mineure de cette

pathologie58. Sous cet angle, la catégorie handicap psychique portée par les associations de

familles garde la marque de cette mise en agenda particulière. L’essentiel de l’effort associatif a

consisté à le distinguer du Handicap Mental et à le faire désigner en tant que tel dans le texte de

loi.

- encouragé le maintien d’une imprécision quant aux situations effectives que la catégorie

recouvre : ainsi que le montrent les travaux de sociologie politique, dans un contexte pluraliste

privilégiant la négociation et l’obtention de consensus, le maintien d’une part d’ambiguïté est

essentiel à l’action collective des partenaires associatifs et des administrations centrales

concernées. Aussi les deux points névralgiques – à savoir les troubles psychiques résultant de

difficultés sociales autorisent-ils le classement dans la catégorie handicap psychique et comment

initier une réelle politique d’insertion professionnelle en direction des publics handicapés –

n’ont pas été réellement tranchés ; leur résolution s’en trouve alors déplacée à l’échelle de la

mise en œuvre de la loi.

- institué la porosité entre secteurs médical et social : en effet, la loi reprend les termes de la CIF

ou CIH 2 qui, en dépit des critiques d’une frange importante de la communauté psychiatrique,

laisse ouverte la possibilité d’un classement des troubles psychiques résultant de difficultés

sociales dans la catégorie Handicap, ouverture qui peut se voir renforcée ou non par l’évolution

du guide-barème dans l’esprit de la CIF et par la mise en œuvre du cadre législatif.

Deuxièmement, la prise en charge du Handicap psychique est profondément marquée par des

éléments afférant au contexte politico-institutionnel dans lequel la protection et l’aide sociale

58 Recherche conduite par SICOT F. et PARRON A., CERS-CIRUS

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actuelle se déploient. On rappellera ici l’importance de l’articulation de la logique de protection

sociale inconditionnelle et d’aide sociale conditionnelle ainsi que l’enjeu de gouvernance

territoriale des dispositifs de prise en charge du handicap pour les services étatiques. Nous

rappelons ici la difficulté que l’Etat a à infléchir les pratiques des COTOREP, (aujourd’hui

MDPH), celles des entreprises et du service public de l’Emploi (peu articulé aux Cotorep,

impliquant des acteurs aux missions diverses) et celles des collectivités territoriales.

En bout de course, la mise en œuvre de la loi de 2005 s’opère dans un contexte caractérisé d’une

part, par une incertitude sémantique qui n’est pas seulement liée à la nature de la pathologie

mais aussi au flou notionnel autorisant le consensus et, d’autre part, par une incertitude

stratégique liée à la réforme de l’intervention publique plus globale initiée à partir de 1980 ;

d’où l’intérêt porté aux processus de constitution des orientations qui se déploient dans les

scènes territoriales. Ce sera l’objet de la deuxième partie de ce rapport.

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DEUXIEME PARTIE

Le recours à la difficulté psychique dans les

espaces territoriaux de l’insertion

socioprofessionnelle des jeunes :

le poids des contextes organisationnels

et des topiques professionnelles

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Dans quelle mesure la catégorie Handicap psychique est-elle mobilisée par les acteurs

territoriaux ? Font-ils référence aux dispositions de la loi de 2005 ? Et si tel n’est pas le cas de

quelle manière incluent-ils la question des difficultés psychiques des individus accueillis ?

Conformément à l’approche actionniste privilégiant le sens subjectivement visé par les acteurs,

nous avons considéré que la compréhension de ces modes de désignation professionnelle

impliquait de saisir à la fois les rationalités des acteurs - au double sens des savoirs ou

croyances mobilisés - mais aussi le rapport qu’ils entretiennent avec ces cadres interprétatifs -

pourquoi adhèrent-ils à ces interprétations et comment les mobilisent-ils ? Il ne s’agit donc pas

seulement de dresser une typologie des profils et postures professionnelles des intervenants

impliqués mais d’analyser les éléments les poussant à constituer et adhérer à un certain nombre

de lectures. En la matière, ainsi que le montre Norbert Elias59, toute production interprétative

découle toujours de configurations données – la nature et la densité des relations

d’interdépendance constituent un prisme à partir duquel des références interprétatives

antérieures (professionnelles ou culturelles) sont mobilisées, des situations sont appréciées et

des projections élaborées. Les jugements et les pratiques des professionnels ne sauraient donc

être strictement déterminés par des systèmes de représentation déconnectés, d’une part, des

contextes d’intervention politiques, institutionnels et organisationnels dans lesquels ils exercent

et, d’autre part, des systèmes de relation constitués entre intervenants, institutions et individus

ciblés60. La trentaine d’entretiens semi-directifs réalisés avec les acteurs en charge de l’insertion

professionnelle61 s’est donc premièrement efforcée de saisir les relations d’interdépendance

dans lesquelles ils se trouvent : les groupes ou « autruis significatifs » qu’ils évoquent dans le

récit de leur pratique professionnelle et la nature des relations existantes entre chacun des

acteurs (notamment le degré d’interdépendance ainsi que les modalités de contrainte qu’ils

déploient et subissent). Deuxièmement, ainsi que le montrent les travaux déployés dans les

champs de la sociologie cognitive ou de la sociologie de la santé, ces configurations spécifiques

façonnent à la fois le type de références interprétatives auxquelles les acteurs ont accès et

59 ELIAS N., 1969, rééd. 1975 60 La notion de représentation, souvent mobilisée pour rendre compte des usages non médicaux des catégories telles que la maladie mentale ou le handicap, n’est pas ici conçue comme une reproduction du réel mais comme une production mentale sociale impliquant la reconstruction socialement élaborée d’une réalité consensuelle – d’où l’utilisation des termes de processus de constitution et de schèmes explicatifs. Plusieurs dimensions sont donc interrogées : une dimension globale sociétale recouvrant les orientations nationales en matière de politique d’emploi, les pratiques d’activation et la relecture des difficultés des personnes en insertion qu’elles induisent, une dimension groupale recouvrant à la fois les groupes professionnels auxquels les acteurs de l’insertion font référence ou s’efforcent de se démarquer, une dimension de contexte recouvrant les cadres organisationnels (concurrence entre prestataires de l’insertion, redéploiement des financements, transformation des formes d’accompagnement). 61 Nous avons effectué une trentaine d’entretiens semi-directifs avec des acteurs en charge de l’insertion socioprofessionnelle des publics âgés de 20 à 35 ans, en prenant soin de faire varier les niveaux de responsabilité, les territoires d’intervention et le statut des structures enquêtées.

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l’intérêt qu’ils peuvent avoir à y adhérer – et ce, même s’ils ne sont pas totalement convaincus

de la fiabilité de leurs interprétations62. Les entretiens effectués ont donc cherché à comprendre

les médiations par lesquelles les contextes organisationnels pesaient sur la croyance en des

difficultés psychiques. Nous avons plus particulièrement examiné la part que les professionnels

accordent aux difficultés d’ordre psychique ; les critères sur lesquels les professionnels

s’appuient pour étayer leurs jugements (récit des indices corporels et gestuels les ayant poussé à

l’hypothèse d’une difficulté structurelle d’ordre psychique) et les raisons les incitant à souscrire

à de telles interprétations. Des entretiens collectifs et des séances d’observation effectuées au

sein de réunions rassemblant l’ensemble des référents santé toulousains de l’insertion

socioprofessionnelle ont ensuite servi à mesurer l’existence éventuelle d’un consensus sur la

portée heuristique de la catégorie handicap psychique, la connaissance des textes législatifs

l’instituant, les termes et la teneur du débat professionnel et bien évidemment les relations

entretenues entre ces acteurs aux statuts et intérêts divers mais pourtant désignés comme

membres d’une même communauté professionnelle. Après avoir présenté le contexte territorial

sous le double angle de sa structuration et des topiques professionnelles en vigueur, nous

montrerons combien ces configurations pèsent sur la désignation des problèmes psychiques et

les usages politiques qui en sont opérés.

I – Un contexte doublement marqué par la diffusion de l’approche globale

et les récentes évolutions des politiques de l’empl oi

1.1 L’histoire des tensions entre insertion sociale et insertion professionnelle

Qui compulse l’abondante littérature existante autour des politiques d’insertion initiées à partir

des années 80 ne manquera pas de constater combien les réflexions conduites se sont

essentiellement focalisées sur les tensions existantes entre insertion sociale et professionnelle.

Ces dernières ont suscité au début de la décennie 80 la promotion d’une « approche globale ».

Les Missions locales structures d’accueil pour les jeunes voient ainsi le jour en 1982 pour

aborder globalement le problème de l'insertion sociale et professionnelle des jeunes « en tenant

compte de toutes les composantes de son environnement (santé, logement, justice, loisirs, sport,

62 L’intérêt majeur de cette proposition est, d’une part, de se distancier des approches mentalistes interrogeant les croyances individuelles à partir de systèmes de représentations intériorisés et, d’autre part, d’embrasser la pluralité des rationalités auxquels les acteurs se réfèrent.

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culture...) plutôt que de s'attacher aux seuls aspects de l'emploi et de la formation »63. Cependant

les acteurs du champ de l’insertion des jeunes notent une forte inflexion de ces orientations

initiales : l’insertion sociale tend progressivement à être subordonnée à l’insertion par l’emploi.

Certes, l’objectif affiché de la Mission locale est « d’assurer des fonctions d’accueil,

d’information, d’orientation et d’accompagnement pour aider les jeunes de 16 à 25 ans à

résoudre l’ensemble des problèmes que pose leur insertion sociale et professionnelle ». Or

selon ses acteurs, si « la première des missions bien entendu c'est l’insertion sociale et

professionnelle pour le plus grand nombre, ça ne veut pas dire grand-chose. L’insertion on

aurait tendance à dire aujourd’hui qu’elle passe par le professionnel, avant on parlait plutôt

d’abord d’insertion sociale, et puis en deuxième lieu professionnelle, aujourd’hui on est plutôt

insertion professionnelle pour que le social puisse être en quelque sorte réglé ». Ce

déplacement de buts s’inscrit dans une transformation plus globale des modes de traitement du

chômage dont il convient de brièvement présenter les lignes force.

Auparavant, l’insertion sociale s’attachait à « solder » les multiples difficultés censées freiner

l’insertion professionnelle des individus. L’institutionnalisation du RMI en 1989 témoigne

d’une logique similaire. Il s’agissait en effet de régler la question de la subsistance, du logement

etc., pour faciliter la réinsertion professionnelle. L’article 1er de la loi sur le RMI stipule

d’ailleurs que : « Toute personne qui en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la

situation de l’économie et de l’emploi, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit

d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. L’insertion sociale et

professionnelle des personnes en difficulté constitue un impératif national. Dans ce but, il est

institué un revenu minimum d’insertion ». Or, cette logique tend à être mise au second plan.

Désormais le regard est tourné du côté de l’entreprise (« l’objectif ultime, de la mission locale

c’est l’emploi durable » (conseiller d’insertion Mission Locale)) et les modalités

d’accompagnement s’individualisent fortement.

En France, l’accompagnement des demandeurs d’emploi se conforme aux orientations

européennes et mobilise une perspective du « profilage »64, complétée, selon la catégorie

d’employabilité définie, par diverses mesures d’accompagnement individualisé. Ce

renversement de perspective est incontestablement lié à l’évolution des politiques publiques de

63 Préconisations du rapport de Bertrand SCHWARTZ mandaté par le gouvernement de Pierre MAUROY, Premier Ministre en 1982. Ce rapport a été récemment réédité sous sa forme initiale. 64 GEORGES N., 2006. « La France a donc fait récemment des choix très comparables à ceux des autres pays européens. En choisissant de recourir au profilage tout en conservant à l’entretien avec un conseiller de l’ANPE une place centrale dans le processus de décision, elle s’est résolument placée du côté de l’expertise outillée. En revanche, il est encore trop tôt pour percevoir l’ensemble des conséquences du choix de l’externalisation, et donc pour conclure au renforcement ou à la perte d’influence du Service Public d’Emploi. En effet, si l’ANPE a perdu son monopole légal de placement, l’Unedic a vu son rôle se renforcer récemment. On ne peut pour l’instant pas dire quel effet l’emportera. »

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traitement du chômage qui se renforcent dans le sens d’une gestion des risques du chômage par

le traitement individualisé du chômeur. D’une part les opérateurs en charge de l’insertion

professionnelle sont ainsi progressivement « équipés » d’outils standardisés élaborés à l’échelon

européen. Ces outils reposent sur une mesure des facteurs de « risques » du chômage de longue

durée et une appréciation de la manière dont les bénéficiaires des dispositifs d’insertion

remplissent leurs obligations65. L’attribution de l’indemnisation s’en trouve parallèlement mise

sous conditions. En témoigne la création du Revenu Minimum d’activité par le gouvernement

de J.P. Raffarin en 2003.

D’autre part le chômage en vient à être traité dans un colloque interindividuel (la relation de

face-à-face) dont l’objet glisse peu à peu d’une insertion socio professionnelle à une insertion

professionnelle. La subjectivité du chômeur (la capacité à se mettre en projet, à se saisir des

opportunités, etc.) tend à devenir le principal angle d’attaque d’un traitement du chômage : la

relation au principe de l’accompagnement a pris une place, si ce n’est centrale, tout au moins

bien supérieure aux outils et techniques de recherche d’emploi également mobilisés66. Seuls

quelques indicateurs visant à distinguer les différentiels de risques liés au chômage de longue

durée demeurent utilisés par les conseillers des Missions Locales. Promue de façon générale par

les pratiques d’activation des politiques de l’emploi à l’échelon européen, l’approche globale

plébiscitée durant les années 1980 laisse progressivement place à une forme de traitement

65 Selon Nathalie Georges, en France, la politique de l’emploi tend à converger avec les orientations définies à l’échelon Européen. Entre autres points, elle s’efforce de mettre en place la Gestion des Parcours Personnalisés (GPP) structurant l’accompagnement des chômeurs. Parmi les quatre points clés que cet auteur dégage de la récente réforme de la politique de l’emploi, on en notera deux infléchissant fortement les pratiques des acteurs que nous avons interrogés : - l’adoption en France de la technique du profilage d’expertise outillé : la convention État-ANPE-Unedic du 5 mai 2006 retient le principe de la mise en place d’un profilage statistique (appelé « calcul de risques statistiques ») effectué par les Assedic, et couplé avec l’expertise des conseillers de l’ANPE lors d’un entretien complémentaire. Le « profilage statistique permet le pré positionnement du chômeur sur un parcours en fonction de son risque de chômage de longue durée » et de la « composante emploi » (si le chômeur vise ou non un métier en tension). Le conseiller de l’ANPE doit valider ou non ce pré positionnement lors d’un entretien professionnel approfondi ». - l’inscription du chômeur dans une logique de parcours et d’accompagnement : la « grille de profilage » a officiellement pour objectif d’adapter l’accompagnement des chômeurs au marché du travail et de définir pour chacun un Projet Personnalisé d’Accès à l’Emploi (PPAE, héritier du PAP). Pour ce faire, le conseiller doit inscrire le demandeur d'emploi dans l’un des cinq parcours d’accompagnement vers l’emploi (P1 : recherche accélérée, P2 : recherche active, P3 : recherche accompagnée, P4 : parcours de mobilisation vers l’emploi, P5 : parcours créateur d’entreprise). Cet accompagnement est actualisé régulièrement en fonction de l’évolution de la situation du chômeur, grâce au suivi mensuel personnalisé. (GEORGES N., 2006) 66 Ces constats rejoignent les conclusions de nombreuses recherches qui montrent, d’une part, le glissement des modalités européennes de « traitement » du chômage vers un traitement de problèmes structurels individuels et, d’autre part, l’évolution concomitante de la profession des actuels conseillers d’insertion (anciens prospecteurs placiers). Sur la question, voir BURGI, 2006 ; ORIANNE 2005). La répartition des conseillers sur l’antenne ML de Toulouse en est exemplaire : on compte 7 conseillers en insertion pour 2 en conseillers en emploi.

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clinique du chômeur qui mérite attention. En effet, en déplaçant les schèmes explicatifs des

situations de « non-emploi » des structures socio-économiques aux aptitudes individuelles, de

nouvelles catégorisations des publics accueillis apparaissent.

Ainsi, à l’échelle territoriale, l’ancien critère de l’inadaptation à l’emploi laisse apparaître deux

segmentations supplémentaires. La première clive les publics relevant d’une insertion de droit

commun ou d’une insertion spécialisée. La seconde scinde les publics relevant d’une insertion

de droit commun en deux sous-catégories selon le niveau de diplôme dont ils bénéficient.

1.2 Un secteur fragmenté : un héritage structurel de la diffusion

de l’approche globale

En France, la question de l’insertion professionnelle se structure autour de trois espaces

fortement dépendants de la régulation étatique, qui constituent aujourd’hui le cœur du service

public de l’emploi : l’ANPE, pour l’ensemble des publics, les Missions locales, mises en place

en 1982 pour les publics jeunes peu qualifiés et le secteur de l’insertion professionnelle

réservé aux personnes handicapées. Encouragées à développer une approche globale des

publics, dans les années 1980, les structures d’insertion de droit commun se sont

progressivement entourées d’une constellation d’acteurs associatifs inscrits entre les institutions

d’insertion (ANPE, ML etc.) et les acteurs de l’insertion spécialisée (CAP emploi, ateliers

protégés etc.). Après une rapide présentation de ces espaces, nous tenterons d’apprécier les

conséquences organisationnelles et culturelles des évolutions récentes promues par les

politiques de l’emploi.

a) Les services d’insertion professionnelle réservés aux personnes handicapées

Nous trouvons bien évidemment ici le réseau Cap emploi, fortement réglementé par l’Etat.

Grâce au soutien de l’AGEFIP (principal financeur), ce secteur est par ailleurs en voie

d’unification au plan national67.

67 Au plan méthodologique, nous avons cependant exclu de ce secteur le réseau « Ville-Hôpital santé précarité » plus spécifiquement destiné à des « publics » en grande précarité (sans-logis, personnes marginalisées, etc.). Ce réseau coordonne un ensemble d’interventions entre offre de soins et dispositifs de Veille Sociale (Equipe Mobile Sociale et de Santé - Equipe composée de travailleurs sociaux et paramédicaux dans un rôle proche du SAMU social parisien. - PASS, Pôle d’Accueil et d’Orientation, réseau de médecins libéraux). Il a également en charge des fonctions de service public (Centre Médico-Psychiatrique de secteur), des consultations psychiatriques hospitalières ou des actions relevant de l’humanitaire (consultations de Médecins du Monde, interventions dans les structures d’accueil d’urgence).

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« Il faut savoir que le réseau « cap emploi », c’est un réseau jeune. C’était un label

construit en 99/2000, un logo qui avait pour objectif d’identifier les structures intervenant

dans l’accompagnement professionnel des Travailleurs Handicapés dans chaque

département. C’est pour ça que nous avons gardé le nom de l’association – handi pro.

(…) Mais petit à petit, ça se structure : par exemple, là, on a une offre de service

commune qui se structure au niveau national – 11 ou 12 services aux personnes et 6 ou 7

aux entreprises. Chaque cap emploi décline le même nombre de service avec des contenus

identiques. (..) Ce qui est prévu pour l’évolution du réseau cap emploi d’ici la fin de

l’année, c’est qu’il y ait un système d’information unique au cap emploi : une base de

données, un réseau compatible avec tous les cap emploi et compatible avec l’ANPE. Pour

être sur une saisie unique des données. Pour l’instant, on fait une double saisie : la notre

et l’application GID de l’ANPE. Sur le plan technique, ça nous fait faire de la double

saisie. On est passé d’une structuration en termes de communication à des outils de

traitement. » (responsable de structure, Cap Emploi).

Ces structures sont donc essentiellement en relation avec les acteurs institutionnels du secteur

Emploi-Handicap et, dans une moindre mesure de l’emploi :

« On est parti d’un logo et le financeur du réseau « cap emploi », c’est l’AGEFIP. Non

seulement le financeur- mais ils ont aussi une fonction de développement, d’ingénierie du

réseau en même temps (…) ensuite les partenaires institutionnels, c’est le PDITH – la

direction départementale emploi formation professionnelle, l’ANPE. Après, on a des

prestataires comme travail différent, l’IRFA, PRISM et après des organismes de

formation, le Conseil Régional pour tout ce qui est formation. Après avec l’AGEFIP, il y

a des dispositifs spécifiques. Des dispositifs qui visent à nous doter d’outils pour mener à

bien les accompagnements qui n’existent pas dans le droit commun. C’est très important

en termes de moyens, on est de mieux en mieux doté. »

A Toulouse, ce mouvement de sectorisation de la prise en charge selon les déficiences a en

outre suscité l’apparition d’une association qui s’est spécialisée dans l’accompagnement des

personnes souffrant de handicaps psychiques68. Ainsi en est-il du CRIC (Centre de Rééducation

des Invalides Civils) qui, après la deuxième guerre mondiale, s’est saisi de la question du

reclassement professionnel des invalides de guerre et a développé des liens formalisés avec la

COTOREP. Le récent développement de services en direction de publics catégorisés

« Handicapés Psychiques » tient à la fois à la volonté de mettre en place des méthodes

68 Ce processus de spécialisation de la prise en charge des personnes handicapées est également souligné par BLANC A., 2006.

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d’intervention permettant de solutionner les difficultés rencontrées dans le cadre de leur

accompagnement et aux opportunités de financement local :

« Bon on s'est aperçus depuis quelques années qu'on a de plus en plus de handicaps psy

(du fait d’une politique visant à promouvoir une prise en charge en milieu ouvert). Le

dispositif de pré orientation classique n'était pas toujours très adapté à ce public là, ce

qui fait qu'on a mis en place ce nouveau dispositif de pré orientation spécialisée » ;

« Après le bilan maladie mentale ça c’est un dispositif plus récent. On a répondu en fait à

un appel d’offre. Et ce dispositif existe depuis 2 ou 3 ans et il est ponctuel dans l’année

(…) L'action dure 5 mois, là on a une équipe un peu différente avec un éducateur

spécialisé, une psychologue clinicienne, et également une Assistante Sociale et un

médecin psychiatre». (salarié du CRIC)

Les partenaires du CRIC sont là encore les acteurs institutionnels désignant le handicap (la

COTOREP/MDPH), ceux de l’insertion professionnelle et notamment de la formation et enfin,

contrairement à l’association CAP EMPLOI accueillant des personnes jugées aptes à l’emploi

en milieu ordinaire, les centres d’aide par le travail (CAT) et les centres de réadaptation psycho-

sociale :

« C'est 70% formation, parce que quand même la demande de la COTOREP c'est qu'on

qualifie aussi les gens le plus possible puisqu'il y a un reclassement, donc on va dire 70%

formation dans toute la France, en CRPS ou sur des dispositifs de droit commun. Ensuite

on a une part là aussi qui devient de plus en plus importante vers le milieu protégé, donc

entreprises adaptées et un petit peu CAT. Normalement pour les CAT la COTOREP

l'évalue avant et ne nous les adresse pas en principe et on a aussi un retour vers des

structures intermédiaires type CRPS etc. (centre de réadaptation psycho sociale). Ce sont

des structures médicalisées et intermédiaires entre l'hôpital psychiatrique et nous... il y a

une mise au travail qui se fait mais avec tout un côté médicalisé quand même qui est

important. »

Ceci étant, dans le cas de Cap Emploi comme du CRIC, la désignation du handicap psychique

s’appuie sur une catégorisation médico-administrative préalable émanant de la MDPH (ancienne

Cotorep). L’accompagnement professionnel est pris en charge via des protocoles formalisés

(protocole d’accueil, bases de données en cours de construction, gamme de prestations

proposées aux personnes et aux employeurs). Ces deux associations proposent des procédures

d’accueil au cours desquelles les aptitudes à l’emploi sont appréciées.

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« Peut être vous dire justement comment on identifie ce public. On a une procédure

d’accueil qui est unique ; la même pour tout le monde. Cette procédure d’accueil, c’est

d’abord une phase d’inscription. On remet un dossier et dans ce dossier, il y a un

paragraphe qui concerne la nature du handicap et la personne coche d’elle-même

handicap physique, psychique ou autre visuel, auditif… D’emblée, quand on démarre

l’accompagnement les personnes qui ont été reconnues par la cotorep pour un handicap

psychique, nous on le sait d’emblée et c’est quelque chose qu’elles disent très facilement.

Il faut savoir qu’elles s’adressent à une structure qui est spécifique, qui s’adresse à des

travailleurs handicapés donc on sait que ce n’est pas une structure généraliste. Donc

c’est plus facile pour nous de le repérer de ce fait. Après cette phase d’inscription, on a

une phase d’évaluation/diagnostic avant de construire un accompagnement

professionnel ». (Cap emploi)

« C'est un dispositif de pré orientation qui existe depuis 1989. Il s'agit de recevoir des

personnes pré orientées par la cotorep pour mettre en place avec eux un projet

d'orientation professionnelle. Donc les personnes nous sont adressées par la COTOREP

pour une durée qui peut aller de 8 à 12 semaines. Alors le travail qu'on fait sur ces 2 à 3

mois c'est un travail de bilan dans un premier temps puis un travail d'orientation

professionnelle. Première étape c'est un bilan un peu classique comme ce qui se fait dans

beaucoup d'organismes avec en plus la spécificité du bilan de chaque intervenant dans

son domaine et donc une prise en compte du social et du médical qui est vraiment très très

importante. (…) Donc première étape de bilan et ensuite le travail de réorientation

commence vraiment au centre de ressources puisqu'on a un centre de ressources avec une

documentaliste » (CRIC)

S’ensuit alors une phase de mise en situation :

« La première, de 4 semaines est une adaptation au terme de laquelle on fait un petit

contrat d'engagement. Nous ça nous permet de faire un point avec les personnes de voir

eux si ça leur convient et au niveau des critères pré-requis comme le suivi des traitements

qui n'est pas respecté ça nous permet d'arrêter si vraiment on ne peut pas continuer avec

elle ». (CRIC)

« On a eu le besoin d’avoir une prestation sur la durée, souple dans les modalités,

complètement individualisée où justement le professionnel de l’organisme ne gère que les

problématiques liées à la personne en face. Par exemple, un accompagnement au projet

qui dure 6 mois par l’irfa, c’est une action spécifique agefip, de notre financeur. C’est une

action qui comprend une mise en situation professionnelle ; on veut que ce public soit sur

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de la confrontation à la réalité car c’est un public qui peut parfois trop s’éloigner de la

réalité ; La mise en situation quand ils sont sur la construction d’un Projet

Professionnel » (Cap emploi)

A l’issue de cette seconde phase, sont stabilisés les objectifs et les étapes du parcours

d’insertion en milieu non protégé (emploi, formation) :

« Là il y a plusieurs optiques. Soit la personne est arrivée avec un projet et au terme du

bilan on se rend compte que ce projet tient la route, alors on contribue sur ce projet. Soit

la personne arrive sans idée... C'est intéressant parce qu'on va découvrir avec elle. Le cas

le plus difficile c'est quand la personne arrive avec une idée qui n'est pas adaptée. Alors

là il faut déconstruire et reconstruire après, c'est dans ce cas là par exemple que l'on va

jusqu'à 12 semaines parce que ça prend du temps et de l'acceptation ». (CRIC)

« La validation du projet, cela implique que soit la personne a besoin de passer par une

phase de formation – donc de formation qualifiante ; soit une recherche d’emploi avec

nos conseillers ». (Cap emploi)

A cette occasion peuvent aussi apparaître des bifurcations, par exemple une demande de

requalification par la MDPH pouvant occasionner une orientation vers le milieu protégé ou un

retour dans les espaces de soin :

« Quand on a une personne pour qui on repère un handicap psychique, on peut

demander à la personne de réenclencher des demandes de révision soit sur la rqth

(reconnaissance travailleur handicapé) ; soit sur une demande d’AAH. Quand on a fait ce

travail d’adhésion, de reconnaissance, et qu’on a le certificat du médecin, ils peuvent

étudier le dossier avec plus de clairvoyance. Car quand ils ont instruit le dossier, il

n’avait pas forcément tous ces éléments » (Cap emploi)

« On a une souplesse au niveau des retards, au niveau de l'assiduité etc. mais si vraiment

on s'aperçoit que le dispositif n'est pas adapté... ça nous permet de renvoyer vers des

soins. » (CRIC)

A côté de cette prise en charge spécialisée, s’est progressivement structuré un itinéraire

institutionnel alternatif impliquant des structures d’insertion de droit commun qui orientent des

publics non désignés médicalement vers des associations proposant des accompagnements en

matière de santé.

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b) La structuration d’une prise en charge de droit commun

Les structures d’insertion de droit commun (ANPE, Missions Locales intervenant auprès de

publics âgés de 16 à 25 ans) sont en effet missionnées par l’Etat sur l’accompagnement vers

l’emploi.

L’ANPE a en charge des missions, formalisées dans un contexte où la question du chômage

semblait prioritairement résulter d’une non congruence entre des demandes et des offres

d’emploi : « le placement ». Créées en 1982, les Missions Locales s’adressent à un public âgé

de 16 à 25 ans, en général peu qualifié. Elles doivent engager une intervention plus globale

tenant compte des ressources et des difficultés sociales pouvant entraver la recherche d’emploi

ou l’entrée en formation :

« La première des missions bien entendu c'est l’insertion sociale et professionnelle pour

le plus grand nombre. Avant on parlait plutôt d’abord d’insertion sociale, et puis en

deuxième lieu professionnelle, aujourd’hui on est plutôt insertion professionnelle pour

que le social puisse être en quelque sorte réglé. Donc en effet l’objectif c'est d’amener le

plus grand monde à l’emploi, pas n’importe quel emploi, l’emploi durable qui puisse

garantir… La mission ultime mais qui est plus difficilement durable c'est celle de

l’autonomie… » (Mission Locale).

Ceci étant, dans les années 80, les critiques adressées à l’encontre d’interventions jugées par

trop sectorisées se multiplient. Ces contestations ont incité les services étatiques déconcentrés et

les collectivités territoriales à développer des actions aux marges des mandats que les lois de

décentralisation leur avaient initialement confiés. Pour les professionnels interrogés, ce

changement de posture d’intervention marque l’engagement d’une « approche globale » dont les

incidences organisationnelles sont manifestes.

Ainsi les deux Missions Locales pour l’insertion économique (ML Toulouse et ML

départementale), et dans une moindre mesure l’ANPE, ont-elles été poussées à prendre en

considération les multiples obstacles (logement, mobilité, santé) susceptibles d’hypothéquer les

procédures d’accompagnement proposés et empêchant parfois la valorisation de diplômes et de

qualifications pourtant possédés :

« Disons qu’on pouvait penser pendant très longtemps, que ce qui faisait qu’une

personne avait des difficultés à trouver de l’emploi, c'est qu’elle était submergée de

difficultés sociales, et que ces difficultés sociales étaient un vrai frein à toutes les

démarches vers l’emploi, et donc le RMI essaie de répondre à ça. Donc on va solder le

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problème de la subsistance, du logement, et ce minimum-là va garantir le logement, va

garantir la subsistance, du coup l’individu sera plus à même…, parce que ce qui faisait

jusqu’alors problème majeur de frein à l’emploi est soldé, en tout cas à minima soldé,

donc il aura l’esprit dégagé, il aura la possibilité désormais de pouvoir consacrer toute

son énergie, toutes ses capacités, à aller vers de l’emploi, c'est déjà la logique. »

(responsable, Mission Locale de Toulouse)

Concrètement, les Missions Locales se sont dotées de professionnels (la Mission Locale

Départementale de la Haute-Garonne a même recruté un psychologue animant des lieux

d’écoute aux côtés des conseillers d’insertion) ou d’offres touchant à des questions aussi

diverses que celles du logement et de la santé :

« Donc il est essentiel qu’il y ait un référent de première ligne qui puisse identifier la

hauteur de la problématique, et puis qu’après il puisse mettre en relation, transmettre,

passer une commande en quelque sorte, à quelqu’un qui a la charge de travailler

particulièrement, une étape. Et puis lorsque ce généraliste a pu identifier une

problématique particulière, qu’elle soit communautaire ou qu’elle soit thématique, nous

avons aussi des services : les marginaux (…), la problématique des femmes (…). On a un

service qui va traiter des jeunes SDF (…). On a le BA qui est un service en collaboration

avec le ministère de la justice pour des jeunes qui sont sous le coup de la justice…»

(Mission Locale).

« (à propos des offres santé) Les médecins, les psychologues sont là, comme les services

que je viens de décrire, en deuxième ligne. Ça suppose donc que la première ligne ait pu

identifier et passer commande, et là comment le conseiller là-dedans, de première ligne,

le référent, est à même soit de voir de quoi il s’agit, de quoi souffre…, enfin souffre…,

comment s’il s’en aperçoit il peut le faire émerger, ce qui est dans le fond une deuxième

chose… Il ne s’agit pas à la mission locale de refaire ce qui se fait à côté. Il est évident

que notre psychologue, qui s’occupe de la « problématique mentale », doit être interpellé,

mobilisé, autrement, mais sur d’autres déterminants que le « psy », donc ces

complémentarités il faut les chercher ». (Mission Locale)

Le recours croissant à ces services a cependant accentué une confusion avec le secteur médico-

social bien souvent jugée préjudiciable. A tel point que ces structures ont progressivement fait le

choix de déléguer cet accompagnement à des prestataires de service associatifs et d’ainsi se

placer en situation d’orientateurs :

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« On a bien sûr un service santé, le relais santé, avec une permanence de médecins, les

médecins de PRISM, notre généraliste et le psychologue. Pourquoi nous avons délégué,

on aurait pu très bien embaucher nous, pourquoi pas, mais c'est une orientation où on ne

voulait pas que la Mission Locale soit identifiée comme un lieu sanitaire. On reste sur

notre secteur de métiers, pour autant on a plein d’offres de services, les plus larges

possibles, mais on reste sur notre secteur de métier (…) je pense qu’il faut le généraliste

très polyvalent qui est capable d’identifier, mais que en deuxième ligne il y ait des

personnes qui soient plus à même de traiter, de discuter, et de diagnostiquer, bon voilà, je

pense que c'est indispensable, mais sans vouloir spécialiser et envoyer des personnes vers

des impasses… Mais il est certain que la première ligne ce sont des référents qui sont

capables d’identifier, d’accompagner, mais ils ne restent qu’un fil rouge » (Mission

Locale)

« [A propos d’un homme suivi par l’ANPE et qui n’a pas tenu l’emploi dans lequel la

conseillère ANPE l’avait placé. La personne a été envoyée chez une psychologue] Elle a

fait le diagnostic et elle m'a dit je ne peux pas vous le renvoyer, d'ailleurs il est encore

suivi en ASI parce que c'est vraiment une pathologie lourde. Bon après les détails elle ne

les donne pas. Bon si elle m'a dit ça c'est que... Donc le diagnostic c'est elle qui l'a fait,

moi je ne voyais pas ce qui je pouvais faire. Et voilà il a eu un suivi médical et la seule

chose qu'on pouvait espérer c'était de l'occupationnel ».

A Toulouse, les années 80-90 ont donc vu apparaître un grand nombre de prestations

associatives inclues dans les offres d’accompagnement professionnel (qu’il s’agisse de

nouvelles structures ou que cela émane d’anciennes associations ayant décidé d’élargir leurs

champs d’intervention).

c) Les accompagnateurs de droit commun spécifique

Créée en 1980, l’association PRISM propose des consultations médicales gratuites pour des

personnes orientées par les Missions Locales ou les autres structures intervenantes.

Plus récent, le dispositif MULTIPASS (structure en cessation d’activité au moment de l’étude)

place des personnes en grande difficulté – notamment en matière de santé – dans des situations

d’emploi réelles qui doivent permettre d’expertiser leur aptitude à s’y investir de manière

durable et de proposer un accompagnement approprié. Cette association est une émanation de la

Mission Locale :

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« Donc Multipass à l’époque était en collaboration avec, ça s’appelle le STH, services

pour les travailleurs handicapés, avec l’AGEFIPH et la RQTH, donc là oui on avait 2

conseillers qui ne recevaient que les…. Alors il y a une différence parce que pour ne pas

être en concurrence avec Cap Emploi (…) Cap Emploi c'est ceux qui ont des projets, des

capacités professionnelles reconnues, c'est-à-dire diplômés ou expérimentés sur des

domaines, et auquel cas il s’agit de retrouver un job dans leur domaine de compétences

ou d’adapter un poste à leurs compétences. Nous c’était tout le public dit…, pas de projet,

aucune d’expérience, pas de qualification » (Multipass)

Enfin, certaines associations dont les missions originelles portaient sur l’insertion sociale

(Travail différent, Défi-CFAS 31, Fédération des Femmes pour l’Europe) se sont

progressivement lancées dans des activités d’expertise psychologique.

« L’association a été créée il y a environ 20 ans (en 1989) sur la problématique des

inégalités homme femmes pour essayer de repérer comment on pourrait réduire les

discriminations liées au sexe (…) Notre action s’est toujours étayée sur les programmes

cadre de la commission européenne, des programmes de 4 ans qui donnaient des lignes

directrices sur l’égalité (…). Donc puisque dans notre équipe il y a pas mal de psychos,

on s’est dit : on va réfléchir à comment on peut apporter au suivi des femmes que ce soit

dans l’entrepreneuriat ou dans celle de l’insertion une approche centrée sur la

problématique du sujet. Parce que malgré les dispositifs de droit commun, malgré la

normalisation et le formatage des dispositifs d’accompagnement, il existe pour chaque

individu sa difficulté personnelle ». (FFPE)

Financées par l’ancien FASILD et la DRASS, ces associations « prestataires de service »

occupent une position particulière dans un dispositif d’accompagnement que les acteurs

territoriaux ont pensé selon un modèle de l’entonnoir. Elles peuvent être mobilisées par

l’ANPE, les Missions Locales ou le PLIE pour apprécier des situations qualifiées en amont

comme « posant problème » (nous décrirons plus loin ce processus). Outre leur rôle en matière

d’expertise, elles ont également une mission d’accompagnement professionnel (par exemple test

de l’employabilité des personnes, de leurs conditions de santé, de handicap) à l’aune de laquelle

elles sont évaluées par les financeurs étatiques et territoriaux (contrôle de leur taux de placement

en emploi et/ou formation) :

« Et puis finalement, j'avais quand même eu un soupçon et je l'avais orienté vers une

psychologue clinicienne de l'association relais. Comme le projet était très cohérent,

qu'en plus c'était une reconversion de goût... Et là, la psychologue m'avait téléphoné en

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me disant il ne reprendra pas le travail puis le mieux ça serait qu'il rentre sur une

prestation ASI69 et le plie ça a été terminé. Il y avait une maladie mentale derrière en

fait ! » (ANPE).

Sous cet angle, elles participent activement de la désignation de difficultés non catégorisées par

la MDPH, bien souvent à partir de critères éloignés tant des désignations médicales que des

définitions institutionnelles et associatives nationales.

En bout de course, les accompagnements santé se sont développés sous l’encouragement

étatique, en regard des opportunités de financement ou de velléités idéologiques non assises sur

des diagnostics médicaux préalables. La FFPE a par exemple développé un accompagnement

psychologique à l’insertion à partir d’un point de vue théorique considérant que de par leur

socialisation, les femmes pâtiraient de façon quasi structurelle d’un déficit d’aptitudes à se

projeter, à élaborer des projets et à les concrétiser :

« Ce dont on s’est rendu compte au travers de ces projets c’était que certaines postures

propres aux femmes restaient fondamentalement enkystées : quelle que soit la position

des femmes dans l’emploi-non emploi, cet aspect culturel des femmes, qu’elles ont

intériorisé fait qu’on ne peut pas décréter à leur place qu’elles vont être dans le

changement » (FFPE).

A l’exception de l’étude commanditée par Travail différent, aucun diagnostic médical précis

n’existe70. De sorte que le développement d’actions de soutien psychologique, à partir

desquelles les intervenants identifient des situations de trouble psychique, s’est dans l’ensemble

fondé sur des constats empiriques, intimement liés aux difficultés que les professionnels ont pu

rencontrer dans leurs missions d’insertion. Nous en examinerons les contours un peu plus loin.

Pour l’heure soulignons que le secteur de l’insertion professionnelle apparaît ici nettement

fragmenté. C’est pour résorber cet éclatement qu’un dispositif transversal a été créé en vue de

rationaliser les interventions associatives relevant de l’accompagnement santé.

d) Un dispositif transversal : le PLIE

En effet, à partir des années 1980, la persistance de poches de chômage et l’allongement des

durées de recherche d’emploi ont progressivement poussé les institutions, d’une part, à

69 Appui Social Individualisé 70 Cette étude interroge d’ailleurs peu l’objectivité de la désignation de HP mais plutôt les obstacles objectifs et symboliques à l’insertion.

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individualiser leurs procédures d’accueil et, d’autre part, à s’engager dans des dispositifs

territoriaux proposant des formes d’accompagnement visant cette fois-ci à intervenir sur les

aptitudes comportementales, relationnelles et projectives des demandeurs d’emploi. Telle est

typiquement la perspective animant les Plans Locaux d’Insertion par l’Economique (PLIE).

Inscrit dans la loi de lutte contre les exclusions, ce dispositif associatif est financé par une ou

plusieurs communes, et par le Fonds social européen (70% des fonds directs en 2003). Son but

est d’aider les personnes en grande difficulté sociale et professionnelle à s'insérer dans le

monde du travail. Ces personnes sont les chômeurs de longue durée, les jeunes sans

qualification, les bénéficiaires de minima sociaux (RMI, allocation spécifique de solidarité,

allocation parent isolé), les handicapés, toutes les personnes en difficulté d'accès au marché du

travail, à qualification peu élevée ou inadaptée et qui manifestent une volonté et/ou une capacité

à s'engager dans un parcours d'insertion professionnelle durable. En 2003, on comptait 193

PLIE, couvrant plus de 4 000 communes et représentant près de 30 millions d'habitants. En

2002, 47 000 nouveaux bénéficiaires se sont vus proposer un parcours d'insertion

professionnelle personnalisé et individualisé. 16 400 bénéficiaires de PLIE ont accédé à un

emploi durable ou à une formation qualifiante et s'y sont maintenu au moins 6 mois (soit un peu

plus d’un tiers). Un nombre équivalent de bénéficiaires est sorti "sans suite" pour abandon de

parcours, déménagement, etc. Près de 40% de ces bénéficiaires étaient des RMIstes au moment

de leur entrée dans le dispositif.

Coordonnant les interventions territoriales en matière de formation et d’insertion

socioprofessionnelle, le Plan Local d’Insertion par l’Economique s’est progressivement engagé

dans la création et la gestion de mesures spécifiques. Envoyés par l'une des structures d’accueil

des publics (Mairie, ANPE, Missions Locales PAIO, Conseils généraux, etc.), les bénéficiaires,

suivront un parcours d'insertion individualisé comprenant des actions d'accueil,

d'accompagnement social, d'orientation, de formation. Les prestations sont gratuites mais non

rémunérées. Les Missions Locales et l’ANPE ont donc mandaté des conseillers sur ce dispositif

(les référents PLIE). Ces conseillers orientent des demandeurs d’emploi et s’engagent à un suivi

de longue durée (chaque convention est passée pour une durée de 3 ans). Pour assurer ce suivi,

leur portefeuille est réduit : de 150 dossiers, il passe à 70. Les propos de cet agent ANPE

référente PLIE en témoignent bien : « Je suis référente PLIE de 60 personnes, mise à

disposition à 100% de mon temps sur ce dispositif. On suit en constant 60 demandeurs jusqu'à

leur retour dans l'emploi et pendant 6 mois dans l'emploi (…) Il y a d'autres pays qui se sont

donnés les moyens et chaque conseiller n'a que 60 personnes. Ici (à l’ANPE), c'est 100/150

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avec un traitement informatique très lourd. C'est pas cette optique là qui a été choisie ici.

L'optique du PLIE c'est plus proche d'autres dispositifs européens et c'est ce qui devrait être ».

Les associations partenaires intéressées, dans le cadre d’un appel à projet, ont donc proposé

divers accompagnements spécifiques.

Arrivés au terme de cette présentation des acteurs nationaux et territoriaux de l’insertion

socioprofessionnelle des jeunes et des personnes en situation de handicap psychique, force est

de constater qu’il existe deux itinéraires distincts que les schémas ci-dessous se proposent de

formaliser. Le premier est structuré autour de la reconnaissance institutionnelle de la MDPH.

Même si les structures de droit commun peuvent envoyer les publics, la formalisation de projet

ne relevant pas du professionnel ou encore du milieu protégé implique -toujours- une demande

de requalification par la COTOREP.

Schéma 1. L’itinéraire d’insertion spécialisée : la place centrale de la COTOREP

Désignation et orientation par la COTOREP

Accueil-Mise en situation

Reformulation du diagnostic médico-institutionnel

Formation Emploi

Orientation par les structures d’insertion de droit commun

Orientation vers le milieu protégé

Orientation vers les structures de soin

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Cet itinéraire institutionnel suit la voie tracée par l’Etat (expertise de la Cotorep et orientation

vers des structures spécialisées sur lesquelles l’Etat a prise). Nous en examinerons les

résonances sur les parcours des personnes accueillies dans la troisième partie de ce rapport.

Le second plus récent contribue à inscrire les individus dans une trajectoire de reconnaissance

d’abord personnelle puis institutionnelle du handicap – aux marges du contrôle étatique et de

l’expertise médicale de la COTOREP.

Schéma 2. L’itinéraire d’insertion structurée autour du droit commun : le poids des associations prestataires de service santé

Cet itinéraire n’en est cependant pas moins structurant si l’on considère le fait que la majorité

des situations de handicap psychique évoquées par les professionnels rencontrés relève de cet

espace :

« On a effectivement 3-4 personnes qui ont des psychoses, schizophrénie donc voilà qui

sont étiquetées depuis longtemps etc... après on a des personnes qui sont plus dans le

versant dépressif, abandon un peu de soi, errance... bon voilà avec des pathologies disons

plus légères.». (CRIC)

DEFI CFAS

Travail différent

FFPE

Structures d’insertion de droit commun

Orientation vers la COTOREP

Orientation vers des structures de soin

Mise en œuvre accompagnement spécifique

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Pour autant, la méconnaissance et la non utilisation des désignations médico-institutionnelles ne

signifient pas l’absence de prise en compte des souffrances ou des difficultés psychiques que les

individus sont susceptibles de présenter – bien au contraire. Nous allons voir combien ces

jugements s’appuient sur des définitions profanes du « psychique » dépendantes des topiques

professionnelles marquant le champ de l’insertion.

1.3 Les effets des politiques d’activation : une codification progressive

des troubles de l’employabilité en troubles de la personnalité

Les effets des politiques de l’emploi, dites d’activation71 se lisent à travers certaines orientations

organisationnelles induites par les politiques de l’emploi sur l’espace d’insertion local72. Le

financement et sa contrepartie actuelle, l’évaluation, sont en effet deux outils de contrôle

fondamentaux des politiques étatiques sur le local. Nous verrons à quel point ces deux points

pèsent sur la pratique des conseillers du service public mais aussi sur la reconfiguration des

services locaux de l’accompagnement à l’insertion professionnelle. En premier lieu, ils

structurent les prises en charge selon un modèle pyramidal : les conseillers du service public

généraliste de l’emploi (ANPE, Missions locales)73 font une première évaluation des situations

des publics qui définit des types d’accompagnements, dont certains sont confiés à des

partenaires. Or le contrôle étatique sur le local ne se limite pas aux termes de l’évaluation des

structures. Les politiques de l’emploi définissent également les outils de la relation de service en

ce qui concerne l’ANPE et la ML (mesure de l’employabilité qui va définir le type de parcours

proposé pour l’anpe, logiciel Parcours qui va définir les éléments pertinents à recueillir pour

évaluer la situation du jeune pour la ML). Ces outils ont des conséquences directes sur la façon

dont les structures conçoivent les procédures visant à accompagner leurs publics vers une

insertion professionnelle mais également sur la place qu’ils donnent à leurs publics dans cet

accompagnement. C’est ainsi qu’un responsable nous décrit comment le passage d’une logique

71 Nous entendons ici la politique européenne de l’emploi qui tend à « substituer à la logique d’indemnisation «passive» des risques sociaux « subis », une logique contractuelle d’incitation à l’adoption de conduites « actives » de réduction des risques en échange de prestations devenues conditionnelles » Fondements normatifs des politiques d’activation : un éclairage à partir des théories de la justice, Dang Ai-Thu-, Zadjela Hélène, 2007 72 Selon Orianne, L’« activation » revêt une double signification : 1) « activer » les dépenses de l’Etat afin d’assurer une gestion proactive des risques sociaux ; 2) « activer » les individus concernés par ces dépenses, d’une part les bénéficiaires, et d’autre part les professionnels chargés de mettre en œuvre les politiques publiques. (Troubles de l’employabilité et traitement clinique du chômage : Une analyse d’agents d’insertion en action ; ORIANNE JF, avec la collaboration de Christian Maroy, 2004. 73 Le service public spécialisé bénéficie d’un régime un peu différent : cofinancé par l’Etat et l’Agefiph, il n’est pas évalué en regard du seul placement dans l’emploi, ce qui donne une certaine souplesse aux accompagnements, notamment en termes de gestion des temporalités d’insertion.

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de mission à une logique de prestation de service a entraîné le glissement de la logique de projet

à celle de parcours : l’objectif n’est plus tant d’aider le jeune à construire un projet professionnel

mais de l’aider à se saisir d’une diversité d’expériences (d’emploi) pour tenter d’en produire un

sens. Cette posture en appelle en fait à la responsabilité du jeune pour se saisir de son parcours

d’accompagnement et se l’approprier - à charge pour lui d’en définir les finalités. Ces politiques

de responsabilisation des personnes concernent désormais les personnes reconnues handicapées

et depuis peu les personnes dont le handicap résulte d’un ou plusieurs troubles psychiques74. Si

ces politiques d’activation n’ont pas (encore ?) réellement entraîné l’arrivée massive, de

personnes reconnues handicapées psychiques sur les dispositifs de droit commun, elles

marquent cependant la façon dont les professionnels de l’insertion traduisent les difficultés

d’insertion de leurs publics en des termes qui renvoient à des difficultés psychiques. Il ne s’agit

pas ici de juger de la pertinence du critère de souffrance ou de difficulté psychique mais de

comprendre les raisons poussant les professionnels de l’insertion à y recourir, voire à y adhérer.

a) Un premier niveau de codage : les conseillers de l’ANPE et des Missions locales

Les conseillers de la mission locale se doivent d’accompagner le jeune vers « l’emploi » et si

possible l’emploi durable. Héritant de « l’approche globale », les professionnels vont s’efforcer

de réduire l’écart entre l’emploi et l’employabilité. La première phase de ce processus est

l’identification des potentiels des ressources et des freins en matière de logement, de santé, de

formation, de vie sociale, de mobilité, de situation familiale. L’identification s’appuie sur une

grille de questions à poser en entretien de face à face. Plus tard dans l’accompagnement, le

conseiller va tenter de « solder » les freins éventuels à l’insertion professionnelle par

l’orientation du jeune sur des dispositifs de formation ou des interlocuteurs partenaires jugés à

même d’aider le jeune à « lever » le ou les freins identifiés.

La figure-type à laquelle les conseillers enquêtés se réfèrent est la suivante : «Un jeune qui a

interrompu la scolarité relativement tôt, avant ou après l’obtention du BEP, et qui a voulu

quitter la famille qui s’installe chez des amis et qui ne s’était pas rendu compte de ce que ça

impliquait l’autonomie» (conseiller ML). Les principales difficultés de l’accompagnement

recouvrent quant à elles les situations dans lesquelles : « le conseiller se retrouve entre la

politique de l’Etat et le jeune, qui n’est pas prêt à l’emploi. On se retrouve en sandwich, c’est

un peu inconfortable » (conseiller insertion ML). Comme l’indique cette citation, le contrôle de

l’Etat va peser sur l’action d’insertion car le financement de l’association repose plus ou moins

74 Même si d’après ce que l’on a pu comprendre de notre passage à Paris, aucun outil (le formulaire actuel étant inadapté) ne permet encore de statuer sur le volet psychique d’un handicap.

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exclusivement sur le nombre de personnes « entrées en emploi ». A ceci s’ajoute le fait que,

sauf dans le cadre des contrats CIVIS75, la ML n’exerce pas de contrôle sur les publics, qui

restent libres de la poursuite ou de l’interruption de leur suivi.

Si le monde de l’emploi constitue l’étalon qui sert à la mesure de la proximité ou de

l’éloignement de l’emploi du public, il n’est pas, nous allons le voir directement à la base de

l’évaluation du conseiller.

Préparer le jeune à l’emploi est une procédure qui a plusieurs étapes. Elle va de la mobilisation à

la qualification puis à la mise à l’épreuve. Présentée comme « une mise en stratégie du jeune »

elle s’apparente plutôt à une procédure à faible contrainte au cours de laquelle le conseiller

endosse tantôt le rôle de « prescripteur » (d’orientations) ou celui de pourvoyeur (d’aide). Le

jeune « adhère » (ou n’adhère pas), s’approprie (ou non) la démarche.

Le diagnostic d’un éventuel frein psychique établi par le conseiller intervient principalement à

deux moments de l’accompagnement : au cours des tous premiers entretiens, ou comme nous

allons le voir au cours du processus de préparation à la « mise en emploi ». Dans ce dernier cas,

il se fonde sur la perception d’une inadéquation entre les résultats attendus par le conseiller et

les résultats « obtenus » : « quelqu’un qui n’arrive pas à sortir la tête de l’eau malgré ce qu’on

fait ». Les traits retenus comme signes de problèmes psychiques sont énoncés en des termes qui

renvoient au manque de volonté, à la fragilité, au déficit de projection, au manque d’autonomie.

Pour distinguer ces attitudes d’une réaction « normale », le conseiller puise dans ses propres

« savoirs » (expérience professionnelle, formation initiale, expérience de vie) : « c’est de

l’observation ». En la matière, les facteurs contraignant l’action du conseiller sont centraux :

c’est à l’aune de la contrainte du temps et de celle, indirecte, du marché de l’emploi que l’on

mesure le frein « psychique ». L’interprétation de cette difficulté ne se déduit donc pas d’une

situation d’emploi mais bel et bien d’une préparation à l’emploi. Aussi les exemples de frein

psychique évoqués en entretien ne concernent-ils que des personnes qui ne sont pas « prêtes » et

sont donc l’objet d’une procédure en amont de l’emploi. Ce constat de frein psychique

occasionne une orientation vers un prestataire mais pas de prise de décision quant à un éventuel

montage de dossier MDPH : « donc à moment donné quand ça monte trop ils vont demander

car eux aussi ont des objectifs et ils se rendent compte que ça va pas être atteignable ». La

délimitation de la conduite anormale relève donc d’une série d’appréciations « hors sol » (à la

75 Le Civis est un dispositif (Contrat d’insertion dans la vie sociale) instauré par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 Janvier 2005 qui permet d’accompagner les jeunes dans leur projet d’insertion dans un emploi durable tout en prenant en charge les obstacles à son insertion (logement, santé mobilité..) sur le modèle de l’ancien dispositif Trace. La signature du contrat entre la Mission locale (au nom de l’Etat) et le jeune conclut un projet d’accompagnement pour une durée d’un an. Parmi les différentes modalités de l’accompagnement sont précisées la nature et la périodicité (au moins mensuelle) des contacts entre la Mission locale et le bénéficiaire.

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fois sur le plan de la situation d’emploi et sur le plan de l’individu lui-même) de la santé

mentale du jeune usager. Les observations de la « santé psychique » se rapportent alors à la

problématique du « vouloir ». L’apposition de la catégorie souffrance, comme explicative du

défaut d’inscription du jeune dans le parcours proposé, fait basculer l’interprétation de ces

comportements du « non-vouloir » du côté du non-pouvoir. L’appréciation sort ainsi du

jugement moral. En l’absence de levier de contrainte (le jeune usager est libre d’interrompre le

parcours) l’hypothèse du non-vouloir est en effet peu retenue : le jeune n’est pas contraint et

l’hypothèse du refus ou de la mauvaise volonté n’a donc pas lieu d’être envisagée, puisqu’en

l’absence de moyens de contrôle, la volonté ne peut être testée. On suppose donc que si le

parcours ne lui convient pas, il met fin à son accompagnement. Cette interprétation du côté d’un

non-pouvoir apparaît donc comme un choix du conseiller :

« je me dis qu’il était sûrement pas bien dans sa peau parce que si on n’a pas envie

d’accéder à la connaissance si on veut tout quitter si on est en rupture avec ses parents

avec son milieu on part de sa ville c’est qu’il y a déjà un malaise, je suppose que déjà il y

a une souffrance quelque part » (conseiller ML).

Dès lors que peut-on dire des raisons de ce choix interprétatif de la difficulté d’insertion du côté

de la souffrance (et non de la mauvaise volonté, de l’immaturité, ou de la simple volonté à ne

pas suivre une voie jugée peu satisfaisante) ?

a) On peut en chercher l’explication du côté des usages : cela peut être une façon de justifier de

la difficulté (ou de l’échec) à remplir sa mission : « ce qui est problématique à mon sens c’est de

ne pas pouvoir codifier la souffrance et les difficultés psychologiques parce que je trouve qu’il y

en a énormément » (…) « sur la souffrance mentale il n’y a rien pourquoi ? Parce que c’est pas

codifié donc c’est difficile à objectiver donc ça ne ressort pas et pour moi ça serait très

important ». L’importance de la souffrance des publics est également accentuée par la

restitution des paroles des jeunes fréquemment placés sur le registre de la plainte, du

découragement, de la lassitude, de la fatigue ou de l’énumération de situations problématiques,

supposées génératrices de souffrance (telles que celle de la maltraitance). Cette réalité du

conseiller d’insertion, sans doute loin d’être sans fondements pragmatiques, face à laquelle il

n’a guère de moyen autre que la parole, le renvoie à sa propre impuissance. On comprend dès

lors que « Codifier la souffrance » donnerait de la reconnaissance à leur travail en aérant leurs

prises en charge pressées par le contrat d’objectifs et en permettant une sortie ou une

interruption légitime de la démarche de suivi (« Les subventions baissent et c’est pas une

menace mais on nous laisse entendre que ça peut aller jusqu’à des suppressions de postes »).

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C’est ce qui se passe dans un certain nombre de cas :

« Il y a des entretiens qui peuvent démarrer sur de la formation et qui vont dévier.

Finalement on va isoler, mettre de côté la formation, parce qu’elle est battue, fatiguée ou

pas apte psychologiquement à gérer une formation 7h jour. Donc, on met en suspens une

étape. Disons qu’on étire l’échéancier du plan d’action et on s’attache à travailler ce qui

est dans le présent, dans la réalité du moment. »

b) Il peut-être également un choix par défaut, ce qui renvoie également aux outils qui comme on

l’a vu plus haut induisent le traitement individuel (l’individu comme unité de lecture de la

difficulté psychique). Le formatage Mission Locale de ce qu’est « l’approche globale » ainsi

que « la pression au rendement » semblent interdire d’envisager le contexte pouvant expliquer

un comportement, dès lors que ce contexte n’entre pas dans les cases (logement, etc.). Pour les

personnes repérées en amont de la « mise en emploi », le contexte considéré est une

interprétation de ce que présente le jeune comme étant son contexte de vie. Le contexte familial

d’origine, au prétexte que les interlocuteurs sont censés être adultes, est, en l’absence de

problèmes de maltraitance « actifs », réduit à la problématique du logement (dans les quartiers

une protection de la rue, dans le centre ville un facteur d’errance). Les autres dimensions sont à

priori envisagées comme un frein à l’individuation et à l’autonomie (les pressions de la famille

sur les garçons pour qu’ils ramènent de l’argent par exemple sont jugées comme un frein à la

formation ; la famille forçant les filles à se marier et les rejetant lorsqu’elles tentent de défaire

ce lien).

Dans la mesure où le public est jeune, le conseiller ne peut prendre pour base de son

interprétation un passé d’autonomie à l’aune duquel apprécier le degré de rupture ou de

continuité du comportement présent. Par définition le jeune est dans un processus d’acquisition

d’autonomie. En l’absence d’une mise en situation professionnelle, et compte tenu de l’univers

de vie réduit que considère le conseiller, aucun élément ne lui permet d’avoir un point de repère

comparatif (au contraire du conseiller ANPE, comme on le verra plus loin). Dès lors les

arbitrages professionnels s’appuient sur des jugements normatifs concernant l’autonomie

normale ou anormale d’une catégorie d’âge, ses capacités projectives, ses capacités à faire face

à l’adversité. Ils se fondent sur une connaissance du jeune depuis son arrivée à la ML, son

comportement dans l’interaction, son comportement face aux difficultés qu’il rencontre :

« C’est de l’observation, c’est aussi la connaissance du jeune, c’est des mots dans un

discours, c’est le physique qui a pu changer. La jeune fille qui est toujours venue coiffée,

bien habillée, bien maquillée et d’un coup on la sent se dégrader. Bon des questions

d’hygiène aussi, y a certains jeunes qui sentent forts ; la personne qui ne va se plus

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laver…c’est aussi l’aspect extérieur qui nous mène sur ce genre de chose et après

l’attitude dans l’entretien. Y en a plein de manières de repérer. Moi personnellement c’est

dans le discours que je vais chercher. » (conseiller ML)

La lecture des difficultés repose sur sa propre culture (ou inculture) en la matière ; elle est donc

également soumise à un jugement normatif du normal ou du pathologique en situation

d’entretien : « C’est sérieux à partir du moment où c’est dit », ou en situation d’emploi : « Les

critères d’évaluation des référents ne sont pas les miens. Quelqu’un peut tenir une formation,

un emploi mais ça ne veut pas dire qu’il va bien ».

Au mieux cette lecture est-elle propre à une antenne, objet d’une analyse de groupe et non plus

d’un seul individu. Néanmoins elle est une prise en compte de la subjectivité des publics au

détriment de critères plus « objectivement » décelables, mais qui ne font pas partie de la grille

des freins sur lesquels le travail du conseiller d’insertion peut légitimement travailler. Certes la

catégorie frein santé est une des catégories légitimement anticipée par le conseiller, d’autant

qu’elle donne lieu à une orientation vers un prestataire interne (le médecin ou le psychologue de

l’association Prism). Sans mettre en doute la pertinence de ce regard ou sa capacité résolutive de

la situation, on peut cependant remarquer qu’elle repose en amont sur des attentes

normatives concernant non pas une situation mais son appréhension subjective : le faire-face

attendu dans une situation difficile, mais aussi la gestion d’une situation interactionnelle sur

lesquelles nous reviendrons plus loin. Mais il est important de se demander jusqu’à quel point

cette mise en sens de la difficulté d’insertion de certains publics du côté de la souffrance ne

serait pas la seule option possible pour « amener une réponse qui n’existe pas »76. En effet cette

« mise en forme » de la difficulté de certains publics dont l’insertion professionnelle ne trouve

pas d’issue dans les dispositifs de la mission locale décide d’une orientation vers divers

partenaires (en interne ou en externe) chargés d’évaluer cette difficulté et éventuellement de

mettre en œuvre des accompagnements spécifiques. Avant d’envisager l’action de ces divers

partenaires, il faut ici dire quelques mots de la place que prend la catégorie trouble psychique

dans les accompagnements réalisés à l’ANPE, comparativement à celle qu’elle prend dans les

accompagnements des publics jeunes.

La mission du conseiller en emploi de l’ANPE est également une mission de service public qui

est d’aider les demandeurs d’emploi, indemnisés ou non, à trouver, ou retrouver un emploi.

Pour les chômeurs indemnisés, un type de parcours est défini (entre l’Assedic et l’Anpe) selon

l’employabilité de la personne. L’accompagnement se fait en général au moyen d’un suivi

76 Ces paroles sont extraits du passage suivant d’entretien : Alors ici, le référent, en interne, en fait ces services ils sont là bien sûr pour travailler plus particulièrement une problématique, problématique du sujet, une problématique générale avec des sujets, mais il est aussi là pour répondre à quelque chose qui n’existe pas, c'est-à-dire amener une réponse qui n’existe pas » (Responsable de Mission Locale)

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mensuel par entretien. Chaque conseiller a un « portefeuille » de 150 personnes (dans le cadre

du PLIE, un dispositif dont nous reparlerons plus loin, le portefeuille se réduit à 70 personnes en

moyenne). Dans les entretiens aucune figure-type du demandeur d’emploi ne se dégage, la

diversité des situations étant la règle.

Les signes retenus comme alertant du côté d’un problème psychologique éventuel sont ici en

général en relation directe avec la situation d’emploi : c’est par exemple un problème avec un

employeur qui va déclencher une demande d’évaluation vers un prestataire qui diagnostique

alors une pathologie mentale ; c’est encore l’échec d’une mise à disposition par un dispositif

d’insertion qui entraîne une orientation vers un service spécialisé dans l’évaluation de la santé

mentale. Ici pourtant, les échecs de l’accompagnement de parcours sont a priori considérés par

les accompagnateurs comme formateurs en ce sens qu’ils révèlent des freins qui n’étaient pas

apparus à l’analyse lors de l’entretien. Par ailleurs il faut noter que contrairement à la

présentation précédente, les conseillers prennent en compte, dans la lecture des difficultés des

publics, les contraintes des emplois, qui sont jugées susceptibles d’entraîner des « blocages »,

considérés normaux, du côté des demandeurs d’emploi.

Lorsque l’hypothèse de frein du côté de la santé mentale est évoquée, elle repose sur le constat

d’un blocage qui ne relève pas d’un « vouloir » mais d’un « pouvoir » :

« On les accompagne sur des parcours où il y a des échecs et ces échecs souvent sont

déclencheurs de ce qui va réellement les faire avancer, plus ou moins facilement alors

quand il y a la santé mentale en fait c'est plus difficile. Ça c'est le frein ou la personne ne

maîtrise pas ses actes. Elle veut, mais l'échec c'est parce qu'elle ne peut pas. » (conseiller

ANPE)

Ici comme pour les conseillers de la ML, mais de façon plus appuyée, la discrimination entre

vouloir et pouvoir est soigneusement évaluée : « Moi je les reçois, si leur objectif c'est vraiment

de rechercher un emploi durable et bien on s'aperçoit qu'il y a d'autres freins derrière ».

La discrimination avec une réaction « normale » repose en partie sur la subjectivité du

conseiller. Certains détails, ne sont pas perçus par tous :

« et encore moi je percevais des choses mais ma collègue elle n'avait carrément rien

perçu du tout et le CRIC a révélé que ce monsieur avait une pathologie mentale, en plus il

était en désintoxication, c'était un ancien toxicomane. » (conseiller PLIE, ANPE)

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Cependant la subjectivité vient plus étayer la lecture d’un évènement discontinu dans un

parcours que l’inverse. Au contraire de la situation précédente la reconstitution d’un parcours

d’emploi semble primordiale dans la lecture de ce qui pourrait être de l’ordre de la difficulté

psychique. Dès lors ce sont ici les attentes normatives en matière de comportement en emploi

face aux différentes contraintes qui discriminent les évènements « normaux » des évènements

« anormaux ».

Outre le fait que les conseillers n’ont pas le temps de creuser les situations en dehors des trames

d’entretiens qu’ils ont à suivre, les publics semblent d’ailleurs peu enclins à s’épancher :

« On sentait qu'il n'était pas prêt à s'engager dans quoi que ce soit. Il disait oui, puis

après ça n'allait pas. On avait le sentiment qu'il était un peu paniqué, sans être agressif ni

rien, et comme ça un malaise physique... alors je me suis dit il prend peut-être un

traitement ce monsieur, mais moi je ne le saurais pas. On est l'ANPE, on est une

institution. » (conseiller ANPE)

Sans doute ce constat ne peut être généralisé. Il met cependant en lumière la prise en compte de

la souffrance des publics comme un processus interactif. Il est le résultat de la rencontre de deux

subjectivités variables : un seuil différentiel de la « sensibilité » du conseiller à son attention,

mais également la propension du public à l’exprimer ou non. Il n’est donc pas le simple résultat

d’une rencontre de subjectivité mais aussi celui d’une rencontre d’attentes normatives envers le

cadre de l’échange entre un conseiller et une personne à la recherche d’emploi. Ce monde de

non-dit transparaît dans l’échange présenté plus haut : le conseiller pense que ce monsieur cache

quelque chose qui relève du domaine de la santé. Il pense aussi qu’il le cache parce qu’il veut

travailler, et que ce monsieur craint que dire signifierait peut-être pour le conseiller un arrêt de

la prise en charge (accompagnement ou indemnisation). Mais peut-être ce monsieur pense-t-il

tout simplement que les questions de santé ne sont pas du même domaine que le travail ? Nous

comprendrons mieux, à propos du travail effectué par les partenaires « santé » de ces institutions

combien ces questions de frontières entre les domaines du social et du médical sont au cœur du

débat, débat posé et construit conjointement par ces évolutions des politiques de l’emploi vers

une activation des difficultés partenariales. Elles induisent un déplacement de regard sur la

question du traitement du chômage, mais aussi l’extension de ce « traitement » aux personnes

handicapées psychiques.

De la même façon que pour la mission locale, le constat de frein psychique occasionne donc une

orientation vers des partenaires susceptibles d’en évaluer la teneur. Plusieurs proposent des

accompagnements spécifiques. Le choix d’un partenaire précis est complexe. Il est a minima le

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reflet d’une grande expérience des prestations existantes et de l’acuité du conseiller à trouver la

solution la plus adaptée :

« Il avait une reconnaissance TH ce monsieur, mais bon, on n'en savait pas plus.

Finalement ça n'a jamais marché, il est rentré en conflit, il ne supportait pas la

hiérarchie, alors moi quand il est sorti de cette prestation je voyais bien que s'il n'avait

pas trouvé une piste... alors je l'ai envoyé au CRIC pour faire un bilan pour voir s'il

pouvait se former. Parce que c'est une prestation PLIE qui est bien, c'est pour évaluer les

compétences à se former ou à retravailler. C'est pareil, c'est des professionnels et je

préférais l'envoyer sur une prestation PLIE parce que c'est plus souple, que si je l'avais

envoyé sur un OPI (?) A la CMSO (?) heu... ». (conseiller PLIE ANPE)

Cependant cette orientation dépend également de la façon dont la question de la difficulté

psychique se pose : nous avons à cet égard constaté une différence entre les conseillers ANPE et

les conseillers de la mission locale. Lorsque les premiers supposent un problème du côté

psychique, c’est en relation avec un parcours d’emploi et donc en regard d’une norme de la

qualification et de la compétence. Quant aux seconds, bien qu’en charge également du placement

dans l’emploi, leur travail effectif s’apparente plutôt à un accompagnement à l’emploi. Lorsque

ces derniers supposent un problème du côté psychique, c’est en regard d’attentes

normatives concernant non pas une situation mais son appréhension subjective et son faire face.

Au final le schéma explicatif difficultés d’insertion professionnelle donc difficultés

« psychiques » (« c’est pas les gens qui ne vont pas bien c’est le marché qui les veut plus » -

entreprise d’insertion) tend à s’inverser. Les freins psychiques sont censés expliquer les

difficultés d’insertion. La santé psychique est donc érigée au rang de compétence

professionnelle.

b) La santé psychique comme compétence

Les travaux de Norbert Elias ou encore ceux de Eliot Freidson montrent à quel point les

configurations relationnelles et les contextes organisationnels pèsent sur les références

cognitives puis normatives constituées. Pour Norbert Elias, l’allongement et la densification des

relations d’interdépendance ne sont pas étrangères à l’extension d’un « processus de

civilisation » valorisant l’auto-contrainte, la neutralité émotionnelle et la projectivité77. Pour

Eliot Freidson examinant l’activité des médecins exerçant en contexte hospitalier ou en activité

libérale, la dépendance tantôt aux pairs tantôt aux clients pousse le professionnel à mobiliser des

77 ELIAS N., 1969

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savoirs et des normes plus ou moins exotériques (étrangers aux topiques de leur groupe

professionnel d’origine)78. Dans le cas qui nous occupe, les évolutions décrites plus haut n’ont

pas seulement allongé le temps d’interaction entre conseiller et individu en recherche d’emploi.

L’objet de la relation en est également profondément transformé. Comme nous l’avons décrit

précédemment, il s’agit moins d’apprécier et de permettre la valorisation de qualifications

préalables que de construire des troubles de l’employabilité, ensuite posés en objets prioritaires

de l’accompagnement.

• Extension et densification de la relation de service

La première inflexion induite est assurément la transformation des caractéristiques et de la

nature d’une « relation de service » qui s’est considérablement étendue et densifiée. Cette

transformation est particulièrement observable dans les pratiques professionnelles des

conseillers d’insertion exerçant en Mission Locale ou des agents ANPE, mis à disposition dans

le PLIE. Les termes de référent, d’accompagnement et de parcours qu’ils utilisent d’ailleurs

pour décrire cette singularité en rendent bien compte.

« Le dispositif existe parce que le droit commun a des lacunes. L'institution ne peut pas

suivre des personnes en parcours. Le parcours c'est prendre un dossier de A à Z, baliser

trois quatre étapes pour amener la personne à avoir des qualifications, ça suppose des

entretiens etc., un quota temps que n'ont pas les conseillers. Le suivi d'entretiens

personnalisés c'est 9 entretiens dans la demi-journée. Je suis désolée on peut pas (…)

C'est un dispositif qui a osé accorder du temps » (ANPE)

Certains acteurs expriment d’ailleurs clairement le poids des méthodes d’insertion actuellement

mobilisées sur la visibilisation des problèmes psychiques :

« (à propos des difficultés relevant du psychique) il est vrai que ces dernières années il y

en a de plus en plus soit parce que chemin faisant, il y a une prise de conscience. Il y a

une certaine liberté de parole sur les difficultés rencontrées par les conseillers, soit aussi

parce que ces dernières années on est mieux doté en terme d’offre de services, du coup on

se met à générer de la mise en relation, donc du coup c'est plus visible, cette partie-là

devient plus visible… Il n’en reste pas moins que on est aussi bien compris comme étant

des professionnels en charge de la globalité des problématiques de jeunes, et y compris en

particulier le mal-être de jeunesse, qui n’est pas nouveau, mais qui aujourd’hui s’exprime

tout simplement » (Responsable, Mission Locale).

78 FREIDSON E., 1970

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La relation au principe de l’accompagnement prend une place centrale ; elle devient même le

vecteur d’une identité professionnelle distincte de celle des agents d’ANPE et partagée par les

autres professionnels de l’intervention sociale. Si les problèmes de neutralité affective et de

distanciation ont largement été soulignés, l’on sait en revanche moins de choses des incidences

de ce contexte organisationnel sur les modes de raisonnement, les croyances professionnelles et

bien évidemment la part que la question « psychique » en vient à occuper dans les explications

portées par ces acteurs.

• Une transformation de l’objet de la relation : le décryptage des corps et des subjectivités

L’orientation vers les associations chargés de diagnostiquer des problèmes de nature psychique

suppose en amont une lecture de la situation dont ne sont pas absents les indices corporels et

gestuels. S’ils ne justifient pas à eux seuls l’hypothèse, ils entrent dans la construction de la

lecture, témoignant parfois d’une certaine acuité sensorielle et cognitive du côté des désordres

du corps. C’est du moins ce que montre l’extrait d’entretien suivant :

« - Vous sentiez quoi, qu'est ce qui vous faisait penser à un problème de santé mentale ?

- Je sentais qu'il voulait travailler, bon, ce monsieur était une personne très agréable mais

je sentais qu'il y avait un problème, heu... ou physique ou psychologique qui faisait qu'on

n'arrivait à rien, il y avait tout un monde qu'on ne connaissait pas de lui et je comptais sur

cette évaluation.

- Pourquoi aviez-vous ce sentiment ?

- Je ne sais pas, il avait des sueurs anormales, comment vous dire, il était pas du tout

agressif mais on sentait qu'il était pas bien, c'est une perception physique, je ne sais pas

comment vous dire heu... comment on pourrait décrire... et c'est l'échec de Multipass en

fait...(…) Il disait oui, puis après ça n'allait pas. On avait le sentiment qu'il était un peu

paniqué, sans être agressif ni rien, et comme ça un malaise physique...(…) et le CRIC a

révélé que ce monsieur avait une pathologie mentale, en plus il était en désintoxication,

c'était un ancien toxicomane. (…) Il avait un parcours professionnel rempli mais tout d'un

coup c'était cassé. Bon il m'avait dit que le décès de son père avait changé pas mal de

choses par contre ce que je n'avais pas réussi à savoir c'est qu'il était drogué, c'est qu'il

était sous méthadone et en plus il y avait un autre traitement pour la santé mentale et

c'était une personne qui était incapable du fait des traitements, de la camisole qu'il avait

dessus de sortir deux fois de chez lui dans la journée ». (conseiller PLIE ANPE)

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De façon générale, les « émissions corporelles » dans leur ensemble sont des objets qui entrent

légitimement dans le cadre professionnel d’observation de la situation, au point de supplanter,

nous y reviendrons, l’analyse de la situation elle-même. Ainsi l’apparence extérieure de la

personne est appréciée, pour ce qu’elle peut dire de son état mental :

« Maintenant elle prend soin d’elle, elle s’est mis des rajouts alors qu’avant c’était

catastrophique elle ressemblait à rien, c’est méchant mais c’est pour vous donner une

image ». (conseiller ML)

De façon plus générale la prise en compte de la santé, physique ou mentale, fait en général

l’objet d’une grande attention.

C’est dans cet ordre de préoccupation qu’il faut ranger également un ensemble d’indices qui

renvoient à une observation d’attitudes sur le long terme : l’effondrement émotionnel en

situation d’entretien, le déficit de projectivité, l’influençabilité…

« Tous ces jeunes qui n’arrivent pas à se poser, qui sont en errance mais en errance au

sens large du terme, c'est-à-dire pas forcément en terme de logement mais qui vont

changer tout le temps de dispositifs, d’avis, de machin, avec des addictions associées, qui

n’arrivent pas à adhérer…». (conseiller ML)

« D’après ce qu’il m’avait dit, c’était quelqu’un très autonome, il avait arrêté ses études à

bac plus deux, en langue et civilisation étrangère euh…il n’osait pas me le dire, il riait un

peu nerveusement, parce que sa copine était jalouse et qu’il fallait qu’il arrête la fac !

Déjà on se dit c’est un jeune qui se projette pas, qui est fragile, qui arrête pour quelqu’un

d’autre là on se dit…il y a quelque chose qui cloche ». (conseiller ML)

Là encore cette interprétation en terme de « faire face » supplante l’interprétation

situationnelle d’un contexte de mise en situation professionnelle qui produit des parcours

incertains, éloignés de toute tentative de projet défini préalablement :

« Donc le premier niveau de relation avec la personne va être de faire ressortir sa

demande en terme de choix, y a-t-il choix, n’y a-t-il pas choix, un genre de métier.

Deuxième niveau la question des capacités, je veux être astronaute, mais je ne sais pas

lire et écrire… Parce que pendant très longtemps, ce qui n’est plus vrai aujourd’hui,

pendant très longtemps les politiques publiques d’insertion considéraient que le maître

mot était « le projet professionnel », la personne, dès lors qu’elle était doté d’un projet

professionnel, ce projet là se déclinant en motivations, voilà, et en acceptation de la

durée, les étapes (…) Aujourd’hui on n’en est pas là, on en est aux principes de réalité,

par exemple ton projet c’est d’être concepteur de jeux vidéos mais tu ne sais pas comment

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payer ton loyer, donc tu fais maçon, et peut être que ton projet, qui est personnel, qui

n’est pas un projet social d’insertion, tu le feras peut être à 30, 40 ou 50 ans. En tout cas

que ça ne t’empêche pas de bosser comme maçon parce que c'est là qu’il va y avoir du

boulot, pas ailleurs. Donc on rentre dans ce qui se fait depuis fort longtemps dans les

pays anglo-saxons » (Mission Locale)

Le défaut de perspective devient un déficit de projection. Seuls sont retenus le retentissement et

la gestion « interne » de la situation, laissant apparaître du même coup les attentes normatives

des professionnels dans le domaine émotionnel. Car comme le souligne Alain Blanc79, la

perception de ce qui fait déficience est extrêmement dépendant d’attentes interactionnelles

façonnées par le processus de civilisation.

La sensibilité des professionnels aux réactions d’agressivité illustre par exemple l’abaissement

du seuil de tolérance à l’usage de la violence et le fait que les conduites « civiles » sont

désormais érigées en aptitudes professionnelles :

« Après j'ai un jeune qui est en errance, mais lui je ne sais pas si c'est un problème psy

ou pas mais c'est un problème d'agressivité. On voulait l'embaucher ici comme agent de

sécurité, jusqu'au jour ou il y a eu une crise mais lui il n'y aura pas de suivi santé parce

qu'il n'acceptera jamais ». (ANPE)

Certaines raisons qui poussent les professionnels de l’insertion de droit commun à demander

une expertise associative en témoignent également fort bien : difficultés dans la relation au

conseiller d’insertion, aux collègues ou aux supérieurs hiérarchiques.

Mais c’est sans doute dans l’attention portée à la souffrance que la norme de neutralité affective

et émotionnelle apparaît le plus clairement. La constitution de cette catégorie en préoccupation

professionnelle et objet d’intervention publique est d’autant plus vive que, dès lors que

l’accompagnement à l’insertion se structure autour d’une relation personnalisée et

interindividuelle engagée sur la durée, la personne accueillie est invitée à parler de sa vie et à

exposer son intimité. Légitimement restituée par un individu appelé à faire le récit de ces

démarches et de ses échecs, la souffrance émotionnelle devient ici un objet retenant l’attention

du professionnel et appelant un redressement institutionnel :

« Donc on est formés à connaître la demande mais pas à la développer, alors que sur le

PLIE je le fais ce travail et même la prestation d'accompagnement à l'emploi. Sur la

demande il n'y a qu'une formation, que j'ai faite avant de venir sur le PLIE, c'est

l'approche psychosociologique du demandeur d'emploi. (…) Et ça ça m'a été très utile 79 BLANC A., 2006

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pour appréhender le système des représentations sociales du demandeur d'emploi qui va

servir, au delà du discours à...et je me rends compte que je l'ai pas assez mis en pratique

parce qu'il y a des dossiers ou j'aurais dû aller plus directement au fait. Après c'est pas

facile, quand on est dans les murs de l'ANPE, de faire parler les gens sur certaines

choses. Les gens ne se révèlent pas ...c'est quand même l'état, qui a une mission de

contrôle sur la recherche d'emploi qu'ils n'oublient pas. Mais c'est vrai que cette

formation m'a beaucoup servi » (ANPE)

« [A propos du parti-pris étatique visant à placer l’insertion sociale au préalable de

l’insertion professionnelle] Soit tout simplement parce qu’on était là et on ne s’en était

pas aperçu, à parler ou à traiter des personnes qui étaient dans un tel désespoir, dans un

tel état que même si on leur procurait le toit, même si on leur procurait le repas, ça ne

requalifiait rien du tout, en fait on était très éloigné de toute possibilité même de l’emploi,

de lien social, d’inscription sociétale, voilà, alors c'est soit l’un soit l’autre, mais en tout

cas ils s’en sont aperçu trop tard » (Mission Locale)

« Moi j’ai vu des personnes qui ont vécu des dépressions sévères mais qui pour moi

relevaient du HP. Il y avait un tel retentissement, effondrement, souffrance que moi je les

associe au HP ». (Cap emploi)

Manifestement, les politiques d’activation (notamment la pratique du « suivi personnalisé »)

poussent les professionnels à poser un regard clinique sur l’état physique et psychique de leurs

publics. Les signes de troubles retenus comme relevant de la santé mentale révèlent un

déplacement de regard qui se porte moins sur la situation des publics en elle-même que sur son

retentissement subjectif. La lecture s’appuie sur un ensemble de normes qui séparent le

« normal » du pathologique : elles peuvent concerner la situation d’interaction elle-même

comme le comportement émotionnel sur le long terme de l’accompagnement (les réactions aux

échecs, la plus ou moins grande compliance aux propositions d’accompagnement). Par ailleurs,

en amont encore de cette ligne de séparation entre le normal et le pathologique, les croyances et

les normes sur la notion d’autonomie, d’équilibre mental, de rapport au travail, activées dans le

processus de tri présenté, ne sont pas vraiment interrogées institutionnellement. La pratique du

« suivi personnalisé » s’appuie presque exclusivement sur la subjectivité du conseiller, renvoyé

lui aussi à lui-même. C’est ainsi que se construisent des bornages implicites de différents

syndromes, comme par exemple la dépression, lue à travers le parcours d’un jeune qui aurait

toutes les raisons (lesquelles ?) de s’en sortir (trouver un travail ?) et qui ne s’en sort pas. Le

« psychique » s’y définit ainsi, comme une hypothèse, à distance des catégories du médical et

d’un diagnostic qui, à ce niveau de prise en charge, n’importe pas encore. Catégorie

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régulièrement évoquée par les professionnels rencontrés, se posant parfois en principe explicatif

de troubles de l’employabilité, il en vient à supplanter des explications tenant compte de

contraintes plus structurelles et des chances sociales objectives des personnes accueillies comme

nous allons le voir.

• Equiper les expériences subjectives de la recherche d’emploi

Paradoxalement, même si les professionnels rencontrés ne sont pas totalement convaincus des

appréciations portées sur les causes des difficultés individuelles, les croyances constituées

autour de l’explication par les difficultés psychiques marquent durablement les pratiques

professionnelles.

L’on assiste premièrement à une relative occultation des informations sociographiques décrivant

la situation objective des demandeurs d’emploi :

« (à la question portant sur les milieux sociaux d’origine des publics reçus) Je vais avoir

du mal car ce n’est pas des informations que l’on demande. De toute façon, le handicap

psychique, c’est tout milieu. Si on est d’un milieu aisé, il peut y avoir une sécurité

matérielle qui permet de vivre mieux, dans de meilleures conditions, son handicap…

- Tout sexe aussi ? Oui j’aurai tendance à dire oui, quoi que …on ne l’a pas fait ce

rapport là…..ça me parait assez équilibré mais j’en suis moins sure. Je n’ai pas de

repères statistiques là dessus. A un moment donné, on était à 15 % relevant du HP comme

tel. Donc en fait c’est beaucoup plus car il y a toute une partie pas reconnue et notre

accompagnement va les emmener à faire une démarche dans ce sens ou de se faire

repérer » (Cap emploi).

L’attention portée aux parcours, tels que mis en récit par les individus, conduit progressivement

à gommer les informations relatives aux positions sociales et économiques pour ne retenir que

la manière dont ces contextes sont subjectivés par les personnes80.

« Si on prend la question du RMI, comme chez les jeunes d’ailleurs, quelle différence y a-

t-il entre un jeune diplômé et un jeune qui arrive de l’étranger, sans bagage, avec toutes

les difficultés que l’on connaît. Tous les deux sont jeunes, tous les deux correspondront à

des jeunes en mal d’insertion, mais pour autant peut on dire que les approches sont le

mêmes, moi je ne pense pas. (…) Pour autant les deux correspondent à la même

procédure, ils sont dans la même case (…) parce que aujourd’hui les procédures, les

objectifs sont identiques pour les deux personnes, moi je reste persuadé que tant qu’il n’y

aura pas de procédures, d’objectifs différenciés, ça ne marchera pas. C'est le constat que

80 BRESSON M., 2006.

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j'ai pu faire, qui est issu de réflexion, qui ont été partagé, mais aujourd’hui on retrouve

dans les mêmes commissions les deux extrêmes, avec les mêmes personnes » (Mission

Locale)

« Donc quand on dit le parcours, c’est le parcours professionnel. Mais quand on dit

parcours professionnel, c’est à travers un parcours de vie qui va de la scolarité à

aujourd’hui. En reconstituant ce parcours, on essaie de resituer à quel moment la

maladie est intervenue, le handicap est intervenu. Est-ce que l’on est sur quelque chose

qui est relié à l‘enfance, l’adolescence, une autre étape ? Entre le moment où les

symptômes entravant sont apparus et le moment de la prise en charge…la reconstitution

du parcours nous permet de repérer tout ça. Et c’est là où on précise le retentissement du

handicap. Comment la personne au fur et à mesure de l’évolution de sa maladie,

comment elle a cheminé ou pas ? » (Cap emploi)

D’ailleurs, lorsque des données biographiques sont prises en compte, c’est moins pour examiner

les ressources et contraintes objectives des individus que pour en déduire des capacités

subjectives de maîtrise de leur propre parcours et d’aptitudes à la projection.

« Qu'est-ce qui est selon vous à l'origine de ces états ?

C'est le fait de ne pas avoir une construction de personnalité... enfin, la partie sociale de

l'enfance. On retrouve les échecs scolaires, les gens qui ne terminent pas leur diplôme...

c'est un succès même d'avoir un CAP. Peu importe le niveau de qualification au départ

finalement, le tout c'est d'avoir réussi quelque chose. Donc situation d'échec parce qu'on

se sent impuissant à retrouver un emploi. Et ça c'est difficile parce qu'ils partent dans

l'imaginaire, dans du désir et la prise de conscience des réalités du monde de l'emploi est

un peu douloureuse et se fait à travers des expériences d'échec ». (ANPE)

On comprend alors d’autant mieux combien la catégorie « jeunesse », impliquant la référence

aux rapports de génération, ne soit pas tenue pour significative par les professionnels concernés.

Les mutations observables dans le rapport des jeunes au travail (le travail comme réalisation de

soi, entre individuation et intégration au collectif) ne font en outre guère l’objet d’une réflexion

professionnelle.

Plus largement, à mesure que les intervenants de terrain se focalisent sur le repérage

d’aptitudes/inaptitudes individuelles, ils occultent parallèlement toutes les ressources et les

stratégies socio-familiales que les personnes mettent en place pour gérer leur précarité, parfois

leur maladie ou pour rechercher un emploi et l’occultation des demandes familiales (par

exemple leurs exigences en matière d’emploi). Ainsi les jeunes qui se présentent accompagnés

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d’un parent sont-ils plutôt malvenus - le conseiller se définissant alors comme un support

permettant la prise de distance d’avec des attentes familiales jugées entravantes :

« Les jeunes sont souvent en rébellion par rapport au contexte familial et tout d’un coup il

y a un discours commun qui fait référence ; ou même parfois des jeunes n’arrivent pas à

expliquer à leurs parents qu’ils ont besoin de formation. Les parents sont dans une

représentation « il faut que tu travailles », et de voir avec les parents et avec le jeune qu’il

a besoin d’une formation, d’un diplôme : du fait qu’il y ait le conseiller, le jeune se sent

épaulé pour en parler. C’est une aide à l’individuation, à l’autonomie quoi ! »

(conseillère d’insertion, Mission Locale).

C’est également le cas des parents qui interviennent pour protester contre la perspective de voir

leur enfant déclaré handicapé :

« Le problème, c’est que suite à la mise en situation d’emploi, cette jeune femme s’est

rendue compte que quelque chose n’allait pas. Quand on lui a parlé de faire une demande

de reconnaissance pour Handicap Psychique auprès de la COTOREP, elle était même

plutôt soulagée et déculpabilisée – sauf que pour ses parents et surtout son père, cela

signifiait une croix sur l’emploi « normal ». Donc ça compliquait le travail. »

(accompagnatrice Cap emploi)

Deuxièmement, le colloque singulier dans lequel l’insertion professionnelle se construit affecte

la nature des modes de raisonnement mobilisés par des professionnels qui tendent à généraliser

des interprétations à partir des situations traitées – fussent-elles minoritaires.

« Je suppose que vous avez en tête vos 60 dossiers. Est-ce que vous pouvez me parler des

différents types de problèmes qui se posent ?

Majoritairement ce sont des femmes isolées avec enfants à charge sans qualifications,

issues de l'immigration. C'est la majorité des dossiers, 70%. Les hommes que j'ai ont un

problème de santé, physique par exemple comme diabète, avec la famille qui ne reconnaît

pas que c'est une maladie, bon j'avais un jeune comme ça qui n'était pas soigné, bon donc

problèmes physiques et psychologiques. Après j'avais quelques personnes sans aucune

qualifications pour lesquels il a fallu faire de la médiation avec les employeurs... Mais les

hommes c'est plutôt problème psychique ou physique et les femmes c'est le frein... d'avoir

à charge une famille, de ne pas avoir eu une formation initiale, pas de qualification

professionnelle et ensuite de ne pas avoir de réseau relationnel... » (ANPE)

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Troisièmement, cette négation des parcours socialisés et la tendance à généraliser à partir de cas

singuliers font concomitamment apparaître la constitution de la figure d’un individu « hors du

monde » qui doit trouver en lui-même à la fois l’explication de ses propres difficultés ainsi que

les manières d’y pallier. Il devient parallèlement l’unité de lecture des ressources et difficultés

rencontrées dans l’obtention d’un emploi alors que les difficultés d’insertion trouvent aussi des

explications structurelles (attributs sociaux, économiques, culturels de la personne, réduction

des niches d’emplois peu qualifiés etc.).

« Alors ici, le référent, en interne, en fait ces services ils sont là bien sûr pour travailler

plus particulièrement une problématique, problématique du sujet, une problématique

générale avec des sujets, mais il est aussi là pour répondre à quelque chose qui n’existe

pas, c'est-à-dire amener une réponse qui n’existe pas » (Mission Locale)

« Et j'espère que certaines personnes auront un parcours de carrière, en partant de rien.

On n'en a pas beaucoup, mais ça fait plaisir. Et les autres, ils auront eu trois ans pour

faire un point sur toute leur problématique, remettre tout au clair, et repartir. C'est une

occasion hein, ils ne l'auront pas une autre fois. (...) C'est plus la personne qui se freine,

découragée et ça c'est plus difficile. C'est pas des pathologies, c'est pas de la maladie. Et

ça même les prestataires échouent, ils ont du mal... » (ANPE)

Insérer un individu implique que ce dernier soit capable de se projeter, d’entamer des

démarches, donc d’être « bien dans sa peau ». Pour le dire d’une formule, s’insérer requiert la

mobilisation d’aptitudes subjectives : il s’agit de se construire, de trouver sa place, etc.

« On en avait ramassé un parce qu'il squattait ici à l’ANPE des arènes je l'avais intégré

dans le PLIE. Mais il ne déclare pas avoir de problèmes psychologiques (…). Mais moi je

pense quand même qu'il a ides problèmes relationnels et de représentation de sa

situation. Il n'a pas une perception objective de lui-même et de sa situation ». (ANPE)

« Et je sais que je n’ai jamais été amené à téléphoner à un médecin psychiatre pour la

bonne raison que…si j’ai une crainte par rapport à l’enclenchement d’une étape, je disais

à la personne : « Lorsque vous rencontrez votre médecin, vous lui en parlez pour avoir

son avis. Parce que c’est important pour qu’on n’aille pas trop vite ». Pour moi, c’est

important que ce soit la personne au centre et qui fasse le lien. En plus, c’est sûr que les

indicateurs médicaux ne sont pas les mêmes que les indicateurs professionnels » (Cap

emploi)

« Bon au terme de ce bilan, on a des rencontres de synthèse toutes les semaines qui

permettent d'évaluer toutes les caractéristiques autour de la personne et de son projet de

vie subjectivation parcours » (CRIC)

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« On s’est dit il y a tout un travail à faire pour constituer des outils qui vont être intégrés

dans les dispositifs d’accompagnement que nous avions l’habitude de proposer. On a

introduit dans ces accompagnements une partie développement personnel et remise en

confiance, donc c’est ça qu’on a proposé à M C. » (responsable du PLIE)

« C’est pour ça qu’on a proposé dans le cadre du PLIE un accueil facultatif avec la

psychologue et l’année d’après j’ai proposé que dans le cadre du plie on puisse proposer

un accompagnement psychologique tout seul sans accompagnement vers l’emploi parce

qu’il y a des gens qui sont tellement en souffrance qu’on ne peut pas envisager de

commencer à exiger quelque chose d’eux. » (FFPE)

L’extension du témoignage comme méthode d’intervention publique et l’objectif de

redressement des subjectivités ont contribué à ériger des catégories de l’expérience sociale

ordinaire (souffrance, démotivation, etc.) en cadres de compréhension et d’intervention

publique. Loin d’être propre au secteur investigué, ce mouvement est par exemple repéré par

Laurent Thévenot dans son analyse des formes de dénonciation publique et par Dominique

Memmi qui interroge les modalités de convocation du récit de soi dans les dispositifs sanitaires

contemporains81. Mais nous nous attacherons ici à examiner les conséquences que les

explications professionnelles mobilisant et traçant les contours du « psychique » peuvent avoir à

la fois sur les objectifs prioritairement assignés à l’accompagnement engagé et sur les parcours

que ceux-ci dessinent pour les publics. Jusqu’alors, nous avons centré notre analyse sur le

premier niveau d’intervention et nous avons montré comment, l’occultation des contraintes

organisationnelles et sociales érigeait la difficulté psychique en schème explicatif de la difficulté

d’insertion professionnelle de certaines personnes. Cette hypothèse donne lieu à une orientation

au motif que « le traitement » dépasse la capacité d’action du conseiller de premier niveau. En

orientant la personne vers des partenaires jugés appropriés, le conseiller va rechercher soit une

confirmation de son hypothèse soit sa prise en compte dans un accompagnement spécifique.

C’est à ce deuxième niveau d’intervention que se posent les questions relatives à la définition du

handicap psychique.

81 Pour une analyse des multiples formes de convocation de l’intimité dans les espaces publics, médiatiques et institutionnels, cf. THEVENOT L., 1999, ou dans le domaine de la santé, MEMMI D., 2004 ; MEMMI D., 2003 ; MEMMI D., 2000

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c) Un deuxième niveau de codage : Les partenaires « santé »

du service public de l’emploi et le secteur de l’insertion spécialisée

Avant tout, il faut revenir sur les contextes qui ont permis le développement de ce secteur

satellite mettant en œuvre des accompagnements spécifiques à l’égard de personnes

préalablement désignées par les conseillers d’insertion comme présentant des difficultés

« personnelles », en tous cas ne relevant pas de leurs actions d’accompagnement. Au contraire

de structures comme Cap Emploi ou le CRIC intervenant auprès de publics préalablement

désignés « en situation de handicap psychique » par les médecins de la MDPH, les prises en

charges se sont majoritairement développées sous le double effet de l’encouragement étatique à

favoriser des approches globales tenant compte de l’ensemble des difficultés d’une personne en

insertion, en regard des opportunités de financement ou de velléités qui ne sont pas forcément

assises sur des diagnostics, et de la politique d’externalisation du Service Public d’Emploi qui

débute à la fin des années 80. A Toulouse, l’accompagnement professionnel des jeunes

personnes présentant des difficultés d’ordre psychique peut s’organiser aujourd’hui dans le

cadre des accompagnements de droit commun spécifiques ou dans celui de l’insertion

spécialisée réservé aux publics handicapés. Comme nous l’avons vu, les secteurs du médical et

du médico-social restent peu concernés.

Or ce secteur de l’insertion prestataire de service santé dans le droit commun est largement

occupé par des associations de petite taille qui sont doublement fragilisées par les

redéploiements des budgets étatiques (les associations sont exsangues) ainsi que par les tensions

existantes entre l’évaluation quantitative des taux de placement (en emploi ou en formation) et

les profils/demandes des personnes accueillies. L’inquiétude des acteurs quant aux modalités

d’accomplissement de leurs différentes missions et à la pérennité de leurs actions est fondée :

sur le temps de la recherche, plusieurs « dispositifs » disparaissent et deux acteurs associatifs se

voient fragilisés. L’association Multipass dépose le bilan en en Octobre 2006. L’association

FFPE, malgré une tentative de réorganisation amorcée dès le mois de novembre 2006, ne sait

pas quel sera son avenir. Dans ce contexte, le manque de clarté dans la répartition des champs

de compétence des uns et des autres devient une source de concurrence indirecte. Par exemple,

en dehors de l’accueil des publics reconnus par la COTOREP, il est difficile de clairement

repérer les différences existantes entre les structures d’insertion spécialisées (Cap emploi) et les

associations d’accompagnement psychologique, social et professionnel (Défi CFAS, FFPE,

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Travail différent). Or ces associations sont aujourd’hui plus ou moins exclusivement tributaires

de l’ANPE et des missions locales quant à la définition de leurs publics82 et de leurs projets.

Une deuxième difficulté s’ajoute, c’est que les prescripteurs, c'est-à-dire les services qui

envoient des candidatures ne sont pas les donneurs d’ordres, c'est-à-dire les financeurs : les

associations citées plus haut ne manquaient pas de travail (plusieurs actions étaient en cours),

elles ont manqué de financement83. Les relations tissées entre le service public de l’emploi et

ces associations, autrefois collaboratives, deviennent des relations de dépendance, tenues de

faire système par la construction de « conventions » ou par le biais de collaborations moins

conventionnelles. Donc du fait de ces divers éléments, (chevauchements de compétence entre

divers acteurs mais plus ou moins grande dépendance vis-à-vis du SPE et des financeurs) le

secteur des associations partenaires du Service public devient un secteur de plus en plus

concurrentiel, soumis aux lois d’un marché dont il n’est pas toujours en mesure d’anticiper les

règles. Celles-ci peuvent émaner du niveau politique central (la définition de publics prioritaires

par exemple) ou intermédiaire (organisant les déploiements budgétaires) sans que ces différents

transferts n’aient fait l’objet d’une ligne politique claire, Nous avons ainsi pu constater le

renforcement des associations du secteur de l’insertion spécialisée (par le biais du soutien

financier de l’AGEFIPH) au détriment de l’insertion de droit commun spécifique sous l’effet

d’une double production législative concernant le handicap. Ces lois ont d’importants effets sur

le secteur de l’insertion professionnelle mais ne formalisent pas une ligne politique claire :

« Aujourd’hui, 11 décrets et 23 arrêtés de la loi du 11 février 2005 sont en attente de

publication » (rapport du délégué interministériel aux personnes handicapées).

Tous les acteurs concernés par l’intervention auprès de personnes handicapées sont dans

l’inconfort : les acteurs médicaux se voient poser la question de l’évaluation des possibilités

d’insertion professionnelle des patients atteints de troubles mentaux, et ne sont en lien qu’avec

des structures médicalisées intermédiaires entre la prise en charge de l'hôpital psychiatrique et le

retour à la vie courante (les centres de réadaptation psycho-sociale). L’incertitude pour eux est

dans l’absence de « connaissance » quant aux possibilités d’insertion ou de réinsertion

professionnelle de personnes présentant des troubles mentaux qu’ils sont eux qualifiés et

mandatés pour diagnostiquer :

82 Pour l’anecdote on pourrait citer cette remarque cynique d’un des acteurs associatifs : « On n’a encore rien pour les barbus-bossus mais ne vous inquiétez pas, ça va venir » 83 Les financeurs possibles sont multiples et plus ou moins généreux : le Conseil Général, le Conseil Régional, la Direction Régionale du Travail, l’ANPE, l’AGEFIHP, la ville de Toulouse, le GIP, le FSE etc. Pour ces deux associations le FSE était une source importante de financement.

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« Bon moi, j’ai une formation qui fait que je… qualifie les difficultés du jeune, en termes

psychiques, je peux les quantifier aussi en termes de gravité, mais quelle que soit la

qualification et la quantification, je m’aperçois avec la maturité de l’âge et de l’exercice,

que je ne peux pas pronostiquer, heu… ses compétences sociales et professionnelles. »

(Médecin psychiatre de CMP)

A cela se rajoute une incertitude fondamentale qui continue à animer les débats dans la

psychiatrie, et particulièrement autour de la question du handicap, c’est que paradoxalement la

catégorisation « malade » ne peut se déduire uniquement du symptôme :

« C’est très dangereux de vouloir catégoriser des personnes heu… sous prétexte qu’elles

présentent des symptômes. Il ne faut surtout pas confondre délire et schizophrénie ou

même délire et psychose (…). Un délire, c’est une position subjective consistant à essayer

de produire un sens en dehors de tout repère symbolique fourni par du social, c’est à dire

ni plus ni moins que ça. Donc que les gens délirent quand ils sont dans une situation d’a-

spécificité sociale comme ils le sont dans la rue, ou comme ils le sont dans des situations

d’excentrement subjectif comme on peut en voir dans les situations d’exil (…). C’est

quand même l’objet de ma réflexion depuis plusieurs années, je travaille véritablement

dans ce champ-là, pour essayer de comprendre ce qui dans le champ social fait basculer

quelqu’un du côté d’un tableau qui pourrait être diagnostiqué et qui est parfois

diagnostiqué comme étant un tableau psychiatrique. Je reçois des gens, qui au regard des

critères du DSM 3 ou 4 ont des paranoïaques (…) enfin, une société c’est quand même un

système qui va produire une norme et la norme va produire un déchet, qui va produire

une marge. On est dans une société de plus en plus normée, qui produit quelque chose de

plus en plus rigide, et peut être que la marge est de plus en plus grande quoi… »

(Médecin psychiatre, réseau santé précarité)

Ce sont donc les acteurs de l’insertion professionnelle, de droit commun ou spécialisée, qui se

voient assigner la mission d’insertion professionnelle de ces personnes. Or nous l’avons vu, ces

acteurs sont différemment dotés en terme de moyens. Ces lois et leur (non) mise en application

suscitent d’ores et déjà diverses stratégies de positionnement de la part des différents acteurs

satellites de l’insertion de droit commun. La position de chacun au sein de ce « système » est

loin d’être stabilisée. En un tel contexte, les interactions entre les différents acteurs sont

dominées par une « lutte des places ». Cependant cette lutte des places a pour toile de fond la

nécessité, induite par les lois récentes, d’un changement de perspective. C’est ainsi qu’avant

d’être une lutte des places, elle est une lutte de place, comme nous allons le présenter par le cas

de deux associations.

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• Lutte de place et glissement des catégorisations

1) La FFPE : L’association est créée en 1989 « pour promouvoir le principe de l’égalité des

chances initié par l’Union Européenne auprès des femmes de Midi Pyrénées ». Son axe

d’intervention est donc la problématique des inégalités hommes femmes : « essayer de repérer

comment on pourrait réduire les discriminations liées au sexe ». Partant d’études sur le travail

des femmes dans le milieu agricole, dans les années 90, l’association en vient à se positionner,

en 2003 sur l’accompagnement de femmes en démarche d’insertion dans le cadre du PLIE.

Ce glissement s’opère à partir d’un constat présenté comme un résultat de recherche : « il y a

des postures propres aux femmes qui sont intériorisées, enkystées, un aspect culturel des

femmes, quel que soit la position des femmes dans l’emploi-non emploi, qui fait qu’on ne peut

pas décréter à leur place qu’elles vont être dans le changement ». Donc « puisque dans notre

équipe il y a pas mal de psycho », l’association décide d’ « apporter au suivi des femmes que ce

soit dans l’entreprenariat ou dans celle de l’insertion une approche centrée sur la

problématique du sujet » car d’une part cette approche manque (malgré les dispositifs de droit

commun, malgré la normalisation et le formatage des dispositifs d’accompagnement, il existe

pour chaque individu sa difficulté perso) et c’est une erreur car les difficultés habituellement

retenues selon eux dans l’insertion, conjoncturelles (pauvreté, vie familiale etc.), ne font que se

rajouter à cette difficulté perso, qui est première. Donc, l’association propose, dans le cadre du

PLIE d’introduire dans l’accompagnement des personnes suivies une partie développement

personnel et remise en confiance. Puis, au motif que « la dynamique de groupe était

insuffisamment utilisée si la personne n’avait pas pu évacuer tout un contenu névrotique »,

l’association propose une nouvelle prestation : un accompagnement psychologique tout seul

sans accompagnement vers l’emploi.

Pour résumer, le lien entre les premières activités de l’association et celles actuelles dans

l’insertion vient d’une position théorique : la difficulté personnelle (en l’occurrence celle d’être

femme) est première par rapport aux autres. Cette position découle d’une posture idéologique

« militante » féministe : celle de la volonté de visibiliser la difficulté des femmes dans le monde

du travail. Cette même posture met donc l’accent aujourd’hui, non plus sur la socialisation ou

sur un contexte de marché de l’emploi défavorable aux femmes mais sur l’individu et la gestion

de « sa difficulté perso », passant sous silence sa construction culturelle, pour n’en plus retenir

que son résultat : la difficulté psychique spécifique aux femmes, presque redevenue un attribut

de sexe et non de genre.

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Le déplacement tient donc à un déplacement de l’action sur les effets (le contenu névrotique

produit par une socialisation de femme), plutôt que sur les causes (les formes de la socialisation

des femmes, le contexte de l’emploi). L’insistance dans le discours de l’association à mettre en

exergue la souffrance subjective des publics, tient certainement en partie à son incertaine

position dans l’échiquier, ou au fait de côtoyer effectivement certains publics dans la misère. La

question qui nous occupe ici est celle des raisons de cette reconversion militante dont on voit

mal d’autre moteur que celui qui pousse à reformuler les problématiques en adéquation avec un

certain « air du temps » et de financement. Tentative pour continuer à faire exister l’association,

elle est aussi une tentative (rationalité en valeur) pour prolonger une approche globale de la

personne (version années 80) et la faire reconnaître en tant que telle dans le cadre de

financements désormais octroyés au seul titre d’accompagnements individualisés. Autrement dit

une reconversion d’une posture militante qui partant d’une lutte contre l’injustice faite aux

femmes, posture qui a eu son heure de gloire, se trouve réduite à leur donner l’occasion de

résoudre par elles-mêmes leurs situations « en évacuant leurs contenus névrotiques ». Il s’agit

de résoudre la question de l’injustice faite aux femmes à partir de l’impact subjectif que cette

injustice occasionne. On suppose qu’une fois cet impact subjectif traité, les femmes auront les

moyens de faire face à cette injustice.

La viabilité d’une approche qui demeure militante, doit en passer, pour prétendre à un

financement, et une légitimité aux yeux des prescripteurs du secteur de l’insertion par une

approche individualisée. Plus qu’un choix de posture, l’individualisation du problème est un

pré-requis d’aujourd’hui pour quiconque prétend à une place dans le secteur de l’insertion

professionnelle, celui-ci fonctionnant sur le mode pyramidal. De plus, l’entrée par la catégorie

« femme », semble ne plus correspondre à la mise en catégorie des publics aujourd’hui en

vigueur. Si l’on en croit un responsable de la mission locale :

« La problématique des femmes, certains, j’ai entendu, et c'est tout aussi à la mode,

groupes problématiques femmes, que je sache être une femme n’est pas un problème. Que

l’on décline en disant l’accès des femmes est plus problématique au regard de telle ou

telle analyse, oui, mais qu’en soi on dise parce qu’on est femme d’entrée on est catalogué

comme étant un problème vis-à-vis de l’emploi, vis-à-vis de l’insertion c'est totalement

faux ».

Il est difficile de savoir si les difficultés rencontrées actuellement par cette association dans la

pérennisation de ses actions peuvent-être imputables au fait qu’aux yeux des politiques de

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l’emploi les femmes ne sont pas une catégorie prioritaire84, quelle que soit la pertinence de cette

approche, ou au fait qu’aux yeux de la politique de l’emploi l’égalité des chances, en quelque

sorte « le droit à », ne soit plus le mode d’entrée du traitement du chômage. Si on s’en tient à la

version de l’association, l’asphyxie est produite par le tarissement des Fonds Européens, ce qui

peut être dénué de sens -une simple redistribution des fonds disponibles à l’échelle Européenne-

ou au contraire en avoir un -l’abandon du principe de l’égalité des chances au niveau européen-.

Ni l’association ni nous-mêmes ne sommes en mesure de le comprendre.

Ce que l’on peut reconstituer de l’histoire de l’association Travail différent présente des points

similaires, sauf que la reconversion a également porté sur une adaptation à la nouvelle mise en

catégorie des publics issue du SPE. L’association est fondée en 1982 :

« dans l’idée que, à des personnes qui sont de fait mises en différence, l’insertion sociale

et professionnelle doit pouvoir proposer des solutions adaptées c'est-à-dire elles-mêmes

différentes (…). Alors bon on a aussi mais ça c’est pour la petite histoire, mais on a dans

le passé beaucoup travaillé sur la création d’emploi, d’entreprises, avec et par des

personnes diversement marginales, accompagnement à la création mais aussi en cas

d’impossibilité à la création dans d’autres projets d’insertion professionnelle. Gardons la

dynamique porteuse d’une idée de travail et si ma foi l’entreprise ou l’emploi ne peut pas

se concrétiser dans l’immédiat eh bien essayons de voir s’il n’y a pas des choses qu’on

peut retrouver comme une ligne de force d’une recherche d’emploi. Bon partant de là on

s’est intéressé à l’orientation, à l’insertion, aux accompagnements de publics je

dirais…en situations difficiles. »

Le lien entre les premières activités de l’association et celles actuelles dans l’insertion vient,

comme pour la FFPE, d’un repositionnement dans la continuité d’une position

théorique (l’insertion sociale et professionnelle), avec en amont une posture militante : la

défense des personnes marginalisées (et non pas marginales). Cette posture était au départ en

accord avec l’objectif d’insertion sociale que défendait le projet de loi instituant le RMI, qui

plaçait le droit et l’irresponsabilité des personnes dans leur situation difficile au cœur de sa

84 Elle est pourtant encore de mise mais peut-être de façon marginale, par exemple dans le cadre du Plie puisque divers intervenants, un grand nombre de femmes ont fait l’objet de prises en charge. Cela tient sans doute à une ligne d’action générale donnée aux dispositifs PLIE (un des objectifs concernant la population suivie dans ce cadre concernant les rapports hommes/femmes avec une priorisation pour les femmes à hauteur de 55% qui s’est avérée entre 2003 et 2005 de 57%, et peut-être à une forte représentation des femmes parmi les personnes privées d’emploi de longue date ayant plus de 45 ans, qui représentent prés de 20% des publics PLIE).

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justification idéologique85. La définition des problématiques des publics « mis en différence »

relève incontestablement d’une approche globale version années 80.

« C'est-à-dire que les facteurs de marginalisation sont nombreux et d’autre part une

personne n’est pas caractérisée par un seul facteur de marginalisation. Ce peut être une

origine sociale ou culturelle, ce peut être un niveau scolaire parfois très bas, parfois très

haut, tellement haut que l’adaptation n’est plus possible ce peut être des éléments

médicaux, souvent évidemment des situations économiques, familiales, des situations vis-

à-vis de la justice, l’absence de logement stable, euh… et tout ça se combine si vous

voulez… Alors que le fonctionnement actuel semble privilégier des solutions très

sectorielles, bon vous êtes malade vous faites ça, vous êtes illettré vous faites ça vous

avez pas de boulot faites des TRE… en fait c’est nier le fait que les difficultés des

personnes, dont nous sommes aussi, se combinent de façon globale à chaque fois dans

une physionomie de complexité nouvelle… on essaye de garder ce cap qui a de moins en

moins de sens dans cette explosion, cette folie libérale à laquelle on assiste et qui a des

effets consternants qui sont niés et gommés des statistiques et que nous constatons vous et

nous tous les jours. »

Ces publics se définissaient par une situation commune de marginalisation (ou de mise en

différence), celle-ci étant entendue dans un sens large mais ayant tout de même pour horizon la

question de la subsistance, sans pour autant être soumise aux normes du marché de l’emploi.

Fonctionnant alors comme « un prolongement du service public » ils ont dû depuis, à

contrecœur, se positionner sur ce qui est devenu, selon eux sous l’influence des règles

européennes, le « marché » de l’insertion, qui privilégie des « solutions très sectorielles » des

difficultés des publics, niant « la complexité des situations » des personnes. La participation à

cette nouvelle approche « neolibérale » de nouvelle catégorisation des publics de l’insertion qui

est celle du « tri sélectif de... où doivent aller les gens etc etc. » est présentée également comme

mue par des positionnements d’ordre idéologique, une position humanitaire qui place par

exemple la personne accueillie au même plan que l’accueillant (cf souligné plus haut : les

publics, dont nous sommes aussi) :

« Si nous participons à ça c’est parce qu’il nous semble qu’avec cette population de

malades mentaux il faut aller très doucement et voir où l’on met les pieds parce qu’il ne

s’agit pas de multiplier les effets secondaires d’une mise en situation en insertion de

personnes qui ne sont pas du tout prêtes à ça. » (Psychologue, Travail Différent)

85 Cf article 1er de la loi instituant le Rmi, cité p.5

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88

Si une partie de leurs publics restent les mêmes, ils ont été, lors de leur passage préalable par le

service public prescripteur, étiquetés en regard non plus de « leur mise en différence » mais au

regard d’une différence qui leur est désormais imputée. Au passage, la responsabilité du

« contexte de l’emploi » dans la genèse de cette différence est toujours mise en avant, mais

l’accent est mis sur le service public de l’emploi : « les conseillers ANPE, quand ils ont des

gens incasables les envoient à des organismes tels que nous parce qu’ils n’ont pas le temps de

chercher qui que quoi… »

Au passage encore, leurs actions sont « encadrées » : « Chacun de ces marchés définit et son

tarif, et son mode d’emploi ». Le marché, c’est un fonctionnement sous convention avec les

services publics de l’emploi. Le mode d’emploi ce sont les contenus de leurs actions définis

sous la forme d’Objectifs Projets.

L’exposition par le menu de ces reconversions plus ou moins réussies, nous permet de souligner

ce que la priorisation de la souffrance comme justificatif de l’intervention professionnelle doit

aux évolutions du contexte de l’intervention.

Cette inscription « relative » des associations dans le modèle d’un traitement de la question du

chômage par un traitement clinique du chômeur a de quoi étonner de la part d’associations qui

idéologiquement se positionnaient dans leurs premières activités sur un modèle radicalement

inverse, qui plaçaient la structure de la société au principe du phénomène. Ainsi considérait-on

que les individus n’étaient pas différents en eux-mêmes mais mis en différence, n’étaient pas

marginaux mais marginalisés. Bien sûr l’adhésion n’est pas totale : l’ancien modèle est remisé

en attente de jours meilleurs :

« Parce qu’à force de chercher à formater les publics et à les normaliser en leur

proposant des solutions de plus en plus stéréotypées qu’est-ce qui se passe ? On crée des

non-publics qui cumulent difficultés sur difficultés et les travailleurs handicapés par une

place de choix dans ces non-publics mais c’est pas les seuls. Mais on ne peut pas non plus

truquer les statistiques indéfiniment et viendra le moment ou les instances régionales et

nationales vont être obligées de changer de sensibilité. » (directeur associatif)

Malgré des réticences à cette nouvelle configuration du traitement du chômage ou encore vis-à-

vis de ce traitement par les effets, qu’on pourrait, de cet ancien point de vue définir comme

palliatif, ces associations ont pris le parti d’une posture qui consiste, comme nous l’avons vu

plus haut à « étayer les publics » de différentes façons (que nous qualifierons plus loin). Elles

actent l’idée qu’il n’y a désormais plus d’autre issue pour ceux-ci que la gestion de leur

relégation afin de la rendre la moins douloureuse possible. C’est ainsi que « la souffrance » des

publics devient à la fois l’angle d’attaque légitime de l’intervention sociale mais aussi sa

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justification idéologique, se substituant à l’injustice produite par l’inégalité sociale et par le

droit. Nous avons vu précédemment ce que cet angle d’attaque devait à une certaine amnésie

des caractéristiques sociographiques des publics.

Cet angle d’attaque, finit parfois par remporter une certaine adhésion. Ainsi un responsable de la

Mission Locale se demande si finalement cette question de la souffrance n’était pas déjà là à

l’époque de la logique de l’insertion sociale du RMI (lorsqu’on pensait que ce qui faisait qu’une

personne avait des difficultés à trouver de l’emploi c'est qu’elle était submergée de difficultés

sociales) et qu’on y passait à côté… Il envisage 2 raisons possibles à l’échec de la logique

RMI : La première c’est que le Revenu Minimum d’Insertion « était tellement minima qu’en fait

il ne réglait pas la question sociale, la question de la précarité », la seconde c’est « tout

simplement parce qu’on était là et on ne s’en était pas aperçu, à parler ou à traiter des

personnes qui étaient dans un tel désespoir, dans un tel état que même si on leur procurait le

toit, même si on leur procurait le repas, ça ne requalifiait rien du tout, en fait on était très

éloigné de toute possibilité même de l’emploi, de lien social, d’inscription sociétale ».

Ces remarques rejoignent les analyses d’autres auteurs « En matière de travail social, toute

perspective psychologique s’inscrit toujours dans une amnésie (sociologique) de faire et de

penser la société »86. Elles confirment également (et l’analyse du point de vue des jeunes le

confirmera plus loin) combien la question de la souffrance des publics est une construction

professionnelle qui ne part pas d’une demande des publics (ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est

pas réelle mais simplement qu’elle n’est pas, ou pas encore87, revendiquée). Cette construction

cependant, même si elle s’inscrit dans une perspective psychologique n’est pas non plus un

simple effet de la posture professionnelle initiale des intervenants (la psychologie) mais plutôt

l’aboutissement de différentes évolutions qui conduisent les professionnels à l’adopter pour

conserver leur place.

• Qualifier la nature du frein psychique : un traitement inégalitaire malgré lui ?

Si, comme nous le verrons, la recherche de freins au traitement individualisé oriente le parcours

d’insertion des individus, elle induit également de nouvelles catégorisations de publics. C’est

ainsi que par exemple le dispositif transversal du PLIE définit son public par « ses difficultés

d’insertion ». Aux anciennes catégories de publics « prioritaires » (jeunes, personnes

handicapées) s’ajoutent de nouvelles catégorisations tenant compte des inscriptions

différentielles des publics sur divers parcours préfabriqués selon des critères mesurant leur plus 86 LAVAL C., RAVON B., 2005. 87 Voir notamment la contribution de Didier FASSIN (2005) qui montre que la « mise en scène » de la souffrance est parfois un moyen utilisé par les publics pour revendiquer un droit.

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ou moins grande employabilité. Comme le soulignent Sabine Rudischhauser et Bénédicte

Zimmermann, « si la notion de d’employabilité ne peut se substituer à celle de chômage en tant

que catégorie de l’action sociale, elle induit la surimposition d’une logique individuellement

déterminée à la logique de classification socialement structurée du chômage ».88

Ces associations, positionnées différemment selon qu’elles réalisent elles-mêmes un

accompagnement à l’emploi ou sont sollicitées au titre d’un accompagnement dans l’emploi (ou

de préparation à l’emploi en ce qui concerne les Missions locales) héritent toutes d’une tâche

« indicible », la tâche diagnostique :

« On nous demande de plus en plus, un diagnostic par le biais des expertises ou

diagnostic d’employabilité des personnes affectées d’une maladie mentale. Soit la

maladie mentale est avérée et tout le monde le sait et donc on doit travailler directement,

soit et de plus en plus, autant dans le PLIE que d’autres dispositifs, les actions ANPE et

autres, les prestations, on va venir en tant qu’expert s’il s’agit d’une souffrance psycho

sociale chronique hein, pour les Rmistes qui sont là depuis… ou d’autres populations

extrêmement marginalisées, (pour savoir) s’il s’agit d’une cause de la structure du sujet

ou finalement ce sont des malades de la crise. Après une fois qu’on décèle ça le traitement

de la population n’est pas du tout le même. Les réseaux ne sont pas les mêmes. »

« Ces gens sont envoyés par un opérateur du PLIE. On a donc deux prestations.

-Donc cette consultation thérapeutique n’a pas de limitation dans le temps ?

Disons qu’on a des conventions sur un an, avec un nombre de séance réparties en

fonction du nombre de personnes. Mais on a quand même un nombre de séances

maximum, entre 10 et 12. Mais si les choses ne sont pas suffisamment clarifiées au bout

de ces séances, A. (psychologue clinicienne) prépare un accompagnement vers un

thérapeute. Les 1ères séances servent à produire une demande de soins de façon plus

durable et pour les gens qui vont moins mal, ça permet de clarifier et de mettre les gens

disons dans une circulation normale ». (FFPE)

« On va essayer de faire un diagnostic de la situation, ce qui relève de difficultés

ponctuelles passagères. Ce jeune, il vient d’arriver, il est isolé, c’est normal. A un

moment donné on va devoir différencier de freins psycho-patho et tout simplement ce qui

relève de la vie et de ses difficultés. Bon, il y a des moments où on est en crise mais c’est

réactionnel. L’idée c’est que par rapport à certains conseillers qui ont une approche

psycho-patho. Moi je l’ai moins qu’eux. Ils ne voient pas le fait que certaines situations

créent de la souffrance et du frein mais que c’est normal. Cela arriverait à tout le monde

88 RUDISCHHAUSER S., ZIMMERMANN B., 2004.

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et cela peut se liquider avec quelques entretiens. Donc on fait le point. » (psychologue

partenaire Mission locale)

Le constat de deux problématiques différentes parmi les publics qui leur sont envoyés (celle des

personnes qui sont affectées d’une maladie mentale et celle d’un nombre croissant de gens qui

« présentent des comportements atypiques, présentent des difficultés de communication », ce

qui est en lien avec « la crise sociale et économique ») s’accompagne donc d’orientations de

prises en charges différentes lors de ce deuxième niveau de tri.

Les critères de ce tri ne nous sont pas complètement accessibles, les entretiens n’ayant pas porté

sur ce point précis. Ici ce sont des savoirs professionnels qui sont en principe mobilisés : tous

ces intervenants interviennent au titre de leurs qualifications professionnelles dans le domaine

de la psychologie. Néanmoins ce tri entraîne un traitement différentiel des publics :

[La professionnelle de l’association parle ici des publics qu’elle accompagne dans le

cadre du PLIE (rappel : 2/3 des publics cible des actions du PLIE ont des niveaux

scolaires inférieurs au niveau CAP/BEP)]. « C’est difficile. Là le seul travail possible,

c’est une prise en charge personnelle de ces troubles, on ne peut pas les traiter dans le

social. Donc on a mis en place dans le dispositif plie un suivi psycho qui permet de

travailler la réalité psychique dans le cadre d’un dispositif social…c’est quand même un

métier d’art… »

L’expression « métier d’art » se révèle être une mission impossible comme en témoignent les

conseillers du service public de l’emploi :

« On a des états de démotivations, on a des états de dépression, voire des problèmes de

mauvaise représentation du monde du travail voire de ses propres capacités de sa

personne, enfin des choses comme ça qui se travaille. En mettant en place des étapes

d'expériences on peut faire avancer les personnes. Enfin ça représente 10 % des dossiers,

sur 60 c'est pas mal. Enfin les graves. Bon après, parfois, mais c'est à double tranchant,

c'est plus facile de travailler sur quelque chose de réel, un frein réel de santé, parce qu'on

a quand même des professionnels qui savent travailler dessus. On a des recours. On a du

relais, on peut avoir plusieurs diagnostics et ça ça aide beaucoup. Alors que sur par

exemple des états un peu dépressifs il n'y a rien. C'est plus la personne qui se freine,

découragée et ça c'est plus difficile. C'est pas des pathologies, c'est pas de la maladie. Et

ça même les prestataires échouent, ils ont du mal... »

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Le renversement de perspective (une prise en charge personnelle à défaut d’un traitement dans

le social) se traduit parfois par un abandon de la prise en charge qui intervient du fait de la

personne :

« C'est le fait de ne pas avoir une construction de personnalité... enfin, la partie sociale

l'enfance. On retrouve les échecs scolaires, les gens qui terminent pas leur diplôme... c'est

un succès même d'avoir un CAP. Peu importe le niveau de qualification au départ

finalement, le tout c'est d'avoir réussi quelque chose. Donc situation d'échec parce qu'on

se sent impuissant à retrouver un emploi. Et ça c'est difficile parce qu'ils partent dans

l'imaginaire, dans du désir et la prise de conscience des réalités du monde de l'emploi est

un peu douloureuse et se fait à travers des expériences d'échec. Et ça c'est difficile parce

que c'est la personne qui fait ce constat d'échec et ça peut se terminer par un abandon du

PLIE. Mais le manque de confiance on travaille dessus. Ils y en a qui acceptent quand

même les étapes, une remise à niveau, un petit emploi, et d'autres non. J'ai eu des

abandons. Mais là on ne peut pas faire grand-chose ; c'est la personne. Et même les

prestations en appui social individualisé ils ne les acceptent pas parce qu'ils pensent

qu'ils peuvent faire. Ils n'acceptent pas le suivi psychologique, en tous cas pour travailler

le projet professionnel puisqu'il y a des psychologues du travail, ils font un blocage. On

n'avance pas sur ces dossiers. »

Quand au deuxième type de publics (ceux qui leur sont envoyés dans le cadre des Objectifs

projets spécifiques pour accompagnement de personnes reconnues souffrantes d’une maladie

mentale) :

« On a des gens qui viennent du milieu aisé je trouve… Bon, on peut trouver une

population très abîmée, très en difficulté, mais je trouve que sur un dispositif où il y a un

dispositif psychologique, il y a beaucoup de gens qui ont une ouverture à ça, c'est-à-dire

qui sont prêts à parler devant un psy, il faut que ça dise quelque chose, d’aller parler,

s’exposer, ouvrir sa réalité psychique à l’autre, oui, je crois que c’est un problème de

classe. Je vois mal comment quelqu’un d’extrêmement marginalisé pourrait le faire, ou

alors il le fera comme on peut aller voir un médecin. On n’a pas de gens très défavorisé,

ni quart-monde ni…non, très peu ; On devrait le regarder par rapport à ça, on ne l’a pas

regardé »

Bien sûr les remarques qui suivent, bien que fondées sur notre matériel de terrain demanderaient

à être vérifiées par de plus amples recherches qui prendraient en compte les trajectoires réelles

des publics. Cependant, parce qu’elles renvoient directement aux questions de constitution du

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handicap psychique et aux débats soulevés par les tensions entre ses diverses définitions il nous

parait important de les formuler, pour certaines en tant qu’hypothèses.

De fait, tous les professionnels de l’insertion de droit commun pensent, à tort ou à raison, que

les accompagnements « spécialisés » sont mieux dotés en terme de moyens et offrent aux

personnes plus de perspectives, notamment en matière de formation :

« Bon le deuil et le sevrage ça va passer, forcément, après il reste que c'est une personne

à qui il faudra un certain contexte de travail mais il pourra puisqu'il a la reconnaissance

de travailleur handicapé. Il faut voir s'il ne peut pas bénéficier d'un module d'orientation

approfondi financé par la Cotorep pour reconversion totale. Ça éventuellement je voulais

lui proposer parce qu'il avait un projet professionnel mais qui nécessitait une formation

que nous n'avons pas actuellement dans le droit commun et que la cotorep peut mettre en

place pour lui.une formation que nous n'avons pas actuellement dans le droit commun et

que la cotorep peut mettre en place pour lui. » (conseiller ANPE)

« C'est un chantier d'insertion sur l'IAE (l'insertion par l'activité économique)... c'est de

l'installation de mobilier de cuisine. Ils sont embauchés en contrat d'avenir sur 2 ans et

lui il y avait droit puisqu'il a l'AAH. Alors ça m'avait semblé intéressant pour lui. [Et pour

prétendre à ce genre de chantiers il faut avoir l'AAH ?] Oui ou l'ASS. » (conseiller ANPE)

Il arrive que sur cette base, certains acteurs tentent de faire valoir des troubles psychiques et de

déclencher une demande auprès de la COTOREP de reconnaissance de travailleur handicapé.

Mais ces « passages », semblent dans l’ensemble peu pratiqués. Cette « réserve » est étonnante

pour deux raisons : s’il est vrai que la souffrance psychique est assez forte (visible ?) pour

justifier d’une orientation vers des spécialistes du psychique (psychologues, médecins

psychiatres) et que par ailleurs les professionnels savent que les accompagnements, dès lors

qu’il y a une reconnaissance de handicap en sont facilités, alors pourquoi n’orientent-ils pas plus

leurs publics plus clairement dans ce sens ?

Il y a sans doute plusieurs barrières dont une, peut-être essentielle, tient au cloisonnement (réel

et/ou symbolique) entre le social et le médical. Pour le dire vite : le dialogue est peu possible et

le diagnostic appartient au seul corps médical. Rappelons ici que cet univers d’associations

partenaires du SPE est un univers professionnel qui fait une large place aux pratiques

psychothérapeutiques. Malgré des compétences certaines en matière de santé mentale, le

diagnostic ne fait pas partie de leurs attributions professionnelles. Il est d’ailleurs notable que

dans un même entretien plusieurs accompagnants du secteur associatif associé au SPE

expliquent se voir explicitement confier la charge du tri entre les publics relevant de la

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pathologie mentale et ceux dont les troubles sont réactionnels et se défendre plus loin de n’être

pas compétents pour le faire. Illégitimes à prononcer des diagnostics, devant surmonter pas mal

de difficultés pour se mettre en relation avec les professionnels du médical et dialoguer sur ces

questions, ces professionnels traitent donc en général ces problèmes « intra muros ». C’est ainsi

qu’est alimentée (ou reprise ?) une hiérarchisation de gravité entre les diverses difficultés

d’ordre psychique (structurelles ou réactionnelles) qui recoupe, ou tout au moins semble

recouper, la « traditionnelle » opposition entre les troubles d’origine psychotiques et ceux

d’origine névrotiques, les premiers apparaissant plus difficilement « traitables » dans l’univers

psychothérapique de l’insertion professionnelle que les seconds, au motif qu’ils sont des

troubles réactionnels :

« C’est arrivé quelque fois [que l’on découvre dans nos publics handicapés un handicap

psychique]…ça ne se fait pas au 1er RV. Cela peut prendre des mois. Par exemple une

déficience motrice… et c’est la difficulté du HP. On peut y mettre ce qui est psychose,

bipolaire… Ils vous sortent la panoplie quand vous les recevez. Moi j’ai vu des personnes

qui ont vécu des dépressions sévères mais qui pour moi relevaient du HP. Il y avait un tel

retentissement, effondrement, souffrance que moi je les associe au HP. » (Cap emploi)

Nous retrouvons ici, comme en négatif, une partie des débats présentés en première partie

autour du handicap psychique : ceux qui ont conduit à séparer dans la législation le handicap

mental du handicap psychique, et les différentes controverses autour des « causes » que sa

définition précise a soulevées. Les renvoyer à la maladie mentale n’est d’aucun secours dans

cette difficulté à « fixer » une définition du handicap psychique, la définition de la maladie

mentale renvoyant elle-même au même débat.

Dans notre contexte, l’usage de la notion de handicap psychique reste attaché à son usage

« traditionnel » qui serait plus de l’ordre d’un attribut identitaire que le résultat d’une interaction

entre un individu et un environnement89. D’autre part cet attribut identitaire reste attaché à la

89 Cf texte de l’Appel à projets de recherche 2007, LE HANDICAP, NOUVEL ENJEU DE SANTE PUBLIQUE « L'importance que prennent les questions liées au handicap dans l'approche actuelle de la santé se traduit dans l’évolution des classifications internationales de l’OMS, qui a adopté en 2001 la Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap, et de la Santé (CIF), devenue au côté de la Classification Internationale des Maladies (CIM 10) une classification centrale au sein de la Famille Internationale des Classifications de l'OMS. Le handicap y est conçu comme une restriction de la participation sociale des personnes résultant de l'interaction entre des caractéristiques personnelles (dont les déficiences et limitations d'activité), et des facteurs environnementaux. En France, le terme de « handicap » continue cependant à servir de terme générique pour désigner les déficiences, les limitations d’activité ou les restrictions de participation. Ces nouvelles orientations élargissent considérablement la façon d’envisager les liens de causalité reliant ces notions. Ainsi le handicap dépend conjointement des caractéristiques des individus et de celles de la société. »

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notion de déficience produite par la maladie mentale en dehors de toute influence

environnementale, c'est-à-dire la maladie psychotique, considérée comme « touchant tous les

milieux ». Le poids de cette représentation est fort. Elle occulte sans doute un certain nombre de

faits, au minimum l'association handicap psychique = psychose conduit-elle à masquer la

distribution inégalitaire d'autres pathologies mentales ; telles que la dépression. Mais ce qui

importe ici c’est que seules les symptomatologies repérées comme dessinant un syndrome

psychotique « autorisent »/justifient (au moins dans le cadre verbal de la situation d’entretien)

une orientation soit vers une structure de soin, soit vers une demande de reconnaissance MDPH,

au titre d’une possible « altération de la structure psychique ». Une symptomatologie repérée

comme dessinant un syndrome dépressif justifie en premier lieu d’une intervention intra-muros

parce que rangée dans les pathologies réactionnelles : d’une part elle est jugée moins grave

qu’une pathologie « psychotique », et d’autre part elle n’est visiblement pas considérée au titre

d’une possible « altération de la structure90 psychique », entendue ici dans le sens d’une

irréversibilité. Le positionnement des professionnels, reposant sur une conception structurelle

du fonctionnement psychique, semble donc privilégier la réversibilité comme critère de gravité.

Tout au moins le degré de réversibilité est-il, en dernière instance, la raison d’une orientation

différentielle des publics vers un traitement « intra-muros » (c'est-à-dire au titre d’un

accompagnement à l’emploi ou dans l’emploi), ou extérieur.

Pourtant la hiérarchisation de gravité/réversibilité entre les diverses difficultés d’ordre

psychique (structurelles ou réactionnelles) qui on l’a vu occasionnent des orientations

différentielles, semble bien recouper une hiérarchie des publics en termes de compétences

professionnelles, non par le fait d’un amalgame volontaire mais comme l’aboutissement d’une

succession d’orientations, elles-mêmes produites à la fois par un premier codage des difficultés

et par les différentes offres construites localement. On peut ici citer comme exemple les propos

d’un responsable de la Mission Locale concernant la différence entre l’association Multipass (à

l’époque un dispositif interne à la mission locale) et Cap Emploi :

« Donc Multipass à l’époque était en collaboration avec, ça s’appelle le STH, services

pour les travailleurs handicapés, avec l’AGEFIPH et la Cotorep. Donc là oui on avait 2

conseillers qui ne recevaient que les…. Alors il y a une différence parce que pour ne pas

être en concurrence avec Cap Emploi, alors la différence elle est claire, Cap Emploi c'est

ceux qui ont des projets, alors là des projets de ceux qui ont des capacités

professionnelles reconnues, c'est-à-dire diplômées ou expérimentées sur des domaines, et

90 On notera ici, sans pouvoir cependant en donner une interprétation, que nos interlocuteurs utilisent le terme de structure et non celui de fonction, terme qui lui est utilisé dans la CIF (et par conséquent dans la loi de 2005) pour se référer au psychique.

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auquel cas il s’agit de retrouver un job dans leur domaine de compétences ou d’adapter

un poste à leurs compétences, nous c’était tout le public dit…, pas de projet, aucune

d’expérience, pas de qualification. »

Ce constat se confirme indirectement, au plan des publics reçus, dans les propos de la

responsable de Cap Emploi :

« J’ai oublié de vous dire. D’autres caractéristiques pour ce public handicapé psychique ;

on a remarqué qu’on pouvait avoir un public très qualifié, avec un très bon niveau

d’études - bac + 3, 4, 5 - mais elles ne peuvent pas exploiter le niveau de qualification.

On a le retentissement du handicap qui met à mal le niveau de qualification. Le niveau de

responsabilité ne peut pas être assumé du fait du handicap. Mais le public est accroché à

ce niveau et ne veut pas en démordre. A juste titre du point de vue de la personne. C’est

difficile de construire un accompagnement sur un projet réaliste. C’est pour cela que,

quand on reprend les parcours, on voit des personnes qui sont passées par trois ou quatre

formations professionnelles qualifiantes…elles vont toujours dérouler une demande du

côté de la formation. Comme il y a des personnes brillantes, elles ont passé des tests, elles

sont rentrées en formation. Et elles ont abandonné au bout de 6, 9 mois, parce que

décompensation. Elles se sont posées des exigences trop fortes. »

Un peu plus loin, cette même interlocutrice, interrogée sur la question des milieux sociaux des

publics répondra à l’opposé :

« Sur le profil de ce public, les milieux sociaux d’origine, c’est quoi ?

Je vais avoir du mal car ce n’est pas des informations que l’on demande. De toute façon,

le hp c’est tout milieu. Si on est d’un milieu aisé, il peut y avoir une sécurité matérielle qui

permet de vivre mieux, dans de meilleures conditions, son handicap… Mais après, ça

touche tout milieu. »

Nous avons vu comment la mise en catégorie des publics « en difficulté d’insertion » se

construit sur une certaine amnésie des contraintes extérieures qui pèsent sur ces situations et de

ses caractéristiques objectives, pour n’en retenir que l’impact subjectif. On peut donc

légitimement penser que, dans la mesure les 2/3 des publics orientés sur le Plie et l’ensemble

des publics de la Mission Locale sont des publics de faible compétence professionnelle, ils se

retrouvent plutôt être ceux qui ont des « problèmes psychiques de nature réactionnelle ». Or ils

ont été orientés sur ces structures parce qu’ils semblaient présenter une réaction psychique

« anormale » en regard de la situation qu’ils vivaient (ou plutôt celle que le conseiller pense

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qu’il vit), réactions de toutes façons jugées susceptibles d’entraver pour des raisons d’ordre

psychique le processus d’insertion professionnelle.

Dès lors en quoi consiste le traitement intra-muros des personnes qui ne peuvent « prétendre » à

une reconnaissance d’un handicap psychique, les gens, « dont on sait pas trop, par le biais du

PLIE, par le biais de l’ANPE, on nous envoie des gens qui ont des problèmes de

comportements, de souffrances, mais là-dedans on ne sait pas quelle est l’origine de ces

problèmes, la personne qui se freine, découragée et ça c'est plus difficile. C'est pas des

pathologies, c'est pas de la maladie ? »

S’il est vrai que ceux qui sont le moins dotés en terme de compétences professionnelles sont

ceux à qui l’on propose un traitement psychologique « intra-muros », vouloir influer sur leur

employabilité par un accompagnement psychologique ne conduit-il pas, dans le cas où cet

accompagnement ne réussit pas à solder certains problèmes (ce qui visiblement arrive dans un

certain nombre de cas) à accroître au contraire leur situation en terme d’inégalité sociale, dans la

mesure où ce sont les plus réfractaires à un accompagnement psychologique et/ou à un

accompagnement de soin :

« mais je trouve que sur un dispositif où il y a un dispositif psychologique, il y a beaucoup

de gens qui ont une ouverture à ça, c'est-à-dire qui sont prêts à parler devant un psy, il

faut que ça dise quelque chose, d’aller parler, s’exposer, ouvrir sa réalité psychique à

l’autre, oui, je crois que c’est un problème de classe. » (Psychologue, Travail différent)

Comment dès lors leur restituer une « compétence de santé mentale » ? Et si tant est que cela

soit possible, cela suffira-t-il à leur donner une compétence professionnelle ? Auront-ils d’autre

choix que de s’exclure d’eux-mêmes des dispositifs ?

Nous voyons, au terme de ce parcours, combien la politique d’insertion, dans ses récentes

évolutions, a conduit un certain nombre de ses acteurs associatifs de l’accompagnement à

l’emploi ou de l’accompagnement dans l’emploi de « deuxième niveau », à se repositionner

dans un processus de traitement de la difficulté d’insertion professionnelle par l’unique entrée

d’un traitement du chômeur qui se solde parfois par un traitement de ses difficultés psychiques.

C’est au prix d’un difficile réaménagement d’une posture, qui continue cependant à être une

posture militante, que ces acteurs, dans notre cas des professionnels ayant une formation à la

psychologie ou à la psychothérapie, se sont engagés dans des accompagnements où une partie

du rôle qui leur incombe, et ce de façon informelle, est un tri entre les personnes présentant des

difficultés psychiques d’ordre contextuel/situationnel et celles présentant des difficultés

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psychiques indépendantes du contexte, dites structurelles. De ce tri découle l’orientation des

publics vers des accompagnements extérieurs médicaux en vue d’une éventuelle reconnaissance

MDPH, ou, lorsque cette reconnaissance existe, vers des accompagnements qui deviennent alors

des accompagnements spécifiques. Cette filière, que tous s’accordent à reconnaître comme

« privilégiée » (en termes de moyens) n’est cependant réservée qu’aux personnes dont les

difficultés ont été reconnues du côté de la « structure » psychique. En sont exclues celles pour

qui l’on pense qu’elles sont d’ordre contextuel. On notera ici que l’usage de la qualification

« handicap psychique » est un usage qui tranche entre des définitions politico-sociales du

handicap psychique et des définitions médicales. Plus par « tradition » que par réelle volonté,

l’usage penche pour une définition ancienne du handicap comme attribut identitaire lié à une

déficience, qui est aussi une définition qui s’appuie sur l’usage (ou la retraduction) d’une

tradition d’inspiration médicale séparant les vraies maladies mentales (les psychoses) des autres

(les névroses). En partie du fait de l’impraticabilité (réelle ou supposée) de la filière médicale

pour des publics non altérés dans leur structure, ces acteurs se tournent dans leurs actions, à

défaut diraient certains, vers des accompagnements (à l’emploi ou dans l’emploi ) qui incluent

des actions visant à l’étayage psychique de leurs publics, à propos de l’efficacité desquels on

devine, au détour d’un euphémisme (« C’est quand même un métier d’art ») qu’ils sont les

premiers à douter. En effet mais il faut ici l’entendre avec prudence, il semblerait que, par le jeu

involontaire d’orientations successives, ces publics sont ceux-là même que Pierre Bourdieu , en

d’autres temps, qualifiait de « déshérités » dont on sait par ailleurs qu’ils sont, sans doute avec

quelques raisons, les plus réfractaires à l’approche psychologique.

2. Conclusions : La difficulté psychique et ses usa ges

Comme le fait remarquer Jean-François Orianne, prendre l’individu pour cadre de

compréhension et principe de l’intervention institutionnelle induit un déplacement des buts

poursuivis par les professionnels de l’insertion. En substance, il s’agit moins de mettre en

emploi (placer) que de travailler l’employabilité et mettre en sens les troubles censés entraver

cette construction91. De fait, un des premiers constats issus des entretiens réalisés est

paradoxalement – si ce n’est l’absence – à tout le moins le peu de références aux demandes des

employeurs, aux exigences comportementales et aux compétences qu’ils attendent. A

l’exception de la responsable de Cap emploi qui doit gérer l’épineuse question de la

91 Orianne J-F., op. cit. note 7.

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publicisation d’un « handicap psychique » reconnu par la COTOREP mais non immédiatement

visible, l’actant « employeur » est parfois littéralement absent des discours. Il est bien

évidemment abusif d’en déduire une méconnaissance totale du secteur privé. Bon nombre de

conseillers en insertion en connaissent et en ont préalablement expérimenté les pressions.

Certains ironisent même sur les critères visant à apprécier l’employabilité des personnes

accueillis ; critères dépassant de beaucoup les exigences effectives des employeurs :

« En fait, je commence à penser qu’on leur demande des choses que nous-mêmes ne

pratiquons pas dans notre quotidien et que les employeurs ne leur demandent même pas.

- C'est-à-dire ?

- Par exemple, le critère du comportement dans l’emploi. Il faut savoir que pour certaines

associations qui doivent faire le point sur les difficultés psychiques, être isolé, ne pas trop

parler à ses collègues etc. constitue un problème. Mais qui peut dire qu’il a toujours une

humeur égale, qu’il est sociable ? Combien il y en a qui vont bosser sans décrocher un

mot à leurs collègues ? Cela ne fait pas d’eux des handicapés psychiques pour autant !

C’est pareil pour tout ce qui est comportement, je suis sûr que les employeurs n’en

demandent pas autant…» (Psychologue, association mettant en œuvre des bilans de santé

pour des personnes en insertion socioprofessionnelle)

Dans l’ensemble, le rapport entre offre et demande se noue dans le colloque singulier entre un

professionnel et un individu en quête de travail. Dans le meilleur des cas, la figure de

« l’employeur » s’impose « pragmatiquement » comme celle du détenteur de la règle, dans un

rapport purement théorique entre individu et travail :

« Vous m'avez parlé de l'adaptation de l'employé au marché du travail. L'ANPE a-t-

elle un axe de travail pour adapter les employeurs aux personnes employables ?

- Non. Ils sont tous pareils en ce moment, ils sont pressés, il faut qu'ils soient

opérationnels tout de suite ceci cela, avoir une considération particulière pour une

personne, non. C'est vrai que tout porte sur le salarié, c'est lui qui doit s'adapter. Après

il y a des employeurs qui sentent que l'entreprise a une responsabilité quand même

sociale... Il y a eu des conférences à l'université sur la responsabilité de l'entreprise en

termes d'insertion.... Il y a un travail sur la discrimination. Mais en fait la

discrimination, elle est surtout en terme de productivité, de disponibilité et ça varie en

fonction des représentations des employeurs ». (Conseiller Anpe)

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C’est donc aux marges des questions relatives aux exigences productives et à l’aune des

transformations organisationnelles et culturelles taraudant le secteur de l’insertion que les

postures d’accompagnement se structurent.

2.1. Sociogénèse territoriale de la pluralité des postures d’accompagnement

La première dimension hérite de la position objective dans le secteur de l’insertion

professionnelle ; elle recouvre les modes d’investissement dans les missions qui leur sont

assignées. Ainsi oppose-t-on des structures qui ont en charge le placement dans l’emploi à des

structures qui ont en charge une démarche d’accompagnement. La seconde dimension concerne

quant à elle la manière dont les acteurs interrogés investissent la topique professionnelle

préalablement présentée. Si l’ensemble des acteurs interrogés déplace le regard du côté de

l’individu, les chemins empruntés pour parvenir à construire son employabilité se distinguent.

Certains privilégient un travail de mise en adéquation entre les aptitudes/caractéristiques des

individus et les exigences perçues de la situation d’emploi ; d’autres au contraire placent la

transformation de l’individu à l’épicentre de leurs pratiques.

Schéma 2. Désignations de la difficulté psychique et postures d’accompagnement professionnel

Gestion de l’intempérance dans l’emploi

Gestion dans l’emploi

Situation

Gestion des difficultés relationnelles et

personnelles

Accompagnement

Gestion de la conversion identitaire

Gestion de la restructuration identitaire

Individu

Pour chacune des quatre postures d’accompagnement repérées, apparaissent des désignations

spécifiques de ce qui fait difficulté psychique au regard des missions d’insertion qu’ils

investissent.

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a) Une gestion de l’intempérance dans l’emploi

Qu’ils interviennent ou non sur un public catégorisé par l’expertise médicale de la COTOREP,

certains acteurs définissent leur mission d’insertion en terme de placement dans l’emploi et

privilégient de ce fait un accompagnement des situations d’emploi. Nous prendrons deux

exemples pour illustrer ce type de positionnement : celui de CAP emploi et de l’ANPE.

Dans le cas de Cap emploi, bien que les publics soient préalablement désignés comme

handicapés psychiques, les professionnels se livrent à un travail de remise en sens, à partir des

enjeux et des savoirs propres à leurs interventions. Et cette lecture dépend fortement des

exigences d’un accompagnement qui doit gérer le décalage entre, d’un côté, une validation

médicale habilitant l’individu pour le travail en milieu ouvert et, de l’autre, les attendus

présumés des employeurs. C’est donc moins la pathologie que l’inconstance dans le travail qui

fait signe de difficultés psychiques :

« Nous dans notre accompagnement, ça veut dire par exemple qu’il faut que l’on soit

dans un autre rapport au temps, que l’on fasse tomber cette urgence, qu’on soit sur une

structuration d’accompagnement qui canalise cette tendance à la dispersion. Donc on

mettra un entretien une démarche - réalisation, un entretien faisant le point sur la

démarche. Surtout ne pas faire faire trois choses en même temps : donc être beaucoup sur

la structuration. » (Cap emploi)

Sont alors plus particulièrement considérées les aptitudes/difficultés à gérer les contraintes de la

situation d’emploi : demande d’adaptabilité, de rentabilité, capacité individuelle à résister aux

rythmes de travail cadentiels, à gérer les changements et à s’y adapter. Ainsi la description des

difficultés posées par le handicap psychique ne réfère-t-elle que très rarement aux propriétés

individuelles et plus souvent aux contextes professionnels inadéquats (restauration, vente, etc.) :

« Pour le handicap psychique, on retrouve très souvent les mêmes restrictions

médicales : l’environnement stressant, le temps plein, les rythmes de travail cadentiel. »

« On peut pas les mettre en permanence sur des métiers fortement relationnels ou

montant très vite en charge mentale…C’est compliqué et on peut le trouver sur des

métiers par exemple de la restauration, plongeur. On peut se dire pas du tout de

relationnel mais quand on voit le rythme de travail de ces métiers - le coup de feu - on

retombe sur les contre-indications. Après les nouveaux métiers de télé service, les

personnes sont devant l’écran et elles prennent soit des appels entrants ou sortants mais

c’est pareil. On sait que ces métiers là, c’est tant d’appels à l’heure, avec des personnes

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qui peuvent être agressives au bout du fil. Donc les métiers du télé service ok, mais les

conditions de travail font qu’on ne va pas mettre beaucoup de personnes HP sur ces

métiers ; c’est aussi l’évolution du monde du travail, où il faut être performant,

productif. » (Cap emploi)

La posture est assez similaire dans le cas des agents ANPE qui évoquent moins la question de la

souffrance psychique ou de la fragilité psychologique que l’incapacité à tenir l’emploi :

« Moi je les reçois, si leur objectif c'est vraiment de rechercher un emploi durable et bien

on s'aperçoit qu'il y a d'autres freins derrière. On les accompagne sur des parcours où il

y a des échecs et ces échecs souvent sont déclencheurs de ce qui va réellement les faire

avancer, plus ou moins facilement alors quand il y a la santé mentale en fait c'est plus

difficile. Ca c'est le frein ou la personne ne maîtrise pas ses actes. » (conseiller Anpe)

Là encore, les professionnels lisent les exigences des employeurs et les aptitudes des individus

en regard d’un modèle de la qualification et de la compétence :

« Le plus simple serait de partir de vos dossiers et de me parler des personnes qui selon

vous ont des difficultés, des problèmes d'ordre psychique.

- Alors un des premiers dossiers, j'ai rien vu, j'ai pas diagnostiqué... j'ai reçu la personne,

je l'ai intégrée dans le PLIE, il avait un projet de projectionniste, il finissait une formation

qu'il avait démarré avec l'ANPE spectacle à La Rochelle, il manquait un module donc on

lui a trouvé un contrat d'accompagnement. C'était un jeune, tout à fait sociable quant il

venait, un peu replié sur lui-même mais bon, c'est un collègue qui me l'avait orienté, il me

disait bon, il est un peu timide... Bon, il a pris l'emploi, ça c'est bien déroulé, jusqu'au

moment ou on lui a demandé d'être en autonomie. (…) Et là il revient à l'ANPE, paniqué,

agressif, comme quoi il avait un problème avec l'employeur qui voulait le licencier... bon

moi j'avais fait une médiation avec l'employeur, mais non pas du tout... il s'était mis en

maladie déjà pour ne pas avoir à faire les projections tout seul et son comportement avait

changé. (…) Il y avait une maladie mentale derrière en fait. Il n'était pas suivi

médicalement, c'est la situation qui l'a fait exploser.» (Conseiller Anpe)

De ce fait, la prise en compte de la difficulté d’ordre psychique (qu’elle soit institutionnellement

reconnue ou non) vise essentiellement la gestion de ses retentissements et de l’intempérance

dans l’emploi dont la personne fait preuve.

Dans le cas de l’ANPE, les professionnels en sont venus à considérer que la santé constitue une

ressource à l’insertion qu’il convient de faire évaluer :

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« Parce que le problème bon je ne discute pas le diagnostic des professionnels du soin

etc. mais je trouve qu'ils sous-estiment l'apport, le bien-être que peut apporter une

activité professionnelle à la santé mentale. C'est pas quelque chose de figé ! Il y a des

personnes même avec une maladie mentale qui vont fonctionner normalement ».

Dans le cas de Cap Emploi, la définition des missions d’insertion glisse alors de l’évaluation du

handicap (proximité/distance aux compétences relationnelles et productives) vers l’évaluation

de la manière dont la personne gère son handicap :

« Dans la phase diagnostic, c’est là où on consolide le premier niveau d’information

que l’on a eu. Donc on consolide avec des repères méthodologiques indispensables

pour que l’on arrive à qualifier là où on est la personne par rapport à son handicap. Ce

qu’on veut dans un premier temps, c’est lui demander si elle est suivie par un médecin

psychiatre. En règle générale oui, très souvent on a le nom. Si c’est un suivi régulier, si

traitement, observance du traitement, si son handicap fait qu’elle a des hospitalisations

régulièrement ou pas. Depuis quand date la dernière. Ce sont autant d’indicateurs qui -

quand on les croise - nous permettent de voir où en est la personne au moment où on la

reçoit. Ce qui nous intéresse ce n’est pas tant la maladie qu’a la personne que le

retentissement du handicap sur le parcours de la personne ; parce que nous, on n’est

pas spécialiste. On n’est pas médecin psychiatre. Donc on n’a pas à aller voir la

maladie ; ce qu’on a à recueillir, à évaluer et à mesurer, c’est là où en est la personne

aujourd’hui de son état de santé, de la relation au handicap, du retentissement de celui-

ci sur son parcours professionnel. Parce c’est ce qui va nous permettre de voir ce que

l’on peut construire avec la personne. » (Responsable Cap Emploi).

Il s’agit ici d’une part, d’amener le demandeur à se représenter lui-même comme souffrant d’un

handicap - sinon comme malade - et à l’aider en ce sens à se construire comme individu, mais

dans un registre autre et, d’autre part, de lui faire faire l’apprentissage de ressources

personnelles ou institutionnelles lui permettant de traverser des périodes d’instabilité ou de

décompensation (par exemple se mettre en arrêt maladie au lieu de démissionner en période de

crise) :

« Parce que, ça aussi, c’est fréquent chez les personnes handicapées psychiques,

souvent dès qu’elles sont en difficultés, elles démissionnent d’elles mêmes. Elles n’ont

même pas le réflexe de se mettre en maladie le temps que ça aille mieux - pendant 15 ou

3 semaines. Même certaines personnes qu’on a suivi et préparé - pourtant ça avait été

abordé, travaillé, posé. C’est ça la difficulté du handicap psychique, il y a une

récurrence de l’instabilité. (…) Quand elles appellent de suite, on leur dit : « allez voir

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votre médecin et mettez vous en arrêt maladie, prévenez juste votre employeur que vous

êtes malade ». Des fois – ça nous est arrivé -, la personne ne s’est pas présentée du jour

au lendemain comme ça et on l’a appris une semaine ou 15 jours après. Mais il était

trop tard, on ne pouvait plus récupérer la situation par rapport à l’employeur.» (Cap

emploi)

Dans ces deux cas de figure, l’objectif premier reste formulé en termes d’apprentissage

individuel (se plier aux exigences de la situation d’emploi) mais celui-ci vise prioritairement

l’adaptation pragmatique aux situations : la capacité à se plier aux normes temporelles (tenir le

rythme, être constant) et la maîtrise d’une gestuelle adaptée (rendre le corps productif, résister à

la pénibilité du travail).

b) La gestion de difficultés personnelles obstacles à l’employabilité

Des acteurs comme la Mission Locale ou encore l’association PRISM définissent eux aussi leur

mission d’insertion en matière de placement dans l’emploi mais ils privilégient cette fois-ci un

accompagnement visant à développer des aptitudes permettant la neutralité émotionnelle :

gestion du stress et nivellement de ses humeurs – notamment dans les rapports à la hiérarchie,

aux collègues – et capacité à se projeter ou à cumuler les expériences de travail dans le cas de la

Mission Locale : « Mais pour le jeune on est bien dans quelque chose qui est, de mon point de

vue, moderne, c'est de dire qu’on est dans quelque chose de très pragmatique, la trajectoire

individuelle, on n’est plus dans des perspectives… ».

Là encore, la désignation de troubles psychiques tient aux enjeux et à la forme de

l’accompagnement engagé ; d’où la référence à des difficultés relationnelles et personnelles et

non à des limitations intellectuelles ou des inaptitudes physiologiques avérées.

Si les ressorts de transformation sont individuels, le travail engagé vise moins la transformation

du sujet que la manière dont il gère son parcours et ses expériences professionnelles (par

exemple en l’inscrivant dans une logique de mise en expérience) :

« C’est normal d’en avoir une idée de l’emploi, mais il faut cumuler un maximum de

savoir, et après la pratique professionnelle est secondaire, et elle viendra de toute

façon, si on a des connaissances, elles serviront toujours au nom du professionnel.

Donc c'est normal qu’il y ait une forme idyllique chez le jeune, et puis après il y a des

décalés, par exemple effectivement celui qui veut être astronaute et qui ne sait pas lire

et écrire, par exemple. Bon c'est très caricatural, mais il y en a.

Quand est ce que ça devient très difficile ?

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Alors là il va falloir rentrer dans les cas. Parce que le gars, le têtu, le conseiller lui,

face à ça, comment il aborde la question. Soit il va essayer de comprendre d’où vient

cette idée, qu’est ce qui anime, qu’est ce qui motive ce jeune, peut être qu’il y a autour

de lui, dans son environnement des gens qui l’ont aidé et auxquels il s’identifie, peut

être qu’il y a une mauvaise identification, mais que derrière il y a un fond qui est de

l’ordre de la raison, d’accord, le conseiller va utiliser justement ça pour dire voilà, il

va falloir travailler là-dessus, tu vas appeler, on va mettre les étapes. Et là ça va le

motiver, tant mieux, parce que l’objectif c'est qu’il aille sur un stage…, et puis après la

remise à niveau, et après pourquoi pas passer un certificat, et ainsi de suite, c'est ça

l’objectif ». (Mission Locale)

En contrepoint, d’autres structures associatives se positionnent sur un registre tout à fait

différent en visant cette fois-ci la transformation de l’individu et non la gestion des difficultés

liées au décalage entre ses dispositions et les situations professionnelles qu’il est amené à

traverser.

c) Un travail sur l’individu : entre conversion et restructuration identitaire

Dans les deux cas de figure suivants, toute infraction aux normes comportementales attendues

par les acteurs d’insertion tend à impliquer des défaillances subjectives. Ainsi une difficulté à

agir, à s’engager dans des initiatives sera-t-elle associée à une perte de désir ; des difficultés

relationnelles récurrentes à des structures psychiques paranoïdes. Associée à toute forme de

souffrance exprimée ou décelée, la conception de la difficulté psychique est particulièrement

extensive et se déploie y compris en l’absence de diagnostic médical stabilisé.

« Les difficultés que ces gens rencontrent, à quoi vous les attribuez ?

Elles sont de plusieurs ordres ? Je crois que lorsqu'on parle de projet de vie, ça touche

toutes les facettes de l'individu…. C'est par rapport à la confiance en soi, l'estime de

soi, ils arrivent souvent en grosse difficulté par rapport à ça donc c'est aussi qu'ils

reprennent confiance. » (CRIC)

« La 1ère année on a expérimenté ce dispositif et on s’est rendu compte que la

dynamique de groupe était insuffisamment utilisée si la personne n’avait pas pu

évacuer tout un contenu névrotique on va le dire comme ça, qui fait qu’elle n’est pas du

tout accessible à autre chose que à exprimer sa souffrance et à être enkystée là-

dedans. » (FFPE)

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Au plan maintenant des leviers d’insertion, ces structures visent prioritairement la

transformation des personnes, sans référence aux exigences des employeurs ni aux contextes

sociaux dans lesquels les individus s’inscrivent. Dans le cas du CRIC (chargé de l’insertion de

publics repérés par le médical comme handicapés psychiques), l’accompagnement à l’insertion

professionnelle dépend de la capacité de l’individu à opérer une conversion identitaire à partir

d’une désignation médico-institutionnelle posée :

« Il y a besoin de faire tout ce travail identitaire autour de l'individu donc ça veut dire

qu'on a des gens qui sont désocialisés, qui n'ont parfois pas travaillé depuis 10

ans….Donc sur ce dispositif là il y a un gros travail sur l'individu, on travaille

beaucoup sur l'ouverture au monde extérieur, parce que ce sont souvent des gens qui

sont enfermés chez eux ou en hôpital depuis longtemps donc on a un gros travail sur

l'actualité, sur les visites dans Toulouse, sur les organismes, qu'est-ce que c'est que la

Sécu la CAF etc. » (CRIC)

Dans le cas de la FFPE ou encore de DEFI 31, la difficulté psychique renvoie à des situations

d’inaptitudes structurelles souvent non assises sur des expertises médicales ; le travail vise alors

essentiellement à rendre les sujets raisonnants.

De manière générale, à l’exception de Cap Emploi qui nous a souligné les problèmes découlant

du secret médical auquel sont tenus les psychiatres (« c’est quand même embêtant parce qu’on

ne sait pas toujours jusqu’où on peut les pousser »), les efforts visent moins à objectiver les

causes des difficultés qu’à anticiper et dépasser les problèmes rencontrés dans le cadre de leurs

propres missions d’accompagnement. Dans la mesure où elle infléchit peu les leviers

d’intervention dont ils disposent (par exemple elle ne les exonère pas des taux de placement

attendus par les financeurs) et vise essentiellement à distinguer ces déficiences des déficiences

intellectuelles, la catégorie « Handicap Psychique » est donc bien peu appropriée par les acteurs

de l’insertion. En revanche, c’est sans doute au plan politique et institutionnel que les choses en

sont transformées. Si les configurations organisationnelles et culturelles déterminent les

conditions de réception de l’invitation étatique à prendre en compte le handicap psychique, elles

déterminent aussi les usages politiques qui peuvent en être faits.

2) Les usages politiques de la nébuleuse « difficultés psychiques »

Qu’il soit spécialisé (Cap emploi, CRIC) ou non, le secteur de l’insertion professionnelle se

caractérise par une forte ambiguïté stratégique (chevauchement de compétences, pluralité des

parcours possibles) et sémantique (développement territorial des actions santé qui s’est opéré

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selon une logique d’opportunité et à partir d’une définition non médicale du psychique). Les

propriétés de ces systèmes d’action et l’importance qu’elles acquièrent sont loin d’être inédites.

Rappelons l’intérêt que Crozier portait aux situations d’incertitude. Mais jusqu’à présent, les

recherches ont plutôt analysé les stratégies et le pouvoir qu’elles conféraient. Or comme l’a

montré Marcel Calvez, les catégories de risque et de handicap ne servent pas seulement à

catégoriser les individus dans le cadre de relations strictement interpersonnelles (comprendre

leurs attendus, s’expliquer leurs conduites, ajuster nos attentes relationnelles, etc.)92. Elles sont

aussi utilisées par les groupes sociaux pour gérer les relations qu’ils entretiennent avec d’autres.

Et de fait, nous allons maintenant voir combien la nébuleuse du psychique est mobilisée par les

acteurs de l’insertion interrogés pour gérer la porosité des frontières entre secteurs

d’intervention, l’ambiguïté des rapports entretenus entre financeurs et prescripteurs, puis les

paradoxes des missions qui leur sont assignées. Pour ce faire, il importe d’examiner d’un peu

plus près non plus seulement la teneur mais les situations dans lesquelles l’explication par la

difficulté psychique est convoquée.

a) Un mode de gestion des frontières entre emploi, social, médico-social et médical

Cette première utilisation de l’explication par les difficultés psychiques vise la résolution d’une

tension liée à la transversalisation de l’approche globale : la porosité entre les secteurs de

l’emploi, du social, du médico-social et du médical93.

L’exemple de la Mission Locale qui est clairement identifiée comme un lieu où parler de sa

souffrance alors même qu’elle est depuis peu fortement astreinte à des impératifs quantitatifs de

placement est ici tout à fait significatif. Dans un contexte où les mandats d’intervention ne sont

pas clairement préétablis par l’Etat, la catégorie du psychique est régulièrement utilisée pour

réaffirmer les frontières sectorielles entre insertion professionnelle et médico-sociale :

« …la tendance, je pense, un petit peu actuelle du travail social qui est au vu d’un

manque de réponse sociale, une tendance je pense médicalisée, à trouver une réponse

plus dans le médical, voilà, aux carences des réponses sociales. Donc je pense

également que bon il y a quelque chose de l’ordre du rassurant, chez le travailleur

social, que d’y voir plus clair, et il est toujours dans une recherche d’arriver à mettre

les mots derrière, alors effectivement quand on est dans le domaine du mental c'est

toujours compliqué, d’où cette tendance, tout à fait naturelle, d’aller vers la Cotorep,

92 Calvez M., 2004. 93 Laval et Ravon : « A la limite, lorsque l’idéal social d’accomplissement individuel fait émerger une forme d’être fonctionnel en santé mentale (Otero 2000), il n’est pas étonnant que le travail social devienne un lieu perméable aux questions de santé, voire de santé psychique »

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pour renvoyer la qualification, ou du malaise, ou en tout cas du problème, vers les

spécialistes chargés de dire si oui ou non telle personne ayant telle difficulté… »

(Mission Locale)

La désignation d’une difficulté d’ordre psychique (sur laquelle les intervenants n’ont que peu de

prise) sert également à résoudre les tensions organisationnelles internes qui en découlent. De

fait, la pression au placement et l’échec des réponses apportées génèrent l’épuisement des

professionnels : « c’est aussi que les professionnels se disent que ce n’est plus de leur ressort

parce que c’est frustrant que les démarches d’insertion n’aboutissent pas ». A la manière du

médecin qui, en étiquetant le malade l’exonère des obligations productives et de sa

responsabilité en la matière, l’étiquetage « difficultés psychiques » exonère le conseiller d’une

partie de son obligation de placement en même temps qu’il le dédouane de la responsabilité de

l’échec de l’accompagnement.

L’on trouve cependant une interprétation strictement inverse de l’association Cap emploi qui

voit au contraire l’assouplissement des critères d’entrée dans les structures d’insertion

spécialisée comme un épineux problème :

« Mais la loi 2005 élargit au milieu ordinaire, au-delà des personnes reconnues et là

je suis réservée... Moi franchement, on va demander à cap emploi de recevoir les

publics AAH. Donc, on va devoir faire tous les diagnostics pour voir s’ils peuvent être

orientés en milieu ordinaire, parfois on va devoir redéclencher des demandes pour

que la Cotorep statue. Ce n’est pas à nous de déclarer si la personne est apte ou pas.

On ne peut pas. En termes de sens, ça ne clarifie pas les choses pour la personne

handicapée » (Cap emploi).

En revanche, cette catégorie sert à gérer les relations entretenues avec les médecins psychiatres

et les employeurs. D’une part, elle constitue un argument de négociation possible face à des

psychiatres encourageant leurs patients à exercer une activité, sans mesurer les exigences

propres à un contexte d’emploi non protégé où les personnes sont soumises à des pressions

cadentielles et à des injonctions productives :

« C’est que vous avez beaucoup de médecins psychiatres qui ont tendance à inciter

leurs patients à rechercher de l’activité. De l’activité occupationnelle, quelques

heures, ou dans le sens thérapeutique du terme. Alors que nous dans le champ de

l’insertion professionnelle, quand on parle d’activité, c’est de l’activité profession-

nelle, avec tout ce que cela signifie, les contraintes du marché du travail, les

conditions de travail que l’on ne définit pas nous et qui sont inhérentes à certains

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postes et secteurs. On peut être sur des décalages importants. Pour moi, on est dans

quelque chose de très paradoxal, très peu construit, voire…quasiment impossible à

tenir. Le maillage entre le médical l’économique et l’insertion professionnelle, c’est

la quadrature du cercle ».

D’autre part, institutionnalisée par la loi de 2005, cette catégorie représente en outre un outil de

gestion de la relation aux employeurs. Depuis peu, l’association s’est d’ailleurs engagée à ne

plus taire la difficulté mais à évoquer le handicap aux employeurs :

« Donc, maintenant, on essaie d’être sur de la transparence d’emblée, avec l’Agefip

qui est le financeur qui porte ça. On a fait appel à un prestataire qui intervient sur le

HP et qui va travailler d’abord avec la personne et l’employeur. Il y a un diagnostic

pour au bout du compte recueillir l’adhésion à la notion de transparence du

handicap. (...) Auprès de l’employeur, il faut un travail de formation et de

sensibilisation sur le HP et après, lors de la mise en situation professionnelle ou de

l’emploi que soient bien étudiées les solutions d’adaptation au poste et au handicap.

Nous, on fait tout le volet insertion ; rechercher les entreprises, proposer les offres.

Mais l’information sur le HP sera portée par ce prestataire. La loi sur le handicap de

2005, ce qui est bien, c’est qu’elle est incitative pour les entreprises. S’ils

n’embauchent pas de personnes handicapées, les contributions vont être fortes. Cela

va aider à faire tomber la représentation ». (Travail différent)

b) Un mode de gestion de la relation aux financeurs/prescripteurs

Ce type d’utilisation se rencontre bien évidemment chez les structures d’insertion de droit

commun soumises à des obligations quantitatives de placement mais également chez les

associations du secteur de droit commun spécifique.

Premièrement, la catégorie sert à justifier l’échec des démarches engagées :

« N’oublions pas qu’on est là sur le résultat d’objectif, sur un contrat d’objectifs,

c'est du contrat d’objectif financé au prorata des résultats obtenus. Auparavant, les

Missions Locales, comme des tas d’associations, avaient une délégation de service

public, mais on était subventionné au regard de notre mission. Aujourd’hui, cette

habitude de subvention des associations, la nôtre comme d’autres, est en train de

se…On finance à la prestation de services, donc on devient des prestataires de

services de plus en plus. Tout ça est logique mais ce que je veux dire par là, c'est que

ça a transformé la façon de voir, je pense que ça énormément transformé les

pratiques, et la façon même d’appréhender les problématiques. Qu’est ce qu‘on

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valorise ? C’est les résultats, c'est ceci, mais derrière qu’est ce que a amené à ça…

Quand on nous dit qu’il y a 7000 jeunes vus à la Mission Locale, et qu’on a autant de

propositions que de jeunes qui sont dans des situations, après on peut aller plus loin

sur les typologies, combien sont gardés par papa et maman, combien sont autonomes,

combien hommes, femmes, ayant des enfants, pas d’enfants, bref, on a tout ça, mais

derrière, derrière tout ça, il faut analyser tout ça, et ça, ce n’est jamais valorisé. »

(Mission Locale)

« - Vous pensez que vous arriverez à votre objectif ?

Non non non, moi c'est pas mon objectif, il est plus modeste. Moi c'est 25 %. Après

avoir avancé dans le projet...ça arrivera peut-être autour de 30, parce que c'est un

des secteurs les plus difficiles Bagatelle. Il n'y a pas la culture du travail du tout. Il y

a un désespoir par rapport à ça ou un manque de confiance... mes collègues le

ressentent pareil. C'est un public qui a beaucoup de difficultés. Donc 20% qui sont en

emploi stable et 30% qui ont avancé, je m'estimerai très heureuse. » (ANPE)

C’est également le cas des structures associatives du droit commun qui convoquent la difficulté

psychique requérant un traitement long et technique pour justifier la non atteinte des objectifs

quantitatifs de placement, desquels les financements dépendent pourtant. Ici s’origine le

décalage manifeste entre des professionnels soulignant la prolifération de « publics pétés »

impossibles à placer dans le cadre des entretiens et dans le même temps leur extrême difficulté à

nous en faire rencontrer. Même les acteurs a priori prioritairement en charge de ces personnes

n’ont pu nous en évoquer plus de six.

Cette tension entre critères d’évaluation utilisés par les financeurs et évaluation des parcours

d’insertion proposés est par ailleurs d’autant plus vive lorsque les professionnels privilégient la

transformation des personnes.

Deuxièmement, le recours à l’explication par les difficultés psychiques permet le maintien de

marges de manœuvre vis-à-vis des financeurs. En effet, la porosité de la catégorie maintient un

flou qui ne permet pas aux institutions généralistes de pleinement assumer leurs positions de

prescripteurs. Certes elles sont censés prescrire car l’orientation des publics peut s’accompagner

d’objectifs et d’attentes précises mais elles sont dans le même temps dépendantes des

associations prestataires de service qui opacifient leurs critères d’appréciation, insistent sur la

variabilité des situations, les difficultés à poser un diagnostic assis sur des déficiences

médicalement observées. Lorsque les retours sont opérés, le secret médical et la nature des

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savoirs impliqués dans les diagnostics leur est si étranger qu’ils peuvent difficilement y avoir

prise :

« Vous avez un retour donc...

- Ah oui et tout à fait précis, là j'ai le dossier regardez sans regarder le nom

Dans les objectifs c'était faire une évaluation pour mieux connaître les aptitudes

capacités sur les plans cognitif, comportemental, psychologique et médico-

psychiatrique. Les bilans sont quand même conséquents. Par exemple sont abordés les

attentes du bénéficiaire, les éléments biographiques, le parcours et situation actuelle,

les évaluations sociales, cognitives et scolaires, comportementales, et professionnelles.

Et aussi une évaluation médico psycho pathologique ». (Conseiller Anpe)

« Sachant qu’à partir de là, le travail du professionnel ne s’arrête pas là, et que la

personne soit reconnue Cotorep ou pas, enfin soit reconnue travailleur handicapé, ce

qui nous concerne nous, ça ne s’arrête pas là, tout simplement parce que la personne,

le jeune il revient avec son papier reconnu travailleur, donc dans une démarche

d’insertion… Avant on avait un dispositif qui était pour les travailleurs handicapés

mais on l’a transféré à Multipass. Ils dépendent de la mission locale, et le personnel qui

y travaille travaillait à la mission locale ». (Mission Locale)

L’engagement dans les espaces d’accompagnement proposés par le PLIE et leur détournement

vers d’autres fins que celui de l’organisation du partenariat, le partage de définition de la

difficulté psychique en découlent largement. D’un côté, la structuration partenariale permettrait

d’atténuer la fragilité des places occupées (notamment les difficultés de financement qu’elles

connaissent) mais de l’autre, chacune des associations impliquées à intérêt à maintenir une

labilité garantissant une grande marge de manœuvre dans les orientations poursuivies et un flou

ne permettant pas aux institutions généralistes de pleinement assumer leur position de

prescripteur.

c) La liminalité comme mode de gestion d’une impossible inscription

durable dans l’emploi

Enfin, le recours croissant à la difficulté psychique comme principe explicatif de l’échec des

démarches d’insertion proposés tend à construire la liminalité comme réponse institutionnelle à

une inactivité de longue durée – qu’elle soit effectivement liée ou non à des déficiences

psychiques spécifiques. Il s’agit bien souvent de convaincre l’individu et la société de (se)

reconnaître le stationnement dans un entre-deux : « [reprenant le concept de liminarité formalisé

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par Van Gennep en 1981, il s’agit de situations dans lesquelles les personnes sont] confinées

durablement ou de façon moins officielle et plus épisodique au sein d’entre-deux sociaux. Elles

occupent une position inconfortable puisqu’elles ne sont jamais totalement exclues, ni

définitivement incluses »94. Les raisons poussant les professionnels à initier une démarche de

reconnaissance du statut de personne handicapée par la MDPH le montrent remarquablement

bien.

La reconnaissance du statut de TH est par exemple censée mettre en sens les échecs rencontrés

par la personne ; notamment lorsque celle ci persiste à vouloir trouver un emploi alors même

que ses aptitudes relationnelles et sa capacité à tenir des rythmes de travail cadentiels ne le lui

permettent pas. Elle est ici support à un travail de prise de conscience, de reconnaissance de ces

difficultés :

« Il faut faire attention avec le mot handicap psychique ; d’autant plus si la personne ne

l’a pas coché sur le dossier d’inscription. Je ne le dis pas comme ça. Quelqu’un qui est

sur de la non acceptation, il y a des mots bannis. Par exemple, je ne parle jamais de suivi

psychiatrique mais de suivi par un médecin psychiatre. C’est trop connoté psychiatrique :

on pense à folie, à internement. Je ne parle pas de maladie mentale mais de maladie

psychique ; c’est important… Je vais employer un mot qui est aidant, c’est le mot

souffrance ; des formules aussi du type « malgré vous, vous savez que le handicap a des

effets », pour bien montrer que ce n’est pas la personne. C’est cela qui permet la

déculpabilisation ». (Cap emploi)

Elle permet de faire le deuil de projets impraticables et d’en redéployer d’autres. Cette

utilisation est criante dans le cas de Cap emploi considérant par exemple que les modifications

introduites par la loi de 2005 peuvent profondément perturber la relation aux individus :

« Ils vont avoir l’AAH par la MDPH à partir du certificat médical du médecin spécialiste

et éventuellement une expertise. Avec une AAH de 50%, ce n’est pas possible de subvenir

à ses besoins. La loi dit que ce public doit être accueilli et voir s’il relève du milieu

ordinaire. Est-ce que la personne relève du milieu ordinaire ? Il faut qu’on objective à

chaque fois. Une AAH c’est pour 5 ans. Une situation médicale en 3 ans ça bouge. Le

public qui arrive en AAH seule, on va faire jouer l’instance compétente de la MDPH et

amener la personne à accepter l’idée de redéclencher ou de demander une

reconnaissance de RQTH avec ce que ça implique ; c'est-à-dire que cela risque de glisser

sur de l’inaptitude. Ici la MDPH a des délais de 8 mois à 1 an, dans d’autres territoires,

94 Blanc A., 2005, p 12

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c’est trois mois. Si au bout de 8 mois, la personne est déclarée inapte, elle ne relève plus

de chez nous, donc elle sort. Vous voyez ce que cela implique pour la personne. » (Cap

emploi)

En mettant les personnes à l’abri de la sphère du travail ou en les inscrivant dans des filières

d’accès à un travail « protégé », la reconnaissance du statut de personne handicapée représente

en outre une porte de sortie permettant de dépasser le hiatus existant entre d’un côté, les

aspirations individuelles et, de l’autre, l’inadéquation entre les exigences des employeurs et les

compétences incorporées du public95.

« Pour moi le handicap, il pose deux choses, je fais une très grande différence entre ce

qui relève de la RQTH et ce qui relève du handicap inaptitude, pour moi c'est deux

mondes qui sont différents. Effectivement la recherche d’une RQTH, est la variable

d’ajustement, la mieux adaptée au travail qui est aujourd’hui plus exigeant, et qui par le

fait de compensations financières permettraient à une personne, qui était un peu limite, de

pouvoir revenir… » (Mission locale)

« Après avec les nouveaux textes qui sortent de la transformation des entreprises

adaptées on s’aperçoit que tout tire vers le haut et que les gens en difficulté vont rester

sur le… je pense qu’on va quand même avoir de gros soucis avec des gens qui vont rester

sur la touche avec rien à proposer derrière. Je pense. On veut ramener tout le monde vers

le milieu ordinaire, c’est une volonté de l’Etat et je ne sais pas…il faudrait au contraire

qu’il y ait plus d’ateliers qui se développent, plus de CAT…entre le foyer de vie et

l’atelier protégé, il n’y a rien…bon on se dit que de mettre en place des actions comme ça

ça peut permettre l’entre-deux. » (CRIC)

En substance, les professionnels de l’insertion ne conseillent pas aux individus de se faire

reconnaître comme handicapé parce qu’ils sont convaincus du handicap mais parce qu’ils sont

convaincus de la situation liminale de la personne. Si insatisfaisante soit-elle, la réponse

COTOREP permet de restaurer l’identité de l’individu (à supposer bien évidemment qu’il se

retrouve dans cette situation de liminalité), d’institutionnaliser une sédentarisation dans des

dispositifs qui se veulent une transition vers l’emploi et d’organiser des droits pour les

personnes installées dans cette situation d’entre deux :

95 Il apparaît en effet que les compétences professionnelles faisant défaut recouvrent moins la formation que la capacité à plier son corps aux exigences de flexibilité/productivité (rythme de travail) ou encore l’aptitude à gérer les relations professionnelles qui en découlent (rapports à la hiérarchie problématique, gestion du stress).

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« (à propos des droits ouverts par la reconnaissance du statut de travailleur handicapée

par opposition au droit commun) - Cette allocation est identique au RMI ou elle est

supérieure ?

Elle est liée à la quotité de travail. Bon cette personne moi je l'ai laissée inscrite, c'est

toujours pareil, gestion délicate parce que normalement, elle n'aurait plus du être

inscrite ; du fait de son handicap elle aurait dû disparaître de nos fichiers et perdre

l'ASS. »

Sous cet angle, les usages politiques de la difficulté psychique permettent aux acteurs de

l’insertion de dépasser la liminalité dans laquelle les injonctions paradoxales de l’Etat les

placent eux-mêmes en invitant des individus dont ils sont bien souvent peu convaincus de la

pathologie ou du handicap à s’inscrire dans des dispositifs de gestion sociale de cette liminalité

(reconnaissance de droit).

« Là je lui ai envoyé un petit mot pour savoir où il est parce que le bilan du CRIC est

arrivé et comme tous les bilans où il y a un diagnostic santé qui est posé, le travail c'est

pas la peine. Alors bon les personnes acceptent ou non. Des fois elles acceptent dans un

premier temps et finalement lui il a changé d'avis et il s'est réinscrit à l'ANPE parce que

dans ses valeurs le travail est très important. C'est pour ça qu'il a toujours eu un bon

rapport avec l'ANPE, il a accepté les aides mais par contre il ne peut pas faire. »

(Conseiller Anpe)

En bout de course, l’orientation vers l’itinéraire COTOREP découle moins d’un processus de

médicalisation du social (la présence de médecins ou la réinterprétation de problèmes sociaux à

partir de catégories du médical) que d’une utilisation stratégique d’un dispositif organisant des

protections sociales et des droits tout en reconnaissant une situation d’entre-deux ayant de fortes

chances de perdurer.

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3. Conclusion de la deuxième partie

Pour conclure, l’étude des positionnements et pratiques professionnelles fait apparaître deux

éléments saillants.

Premièrement, la référence croissante à des souffrances ou à des difficultés psychiques

expliquant les parcours d’insertion erratiques des personnes ne s’appuie ni sur des savoirs

médicaux ou psychiatriques vulgarisés, ni sur les définitions institutionnelles ou associatives qui

en ont été données à l’échelle nationale. En ce sens, les désignations des difficultés

« psychiques » ne découlent pas d’un processus de réception/traduction de savoirs exotériques

(au sens d’étrangères à la communauté professionnelle) mais plutôt d’une activité collective

fortement dépendante des configurations politico-institutionnelles dans lesquelles les acteurs se

trouvent et des rapports de coopération/concurrence qui les caractérisent (Le Galès in Palier

2005).

Deuxièmement, les définitions données s’appuient sur des désignations profanes de ce que

constitue le psychique en référence à un processus de civilisation analysée par Norbert Elias :

codification de troubles de l’employabilité impliquant une gestuelle inadaptée, un écart aux

temporalités sociales normalisées et à la norme de neutralité affective et émotionnelle.

Troisièmement, si l’on ne peut pas dire que les professionnels adhèrent à l’explication par les

difficultés psychiques par strict intérêt, force est cependant de constater qu’ils sont tout à fait

capables d’utiliser cette référence cognitive pour gérer, dépasser ou contourner les injonctions

paradoxales avec lesquelles ils se doivent de composer. De sorte que, qu’elle soit médicalement

fondée ou non, la catégorie du trouble psychique constitue un moyen de gérer des relations

d’interdépendance problématiques entre partenaires territoriaux et de contourner la tension

existante entre les aspirations individuelles socialement normalisées et les possibilités objectives

d’y parvenir.

Enfin, elle éclaire d’un jour nouveau le processus de sanitarisation du social étudiée par Bresson

et al. Si l’on peut admettre un processus de relecture des difficultés sociales à partir de

catégories se réclamant du médical, c’est moins du fait d’une prédominance des professionnels

de la santé dans les espaces de l’intervention sociale (encore fortement compartimentés) encore

moins du fait d’une adhésion collective subite à l’idéologie de la thérapie sociale ou d’une

psychologisation du social (Bresson) mais essentiellement du fait d’une mutation structurelle :

la liminalité tend à devenir un mode de résolution de la tension entre capacités d’action et

injonctions étatiques, entre prise en charge assurantielle inconditionnelle et contreparties

productives. La dernière partie de ce rapport vise à comprendre la manière dont les individus

désignés vivent cette période.

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TROISIEME PARTIE

Les rapports à l’emploi

et à l’insertion des jeunes :

Le poids de l’étiquetage institutionnel

et des socialisations genrées

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Le troisième volet de cette recherche s’est adressé à une dizaine de jeunes de 20 à 35

ans, qui nous ont été présentés par différents professionnels de l’insertion comme

répondant aux définitions proposées : personnes ayant suivi un parcours plus ou moins

long dans les dispositifs de l’insertion économique et ayant fait l’objet d’un étiqueté

« en difficulté psychique », que ces personnes aient été ou se soient engagées ou non

dans un cursus de déclaration en tant que Travailleur Handicapé, ou Adulte handicapé.

Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits intégralement, certaines monographies

pouvant se compléter du point de vue du professionnel « médiateur » sur la situation et

le parcours des jeunes considérés.

Ce volet d’enquête s’est avéré particulièrement difficile à réaliser, avant tout du fait de

la difficulté significative qu’ont le plus souvent connue les professionnels sollicités à

mettre les enquêteurs en contact direct avec les « jeunes », avec lesquels ils

entretiennent eux-mêmes des relations plus ou moins suivies.

Au stade de ce rapport, l’exploitation des résultats de ce volet n’est pas totalement

achevée.

Le texte qui suit est une première synthèse réalisée à partir des 6 premières

monographies, soit un texte intermédiaire qui sera appelé à être complété, remanié et

synthétisé, dans la perspective de publications à venir.

Ce texte permet toutefois de situer les principaux constats de la recherche à ce niveau,

et de jeter les bases d’une analyse comparative entre points de vue endogènes et

exogènes.

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Qu’elles soient inscrites en sociologie politique ou en sociologie de la santé, les recherches

françaises qui se sont intéressées aux questions de santé publique se sont largement intéressées

aux processus de réception/contournement des catégories institutionnelles par les individus

ciblés : par exemple la manière dont des patients profanes déformaient les propos médicaux. Or

la recherche conduite nous encourage à effectuer deux déplacements.

Le premier déplacement concerne le glissement de l’étude des processus de réception à celle des

processus de constitution ordinaire des difficultés vécues par les individus eux-mêmes. C’est par

exemple la perspective suivie par Marcel Calvez qui interroge la manière dont les individus

ciblés s’approprient, résistent ou contournent les catégories de risque et de handicap mobilisées

par les pouvoirs publics, selon les contextes sociaux dans lesquels ils s’inscrivent. A l’instar des

résultats préalablement obtenus par les travaux de sociologie de la santé, la recherche conduite

montre, d’une part, combien les catégories mobilisées par les textes nationaux et par les

professionnels territoriaux sont en effet éloignées de la manière dont les jeunes hommes et les

jeunes femmes définissent leurs difficultés et d’autre part, dans quelle mesure ces derniers se

livrent à une activité de mise en sens qui dépasse largement la seule réception/adaptation des

désignations médicales ou institutionnelles. Nous interrogerons donc les décalages existants

entre d’un côté les désignations institutionnelles et professionnelles de ce qui fait handicap et de

l’autre, les constitutions profanes des difficultés vécues. Nous examinerons parallèlement les

processus sous-tendant ces désignations juvéniles. Pour ce faire, conformément à la

problématique retenue, nous avons cherché à identifier le type de groupes auxquels les publics

se réfèrent dans la description de leurs parcours d’insertion et l’explicitation de leurs choix ainsi

que la nature des rapports entretenus à leur endroit. Ce choix méthodologique résonne avec une

conception non essentialiste de l’identité s’attachant à saisir les formes identitaires structurées

par les jeunes puis la manière dont elles pèsent sur leur définition de l’autonomie (le travail

constituant un ressort possible) et des difficultés rencontrées -notamment les rationalités genrées

dont ils témoignent et les temporalités dans lesquelles ils s’inscrivent-. Ainsi que le souligne

Claude Dubar, la notion de forme identitaire renvoie à « un processus de construction et de

reconnaissance d’une définition de soi satisfaisante pour le sujet lui-même et validée par les

institutions qui l’encadrent et l’ancrent socialement en le catégorisant »96. Considérée sous cet

angle, l’identité se construit aussi à travers le passage dans les institutions et à l’occasion de

transactions relationnelles avec un certain nombre d’autruis significatifs dont la mise en récit

témoigne.

Le second déplacement est lié à deux caractéristiques de notre terrain de recherche. Primo,

contrairement aux cas des maladies mentales, celui-ci ne met pas seulement en scène des

96 DUBAR C., 2004

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personnes dont les aptitudes/inaptitudes ont été précocement identifiées comme éloignées des

étalons normatifs médicaux ; étant entendu que ces professionnels disposent de points de vue

particuliers sur les aptitudes intellectuelles et relationnelles moyennes. Toutes les personnes ont

été rencontrées par le biais d’associations gérant l’insertion socioprofessionnelle et sont entrées

dans les dispositifs COTOREP à partir du constat de leur éloignement à des étalons normatifs

scolaires (dans le cas de B., de Marie L) ou professionnels (lenteur au travail, problème de

compréhension des consignes). Les critères utilisés pour mesurer leurs difficultés émotionnelles,

relationnelles ou cognitives sont donc très différents. Secundo, nous nous sommes intéressés à

un public jeune (de 20 à 30 ans). Si pour les acteurs du médical, ce choix pose des questions

relatives à l’apparition des pathologies mentales et à la fiabilité du diagnostic posé, pour le

sociologue il offre l’opportunité d’interroger un secteur de l’insertion qui reste largement aux

mains des acteurs associatifs, de prendre en compte la diversité des modes d’inscription sociale

envisagés à cette étape biographique et de saisir les formes d’implication familiale à la fois en

en matière de soutien et de formulation des difficultés rencontrées. Nous avons donc largement

tenu compte des moments biographiques à partir desquels la distance aux univers et exigences

professionnelles est expérimentée, mise en sens et gérée individuellement et collectivement.

C’est donc à partir de ces interrogations que nous avons interrogé des hommes et des femmes

âgés de 20 à 35 ans. Dans la mesure où notre recherche porte sur les situations désignées par les

professionnels de l’insertion comme relevant de la difficulté psychique (à tort ou à raison), nous

n’avons pas sélectionné les jeunes enquêtés à partir de leur dossier médical et des diagnostics

effectués. Ils et elles nous ont été désigné-es par les structures d’insertion qui les suivaient.

Parmi les 6 jeunes interrogés (3 hommes, 3 femmes âgés de 20 à 35 ans), peu présente des

troubles catégorisés comme psychiatriques et aucun ne souffre de pathologies désignées par les

associations comme relevant de la problématique « handicap psychique » (psychoses ou

syndrome maniaco-dépressif par exemple)97. Deux d’entre eux ont pourtant connu un placement

précoce en institutions éducatives spécialisées : un bénéficie d’une reconnaissance COTOREP

et deux en ont fait la demande suite à des recommandations institutionnelles liées à leur échec

dans des situations d’emploi ordinaire (G. et K). Dans ces deux cas, l’étiquetage est tardif et

leurs difficultés sont originées dans les expériences d’emploi préalables (problème de lenteur,

de compréhension qui témoignent d’un certain éloignement des catégories médicales)98.

Pratiquement tous ont eu des expériences professionnelles en milieu ordinaire. Comme la

97 Ce résultat semble corroborer l’analyse quantitative des dossiers médicaux de jeunes patients, placés en établissements spécialisés réalisée par A. Parnou et F. Sicot. 98 L’hypothèse d’un traitement différentiel selon les classes sociales ne peut pas être traitée ici mais mérite d’être posée. On constate notamment une tendance à la prise en charge spécialisée précoce par des institutions éducatives pour les enfants issus de milieu social aisé et au contraire un étiquetage tardif sur la base d’un handicap social à l’emploi pour les autres.

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plupart des individus de leurs groupes générationnels, tous ont connu ou pour certains

connaissent encore des relations familiales difficiles – mésententes, recompositions familiales –

de sorte qu’il nous paraît difficile d’en faire une dimension discriminante.

En revanche, ce moment biographique singulier dans lequel les jeunes se situent à des

incidences évidentes sur la manière dont les difficultés qualifiées de psychiques par les acteurs

de l’insertion sont mises en sens. En effet, tous les entretiens effectués tournent davantage

autour de la question de l’autonomie (du devenir adulte) que de la question de l’emploi ou de la

maladie stricto sensu. L’analyse des entretiens nous a permis de mettre au jour les dimensions

structurant leur rapport à l’insertion et la place que l’emploi y occupe. Premièrement, les

définitions que les jeunes donnent à l’insertion sont bien différentes des catégories officielles et

des dispositifs institutionnels censées l’organiser. Deuxièmement, en lieu et place de l’insertion

à laquelle les professionnels font référence, les récits des jeunes témoignent plutôt d’une quête

d’autonomie profondément genrée : c’est à dire dépendants non pas de prédispositions

naturelles découlant des sexes biologiques mais des contextes socio-familiaux distincts dans

lesquels les jeunes hommes et les jeunes femmes s’inscrivent et des injonctions de genre

auxquels ils/elles adhèrent. Troisièmement, les logiques d’autonomisation dépendent également

des types d’étiquetages institutionnels expérimentés par les jeunes. Enfin, le croisement entre

ces parcours institutionnels et les socialisations genrées renseigne les rapports à l’emploi et les

attitudes face aux acteurs de l’insertion et à la reconnaissance MDPH.

I- Des conceptions décalées de celles promues

par le modèle insertioniste français

L’analyse des dispositifs institutionnels et associatifs et des pratiques des professionnels de

l’insertion (Deuxième partie) a montré que les acteurs s’appuient sur une conception de

l’autonomie assez proche de celle structurée autour de l’idéal bourgeois du XXème siècle – une

capacité de maîtrise de son parcours et une aptitude à l’autoréalisation personnelle faisant la part

belle au projet de vie. Or l’étude des récits des jeunes hommes et des jeunes femmes enquêtés

fait au contraire apparaître deux éléments importants affectant leurs rapports aux acteurs et

dispositifs institutionnels.

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1. Un monde de l’opportunité, peuplé de coups, de tentatives,

de personnages providentiels ou de censeurs

Les jeunes interrogés témoignent d’une conception de leur vie qui relève moins de la trajectoire

(conception au demeurant construite et partagée par bon nombre de sociologues) que d’un

cheminement à travers des situations proposant des bifurcations, qui ouvrent et ferment le

champ des possibles sans que les jeunes y voient des logiques spécifiques sur lesquelles avoir

prise.

Premièrement, la description des parcours d’insertion se présente sous la forme d’un inventaire

des tâches effectuées, des statuts occupés, des rapports aux employeurs - et dans une moindre

mesure aux collègues - expérimentés à ces occasions :

« Les stages et formations, c’était dans ce secteur aussi de la petite enfance ?

Très différent (rires) J’ai fait... le seul emploi où ça a vraiment marché et où j’ai senti que

là on avait vraiment… comment dire... on avait confiance en moi. C’était les 6 mois à la

préfecture un CES. Cela a très bien marché, la personne avec qui je travaillais avait

même demandé au patron pour qu’il me garde. Donc j’ai dit pour une fois qu’on est

content de mon travail et tout ça. Bon ça fait quand même plaisir donc malheureusement

le CES n’a pas pu être renouvelé ; Après j’ai fait pas mal de stages en crèche donc…au

début…je suis un peu à la petite enfance parce que ma mère est ASMAT donc les

enfants… donc… disons que j’ai fait 6 ans aussi de garde d’enfant à domicile ; j’ai gardé

un petit de 3 mois à 3 ans à peu près et une petite fille à 6 h du matin que j’emmenais à

l’école donc 2 ou 3 heures par jour (…) Donc j’ai déposé des cv, des lettres de

motivations. J’attends des réponses mais j’ai l’impression que ça n’aboutit à rien donc là

j’ai quelqu’un qui m’a proposé une formation FFPE c’est à dire fédération pour l’Europe

euh. Donc ils m’ont proposé l’école de la 2ème chance donc ça ne me dérange pas de

retourner un peu à l’école parce que, déjà chez moi, je travaille un peu le français, les

maths, l’espagnol. J’ai gardé des docs des lieux ressources formation donc je travaille un

peu toute seule ». (K.)

« (récit du parcours d’insertion) je suis arrivé ici à Toulouse le 14 février 2004 parce que

j’étais à Avignon avec mon père, en fait je devais passer un diplôme… en fait, je devais

passer mon CAP de maintenance bon bé, je n’ai pas pu le passer parce que j’ai eu des

problèmes, ça a tout cassé. En plus j’aurais pu l’avoir mon CAP, et bon quand je suis

arrivé à Toulouse, j’ai commencé par m’inscrire à l’Assedic, après j’ai fait ma formation

CFA, je voulais faire, j’avais le contrat d’apprentissage et puis voilà après jusqu’à

maintenant... voilà.

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- Et les stages c’était toujours comme à champion ?

J’ai fait que dans les magasins. Quand je suis arrivé à Toulouse, j’ai fait que dans les

magasins et j’ai travaillé à ATTAC à Fonbesarbes, après j’ai travaillé à Netto à Saint

Alban après au « Mim » aux minimes et après le dernier stage, je l’ai fait à Champion ».

(G.)

« J’ai quitté le lycée à 19 ans, non la scolarité à 19 ans, j’aurais souhaité rentrer en fac à

une époque, droit, mais finalement j’ai pas pu donc je me suis ra… je me suis retrouvé en

fait à… donc je vais vous expliquer plus particulièrement mon parcours. Après donc j’ai

une école normale jusqu’en 3ème, après j’ai voulu faire un BEP de PAO, seulement il faut

savoir que Jolimont est le seul lycée qui traite de ça et il y a quelques 300 demandes pour

15 places. Donc la première fois je me suis retrouvé 125ème et cette année là je me suis

retrouvé en …vous savez les gars sur les chantiers qui prennent les mesures et au bout de

4 mois le prof m’a dit tu n’y arriveras pas, parce que c’est très mathématique et

qu’apparemment j’avais pas les bases, ça a jamais été mon truc. Après ça je me suis

retrouvé en stage de peintre en bâtiment de 2000 jusqu’en 2002, je n’ai pas eu mon BEP

non plus et donc j’avais refait une demande et là j’étais 18ème pour 15 places… bon tant

pis. Après ça je me suis retrouvé sans rien donc je me suis inscrit à l’ANPE, c’est là que

je suis rentré à la mission locale, j’avais 19 ans, j’ai fait un CES à L’IUFM de l’avenue

de Muret, j’ai fait 6 mois, jusqu’en Août 2003…

- Et là il s’agissait de quoi faire ?

- En fait c’était pour qu’on me paye les Assedic (…) » (B.)

Cette mise en récit souligne combien les jeunes interrogés sont bien loin de la notion

institutionnelle de parcours commandant le repérage de ressources initiales, de choix articulés et

motivés les uns par rapport aux autres. Se dessine ici une conception tout à fait différente de leur

propre biographie - très éloignée de la manière dont le modèle insertioniste français la dessine et

les professionnels en charge de l’accompagnement la pensent - d’où comme nous le verrons

l’absence de repérage de moments charnières impliquant une relative irréversibilité des parcours

(le dossier Cotorep). Bien souvent, les difficultés professionnelles et la galère renvoient à des

ruptures non comprises et non anticipées – le sentiment d’un arbitraire : « ça s’est pas bien

passé », « ça a tout cassé ».

De là, deuxièmement, découle la difficulté à identifier les moments clefs des parcours tracés par

les dispositifs institutionnels et à développer des stratégies spécifiques. Que ce soit dans le

domaine scolaire ou professionnel, les récits consignés font par exemple état d’une série de

situations et de statuts qui ont eu des incidences évidentes sur l’après, sans que pour autant ces

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moments charnières n’aient été réellement perçus et n’aient fait l’objet de stratégies spécifiques.

Cette spécificité est particulièrement visible dans l’attitude que les jeunes étiquetés par les

acteurs de l’insertion adoptent à l’endroit des dossiers Cotorep qu’on leur propose de monter.

Sous cet angle, la catégorie difficulté psychique n’est pas perçue comme stigmatisante dans la

mesure où elle n’est pas identifiée comme une exonération des obligations productives mais au

contraire comme un passe-droit vers un emploi qui ne sert pas seulement l’insertion sociale

mais la gestion du rapport de filiation et de génération : grandir, devenir femme, homme et pas

seulement fille ou fils de. Les avertissements associatifs quant aux incidences d’un tel

étiquetage sont même vécus comme des stratégies de découragement : « J’ai eu un entretien

avec une association et j’ai dit que j’allais faire un dossier Cotorep et elle me dit « je vous

donne un conseil, il faut surtout pas le dire parce que… ce genre de choses, ça va vous fermer

les portes plutôt qu’autre chose. - Ah bon ? Alors est ce que c’est pour me faire peur et me

plonger encore une fois – comme d’habitude ? Ou bien… seulement la réalité. J’ai dit « stop le

dossier, il a déjà été fait, si ça marche tant mieux, si ça ne marche pas tant pis ». Mais j’aurais

essayé quand même ».

Cette perception de la demande de reconnaissance de personnes handicapées hérite d’une

lecture tout à fait particulière des aides institutionnelles, appréhendées de manière synchrone, à

partir d’une connaissance d’usage et non en termes de dispositif, dans les articulations

existantes. Voici ce que K. et G. nous disent de leur dossier Cotorep :

« Comment vous l’envisagez cette mesure ?

Je pense que… ils connaissent bien leur métier donc je pense qu’ils vont m’aider à

trouver un métier qui correspond plus que si je me débrouille toute seule ou si je vais

dans une direction qui ne me va pas. Donc je me dis « peut être que là j’aurais plus de

chances de trouver quelque chose qui me soit plus…. » (K.)

« Et à partir de là, elles vous ont dit que c’était mieux d’envisager un CAT…Voilà et de

monter un dossier de COTOREP parce que j’en avais besoin et que ça m’aiderait. Est-ce

qu’elles vous ont expliqué ce que c’était ? Oui oui, je connais. En fait c’est une

reconnaissance de Travailleur Handicapé, c’est pour m’aider ou pour aider les patrons à

m’aider à m’en sortir donc... voilà ». (G.)

De là, on constate troisièmement qu’ils ne considèrent pas les acteurs institutionnels comme des

autruis significatifs structurant leurs parcours, et ce même s’ils les fréquentent assidûment.

Certes, ils apparaissent dans les phases de recherche d’emploi. On constate d’ailleurs ici que les

jeunes ont une bonne connaissance d’usage des aides proposées et une relative capacité

d’activation des dispositifs institutionnels (peut être surtout les jeunes femmes). Ceci étant, ils

ne constituent pas des acteurs significatifs ayant une incidence sur la manière dont les jeunes

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pensent leurs propres aptitudes et difficultés ou encore les stratégies de recherche à engager. Le

récit des contacts noués concerne essentiellement les résultats qui s’en sont suivis (attribution

d’une aide, montage d’un dossier, coups de téléphone passés), sans évocation des propositions

de mise en sens sur lesquelles les professionnels enquêtés fondent pourtant leur identité

professionnelle et leurs pratiques d’accompagnement. Ainsi G. fait-il un récit de la décision de

faire une demande d’entrée en CAT qui souligne à quel point les acteurs institutionnels sont

perçus comme des aidants administratifs dont il se préoccupe peu de comprendre les ressorts et

implications des décisions :

« Comment vous en êtes arrivé à ce CAT ? Au début, ça a été difficile parce je travaillais

dans un milieu ordinaire, chez un patron à champion et puis bon on voyait…comme j’ai

beaucoup de difficultés, ma référente de la ML et ma référente du CFA, on a eu un

entretien et à toutes les deux, elles ont vu que le milieu ordinaire, c’était plus pour moi et

qu’il me fallait un milieu protégé ».

Mais le cas le plus significatif est assurément celui de K. qui témoigne d’une forte capacité

d’activation des aides institutionnelles et associatives, et dans le même temps, d’une absence de

lecture des critères sur lesquels se fondent les décisions et de leurs implications.

« Pourquoi êtes vous allée là bas (la FFPE) ? Parce que vous étiez déjà suivi par

plusieurs structures, la COTOREP, le PLIE ?

Oui et aussi la maison de l’emploi. En fait j’ai RV demain, non, cette après-midi. Mais

par contre FFPE, en fait c’est ma copine qui m’en avait déjà parlé une fois. J’en ai parlé

au FFPE et donc ils m’ont dit : « on peut vous proposer l’école de la 2ème chance ». C’est

bien parce que quand on n’aime pas l’école – bon là, je travaille un petit peu donc je

pense que ça va – et ensuite il y a des stages à côté rémunérés et ça c’est bien.

- Et c’est votre amie qui connaissait la FFPE ?

Non c’est l’école de la 2ème chance qu’elle connaissait, elle en avait entendu parler. Et

donc j’en ai parlé avec la FFPE.

- Qui vous a orienté sur FFPE ?

C’est le PLIE (…) Bon là, en ce moment, je touche le RMI en fait là j’ai rencontré une

personne du RMI pour voir un petit peu le suivi que j’ai ici et voir un petit peu,

d’organiser pour que je puisse trouver quelque chose. Donc là, dès que j’ai l’entretien

avec la personne qui me suit ici, on va l’appeler pour voir… Parce qu’en fait, le Plie

s’arrête mi-novembre mais peut être qu’il y aura prolongement ou peut être pas. Donc

c’est en fonction, le RMI, il reprendra le relais.

- C’est pour ça qu’elle demande que vous vous organisiez ici, pour que vous ayez encore

du financement ?

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Voilà, avoir un suivi pour chercher du boulot.

- Vous êtes dans le Plie depuis quand ?

Depuis un petit moment….

- A peu près…

Silence euh… je crois 3 ans à peu près. Je n’ai pas envie de dire des bêtises mais à peu

près.

- Et dans le suivi Plie, vous avez toujours affaire à la ML ou à d’autres personnes ?

Surtout la personne du PLIE. (...) Et c’est vrai que c’est juste avec le PLIE pour l’instant

et en fonction de si ils vont me prolonger le PLIE ou pas, ce sera la personne du RMI qui

prend le relais pour m’aider à faire des recherches de formation.

- La personne du RMI fait aussi l’accompagnement professionnel ?

Apparemment oui… comme c’est financé par le conseil régional… euh je ne sais plus le

terme... donc en fait comme ils ont besoin de savoir qui prendra le relais et tout ça et

donc avec Mme N. (du PLIE), on va les appeler pour voir comment s’organiser. »

- Au niveau du suivi Plie, c’est la partie professionnelle et on vous aide à quoi faire ?

Disons à trouver des formations, des stages, un peu tout mais c’est vrai que là, je vous dis

je galère vraiment pour trouver du travail, là je n’y arrive pas quoi ….Et pourtant je fais

pas mal de chose entre l’intérim et les associations pour les gardes d’enfant tout ça ! J’ai

l’impression que... je ne sais pas… » (K.)

Malgré la transformation des modes de suivi impliquant une relation interindividuelle parfois

régulière (le référent), le seul cas où les acteurs institutionnels apparaissent structurants et objets

d’identification concerne les jeunes précocement pris en charge dans des structures éducatives

spécialisées.

2. Faire sa vie ou se saisir des opportunités

L’analyse des discours montre également que les jeunes ont une conception des aptitudes à

« faire leur vie » qui sont moins reliées à des dimensions réflexives individuelles (prendre du

recul, construire un projet, identifier les tensions psychologiques dans lesquelles ils se trouvent

et les dépasser) qu’à leurs capacités à multiplier les opportunités et à les saisir.

Cette distance à l’idéal de gestion réflexive explique premièrement leur distance aux acteurs et

explications médicales censées rendre compte de leur défaillance – et ce même s’ils fréquentent

des médecins et des psychologues.

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Tout d’abord, la relation aux acteurs du médical est assez proche de celle observée dans les

autres catégories de population. Est régulièrement cité le médecin généraliste, seul acteur

médical réellement approprié « mon médecin traitant » puis dans certains cas une série de

spécialistes rencontrés occasionnellement et souvent sur le tard. Au plan des perceptions que les

jeunes en ont, deux dimensions récurrentes apparaissent. D’une part, les soignants restent ceux

qui interviennent sur des aspects physiologiques. Par exemple, les psychologues rencontrés sur

demande des structures d’insertion demeurent a minima des « gens avec qui l’on parle » (K),

« qui nous aident à connaître nos défauts » (B.) mais pas réellement des professionnels

intervenant sur des questions de santé :

« Et dans le suivi Plie, vous avez toujours affaire à la ML ou à d’autres personnes ?

Surtout la personne du PLIE. Après je vois un petit peu J. (le psychologue de

l’association) quand…il me dit : « quand tu as besoin de venir me voir ». (Y.)

Au-delà du statut institutionnel des praticiens et du type d’étude médicale ou psychologique

qu’ils ont pu effectuer, ces jugements tiennent essentiellement au fait que les difficultés

émotionnelles (stress, mal-être, angoisse), personnelles (manque de confiance en soi) ou

cognitives (problème de concentration) ne sont d’une part pas perçus comme relevant de la

maladie et donc du médical et d’autre part perçus comme des facteurs expliquant leurs

difficultés. Tel est le cas de K. :

« La Cotorep, vous en avez discuté avec votre médecin, le médecin généraliste ?

- Avec mon médecin généraliste oui …que je connais depuis 89 parce qu’en fait, je suis

née à Toulouse, après on a déménagé en Seine et Marne - du côté de Paris - et après, on

est redescendu sur Toulouse. C’est vrai qu’elle me connaît bien et donc elle m’a dit

« mais pourquoi tu ne m’a pas parlé de ce problème (de lenteur au travail)… depuis

qu’on se connaît… ». C’est vrai que je n’ai pas eu l’idée et c’est vrai que je me disais

« bon, ce n’est pas la peine de parler de ce genre de chose parce que je ne voyais pas

l’utilité disons ». Bon elle m’a dit « écoute il n’y a pas de problème, je te signe les papiers

et on verra bien comment ça se passe ».

Mais le cas le plus typique est assurément celui de B., en suivi psychologique depuis plusieurs

années :

« Avez-vous des problèmes de santé ?

- Non, je me porte comme un charme.

- Et du côté de la santé « mentale »…vous m’avez dit avoir vu beaucoup de

psychologues ?

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-Des fois j’ai des excès de… je m’emporte, comme je me suis emporté devant vous tout à

l’heure [l’enquêteur ne voit pas à quoi il fait allusion !] et là je peux être extrêmement

violent (…) Vous savez c’est intéressant avec les psychologues, ils peuvent paraître

inutiles si vous les voyez qu’une ou deux fois, au bout de 5, 6 fois… le but en fait des

psychologues est de vous apprendre vos défauts. J’ai vu tellement de psychologues avec

les années que je crois que... je ne veux pas me jeter des fleurs mais j’ai développé une

certaine capacité à réfléchir, à analyser les choses, ce qui m’a permis d’évoluer d’évoluer

d’évoluer, d’aller constamment de l’avant et de laisser les mauvaises choses de côté. »

(B.)

D’autre part, même dans le cas de jeunes précocement confrontés aux acteurs médicaux, on

constate un éloignement évident des catégories du médical. C’est le cas de G. dont le père

atteint d’une maladie nosocomiale s’est vu amputé de ses deux jambes et dont l’oncle maternel

qui l’a élevé est amputé de doigts à une main. Cette histoire familiale tout à fait spécifique a

induit une proximité au médical. Ceci étant, G. en a davantage retiré une connaissance relative

des aides institutionnelles percevables dans ce type de situation (évocation du terme de pension

d’invalidité qu’il reprend d’ailleurs pour désigner l’argent que son père lui verse). Le langage

des soignants et les désignations du médical apparaissent peu significatives et toujours relues à

partir de son expérience sociale. Par exemple, le récit de la rencontre imposée avec un

neurologue insiste essentiellement sur la formalité administrative que cela représentait, puis la

difficulté à obtenir un rendez-vous pourtant nécessaire à la procédure Cotorep et à l’obtention

d’un emploi en milieu protégé (CAT). De la même manière, la consultation d’un cardiologue

ayant invalidé le diagnostic ordinaire co-construit par le jeune homme et son oncle maternel

pour expliquer sa lenteur au travail n’a aucunement changé les cadres interprétatifs mobilisés.

« A partir de là, vous avez monté un dossier, vous avez vu des médecins ?

Non parce que là mon dossier là, il est en cours parce que, normalement je devais passer

en commission le 23 mais comme il y a eu du retard… Parce que j’ai passé un test avec

mon neurologue et donc ça a mis du retard.

- Le test avec le neurologue, c’est le votre ?

Non c’est quelqu’un que je ne connaissais pas, c’est mon médecin traitant qui m’a envoyé

là bas…

-OK et donc votre médecin traitant pensait que c’était bien ?

Non parce que c’est la Cotorep qui demandait. Parce qu’en fait, j’avais envoyé mes

examens et en fait il manquait deux examens complémentaires pour la neurologie et la

rhumatologie.

- A cause de votre dos ?

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Voilà.

- Comment ça s’est passé ?

Bien, le rhumatologue, il était bien. J’ai passé des radios et il a vu que j’avais le dos

complètement éclaté et donc il m’a… en fait, il a trouvé que j’ai un problème de bassin.

J’ai une hanche qui est plus grande que l’autre, donc j’ai un déséquilibre, donc j’ai un

écart de 24 mm, donc ça pèse. Il a trouvé que ma lombaire était comme ça (geste

indiquant le décalage). Donc il m’a prescrit des séances de kiné et il m’a dit que quand

j’aurais fini, que je revienne le voir pour qu’il me prescrive une semelle orthopédique

pour équilibrer ».

On constate donc une sorte de mise en équivalence des aides financières censées recouvrir des

situations tout à fait différentes : RMI, AAH, ANPE.

II. La quête de l’autonomie : des conceptions

et des stratégies genrées

La notion de rationalités genrées mérite quelques clarifications préalables. Contrairement à ce

qu’une utilisation rapide peut sous-entendre, on ne saurait déduire du sexe biologique des

aptitudes relationnelles ou psychologiques réifiées. C’est au contraire en analysant les rôles de

genre auxquels les jeunes adhèrent et le champ des possibles qui leur est effectivement ouvert

que nous entendons dégager les médiations par lesquelles ces derniers pèsent sur les situations

objectives des jeunes, la perception qu’ils et elles ont de leurs difficultés et les stratégies

développées (de changement ou de maintien du statu quo). Cette grille de lecture nous a permis

de distinguer des parcours féminins et masculins que nous illustrerons à chaque fois par des cas

exemplaires.

1. Les parcours masculins Ils se caractérisent par une plus grande distance des jeunes hommes aux projets et temporalités

familiales. D’une part, les autruis familiaux sont moins présents et lorsqu’ils le sont, ils sont

davantage aidants que contraignants. C’est le cas de G. soulignant combien sa mère, sa

compagne, son beau-père et son père l’aident. Même lorsque les désaccords existent, les jeunes

hommes estiment pouvoir se dégager des contraintes « Je ne m’entendais plus avec ma mère

donc j’ai décidé de partir, maintenant ça se passe bien ».

Les rapports de genre et les rôles sociaux qu’ils contribuent à façonner ont également des

incidences sur les formes identitaires (l’identité pour soi/pour autrui notamment) et l’explication

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des difficultés rencontrées. Ainsi que le montre Sandra Harding99, les jeunes hommes tendent à

privilégier l’identité pour soi au détriment des attentes que les tiers peuvent porter à leur

endroit : « j’ai toujours été seul c’est pas maintenant que ça va changer » ; « je suis comme

mon père » (G.). A tel point que les difficultés rencontrées sont jugées extérieures et ne

remettant pas en cause la motivation individuelle. Tel est le cas de G. qui relient ses difficultés à

se maintenir dans l’emploi à des problèmes physiologiques (problème de dos et de cœur

expliquant sa lenteur au travail) ou des traits de caractère qu’il juge nobles (le respect de la

parole donnée, l’honnêteté, le courage de dire ce que l’on pense à son employeur) et donc

-contrairement aux récits féminins- non invalidants. Le cas particulier de B. qui explique ses

difficultés par une grande émotivité mettant en cause sa personne tient à sa prise en charge

précoce par les institutions spécialisées, à son contact aux psychiatres et psychologues que cela

a entraîné (« les psy vous aident à connaître vos défauts et moi cela m’a aidé ») et à la

conversion identitaire qu’il semble avoir opérée (« mes tics, c’est pour la vie »).

Enfin, les conceptions et les stratégies d’autonomisation en gardent trace. D’une part

l’autonomie (devenir adulte) requiert sa capacité à se faire respecter, à être reconnue et traité

avec considération. Ainsi en est-il de G. expliquant combien sa relation aux employeurs et plus

largement aux autres est guidée par le souci qu’on ne lui « parle pas mal » ; de B. soulignant

combien son insertion a nécessité sa capacité à ne plus « être la tête de turc ». Dans un cas

comme dans l’autre, être respecté par les pairs masculins (beau père dans le cas de G., copains

de classe dans le cas de B.) est essentiel. D’autre part, l’autonomie implique également des

supports financiers particulièrement valorisés : « avoir de l’argent pour soi ». Du coup, c’est

moins le travail au sens d’activité que l’emploi qui compte. Le bon travail est par exemple celui

qui permet de gagner sa vie, quel que soit le statut (TH ou non) ou le type de contrat (CDD,

CDI).

99 In Beyond Domination.

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Le cas de G. :

Devenir un homme : gagner sa vie et être respecté par son employeur Contrairement aux récits féminins, les relations familiales sont ici présentées comme des ressources – et ce malgré une situation bien difficile. En effet, son père est amputé des deux jambes suite à une maladie nosocomiale contractée il y a dix ans de cela, sa mère vit de ménages, elle est hébergée chez son oncle lui même handicapé. A l’exception d’un de ses demi-frères, les autruis familiaux sont pourtant rangés dans la catégorie des gens biens : « me donnent plein de trucs », « m’a élevé comme son propre enfant ». Par opposition, les figures disqualifiées parce qu’entravantes se rencontrent plutôt du côté des employeurs : « des gens qui ne tiennent pas leurs promesses, me parlent mal », « ne respectent pas les contre-indications médicales et m’embêtent sur mes problèmes de lenteur ». L’interprétation des difficultés rencontrées est également spécifique. La part de la responsabilité individuelle et des défaillances subjectives est beaucoup plus faible : ainsi le problème de lenteur que K explique par un « tempérament perfectionniste » devient ici la résultante d’un problème d’essoufflement cardiaque d’ailleurs contredit par l’examen médical. Pour G., son problème de compréhension des consignes données par son employeur découle de sa vie familiale et de la relation complexe qu’il entretient avec sa mère : « on s’adore mais on ne peut pas vivre ensemble. C’est un problème de caractère, je m’emporte vite comme mon père ». Cette situation peut donc être résorbée, voire disparaître et G. s’autorise donc une prise sur la résolution des difficultés rencontrées : « un jour, je lui ai dit que ça suffisait, qu’on se faisait du mal, qu’on ne pouvait pas vivre sous le même toit et grâce à la sœur de ma copine, on a pu avoir un appartement. Les choses vont changer ». Il en est de même de son problème de lenteur au travail qu’il dit découler d’une stratégie visant à ménager un cœur souffrant et un problème de hanche, d’ailleurs diagnostiqué par les médecins. Le recours aux explications physiologiques permet à G. d’atténuer le sentiment de responsabilité qu’il peut ressentir lorsqu’il ne parvient pas à respecter les obligations productives. Enfin, les problèmes rencontrés dans les relations de travail sont essentiellement liés aux rapports entretenus avec un employeur qui, selon lui, ne respecte pas ses employés (« il me parlait comme à un chien. Je suis désolé mais moi on ne parle pas comme à un chien. D’ailleurs quand on a pris le rendez-vous avec ma référente, je lui ai dit devant elle (…) ») et la parole donnée (« il m’avait promis de me payer et quand j’ai eu fait le travail, il m’a dit que ce n’était plus possible. Alors moi j’ai pété un câble et je suis parti. Mais c’est normal, comme on dit « tout travail mérite salaire »). Globalement, les difficultés relationnelles rencontrées avec les employeurs sont renvoyées à une « causalité externe ». Enfin, pour G., c’est moins le statut de l’emploi qui compte que, d’une part, le travail et l’autonomie financière qu’il permet et d’autre part, la reconnaissance des pairs masculins (notamment du beau-père) qu’il autorise. Cet objectif (gagner la reconnaissance du beau-père) et l’attitude des employeurs justifient selon lui la demande de travailler dans un milieu protégé qui ne fait pas de lui un handicapé mais « aiderait les employeurs à l’aider » à trouver du travail.

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2. Les parcours féminins Les parcours féminins sont au contraire marqués par une forte interpénétration des projets et

temporalités familiales, personnelles et professionnelles. D’une part, les autruis familiaux sont

fortement présents dans les discours et présentés comme des contraintes. Ils sont souvent à

l’origine d’importantes transitions biographiques dont les résonances sur les parcours sont

jugées négatives : le départ de Paris décidé par sa mère pour P., la séparation du couple parental

et la dépendance au père pour K., la décision maternelle de placement pour M-L.

Au plan des formes identitaires et des explications apportées aux difficultés rencontrées,

l’analyse des discours tend d’abord à montrer l’importance du regard des autres sur la définition

de soi. Ainsi l’épanouissement personnel dépend moins de la capacité à être respecté mais de

son aptitude à avoir de bonnes relations avec les autres. Le critère de « discussion » que P.

utilise pour départager les bonnes des mauvaises relations - et partant la qualité de son insertion

sociale - en témoigne. Si l’on examine maintenant les explications apportées aux difficultés

rencontrées, elles apparaissent plus souvent reliées à une responsabilité personnelle et

notamment à une faiblesse de caractère naturalisée ou acquise. Tel est le cas de K., qui explique

ses difficultés à trouver un emploi par sa sensibilité « vilain petit canard, sensible, qu’il faut

protéger depuis toute petite » vs « mon frère qui est fort, qui a la tête sur les épaules et qui a

tout logement, université ». Tel est aussi le cas de P. qui évoque une faiblesse de caractère

acquise (« laisser-aller », « je deviens timide, gênée... je ne me reconnais plus »). Certes les

pratiques féminines ne sont pas par essence naturellement guidées par l’émotion et la

subjectivité. En revanche, l’éducation reçue, les relations sociales entretenues avec les membres

de famille et les acteurs de l’insertion ainsi que les formes identitaires développées semblent

pousser les jeunes femmes à accorder une plus grande place aux défaillances subjectives pour

expliquer les difficultés – trop sensible, plus assez motivée. Par exemple pour K., son problème

découle d’une personnalité qu’elle définit en mobilisant les points de vue que les apparentés

masculins et l’école ont pu porter à son endroit : « bon depuis toute petite, je suis quelqu’un de

fragile… Mon père me l’a toujours dit et mon frère aussi qui essaie de me protéger ». Ces

problèmes de lenteur sont liés à un caractère méticuleux sur lequel elle dit n’avoir que peu de

prise : « je vais lentement parce que j’aime que le travail soit bien fait. Je suis comme ça ».

Enfin, les difficultés rencontrées dans les relations de travail ont à voir avec son besoin de

reconnaissance et les rapports concurrentiels dont les collègues des crèches ont pu faire preuve.

A cette plus grande individualisation des difficultés se surajoute une tendance féminine à

naturaliser les difficultés rencontrées. En témoigne ici la convocation importante des corps.

Ainsi K. considère-t-elle que l’avortement et sa difficulté à trouver un emploi sont liés.

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P. suggère quant à elle que sa prise de poids est à l’origine de son changement de caractère et de

sa timidité l’empêchant de se lancer dans une formation et de trouver un emploi qui la

satisfasse.

Dès lors pour les jeunes femmes, l’autonomie (au sens de devenir adulte) requiert moins la

capacité à être respecté, traité avec considération que l’aptitude à s’épanouir personnellement et

à s’émanciper des autruis familiaux (de la mère et de la meilleure amie pour P. ; de la mère pour

M-L. et du père pour K.). De ce fait, la qualité de l’insertion professionnelle dépend moins de

l’emploi et de la rémunération qu’il autorise que de l’utilité sociale (non soluble dans les rôles

familiaux assumés) et de la qualité des relations entretenues avec l’employeur, les collègues. La

bonne ambiance est par exemple régulièrement citée comme critère d’appréciation des

expériences professionnelles préalables.

Le cas de P. :

Double bind et stabilité impossible Le récit de P. illustre remarquablement bien une forme de « status passage » caractéristique des trajectoires féminines. P. est coincée entre un ailleurs (celui de la ville dans laquelle « on est stressé » même s’il y a « plus de chances professionnelles ») et un ici (la campagne où « on est tranquille » mais où « on ne s’épanouit pas »). Or comme l’ensemble des moments charnières qu’elle juge à la base de ses difficultés scolaires, relationnelles et professionnelles, P. se retrouve coincée dans cet « ici » du fait de décisions familiales – celle de sa mère en premier lieu, puis celle de son conjoint qui, par son travail, la maintient dans cette situation qu’elle refuse. P. se sent et se met perpétuellement en tension entre ce qu’elle désire elle et ce qu’elle se sent tenu de faire pour ses proches : pour son conjoint mais aussi pour son amie qu’elle a choisi d’aider au moment même où se déroulait le concours d’entrée à une formation qu’elle convoitait. Sa difficulté à élaborer un projet d’insertion et à s’y tenir (censée découler de difficultés de nature psychique) s’origine précisément dans ces injonctions contradictoires d’autant plus indépassables que P. se pose rarement comme actrice des décisions affectant sa vie privée (sa mère, son conjoint, son amie) – si ce n’est pour souligner sa résistance verbale ou sa défection. Comme nous l’avons précédemment souligné, cette difficulté liée à des injonctions de rôle contradictoires (réaliser son projet de formation vs se conformer aux rôles que ses proches attendent d’elle) est même reliée à un problème personnel qu’elle juge psychologique (laisser-aller, manque de caractère) et somatisé (prise de poids la rendant mal à l’aise). De là deux conséquences : - L’attente d’un coup de théâtre providentiel l’enfermant dans une temporalité fermée sur le présent (par opposition au cas de K. qui nous livre quant à elle une narration plus prospective). P. attend un « boost » mais ne cite aucun objectif professionnel dans l’entretien et nous dit qu’elle a par essence du mal à tenir ces objectifs - L’invention de stratégies professionnelles atypiques – recours stratégique aux CDD et à l’intérim lui permettant de ne pas s’attacher à un emploi qu’elle désire pourtant, de ne pas s’attacher à un territoire et de « pouvoir bouger un jour peut être ».

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Voici la méthode utilisée : S = qualifications de la situation A = acteurs, actants P = argumentations, points de vue L’ici et l’ailleurs S1 = « à la base, je suis de Paris », «la cité des muraux l’avenir n’est pas brillant, il y a un faible taux de réussite « la ville, on est plus stressé mais on a plus de chances professionnelles S2 = « m’installer à la campagne et des trucs comme ça, ça ne m’intéresse pas », « je n’aime pas trop la campagne », « c’est limité, pour le travail, c’est galère, « préjugés racistes » vs « s’épanouir, être en harmonie avec soi même », « J’en ai marre parce que c’était la campagne même s’il y avait du travail » Des arbitrages familiaux subis déstructurants S1 = le déménagement de paris vers l’Ariège, « Arrivée ici, je n’ai rien retrouvé du programme que l’on faisait à Paris », « ma tante a préféré me faire redoubler », « je n’ai rien fait à l’école », « je suis allée en BEP traitement des eaux, une voie qui ne me plaisait pas », « car mon frère y était ». P1 = « je n’ai pas bien compris, j’ai cru que ma mère voulait me punir pour être venue en Ariège », « j’ai été obligée de venir » S2 = « je me suis dit, je vais tenter ma chance à Paris » P2 = « ça s’est mal passé avec mon oncle et ma tante à Paris » S3 = « je suis partie aussi du Café du commerce mais je n’ai pas pu rester parce que je suis tombée enceinte », S4 = « le jour du concours je n’y suis pas allée parce que j’ai aidé Gladys ». Une installation rimant avec enfermement S1 = « j’ai préféré faire du télémarketing » P1 = « c’est à dire que quand j’avais envie de partir, je n’étais pas liée par un contrat » S2 = « je n’arrive pas à faire un CDI, à me confiner et à me dire que je vais rester bloquée à un endroit » ; « la sensation d’être dans un ghetto, d’être enfermée » P2 = « j’ai trouvé la parade, je ne fais que des CDD » Garder contrôle coûte que coûte S1 = (le travail) « quand on gagne son argent, on ne doit rien à personne » S2 = « la perte de contrôle c’est un truc que je supporte pas » S3 = « c’est mon copain qui travaille. Je le vis mal, c’est lui qui paie les factures » S4 = (prise de poids assimilé à du laisser-aller « ça me bouffe d’être comme ça » « je n’arrive pas à tenir les objectifs que j’aimerai me fixer. C’est quelque chose de totalement étranger parce que je suis tenace » S5 = « il y a une métamorphose (…) aujourd’hui j’ai le gabarit d’un homme » S6 = « j’ai une motivation pour les autres mais alors pour moi-même » P1= « mais c’est vrai que par rapport à ma prise de poids, il y a une perte de confiance en moi. Je n’arrive pas à être à l’aise » P2 = « pour une femme c’est très important de travailler, de garder son indépendance car du jour au lendemain on peut se retrouver seule » L’attente providentielle S1 = « aujourd’hui c’est un boost qu’il me faut »

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Si le récit de P. présente des singularités (l’incapacité à se projeter et à agir par exemple), il

présente aussi de nombreux points communs avec les autres parcours féminins. Par exemple, le

cas de K. montre également le poids de l’articulation entre espaces familiaux, professionnels et

projets personnels et la propension à expliquer les difficultés rencontrées par des traits de

caractère sur lesquels elle n’a que peu de prise.

Récit de K.

En premier lieu, son récit montre la place que les autruis familiaux masculins occupent dans la

définition d’elle-même et dans les stratégies d’autonomisation qu’elle essaie de mettre en place.

Dans son cas, la tension porte sur sa volonté de construire un projet conjugal autonome (vivre

avec son copain et avoir un enfant) et la place de fille dans laquelle son père entend la maintenir

(son désir de maternité est d’autant moins reconnu que n’ayant pas d’emploi, elle n’est pas

jugée suffisamment mature). Dès lors, l’accès à l’emploi représente pour K. la possibilité d’être

reconnue en tant qu’adulte par ses collègues, son employeur et son père. Comme l’illustre le

lien qu’elle effectue entre son avortement et sa difficulté à trouver du travail, le travail est ici

complètement relié à sa revendication d’un rôle de jeune mère. Si l’on examine maintenant

l’explication qu’elle donne à ses difficultés, là encore, on constate le même recours aux

défaillances subjectives : Elle est « le vilain petit canard, sensible, qu’il faut protéger » par

opposition à son frère qui « a la tête sur les épaules, qui a tout : son école de cinéma, son

logement et la considération de son père ». Son problème, c’est le « stress, les choses qui se

bousculent dans la tête, le fait qu’elle est lente parce qu’elle aime bien que les choses soient

faites nickel », « le fait qu’elle n’aime pas les conflits dans les crèches et qu’elle aime la bonne

ambiance ». En revanche, contrairement au cas de P., K. nous livre une narration plus

prospective (projet de formation, de départ en Equateur), une plus grande capacité à prendre en

main son parcours et à solliciter des aides institutionnelles ou associatives. Le tableau ci-après

reprend les principales dimensions caractérisant les parcours et les attentes des jeunes hommes

et femmes rencontrées face à l’insertion sociale et professionnelle.

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Tableau récapitulatif. Une quête d’autonomie genrée

PARCOURS MASCULINS PARCOURS FEMININS

Autonomisation des projets et temporalités professionnels, personnels et familiaux

Forte interpénétration des projets et temporalités professionnels, personnels et familiaux

Définition de soi par soi

« être respecté pour ce que je suis »

Définition de soi par les autres

« bien s’entendre, pouvoir discuter »

Autonomie = capacité à être respecté, traité avec justice et considération

Autonomie = pouvoir s’épanouir personnellement-faire pour soi

= capacité à s’émanciper des autruis familiaux

Bon travail = salaire Bon travail = employeur et collègue qui ont confiance /ambiance

III. Le poids du type d’étiquetage

1. Les précocement désignés

Parmi l’ensemble des jeunes interrogés, deux ont été précocement pris en charge par des

institutions éducatives spécialisées suite aux demandes des parents et pour des troubles

comportementaux : difficultés dans les relations familiales et surtout dans les relations aux

enfants de leur âge. Ils viennent de milieu social relativement aisé au plan financier mais surtout

culturel (B. présentant des tics langagiers ; X souffrant d’obésité dont les parents sont

respectivement cadres à l’URSAFF et professeurs des universités). Ces deux jeunes bénéficient

d’une RQTH sans allocations.

1.1. La reconnaissance d’un lien entre difficultés comportementales

et problèmes psychologiques

Ces jeunes repèrent des problèmes psychologiques - bien que non reliés à la santé stricto sensu.

B. a précocement été pris en charge dans une structure éducative accueillant des enfants

connaissant des difficultés familiales et scolaires ; c’est cette structure qui le poussera à faire

une demande de reconnaissance de personne handicapée. Pour lui, les difficultés portent d’une

part, sur la dispersion dont il témoigne dans la réalisation des activités qu’on lui confie et des

problèmes de concentration que cela génère et d’autre part, sur l’impulsivité qui le caractérise :

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« En fait j’ai une sale habitude, j’ai tendance à ma laisser aller à partir d’un certain

temps, si je peux être très actif au début, après je peux me laisser aller, ce qui a tendance

à me poser défaut. J’ai besoin de faire plusieurs choses en même temps en fait, c’est ce

qui m’handicape parfois.

- Et comment vous expliquez vos difficultés scolaires par exemple ?

Oh parce que certaines choses ne m’intéressaient pas, parce que simplement j’avais du

mal à me concentrer en cours… parfois c’est des choses simples qui peuvent pourrir une

vie. Voilà. (…) En même temps j’ai un caractère assez passionné, un comportement un

peu excessif avec les gens. Je vais vous donner un exemple, pas plus tard qu’il y a

quelques mois, disons que je peux être quelqu’un d’extrêmement calme comme de super

excité. L’exemple le plus proche c’était à la formation, j’arrêtais pas de faire le con :

(d’une voix forte :) « Salut comment ça va » une espèce d’énergie… je m’extasiais

complètement devant les gens et des fois je ne retiens pas du tout. Une fois au prof, ce

prof il a tendance à regarder les gens un peu de haut, je lui fais « qu’est-ce qui se passe ?

Allez vas-y, n’aie pas peur, dis-le » devant tout le monde. J’ai tendance des fois à des

excès… » (B.)

Si ces problèmes ne sont pas reliés à proprement parler au domaine du médical, l’on constate

cependant une conception différente de la relation aux psychologues par exemple. Si pour K.

(étiquetée tardivement par les acteurs de l’insertion), le psychologue est « une personne à qui

l’on parle » ; pour B., c’est quelqu’un qui « permet de mieux connaître ses défauts ». Le modèle

du confident laisse alors place à celui du maïeuticien qui aide à construire une connaissance sur

soi.

1.2. Une autonomisation tenant à la reconnaissance par les pairs

Pour eux l’autonomisation se joue moins dans la relation aux parents que dans leur capacité à

accéder aux modes de vie caractérisant les individus de leur groupe générationnel.

C’est le cas de B. qui souligne combien son insertion sociale est liée à son aptitude à trouver sa

place en se faisant des amis et des copines.

« Quand j’étais adolescent, je n’avais quasiment aucun copain, parce que je suis devenu

la tête de turc du lycée, j’ai mis très longtemps avant d’avoir une copine, non non

pendant longtemps je n’ai pas eu un parcours normal.

- Tête de turc pourquoi ? A cause de votre tic de langage ?

Non, pas vraiment… je crois que comme j’ai un caractère assez sincère et assez direct,

j’ai tendance à montrer très facilement mes émotions, et vous savez qu’en groupe c’est

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pas trop admis, et donc, comme je suis quand même assez… comme à l’époque j’étais

quelqu’un de très impulsif et comme l’adolescence c’est un âge de merde en général, je

m’en suis pris plein la gueule quoi. A cet âge-là on ne pardonne pas d’être trop sincère

ou d’avoir trop de... d’émotions… ça a commencé en 5ème et ça s’est très vite répandu

dans tout le lycée. (…) Vous savez quand vous êtes adolescent vous voulez encore passer

pour le meilleur, réagir comme un mec, pas se laisser faire et voilà facilement tout le

monde se met sur vous quoi. Bon, le fait d’avoir été seul pendant plusieurs années m’a

permis d’évoluer… au bout d’un moment vous en avez un peu marre d’être constamment

euh… d’en prendre constamment plein la gueule, mais comme je suis quelqu’un d’assez

passionné et sincère ça m’ a toujours porté tort. (…) Donc j’ai rencontré Julien, à partir

de là au théâtre ça s’est un peu arrangé. J’ai commencé à rencontrer du monde et sur ce

j’ai commencé à me développer mieux quoi. (…) Avec Julien on a fait pas mal de soirées

ensemble, je fais plus ou moins partie… enfin… de sa bande quoi, on se voit environ une

fois par mois, pour aller boire un coup ou... Voilà, petit à petit les choses se sont mises en

place, j’ai commencé à développer des gens autour de moi, j’ai commencé à sortir avec

des filles et… pourtant j’ai toujours eu peur que cela s’arrête, que je retombe dans la

solitude. Je le crains encore un peu. Il suffit que je ne sorte pas pendant quelques week-

ends et je panique. Donc je rappelle, j’essaie d’organiser des trucs. Je suis content, cette

année, j’ai fêté mon anniversaire, mes 24 ans, mes potes m’ont payé le restaurant… Et

pourtant je crains toujours que ça s’arrête. Donc voilà. Mais sur le plan professionnel, je

n’ai jamais eu comme je vous l’ai dit un parcours normal. (…) Je n’ai jamais fait la fac,

la plupart de mes amis sont en fac, je participe à des soirées, je fais des trucs mais je n’ai

pas la vie d’un étudiant, je suis encore chez mes parents, je n’ai jamais eu une vie

réellement décente d’un jeune de 20 ans, bon dans le parcours professionnel, bon avec le

temps à force de prendre sur moi etc.… ».

2. Les jeunes orientés à la suite d’échecs répétés des solutions d’insertion proposées

En revanche, les quatre autre situations (G., K., P. et M-L.) ont été désignées par les acteurs de

l’insertion comme souffrant de difficultés psychiques non solubles par les procédures

d’insertion conventionnelles et ont pour deux d’entre eux entamé une démarche de

reconnaissance Cotorep. Tous sont issus de milieu modeste et ont suivi des cursus de formation

traditionnelle (BEP, CAP ou filière générale) bien souvent interrompus du fait de problèmes

familiaux.

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La demande de reconnaissance de leur handicap est ici motivée par les échecs répétés dans leur

recherche d’emploi. Le dépôt de dossier Cotorep est suggéré tantôt par l’employeur constatant

une incapacité à tenir le rythme de travail demandé ; tantôt par les acteurs de l’insertion

professionnelle considérant soit que leur inscription dans l’emploi ordinaire est impossible soit

que leur reconnaissance de travailleur handicapé peut les aider à trouver un emploi stable. Leur

orientation est donc beaucoup plus tardive et moins justifiée par des considérations médicales

que par un « handicap social » à partir duquel les acteurs territoriaux de l’insertion s’approprient

la notion de difficulté psychiques. Dans le cas de K., l’idée d’engager une démarche Cotorep

vient d’un employeur jugeant que la lenteur au travail entrave toute perspective d’emploi :

« Et la personne qui vous a suggéré le dossier Cotorep, c’était quelqu’un de

l’entreprise ?

- Voilà, elle m’a dit : « ne le prends pas mal mais est ce que ? ». Bon c’est vrai que je lui

ai dit que tout le monde me disait que j’avais un problème de rapidité mais bon... on ne

m’a jamais proposé le truc Cotorep. J’ai discuté avec la Mission Locale et la personne de

la formation où j’étais, où j’avais le stage à côté, et puis avec mon médecin, donc on a

fait le dossier. Mais c’est long par contre. Là j’ai essayé d’appeler, de les relancer que ce

soit la Cotorep ou les associations.

- Vous m’avez dit « j’en ai discuté avec la mission locale », c’est la Mission Locale ou le

PLIE ?

Oui c’était le PLIE…Sur le PLIE ».

Les acteurs médicaux n’interviennent que dans un second temps, aux dires des jeunes pour

valider les initiatives prises :

« C’est vrai que j’ai vu le docteur D. aussi la personne qui travaille pour la Mission

Locale et elle m’a dit : « c’est vrai que j’ai eu une personne qui a eu le même problème

que toi et on a fait un dossier Cotorep. Pourquoi ne pas essayer la même chose avec

toi ? » J’ai essayé de voir un neurologue parce qu’on m’avait conseillé de voir un

neurologue.

- Vous avez vu des médecins de la Cotorep ?

Même pas, j’ai reçu un courrier, j’ai laissé un peu de temps. J’ai vu qu’on ne me

contactait pas donc je les ai appelé, j’ai donné mon numéro et tout ça et j’ai dit : « j’ai

reçu ce courrier, je voulais savoir où ça en était, comment ça se passait ». Ils m’ont dit

« oui les médecins sont en train de voir si vous avez besoin d’un suivi médical, ce genre

de choses. Et dès que ce sera fini, on vous tiendra au courant ». Donc je pense qu’encore

une fois, il faut prendre son mal en patience – rires. C’est toujours comme ça et c’est ça

qui est chiant ici en France. C’est que c’est un peu long et des fois on laisse un peu des

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personnes de côté. J’ai l’impression qu’il n’y a pas tellement de suivi bien sérieux, disons

par rapport à des gens qui ont des difficultés même au collège ».

Dans le cas de G., la démarche naît d’une concertation entre la référente Mission Locale et CFA

(« Au début, ça a été difficile parce je travaillais dans un milieu ordinaire, chez un patron à

Champion et puis bon on voyait… comme j’ai beaucoup de difficultés, ma référente de la

Mission Locale et ma référente du CFA, on a eu un entretien et à toutes les deux, elles ont vu

que le milieu ordinaire, c’était plus pour moi et qu’ils me fallait un milieu protégé »).

Dans le cas de B., la reconnaissance RQTH lui est proposée deux ans après sa sortie de l’institut

de formation.

« - Vous avez donc la reconnaissance travailleur handicapé ?

Oui je l’ai, mais pas d’allocations.

- Et comment vous avez demandé cette reconnaissance ?

En mars avril 2002, j’ai fait 15 jours à C. c’est une sorte de CAT, d’atelier protégé (…)

- Qui vous y avait orienté ?

Parce que j’étais sur le Foyer du P. pendant plusieurs années… c’est un institut de

formation pour des jeunes qui ont des problèmes…(…) J’y suis rentré en 94, j’y ai

pratiquement fait toute ma scolarité, j’ai pratiquement passé toute mon adolescence là-

bas. C’est un institut de rééducation pour les jeunes qui ont des problèmes familiaux…

moi c’était par rapport à mes problèmes scolaires, mes difficultés de concentration, tous

ces petits trucs. J’avais 11 ans. Donc j’ai passé 6 ans ». (B.)

En outre, à l’exception du cas de X. qui a été scolarisé dans un établissement spécialisé, vit en

appartement thérapeutique et travaille en atelier protégé, cette désignation des difficultés s’opère

bien souvent sur le tard (entre 20 et 30 ans) ; ce qui occasionne bien évidemment une gestion

particulière d’un étiquetage qui intervient dans une étape biographique spécifique.

2.1 Le poids des expériences professionnelles préalables dans l’explication

des difficultés rencontrées

Pour ces jeunes, les expériences professionnelles préalables sont centrales dans la description de

leurs difficultés. L’analyse des entretiens effectués fait en premier lieu clairement apparaître la

référence aux employeurs et situations d’emploi qu’ils/elles ont pu traverser :

« Pour commencer, parlez-moi de votre situation actuelle ?

En ce moment c’est très difficile, je galère beaucoup pour trouver du boulot. Je fais pas

mal de stage en fait par le biais de la mission locale (souvent mis pour PLIE) et par le

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biais d’organismes de formation. J’essaie de voir des associations et comment dire… et

des boîtes d’intérim parce que je recherche en fait de travailler dans la petite enfance ;

faire des gardes d’enfant à domicile, des choses comme ça. » (Mlle Y, jeune femme suivie

depuis plusieurs années par le PLIE).

Avant même de commencer l’entretien, G., jeune homme de 20 ans, qui a engagé une démarche

COTOREP et vient d’obtenir un emploi en CAT, décrit sa situation de la manière suivante :

« Je galère au niveau boulot parce que j’ai des problèmes de dos. Mais là, ça va mieux, je

vais commencer à travailler dans un CAT à partir de lundi. Je vais travailler en imprimerie,

je vais m’occuper des livres et faire le pliage des cahiers pour mettre en couverture ».

Dans une large mesure, les difficultés rencontrées résultent d’un écart entre leurs performances

et les exigences productives portées à leur égard – que ces dernières aient été formulées dans

l’espace scolaire ou professionnel. Ainsi le problème de l’incapacité à tenir le rythme, à se

concentrer sur le travail de manière à pouvoir intégrer plusieurs consignes et à organiser les

diverses étapes nécessaires pour les honorer est-il régulièrement cité. Voici par exemple ce que

nous dit K., des difficultés rencontrées :

« Le fait de s’adapter à de nouvelles choses parce que j’avais fait tellement de choses

que j’avais toujours peur de faire quelque chose de nouveau que je ne connaissais pas.

Donc après le fait de connaître plus la personne avec qui je travaillais tout ça (…) ».

« On travaille avec plusieurs personnes et c’est comme ça et comme ça et on ne peut pas

travailler entre guillemets à son rythme si je peux dire et donc… ce n’est pas pareil. On

sent quand même qu’il y a une tension.

- Le rythme c’est à dire la pression, ça va vite ?

Oui un petit peu mais en plus, il y a beaucoup d’enfants donc déjà il faut gérer un peu

tout le monde. Mais ça enfin, ce n’est pas... mais c’est vrai qu’il y a cette rivalité de voir

par exemple que les enfants viennent plus vers moi parce qu’ils ressentent quelque chose

de bien en chacune des personnes ».

2.2 La résistance aux explications psychologiques et la distance

aux jugements médicaux comme psychologiques

Ces jeunes n’identifient pas de troubles psychiques et, comme nous l’avons vu, les difficultés

relationnelles et professionnelles qu’ils rencontrent sont reliés tantôt à des problèmes

physiologiques pour les jeunes hommes, tantôt à des traits de caractère ou à des tensions

identitaires pour les jeunes femmes.

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Pour G., les difficultés tiennent là encore à des problèmes de lenteur et de compréhension, des

problèmes relationnels mais également des problèmes physiologiques (l’incapacité de porter des

charges lourdes suite à un problème de dos) :

« - D’accord et les difficultés, c’était à quel niveau ?

J’avais par exemple des problèmes de compréhension ou alors des problèmes… des fois,

je venais au travail, j’étais perturbé par rapport à ma famille et tout… et puis j’ai des

problèmes et tout ça me perturbait donc je n’arrivais pas à me concentrer à mon travail.

(…) Mon contrat d’apprentissage, je devais le signer avec le patron de Netto qui me

comprenait, mes lenteurs et tout. Il savait que je devais travailler à mon rythme donc il ne

me disait rien et le patron de Mim pareil. »

(…) Le patron de Mim en fait le problème qu’il y a eu, c’est que je suis parti parce qu’il

m’avait fait une promesse et après il ne l’a pas tenu.

- Une promesse d’emploi ?

Non je devais, à la fin du stage il devait me payer et tout. Et après quand je lui ai

demandé à la fin du stage, avant la fin, il m’a dit : je lui ai dit « c’est toujours bon pour

que… », parce que bon, il devait en parler à son patron et son patron était d’accord. Et

quand j’ai demandé, il m’a dit « non je ne peux pas et tout » donc ça fait que je suis parti

sur un coup de colère. (…) Cela vient aussi qu’avec mon dos, je ne peux pas porter plus

de 10 kg. J’avais fait faire un certificat médical mais le patron, il s’en foutait ». (G.)

2.3. L’autonomisation parentale

Pour eux, les récits d’insertion témoignent là encore d’une quête d’autonomie qui se joue moins

dans les relations aux pairs que dans les relations aux parents : devenir conjoint dans le cas des

jeunes hommes, ne plus être fille de dans le cas des jeunes femmes.

C’est par exemple le cas de K. qui présente ses difficultés et ses objectifs en regard du souhait

de gagner la reconnaissance paternelle, de son désir de maternité et dans le même temps d’un

souci d’autonomisation financière préalable au départ qu’elle envisage avec son petit ami :

« Votre ami monte une entreprise dans quel secteur ?

On ne sait pas trop, tout sera en fonction de ce qu’il y a là bas. Mais il a touché à tout

donc… dans les matériaux, les outils tout ça, parce qu’ici il travaille dans le PVC et les

paraboles. Donc il touche vraiment à tout donc… là bas, il n’aura pas de problème pour

trouver quelque chose. (…) C’est pour ça que j’ai envie de travailler quand même un peu

avant de partir pour gagner quand même un petit peu ma vie avant de partir, comme ça je

serai tranquille mais c’est très compliqué. (…) C’est vrai que mes parents - surtout mon

père - je ne peux pas parler de travail parce qu’à chaque fois, ça le met en colère. Il y a

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toujours un stress donc je ne dis rien. Parce que j’ai l’impression qu’ils n’ont pas

confiance en moi, que je ne fais rien pour trouver du boulot… je ressens un peu qu’ils

n’ont pas confiance en moi ou je ne sais pas qu’ils… enfin bref. (…) parce que mon père,

il a dit une fois : « tu n’as pas de boulot et tout ça et tu rigoles avec ton copain comme

une hystérique donc tu devrais au contraire ». Donc si je n’ai plus le droit de rigoler, s’il

faut que je me mette à pleurer pour... ce n’est plus une vie… C’est galère mais ça ne

nous empêche pas de passer un bon moment, pour se vider la tête… Enfin, je vous dis, des

fois, je suis dans une famille de fous.

- Vous vouliez qu’il reconnaisse votre désir de maternité ?

Voilà… Il me dit « excuse moi mais c’est pas ma faute » - « Je suis d’accord mais quand

même, mets toi à ma place, c’est très difficile et toi tu dis je lève le verre à la future

cousine alors que tu sais que je suis sensible et que c’est un acte… Bon qui est très très

dur à faire et à vivre. Tu t’es vraiment pas mis à ma place ».

Pour G., obtenir un emploi en milieu ordinaire ou non et pouvoir subvenir aux besoins du

couple constitue un impératif orientant ses choix (notamment son acceptation de la démarche

cotorep) et devant permettre la reconnaissance de son beau-père :

« (à propos du départ de la structure dans laquelle il effectuait un stage, suite à une

promesse de rémunération non tenue) Parce qu’il n’avait pas tenu sa promesse…

Oui moi j’étais content et je pensais avoir au moins quelque chose de bien, parce que

j’avais travaillé bien et tout et puis au dernier moment il me dit non. Donc ça m’a mis en

colère.

- Le salaire c’était important pour vous, ça reconnaît votre travail ?

Pas question... d’un côté, c’est important parce que bon je suis avec ma copine et on a un

appartement donc… et puis bon j’ai besoin de sous pour des conneries par exemple pour

mes cigarettes, pour mon portable, pour des choses comme ça… Par exemple pour me

faire plaisir ou faire plaisir à ma copine… pour aussi mériter pour le travail que j’ai fait

aussi. Comme on dit tout travail mérite salaire donc voilà. (…)

(A propos de la relation à son beau-père) le plus qui est compliqué, c’est son père. Il

avait du mal… au début, il ne voulait pas me voir parce que son père, il vit à l’époque.

Tant que je n’avais pas de travail, parce que pour lui, un homme ça doit travailler et une

femme, ça doit rester à la maison. Là, samedi, il a fait un grand effort même moi, j’ai été

surpris parce que son père, il a acheté un clic clac à ma copine. Donc au téléphone, je lui

dis « ton père va vouloir un coup de main ? » donc elle me rappelle et me dit « oui mon

père veut que tu restes, il veut te voir ». Quand j’ai vu son père, moi, je ne savais pas quoi

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dire parce que… et puis ça s’est bien passé. Bon là, j’étais chez eux pour l’anniversaire

de ma copine parce qu’elle aussi, elle va faire 20 ans, donc tout s’est bien passé.

- Il a changé de regard sur vous ?

Il l’a fait par rapport à sa fille parce que ma copine ne supportait pas que son père soit

comme ça. Elle m’a dit : « je ne sais pas pourquoi il a accepté le copain de ma sœur et

pas toi ». Je ne vois pas pourquoi.

- Le copain de sa sœur ne travaillait pas ?

Si il travaillait, parce que lui, il travaillait et tout ça. »

Comme nous l’avons vu, ces rapports se distinguent sur les rôles sociaux sexués transmis et

auxquels les jeunes adhèrent. Pour les jeunes hommes, l’obtention d’un emploi continue à

représenter la voie privilégiée permettant d’être adulte et d’être homme. Dans le cas de G.

définissant son insertion sociale à partir de son aptitude à être un conjoint pourvoyeur de

ressources, les attentes en matière d’insertion portent moins sur la reconnaissance financière du

travail effectué et de l’implication personnelle que sur le pouvoir d’achat qu’il procure. S’il ne

permet pas la mise en couple et le sentiment de pouvoir subvenir aux besoins de la compagne, à

tout le moins l’emploi montre-t-il que l’on est en capacité de pourvoir aux besoins éventuels

d’un foyer. En revanche, à âge et parcours équivalents, les attentes des jeunes femmes

rencontrées relient au contraire étroitement biens et liens : la rétribution financière passe au

second plan ou est appréciée en ce qu’elle est censée reconnaître la reconnaissance familiale ou

de l’employeur. Le désir d’emploi vaut ici comme un vecteur d’autonomisation relative,

augmentant la marge de manœuvre dans des espaces conjugaux et intimes : la reconnaissance du

désir de maternité, pouvoir partir avec le petit ami…

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IV. Rapports a l’autonomie et aux mesures d’inserti on

Le croisement des deux dimensions relatives aux socialisations genrées et à l’étiquetage

institutionnel permet de dégager des positionnements vis à vis de l’emploi et d’expliquer les

rapports entretenus à l’endroit des désignations proposés par les acteurs de l’insertion.

Schéma 4. Positionnements des jeunes : modalités d’inscription sociale escomptés,

rapports à l’emploi et aux désignations des acteurs institutionnels

L’emploi comme vecteur de renégociation des relations de filiation – avoir le droit d’entrer en relation conjugale et maternité

Socialisation féminine

Etiquetage tardif par les acteurs de l’insertion

L’emploi comme ressort permettant de pourvoir aux besoins du couple

Socialisation masculine

L’emploi comme mode d’inscription dans les modes de vie normalisé de la génération d’appartenance Etiquetage précoce par des établissements médico-psychologiques

Les deux premiers cas de figure rassemblent des individus ayant connu un étiquetage tardif

effectué par les acteurs de l’insertion à partir des difficultés à se maintenir ou trouver un emploi.

Pour eux, l’emploi est essentiel et perçu comme un vecteur permettant une inscription sociale

qui demeure pensée en regard des espaces familiaux – rapports de filiation dans le cas des

femmes, rapports conjugaux dans le cas des jeunes hommes. Ceci étant, contrairement aux

mises en sens effectuées par les professionnels, l’emploi ne sert pas l’épanouissement personnel

mais la reconnaissance socio-familiale ; la recherche d’emploi n’est pas guidée par la

structuration d’un projet professionnel en adéquation avec les attentes personnelles mais

l’obtention d’un emploi fixe à tout prix. On comprend ici d’autant mieux les usages des

dispositifs institutionnels qui en découlent (la multiplication des démarches dans le cas de Y.) et

les réactions à la proposition de la démarche Cotorep : « cela va m’aider à trouver un travail ».

Les deux autres cas de figure rassemblent des individus ayant connu un étiquetage précoce

effectué par des médecins ou des acteurs d’établissements spécialisés. L’emploi sert

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l’inscription sociale en regard des relations entretenues avec les pairs et l’entrée dans les modes

de vie qu’ils estiment spécifiques au groupe des jeunes. Ainsi si B. s’accommode de son

parcours professionnel chaotique en référant sa situation à celle des jeunes confrontés au

chômage et à la précarité, il entretient au contraire un point de vue très négatif sur la proposition

en CAT qu’on a pu lui faire.

D’un côté, il cale très logiquement le récit de son expérience et de ses projets personnels sur les

perspectives offertes par l’espace institutionnel dans lequel il vit : accéder aux appartements

thérapeutiques et quitter l’hébergement collectif. Dans ce cas précis, la perception même de

l’activité est profondément imprégnée par la taxinomie institutionnelle endogène : « Mais tu

comptes essayer d’avoir une activité (l’enquêteur se réfère ici à la perspective d’un emploi) ?

Oh mais j’en ai des activités, j’en ai déjà plein, je participe à plein d’ateliers que les éducateurs

nous proposent ». Mais de l’autre, dans la mesure où l’obtention d’un emploi doit l’inscrire dans

un réseau juvénile et dans un mode de vie normalisé, l’attention est plutôt portée à l’emploi en

milieu ouvert contrairement au CAT dans lequel il s’estime « parqué avec ces machins ».

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Synthèse et conclusion

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Synthèse et conclusion

Le projet de cette recherche est né de différentes observations antérieures dans le secteur

professionnel du travail social et de l’insertion des jeunes les plus fragilisés, au cours desquelles

il apparaissait que certains professionnels sociaux pouvaient considérer l’accession de certains

jeunes à un statut de personne handicapée comme une « solution » aux difficultés qu’ils

rencontraient dans leur insertion économique et sociale.

Ce projet se proposait d’étudier plus particulièrement les modalités de constitution du handicap

psychique dans les espaces de l’insertion socioprofessionnelle. Nous avons cherché à préciser à

quoi les pratiques professionnelles participent ou non à traiter de la situation des jeunes sans

emploi en faisant appel aux catégories du trouble et/ou du handicap psychique, à analyser les

processus de constitution du handicap psychique en amont des catégorisations médico-

administratives. L’équipe s’était donnée pour cela un terrain expérimental spécifique :

l’ensemble des structures du centre-ville toulousain qui participaient au « dispositif » urbain de

l’insertion économique des jeunes (Mission Locale, Plan Local de l’Insertion Economique,

Centre Médico-Psychologique et associations diverses), en relation privilégiée avec

l’association PRISM100, qui assure un service de consultations médicales gratuites et occupe à

ce titre une position centrale dans le suivi des jeunes en mal d’insertion économique qui sont

définis comme présentant des difficultés « de santé psychique ». Nous avons également situé

notre « population cible » autant que possible « en amont » des procédures visant à faire

reconnaître certains jeunes chercheurs d’emploi comme Travailleurs Handicapés, en quête des

constructions du handicap psychique à partir de leurs contextes d’émergence.

Un premier temps d’observation par entretiens enregistrés auprès des professionnels des

différentes structures impliquées (environ 30 entretiens), nous a amené à constater que ce

secteur connaît actuellement de sensibles mutations. Au cours de la période de recherche,

plusieurs des structures sollicitées, associations en charge de l’accompagnement personnalisé

vers l’emploi des jeunes en difficulté, ont cessé leur activité, faute de reconduction des crédits

qui leur étaient jusque là alloués. Les Missions Locales pour l’Insertion économique des jeunes,

structures pivots de ce secteur, ont elles-mêmes connu des évolutions sur lesquelles nous

reviendrons, significatives des mutations à l’œuvre. Ces premiers constats nous ont amené à

développer trois niveaux d’analyse : une analyse des organisations en présence et de leurs

interactions, une analyse des orientations récentes des politiques de l’emploi, de l’insertion et du

handicap, et une analyse centrée sur les jeunes ayant fait l’objet d’une orientation pour raison de 100 Pour la Recherche et l’Information Sociale et Médicale.

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santé, et plus particulièrement au titre de difficultés au plan psychique. Ce dernier volet a été

réalisé par entretiens semi-directifs enregistrés auprès de 10 personnes « recrutées » en Mission

Locale ou auprès de leurs correspondants « santé ».

Au cours de la phase initiale nous avons observé les pratiques, les interprétations et les normes

mobilisées par des professionnels aux profils divers, intervenant à différents moments des

parcours individuels dans la désignation, l’orientation ou la prise en charge de jeunes en

situation d’insertion professionnelle. Il s’agissait notamment de saisir les perceptions et les

usages des catégories de trouble, de difficultés psychiques, au regard des positions que les

professionnels occupent dans l’espace politique de l’insertion socioprofessionnelle.

Le « dispositif » d’insertion

Comme d’autres espaces des politiques de la décentralisation, la politique de l’insertion

économique intervient à la marge de l’emploi, auprès des « publics » de jeunes en mal

d’insertion économique, selon un principe de subsidiarité. L’ANPE et les Missions Locales pour

l’Insertion Economique des Jeunes, institutions de droit public, occupent une position centrale

dans un « dispositif » à géométrie floue dans lequel interviennent diverses structures

« satellites », en charge d’offrir différentes prestations, destinées le plus souvent à un suivi des

personnes jugées comme en difficulté, en souffrance, parfois aux personnes déjà déclarées

comme handicapées. Dans un premier temps descriptif, et à un moment charnière marqué par la

mise en place des Maisons Départementales des Personnes Handicapées, le « dispositif » nous

est apparu très segmenté à différents niveaux :

• entre structures de service public et structures associatives « satellites » en charge du suivi

personnalisé des personnes définies comme « posant problème »,

• entre structures intervenant au plus près de l’emploi et des employeurs potentiels, et

structures en charge d’un travail d’insertion-activation hors emploi,

• entre structures en charge de l’accompagnement social des jeunes diagnostiqués comme

handicapés et structures qui assurent une fonction purement « sociale »,

• entre services qui interviennent ponctuellement, et prestataires assurant un suivi de longue

durée.

Pour les plus petites structures, la précarité va parfois de pair avec des rapports de rivalité.

Dans cet ensemble, les associations prestataires d’un service de santé occupent une place

structurante si l’on considère le fait que la majorité des situations de handicap psychique

évoquées par les professionnels rencontrés relève de cet espace. Pour celles-ci, il s’agit moins

d’apprécier et de permettre la valorisation de qualifications préalables que de construire les

troubles de l’employabilité, ensuite posés en objets prioritaires de l’accompagnement.

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Les référentiels des acteurs

Nous avons cherché à préciser dans quelle mesure la catégorie « Handicap psychique » est ou

non mobilisée par les acteurs territoriaux. Font-ils référence aux dispositions de la loi de 2005 ?

Et si tel n’est pas le cas de quelle manière incluent-ils la question des difficultés psychiques des

individus accueillis ? Dans le contexte que nous avons étudié, les réponses à ces questions ne

sont pas univoques.

Les structures de l’insertion économique des jeunes, et les « Missions Locales » en premier lieu

s’avèrent très marquées par la remise en cause de la définition initiale de l’ « insertion » au sens

que lui avaient donné les promoteurs du RMI : « avant on parlait plutôt d’abord d’insertion

sociale. () On aurait tendance à dire aujourd’hui qu’elle passe par le professionnel ». Ces

structures ciblent de jeunes individus auxquels il est aujourd’hui demandé de consacrer « toute

(leur) énergie, toutes (leurs) capacités, à aller vers de l’emploi101 ». Chez les « conseillers » de

ML la relation d’insertion est apparue fortement contrainte par l’apparition de nouveaux outils

comptables de l’activité des structures concernées, qui privilégient le nombre de contrats de

travail engagés. L’évaluation des jeunes porte sur leur niveau d’employabilité, et tend à

hiérarchiser les « publics » en trois grandes catégories en fonction de leur plus ou moins grande

« distance » vis à vis de l’emploi. Différents travaux ont déjà attiré l’attention sur les logiques

engagées dans le jugement concernant les jeunes en recherche d’emploi. Ils se montrent le plus

souvent inquiets des tendances grandissantes, qui tendent :

• à internaliser la question du chômage au niveau de l’individu, à formaliser un traitement

social du chômage de masse sur le mode de la « responsabilisation » de la personne : le non

travail devient le fait des « freins » évalués au niveau du psychisme de l’individu.

• à focaliser l’attention sur la « souffrance psychique » des chômeurs, certes détachée de la

folie, mais impliquant un jugement exogène centré sur les difficultés qu’éprouvent de jeunes

personnes à accéder au monde de l’emploi, un jugement qui porte essentiellement sur la

normalité des apparences et des conduites individuelles. Ces constats sont au centre du

débat portant sur les individus sans travail relégués au statut de « normaux inutiles ».

• dans un contexte de chômage massif où le travail demeure l’intégrateur par excellence, à

désigner les chômeurs, et les jeunes en particulier, comme responsables de leur situation, en

mobilisant éventuellement les catégories du handicap.

Nos propres investigations de terrain nous ont amenés à relancer ces formes de questionnement.

Il apparaît que les tensions entre insertion sociale et professionnelle, l’absorption de la politique

de l’intégration par la politique de l’emploi, ont beaucoup participé à la promotion d’une

101 Cadre de Mission Locale.

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approche dite « globale » des jeunes chômeurs, à laquelle les professionnels interrogés se

réfèrent largement.

Les interventions sont plurielles, mais celles qui se centrent sur la santé apparaissent souvent

engagées dans un travail normatif sur l’individu qui s’attache tour à tour ou en même temps :

• au « lissage des corps » portant sur des manifestations corporelles considérées comme

inadaptées,

• à l’apprentissage des temporalités normées, posé comme préalable au rapport à l’emploi,

• à l’apprentissage des conduites civiles, érigées en aptitudes professionnelles,

• à la souffrance émotionnelle des personnes et à la gestion des difficultés personnelles vues

comme obstacle à l’emploi.

Le « psychique » s’y définit ainsi, à distance des catégories du médical et d’un diagnostic qui

finalement n’est pas déterminant, dans un processus qui consiste d’abord à gommer les

informations relatives aux positions sociales et économiques des jeunes en quête d’emploi. Ce

processus passe par la constitution d’un individu « hors du monde », figure qui doit trouver en

lui-même à la fois l’explication de ses propres difficultés et les manières et solutions pour y

pallier. Le rapport de travail, et l’employeur lui-même y disparaissent pour concentrer le regard

sur les aptitudes subjectives des individus, en un glissement qui va du social vers le psychique

pour tendre à qualifier les « freins » individuels comme relevant du handicap.

La psychiatrie peut ainsi se voir convoquée sur le terrain où les acteurs du secteur psycho-social

se confrontent à leurs limites. Ces limites apparaissent comme celles d’un travail sur l’individu

qui se situe entre entreprise de vertu, tentative de conversion des jeunes et travail de

restructuration identitaire, « coaching » au sens de la transformation, d’activation des individus,

sans guère de référence à un employeur réel. Les jeunes définis comme les plus fragiles au

regard de leur structuration mentale sont invités à s’engager dans un « parcours », synonyme de

travail… sur eux-mêmes.

Il apparaît toutefois de multiples raisons de relativiser le propos déterministe qui tirerait un trait

rapide allant de l’insertion jusqu’au handicap, faisant du secteur de l’insertion un des

« producteurs » du handicap.

La plus forte d’entre-elles tient au fait que les jeunes qui fréquentent l’univers de l’insertion ne

sont en rien contraints dans un « système ». Ils y sont comme demandeurs et en tant que tels

comme exerçant leur autonomie. Et d’ailleurs, deux interrogations récurrentes caractérisent le

travail d’insertion :

• Qu’en est-il de cette part invisible des jeunes en rapport incertain avec le travail qui ne

participent pas à faire le « public » du dispositif de l’insertion économique ? Les individus

qui se posent comme demandeurs doivent-ils être situés comme parmi « les plus fragiles »,

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tel que le considèrent souvent les professionnels du secteur ? Ou au contraire comme

participants d’une relation déjà élaborée, sinon très construite aux institutions en place ?

• Qu’en est-il (ce point constitue un sujet de réflexion dont nous avons pu apprécier la teneur

pour les professionnels) des jeunes « perdus de vue », c’est à dire de ceux qui ont engagé le

contact avec un conseiller d’insertion, un psychologue… et qui l’ont plus ou moins

rapidement rompu, parfois pour réapparaître hors de toute temporalité négociée ?

De plus, le « monde » de l’insertion sociale et économique se caractérise par l’incertitude qui y

règne sur le statut des individus présentés, et des relations dans lesquelles ils se présentent. Il

constitue par contre un des espaces privilégiés où s’interrogent et se gèrent au quotidien les

frontières entre emploi, social, médico-social et médical.

Cette incertitude structurelle reste aussi la caractéristique première de la question du rapport

entre travail et handicap psychique défini comme résultant « d’un ou plusieurs troubles

psychiques pouvant altérer de façon récurrente ou durable les capacités cognitives et

d’autonomie de la personne mais sans altération des facultés intellectuelles ». La porosité de la

catégorie « handicap psychique » maintient un flou qui ne permet pas aux institutions

généralistes d’assumer pleinement une position de prescripteurs.

Il s’est avéré, cela a constitué une des difficultés majeures de la recherche, que les

professionnels de l’insertion se sont montrés bien peu en mesure de jouer un rôle

d’intermédiaire pour établir une relation d’enquête auprès de leur « public ». Cette difficulté

semble refléter les difficultés qu’ils rencontrent dans leur fonction de médiation entre les jeunes

et le monde extérieur. Gestionnaires de la situation liminaire de certains jeunes incertains dans

leur inscription durable dans l’emploi, ils ont sur ceux-là une « prise » très improbable. Cette

situation d’entre-deux tend à s’imposer comme mode de résolution de la tension entre capacités

d’action et injonctions étatiques, entre prise en charge inconditionnelle et contreparties

productives.

La dizaine d’entretiens que nous avons pu réaliser auprès de personnes ayant suivi un

« parcours » plus ou moins long dans le secteur de l’insertion des jeunes, définis par les

professionnels comme présentant des troubles notables de l’employabilité, relevant du

« psychique », confirme le propos précédent. On ne peut manquer d’être saisi par les profonds

décalages existants entre d’un côté les désignations institutionnelles et professionnelles de ce

qui fait handicap et de l’autre, les constitutions profanes des difficultés vécues.

• alors que les professionnels tablent sur l’éloignement de l’entourage familial et amical des

jeunes, en référence à une conception de l’autonomie étroitement centrée sur l’individu, les

jeunes eux-mêmes privilégient très fortement ces dimensions, se situant le plus souvent

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dans des relations affectives à la fois denses et intenses. Chez eux, l’autonomie acquise se

mesure beaucoup moins dans le rapport au travail que dans la reconnaissance par les pairs

d’âge ou les proches familiaux. Les conceptions et stratégies des jeunes enquêtés

apparaissent fortement genrées, mais elle est une autonomie qui prend sa valeur dans la

relation.

• Leurs trajectoires montrent que ces personnes éprouvent ou ont effectivement éprouvé des

difficultés à se maintenir dans l’emploi, mais aussi que presque tous se sont construits une

expérience relativement riche du travail, que les professionnels semblent souvent mal

connaître, sinon négliger.

• Les stratégies individuelles des jeunes au regard du travail (autour des contrats courts, de

l’intérim…) apparaissent également peu considérées par les professionnels. Les jeunes

interrogés témoignent d’une conception de leur vie qui relève moins de la trajectoire que

d’un cheminement à travers des situations et des relations qui ouvrent sur des opportunités

de bifurcations biographiques, bien loin de la notion institutionnelle de « parcours ».

• Leur rapport au dispositif d’insertion apparaît de même ambigu : ils considèrent peu ou pas

du tout les acteurs institutionnels comme représentant des autruis significatifs, en mesure de

structurer leur biographie - et ce même s’ils les fréquentent assidûment.

• Quel que soit leur passé de contact avec des psychologues ou psychiatres, la plupart marque

une forte tendance à la mise à distance des catégories du médical, tenues pour peu

signifiantes.

Les enquêtés se répartissent entre jeunes précocement désignés comme handicapés et personnes

orientées vers une structure « santé » à la suite d’échecs répétés des solutions d’insertion

proposées. Parmi ces dernières apparaissent quelques figures qui nous ont été présentées comme

significatives des négociations qui conduisent parfois un ou des professionnels, en lien

rapproché et durable avec une jeune personne en mal d’insertion économique, à engager une

démarche de classement en Allocation Adulte Handicapé. Il s’agit alors de personnes ayant déjà

suivi un parcours long dans les dispositifs de l’insertion, marqués de différents tours et détours

par les modalités de l’offre, pour lesquelles une longue période d’incertitude s’est

progressivement soldée par un « travail » d’identification de soi comme personne handicapée.

Ces exemples concernent marginalement les 18-25 ans, classe d’âge qui constituait la cible

première de la recherche. C’est souvent bien au-delà du cycle social du jeune adulte

qu’intervient ce type de co-construction102.

102 Le « jeune » le plus âgé de notre échantillon, désigné comme tel, a près de 40 ans.

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Mais il faut alors constater que le but partagé par les professionnels et la personne concernée

n’est plus alors dans la quête d’un travail protégé au nom d’un statut de « travailleur

handicapé », mais plutôt dans la recherche en commun d’une solution de mise à l’abri du travail,

de façon sinon définitive, du moins durable.

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Bibliographie

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