rapport final incertitude & flexibilité des traitements de substitution

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Fedito Wallonne RECHERCHE PST3 20 ANS DE PRATIQUE DES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION AUX OPIACES EN REGION WALLONNE : EVALUATION ET PERSPECTIVES Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 1

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Fedito Wallonne

RECHERCHE PST3

20 ANS DE PRATIQUE DES TRAITEMENTS DE

SUBSTITUTION AUX OPIACES EN REGION WALLONNE :

EVALUATION ET PERSPECTIVES

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 1

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REMERCIEMENTS

Cette recherche n'aurait certainement pas pu être accomplie sans l'aide de nombreuses

personnes, que nous tenons à remercier vivement :

– La Région Wallonne, pour la confiance qu'elle nous a faite, notamment en acceptant

de prolonger cette recherche d'un an : Mme Karler, attachée du Cabinet de Madame

La Ministre Tillieux, et Mme Bouton (Directrice SPW-DGO Pouvoirs Locaux, Action

Sociale et Santé), Mr Reyniers (Cellule Assuétudes), Mme Bothy, de l'Administration

du Ministère des Affaires Sociales et de la Santé de la Région Wallonne ;

– Le comité scientifique, pour le temps qu'il a consacré, et pour ses conseils pertinents et

avisés, ayant permis de bien orienter la démarche, voire de la réorienter lorsque cela a

été nécessaire : Claire Gavray, Philippe Bollette, Baudouin Denis, Abraham Franssen,

Philippe Glibert, et Claude Maquet ;

– Le comité de gestion, qui a fait le lien nécessaire entre ce projet de recherche et la

Fedito Wallonne, par son suivi consciencieux : Dominique Humblet, Claire Trabert,

Jacques Van Russelt ;

– La Fedito Wallonne, pour son soutien au projet, et ses permanentes, pour leur aide

précieuse et les échanges fructueux : Joëlle Kempeneers, Jezabel Legat, Florence

Renard ;

– Les associés de recherche, pour l'aide qu'ils ont apportée à la tenue des analyses en

groupe : Raphaëlle Deliège, Mira Goldwicht, Hélène Marcelle, Maguelone Vignes,

Brice Champetier, Raphaël Darquenne ;

– Les professionnels d'institutions suisses et amstellodamoises, ayant accepté de

partager leur expérience, leurs réflexions, voire leurs doutes : René Stamm, de l'Office

Fédéral suisse de Santé Publique ; Dresse Monat et ses collaborateurs, du Centre

Saint-Martin de Lausanne ; Dr Simon, coordinateur du Collège Romand des

Addictions (COROMA) ; Bart Kaye, du programme Peps de Genève ; Gerrit Van

Santen, de la GGD d'Amsterdam, et les institutions qu'il a permis de visiter (Jellinek,

le service intégré du sud-est d'Amsterdam, et Princehof) ; Ernst Buning, d'Eurometh-

work.

– Et bien entendu, les nombreuses personnes et institutions ayant accepté de prendre

part au processus, en participant aux analyses en groupe, ou en permettant des contacts

avec d'éventuels participants. Leur apport a été d'une richesse indiscutable ; nous

espérons que ce rapport aura permis d'en rendre compte le plus fidèlement possible.

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Table des matières

PARTIE I : INTRODUCTION ET CADRE GENERAL.........................................................11

A. Introduction.....................................................................................................................12 B. Bref historique des traitements de substitution en Région Wallonne.............................16

PARTIE II : METHODOLOGIE..............................................................................................19

A. Présentation de la méthode de l'analyse en groupe.........................................................20 B. Concrètement, les étapes de l'analyse en groupe.............................................................23

C. L'intérêt de la méthode d'analyse en groupe, pour le champ des assuétudes...................25

PARTIE III : ANALYSES EN GROUPES, EN CINQ ENDROITS DE LA REGION WALLONNE ...........................................................................................................................27

A. L'hypothèse des différences locales................................................................................28

B. L'objectif d'organiser chaque analyse en groupe, en quatre réunions..............................29

C. Les quatre réunions sont organisées à Charleroi, Liège, Arlon et Tournai.....................30

D. En Brabant wallon, l'analyse en groupe est ramassée en une seule réunion...................31

E. Institutions et profils ayant pris part aux différentes analyses en groupe........................33 F. Introduction à la partie analytique...................................................................................35

G. Analyses des récits..........................................................................................................37

I. PREMIERE PROBLEMATIQUE : LES OBJECTIFS DES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION (récit 1)...............................................................................................37

a) Le récit proposé par un professionnel d'une maison d'accueil : « Les hausses et les baisses dans les dosages »...........................................................................................37b) Les enjeux du récit..................................................................................................38c) Les convergences et les divergences......................................................................38d) Schéma récapitulatif...............................................................................................46

II. DEUXIEME PROBLEMATIQUE : LE PRODUIT DE SUBSTITUTION (récit 2).47

a) Le récit proposé par un ex-polytoxicomane, usager de méthadone : «David ou Jack Daniels»......................................................................................................................47

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b) Les enjeux du récit .................................................................................................48c) Les convergences et les divergences......................................................................48d) Schéma récapitulatif...............................................................................................54

III. TROISIEME PROBLEMATIQUE : LA DÉPENDANCE AUX TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION (récit 3).........................................................................................55

a) Le récit proposé par un usager de substitutifs : « La dépendance aux traitements de substitution »...............................................................................................................55b) Les enjeux du récit..................................................................................................57c) Les convergences et les divergences.......................................................................57d) Schéma récapitulatif...............................................................................................65

IV. QUATRIEME PROBLEMATIQUE : LES MÉSUSAGES (récit 4)........................66

a) Le récit proposé par un professionnel d'un comptoir d'échanges de seringues : « Les mésusages des traitements de substitution ».....................................................66b) Les enjeux...............................................................................................................67c) Les convergences et les divergences.......................................................................68d) Schéma récapitulatif................................................................................................72

V. CINQUIEME PROBLEMATIQUE : LA RELATION ET LE PARTAGE DES SAVOIRS ENTRE L'USAGER ET LE PROFESSIONNEL (récit 5)............................73

a) Préalable..................................................................................................................73b) Le récit proposé par un psychiatre en hôpital psychiatrique : « La relation et le partage des savoirs entre l'usager des traitements de substitution, et le professionnel ».....................................................................................................................................75c) Les enjeux du récit...................................................................................................76d) Les convergences et les divergences.......................................................................77e) Schéma récapitulatif................................................................................................82

VI. SIXIEME PROBLEMATIQUE : COMMENT INTERAGIR AVEC L'USAGER DE SUBSTITUTIFS ? (récit 6).......................................................................................83

a) Le récit proposé par un usager de substitutifs : « Le regard des autres par rapport aux usagers de méthadone »........................................................................................83b) Les enjeux du récit...................................................................................................83c) Les convergences et les divergences.......................................................................84d) Schéma récapitulatif................................................................................................90

VII. SEPTIEME PROBLEMATIQUE : POUR QUOI UN CADRE D'INTERVENTION ? (récits 7 et 8)...............................................................................91

a) Le récit proposé par un psychiatre au sein d'un hôpital psychiatrique : « L'absence de Pères ».....................................................................................................................91

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b) Le récit proposé par un éducateur au sein d'une centre ambulatoire spécialisé : « L'entretien de la toxicomanie par le manque de conscience de certains professionnels »...........................................................................................................92c) Les enjeux................................................................................................................93d) Les convergences et les divergences.......................................................................93e) Schéma récapitulatif..............................................................................................105

VIII. HUITIEME PROBLEMATIQUE : LE TRAVAIL EN RÉSEAU (récit 9).........106

a) Le récit proposé par un pharmacien : « La discontinuité de soins l'a planté »......106b) Les enjeux du récit.................................................................................................107c) Les convergences et les divergences......................................................................107d) Schéma récapitulatif..............................................................................................114

PRE-CONCLUSIONS............................................................................................................115

PERSPECTIVES PRATIQUES ET RECOMMANDATIONS.............................................118

Accepter l'impossibilité de cadres univoques, pour les pratiques de substitution..................118Soutenir légalement la flexibilité des cadres d'intervention....................................................118Au niveau de l'interaction avec l'usager, la question du contrat d'intervention......................120La référence nécessaire au débat sur les normes de qualité....................................................122Des ressources et du support pour les professionnels de soins : de la formation...................123Des ressources et du support pour les professionnels de soins : de l'accompagnement.........125Des ressources et du support pour les professionnels de soins : de la concertation...............127Davantage de concertation avec le pharmacien......................................................................129De la concertation, et non pas de la concentration de soins : le contrôle de la double prescription n'est pas revendiqué............................................................................................130De la participation à la responsabilisation, des usagers de soins et de leurs proches.............131Maximiser l'information, pour l'usager de traitements de substitution et ses proches............132Mener une campagne d'information et de sensibilisation, favorisant une meilleure acceptation des traitements de substitution et de leurs usagers..................................................................134Rejeter le stigmate, déjà au sein de la relation soignant - soigné............................................134En plus de la méthadone, les développements permis par la buprénorphine..........................135Les résultats peu convaincants de la méthadone injectable....................................................136Les développements permis par la diacétylmorphine.............................................................137Le développement d'autres modes d'administration...............................................................137L'usage des morphiniques comme produits de substitution ?.................................................138Des conditionnements de méthadone différents, permettant une réduction des risques.........139

PARTIE IV : L'INCIDENCE DU PARCOURS CARCERAL SUR LES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION....................................................................................................................140

A. Introduction........................................................................................................................141 B. Mise en place de l'analyse en groupe concernant l'incidence du parcours carcéral sur les traitements de substitution......................................................................................................142

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C. Analyse des récits consacrés à l'incidence du parcours carcéral sur les traitements de substitution..............................................................................................................................144

I. PREMIERE PROBLEMATIQUE : LA MOTIVATION LIEE AU TRAITEMENT DE SUBSTITUTION, EN ETABLISSEMENT CARCERAL.....................................144

a) Le récit proposé par un médecin en établissement carcéral : « quelles motivations se trouvent derrière la demande de traitement de substitution ? »............................144b) Les enjeux du récit................................................................................................144c) Les convergences et les divergences....................................................................145

II. DEUXIEME PROBLEMATIQUE : LES DELAIS D'ATTENTE AVANT DE RECEVOIR UN TRAITEMENT DE SUBSTITUTION, A L'ENTREE ET A LA SORTIE DE L'ETABLISSEMENT CARCERAL........................................................154

a) Le récit proposé par un ex-toxicomane, ayant connu un parcours carcéral : « Les délais d’attente trop longs ». ....................................................................................154b) Les enjeux du récit................................................................................................155c) Convergences et divergences................................................................................155

PRECONCLUSIONS.............................................................................................................162

PERSPECTIVES PRATIQUES ET RECOMMANDATIONS.............................................163 Soutenir adéquatement chaque perspective pratique..............................................................163Créer une cellule de soins globale et intégrée, à l'intérieur des établissements carcéraux.....163Des formations et de la sensibilisation pour le personnel carcéral.........................................164Des projets de santé globale....................................................................................................164

CONCLUSIONS GENERALES............................................................................................166

LIMITES DE LA RECHERCHE-INTERVENTION.............................................................172

REACTIONS DES PARTICIPANTS A LA LECTURE DE CE RAPPORT........................178

BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................187

ANNEXES..............................................................................................................................192Annexe 1 : Les récits proposés lors des analyses en groupe locales (à Charleroi, Liège, Arlon, Tournai et en Brabant wallon)................................................................................................193Annexe 2 : Les récits proposés dans le cadre de l'analyse en groupe consacrée à l'incidence du parcours carcéral, sur les traitements de substitution aux opiacés..........................................213

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 8

Page 9: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Annexe 3 : Exemple de guide-lines concernant la substitution..............................................216Annexe 4 : Premier exemple de contrat d'intervention...........................................................228Annexe 5 : Deuxième exemple de contrat d'intervention.......................................................231Annexe 6 : Présentation du Projet TADAM (Traitement Assisté à la Diacétylmorphine).....233Annexe 7 : Présentation de la spin-off dédiée à la Méthode d'Analyse en Groupe................238

NOTES....................................................................................................................................241

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PARTIE I : INTRODUCTION ET CADRE GENERAL

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A. Introduction

En vingt ans de pratique des traitements de substitution aux opiacés en Région

Wallonne, de nombreux constats ont été réalisés, et de nombreux questionnements ont été

relayés à la Fedito Wallonne, que ces questionnements aient porté sur l'évolution des objectifs

et des représentations, ou encore sur celle des usages faits de ces traitements, autant dans le

chef des praticiens que des usagers.

C'est suite à l'explosion du phénomène drogues que ces premiers traitements sont

apparus largement, notamment en Région Wallonne. Certains percevaient alors la méthadone

comme un médicament nécessaire à la personne, alors que d’autres étaient choqués que le

secteur socio-sanitaire en vienne à prescrire une drogue ; certains la percevaient comme

diamétralement contraire à l’héroïne, alors que d’autres en soulignaient les caractéristiques et

effets similaires (Stengers & Ralet, 1991 ; Gomart, 2002 ; Coppel, 2002 ; Pelc et al., 2005 ;

Valentine, 2007).

Une bataille juridique fut menée. Si la Conférence de Consensus de 1994 dépénalisa les

pratiques, il fallut très vite aller plus loin : modifier la loi de 1921 ; légaliser les traitements de

substitution par la loi de 2002 ; réglementer les pratiques, ou du moins tenter de le faire, par

l'arrêté royal du 19 mars 2004, puis par celui du 6 octobre 2006, dont les arrêtés d'application

ne sont toutefois pas encore promulgués.

Les traitements de substitution semblent en fait en constante évolution ; les pratiques

paraissent constamment en avance sur les normes légales ; et les débats semblent loin d'être

éteints.

Malgré donc les vingt ans de pratique de la substitution aux opiacés en Région

Wallonne, son principe même semble encore et toujours l'objet d'incertitudes. L'objectif est-il

l'abstinence ? La maintenance ? La réduction des risques ? A quel cadre d'intervention doivent

répondre les traitements de substitution ? A ce jour, aucune recherche, ni aucune norme légale

n'ont apporté de clarifications substantielles.

Les questionnements s'inscrivent aussi dans le détail : comment pratiquer ces

traitements de substitution, au quotidien ? Quelle fréquence dans la prescription et la

délivrance ? Par quels professionnels ? En concertation, ou non ? Avec quelle mesure dans le

contrôle ? Et puis déjà, avec quelle molécule, alors que la buprénorphine s'est ajoutée à la

méthadone, et que la diacétylmorphine (appelée parfois « héroïne pharmaceutique ») apparaît

en projet-pilote ?

Multitude de questionnements, donc...

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 12

Page 13: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Pourtant, beaucoup a déjà été écrit sur le sujet, et il est tout à fait aisé de trouver des

résultats issus de recherches quantitatives ou qualitatives, menées par la Politique Scientifique

Fédérale, des universités, des réseaux de soins, des associations,... Nous pouvons donc

constater que 1) de multiples recherches sur les traitements de substitution ont déjà été

menées, et que 2) malgré ces recherches, et malgré les vingt ans de pratique du secteur

en la matière, de nombreuses questions restent en suspens.

La Fedito Wallonne a dès lors saisi l'opportunité de subsides PST3, pour tenter

d'apporter un éclairage et des propositions en la matière, par le biais d'une recherche-action

particulière, de par la méthode de recherche utilisée, à savoir celle de l'analyse en groupe.

L’hypothèse émise était que cette méthode de recherche-action allait permettre l'émergence de

perspectives nouvelles.

L'analyse en groupe cherche à réunir les personnes actives dans un même champ,

mais à partir de positions diverses, voire opposées. Pour la question qui nous a occupé, il

s'agissait de réunir les acteurs des traitements de substitution, à savoir médecin, psychiatre,

pharmacien, psychologue, assistant social,... et usager !

Si l'analyse en groupe vise à réunir des acteurs inscrits dans un même champ, mais dans

des positions diverses, c'est parce qu'elle s'intéresse tout d'abord aux convergences et aux

divergences existant entre ces derniers. En d'autres mots, il s'agit de mieux cerner ce sur

quoi les différents acteurs s'accordent, et ce sur quoi ils ne s'accordent pas.

L'intérêt réside dans le fait que les traitements de substitution impliquent une certaine

collaboration entre professionnels et usagers. Or, cette collaboration ne peut être optimale,

tant qu'il n'y a pas reconnaissance commune des points d'accords et de désaccords existant

entre les différents acteurs du champ de la substitution. L'analyse des convergences et des

divergences permettra donc justement d'entendre le point de vue de tout un chacun concerné

par les traitements de substitution, et éventuellement d'aider à la construction de nouveaux

points d'accords et de collaboration entre ces derniers.

En dernier lieu, cette méthode de recherche-action permet aux groupes constitués

d'acteurs divers, de tenter de s'entendre sur des perspectives pratiques et consensuelles entre

eux. A l'analyse correspond donc un moment pratique, de tentative de créations de nouveaux

points d'accords.

Concrètement, aux débuts de l'analyse en groupe, nous ne nous entendrons peut-être pas

forcément sur le rôle et la responsabilité du pharmacien, dans le cadre des traitements de

substitution. Néanmoins, nous accepterons d'en parler, et d'écouter les points de vue du

pharmacien, du médecin, de l'usager, et de toute autre personne concernée par le traitement.

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Page 14: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Ce faisant, nous cernerons mieux les perceptions de l'autre, et nous serons mieux compris

dans les nôtres. Par cet échange de points de vue, nous serons peut-être d'accord sur

davantage de points.

Nous ne serons que rarement d'accord sur tout, mais nous saurons du moins pourquoi

nous ne sommes pas d'accord sur tout. Éventuellement, nous pourrons même tenter de trouver

de nouveaux points d'accords, de nouvelles perspectives faisant consensus. Pour reprendre

l'exemple donné, nous pourrons par exemple écrire des propositions concrètes quant à la

position que devrait occuper le pharmacien dans les traitements de substitution.

En ce qui concerne les recherches menées autour des questions d'assuétudes, cette

méthode de recherche-action pose alors une déclinaison particulière, à savoir la pleine

participation d'(ex-)usagers d'opiacés aux analyses.

Soyons honnêtes : il est indéniable que la parole des (ex-)usagers de substitutifs est déjà

prise en compte dans certains dispositifs. Cela fait déjà longtemps que certaines associations,

et certains comités soulignent et défendent la citoyenneté de l'usager de drogues, ses choix,

son image et ses droits. D'un point de vue clinique, le (re)centrage sur l'usager de soins est de

plus en plus marqué. Et ces dernières années, dans l'interaction entre le professionnel et

l'usager, la relation entre les deux s'est horizontalisée, et la parole du second est apparue de

plus en plus éclairante au premier.

Mais du point de vue de la recherche, la parole de l'usager de soins est encore souvent

réduite à la « simple » source d'informations. Cela tient peut-être à la posture classique (et

dépassée ?) du sociologue, distant du terrain : il tient alors son rôle, lorsqu'il interviewe

l'usager de drogues et/ou de soins, et qu'il se retranche ensuite derrière son ordinateur et ses

outils théoriques, pour en extraire son analyse.

Si l'exercice est digne d'un certain intérêt, il est un fait qu'à la posture du sociologue

distant, se substitue peu à peu celle du sociologue impliqué, cette dernière allant souvent de

pair avec la pleine reconnaissance de la capacité d'analyse des « acteurs ».

En clair, usagers de drogues et/ou de soins ne seront plus de « simples » sources

d'informations : ils seront aussi sources d'analyses et de réflexions. Le sociologue ne sera plus

le seul à poser un regard « réfléchi » sur le phénomène social : son regard sera intégré parmi

ceux des personnes prenant une part active à la recherche.

Les différents regards seront certainement nuancés, différents, parfois même opposés, et

il n'y aura rien de plus logique, puisque nous ne parlons jamais qu'à partir d'où nous sommes :

un médecin, un pharmacien et un usager de substitutif n'auront pas un regard univoque sur ces

traitements de substitution. Chacun parlera à partir de son vécu, de son expérience, ou de son

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Page 15: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

diplôme ; bref, de sa propre subjectivité. Il en ira de même pour le sociologue, impliqué

maintenant dans le phénomène étudié. Son regard ne sera plus perçu comme objectif et

neutre, mais subjectif et revendiqué comme tel. A une objectivité à laquelle il ne croira plus, il

invoquera une subjectivité réaliste, modeste, et humble.

Dans ce contexte, les personnes et le chercheur deviennent co-constructeurs de

l'analyse : ils posent des regards convergents et divergents sur un même phénomène, à savoir

les traitements de substitution aux opiacés.

Ce rapport de recherche-action est donc le fruit de rencontres, entre personnes diverses,

toutes concernées par les traitements de substitution en Région Wallonne. Ces lignes tentent

de résumer ce que chacun aura voulu exprimer et mettre en débat. L'objectif, atteint ou non,

aura été d'esquisser l'état actuel de ces débats sur les traitements de substitution ; de rendre

compte des représentations divergentes et convergentes entre les personnes ayant participé à

la démarche ; et de trouver des perspectives pratiques pour minimiser les divergences, et

maximiser les convergences entre ces acteurs.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 15

Page 16: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

B. Bref historique des traitements de substitution en Région Wallonne.

De manière schématique, on dira que le traitement de substitution pour personnes

dépendantes de la consommation de substances dites addictives, consiste à remplacer la

substance impliquée dans le lien de dépendance, par une autre qui, soit, présente des

avantages médicaux, soit limite les risques engendrés par la consommation de la première

substance, soit encore permet au médecin d’avoir une meilleure maîtrise de la situation, en

vue de permettre d’autres actes de soins. Quoi qu’on puisse penser, ce dispositif de soins

semble déjà ancien, puisqu'à la fin du XIXème siècle, l’héroïne fut notamment

commercialisée comme produit de substitution pour sevrer les morphinomanes (Lamkaddem

& Roelands, 2007 ; Pelc et al., 2005).

Parmi les traitements de substitution pour personnes dépendantes aux opiacés, la

méthadone paraît être le produit le plus communément utilisé, que ce soit en Belgique ou dans

la plupart des pays pratiquant ces traitements (Lamkaddem & Roelands, 2007 ; Pelc et al.,

2005 ; Ledoux et al., 2005, Denis et al., 2001). La méthadone est un opiacé synthétique mis

au point par des chimistes allemands à la fin des années 1930, dans le cadre de recherches

militaires visant la production d’analgésiques plus puissants et moins coûteux que la

morphine, en préparation à la seconde guerre mondiale. Toutefois, les essais cliniques s’étant

avérés peu concluants, elle sera écartée, et le brevet tombera aux mains des américains à la

libération. Ce n’est qu’en 1964 que Dole et Nyswander la redécouvrent et en font un produit

de substitution pour le traitement des héroïnomanes (Pelc et al., 2005).

Dans les années 70, le phénomène-drogue prend de l’ampleur dans nos pays d’Europe

Occidentale, et les gouvernements adoptent un à un des législations répressives encadrées par

des conventions internationales. En Belgique, toutefois, quelques médecins entament des

traitements expérimentaux de substitution avec certains patients toxicomanes. Ce ne l'est

qu'au prix de vives polémiques, puisque la loi de 1921 interdit « la fabrication, la détention,

la vente, l’offre en vente, la délivrance ou l’acquisition à titre onéreux ou à titre gratuit de

substances stupéfiantes, sans autorisation du Ministre compétent ». Une application stricte de

celle-ci empêche donc la pratique des traitements de substitution (Pelc et al., 2005).

Concrètement, c'est d'abord à Bruxelles que certains feront face à cette illégalité, avant que

ces traitements ne s'étendent en Wallonie, puis en Flandres (Ledoux et al., 2005).

On assiste alors à une bataille administrativo-juridique, prenant place dans les années

80, et ce surtout au sein du corps médical. Le débat est d’autant plus virulent, que le virus du

SIDA se développe simultanément, et que de nouvelles approches, comme la réduction des

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 16

Page 17: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

risques, voient le jour. Les traitements de substitution sont d’ailleurs souvent identifiés

comme dispositif particulier de la réduction des risques, puisqu’ils limitent concrètement le

recours aux injections, vecteur parmi d’autres de la transmission de l’épidémie (Pelc et al.,

2005).

Mais il n'empêche : de plus en plus d'initiatives se prennent. Ainsi, au début des années

90, un réseau de médecins généralistes, avant tout issus d'institutions, s’organise, et se baptise

« Réseau ALTO » pour « Alternative à la Toxicomanie » (Denis et al., 2001). de manière

concomitante, le centre liégeois Alfa constitue une approche pluridisciplinaire à l'égard de la

toxicomanie et de la substitution.

Un compromis est finalement trouvé en 1994, lors de la Conférence de Consensus : la

Justice cesse d’appliquer la loi lorsqu’il s’agit de traitements de substitution, et s’en remet aux

autorités médicales appliquant les recommandations de cette Conférence. Tout médecin se

conformant aux recommandations peut donc user des traitements de substitution pour des

patients toxicomanes. La pratique se développe alors à grande échelle, avec d’indéniables

succès en termes de Santé Publique (Lamkaddem & Roelands, 2007 ; Pelc et al. 2005 ; Denis

et al., 2001)

En 1995, dans son « Programme d’Action Toxicomanie-Drogue » (ou « programme en

10 points »), le Gouvernement fédéral préconise la création de « Maisons d’Accueil Socio-

Sanitaire pour usagers de drogues » (MASS), centres de soins « à bas seuil » où la pratique

des traitements de substitution est soulignée comme une méthode privilégiée (Pelc et al.,

2005).

En 2002, une loi modifiant celle de 1921 reconnaît légalement la pratique de ces

traitements : « on entend par traitement de substitution tout traitement consistant à prescrire,

administrer ou délivrer à un patient toxicomane des substances stupéfiantes sous forme

médicamenteuse, visant, dans le cadre d’une thérapie, à améliorer sa santé et sa qualité de

vie, et à obtenir si possible le sevrage du patient »i (Pelc et al., 2005).

L'Arrêté Royal du 19 mars 2004 tente, une première fois, de réglementer la pratique des

traitements de substitution ; l'Arrêté du 6 octobre 2006 vise à approfondir cette voie, sans

toutefois que ses Arrêtés d'application n'aient encore été publiés.

Quel en était le projet ? Tout d'abord, les médicaments de substitution y étaient définis

strictement : ils consistaient en la méthadone et la buprénorphine. Ensuite, les médecins

suivant plus de deux patients se devaient de respecter des recommandations scientifiques, de

veiller au suivi psychosocial, et de suivre un certain nombre de règles quant à la tenue du

dossier médical. Ils devaient suivre ou avoir suivi une formation, pendant ou après leurs

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 17

Page 18: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

études, ou prouver qu'ils avaient acquis une expérience suffisante en la matière. (Lamy D.,

2007)

Une dernière disposition de l'Arrêté de 2006 visait à l’enregistrement et au traitement

des données des prescriptions de substitutifs. L'objectif était aussi bien scientifique et

épidémiologique, que de surveillance en cas de double prescription. Les médecins se voyaient

donc obligés de s'enregistrer eux-mêmes auprès de centres spécialisés (centres agréés et

services hospitaliers), de réseaux (comprenant des médecins et veillant à l'accompagnement

psychosocial du patient et à la formation continue des professionnels), ou de centres d'accueil

pour toxicomanes (pluridisciplinaires, avec au moins deux médecins, un travailleur social, et

un psychiatre ou un psychologue). Cette disposition n'a jamais été effective, l’Institut

Pharmaco-Epidémiologique Belge (IphEB) n'ayant aucun cadre légal lui permettant de

signaler l’identité des médecins et des patients concernés par les « doublons », aux

Commissions Médicales Provinciales (Lamy D., 2007 ; Pelc et al., 2005 ; Ledoux et al.,

2005).

Le dernier développement en date, et certainement non des moindres, est la mise sur

pied du projet-pilote TADAM, pour « Traitement Assisté par Diacétylmorphine ». Ce projet

fait suite à de vieux débats, et à une étude de faisabilité ii menée il y a quelques années. Il a

pour objectif de comparer, sur une période de douze mois, l'avantage de la diacétylmorphine

par rapport à la méthadone, pour des personnes dépendantes ne trouvant pas satisfaction

auprès des traitements existant actuellement (Journée d'étude de la Liaison

Antiprohibitionniste, « Peut-on promouvoir le droit à la santé sans enfreindre la loi ? », 20

octobre 2009).

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 18

Page 19: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

PARTIE II : METHODOLOGIE

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 19

Page 20: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

A. Présentation de la méthode de l'analyse en groupe

Le postulat fondamental sur lequel repose la méthode de l'analyse en groupeiii, est celui

de l'incertitude dans laquelle vit l'individu contemporain. Loin des certitudes ordonnées des

classes sociales, nous vivons à présent :

• des trajectoires sociales désajustées ;

• des inégalités sociales dépassant le strict socio-économique et culturel, pour s'étendre

à l'identité même de l'individu, lorsque tout dépend de ce que chacun dispose pour

construire sa vie, affirmer son identité, et être reconnu par les autres ;

• une complexification des critères et des exigences pour participer à l'échange social,

générant non plus une classe de dominés, mais l'exclusion de multiples individus ;

• des individus qui deviennent, chacun, l'unité de reproduction de la sphère sociale.

Dans ce contexte, dans ces désordres et désajustements en cascade, émerge un sujet

réflexif. Puisqu'il n'y a plus de cadre normatif sécurisant et stable, l'individu est tenu d'élaborer

des réponses adéquates. « Dès lors qu'il y a rupture par rapport aux évidences culturelles, dès

lors aussi qu'il y a pluralité de références en concurrence, dès lors enfin que les

représentations sociales a priori perdent de leur effectivité (prétention à la vérité) et de leur

normativité (prétention à la validité), un espace réflexif, de choix éthique et instrumental,

s'ouvre au sujet. […] Dans la société contemporaine, les individus tendent par conséquent à

développer un rapport davantage décentré, réflexif et procédural au monde. »iv

Ces évolutions ont des incidences radicales sur l'action publique, où on observe depuis

maintenant trois bonnes décennies, la multiplication de dispositifs destinés à des publics

désignés comme déviants, comme les usagers de drogues. Dans ce champ particulier, on

observe ainsi une multiplication d'intervenants impliqués dans la gestion du phénomène

drogues. Cette multiplication d'intervenants se cristallisera même autour de dossiers

individuels, réunissant souvent médecin, psychologue, psychiatre, assistant social, éducateur,

assistant de justice, administrateur de biens, voire le propriétaire de l'appartement dont le

payement du loyer subit des retards, etc. Dans ces dispositifs complexes, les « proches » ont

de plus en plus souvent une place reconnue, qu'ils soient compagnon ou compagne, enfants,

parents, amis, voire entraîneur du club de sport fréquenté par la personne, comme le propose

la clinique de concertation. « Concertation », donc, de plus en plus poussée, avec le travail en

réseaux. La décision s'horizontalise, et même la contrainte se négocie, individuellement, au

cas par cas.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 20

Page 21: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

L'usager est alors inscrit dans un projet individualisé, dont il est co-producteur et co-

responsable. Autonomie et auto-détermination deviennent des maîtres-mots, voire des

injonctions, dans le cadre de « projets professionnels », de « projets de formation », de

« projets thérapeutiques ».

Ces mutations imposent de nouvelles méthodes de recherche en sociologie, permettant

d'appréhender les problèmes et enjeux sociaux de notre époque. La méthode d'analyse en

groupe propose donc de se baser sur la co-production sociale d'analyses émises par des

acteurs aux positions et aux points de vue divergents. En effet, puisque c'est dans le jeu des

interactions, des relations et des rapports sociaux entre acteurs que vont se (re)construire les

réalités sociales, c'est dans ce jeu reconstitué qu'elles seront débattues, discutées et analysées.

Le participant à l'analyse en groupe est donc un sujet, non plus informatif comme dans

d'autres dispositifs de recherche, mais réflexif, mettant en oeuvre ses compétences pratiques,

mais aussi ses capacités critiques.

L'analyse en groupe va donc tenter d'établir des conditions de débat, permettant cette

analyse réflexive, en réinscrivant le sujet dans son espace social : concrètement, en le

réinscrivant dans un groupe constitué de personnes assumant des rôles auxquels il se

confronte au quotidien. « En transposant en son sein, par-delà la dynamique du groupe, le

système des rapports sociaux (professionnels, institutionnels) dont chacun est partie

prenante, l'analyse en groupe permet à chacun de questionner et d'analyser les rapports

sociaux qu'il entretient avec ces différents interlocuteurs. »v La coopération conflictuelle entre

acteurs différents inscrits dans un même champ, en l'occurrence celui des traitements de

substitution, est donc à la base de l'analyse en groupe.

Celle-ci se voudra d'abord un dispositif associant les acteurs concernés à la construction

de l'analyse sociologique de leurs expériences et de leurs pratiques. Car premièrement, leur

compétence pratique est irremplaçable, et, s'ils ne disent pas la vérité, ils disent des vérités

que nul autre ne pourrait dire. Car deuxièmement, leur connaissance est également réflexive,

construite et critique. Le pari est donc d'organiser la confrontation d'interprétations

divergentes, au sein d'un groupe constitué de praticiens et de chercheurs, pour arriver à une

connaissance scientifique du phénomène étudié.

L'approche sera alors inductive. Loin des hypothèses générales du chercheur, nous

partirons des expériences des acteurs : au plus proche des pratiques et des questionnements du

quotidien, nous nous baserons sur le récit détaillé d'une expérience vécue par les différents

participants. Et c'est en nous penchant largement sur un ou plusieurs de ces récits, que les

différents participants pourront donner leurs interprétations, convergentes et divergentes, de

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 21

Page 22: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

« ce qui s'est passé » et de ce qui explique. Ces convergences et divergences illustrent un fait :

c'est que tous les participants ne seront probablement pas d'accord sur tout. Ainsi donc, les

différents acteurs d'un même champ, de par leurs positions individuelles dans ce champ, ont

difficilement accès à un consensus général sur les divers enjeux de ce champ. Le conflit, des

idées du moins, est au centre de ces collaborations, intrinsèquement, et quotidiennement.

En conséquence, pour mener à bien une analyse en groupe, cinq principes doivent

absolument être (tentés d'être) respectés :

• le principe de la publicité de la discussion, dans le sens où l'entièreté des débats se

déroulent avec les participants, et que même le rapport de recherche est passé au feu

des critiques de ces derniers ;

• le principe de liberté et d'égalité des participants au débat : chaque participant a une

égale compétence à faire valoir son point de vue, tout aussi vrai et respectable que tout

autre point de vue de tout autre participant ;

• le principe de l'argumentation, puisque c'est sur l'argumentation rationnelle, et non par

exemple sur tout argument d'autorité, que se construira la progression de la

connaissance ;

• le principe du consensus, dans le sens où il ne s'agit pas d'être d'accord sur tout, mais

d'être d'accord sur nos points d'accords et de désaccords ;

• le principe de la réversibilité et de l'illimitation des débats, dans le sens où tout nouvel

argument doit entraîner la remise en question de l'accord.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 22

Page 23: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

B . Concrètement, les étapes de l'analyse en groupe.

L'analyse en groupe se concrétise par la réunion de 8 à 12 participants, représentatifs

des différents rôles intervenant dans la gestion des problématiques évoquées, en l'occurrence

la substitution aux opiacés. Ce sont bien ces personnes qui opèrent l'analyse, le chercheur

étant avant tout garant du processus méthodologique.

La première étape consiste en la proposition de récits : chaque participant est amené à

résumer une expérience, qu'il a connue personnellement, et qui préfigure, selon lui, des enjeux

propres au champ ou à la question étudiée. L'essentiel, à ce stade, est de se baser sur des faits

passés, et non pas sur des interprétations. A chaque récit est adjoint, par le groupe, un titre à

consonance mnémotechnique, avec un prénom d'emprunt et quelques mots résumant la

« scène » : par exemple, « Michel, ou La double prescription de méthadone ».

Sont ensuite choisis les récits sur lesquels se porteront les analyses ; généralement, un

vote est organisé, avec éventuellement, au préalable, des regroupements de récits jugés

proches, et dès lors suffisamment répétitifs.

Le narrateur du récit choisi, le répète, cette fois-ci avec davantage de détails, et en en

soulignant les enjeux qu'il y a décelés : « ce qui est important, dans cette histoire, c'est

que... ». Les détails de l'expérience vécue sont affinés, notamment par des questions

d'informations, posées par les autres participants.

Enfin vient le temps des interprétations et des pré-analyses. Chacun à son tour, les

différents participants sont invités à donner leur lecture explicative du récit. Il ne s'agit pas de

donner des arguments d'autorité, ni de jugements de valeur, mais bien de réflexions

argumentées rationnellement.

Suite à un premier tour de table, le narrateur est invité à réagir aux premières

interprétations données par les autres participants. Eventuellement, nous prendrons le temps

de revenir au récit, et de reposer des questions d'informations.

Un second tour de table prend alors place, suivant les mêmes consignes, si ce n'est qu'on

encourage les participants à prendre position par rapport aux interprétations données par les

autres. Le narrateur réagit à nouveau.

Lorsque ce matériau est réuni, le chercheur l'organise en convergences et en

divergences. Encore une fois, il s'agit, non pas de se mettre d'accord sur le contenu, mais sur

une formulation conjointe de ces convergences et divergences. Les participants doivent y

reconnaître l'essentiel de ce qu'ils ont dit.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 23

Page 24: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

A partir de cette organisation des divergences et des convergences, les questions-clés

qui émergent sont restructurées sous formes de problématiques à creuser, éventuellement avec

l'aide d'apports théoriques. Les chercheurs peuvent alors proposer des grilles de lecture

théoriques, jugées pertinentes pour alimenter l'analyse.

Enfin, à partir de la problématique identifiée, puis analysée, le groupe s'attelle au

dégagement de perspectives pratiques, permettant éventuellement, si non de résoudre, du

moins de réduire la portée de ces problématiques.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 24

Page 25: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

C. L'intérêt de la méthode d'analyse en groupe, pour le champ des assuétudes

La méthode d'analyse en groupe repose sur le principe de l'échange de points de vue,

entre acteurs différents, impliqués dans un même champ. Cette méthode s'est avérée utile pour

le sujet qui nous occupe, puisque les traitements de substitution impliquent forcément la

coopération entre diverses personnes – par exemple, un médecin, un pharmacien, et un

usager, mais aussi éventuellement un psychologue, un assistant social, des proches, ...

Elle s'est avérée d'autant plus utile que, forcément, entre usager, médecin, pharmacien,

psychologue, assistant social, proche, ..., la vision du traitement de substitution n'est pas

univoque ; les points de vue concernant la méthadone ou la buprénorphine divergent ; l'avis

même de l'intérêt d'une substitution peut être différent.

Comment donc favoriser l'entente et la compréhension entre des professionnels, entre

des non professionnels, et entre des professionnels et des non professionnels, autour des

traitements de substitution ? Cette question s'inscrit quotidiennement au centre des pratiques

de substitution. Nous l'avons donc aussi inscrite dans cette recherche-action. La méthode

d'analyse en groupe nous a en effet permis de mener à bien une évaluation des représentations

et des pratiques, et une ébauche de perspectives pratiques, tout cela avec un regard

potentiellement novateur sur les débats.

L'évaluation, tout d'abord, n'a pas consisté en de nouvelles statistiques ou de nouveaux

entretiens individuels ou de groupes : des recherches de ce genre ont déjà été menées, et il

n'était pas opportun de les répéter. Notre évaluation a donc eu pour but de recenser des

questionnements au travers d'une bonne cinquantaine d'expériences vécues ; d'en étudier

certains en profondeur ; et d'ébaucher des perspectives pratiques, comme réponse directe aux

analyses approfondies.

L'analyse en groupe a pu donner d'intéressantes perspectives à ce recensement,

puisqu'elle a permis de faire pleinement participer le terrain associatif : en le faisant réagir ; en

l'amenant à partager ses difficultés, ses doutes, et ses incertitudes ; en lui donnant l'occasion

d'échanger, et de mettre son avis en question, en balance, en discussion avec les autres

professionnels. Ce sont donc bien les intervenants qui ont mené les analyses ; qui se sont

positionnés les uns par rapport aux autres ; qui n'ont pas été d'accord sur tout, mais du moins

sur ce qui les rapprochait et les distinguait.

L'analyse en groupe s'est avérée d'autant plus pertinente, qu'elle a permis d'ouvrir les

groupes de discussion et d'analyse, à des usagers ou ex-usagers de substitutifs. Le dispositif

est alors devenu novateur par rapport à d'autres recherches sur le sujet, car il a permis, non

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 25

Page 26: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

seulement la prise en compte de l'avis de l'usager de soins, déjà réalisé ailleurs, mais en outre

la confrontation de son avis avec celui d'autres acteurs du champ de la substitution.

Les différents points de vue ont donc été en discussion, car tous ceux qui les ont donnés

avaient une expertise et une capacité d'analyse. Expertises, certes, différentes, entre un

médecin qui prescrit le traitement de substitution, et celui qui en fait usage ; mais expertises

néanmoins intéressantes, puisque complémentaires entre elles.

En conséquence, les échanges auxquels ces experts se sont prêtés ne sont rien d'autre

que des représentations, des manières de voir, de percevoir et d'aborder les traitements de

substitution. Il ne s'agit nullement de rendre compte d'une vérité, le postulat de cette recherche

étant justement que « la » vérité concernant les traitements de substitution n'existe pas. Au

contraire, ce qui prévaut, c'est une multitude de vérités, tantôt convergentes, tantôt

divergentes, entre ces différents experts.

Que les participants aux analyses en groupe en question soient, de longue date, des

professionnels de ces traitements ; qu'ils en soient usagers ; ou encore qu'ils aient en réalité un

rapport plus distant à l'égard de ces traitements ; nous parlerons de représentations et de

perceptions, égales les unes avec les autres, sans hiérarchie ni caractère « plus vrai » que

d'autres.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 26

Page 27: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

PARTIE III : ANALYSES EN GROUPES, EN CINQ ENDROITS DE LA REGION

WALLONNE

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 27

Page 28: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

A. L'hypothèse des différences locales

Nous avons choisi d'appliquer l'analyse en groupe, en cinq endroits de la Région

Wallonne. Nous avons en effet fait l'hypothèse qu'il pouvait exister des différences locales,

influençant des pratiques et des représentations divergentes, en termes de traitements de

substitution aux opiacés.

Concrètement, les analyses en groupe ont été organisées :

• dans deux grandes villes, au sein desquelles le réseau spécialisé nous a semblé large et

diversifié, en l'occurrence Liège et Charleroi ;

• dans deux villes moyennes, avec un réseau de soins moins dense et moins diversifié,

en l'occurrence Tournai et Arlon. Ces deux villes pouvaient en outre nous faire accéder

à d'éventuelles particularités transfrontalières ;

• et dans une région défavorisée en termes de services spécialisés, en l'occurrence la

province du Brabant wallon.

Pour chaque terrain, il s'est agi de réunir un groupe de 8 à 12 personnes, concernées par

les traitements de substitution, que ces personnes soient reconnues comme professionnels ou

non. L'essentiel était que ces groupes soient diversifiés du point de vue de leurs participants,

tant en termes d'origines institutionnelles, que de profils professionnels, et d'expériences

personnelles. Le but était bien de maximiser la richesse des échanges, en multipliant les points

de vue potentiellement divergents.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 28

Page 29: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

B. L'objectif d'organiser chaque analyse en groupe, en quatre réunions

En chaque endroit, nous avons cherché à mener quatre réunions :

• La première réunion avait pour but d'expliquer largement la démarche, la méthode de

l'analyse en groupe, et le cadre de la réunion que cette méthode impliquait. Les

différents participants étaient par la suite appelés à proposer le récit d'une expérience

1) qu'ils avaient personnellement vécue, en tant que professionnel ou usager, 2) qui

concernait les traitements de substitution, et 3) qui était, à leurs yeux, illustratrice de

questionnements qu'ils proposaient d'analyser. Cette première réunion se clôturait par

le vote de deux récits sur lesquels chaque groupe allait se pencher.

• La deuxième réunion visait à l'analyse du premier récit choisi.

• La troisième réunion visait à l'analyse du second récit choisi.

• Lors de la quatrième réunion, le chercheur rendait compte du résumé des analyses

menées lors des deuxième et troisième réunions. Les participants avaient alors

l'occasion de confirmer s'ils se « retrouvaient » dans la synthèse présentée. Leur feed-

back permettait au chercheur d'éventuellement corriger ou nuancer sa synthèse.

Enfin, le groupe était invité à se pencher sur des perspectives pratiques, la question

posée devenant alors : étant donné les problématiques propres aux traitements de

substitution que vous avez identifiées par vos récits, et étant donné les analyses que

vous en avez faites lors des deux réunions suivantes, quelles seraient les perspectives

pratiques permettant de réduire la portée de ces difficultés ?

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 29

Page 30: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

C. Les quatre réunions sont organisées à Charleroi, Liège, Arlon et Tournai

Ces analyses en groupe ont pu être tenues dans les villes de Charleroi, Liège, Arlon et

Tournai. Ainsi, ont pris part aux groupes :

• de Charleroi : 7 professionnels et 2 (ex-)usagers de substitutifs ;

• de Liège, 9 professionnels et 3 (ex-)usagers ;

• d'Arlon, 10 professionnels et 3 (ex-)usagers ;

• de Tournai, 6 professionnels et 1 usager.

Si le groupe de Tournai n'a réuni que 7 personnes, la principale raison fut d’ordre

clinique ou déontologique, à savoir la difficulté ressentie par certaines institutions, par rapport

à la possibilité que le groupe réunisse d'une part un intervenant, et d'autre part un usager

connu de cet intervenant ou de l'institution dans laquelle il travaille. Concrètement, le risque

était de voir cet usager y tenir un discours différent de celui tenu dans une relation singulière.

Qui plus est, la démarche a posé question quant au secret de la confidence, ou à

l'éventuel malaise ressenti par l’usager face à son thérapeute passé, présent ou futur.

Il est ici important de noter que ce type de questionnement, forcément légitime, a pris

place au sein de plusieurs institutions, dont certaines ayant finalement accepté de prendre part

à la démarche. A cet égard, la Fedito Wallonne avait d'emblée reconnu à ses membres la

liberté de participer ou non à ce processus de recherche-action, en fonction de leurs

dynamiques propres et de leurs contextes particuliers d’intervention.

Néanmoins, en ce qui concerne le groupe de Tournai, d’autres difficultés, nettement plus

pratiques, ont expliqué le nombre réduit de participants, à savoir :

• le désistement d’un professionnel pour des raisons organisationnelles ;

• l'impossibilité d'inviter l'institution par laquelle le chercheur avait pu entrer en contact

avec l'usager participant ;

• la faible densité du réseau social et de santé, concerné par les traitements de

substitution.

Ce groupe de Tournai a néanmoins pu amener un propos particulier, notamment par le

fait que l'absence de certains intervenants spécialisés, était partiellement compensée par la

présence d'intervenants généralistes, moins habitués aux débats concernant la substitution,

mais ayant justement amené des points de vue différents de ceux entendus généralement.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 30

Page 31: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

D. En Brabant wallon, l'analyse en groupe est ramassée en une seule réunion

L'analyse en groupe n'a par contre pas pu être tenue en quatre réunions, en province du

Brabant wallon.

Cela ne s'explique certainement pas par manque de professionnels et d'institutions

intéressés par cette recherche-action : lors de la première prise de contacts, cet intérêt a été

confirmé par plus de onze d'entre eux, ces derniers regroupant des services de santé mentale,

des hôpitaux généraux et psychiatriques, des soins psychiatriques à domicile, des médecins en

cabinet privé ou en maison médicale, et des services communaux au sein desquels un projet

était spécifiquement dédié aux assuétudes, en plus d'une personne usagère de substitutifs.

Le temps a toutefois posé problème, puisque parmi les professionnels et institutions

contactés, seuls un médecin généraliste, un hôpital psychiatrique, et un service communal

pouvaient se libérer pour les quatre réunions nécessaires au processus. Un nombre important

de services, dont certains peuvent être reconnus comme des acteurs majeurs de la substitution

en Brabant wallon, ne pouvaient donc y consacrer le temps nécessaire.

Comment l'expliquer ? Sans doute par le manque de structures spécialisées, et disposant

de suffisamment de moyens financiers et humains. En Brabant wallon, en effet, ce sont

d'abord des institutions généralistes qui prennent en charge les traitements de substitution, ces

derniers ne constituant qu'une de leurs nombreuses missions. D'aucuns relèvent d'ailleurs que

c'est justement cette intégration des soins liés aux assuétudes, dans une offre de soins

généraliste, qui pourrait constituer la plus-value propre au Brabant wallon. On aurait donc tort

de conclure que les assuétudes aux opiacés ne sont pas prises en charge dans cette province.

Indéniablement, il y a un phénomène d'attraction par les réseaux institutionnels de

Charleroi et de Bruxelles. La personne suivant un traitement de substitution et ayant participé

au groupe du Brabant wallon, l'a expliqué par le manque de connaissance d'adresses où le

traitement de substitution est possible, et le désir d'anonymat.

Néanmoins, il existe bel et bien des usagers consultant en Brabant wallon, et pour qui il

n'est nullement question de se rendre à Bruxelles ou à Charleroi pour recevoir leur traitement

de substitution. Ainsi, la personne sous traitement de substitution est à présent revenue

consulter en Brabant wallon, suite à une relation de soins insatisfaisante avec son ancien

médecin, et au désir de ne plus faire la navette jusqu'à Bruxelles pour chaque prescription.

Ainsi donc, les carences du Brabant wallon en termes de services spécialisés

n'engendrent pas une absence de traitements de substitution. Au contraire, ces traitements

prennent place au sein de services généralistes, tels que des maisons médicales, des services

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 31

Page 32: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

de santé mentale, etc. Il y avait donc, dans le Brabant wallon, matière à analyse en groupe. Si

celle-ci ne pouvait être conduite en quatre réunions, il s'agissait alors d'en revisiter la

méthodologie.

Concrètement, nous avons donc concentré le processus en une seule réunion. Pour ce

faire, nous nous sommes limités à une et une seule expérience vécue, les différents

participants étant invités à proposer leurs récits respectifs avant la tenue de cette réunion.

De ces propositions, le chercheur en a sélectionné une, selon qu'elle semblait la plus

complémentaire aux problématiques déjà étudiées à Charleroi, Liège, Arlon et Tournai.

La réunion en Brabant wallon s'est alors déroulée en trois temps :

• récit de l'expérience vécue sélectionnée par le chercheur ;

• analyse de cette expérience par les participants, en un tour de table ;

• émergence de perspectives pratiques, dès le second tour de table et lors du débat

ouvert qui s'en est suivi.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 32

Page 33: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

E. Institutions et profils ayant pris part aux différentes analyses en groupe

Les différents groupes ont permis de réunir des profils de participants très différents.

Pour rappel, la diversité des profils était à la base de rencontres potentiellement riches.

Ainsi, pour l'ensemble du processus, nous avons réuni :

• trois comptoirs d'échange de seringues, représentés par trois éducateurs sociaux ;

• deux services d'éducateurs de rue, représentés par deux éducateurs sociaux ;

• cinq centres ambulatoires, représentés par deux psychologues, et trois éducateurs

sociaux ;

• cinq maisons médicales, représentées par quatre médecins et un kinésithérapeute ;

• quatre médecins généralistes en cabinet privé, dont trois médecins Alto, et dont un

pratique en Wallonie et dans le nord de la France ;

• un psychothérapeute en cabinet privé ;

• deux pharmaciens ;

• deux maisons d'accueil socio-sanitaires, représentées par un psychologue et un

éducateur social ;

• un centre de crise, représenté par un psychologue ;

• trois services de santé mentale, représentés par deux psychologues et un psychiatre ;

• un service psychiatrique en clinique, représenté par un responsable infirmier ;

• deux services spécialisés en hôpital psychiatrique, représentés par une psychologue et

un psychiatre ;

• un service PTCA (Patients présentant des Troubles du Comportement et/ou Agressifs)

pour personnes associant une assuétude, en hôpital psychiatrique, représenté par un

psychiatre ;

• deux communautés thérapeutiques, représentées par une responsable des admissions et

un directeur thérapeutique ;

• un service de soins psychiatriques à domicile, représenté par une infirmière

psychiatrique ;

• trois maisons d'accueil, représentés par deux éducateurs sociaux et une coordinatrice ;

• huit usagers « actifs » de produits de substitution ;

• deux anciens usagers de produits de substitution.

Ainsi donc, parmi les professionnels, les fonctions suivantes ont été représentées :

pharmacien ; médecin généraliste, issu de cabinet privé ou de maisons médicales ; psychiatre ;

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 33

Page 34: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

infirmier, dont infirmier psychiatrique ; kinésithérapeute, ayant représenté une maison

médicale ; assistant social ; éducateur ; psychologue ; psychothérapeute.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 34

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F. INTRODUCTION A LA PARTIE ANALYTIQUE

Jamais, lors des analyses en groupe, le principe même des traitements de substitution n'a

été remis en question : la substitution semble s'imposer comme une modalité de soins ayant

bel et bien sa place dans le paysage des offres en Région Wallonne.

Il n'en reste pas moins que les questionnements à l'égard des traitements de substitution

sont nombreux et diversifiés. Et les réponses amenées à ces questions n'en sont pas moins

nombreuses et nuancées. Bien entendu, il existe des « lieux communs », des points d'accord

entre personnes concernées par les traitements de substitution. Mais il persiste aussi des

« zones grises », là où les avis divergent, et où les consensus sont encore à bâtir.

Concrètement, les différents groupes ont donné lieu à l'analyse de 9 expériences vécues.

Les enjeux sous-jacents à ces dernières sont détaillés dans le tableau ci-après :

Titre donné à l'expérience

analysée

Enjeux sous-jacents à cette expérience Question posée

Au sein du chapitre consacré aux analyses, cette expérience renvoie

au point... :

1er

récit

« Les hausses et

les baisses dans

les dosages »

Le traitement de substitution vise-t-il le sevrage, la

stabilisation, la maintenance ou la réduction des risques ?

Quels objectifs doivent être

poursuivis par les traitements de

substitution aux opiacés ?

Point G., I : Les objectifs des

traitements de substitution

2ème récit

« David ou Jack Daniels »

Dans la pratique, certains usagers mènent des substitutions

avec d'autres produits que la méthadone ou la buprénorphine, comme par exemple à l'alcool

Quels produits doivent être

entendus comme produits de

substitution ?

Point G., II : Les produits de substitution

3ème récit

« La dépendance aux traitements de substitution »

Des patients sous traitements de substitution développent une dépendance à ces derniers.

Comment réagir face aux

dépendances aux traitements de substitution ?

Point G., III : La dépendance aux traitements de substitution

4ème récit

« Les mésusages des traitements de

substitution »

L'usage des produits de substitution n'est pas toujours

effectué tel qu'ils sont prescrits : façon de se procurer le produit,

fréquences et voies

Comment réagir face aux

mésusages des traitements de substitution ?

Point G., IV : Les mésusages des traitements de substitution

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 35

Page 36: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

d'administration, …

5ème récit

« Les enjeux de la relation entre l'usager, et le

professionnel et l'institutionnel »

La relation (égalitaire >< inégalitaire) entre le

professionnel et l'usager, et le partage des savoirs entre eux deux, peuvent déterminer un

cadre d'intervention spécifique.

Comment définir la relation entre,

d'une part, l'usager de traitements de substitution, et d'autre part, le

professionnel et l'institutionnel ?

Point G., V : La relation et le

partage de savoirs entre usager et professionnel

6ème récit

« Le regard des autres par rapport

aux usagers de méthadone »

L'usager de traitement de substitution peut souffrir des

jugements portés à l'encontre des usagers de drogues.

Comment interagir avec l'usager de traitements de substitution ?

Point G., VI : Comment interagir

avec l'usager de traitements de substitution ?

7ème récit

« L'absence de Pères »

Certains usagers de traitements de substitution souffrent d'un

manque de Pères, manque auquel doivent parfois suppléer

les intervenants.

Comment remettre du cadre, alors que le Père est souvent absent de la vie de

l'usager de traitements de substitution ? Point G., VII :

Pour quoi un cadre d'intervention ?

8ème récit

« L'entretien de la toxicomanie par

le manque de conscience de

certains professionnels »

Les traitements de substitution imposent la mise sur pieds d'un

cadre d'intervention, mais ce cadre peut être l'objet de

divergences entre les différents professionnels

Comment collaborer entre professionnels

actifs autour d'un même patient ?

9ème récit

« La discontinuité des soins l'a

planté »

Entre les différents professionnels impliqués, des « trous » dans la concertation

peuvent mettre les traitements de substitution en péril.

Comment collaborer entre professionnels

actifs autour d'un même patient ?

Point G., VIII : Le travail en réseau

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 36

Page 37: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

G. LES ANALYSES DE RECITS

I. PREMIERE PROBLEMATIQUE :

LES OBJECTIFS DES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION (récit 1)

Pour quoi, tout d'abord, vouloir recourir aux traitements de substitution ? Dans un but de

sevrage, à terme ? Ou dans un but de stabilisation, de maintenance, voire simplement de

réduction des risques ? Un récit consacré aux hausses et aux baisses dans les dosages, nous a

permis d'échanger les points de vue à ce propos.

a) Le récit proposé par un professionnel d'une maison d'accueil : « Les hausses et

les baisses dans les dosages »

« Dans le cadre des maisons d'accueil, la première histoire qui me vient à l'esprit, c'est

celle-ci : on avait eu quelqu'un qui prenait de la méthadone depuis 15 ans. Ca, ça m'avait

quand même fortement interpellé. Et en fait, c'est quelqu'un qui parvenait à vivre de manière

normale, entre guillemets. Mais une chose à propos de laquelle j'avais aussi été un petit peu

étonné, c'est qu'en fonction des événements de la vie, les dosages changeaient. Donc, on est

bien, on diminue ; on a un peu de soucis, on remonte. Et sa vie était un peu axée là-dessus.

Ca faisait 15 ans, comme ça...

Et dans l'idée qu'on se fait, nous intervenants, de la méthadone, j'étais assez étonné que...

Normalement, l'idée, c'est qu'on diminue pour pouvoir arrêter, et ici, pas d'arrêt : ça

permettait de vivre. La substitution, c'était vraiment vivre une vie normale. Là, on peut aller

travailler, on peut faire des tas de choses... Mais l'hypothèse d'arrêter, je ne la sentais pas.

Ca faisait 15 ans, c'est déjà un sacré trajet. Et on ne voyait pas qu'il y avait un arrêt qui

était programmé, en tout cas.

Ce n'était qu'une béquille artificielle, mais permanente, pour quelqu'un qui ne saurait

jamais s'en passer. Mais en même temps, moralement, ça lui permettait de pouvoir... Je ne

me rappelle plus s'il faisait une formation ou quoi, mais il pouvait faire des choses, et vivre

d'une manière plus ou moins classique.

Ce qui m'interpellait, c'est l'idée qu'on se fait d'un substitut, qui est censé prendre la relève,

et contrairement à d'autres drogues, pouvoir diminuer au fil du temps au résultat qui est

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 37

Page 38: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

escompté, c'est de s'en passer, sans drogues et sans substitut. Et là, ce n'était pas du tout

envisagé. »

b) Les enjeux du récit

A la base même des débats concernant les traitements de substitution, apparaît la

question des objectifs recherchés. Sevrage, stabilisation, maintenance ou réduction des risques

? Et d'ailleurs, quelles réalités recouvrent ces notions ?

C'est clairement une des questions les plus cruciales des traitements de substitution, non

seulement parce que la définition de ces objectifs se repose lors de chaque nouveau

traitement, voire à chaque nouveau rendez-vous de la personne avec son médecin, mais aussi

parce que l'incertitude liée aux objectifs de la substitution sert ou dessert l'argumentaire à

propos de cette dernière.

c) Les convergences et les divergences

Derrière la question des objectifs recherchés par les traitements de substitution, apparaît

en fait assez vite la diversité des attentes exprimées par les usagers de ces traitements. Ainsi,

certains professionnels identifient plusieurs types de population : « ceux qui viennent pour

décrocher, ce qui constitue une très grande demande ; ceux qui sont en phase de

stabilisation, donc à faible dose, mais inscrits dans la durée ; ceux qui viennent pour un

produit d'appoint, qui n'ont pas arrêté l'héroïne, et avec lesquels la relation est plus

difficile. »

En conséquence, certains participants aux analyses en groupe accolent aux traitements

de substitution, un objectif de sevrage : sevrage, d'abord à l'égard des opiacés de rue, et puis

ensuite à l'égard du substitutif lui-même. On parle alors de « soigner la personne ». D'autres

termes usités sont la « guérison » et l' « abstinence ».

A l'encontre de cette première idée, certains participants ont souligné que l'abstinence

ne pouvait constituer l'objectif unique de la substitution. Plaçant ces traitements sous le

vocable de la réduction des risques, ils soulignent que l'objectif est déjà largement atteint,

lorsque la personne s'éloigne des opiacés de rue, diminue ses mésusages et ses risques

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 38

Page 39: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

d'overdose et d'infections. Pour ces derniers donc, la réduction des risques constitue déjà le

premier objectif des traitements de substitution.

Il est en outre opportun de souligner que la réduction des risques, généralement perçue

sous l'angle socio-sanitaire par les participants à la démarche, se décline aussi, selon certains

professionnels, par des paramètres liés à la réduction de la criminalité : « La réduction des

risques, c’est déjà un objectif. S’il a sa méthadone début du mois et que ça l’empêche

d’agresser des dames, c’est bien aussi. »

Divergence : La première divergence à noter concernant les traitements de

substitution, est donc celle des objectifs qu'ils poursuivent. Entre « abstinence » et

« réduction des risques », en passant sans doute par la « maintenance » et la

« stabilisation », les avis concernant ce qui est recherché par la substitution divergent,

voire s'opposent.

C'est pour cela que nous pourrions parler d'incertitudes, concernant les objectifs des

traitements de substitution : ces derniers, en soi, ne semblent pas clairs et univoques pour

tous. Néanmoins, les participants aux analyses s'entendent pour dire que cette diversité des

usages faits des produits de substitution, impliquant des traitements à géométrie variable,

constitue, en soi, une plus-value. Entre institutions à bas et à haut seuil d'exigence, travaillant

à la stabilisation ou au sevrage, les usagers de substitutifs gagnent à avoir le choix des soins

qui leur conviennent le mieux, à un moment donné de leur trajectoire de vie.

Cette diversité dans l'offre de soins de substitutions implique des discussions sur les

cadres d'intervention : plus ou moins stricts, plus ou moins laxistes. Nous étudierons

davantage ce point plus loin, mais d'ores et déjà, on peut dire que, les uns prônent un cadre

d'intervention rigoureux, assorti d'une politique de sanctions, alors que d'autres cherchent à

faire preuve d'empathie, y compris à l'égard du mésusage.

Cette diversité des objectifs des traitements de substitution constitue forcément une

difficulté à laquelle les praticiens se confrontent au jour le jour. La meilleure réponse à cette

dernière, semble être le choix du patient.

L'analyse en groupe a été l'occasion de l'expression de cette convergence, entre tous les

participants : ce sont avant tout les objectifs du patient qui importent, et non pas les objectifs

du traitement de substitution. L'essentiel est donc de voir ce que le patient pourrait en faire :

atteindre l'abstinence ? Se limiter à une substitution aux opiacés de rue, cette substitution étant

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 39

Page 40: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

éventuellement à prendre à vie ? Constituer un premier levier d'actions, permettant une

certaine maintenance de la personne, et un accès plus aisé à un suivi psycho-médico-social

stabilisé ?

Cela peut peut-être expliquer le fait que la « dose d'équilibre » n'ait jamais été définie,

lors des différentes analyses en groupe : c'est une notion tellement individuelle, qu'il est sans

doute impossible de l'évaluer. Mais quoi qu'il en soit, et c'est forcé, la dose d'équilibre est

celle par laquelle un traitement peut engranger des succès en rapport aux objectifs qui lui sont

donnés.

Convergence : D'après les participants à l'analyse en groupe, peu importe la diversité

des objectifs des traitements de substitution : ce qui comptera, c'est avant tout ce que la

personne pourra en faire. A cet égard, la diversité des objectifs des traitements de

substitution apparaît comme une chance, en regard de la diversité des publics des

usagers, et de leurs attentes.

La dose d'équilibre, à chaque fois différente de personne à personne, et de traitement à

traitement, constituera le levier nécessaire à l'atteinte des objectifs prédéfinis.

La situation est néanmoins plus complexe, lorsque la personne n'est pas en demande

d'aide : d'après ce que nous venons de souligner, les participants s'accordent pour respecter le

libre choix de la personne. Mais le respect de ce libre arbitre pose question, lorsqu'il s'agit

d'une non demande de soins, alors que la personne semble en avoir objectivement besoin.

C'est d'ailleurs le cas dans le quatrième récit étudié : dans des cas de forts mésusages, faut-il

intervenir ou non, sachant que la personne n'est pas demandeuse d'aide ? Lorsque les

professionnels de soins sont réduits à un rôle « palliatif », comme l'ont appelé les participants

à l'analyse, jusqu'où doivent-ils aller ? Notons bien que ces questions n'ont pas amené de

réponses : les participants à l'analyse en groupe ont gardé la question ouverte.

Convergence : Le choix du patient ne résout toutefois pas tous les dilemmes, lorsque ce

dernier ne formule aucune demande d'aide. Lorsque les professionnels sont « réduits »

à une fonction palliative, ils se posent des questions sur les limites professionnelles

jusqu'où ils peuvent et doivent agir. Ces questions n'ont reçu aucune réponse.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 40

Page 41: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Rien de neuf, sans doute, à ce stade, et encore moins pour les initiés à la substitution,

qui vivent ces premières analyses dans leurs pratiques quotidiennes.

Ces premiers constats, basiques, auront pourtant des répercussions cruciales sur les

pratiques, et même plus spécifiquement sur les cadres d'intervention et les dosages.

Penchons-nous spécifiquement sur les dosages, puisque c'est sur ce sujet que se sont

centrés les débats autour du récit « Les hausses et les baisses dans les dosages ».

Certains participants refusent catégoriquement les fluctuations de dosage. Relisons le

récit, et rappelons-nous que celui qui l'a proposé était intrigué par le fait que l'objectif

d'abstinence ne soit pas recherché par une diminution constante du dosage de substitutif.

Plusieurs participants à la démarche se sont accordés là-dessus : entamer un traitement de

substitution, c'est faire le deuil de sa vie précédente et des moments d'euphorie qu'elle

procurait, lorsqu'il était question, selon certains participants, de fuir la réalité, les difficultés,

le stress, etc. Entamer un traitement de substitution, c'est donc viser l'abstinence, et respecter

le dosage appelé à diminuer à un rythme régulier.

Dans ce contexte, la personne doit faire d'importants sacrifices : pour maximiser les

chances de réussite du traitement de substitution, visant à l'abstinence d'opiacés de rue, il lui

faut « une volonté de fer », et être prêt à changer radicalement son réseau social, voire son

mode de vie : son quotidien n'étant plus centré sur le produit, il est nécessaire de retrouver des

vecteurs permettant une réorientation des projets. Le soutien des proches et de la famille est

crucial à ce stade.

A ce premier positionnement, s'oppose un autre, revendiqué comme plus pragmatique :

parce que si ces supporteurs se refusent à désirer les fluctuations de dosage, ils sont

néanmoins prêts à les accepter. La réalité et la pratique, disent-ils, leur ont enseigné que tout

le monde est loin de pouvoir atteindre l'abstinence ; que s'il peut y avoir diminution du dosage

sur le long terme, cette évolution ne peut s'envisager qu'au rythme du patient, en prenant

notamment en compte ses difficultés et ses craintes ; que pour répondre à ces craintes, il

arrive effectivement que le patient demande à son prescripteur une augmentation de son

dosage de substitutif, et que face à cette demande, le médecin peut avoir des difficultés à ne

pas l'entendre...

Divergence : Une seconde divergence apparaît donc ici, quant à l'acceptation des

fluctuations dans les dosages. Certains participants s'appuient sur un objectif de

sevrage, pour n'accepter qu'un dosage évoluant uniquement dans le sens de la

réduction ; d'autres invoquent une réalité difficile et complexe, pour expliquer le fait

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 41

Page 42: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

qu'ils sont prêts à accepter certaines augmentations de dosage.

Tous les participants s'entendent néanmoins pour reconnaître l'innocuité de

l'augmentation du dosage, pour un traitement déjà stabilisé : en soi, cette augmentation n'a pas

de plus-value physique. C'est forcément vrai lorsqu'il y a déjà saturation des récepteurs

cérébraux : à ce moment, augmenter ne change rien. C'est aussi vrai, lorsque l'augmentation

du dosage s'avère mineure, de l'ordre de quelques milligrammes.

Et pourtant, il n'est pas rare que des professionnels soient mis face à ce genre de

demande d'augmentation de dosages, sans que cette augmentation n'amène une quelconque

modification sur l'état physique du patient. Comment, alors, l'expliquer ? Les participants à

cette analyse en groupe invoquent, tous, une explication « psychologique », comme la peur de

la rechute et le besoin de se rassurer.

Puisque l'explication psychologique l'emporte, les participants à l'analyse pensent que la

concertation entre professionnels peut aider, lorsqu'il y a demande d'augmentation du dosage.

Le recours à un psychologue permettrait par exemple de mieux cerner l'attente de l'usager de

substitutifs ; et de manière générale, l'aide d'un tiers permettrait peut-être de trouver d'autres

solutions, en évitant les augmentations de dosage.

Convergence : Hors saturation, l'augmentation du dosage n'entraîne un effet, que si

cette augmentation est suffisamment importante. Lorsque cette augmentation n'est de

l'ordre que de quelques milligrammes, l'usager ne ressentira presque aucun

changement.

C'est donc avant tout des facteurs autres que physiques, qui expliquent la demande,

parfois exprimée, d'une augmentation du dosage de quelques milligrammes.

A cette demande, une solution intéressante pourrait être de faire appel à un tiers,

permettant éventuellement de mieux cerner l'attente de l'usager et/ou de trouver des

alternatives à l'augmentation de dosage.

On pourra juger cela étonnant, mais les participants à l'analyse en groupe se sont

polarisés en deux groupes, lorsqu'il s'est agi de savoir ce qui se cachait derrière cette raison

« psychologique », pour demander une augmentation infime du dosage : les uns, en

l'occurrence les trois (ex-)usagers de substitution qui étaient présents, ont dénoncé une très

probable consommation d'opiacés de rue, à la base de cette demande. Les autres, à savoir tous

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 42

Page 43: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

les professionnels, ont plutôt voulu croire en une explication basée sur la situation que vit la

personne, et son éventuel malaise passager, cette demande d'augmentation du dosage étant

alors le signe d'un manque de soutien. D'après certains professionnels, cela est d'autant plus

probable, que l'usager de substitutifs s'auto-examine toute la journée : s'observant de manière

quasiment « obsessionnelle » (sic), la peur de la rechute le hante constamment.

On peut croire qu'une rechute dissimulée et un manque de soutien sont complètement

cumulables : l'un ne s'oppose pas forcément à l'autre. Mais le fait est que, lors de cette analyse

en groupe, il y a bel et bien eu divergence sur l'explication à donner à ce besoin

psychologique d'augmenter, très petitement, le dosage. Cette divergence doit donc être

rendue.

Ce rendu est d'autant plus nécessaire que cette divergence a, elle-même, fait l'objet de

commentaires : alors que les professionnels se réfèrent à des schémas explicatifs largement

compréhensifs, les (ex-)usagers de drogues semblent sévères et sans concessions à leur propre

égard. Ces derniers le reconnaissent eux-mêmes : ils sont déjà largement discrédités au

quotidien, disent-ils. En réaction, il est normal qu'ils deviennent durs avec eux-mêmes.

Notons enfin que, forcément, il peut s'agir d'une caractéristique propre aux (ex-)usagers

de drogues ayant pris part à la démarche, c'est-à-dire des (ex-)usagers déjà en contact avec les

soins, dont deux sous traitements de substitution, suffisamment stabilisés pour qu'ils soient

aptes à assister à plusieurs réunions de trois bonnes heures, etc. D'autres usagers de

substitutifs auraient pu réagir différemment...

Divergence : Derrière l'explication « psychologique » au désir récurrent de vouloir

augmenter son dosage, même de quelques milligrammes, se cache en fait une

divergence entre (ex-)usagers de drogues et professionnels : les premiers basent

l'explication sur une rechute dissimulée ; les seconds tentent plutôt de trouver des

raisons dans un soutien qui ne serait pas suffisant pour la personne.

Si on peut juger, extérieurement, que ces deux raisons ne sont pas exclusives, il est un

fait que la divergence oppose le schème dénonciateur des (ex-)usagers de drogues

présents à cette analyse, au schème explicatif et empathique des professionnels de soins.

Entre explications physiques et psychologiques, il y a apparition d'une controverse au

sein des participants aux analyses en groupe, lorsque le patient reçoit de faibles dosages de

substitutifs, et a fortiori, lorsqu'il n'est pas à saturation. Selon certains en effet, le manque

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 43

Page 44: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

physique n'existe pas à petites doses : seule agit alors une crainte, de l'ordre, donc, du

psychologique. L'exemple-type est celui de l'usager, à dosage réduit, qui oublie de prendre

son traitement, mais qui panique lorsqu'il s'aperçoit qu'il a oublié de le prendre...

Mais cette idée a été battue en brèche par d'autres participants, selon lesquels le manque

physique est tout aussi important à petits qu'à hauts dosages. Selon ces personnes, que l'on

soit à 20 ou 100 mg de méthadone n'y change rien. Le corps en aurait besoin, et on ne pourrait

se satisfaire d'une explication qui ne se voudrait que psychologique. L'explication

fondamentale se situerait même dans une « substitutivo-dépendance », une dépendance très

forte au produit de substitution, et telle que le psychologique ne pourrait tout expliquer.

Un récit allant dans ce sens avait d'ailleurs été proposé pour une analyse en groupe :

« En fait, nous, on suit une personne qui a plusieurs années de toxicomanie derrière elle. Et

ça fait aussi plusieurs années qu'elle prend des traitements de substitution, et qu'elle regrette

un peu d'avoir pris ces traitements de substitution, parce qu'elle se dit que si elle n'avait

jamais commencé, elle n'aurait jamais accroché. Et quand elle nous parle de traitements de

substitution, elle nous dit que c'est la pire des drogues qui pouvait l'accrocher. Limite,

aujourd'hui, elle ne sait plus décrocher. Elle a un seuil très bas de méthadone, de quelques

milligrammes de méthadone, et n'arrive pas à décrocher le dernier seuil, de peur de retomber

dedans. Et donc, voilà, je veux savoir comment on doit se placer, comment on doit

accompagner cette personne, pour qu'elle ait moins peur, ou pour lui mettre des balises,

ou... »

Divergence : Une autre divergence émerge pour les usagers de substitutifs, à faible

dose. Pour les participants aux analyses en groupe, en effet, il n'est pas clair que le

besoin de ces faibles doses soit uniquement psychologique, ou s'il allie aussi un besoin

physique, voire addictif, du produit de substitution.

Quelques notions issues de la littérature, concernant la dose d'équilibre :

La dose d'équilibre n'a donc pas été définie ni chiffrée lors des analyses en groupe.

Que sait-on, donc, de cette dose d'équilibre ?

On pourrait se satisfaire d'une définition a minima, selon laquelle la dose d'équilibre est le

seuil juste au-dessus duquel la personne ne ressent plus le manque... Mais cette définition ne

serait pas satisfaisante, parce que, clairement, d'autres facteurs que le manque, entrent en jeu.

D'abord, l'objectif même du traitement de substitution entraînera des dosages différents :

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 44

Page 45: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

ainsi, on sait que les dosages de méthadone sont, en moyenne, plus élevés lorsque l'objectif

se rapproche de la réduction des risques, et plus faible lorsque la visée est davantage le

sevrage. Ces dosages seront en outre d’autant plus faibles que le médecin accordera de

l’importance à l’objectif de l’abstinence, alors qu’ils seront d’autant plus élevés que le

médecin accordera de l’importance à l’objectif de réduction des risques socio-sanitaires

(Pelc et al., 2005 ; Ledoux et al., 2005). Cela paraît trivial, mais cela est révélateur du fait

qu'il n'y a alors aucune référence au manque.

Ensuite, et plus fondamentalement, on voit d'importantes différences régionales concernant

ces dosages de méthadone. La diversité est déjà importante à l'échelle du pays, où les

dosages de méthadone évoluent de 1 à 400 mg, les dosages aux alentours de 40 et 50 mg

étant les plus souvent rencontrés. Qui plus est, on note un dosage moyen assez bas en

Flandre (37,86 mg) comparativement à la Wallonie (45,93 mg) et à Bruxelles (65,06 mg).

Par rapport à ces taux, le dosage régulier moyen recommandé au niveau international est

compris entre 60 et 100 mg (Canarelli et Coquelin, 2009).

Mais quels sont les arguments pour des doses d'équilibre à 400 mg ? Les explications qui y

ont été données, sont qu'un tel dosage éviterait la prescription conjointe de benzodiazépines.

Cependant, certains invoquent alors des risques sérieux d’arythmies cardiaques, ou

« torsades de pointe » (Pelc et al., 2005 ; Ledoux et al., 2005). Plus généralement, cette

hypothèse selon laquelle un haut dosage de méthadone permettrait d'éviter la prescription

conjointe de benzodiazépines, ne semble pas confirmée par la littérature internationale.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 45

Page 46: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

d) Schéma récapitulatif

Tout au long de ce rapport, le lecteur pourra trouver, à chaque fin de chapitre, un

schéma récapitulatif. Ce schéma se construira petit à petit, et pièce par pièce, pour, in fine,

reprendre l'ensemble des problématiques identifiées par les participants aux analyses en

groupe.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 46

UsagerTraitement

Substitution

Pblm 1: Incertitude des objectifs

Problématiques liées aux produits

de substitution

Page 47: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

II. DEUXIEME PROBLEMATIQUE :

LE PRODUIT DE SUBSTITUTION (récit 2)

Ainsi donc, les objectifs des traitements de substitution, et les dosages adéquats

semblent variables et incertains. Et à dire vrai, cette incertitude semble être caractéristique de

ces traitements de substitution : on le verra, les controverses ne concernent pas seulement les

objectifs et les dosages. Les produits eux-mêmes sont l'objet de controverses.

Nous pouvons identifier plusieurs raisons à cela.

D'abord, il existe plusieurs molécules reconnues comme possibles substitutifs : en

Région Wallonne, si la plus commune est la méthadone, la buprénorphine apparaît de plus en

plus souvent dans les pratiques. Cette molécule est disponible sous différents

conditionnements médicamenteux, en l'occurrence le Subutex (haut dosage), le Te mgésic

(bas dosage), et plus récemment le Suboxone, ce dernier dissuadant davantage de l'injection.

Une troisième molécule apparaît à présent, en l'occurrence la diacétylmorphine,

communément appelée « héroïne pharmaceutique ». Elle fait l'objet d'un projet-pilote,

dénommé TADAM, pour Traitement Assisté à la DiAcétylMorphine, dont on trouvera une

présentation en annexe.

Si ces trois molécules sont reconnues légalement comme produits de substitution,

certains participants aux analyses ont proposé comme perspective pratique, un élargissement

de la pharmacopée pouvant être utilisée dans les traitements de dépendance aux opiacés.

Du reste, il s'avère que dans les usages quotidiens, de nombreuses substances peuvent

effectivement être utilisées comme produits de substitution.

a) Le récit proposé par un ex-polytoxicomane, usager de méthadone : «David ou

Jack Daniels»

– Ma copine est partie en vacances. On était toxicomanes tous les deux. Je me suis dit : «

c'est le bon moment pour arrêter, le temps qu'elle parte ». Elle est partie deux semaines. En

une semaine, j'étais sevré de l'héro, mais j'étais accro à l'alcool. Après, je ne prenais plus

d'héro, et ça a duré presque un an. Mais je buvais un litre, puis un litre et demi, puis deux

litres... On augmente les doses. Mais je ne prenais plus de l'héro. Jusqu'au jour où j'en ai

repris. Et alors, je ne buvais plus.

– Et l'enjeu qui se trouve derrière là, ce que tu disais tout à l'heure, c'est...

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 47

Page 48: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

– L'enjeu, c'est fuir la réalité.

– Oui, mais ce que tu disais aussi, préalablement au récit, c'est qu'il y a d'autres produits de

substitution, que la méthadone et autres... Que l'alcool, ici, peut jouer comme produit de

substitution...

– Oui, mais c'est fuir la réalité, l'ennui de manière générale. Il y a des gens qui l'auraient

fait avec autre chose que du whisky.

b) Les enjeux du récit

La question sous-jacente à ce récit est de savoir si, pour notre analyse, nous devons

restreindre les produits de substitution aux opiacés à la méthadone, la buprénorphine, et la

diacétylmorphine, ou si nous pouvons en inclure d'autres, bel et bien utilisés dans la pratique

des usagers d'opiacés tentant de « s'auto-substituer », comme l'alcool.

Les participants à cette analyse en groupe ont donc cherché à répondre à cette question,

en étudiant en profondeur le récit en question. Cette analyse a aussi été l'occasion de dégager

des ressemblances et des dissemblances entre substitutifs, drogues, alcool, médicaments, etc.

c) Les convergences et les divergences

A la demande d'amener un récit centré sur les traitements de substitution, l'extrême

majorité des participants ont référé à une anecdote au sein de laquelle ne régnait autre... que la

méthadone.

Par excellence, la méthadone est la molécule utilisée dans les traitements de

substitution. C'est apparemment l'étalon, le référent fondamental. Dans les pratiques des

professionnels, force est de reconnaître son succès : en Belgique, quand on parle de

traitements de substitution, on parle le plus souvent de méthadone.

Les participants aux analyses en groupe s'entendent là-dessus : d'un point de vue

toxique, la méthadone, tant qu'elle est utilisée adéquatement et par des usagers réguliers

d'opiacés, n'est pas un produit dangereux, et ce même si des effets secondaires sont possibles,

comme des constipations et des retards d'éjaculation. En outre, les participants s'entendent sur

ses apports en termes de réduction des risques, puisque la méthadone a permis de limiter

largement les overdoses, et les propagations de virus tels le HIV et les hépatites.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 48

Page 49: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Qui plus est, d'un point de vue social, la méthadone et les traitements de substitution en

général, permettent éventuellement la stabilisation de l'existence des usagers d'opiacés, cette

stabilisation pouvant se décliner notamment par un emploi, un logement, de nouvelles

relations sociales, etc.

Cette stabilisation est parfois tellement forte, que certains usagers de molécule de

substitution semblent n'avoir nul besoin d'un quelconque suivi psychosocial.

Néanmoins, les professionnels nuancent : la stabilisation n'est pas la conséquence

univoque de la substitution. Certains usagers utilisent la méthadone pour se défoncer

occasionnellement, à défaut d'opiacés de rue, et d'autres ont des trajectoires éminemment

complexes. Ce ne sont donc pas tous les usagers, mais une bonne part d'entre eux, qui

atteignent une certaine stabilisation, grâce à la substitution.

Convergence : En Belgique, la méthadone est l'étalon fondamental des produits de

substitution, et ce notamment grâce au fait de sa toxicité réduite, et des importants

bénéfices qu'elle a apportés en termes de réduction des risques et de stabilisation. Si

effectivement certains usagers de substitutifs en font usage dans un objectif de

« défonce », et si certains connaissent des trajectoires complexes, les participants sont

unanimes pour reconnaître une possible stabilisation grâce à la méthadone et aux

produits de substitution en général.

Jamais, d'ailleurs, aucun participant aux diverses analyses en groupe n'a remis en

question le principe même des traitements de substitution, et l'usage de la méthadone.

Ces modalités de traitement semblent ainsi inscrites irrémédiablement dans l'horizon

des soins liés à la consommation d'opiacés.

Certains professionnels regrettent toutefois le focus mis sur la méthadone : d'un point de

vue pharmacologique, nous gagnerions à nous intéresser à d'autres molécules, bel et bien

existantes et disponibles. La méthadone n'est qu'un agoniste parmi d'autres, et certains

pourraient se révéler plus adéquats.

Divergence : Certains intervenants se satisfont donc de la méthadone, comme

substitutif fondamental ; d'autres, par contre, revendiquent une pharmacopée plus

étendue, ne se limitant même pas aux méthadone, buprénorphine et diacétylmorphine,

mais intégrant davantage encore d'agonistes aux opiacés.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 49

Page 50: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Ainsi, jusqu'à aujourd'hui, la buprénorphine ne semble recueillir qu'un succès mineur :

aucun récit traitant des traitements de substitution ne l'a concernée. Et si elle a pu être abordée

lors de l'une ou l'autre analyse, cela n'a jamais été qu'en passant et sans s'y attarder.

Quelques notions issues de la littérature, concernant la buprénorphine :

En Belgique, les patients sous buprénorphine ne sont encore qu'une minorité. Même si le

remboursement du Subutex depuis le 1 août 2003 pouvait constituer une possibilité de

remplacement intéressante pour des patients « fatigués » de la méthadone, dans les faits, il

semble que cette évolution n'ait été que mineure, en tout cas comme on pouvait le percevoir

en 2005 (Pelc et al., 2005).

Les explications sont difficiles à cerner. La buprénorphine présente en tout cas des avantages

certains, notamment celui de ne pas donner d'overdose, par son effet agoniste partiel. De ce

point de vue, la toxicité du produit est donc moins grande.

Le Subutex est notamment utilisé, en Belgique, comme produit de substitution pour les

patients sous méthadone depuis une longue période, et pour lesquels un changement de

molécule est opportun. En outre, elle a un aspect tout à fait déstigmatisant, par rapport à la

méthadone : son conditionnement, classique pour un médicament, n'attire aucune attention,

et l'entourage n'en connaît que rarement l'indication « toxicomanie ».

Le problème est qu'elle est beaucoup plus souvent détournée en injection que la méthadone,

du fait qu’on sait facilement la dissoudre dans l’eau. Et en ce cas, chez un usager prenant par

ailleurs d’autres dépresseurs du système nerveux central (benzodiazépines, alcool,…), elle

donne bel et bien des overdoses. Cette pratique d'injection étant relativement fréquente chez

les usagers de buprénorphine, il y a alors un risque majoré de contamination infectieuse

(HIV, hépatites etc).

Une solution à ce problème pourrait être le Suboxone, mis sur le marché en juin 2008.

Association buprénorphine-naloxone, il est censé réduire les pratiques d’injection, puisque la

naloxone est un antagoniste des récepteurs opiacés, non actif en cas de prise orale, mais bien

en cas d'injection. L'usager s'injectant du Suboxone connaîtra donc des effets de manque. Le

bénéfice attendu n’a toujours pas été confirmé par des études cliniques : on ne sait, à l'heure

actuelle, si le Suboxone est plus intéressant que la méthadone, ou s'il légitime un passage du

Subutex au Suboxone. Et à l'heure actuelle, on ignore tout des mésusages du Suboxone.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 50

Page 51: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

La diacétylmorphine, ou « héroïne pharmaceutique », a été majoritairement ignorée lors

de la proposition des récits. Il faut dire que dans les faits, cette molécule n'était pas encore

présente dans le paysage wallon lors de la tenue de la plus grande partie des analyses en

groupes. Le projet-pilote TADAM, pour Traitement Assisté à la DiAcétylMorphine, n'a

effectivement été mis sur pieds que courant 2010, après de longues années de débats

majoritairement portés au sein du secteur liégeois.

La diacétylmorphine a néanmoins fait l'objet de discussions, notamment lorsque les

débats tournaient autour des avantages et des inconvénients des substitutifs actuels. Certains

participants revendiquaient en effet la possibilité de passer de la méthadone ou de la

buprénoprhine, à la diacétylmorphine, notamment parce que les dégâts sur les tissus sont

moindres en cas d'injections. A l'idée même que soit mise sur le marché de la méthadone

injectable, certains intervenants avaient donc plutôt tendance à préférer la diacétylmorphine.

A l'inverse, d'autres participants ont invoqué le retard pris par le projet TADAM, pour

identifier un rejet de la diacétylmorphine dans la société wallonne. Ce rejet a d'ailleurs été

exprimé lors des analyses en groupe, par des personnes selon lesquelles prescrire de l'héroïne

pharmaceutique, c'est « abandonner à leur sort » les usagers d'opiacés.

Divergence : A l'encontre de la diacétylmorphine, dite communément héroïne

pharmaceutique, deux visions se sont opposées. Certains participants ont invoqué un

objectif de réduction des risques, pour souligner les insuffisances de la méthadone,

notamment en cas d'injections, et à l'inverse souligner les apports de ce nouveau

substitutif.

A l'encontre, certains participants ont manifesté un certain malaise : pour eux,

prescrire de l'héroïne pharmaceutique à d'ex-héroïnomanes, cela ne modifie rien à leur

situation.

Quoi qu'il en soit, les produits de substitution semblent nettement plus nombreux que

ceux définis par les textes légaux ; le récit « David ou Jack Daniels » porte par exemple à

notre connaissance ce à quoi sont souvent confrontés les intervenants médico-sociaux, à

savoir une substitution aux opiacés par l'alcool.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 51

Page 52: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Par conséquence, la comparaison entre les opiacés de rue, et entre les différents produits

de substitution, fut un sujet étudié lors de cette analyse en groupe : entre tous ces produits,

quels sont les éléments qui les rapprochent, et qui les distinguent ?

D'après les participants, ce qui rend ces produits similaires, et donc interchangeables et

substituables, c'est simplement le fait qu'ils induisent un effet psychoactif, pouvant déboucher

sur une dépendance.

Les critères distinctifs ont, eux, été plus nombreux : les participants ont ainsi répertoriés

le caractère légal ou illégal des produits ; la puissance des effets induits ; les éventuels effets

de manque, ceux de la méthadone étant, selon plusieurs (ex-)usagers, plus « durs » que ceux

liés à l'alcool et à l'héroïne ; les modes et les rituels de consommation, ainsi que les débuts de

la consommation, la méthadone se consommant en étant seul, alors que l'alcool et l'héroïne

sont perçus par les participants comme étant des produits « sociaux » ; les modes de vie et les

identités que les produits peuvent induire chez le consommateur, la méthadone se prenant en

quelques secondes, alors que l'héroïne nécessite de trouver l’argent, le produit, le matériel et

un endroit pour le consommer, tout cela pouvant déterminer un certain mode de vie et une

certaine identité.

Enfin, pour être complet, les différents participants jugent négativement l'efficacité de la

substitution par l'alcool. Après tout, si David a effectivement arrêté de consommer des

opiacés, il ne l'a fait qu'au prix d'une alcoolo-dépendance, avant de reprendre de l'héroïne.

Convergence : Les produits utilisés dans les pratiques de substitution ne se limitent pas

à ceux définis légalement, ou médicalement, comme substitutifs. Les substitutifs

potentiels sont donc nombreux, même si certains, comme l'alcool, ne s'avèrent pas

efficaces.

Entre opiacés de rue et substitutifs potentiels, la similitude fondamentale est, d'après

les intervenants, la possibilité d'un effet psychoactif, et une éventuelle dépendance qui

s'ensuivrait.

Les critères distinctifs sont plus nombreux. Ont été cités : la puissance des effets induits

; les effets de manque induits ; l'efficacité de la substitution ; le caractère légal ou non

des produits ; les modes et les rituels de consommation, eux-mêmes associés aux modes

de vie et aux identités des différents usagers.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 52

Page 53: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Bien que la méthadone est le premier produit de substitution, les controverses à son

égard ne sont pas rares. Le fait qu'elle ait permis à de nombreuses personnes de se stabiliser,

n'enlève rien au fait qu'elle-même constitue un produit dont il est difficile de se sevrer : de

nombreux usagers se sentent alors « condamnés » à un usage à vie, d'après les analyses

d'(ex-)usagers de méthadone.

Puisque la méthadone présente d'importants inconvénients, et puisque, dans les faits,

elle n'est qu'un produit de substitution parmi d'autres, les substitutions alternatives peuvent

alors s'expliquer de manière très logique.

La substitution alternative la plus fréquente est sans doute celle à l'alcool. D'après les

participants aux analyses, le choix de l'alcool comme substitutif peut s'expliquer de manière

très logique, par plusieurs facteurs. Tout d'abord, d'après les participants, notre société accepte

plus facilement la consommation d'alcool, que celle de la méthadone, même lorsque cette

dernière est prescrite. Ensuite, avec la méthadone existe toujours, selon les participants,

l'éventualité de dépasser les doses prescrites, de se retrouver trop rapidement à court, et de

recourir alors de toute façon à l'alcool. Enfin, si dans son récit, David choisit de ne pas

recourir à la méthadone, mais à l'alcool, c'est parce qu'il travaillait six jours par semaine, dans

une station essence du Luxembourg. Bien que l'accès à la méthadone est large et diversifié en

Wallonie, il peut donc toujours exister des situations rendant difficile l'accès à un médecin

prescripteur.

Ainsi, il apparaît logique, pour certains (ex-)usagers de substitution, d'être tentés par la

facilité d'autres substitutifs que ceux prescrits médicalement.

Convergence : Les substitutions à l'aide de produits non prescrits médicalement,

comme l'alcool, sont fréquentes, et répondent même à une certaine logique. Ainsi, un

seuil d'accès trop élevé à l'égard des produits de substitution médicaux, peut expliquer

des substitutions aux opiacés par l'alcool. D'autres facteurs peuvent jouer en ce sens,

tels que l'éventualité d'arriver régulièrement à court du médicament prescrit, et le rejet

de la méthadone par la société, même lorsqu'elle est prescrite médicalement.

Commentaire du chercheur : On ajoutera que, au-delà de l'alcool, de très nombreux produits

sont utilisés comme substitutifs aux opiacés de rue, tels que les benzodiazépines, la codéïne,

etc. Ces usages peuvent viser tout autant une auto-substitution, qu'une auto-médication du

manque.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 53

Page 54: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

d) Schéma récapitulatif

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 54

UsagerTraitement

SubstitutionPblm 2: Pluralité des produitsde substitution aux opiacés

Pblm 1: Incertitude des objectifs

Problématiques liées aux produits

de substitution

Page 55: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

III. TROISIEME PROBLEMATIQUE :

LA DÉPENDANCE AUX TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION (récit 3)

L'approche adoptée dans le cadre de cette recherche impose de ne pas tenter de définir à

la place des acteurs, ce que nous devrions comprendre par le mot « dépendance ». Au

contraire, nous choisissons de nous baser sur ce à quoi les acteurs ont référé, lorsqu'ils ont

parlé de dépendance. Or, ce sujet a été plusieurs fois abordé dans nos analyses en groupe, et

les discussions étaient d'autant plus complexes, que les traitements de substitution eux-mêmes

peuvent induire de la dépendance. Les plaintes d'usagers à cet égard ont surgi non seulement

dans les récits, comme dans celui sur lequel nous allons nous pencher, mais aussi lors des

moments informels de la procédure.

Il est certain que l'intervenant se trouve confronté de manière récurrente à ce genre de

difficultés. Il est alors utile de se pencher sur les analyses qui ont été données, du récit « La

dépendance aux traitements de substitution ».

a) Le récit proposé par un usager de substitutifs : « La dépendance aux traitements

de substitution »

– J'ai rencontré la méthadone dans un bar, où je l'achetais 100 Fr / pièce, pour un

Mephenon. Alors, ça m'avait plu. Ca m'avait bien plu. Et alors, j'ai pris un peu

toutes les drogues. Lui, il ne la prenait pas : il continuait à se piquer. Donc, il me la

donnait, enfin, il la vendait. J'achetais toute une boîte, je prenais tout. Enfin, la

première fois, non. J'ai pris 5 cachets, après 7, après 8, etc., etc. Et puis, j'ai

commencé à délirer. Je suis rentré en maison psychiatrique.

Et puis, j'ai exigé qu'on me serve de la méthadone. En fait, je n'en avais pas besoin,

je n'étais pas dépendant. Enfin, peut-être que si, psychologiquement, ou

physiquement aussi, peut-être. Enfin, j'avais un peu d'embrouilles avec ma famille.

J'avais des difficultés. J'ai encore de la difficulté, à m'exprimer, à me faire

comprendre. Enfin, plus facilement, avec la méthadone, quoi.

Mais c'est un trou, pour un autre trou. […] Je suis vraiment tombé accro à la

méthadone. D'ailleurs, quand je baisse, c'est toute une histoire. Je panique. Je me

replonge dans la drogue, pour pouvoir continuer à avoir la méthadone.

A un moment, je suis arrivé à 225 mg de méthadone. J'en prenais plus, je la

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 55

Page 56: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

trafiquais. Le médecin me prescrivait 1200 mg par semaine, et j'allais à la

pharmacie. Il me la donnait en bouteille. Je prenais toutes les bouteilles, je coupais

et je prenais 1200 mg sur une journée, quoi, pour pouvoir avoir un dallage à la

méthadone. Je mettais de l'eau, je mettais la moitié dedans. […] C'était il y a bien 6

ans. Et ça a duré environ 6 mois.

Après, je ne sais plus si j'ai avoué, ou si je me suis fait prendre... C'est ma marraine

qui a téléphoné à l'association que je fréquentais, après qu'on se soit disputé. Je l'ai

eu en gélules, j'allais la chercher, parce qu'en gélules aussi, je la coupais. Je faisais

une « bombe », comme on l'appelle dans le milieu toxicomane. Tu fais une boule

avec du papier, et tu l'avales.

– Mais quand tu as proposé le récit, c'était spécifiquement parce que tu voulais parler

de ta dépendance au traitement de substitution... Qu'est-ce qui te fait croire que tu es

dépendant au traitement de substitution ?

– Mais j'aime bien toutes les drogues, mais je peux m'en passer. Sur les quatre ans que

je n'ai pas pris de drogues, j'en ai pris une fois, occasionnellement, pas

régulièrement. Je ne me considère pas toxicomane à l'héroïne, je me considère

toxicomane à la méthadone. Parce que, pour moi, la méthadone, c'est pas une

drogue. C'est un remède. Parce que j'ai eu beaucoup de problèmes. […] J'ai plus de

contacts humains avec mon entourage. Et ça va mieux. De ce point de vue-là, je ne

pense plus à la drogue.

– Et donc, quand tu disais que tu es dépendant au traitement de substitution, en quoi

es-tu dépendant ? Qu'est-ce qui te fait croire que tu es dépendant ?

– J'y pense tout le temps. Dès que je me sens mal, que je me sens pas bien dans ma

peau. D'ailleurs, le dimanche, la pharmacie est fermée, mais c'est la croix et la

bannière pour ne pas tout prendre le samedi. J'ai déjà arnaqué ma pharmacienne :

je rentrais, je prenais la méthadone, je faisais semblant de vomir, je revenais, je

demandais une nouvelle gélule. Jusqu'à ce vice-là. Ca veut dire que je suis quand

même dépendant de la méthadone.

– La fois dernière, tu avais proposé ton récit en finissant par ces mots : « J'aimerais

bien parler de la dépendance aux traitements de substitution. [...] C'est peut-être

parce que j'ai un manque affectif, que je continue à prendre des produits de

substitution, pour continuer à voir les personnes qui disent « bonjour ». Ma

pharmacienne, elle me dit « bonjour » tous les matins, et elle parle avec moi pendant

une demi-heure. Dans le centre ambulatoire aussi. Et le docteur aussi. »

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 56

Page 57: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

– Ca y contribue, oui, parce que j'avais un contact avec ma mère, fort proche, affectif.

Mais elle a quitté la Belgique, et avec mon père, ça n'allait plus. [...] Après, j'ai été

que deux fois là-bas, en quatre ans. Grâce à la méthadone. Et grâce à la méthadone,

j'ai beaucoup de contacts avec le médecin, la pharmacienne, la psychologue, etc. Ca

m'aide.

b) Les enjeux du récit

Le point précédent nous a permis d'approcher la diversité des objectifs, pouvant être

accolé à un traitement de substitution aux opiacés. Parmi ces objectifs, citons notamment la

réduction des risques, la stabilisation, et l'abstinence.

Il peut alors sembler interpellant, que des patients sous substitutifs, deviennent en fait

réellement dépendants à ces substitutifs. Lorsque cela arrive, cela met-il à mal le traitement de

substitution ? Ou la dépendance aux traitements de substitution est-elle acceptable ?

Constitue-t-elle un moyen opportun d'accéder à une certaine stabilisation ?

Ces questions ont été mises en débats...

c) Les convergences et les divergences

La dépendance à la méthadone existe bel et bien. Les participants s'accordent là-dessus :

neurologiquement, au niveau des récepteurs, quand la prise d'opiacés a été régulière et

suffisamment longue, une dépendance s'impose, même à l'égard des substituts.

Cette dépendance ne s'explique toutefois pas uniquement par des processus

neurologiques. Il peut aussi s'agir, par exemple, d'un mode de vie auquel la personne est

attachée : d'un mode de vie auquel elle tient.

Dans le cas de Didier, la dépendance au substitutif consiste notamment en une

dépendance aux contacts sociaux avec les professionnels de soins : qu'il s'agisse du médecin,

du pharmacien, ou encore de l'assistant social ou du psychologue, la méthadone induit un

certain mode de vie, et certaines relations dont Didier ne peut maintenant se défaire.

Cette dépendance-là peut être d'autant plus forte, d'après les participants aux analyses en

groupe, que la dépendance aux produits psychoactifs se base sur une souffrance au préalable :

on parle alors de « fuite de la réalité », de « substitution à l'amour, à la vie amoureuse », et de

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 57

Page 58: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

« désir de ne plus souffrir », pour expliquer un recours à des produits psychoactifs puissants.

Si le traitement de substitution induit justement la possibilité de nouveaux contacts sociaux et

d'un nouveau mode de vie, il est plausible que la dépendance soit d'autant plus forte.

D'ailleurs, tous les participants s'accordent pour dire que le traitement de substitution

peut avoir des effets bénéfiques, non seulement du point de vue de la réduction des risques,

mais aussi du point de vue de la socialisation de la personne : le produit de substitution

apparaît comme adjuvant à la reprise de contacts familiaux, amicaux, et professionnels, et

donc à la socialisation au sein d'anciens ou de nouveaux réseaux.

Certains participants ont aussi reconnu le caractère potentiellement asocial du produit de

substitution : en effet, alors que l'alcool et l'héroïne peuvent être perçus comme des produits

sociaux, se consommant en groupe, la méthadone, elle, se prend en solitaire. Parfois même, en

cachette.

Ces deux mouvements ne sont toutefois pas contradictoires : si le produit de substitution

entraîne une possible asocialisation avec d'autres usagers de drogues, et s'il permet une

socialisation avec des non usagers, tels les professionnels de soins et les proches, il est clair

que le produit a aussi des effets de substitution, au niveau social.

Convergence : Les participants aux analyses s'accordent pour dire que toute

dépendance à un produit psychoactif se base sur une souffrance préalable.

La dépendance aux traitements de substitution est une réalité. Elle s'explique, non

seulement par des critères neurologiques, mais aussi socialement. Il ne s'agit donc pas

seulement d'une dépendance à la molécule substitutive, mais aussi d'une dépendance

au mode de vie et aux relations permis par le traitement de substitution.

Les traitements de substitution agissent aussi comme substitutifs au niveau social, en

induisant la coupure avec d'autres usagers de psychoactifs, et en permettant le

resserrement de liens avec des non usagers.

Si donc tous les participants s'accordent pour reconnaître l'existence d'une souffrance

préalable à l'usage d'opiacés, certains – pas tous ! ont aussi parlé d'une souffrance

synchronique à la dépendance. Suivant cette idée, la dépendance au produit de substitution

peut déterminer une certaine souffrance chez la personne. Dès lors, lorsque l'usager souffre de

son éventuelle dépendance aux substitutifs, il s'agit de l'entendre et de suivre sa plainte, quitte

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 58

Page 59: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

à entamer un sevrage à l'encontre de la méthadone et assurer un suivi psycho-social visant à

l'abstinence.

Selon certains participants, il est d'autant plus nécessaire de « s'attaquer à la base du

problème » et aux sources de la consommation d'opiacés, que toute dépendance, quel que soit

le produit en question, entraîne une insatisfaction : on ne peut être heureux, en étant

dépendant, et « avoir besoin d’un produit pour remplir quelque chose est problématique ». De

même, passer d'une dépendance à un opiacé illégal, à la dépendance à un produit de

substitution, constitue un cercle vicieux.

Mais certains participants ont donné un tout autre son de cloche, en soulignant qu'il

s'agit, non pas de combattre la dépendance, mais de la relativiser. Les professionnels, mais

aussi les usagers, sont donc appelés à ne pas dramatiser les situations de dépendance.

Concernant spécifiquement les usagers, c'est d'autant plus crucial qu'il est fréquent, selon

certains participants, qu'ils se sentent coupables d'être dépendants, ignorant alors toute la

responsabilité que devrait porter le milieu d'où provient la personne.

Ce relativisme de la dépendance passe d'abord par la reconnaissance que le noeud du

problème, n'est pas la toxicomanie, et qu'au contraire elle ne constitue qu'un symptôme.

Ce relativisme passe aussi par l'acceptation que la consommation de drogues peut ne

pas constituer un problème. « Pourquoi ne pourrait-on pas vivre en consommant ? Pourquoi

a-t-on décrété que consommer un produit poserait un problème ? », se demandent les

partisans de cette posture. Les « drogues » ne sont alors plus l'objet de rejets et de critiques :

au contraire, elles sont acceptées, et ce notamment avec l'argument suivant lequel aucune

société n'a jamais été exemptée de la consommation de drogues. Cette idée a été défendue

dans plusieurs analyses en groupe. Soulignons d'ailleurs que plusieurs fois, l'alcool a aussi été

reconnu comme drogue à part entière.

La dépendance apparaît donc comme acceptable, tant qu'elle ne met pas en danger

l'existence de la personne. Elle s'illustre par le verre d'alcool pris quotidiennement après le

travail, ou par le cachet de Temesta des personnes âgées ayant des problèmes de sommeil.

Lorsque la dépendance aide la personne à mieux vivre, elle peut être pleinement acceptée.

C'est le cas de la dépendance aux traitements de substitution, pouvant constituer un levier

favorisant le changement de vie de la personne : elle devient alors opportunité.

Dans cette perspective, ce qui pose problème, ce n'est donc plus la dépendance à un

produit psychotrope, mais la désinsertion sociale, les possibles overdoses, la propagation de

virus ou d'infections, etc. Il s'agit donc pleinement d'une position de réduction des risques.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 59

Page 60: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Cela n'élimine pas le fait que la personne puisse être, à un moment, « fatiguée » de son

traitement de substitution. Il s'agit alors, à nouveau, d'écouter la plainte de la personne, et de

la prendre pleinement en compte. Au sevrage à la méthadone, pour lequel l'usager devra

s'armer de patience, certains participants préfèrent une éventuelle transition vers la

buprénorphine.

Divergence : Selon certains participants aux analyses, la dépendance s'accompagne

nécessairement d'une souffrance, y compris lorsque cette dépendance existe à l'égard

des produits de substitution. Le professionnel de soins se doit alors d'écouter la plainte

de la personne, et la suivre vers un potentiel sevrage.

A l'encontre de cette idée, s'oppose un relativisme de la consommation et de la

dépendance à des produits psychoactifs et de substitution. D'abord, parce que cette

consommation a existé de tout temps, et semble proprement humaine ; ensuite, parce

que cette consommation, et l'éventuelle dépendance qui peut s'ensuivre, peuvent aider

la personne à vivre. Il y a donc un appel à relativiser consommation et dépendance,

tant du moins qu'elles ne mettent pas en danger l'existence de l'usager, que ce soit par

la désinsertion sociale, les propagations de virus et d'infections, les overdoses, etc.

Il y a donc une divergence de vue entre une position plutôt abstinentielle, selon laquelle

la dépendance s'accompagne inexorablement de souffrance, et une position plutôt de

réduction des risques, selon laquelle la dépendance, en soi, peut ne pas poser de

problème.

Clarifions toutefois une chose : cette divergence peut forcément s'exprimer au cas par

cas. Un même professionnel de soins peut adopter une position, et puis l'autre, selon le

profil et les attentes du patient. Ce n'est pas parce que le professionnel croit en la

réduction des risques permise par les traitements de substitution, qu'il s'empêche de

mener des sevrages, par exemple lorsque la personne est « fatiguée » de se rendre

fréquemment à la pharmacie, de l'étiquette péjorative liée à l'usager de substitutifs, ou

encore de devoir cacher ce traitement à sa compagne... Dans ces cas-là, le traitement de

substitution étendu sur plusieurs années ne constitue pas une solution. Et si le sevrage à

la méthadone s'avère difficile, une transition avec la buprénorphine pourra être

envisagée.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 60

Page 61: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Les participants aux analyses en groupe s'accordent sur le fait que le sevrage sera

d'autant plus difficile, lorsque la personne connaîtra un certain isolement social. C'est

justement en se recréant d'autres relations sociales, et en trouvant de nouveaux plaisirs, qu'il

sera possible de se dégager de la dépendance aux opiacés illégaux et médicaux ; cela a été

reconnu unanimement dans plusieurs analyses.

Ce n'est toutefois pas simple, les intervenants s'accordent aussi là-dessus. Ainsi, même

si le sevrage est envisageable en cas de contexte favorable, il s'agira encore d'un long

processus, ce sevrage ne pouvant être envisagé que sur le long terme, et par étape. Par crainte

de rechute, certains médecins guident le sevrage à un rythme d'un milligramme par mois, pas

plus. Quand on sait que beaucoup d'usagers sont dosés à plus de 100 mg, cela implique

nécessairement un processus étalé sur plusieurs années.

Convergence : Un sevrage au produit de substitution constitue un processus de longue

haleine, devant idéalement se mettre en place au sein d'un contexte favorable, lorsque

la personne trouve de nouveaux plaisirs en-dehors de la consommation de produits

psychoactifs, et qu'elle connaît des conditions de vie favorables.

Le sevrage ne se limite clairement pas à une réduction du dosage de substitutifs.

Il semble en tout cas que les traitements de substitution sont exagérément mal perçus,

d'après les participants aux analyses en groupe. Il serait d'ailleurs nécessaire de mieux les

expliquer, certainement aux proches, mais aussi au grand public. Si certains patients doivent

se résoudre à prendre ce substitutif toute leur vie, et que l'abstinence « totale » est pour eux un

vœu pieu, il est nécessaire de les aider en améliorant l'image même du traitement de

substitution. Il est nécessaire de travailler largement à son acceptation.

Convergence : Les traitements de substitution sont encore perçus péjorativement par le

grand public. Leur image devrait être sensiblement améliorée.

Commentaire du chercheur : Une probable tension de l'usager de substitutif, coincé entre les

professionnels de soins prônant la stabilisation, et les proches prônant l'abstinence.

Il importe toutefois de souligner qu'une véritable tension peut être vécue par l'usager de

substitutifs, appelé à en user, si non à vie, du moins durant de longues années. Le récit sur la

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 61

Page 62: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

dépendance aux traitements de substitution le démontre, mais à dire vrai, durant ce processus

de recherche, ce n'est pas le seul moment lors duquel il y a eu interpellation à ce sujet :

plusieurs récits proposés sont allés dans le sens d'une expression d'un malaise lié à la

dépendance aux substitutifs ; un participant nous a même interpellés à la fin d'une analyse en

groupe, exprimant par là ne pas avoir trouvé de réponse à ses questionnements.

Il semble en effet qu'il puisse y avoir un fossé, voire une contradiction, entre l'approche

défendue par certains professionnels, ancrés davantage dans une perspective de stabilisation,

et celle défendue par les proches de l'usager, voire l'usager lui-même, ancrés dans une

perspective d'abstinence.

Pour le dire autrement, la divergence précédemment étayée, peut être vécue par l'usager lui-

même, dans une tension entre le discours de professionnels de soins avec lesquels il peut être

en contact, et le discours de ses proches : « Aux yeux de ma mère et de mon beau père, ils

disent « abandonne ! ». Et d'autres, « non, tu restes avec cette méthadone, tu n'es pas

capable de rester sans méthadone ». Ca, c'est mon médecin qui le dit. »

La tension soulignée dans ces dernières lignes, peut se manifester dans le dilemme que

peut vivre l'usager, entre dissimuler son usage de substitutifs, ou permettre à ses relations de

le connaître.

Forcément, ce dilemme sera résolu différemment, selon les personnes que l'usager pense

informer. Dans le cadre d'une analyse en groupe, nous nous sommes centrés sur un cas bien

précis, en l'occurrence lorsque l'employé pense informer son employeur, du fait qu'il est sous

traitement de substitution.

L'usager de traitement de substitution peut justement connaître le besoin de se confier et

de se sentir « honnête », notamment à l'égard de son employeur. D'après certains participants,

si la personne éprouve le besoin de le dire, c'est que cela fait intégralement partie de son

processus de reconstruction. Il est alors intéressant, pour la personne, d'informer ses proches

et moins proches, comme son employeur, du fait qu'elle suit un traitement de substitution.

Le problème, relèvent d'autres participants aux analyses, est que l'employeur informé du

traitement suivi par son employé, peut s'imaginer que ce dernier pourrait avoir des pertes de

vigilance, qu'il pourrait « rechuter », ou, tout simplement, qu'il est encore et toujours

toxicomane. Puisque le traitement de substitution peut rendre plus difficile l'accès à l'emploi

et à l'insertion socioprofessionnelle, il vaut mieux en cacher l'existence, et certains prônent le

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 62

Page 63: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

strict respect du secret médical : le patient a le droit de cacher son traitement de substitution,

et ce y compris à l'égard de son employeur.

Néanmoins, ce point est peut-être à nuancer : il est probable que la responsabilité de

l'usager de substitutif soit engagée, s'il doit conduire des machines dans le cadre de son

travail, et qu'il n'a pas déclaré à son employeur qu'il était sous traitement de substitution aux

opiacés.

Commentaire du chercheur : Nous n'avons trouvé aucune clarification à ce sujet : une

insécurité juridique semble bel et bien exister autour de la conduite de machines, pour un

usager de traitement de substitution.

Pourtant, différentes recherches prouvent la capacité qu'ont les usagers de méthadone ou de

buprénorphine, de conduire des véhicules, tant que cet usage n'est pas combiné avec d'autres

produits psychoactifs (Bernard, Mørland, Krogh, Khiabani, 2009 ; Baewert, Gombas, Schindler,

Peternell-Moelzer, Eder, Jagsch, Fischer, 2007).

Si la méthadone peut déterminer une réduction des aptitudes psychomotrices, cette réduction

n'est toutefois pas suffisamment importante, que pour empêcher une conduite de véhicule

(Dittert, Naber, Soyka, 1999). Les facteurs déterminants restent avant tout le mélange avec d'autres

produits psycho-actifs, et la personnalité de la personne (Hauri-Bionda, Bär, Friedrich-Koch, 1998).

Une étude a néanmoins enregistré davantage d'aptitudes des fonctions cognitives pour les

usagers de buprénorphine, que pour les usagers de méthadone. Cette différence semblait

particulièrement relevante en ce qui concerne la conduite automobile, et le fonctionnement

social (Soyka, Hock, Kagerer, Lehnert, Limmer, Kuefner, 2005).

Divergence : Nous avons présenté une tension que pouvait vivre l'usager de traitement

de substitution, entre d'une part, le professionnel de soins qui le pousse éventuellement

à le suivre durant plusieurs années, voire à vie ; et d'autre part, ses proches, qui

peuvent l'amener à l'abstinence à l'égard aussi de ce traitement.

Cette tension a été illustrée par la question de savoir si l'usager de traitement doit en

informer son éventuel employeur.

Selon certains, puisque les traitements de substitution sont encore mal perçus, il s'agit

d'en taire l'existence.

Ce silence peut toutefois entraîner de graves conséquences, en termes de responsabilités

si l'employé est amené à conduire des machines, et qu'il n'a pas informé son employeur

du fait qu'il suivait un traitement de substitution.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 63

Page 64: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Plus fondamentalement, certains professionnels de soins pensent que le fait d'informer

son employeur, peut constituer une part du processus de reconstruction de la personne.

Taire absolument son traitement de substitution est alors une option rejetée par ces

professionnels.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 64

Page 65: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

d) Schéma récapitulatif

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 65

UsagerTraitement

SubstitutionPblm 2: Pluralité des produitsde substitution aux opiacés

Pblm 1: Incertitude des objectifs

Pblm 3: Dépendance aux traitements de substitution

Problématiques liées aux produits

de substitution

Page 66: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

IV. QUATRIEME PROBLEMATIQUE :

LES MÉSUSAGES (récit 4)

Les participants de diverses analyses en groupe s'accordent pour dire que les

dépassements et augmentations de dosage, par rapport aux doses prescrites par le médecin,

constituent bel et bien une réalité fréquente. Ces pratiques sont appelées couramment

« mésusages ».

Néanmoins, et de manière générale, les mésusages s'observent par l'usage d'autres voies

d'administration que celles prescrites, et par les consommations d'autres psychotropes en plus

des produits de substitution.

Dans le récit que nous allons étudier, il s'agit de mésusages aussi bien du point de vue

des doses consommées, que des voies de consommation.

a) Le récit proposé par un professionnel d'un comptoir d'échanges de seringues :

« Les mésusages des traitements de substitution »vi

C'était il y a plus ou moins deux ans... Il y a deux ans. Je suis animateur « Boule de Neige »,

et on était ici, dans les locaux d'Ulysse. Un gars de la région nous avait demandé, un gars

pas de Charleroi, de l'extérieur, nous avait demandé pour participer à Boule de Neige via le

comptoir de Châtelet. On l'a accepté. Il est arrivé, et lors de la première séance, il s'est

présenté comme consommateur de méthadone, et uniquement de méthadone. Il avait fait une

croix sur l'héroïne, il n'a jamais réussi à arrêter la méthadone, qu'il injectait parce qu'il

était aussi dans les pratiques d'injection. Il nous a montré ses bras et ses jambes, ça

ressemblait un peu à des cratères lunaires, tout le long, énormes. Des ? ? ? comme ça. Ce

qui a même effrayé tous les injecteurs qui faisaient partie du groupe. Le gars, ça fait... Je

crois que ça fait cinq ou six ans qu'il consomme uniquement de la méthadone, je crois que

c'est 600 ou 700 mg par jour par injection, totalement dépendant. Il a une infirmière qui

vient le matin et le soir, lui soigner les plaies qu'il a fabriquées avec son injection de la

veille. Et voilà, la situation de vie dans laquelle le gars est. Il ne veut pas faire une croix sur

la méthadone, il ne veut plus changer de produit, juste pour un côté pécuniaire, parce qu'il

arrive à avoir ça via les voies médicales normales. Et donc voilà, le truc dans lequel ce

gars-là est bloqué.

Moi, je trouve ça ultra pertinent par rapport à la journée d'aujourd'hui. Et moi, c'est

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 66

Page 67: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

quelque chose qui m'a marqué, et je pense que tous les gens qui se sont retrouvés en face des

bras du gars, tous ont été vraiment... Ca a mis un gros choc à tous.

L'enjeu est que le gars était dépendant à l'héroïne. Ca l'a amené à se retrouver dans une vie

avec laquelle il ne se sentait pas du tout en harmonie, c'est-à-dire le deal, faire de l'argent

rapidement, le vol, peut-être la délinquance, etc. Il a rejeté tout ça en étant dépendant d'un

opiacé, tout en allant voir un médecin ou un centre. Je ne connais pas tout son parcours,

mais en tout cas, il s'est retrouvé dans un traitement méthadone, auquel il est vraiment

devenu extrêmement dépendant. Il a essayé une fois ou deux d'arrêter, ça lui a fait tellement

violence, qu'il a décidé de ne plus arrêter. Maintenant, il se retrouve avec des

consommations tous les jours de 500 à 700 mg, et il est en train de se foutre en l'air au

niveau peau, veines, tout, tout. Ca, c'est plutôt le pharmacien et le médecin qui pourraient

répondre à ma place, mais enfin, il est en train de s'abîmer, et on le sent très fort. C'est en

lien à la dépendance aux traitements de substitution. C'est une toxicomanie légale, qui peut

être moralement plus correcte pour le gars, mais au niveau santé, je ne sais pas vraiment, et

je voudrais vraiment avoir les réponses d'un médecin, qu'il mette quelqu'un qui a consommé

de l'héroïne sans jamais avoir touché à de la méthadone par injection, et qu'il se retrouve

face à ce gars-là. Je voudrais vraiment avoir un état de santé par rapport à la

consommation des deux, j'ai bien peur que le consommateur de méthadone...

Encore un petit truc : il avait aussi essayé le sniff, qui lui avait totalement brûlé toutes les

parois nasales, les nerfs, etc. C'est pour ça qu'un sniffeur de méthadone, en général, dit

« oah, ça fait mal les trois premières fois, mais après, ça fait plus mal ». Evidemment, il a

tout brûlé.

b) Les enjeux

Une des questions épineuses des traitements de substitution, est celle des mésusages,

ces mésusages pouvant concerner tout autant les dosages que les voies d'administration, voire

les fréquences d'administration.

Ces mésusages sont l'objet de nombreux débats et controverses.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 67

Page 68: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

c) Les convergences et les divergences

Tous les participants aux analyses en groupe reconnaissent l'existence de mésusages des

traitements de substitution, notamment par un dépassement des doses prescrites. Les

détournements d'usage des traitements de substitution peuvent engendrer de sérieux

inconvénients, comme une réduction des risques affaiblie, et une stabilisation moins

prégnante. Certains participants aux analyses parlent de « toxicomanie légale », la

consommation de substitutifs n'ayant alors comme objectif premier que de compléter ou

remplacer la consommation d'opiacés de rue, lorsque la personne n'a pu s'en procurer.

Les seuls éléments avantageux apparaîtront si la personne réduit sa consommation de

rue grâce aux substitutifs.

Les participants aux analyses en groupe rejettent donc, dans une large convergence, les

détournements d'usage des traitements de substitution.

Convergence : Les participants aux analyses en groupe reconnaissent l'existence de

détournements d'usage des produits de substitution, et les rejettent, les qualifiant de

mésusages.

Pour le récit qui nous occupe, ces dosages de plusieurs centaines de milligrammes de

méthadone, pris quotidiennement, laissent certains dubitatifs : si les uns y donnent du crédit,

au nom d'une hypothétique recherche de « flash », d'autres, au contraire, pensent que ces

doses ne peuvent être tout au plus que des doses « de pointe », avec un « dosage de croisière »

nettement plus bas. En effet, lorsqu'il y a saturation des récepteurs, il n'y a aucun bénéfice à

augmenter encore les doses.

Divergence : Si les dépassements de dosages des substitutifs sont reconnus comme bien

réels par l'ensemble des participants, certains croient en un possible usage de plusieurs

centaines de milligrammes, de manière régulière ; d'autres, au contraire, ne croient en

un dépassement important des dosages, qu'à certaines occasions, plus fréquemment

lorsqu'il y aura injection.

Commentaire du chercheur :

Par contre, nous dit un participant, en cas d'injection, l'élimination du produit semble plus

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 68

Page 69: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

rapide, et le temps de demi-vie de la méthadone, plus court ; monter dans les doses permet

alors de conserver un temps de demi-vie aussi long que sans injection : « La méthadone

sature à 100% les récepteurs, à une dose assez basse. […] Au delà de 70 mg, on est à 100%

de saturation. Et la métha a un temps de demi-vie assez long. Le temps de demi-vie, c'est le

temps nécessaire pour éliminer la moitié de la dose de l'organisme. […] Donc, si il se prend

200-300 mg, il est toujours à 100%, et il pourra tenir plus de 24 heures. Parce que, saturé,

c'est saturé. Qu'il soit à 100 ou à 200 mg, pour lui, ça ne va rien changer. Alors, le fait de se

faire une injection, ça rend le processus d'élimination plus rapide. En l'avalant, il aurait eu

plus de confort. Donc, s'il s'injecte, ça s'élimine plus rapidement, mais il tape haut, donc

c'est pour pouvoir gérer sa journée, qu'il dépasse les doses. »

Il est nécessaire, ici, de corriger ces dires par certaines références bibliographiques.

Il faut en effet bien distinguer durée d'action, c'est-à-dire l'effet analgésique du produit, et

demi-vie d'élimination, c'est-à-dire le temps que prends l'organisme pour éliminer la moitié

du produit. Ces deux mesures sont très différentes, comme l'a démontré une recherche sur

l'usage des opiacés pour des patients cancéreux : alors que la durée d'action moyenne de la

méthadone était de 4 à 6 heures, la durée moyenne de demi-vie montait, elle, à environ 24

heures, avec une valeur minimale de 17 heures, et une valeur maximale dépassant les 100

heures (Expert Working Group of the Research Network of the European Association for

Palliative Care, 2001).

La demi-vie est donc sujette à d'importantes variations, entre les sujets : “La demi-vie

d’élimination de la méthadone à l’état d’équilibre est d’environ 25 heures. Compte tenu de

la grande variabilité interindividuelle de la demi-vie d’élimination, l’obtention de l’état

d’équilibre peut prendre de 2 à 9 jours.” (Pharmascience Inc., Monographie Metadol, 13

avril 2003).

Quant à la durée d'action du produit, encore faut-il s'entendre sur l'effet clinique étudié : si

des études se sont penchées sur l'effet anti-douleur (Pharmascience Inc., Monographie

Metadol, 13 avril 2003), d'autres ont étudié l'effet sur les pupilles (Dale, Hoffer, Sheffels,

Kharasch, 2002). A notre connaissance, aucune étude ne s'est strictement basée sur la durée

d'action, entre la prise du produit oralement et par injection, et la réapparition du manque.

Ce qui est néanmoins certain, c'est que le pic de concentration et d’effet est plus haut et plus

précoce lors d'une injection, plutôt que lors d'une ingestion, de méthadone ( Felder ,

Uehlinger , Baumann , Powell , Eap, 1999) . Si parler de “flash” peut être abusif, il semble que

l'injection permette à l'usager de “mieux sentir” la méthadone.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 69

Page 70: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Tous les participants s'accordent sur une chose : l'injection du substitutif ici en question,

à savoir la méthadone, n'est pas appropriée ! Ce n'est pas seulement parce que l'injection, en

soi, est liée à des risques de transmission de virus et d'infections ; c'est aussi parce que,

d'abord, l'injection entraîne un effet plus puissant et plus rapide que lors d'une prise par voie

orale, comme la prescription médicale l'entend ; ensuite, le carboxyméthylcellulose rend

l'injection dangereuse, irritant gravement les tissus de la peau, générant d'importantes

douleurs, faisant naître des « cratères » purulents...

Comment expliquer, alors, que des usagers de méthadone se l'injectent ? Certains

intervenants renvoient à une dépendance au rituel et au fait même de s'injecter un produit.

Tous, en tout cas, peuvent trouver des explications dans le fait que, selon eux, les problèmes

de santé d'un toxicomane sont largement mis au second plan. L'estime de soi, très basse chez

les consommateurs, amènerait ces derniers à relativiser le caractère néfaste des injections de

hauts dosages de méthadone, permettant alors l'éventuel développement de mésusages.

Convergence : Les mésusages tels que l'injection de méthadone, dont le danger est

sévère, sont liés au fait que les usagers relativisent leurs problèmes de santé.

D'après certains, si des toxicomanes relativisent d'éventuels problèmes de santé, ce doit

être la conséquence d'un déni : ils ne veulent ou ne peuvent pas prendre conscience de leur

situation. Mais une autre idée a surgi, selon laquelle ce relativisme peut être le résultat d'un

choix, eût égard au contexte de vie de la personne : pour certains usagers, retourner dans la

rue, consommer de puissants opiacés, ou combler un vide existentiel, tout cela peut avoir une

logique.

Divergence : Ce relativisme est, selon certains, le résultat d'un déni. D'autres, par

contre, pensent que cela peut être la conséquence d'un choix rationnel.

Commentaire du chercheur : la séparation réussie entre l'excipient et la méthadone, une

fausse rumeur ?

Concernant la séparation de l'excipient accompagnant la méthadone, en l'occurrence le

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 70

Page 71: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

carboxyméthylcellulose, qui a comme particularité de se gélifier au contact de l'eau, un des

participants nous a rapporté le fait que la « clé » pour extraire la méthadone de ce mélange,

aurait été découverte, et permis un élargissement de pratiques d'injection de méthadone

isolées de l'excipient. Il en appelle d'ailleurs au remplacement de l'excipient

carboxyméthilcellulose, par du glucomannane.

Il est toutefois nécessaire de souligner que ces dires ont été réfutés par d'autres

professionnels, non présents lors des analyses en groupe. La littérature internationale, quant

à elle, n'a livré aucune information, ni quant à une méthode, réellement pertinente et efficace,

de séparation de l'excipient de la méthadone, ni quant au remplacement du

carboxyméthylcellulose par du glucomannane.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 71

Page 72: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

d) Schéma récapitulatif

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 72

UsagerTraitement

SubstitutionPblm 2: Pluralité des produitsde substitution aux opiacés

Pblm 1: Incertitude des objectifs

Pblm 4: Mésusages

Pblm 3: Dépendance aux traitements de substitution

Problématiques liées aux produits

de substitution

Page 73: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

V. CINQUIEME PROBLEMATIQUE :

LA RELATION ET LE PARTAGE DES SAVOIRS ENTRE L'USAGER ET LE

PROFESSIONNEL (récit 5)

a) Préalable

Les traitements de substitution ne peuvent être réduits à la relation entre le médecin

prescripteur et l'usager : comme nous avons déjà pu le lire entre les lignes, les traitements de

substitution ne se limitent pas toujours à une relation autour d'un médicament. Le médecin

prescripteur, déjà, aura souvent un rôle social, ainsi que certains pharmaciens délivreurs.

La plupart des participants aux analyses en groupe s'accordent pour dire que le recours à

l'outil substitutif ne peut être distingué du recours au réseau psycho-médico-social, entendu

largement, et comprenant tout autant le médecin et le pharmacien, que le psychologue,

l'infirmier, l'assistant social, etc.

Ainsi donc, une recherche centrée sur les traitements de substitution ne peut occulter le

caractère clinique souvent associé aux traitements de substitution. Ce sera l'objet des

problématiques investiguées dans les chapitres suivants.

D'après certains participants, le réseau de soins peut même être constitué de non

professionnels, comme les proches : parents, conjoints, amis, etc. Tous peuvent alors avoir un

rôle à jouer dans la stabilisation de la personne.

Cette idée est d'autant plus soutenue lorsque le traitement de substitution vise à

l'abstinence. Dans ces cas-là, c'est justement en entourant et en soutenant la personne, qu'il

sera possible, selon certains participants, de dépasser la « simple » prescription du substitutif,

pour évoluer vers le sevrage. Selon cette idée, un accompagnement psycho-médico-social

maximisera les chances de réussite du traitement de substitution à visée d'abstinence.

Les raisons exprimées lors des analyses en groupe sont multiples, et se recouvrent sans

doute partiellement : certains en reviennent à la souffrance, non seulement accompagnant la

prise du substitutif pour celui qui cherche à devenir abstinent, mais aussi celle présupposée

comme antécédente à la prise de psychotropes ; d'autres invoquent la nécessité, pour la

personne, de s'investir dans d'autres choses que le produit, et de le mettre à distance, ce qui

serait possible avec l'aide d'un intervenant ; d'autres enfin, soulignent la nécessité de casser

l'éventuelle solitude du patient, et de l'aider dans ses difficultés.

Néanmoins, tous les participants aux analyses ne partageaient pas cette première idée.

Ou du moins, ne la partageaient pas dans tous les cas. La question était alors la suivante : si

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 73

Page 74: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

l'usager de substitutifs doit forcément être en contact avec un professionnel ou une institution

prescrivant et délivrant le produit substitutif, doit-il obligatoirement être aussi en contact avec

d'autres professionnels du secteur des assuétudes ?

Certains participants ont souligné l'inutilité d'un quelconque suivi psycho-social pour

certains patients, ces derniers se satisfaisant largement des simples prescription et délivrance

du traitement, et éventuellement de leur propre réseau social, de leurs occupations

professionnelles, de leurs loisirs, etc.

D'autres ont aussi évoqué des difficultés intrinsèques à ce suivi, en l'occurrence, d'abord,

la nécessité de ne pas trop « couver » la personne, au détriment de sa propre

responsabilisation ; et ensuite, l'éventuel refus de se confier à certains professionnels.

Plusieurs (ex-)usagers de substitutifs, participant aux analyses en groupe, nous ont ainsi

témoigné de difficultés à consulter un psychologue. Deux raisons ont été exprimées : la

première est que le psychologue peut être très éloigné de leur réalité ; la seconde est que

consulter chez un psychologue, c'est, pour eux, admettre avoir un problème de santé mentale,

ce que ces personnes se refusaient à faire.

Enfin, il faut aussi souligner un dernier élément expliquant le non recours au suivi

psychosocial, par certains usagers de substitutifs : il s'agit du refus, par certaines structures

d'aide, de prendre en charge des personnes sous traitements de substitution. Des témoignages

en ce sens nous ont été donnés pour des maisons d'accueil et des hôpitaux : « Il y a des

maisons d'accueil où ça fait très peur : ils sont refusés ! C'est vrai que ce n'est pas non plus

évident à gérer, cette médication. » « Au niveau des réseaux, il y a très peu d'hôpitaux où on

accepte les toxicomanes. Ou alors, c'est un par service, même au niveau médical. […] Encore

actuellement, se faire hospitaliser ou rencontrer... Se faire accepter avec de la méthadone,

c'est rare... ».

Divergence : Pour certains participants aux analyses en groupe, le suivi psychosocial

est fondamental pour des usagers de substitutifs, surtout lorsque ces derniers sont

inscrits dans un projet à visée abstinentielle. Les participants ayant exprimé cette idée,

présupposent en effet qu'une souffrance existentielle explique, voire accompagne,

l'usage d'opiacés, et que l'usager, pour réussir un traitement à visée abstinentielle, doit

sortir d'une solitude et d'une morosité dans lesquelles il serait inexorablement inscrit.

D'autres participants aux analyses en groupe n'ont pas partagé cette idée, en soutenant

notamment que certains usagers de substitutifs avaient suffisamment de ressources,

pour ne pas devoir bénéficier d'un suivi psychosocial en plus de leur traitement de

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 74

Page 75: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

substitution.

Des arguments en faveur d'éventuels traitements réduits à la prescription et à la

délivrance, ont en effet émergé lors des analyses, en l'occurrence la possible difficulté à

entamer une relation avec le corps psychosocial, ainsi que la nécessité de ne pas trop

couver la personne dans une aide « totale ».

Enfin, certains soulignent que le refus de certains professionnels de prendre en charge

le suivi de patients sous substitutifs, rend forcément difficile les démarches entreprises

par ces derniers...

Commentaire du chercheur : Il est certain que cette divergence, tout comme de nombreuses

autres dans ce rapport, peut être basée sur des différences interindividuelles, et même des

différences de périodes chez une même personne. A un moment de sa vie, une même

personne pourra désirer un suivi psychosocial fort, et à un autre moment, un suivi avant tout

médicamenteux.

Ainsi donc, même si le recours à un suivi psychosocial n'est pas clairement nécessaire

dans tous les cas de substitution, il est un fait que l'étude de cette dernière ne peut omettre

qu'il y est fait largement recours. Une recherche sur les traitements de substitution doit donc

prendre le temps de l'analyse de la relation -clinique- entre professionnel et usager.

b) Le récit proposé par un psychiatre en hôpital psychiatrique : « La relation et le

partage des savoirs entre l'usager des traitements de substitution, et le

professionnel »

On a eu un patient cumulant les dépendances. Il a été à la rue, a squatté, et est entré chez

nous. Il a maintenant un appart' supervisé à Namur. C’était typiquement le patient qui se

présente aux urgences, et qu’on remballe. Ce sont des patients qui se font remballer partout.

C’est un patient de 3X ans originaire de X. Il est d’origine turque. Il est marié et a trois

enfants. Son épouse ne travaille pas, et il fait vivre le ménage et la famille. Il a toujours vécu

en Belgique. Il a eu une première phase de junkie. Sa famille l’a envoyé en Turquie. Il y est

resté un an et est revenu. Il était sorti de sa phase de conso classique et a rencontré sa

femme.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 75

Page 76: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Depuis 10 ans, il est dans une consommation « récréative » « compulsive ». Le fonds est

peut être un gros trouble anxieux. Mais il a été étiquetté comme héroïnomane. Il a des

phases de défonce quotidiennes espacées. C’est très fluctuant. Il travaille dans le bâtiment et

a des maux de dos ; ce qui justifie pour lui la prise de morphiniques. Il semble utiliser aussi

ses médicaments comme anxiolytiques. Il a comme cela des moments de fuite difficilement

expliquable.

Cela fait 10 ans qu’il travaille dans le bâtiment. Il a toujours gardé une vie active. Il n’a

jamais décroché socialement (emploi, famille,…). Une de ses motivations est ses enfants. Il

a une capacité d’encaisser le produit et de continuer à travailler. Sa conso lui donnerait un

sentiment de toute puissance. Il peut piquer du nez lorsqu’il ne consomme plus. Il est allé

voir plusieurs centres dans la région de Charleroi, mais il n'était pas assez tox. Il s’est fait

refuser aux hôpitaux de Namur car trop tox.

Je le reçois une première fois, et un deuxième rendez-vous est fixé. Il arrive pété. Au

troisième rendez-vous, il arrive aussi pété. Plutôt qu’un traitement de substitution, on part

sur une désintoxication. Le séjour se passe bien. Il se retranche derrière un désir de s’en

sortir et d’arrêter, et avoue s’être présenté pété. Il avait pris différents produits de

substitution sans cadre et sans suivi. Son épouse a toujours tout supporté depuis longtemps,

avec quelques petits pics d’énervement où elle n’en peut plus.

Ce qui est intéressant chez les patients, c’est qu’ils sont difficiles et viennent faire exploser

nos cadres, et nous remettre en question. Il y a une nécessité de projets, d'entourage, de

réseau potentiel pour travailler.

c) Les enjeux du récit

Nombre de groupes se sont penchés, in fine, sur la relation entre l'usager et le

professionnel, induisant un certain cadre d'intervention. Les bases de ces analyses ont été

données à l'occasion de celle menée dans ce récit, exemplatif de ces cas de « l'entre-deux » :

ni complètement stabilisé, ni totalement désinséré.

C'est devant ce genre de patients, que les réponses semblent moins claires et univoques.

Et c'est devant eux que des questionnements fondamentaux peuvent être posés, notamment

concernant la relation et le partage des savoirs entre professionnel et usager. L'un des deux a-

t-il « davantage » raison que l'autre ? Si oui, lequel ? Ou alors, leurs science et expérience

s'équivalent-elles ?... Comment concevoir le traitement ? De réinsertion ? De stabilisation ?

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 76

Page 77: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

d) Les convergences et les divergences

La question du partage des savoirs, entre professionnel et usager, fait débat au sein des

participants aux analyses en groupe ; une divergence émerge assez rapidement à ce propos.

Ainsi, certains participants identifient d'abord un « choc des savoirs », entre

professionnels et usagers, ces derniers ayant forcément une expérience de consommation,

mais aussi une connaissance de ce qui est bon pour eux-mêmes.

La question est alors de partager ce savoir, pour savoir comment ne pas induire le rejet

de l’usager, et savoir comment le soignant va pouvoir entrer dans le monde de ce dernier. Le

soin devient un partage entre deux personnes, dont une a la pouvoir d’hospitaliser et de

prescrire. Mais paradoxalement, d'après les participants défendant cette première opinion,

celui qui aura le dernier mot, c’est l’usager : « ce qu’il ne trouve pas chez nous, il ira le

trouver ailleurs. »

Le modèle est alors celui de l'horizontalité des savoirs, car l'usager sait ce qui est bon

pour lui, dans la consommation de psychotropes, ainsi que dans la « consommation » de

soins.

Ce premier positionnement s'oppose alors à toute idée d'injonction à l'égard de l'usager,

que cette injonction provienne d'une pression juridique ou familiale, en passant par l'objectif

d'abstinence rapide que pourrait avoir un médecin prescripteur. Ces pressions et injonctions

sont malsaines, d'après une participante consommatrice de psychotropes, car elles peuvent

induire l'overdose lorsqu'il y a reconsommation.

Cette même personne pense même qu'il vaut mieux s'accepter pleinement en tant

qu'héroïnomane : plus que les services d'aide et de soins, c'est cette acceptation de soi-même

qui peut jouer sur le bien-être de la personne, et sur une éventuelle réduction ou stabilisation

de la consommation, au fil du temps. Elle-même témoigne du fait qu'elle stabilise sa

consommation d'héroïne à une fois par week-end, et ce grâce au produit de substitution qu'elle

se fait prescrire en parallèle. Elle avait d'ailleurs proposé un récit allant dans ce sens :

J’ai été 10 ans chez un généraliste qui me donnait de la métha en dégressif pour arriver à 5

mg. Il n’y a rien eu entre nous. Je me suis retrouvé à 5 mg et avec mon héro. [Maintenant,]

je vais à XXX dans un centre où je reçois ce que je veux. On ne m’impose aucune contrainte.

Petit à petit, c’est moi qui réduis mes doses. Si l’on ne veut pas faire cela de soi-même, on

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 77

Page 78: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

n’y arrive pas. Le toxicomane est le roi de sa propre toxicomanie. Tout va être utilisé par le

tox à son propre choix (plaisir, bien être, calme social,…). Le toxicomane gère cela avec des

degrés divers d’hypocrisie par rapport aux soignants. On traite les toxicomanes de

menteurs, mais les écoute-t-on vraiment dans leurs réalités et leurs demandes ? La non

contrainte et le respect de la capacité des tox à gérer leur propre toxicomanie est très

importante. Je me défonce quand je peins et ne peins jamais sans être défoncée. Lorsque je

ne suis pas défoncée, je suis maman. On fait toutes les courbettes que vous voulez pour avoir

nos ordonnances. J’ai diminué de moi-même la méthadone et m’y suis contrainte pour, par

exemple, que le médecin ne me pose pas de questions. On s’impose nous même des

contraintes sociales et imaginaires.

A l'inverse, d'autres participants pensent que, s'il y a bel et bien partage des savoirs, ce

dernier ne passe pas forcément par une horizontalité de la relation entre le professionnel et

l'usager. Le professionnel, on le sait, sera « utilisé » par l'usager, qui tendra d'obtenir ce qu'il

désire. Et cela s'avère nécessaire, afin de construire une relation entre les deux parties. Mais à

un moment, ce même professionnel doit pouvoir dire quand la relation qu'il a avec l'usager, ne

convient plus. Dans cette perspective, les avis du professionnel et de l'usager ne s'équivalent

pas.

La relation doit alors être basée sur le respect et la confiance, de la part du

professionnel, mais aussi de la part de l'usager. Le cadre ne doit pas oppresser, ni moraliser,

mais permettre le faible seuil d'accès aux soins : il doit être souple et adapté.

Ainsi donc, la relation et le partage des savoirs ne passent pas nécessairement par

l’horizontalité des relations. C'est justement un certain cadre, qui permettra à la relation de se

créer. Ce cadre sera néanmoins « plastique », et différent entre chaque personne. Des

bricolages et ajustements en cascade seront perpétuellement nécessaires. Et la pluralité des

cadres de soins constituera, à cet égard, un atout indéniable.

Divergence : L'ensemble des participants s'accordent sur le fait qu'il y a un partage des

savoirs entre le professionnel et l'usager, ce dernier ayant l'expérience et la

connaissance de la consommation de psychotropes.

Il y a néanmoins divergence sur la relation liée à ce partage.

En effet, certains participants soutiennent l'idée que la relation entre le professionnel et

l'usager est horizontale. Il est alors nécessaire de s'opposer à toute injonction de la part

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 78

Page 79: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

du professionnel, inadéquate dès lors que l'usager sait ce qui est bon pour lui, et

inopportune, dès lors que ce dernier peut aller chercher ailleurs ce qu'il ne trouve pas

chez un premier intervenant.

A l'inverse, d'autres participants pensent que ce partage des savoirs n'implique pas

forcément une horizontalité de la relation. Si effectivement l'usager peut tenter

« d'utiliser » le professionnel – ce qui s'avère nécessaire pour construire une relation, ce

dernier doit aussi pouvoir récuser tout dépassement du cadre.

Il est donc nécessaire, pour les deux parties, d'interagir en confiance et de manière

respectueuse, sans moralisation ni oppression, mais en faisant en sorte que le cadre soit

souple et adapté.

Ainsi donc, selon cette deuxième idée, le partage des savoirs ne passe pas forcément par

l'horizontalité, mais justement par la constitution d'un certain cadre, adapté à la

situation de la personne, et donc toujours susceptible d'évolutions en cascade.

Une autre divergence est apparue, quant à l'hospitalisation de la personne, dans le cadre

du récit analysé : certains participants ont en effet pensé que cette hospitalisation ne s'était

centrée que sur la consommation des psychotropes, sans pour autant se pencher sur la

problématique présumée antérieure à cette consommation.

Dans ce cas, selon plusieurs participants, l'ambulatoire apparaît comme davantage

pertinent pour explorer « l'explication fondamentale » à l'usage de psychotropes : bien plus

qu'une « simple » médicalisation, il s'agit aussi d'une offre d'aide psychosociale qui, d'après

ces participants, ferait défaut au sein des hôpitaux.

A l'inverse, d'autres participants ont souligné que l'hospitalisation pouvait constituer un

lieu de (re)construction du lien, en ce qu'elle peut constituer une pause et une mise au repos, à

un moment donné. Lorsque la personne est en plein chaos, il n'y a plus de partage ni de

relation possible ; une régularité doit être réinstallée, permettant de rassurer et de restabiliser

la personne, et ce même si les échappées vers les opiacés viendront toujours les titiller.

D'après certains participants, ces dernières réflexions sont à remettre dans le cadre plus

général d'un choc entre l'ambulatoire et l'hospitalisation. Cette dernière n'est pourtant plus

totalitaire, comme elle a pu l'être auparavant : les pratiques ont évolué. En cela, dans le récit

étudié, une désintoxication visait, non pas à l'abstinence par rapport aux drogues, mais avant

tout à la création d’un espace pour comprendre. Il s'agissait d'ancrer un réel en mettant la crise

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 79

Page 80: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

à distance. Il ne s'agissait pas d'un sevrage imposé, la question centrale restant celle du lien, et

le traitement de substitution ayant toujours quelque chose à voir avec la construction du lien.

Divergence : La relation parfois difficile entre ambulatoire et hospitalisation s'est

retrouvée dans les analyses.

Ainsi, certains participants soutiennent que, dans l'intervention présentée dans le récit,

l'ambulatoire aurait été plus adéquat pour se centrer, non pas seulement sur la

consommation, mais sur la raison déterminant ce symptôme de la consommation.

Cela a donné l'occasion à d'autres participants d'expliquer que l'hospitalisation permet

une pause dans le chaos éventuellement vécu par la personne, préalable nécessaire à la

reconstruction du lien.

Les participants se sont par contre rejoints, justement, pour tirer les conclusions de leurs

divergences, et du fait que chaque perspective peut être intéressante, selon les personnes,

voire selon les moments d'une vie d'une même personne.

Ainsi, il y a eu une large convergence pour reconnaître la difficulté d'être soignant, et

l'indéfini des traitements de substitution. La nature de l’usage d'opiacés conditionne les

objectifs du traitement de substitution, et il est difficile, au départ, de savoir quel usage est fait

de la substance. L’usager parle au professionnel selon ce qu’il croit que ce dernier attend,

alors que certains usagers s'inscrivent dans une volonté d’abstinence, et d'autres veulent

pouvoir conserver des consommations « récréatives ». Enfin, chez certains usagers, la

méthadone peut agir comme anti-dépresseur, alors que dans d'autres suivis, elle devient

secondaire, au profit de la recherche de lien.

C'est alors difficile, pour le professionnel, de trouver l’accroche : différentes optiques

existent, tout comme existent différentes optiques de consommation. Ca l'est d'autant plus,

que le professionnel a forcément aussi sa propre représentation du patient, toute subjective.

Convergence : Les participants s'accordent justement sur le fait que la pluralité des

offres de soins est intéressante, en ce qu'elle permet au mieux de répondre aux besoins

des différents publics, voire d'une même personne aux différents moments de son trajet

de consommation et de soins.

Le fait est que le soignant se trouve irrémédiablement face à l'indéfini des traitements

de substitution. Très souvent, l'usager tient le discours qu'il pense que le professionnel

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 80

Page 81: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

attend. Mais sachant que l'usage des opiacés et des traitements de substitution est

tellement diversifié, il est en vérité difficile, pour le professionnel, de trouver l'accroche,

d'autant plus que lui-même a aussi ses propres représentations se projetant sur

l'usager.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 81

Page 82: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

e) Schéma récapitulatif

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 82

Intervenant

UsagerTraitement

SubstitutionPblm 2: Pluralité des produitsde substitution aux opiacés

Pblm 1: Incertitude des objectifs

Pblm 4: Mésusages

Pblm 3: Dépendance aux traitements de substitution

Problématiques liées aux

produits de substitution

Problématiques liées au cadre d'intervention

Pblm 5: Relation et partage desavoirs entre usager & prof.

Page 83: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

VI. SIXIEME PROBLEMATIQUE :

COMMENT INTERAGIR AVEC L'USAGER DE SUBSTITUTIFS ? (récit 6)

La problématique précédente nous a permis de nous pencher sur le partage des savoirs

entre le professionnel et l'usager. En soi, cette thématique constitue l'introduction aux

questions plus générales centrées sur l'interaction entre le professionnel et l'usager. Comme

nous l'avons dit, cette relation est loin d'être aisée, non seulement dans le chef du

professionnel, mais aussi dans celui des usagers.

C'est ce que nous nous emploierons à étudier dans les pages suivantes, et dans les

chapitres à venir.

a) Le récit proposé par un usager de substitutifs : « Le regard des autres par

rapport aux usagers de méthadone »

Il y a une pharmacie que je fréquente depuis 10 ans. Et au début, je prenais de la métha,

mais j'étais pas encore toxicomane. Et c'est le rapport, comment au début, la pharmacienne,

elle m’accueillait. Et au fil des années, après, j'ai eu diverses aventures, bien sûr... En plus,

à cette époque-là, je faisais la manche. Après, j'ai commencé à décrocher. Après, la

pharmacienne, elle m'a regardé d’un autre oeil. Elle me voyait faire la manche. […] Par la

suite, même si j’habitais beaucoup plus loin, je continuais à aller à cette pharmacie, parce

que, avec cette pharmacienne, j'ai établi d'autres rapports. Mais avec la pharmacienne, et

en plus, avec les clients qui venaient dans cette pharmacie, parce que, dans les pharmacies,

c'est toujours des habitués qui viennent. Et même le regard des gens... Comment le regard

des gens, par rapport à soi, en tant que mancheur... Et voilà, avec le temps, j'ai vu comment

le regard de cette pharmacienne et des gens autour, comment ce regard a changé.

b) Les enjeux du récit

Le regard posé sur les usagers de substitutifs est d'une importance capitale. On peut en

effet croire que ce regard influence la relation entre l'usager et le produit de substitution, voire

entre lui et les professionnels de soins.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 83

Page 84: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Comme nous le voyons dans ce récit, la relation de soins peut ne pas être exempte du

regard péjoratif souvent véhiculé à l'égard des usagers de drogues et/ou de substitutifs. Se

pencher sur cette relation, c'est donc, avant tout, se pencher sur ce possible regard, et sur ce

qu'il détermine.

c) Les convergences et les divergences

D'après tous les participants aux analyses en groupe, l'usager de drogues porte, dans

notre société, un « stigmate »vii. D'après la sociologie de Goffman, le « stigmate » consiste en

l'attribut disqualifiant un individu lors de ses interactions avec autrui, ce stigmate étant

déterminé par l'écart entre l'attribut et le stéréotype que nous en avons, en particulier par

rapport à son identité. Si l'usager de drogues donc stigmatisé, ce stigmate se répercute aussi

sur les usagers de substitutifs : même s'ils sont ex-usagers de drogues, peu importe. D'après

les participants aux analyses, la société leur fait porter le stigmate de leur passé.

Le fait est que, dans la pharmacopée belge, la méthadone, substitutif le plus

fréquemment utilisé en Wallonie, est rangée dans la catégorie des stupéfiants, et la

buprénorphine, dans les médicaments spécialement réglementés. Ces régimes spéciaux de

délivrances imposent des règles strictes au professionnel qui en assure la prescription et la

délivrance, ce qui peut amener le prescripteur ou le délivreur à avoir un regard particulier sur

le patient.

Convergence : Les participants aux analyses en groupe reconnaissent tous que les

usagers de drogues portent un stigmate, et le partagent avec les ex-usagers de drogues

et usagers de traitements de substitution. De toute manière, le substitutif lui-même,

classé dans la catégorie de stupéfiants ou de médicaments spécialement réglementés,

peut déterminer une différence de regard du professionnel de soins, à l'égard de son

patient.

Ce regard négatif porté à l'égard de l'usager de substitutifs, empêche le changement :

quel que soit le présent de la personne, son passé, et l'étiquette qui l'accompagne, restera

toujours ancré en lui. Pire, le regard posé sur la personne l'amène souvent à confirmer ce

regard, volontairement ou non : lorsqu'un « toxicomane » est fiché, il se fait plus souvent

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 84

Page 85: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

contrôler, d'après certains participants, ce qui rend la réinsertion difficile. Et justement, la

consommation de drogues permet d'oublier le regard jugeant.

Certains nuancent toutefois, en voyant justement un adjuvant dans ce stigmate, puisqu'il

pourrait agir comme « un coup de pied au derrière » pour évoluer vers un changement,

entendu ici comme l'abstinence.

Quoi qu'il en soit, si le stigmate « colle à la peau » de l'(ex-)usager de drogues, cela a-t-il

une influence sur les relations entre usagers de substitutifs et professionnels ?

Certains participants pensent que non : les professionnels de soins, de par leur

profession, sont appelés à ne pas avoir de regard négatif à l'égard des (ex-)usagers de drogues.

Mais d'autres ne sont pas aussi optimistes, et pensent bel et bien que les rapports entre

(ex-)usagers de drogues et certains professionnels du secteur sont aussi déterminés par le

stigmate dont sont victimes les premiers. Plusieurs exemples ont été cités, comme le refus de

certaines institutions de prendre en charge des patients sous substitutifs, ou, tout simplement,

le récit de relations au sein desquelles le professionnel avait d'importants préjugés à l'égard du

patient.

Divergence : L'ensemble des participants aux analyses en groupe s'entendent pour dire

que l'(ex-)usager de drogues est stigmatisé dans notre société, et ce même si cet usage

appartient au passé.

Certains participants pensent que ce stigmate n'a aucune influence sur les relations

avec les professionnels de soins, qui, de par leur métier, sont amenés à dépasser les

préjugés.

D'autres participants, au contraire, insistent sur le fait que le stigmate peut, en effet,

influer sur les relations entre professionnels et usagers, allant même jusqu'à déterminer

des refus d'accès aux soins.

A partir de cette divergence, nous pouvons donc à tout le moins supposer qu'il peut y

avoir des relations entre professionnels et usagers de drogues ou de substitutifs, au sein

desquelles le stigmate joue.

Cela semble particulièrement le cas dans certaines situations délicates, comme lors d'une

demande de dépannage. Lorsque le professionnel est confronté à des demandes de ce genre,

en effet, il semble que deux réactions, certes polarisées dans ces pages, peuvent émerger.

Certains participants aux analyses en groupe soutiennent donc l'idée que le stigmate que

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 85

Page 86: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

porte l'(ex-)usager de drogues ou de substitution ne joue pas. C'est par exemple le cas de

médecins prescripteurs qui, en cas de demande de nouvelles prescriptions, se méfieront autant

de l'usager de méthadone qui a cassé sa bouteille, que de l'usager de somnifères qui a perdu sa

boîte.

A l'inverse, d'autres participants aux analyses pensent bel et bien que le stigmate émerge

d'autant plus vite entre professionnels de soins et usagers de substitutifs, que le cadre

d'intervention est bousculé, comme lors d'une demande de dépannage. A ce moment, en effet,

revient très vite l'idée que la personne a pu revendre son traitement au marché noir.

Divergence : Il est des situations délicates où, peut-être, le stigmate à l'égard de

l'(ex-)usager de drogues ou de substitutifs, peut réémerger d'autant plus vite dans sa

relation avec le professionnel de soins. La demande de dépannage est une de ces

situations.

Certains participants le nient : en cas de dépanne, le médecin prescripteur se méfiera

autant du consommateur de substitutif que du consommateur de somnifères, par

exemple.

D'autres, par contre, pensent bel et bien que la demande de dépannage peut être

l'occasion de toutes les suspicions, comme celle de la revente du produit prescrit au

marché noir.

Il est alors intéressant de se pencher sur les stratégies utilisées pour contourner ou nier

les effets de ce stigmate. Car plusieurs fois, en effet, les participants aux analyses en groupes

ont témoigné de telles stratégies. Prenons le temps de les étudier, mais avant cela, notons que

ces stratégies ne concernent pas seulement l'usager de substitutifs. Les participants s'accordent

d'ailleurs là-dessus : le stigmate joue dans l'interaction entre professionnels et usagers de

soins, et les diverses stratégies mobilisées pour le contourner, le seront aussi dans les

interactions ; c'est-à-dire, donc, par les soignés et les soignants. Et les préjugés peuvent jouer

dans les deux sens.

Convergence : Les participants s'accordent sur l'idée que le stigmate, lorsqu'il joue

dans l'interaction entre professionnels et usagers de soins, peut jouer dans les deux

sens. Ce sont donc les deux parties qui peuvent mobiliser des stratégies pour

contourner ou nier le stigmate.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 86

Page 87: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Une première stratégie peut être, tout simplement, de rejeter le stigmate. Cette première

stratégie pourra elle-même se décliner en plusieurs modalités, comme par exemple rejeter le

caractère dénigrant et criminalisant de la toxicomanie, pour insister sur son aspect de maladie

chronique ; pointer les éléments dissonants du stigmate, comme l'extrême diversité des profils

au sein des « toxicomanes », dont le groupe est constitué aussi bien de « gens super bien, à

côté de psychotiques ».

Dans le même ordre d'idée, lorsque cela lui est possible, la personne peut ne pas se

présenter comme « toxicomane » : un participant aux analyses en groupe a pris l'exemple de

ses démarches de réduction des risques auprès des pharmacies, en tant que « jobiste ». Ce

statut différent rendait, selon lui, le dialogue plus aisé.

Une deuxième stratégie, sans doute liée à la première, peut tout simplement être celle de

travailler sa présentation : veiller à bien se présenter, participer à des interactions

respectueuses, sans agressivité, etc. D'après les différents participants, ce simple effort peut

déjà faire beaucoup pour réduire l'impact du stigmate.

Une troisième stratégie consiste à replacer les éléments du stigmate lié à la toxicomanie,

dans une identité plus globale : la personne refuse alors toute réduction de sa personne, à son

simple usage de substitutifs. Elle ne se réduit pas à un (ex-)usager d'opiacés.

Dans le récit qui nous occupe, justement, Christian voulait être identifié globalement

comme marginal, et non uniquement comme usager de méthadone. Le problème est que

l'identité plus globale, en l'occurrence, dans ce cas-ci, la marginalité, peut elle-même être

l'objet d'autres stigmates. Il y a alors à nouveau débat, sur l'opportunité de « noyer » l'aspect

du substitué dans une identité plus globale, dès lors que cette dernière peut être aussi mal

perçue que la première.

Une autre manière de replacer les éléments du stigmate dans une identité plus globale,

c'est, concrètement, de concentrer les différents recours aux soins : à vrai dire, si Christian a

dû se faire dépanner plusieurs fois par sa pharmacienne, c'est parce qu'une autre maladie, qu'il

dissimulait, et pour laquelle il se rendait dans une autre pharmacie, lui donnait des

vomissements. Ce n'est qu'en dévoilant l'existence de cette maladie, et les effets secondaires

de la médication qui y était liée, qu'une ouverture a pu être opérée dans sa relation avec sa

pharmacienne. Cette ouverture a d'autant plus été possible que, d'après certains participants à

cette analyse en groupe, le dévoilement de la maladie provoquant les vomissements a peut-

être permis de réduire toute suspicion, de la part de la pharmacienne, d'une

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 87

Page 88: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

instrumentalisation de sa fonction dans les chaînes de soins.

Une divergence oppose alors les avantages et les inconvénients de la concentration des

soins. Car indéniablement, il peut y avoir des avantages à concentrer les soins, et à éviter

toute scission : les pharmaciens disposent de systèmes permettant de jauger de la

compatibilité de différents médicaments. Encore faut-il, pour cela, que la personne se rende à

la même officine. Cela plaide donc pour la concentration des soins.

Mais indéniablement aussi, il peut y avoir des inconvénients à la concentration des soins

: il peut parfois être préférable de scinder les diverses maladies que peut vivre la personne.

Cela appartient au choix du patient, de « ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier »,

et de scinder ses recours aux soins.

Une quatrième stratégie présentée par les participants aux analyses en groupe, consiste à

minimiser ou banaliser les interactions « dangereuses », c'est-à-dire, les interactions où le

stigmate pourrait jouer. Concrètement, cela peut par exemple passer par la réduction de

l'interaction avec son pharmacien, à une simple relation marchande : le pharmacien n'est plus

professionnel de soins, il est commerçant de médicaments.

Cela implique une divergence entre participants, car d'autres, clairement, refusent de

limiter le pharmacien à un rôle marchand : il est un soignant à part entière. Le pharmacien

prodigue des conseils, effectue tout un travail en coulisse, et de toute façon, ne vit

certainement pas grâce aux traitements de substitution. Notons d'ailleurs que ce rôle crucial du

pharmacien, dans le réseau de soins, a fait l'objet d'une convergence dans une autre analyse en

groupe.

Commentaire du chercheur, concernant un éventuel malaise des pharmaciens :

A titre informatif, les deux pharmaciens ayant pris part aux analyses en groupe ont, tous

deux, exprimé un malaise lié à un manque de reconnaissance : le premier, dont nous

étudierons le récit plus loin, a exprimé un manque de concertation avec les autres

professionnels de soins, ce qui rendait complexe le respect de ses missions ; l'autre, ayant

participé à ces débats-ci, avait amené un épisode lors duquel il ne s'était pas senti respecté,

par des usagers de traitements de substitution.

Une cinquième stratégie peut encore être celle de changer d'interlocuteur, lorsqu'on sait

que le professionnel de soins habituel ne sera pas la bonne personne : en cas de besoin de

« dépannage », il sera par exemple préférable de se rendre dans une Maison d'Accueil Socio-

Sanitaire, plutôt que chez son pharmacien habituel.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 88

Page 89: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Convergences : Les participants à l'analyse en groupe s'entendent sur plusieurs

stratégies, permettant de contourner ou de rejeter les stigmates, pouvant mettre à mal

la relation entre soignant et soigné.

Ces stratégies, qui font l'objet de consensus, sont : rejeter le stigmate, comme par

exemple le caractère criminalisant ou dénigrant de l'usage d'opiacés et/ou de

substitutifs, en soulignant l'extrême diversité des profils ; travailler la présentation de

soi ; s'adresser à d'autres personnes, lorsqu'on sait, par exemple en cas de besoin de

dépannage, que les interlocuteurs habituels ne pourront répondre favorablement à la

demande.

Divergences : Les participants aux analyses en groupe ne sont par contre pas arrivés à

s'entendre sur certaines stratégies pour faciliter les interactions entre soignants et

soignés, stratégies présentant en même temps des avantages et des inconvénients.

L'une d'entre elles est liée à la question de replacer l'usage d'opiacés ou de substitutifs,

dans le cadre d'une identité plus globale : si effectivement cette idée peut paraître

attrayante, encore faut-il que l'identité globale en question ne soit pas elle-même l'objet

de stigmates.

Plus fondamentalement, replacer l'usage d'opiacés ou de substitutifs dans une identité

plus globale, peut concrètement se réaliser en concentrant ses demandes de soins

auprès de professionnels bien identifiés : on replace alors l'usage de substitutifs, dans

l'identité globale d'usagers de médicaments. Cette deuxième formule paraît attrayante,

notamment de par le fait qu'il est alors possible d'identifier les interactions entre les

différents médicaments.

Néanmoins, certains participants aux analyses y ont aussi perçus des inconvénients, liés

au droit du patient, d'avoir le choix des différents professionnels de soins qu'il veut

consulter.

Une autre stratégie a fait débat, en l'occurrence celle de minimiser, voire de banaliser,

les interactions perçues comme dangereuses : réduire le pharmacien, non pas à un

professionnel de soins, mais à un commerçant. D'autres participants notent toutefois

qu'elle entraîne un manque de reconnaissance du professionnel et de ses missions,

compliquant d'autant plus l'interaction entre professionnels et usagers de soins.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 89

Page 90: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

d) Schéma récapitulatif

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 90

Intervenant

UsagerTraitement

SubstitutionPblm 2: Pluralité des produitsde substitution aux opiacés

Pblm 1: Incertitude des objectifs

Pblm 4: Mésusages

Pblm 6: Les points d'incertitude de l'interaction usager / prof.

Pblm 3: Dépendance aux traitements de substitution

Problématiques liées aux

produits de substitution

Problématiques liées au cadre d'intervention

Pblm 5: Relation et partage desavoirs entre usager & prof.

Page 91: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

VII. SEPTIEME PROBLEMATIQUE :

POUR QUOI UN CADRE D'INTERVENTION ? (récits 7 et 8)

Ce que la difficile interaction entre professionnel et usager a permis d'éclairer, c'est

notamment les questions attenantes aux cadres d'intervention. Pour nous en convaincre, il

suffit de reprendre les mots d'un participant : « Est-ce que les toxicomanes ne pourraient pas

avoir un accès plus facile au traitement ? Car si la pharmacienne réagit comme ça, c’est

parce qu’il y a des règles strictes. Je me dis : « est-ce que c’est vraiment utile dans le soin

que cela apporte aux usagers de drogues ? » ».

Dès lors, si effectivement il faut repenser les cadres d'intervention, revenons en arrière,

et posons-nous la question la plus originelle qui soit : pour quoi faut-il un cadre

d'intervention ? A quoi un cadre d'intervention devrait-il servir ? Le récit baptisé « L'absence

de Pères » constituera sans doute un intéressant point de départ.

Il apparaît toutefois pertinent de ne pas centrer l'analyse des modalités d'intervention,

uniquement sur les relations singulières entre le professionnel et l'usager : ce cadre

d'intervention n'est pas seulement l'affaire de ces deux figures, mais de l'usager et de

l'ensemble des professionnels mobilisés autour de celui-ci.

Les analyses s'alimenteront donc d'un deuxième récit, traitant du cadre d'intervention

partagé par les différents professionnels.

a) Le récit proposé par un psychiatre au sein d'un hôpital psychiatrique :

« L'absence de Pères »

- Jean-François est arrivé avec une mesure d’observation du juge de paix, dans un autre

service que le mien. Puis il a été transféré dans un de mes services. Il y a deux services,

avec un nombre de lits différents. Et moi, à la clinique, je suis spécialiste des drogues dures.

Jean-François arrive avec une mesure d’observation de 30 jours. Il est agressif avec sa

mère, et consommateur d’héroïne. Le rapport est rédigé par un médecin pour le juge de

paix, malgré une méconnaissance du patient. Et le juge de paix a rédigé une ordonnance de

placement.

Le raisonnement du juge, c'était ceci : « Jean-François deale de la drogue, en consomme, il

est dangereux pour lui et pour les autres. Comme il persiste dans ce comportement, il est

malade mental, donc je l’enferme ». Mais on n’a pas le droit d’enfermer les gens

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 91

Page 92: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

« addicts », ce n’est plus un crime, à moins d’une maladie mentale.

Jean-François harcèle ses grands-parents, à qui il pompait 3000 euros par mois. Sa mère

avait eu le même comportement avec ses parents. Le patient disait pendant sa période

d’observation... Il était assez réglo... Il se disait déprimé. Mais sinon, le diagnostic de

dépression n’était pas véritable. Mais je me suis fait piéger par la détresse des grands-

parents. Leur seul recours, c'était qu'ils portent plainte.

Plus tard, j’ai laissé sortir le patient, qui revenait toutes les 3-4 semaines. Comme il était

tout le temps sous l’œil de la PJ, il venait se réfugier à l’hôpital. Un expert psychiatre est

venu le voir. Le patient avait peur de se retrouver en XXX. Je lui ai dit qu’il était

responsable (au patient), puis j'ai déclaré le patient guéri : il n'avait pas de maladie

mentale. Mais il a commencé à boire, comme son père.

- Quel est la place du produit de substitution dans le récit ?

- Les consommations étaient associées à des problème psychiatriques, avec la défaillance

des familles, l'absence de papas. Je n’ai quasi aucun père dans toute ma patientèle. Et j’ai

un rôle de père : mettre la loi et les limites. J’ai essayé de pallier à cette défaillance

paternelle. (…) L'enjeu, c'est donc : comment faire quand il n’y a pas de père ?

b) Le récit proposé par un éducateur au sein d'une centre ambulatoire

spécialisé : « L'entretien de la toxicomanie par le manque de conscience de

certains professionnels »

« Je vais parler, non pas de situations vécues avec des patients, mais avec des collègues

professionnels. Je voudrais soulever la prise de conscience du rôle et de la responsabilité

des professionnels dans la « réussite » entre guillemets, d’un traitement méthadone. Ca veut

dire, on peut parler de Jan et Ben, ce sont deux collègues. C'est les mêmes discussions qui,

malgré les consignes d’équipe, malgré le règlement de la maison, malgré les discussions,

dépannent, prennent des exclus, entravent les règles... pour rendre service aux patients. [...]

Dominique est un multi-supra-récidiviste dans les pertes de méthadone dans le train, dans la

machine à lessiver, son chien, son chat, mouillées dans son sac,... qui vient se faire

dépanner, qui est venu à un moment donné se faire dépanner tous les 2 jours. On voyait et

on savait qu’il revendait sa métha. Et les professionnels, malgré l'interdiction de dépanner...

Il faut savoir qu'au centre, on a une règle, on peut dépanner 3 fois sur 3 mois. Les patients

sont au courant, les professionnels normalement sont au courant aussi, et dans la gestion,

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 92

Page 93: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

dans l'ordinateur, il y a un aspect dépannage. Tout le monde sait si la personne a encore

droit ou pas au dépannage, et c'est les professionnels qui ne respectent pas les règles

établies par l'institution. Et quelle est l'incidence que ça peut avoir sur Dominique...

Dominique nous entube, et par là il s’entube aussi, il nous fait un bras d’honneur. Ca fait

quinze ans que je connais Dominique, et Dominique est toujours dans la même situation. Et

voilà, il nous fait un bras d'honneur. La conséquence, c’est que lui, cela le maintient dans

son système. Il ne se tracasse pas, le gars... [...] Je pourrais même aller plus loin, il y a des

fautes professionnelles. […] C'est la prise de conscience des professionnels sur notre

incidence par rapport au bon traitement, au bon suivi des patients. […] Cela induit

l’entretien, on est presque dans l’entretien de la toxicomanie et on empêche le sevrage. »

c) Les enjeux

D'après les participants à l'analyse en groupe consacrée au premier de ces deux récits, il

y a une absence fréquente de Pères chez les usagers de substitution, ce qui détermine un

certain rapport à la Loi et aux Règles. Ce n'est forcément pas spécifique à cette population,

mais cette absence de Pères semble bien réelle chez les usagers de drogues illicites et/ou de

produits de substitution.

Derrière ces questions, c'est notamment le cadre d'intervention qui a été étudié. Or, ce

cadre d'intervention a aussi été étudié dans le second de ces deux récits, en l'occurrence celui

qui fut baptisé, par celui qui l'a proposé, « l'entretien de la toxicomanie par le manque de

conscience de certains professionnels ».

Les enjeux sont sensiblement identiques entre ces deux récits, à savoir les objectifs des

cadres d'intervention ; les modalités d'application de ces cadres ; les avantages, mais aussi les

inconvénients, voire les difficultés. Il est donc porteur de rassembler ces deux récits, pour en

extraire, en même temps, les convergences et les divergences observées pendant les analyses

en groupe.

d) Les convergences et les divergences

Parler du cadre d'intervention applicable aux traitements de substitution, cela passe,

d'après les participants à une des analyses en groupe, par le fait de parler du Père.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 93

Page 94: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Cependant, entre les différents participants, tout le monde ne s'entend pas clairement sur

le rôle du Père : certains pensent qu'il est une instance faisant la Loi, et la faisant respecter. Le

rôle de l'intervenant de soins est donc proche, selon certains participants, des missions de la

justice : « On transmet quelque chose de soi. A un moment donné, il faut que quelqu'un le

fasse. Que ce soit la justice, la police, ou nous. C'est notre rôle tous les jours. »

D'autres participants, par contre, se distinguent d'un rôle autoritaire, les amenant à ériger

des règles et à les faire respecter : plus que de limites et de sanctions, il s'agit que le Père

donne des repères. Cette idée appelle alors à davantage de distinctions entre les missions du

judiciaire et du socio-sanitaire. Les missions que l'intervenant-Père se donne ne se centrent

plus autour des règles, mais avant tout autour d'une relation humaine entre professionnel et

usager de soins. Un témoignage nous a été donné par un usager de substitutifs : « Le Phare,

ils me disent ce que je dois faire. Ils donnent des conseils. Il y a aussi un contact très amical

avec mon médecin. J'ai eu des intervenants chez qui j'allais où il n'y avait pas de contact ;

avec mon médecin actuel, c'est différent. Idem avec les gens que je vois régulièrement,

comme avec le Phare, ma pharmacienne, etc. Ils me donnent des limites, me disent ce que je

devrais faire,... »

Divergence : Les participants aux analyses en groupe reconnaissent que les

professionnels de soins doivent très souvent prendre un rôle de Père à l'égard des

usagers de substitutifs ; le rôle de Père que prend l'intervenant paraît donc, en premier

lieu, structurer le cadre d'intervention des traitements de substitution.

La difficulté est que tout le monde ne s'entend pas sur ce que recouvre ce rôle de Père.

Certains y accolent, de fait, un rôle normatif : l'intervenant, tout comme l'institution

judiciaire, doit faire respecter la Loi.

D'autres, par contre, donnent au Père un rôle, avant tout, de conseils : l'intervenant-

Père donne des repères, et ce dans le cadre d'une relation humaine entre professionnel

et usagers de soins.

Mais pourquoi des règles ou des repères ? L'intervenant-Père vise en fait à l'autonomie

de la personne. En effet, d'après les participants, le fait de vivre en société impose de

connaître et de respecter certains préceptes. Et si l'intervenant-Père doit, durant une certaine

période, aider la personne à les assimiler, il doit aussi garder à l'esprit qu'il ne pourra le faire

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 94

Page 95: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

indéfiniment. Son action, même si elle peut s'étendre sur plusieurs années, doit prendre fin à

un certain moment.

Qu'en est-il alors pour les traitements de substitution, dont on sait qu'ils peuvent être

pris à vie ? Si les participants à l'analyse en groupe consacrée au Père ont parlé d'autonomie,

ce n'était pas celle à l'égard du produit de substitution, mais à l'égard des intervenants. Ainsi

donc, la personne peut être sous substitution, tout en ayant acquis l'autonomie.

Cette autonomie s'acquiert avant tout par la responsabilisation de la personne,

notamment à l'égard de sa demande et de ses besoins. Il faut qu'elle sache ce dans quoi elle

s'intègre : que cherche-t-elle dans le traitement de substitution ? Est-elle prête à respecter des

balises propres à ce traitement ? Lesquelles ? Pour quels objectifs ?

Ce dernier constat a d'ailleurs été discuté de manière approfondie dans une autre analyse

en groupe. Selon les personnes qui y ont pris part, il ne s'agit certainement pas d'adopter une

mission d'assistanat, comme le ferait une structure ouverte 24h / 24, afin d'éviter tout manque

de substitutifs : d'après les participants, en effet, l'assistanat doit être révoqué, parce qu'il

revient à effectuer les étapes à la place de la personne. Lorsque, par exemple, l'intervenant a

des attentes trop importantes pour l'usager de substitutifs, il pourra être amené à effectuer lui-

même ce que l'usager est incapable de réaliser. Cet assistanat ne rend donc pas service à la

personne, d'après les participants, puisque cela ne favorise pas son autonomie.

C'est donc bien la responsabilisation qu'il s'agit d'atteindre, et ce d'autant plus que

prendre en compte la parole de l'usager, et le responsabiliser par rapport à son traitement de

substitution, peut assurément amener des avantages. L'usager doit par exemple être capable

d'exprimer ses besoins, et de négocier certaines parts de son traitement avec son médecin.

Convergence : L'intervenant-Père vise à l'autonomie de la personne. Cette autonomie

n'implique pas forcément l'abstinence de tout substitutif : c'est plutôt à l'égard des

intervenants-Pères que cette autonomie doit se prendre.

Cela passe par la responsabilisation de la personne : c'est à elle de définir ce qu'elle

recherche dans le traitement de substitution, et dans sa relation avec le professionnel de

soins.

L'assistanat est révoqué par les participants aux analyses en groupe ; par contre, la

responsabilisation de l'usager de soins est d'autant plus supportée, qu'elle permettrait

un traitement de substitution plus en phase avec les besoins du patient, auquel, alors,

des possibilités de négociation sont conférées.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 95

Page 96: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

En revenant au récit consacré à « la dépendance aux traitements de substitution »,

mettant à jour une dépendance de l'usager à l'égard des professionnels de soins, et analysé par

le même groupe de participants, ces derniers avaient pu noter l'éventuelle dépendance de la

personne, non seulement au produit, mais aussi à l'intervenant-Père.

Certains y voient alors un risque, mettant à mal le développement de l'autonomie de la

personne. D'autres participants, au contraire, peuvent croire qu'une dépendance de la personne

à l'égard de l'intervenant-Père peut constituer un vecteur intéressant, vers l'autonomie : suivant

cette idée, la dépendance au produit de substitution et au prescripteur est intrinsèque au

traitement de substitution. Les « recadrages thérapeutiques » que peut décider un

professionnel de soins, peuvent alors permettre la prise de conscience de l'existence de cadres

et de règles : « Traitement de substitution = dépendance au produit, et au prescripteur. Il y a

des choses que je ne prescris pas. Et parfois, je dois faire des recadrages thérapeutiques. A

ces moments-là, ils peuvent sentir que c'est juste, et il y a autre chose : ils reviennent

différents. Il y a une dépendance relationnelle et humaine, chaleureuse et qui met des limites

en même temps. »

Divergence : La dépendance à l'intervenant-Père peut alors, selon certains participants

aux analyses en groupe, mettre à mal l'autonomie de la personne, puisque celle-ci

touche moins au produit de substitution en lui-même, qu'à sa relation avec les

professionnels de soins.

Mais d'autres professionnels de soins pensent que la dépendance de l'usager de soins à

l'égard de l'intervenant-Père permet justement la conduite de recadrages

thérapeutiques, et l'apprentissage de l'existence de règles et de limites, favorisant dès

lors la responsabilisation de la personne, et donc, une certaine autonomie.

Une question épineuse peut alors être abordée, en l'occurrence celle du dépassement du

cadre d'intervention.

Le fait est que, tout d'abord, les traitements de substitution impliquent forcément la

question du dépannage : le nombre de récits proposés et ayant trait à cette question démontre

en tout cas que, lorsque les intervenants sont approchés pour parler de leurs pratiques et de ce

qui leur pose question, le dépannage prend une place prépondérante. Ce n'est forcément pas

que tous les usagers de substitution auront besoin d'être dépannés à un moment donné ; ce

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 96

Page 97: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

n'est sans doute pas non plus que tous les intervenants, comme les médecins en cabinet privé,

devront statuer sur une demande de dépannage ; mais c'est sans doute que tous les

intervenants prescripteurs et délivreurs seront potentiellement confrontés à cette question

difficile. Certains centres spécialisés prennent d'ailleurs des dispositions, en permettant par

exemple trois dépannages par trimestre.

D'après les participants aux analyses en groupes, le dépassement du cadre d'intervention

semble donc intrinsèque aux traitements de substitution : « Il faut mettre un cadre, mais

quand on est toxicomane, on est obligé de déborder du cadre, même sans le vouloir. Même un

tox qui veut arrêter, il y a tellement peu de place pour qu’il se rattrape qu’il déborde

toujours. »

Une large convergence est même apparue, dans une analyse en groupe, pour dire que la

relation entre le soignant et le soigné, autour du traitement de substitution, recouvre tellement

d'enjeux, que le mensonge en est une conséquence logique. Cette idée a été exprimée aussi

bien par des usagers que des professionnels de soins : « Quand le cadre n’a pas

d’importance, ou quand il n’y a pas d’enjeux, il y a beaucoup moins de mensonges. Quand il

y a des enjeux, et des règles dans certains centres (et il y a des raisons, je ne remets pas ça en

cause), on sera obligé de mentir. Si on ne baratine pas, on aura peu de chance. » « Par

rapport au cadre d’un lien thérapeutique, s’il est fondé sur des règles (ne pas consommer

tous les jours…), il va commencer à mentir. La méthadone est un enjeu, les règles de

l’institution sont un enjeu. » Le seul bémol exprimé par rapport à cette convergence, est que

« le mensonge est dans toute relation soignant-soigné ».

Dès lors, que faire lorsqu'il y a dépassement du cadre d'intervention ? Ce n'est pas parce

que ce dernier est intrinsèque au traitement de substitution, qu'il ne doit entraîner aucune

réaction : au contraire, disent les participants aux analyses, quel que soit le cadre

d'intervention, quelles que soient les règles qui ont été définies, lorsque l'usager de substitutifs

ne les respecte plus, il doit y avoir réaction, en questionnant le cadre défini jusque là.

Convergence : Une difficulté réside dans le fait que, d'après les participants aux

analyses en groupe, les dépassements du cadre d'intervention sont intrinsèques aux

traitements de substitution. Ces dépassements peuvent s'accompagner de mensonges,

conséquence logique, selon les participants, de toute relation soignant – soigné, au sein

de laquelle les enjeux sont toujours présents.

Ces dépassements de cadres appellent à réaction de la part du professionnel de soins :

lorsque le cadre est perçu comme non respecté, il est nécessaire de requestionner le

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 97

Page 98: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

travail accompli, et ce quelles que soient les modalités de ce cadre.

La difficulté réside alors dans le fait que certains cadres semblent stricts et statiques, et

que d'autres peuvent être mouvants et fluctuants. Faut-il alors sanctionner, ou tenter de

comprendre le dépassement du cadre d'intervention ? Certains participants prônent la

sanction, avec réaffirmation du cadre existant. D'après cette idée, le non respect du cadre doit

être corrigé.

Mais d'autres participants proposent plutôt de comprendre et de travailler ce non respect

de cadre d'intervention. La position ici défendue se base sur l'idée que le non respect du cadre

répond à sa propre logique. Peut-être même qu'il souligne des ressources propres à l'usager de

soins. Plutôt que de sanctionner, il s'agit alors de comprendre.

Divergence : Les cadres d'intervention sont eux-mêmes très divers, notamment entre

ceux à visée d'abstinence, et ceux à visée de réduction des risques. Les uns seront plus

stricts et statiques, alors que les autres seront davantage mouvants et fluctuants.

Un dilemme apparaît alors. Une première réaction peut être de sanctionner le

dépassement du cadre d'intervention, et de réaffirmer l'existence de règles propres au

traitement.

Mais une toute autre réaction peut exister, en l'occurrence la volonté de comprendre ce

dépassement du cadre d'intervention, avec le postulat que ce non respect des règles

répond à sa logique propre, et que cette logique doit être cernée avant d'éventuellement

redéfinir le cadre d'intervention.

Le fait est que, si le cadre d'intervention doit être respecté, ce n'est pas uniquement

l'apanage de l'usager de soins : le récit sur « l'entretien de la toxicomanie par le manque de

conscience de certains professionnels » nous a clairement mis sur la voie d'une dénonciation

d'un dépassement du cadre d'intervention, par un professionnel de soins.

En cas d'un dépassement du cadre d'intervention, non pas par l'usager, mais par un autre

professionnel, quelle attitude adopter ? La dénonciation, et la sanction, est-elle la réaction

adéquate et que doivent adopter les collègues du professionnel de soins, pour le coup mis sur

la sellette ?

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 98

Page 99: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Certains participants aux analyses en groupe le pensent, et l'affirment. L'exemple par

excellence est sans doute celui d'une décision, prise de manière collégiale au sein d'une

équipe, et qui n'est pas respectée par un membre de cette équipe. A cette occasion, la sanction

du professionnel de soins doit être clairement envisagée.

Certains participants, par contre, contrebalancent l'éventuel désir de sanctions, par des

tentatives de compréhension...

Pour être justes, soulignons qu'ils reconnaissent pleinement que le soignant, médecin-

prescripteur, doit pouvoir dire « non » au dépassement abusif du cadre d'intervention ; il en a

d'autant plus la responsabilité, que l'intervenant doit agir comme garant des règles de

l'intervention, et que les « recadrages thérapeutiques » peuvent avoir des conséquences

positives sur la responsabilisation de la personne.

Le problème est que cette responsabilité de dire « non », et de réaffirmer les limites du

cadre d'intervention, n'est pas facile à prendre : le soignant est inexorablement pris dans une

tension entre le soulagement et la guérison. Il est alors parfois éminemment complexe de

refuser tout soulagement, au nom d'un cadre d'intervention visant un objectif encore

pleinement hypothétique : « Le médecin, il est en tension entre son souhait de soulager le

patient sur le moment, ou de croire en une hypothétique guérison. C’est à ce niveau là que ça

se joue, les solutions, elles ne peuvent pas venir du médecin seul. »

Divergence : Lorsqu'il y a dépassement du cadre d'intervention, comme lors d'une

demande de dépannage, l'usager de soins peut amener le professionnel à contourner un

cadre d'intervention préalablement défini. La question, donc, de la réaction à l'égard

du professionnel de soins qui dépasse le cadre d'intervention, se pose dans les mêmes

termes que la réaction à l'égard de l'usager de soins.

Certains participants aux analyses en groupe sont donc partisans d'une sanction à

l'égard du professionnel de soins.

D'autres, par contre, veulent d'abord chercher à comprendre le dépassement du cadre

par ce professionnel, prenant argument du fait que le médecin-prescripteur est

constamment en tension entre, d'une part, le soulagement du patient à court terme, et

d'autre part, la guérison hypothétique à long terme.

Allons plus loin encore, et notons que, derrière les questions liées au dépassement du

cadre d'intervention, apparaît une question fondamentale, à savoir : quand y a-t-il

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 99

Page 100: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

dépassement du cadre d'intervention ? Cette question a bel et bien été posée par les

participants aux analyses en groupe...

Il est clair que, d'après certains participants, l'usage des produits de substitution ne peut

se baser que sur la médication telle que prescrite par un médecin. C'est donc au médecin de

déterminer le traitement adéquat pour son patient, en fonction du diagnostic qu'il aura établi

préalablement. Dans le cas contraire, il n'y aurait pas de différence entre médecin et dealer,

d'après certains dires recueillis lors des analyses.

Cette idée peut s'accompagner de revendications d'un contrôle accru, de la part des

professionnels, à l'égard des usagers. Il est alors question d'ingestion du substitutif devant le

pharmacien : si cette pratique existe encore ici et là, ce n'est pas le cas avec tous les patients,

ni même dans toutes les officines. Il est aussi question de durées de prescription plus courtes,

et de délivrances plus fréquentes, éventuellement quotidiennes.

Si un contrôle doit être accentué, cela peut toutefois se faire avec nuances, et en faisant

des distinctions entre les usagers de substitutifs : s'il est nécessaire, selon certains, de cadrer

avant tout les jeunes usagers, il est possible de lâcher un peu la bride, pour les usagers

stabilisés depuis plusieurs années.

A l'inverse, d'autres participants aux analyses en groupe reconnaissent et soutiennent la

possibilité d'une auto-médication : des usagers, par exemple, reconnaissent consommer

parfois davantage que les doses qui leur sont prescrites, lorsque la mélancolie les

accompagne, par exemple. Certains participants semblent donc prêts à accepter une certaine

part d'auto-médication.

Surtout, ils opposent contrôle et lien avec le secteur socio-sanitaire : à trop insister sur le

premier, on atténue le second. En effet, un seuil d'exigences trop haut peut amener la personne

à prendre ses distances par rapport au secteur professionnel, et à s'approvisionner, en drogues

ou en substitutifs, sur le marché noir. Il vaut donc mieux, parfois, accepter certaines entorses

au cadre d'intervention initial.

Divergence : Une divergence de vues existe quant au moment où il y a dépassement du

cadre d'intervention.

En effet, certains participants défendent l'idée que c'est le médecin-prescripteur qui

définit le cadre d'intervention, et qu'à ce titre, dépasser le traitement, en termes de

dosages ou de fréquences de prescription et de délivrance, c'est dépasser le cadre

d'intervention. D'après cette première position, il est crucial que les professionnels

prescrivant et délivrant le substitutif, contrôlent le respect du cadre d'intervention par

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 100

Page 101: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

l'usager de soins, ce contrôle pouvant éventuellement être plus laxiste pour les

personnes sous substitutifs depuis de longues années.

A cette première idée, s'oppose une autre, à savoir la possibilité d'une auto-médication,

dans le chef de l'usager de substitutifs, le dépassement des dosages prescrits étant alors

expliqué par les difficultés du quotidien, que doit affronter l'usager.

Surtout, les participants aux analyses ayant défendu l'éventualité d'une auto-

médication, aussi maigre soit-elle, l'ont fait en se basant sur la possible coupure de lien

que pourrait engendrer un contrôle trop strict.

Il y a donc une demande contradictoire, entre, d'une part, que les professionnels

« prennent leurs responsabilités », et « (re)mettent un cadre », et d'autre part, l'écoute et la

prise en compte de la souffrance du patient.

Un cadre intransigeant est donc désiré par certains participants. Il est ainsi nécessaire

d'amener l'usager du traitement de substitution à respecter des règles, éventuellement

déterminées dans un contrat. C'est notamment par là que l'autonomie de la personne serait

rendue possible : « Si une personne n'arrive pas à suivre les quelques règles, elle n'arrivera

jamais à s'intégrer dans la société. »

D'autres, par contre, insistent sur un cadre d'intervention éventuellement flexible : dans

cette perspective, un cadre trop rigoureux n'est pas la solution. On parle alors davantage

d'empathie que de sanctions. La sanction est d'autant plus difficile à donner, selon certains

participants, que parfois, le non respect du cadre d'intervention peut clairement être expliqué

et excusé.

Certains participants aux analyses en groupe appellent d'ailleurs à ce que les

professionnels s'engagent plus, quitte à dépasser les règles de leur propre cadre

d'intervention : « Est-ce que le pharmacien ne peut pas prendre sur lui de temps en temps

pour fournir une gélule de méthadone ?... Je me mouille, je m'engage. C'est parfois comme ça

: on doit sortir parfois de notre cadre strict. »

Divergence : Le cadre d'intervention lui-même est sujet à divergence. Certains

participants revendiquent un contrôle strict et accru, de la part des professionnels de

soins.

D'autres participants, par contre, sont prêts à se placer dans une position davantage à

l'écoute des besoins du patient.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 101

Page 102: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Tous les participants rejettent en tout cas un laxisme trop important de la part du

médecin : il ne peut être question de répondre librement aux désirs du patient, et de prescrire

tout ce que ce dernier désire.

Convergence : L'auto-médication radicale est rejetée. Le médecin ne doit pas prescrire

au patient, tout ce que ce dernier lui demande.

Une divergence entre les participants a d'ailleurs émergé à ce propos : certains

soutiennent qu'il existe des dérives en la matière, et que des médecins prescrivent tout ce que

le soigné désire, ou signent des ordonnances vierges.

D'autres participants ne croient pas en ces dérives, tout simplement parce que le

médecin ne peut pas en prendre le risque : il pourrait en effet être poursuivi pénalement.

Divergence : D'après certains participants, il existe bel et bien des dérives, comme des

prescriptions à l'envi à l'égard de l'usager de substitutifs.

D'autres n'y croient pas, tout simplement parce que le médecin qui s'adonnerait à de

telles dérives, pourrait être poursuivi pénalement.

Quoi qu'il en soit, la relation soignant / soigné est loin d'être aisée... Comment, donc, la

faciliter ? Faut-il l'inscrire dans des relations plus larges, comme dans le travail en équipe ?

Certains participants à l'analyse en groupe ne le pensent pas : d'après eux, il faut restreindre la

relation au soignant et au soigné. Le médecin est seul juge, et doit le rester.

D'autres, au contraire, sont véritablement convaincus par le fait que la relation soignant /

soigné doit être inscrite dans d'autres relations, comme celles d'une équipe.

Commentaire du chercheur : Le lecteur pourrait croire que travail d'équipe et colloque

singulier ne sont pas antinomiques. C'est peut-être vrai, mais il n'en reste pas moins que la

façon dont les participants aux analyses se sont positionnés, semble bien rendue par cette

divergence : alors que certains proposaient d'aller vers davantage de travail en équipe,

d'autres tenaient fermement au colloque singulier, en rejetant explicitement le partage

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 102

Page 103: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

d'informations entre professionnels.

Les participants aux analyses en groupe, ayant soutenu l'idée d'insérer la relation

soignant / soigné dans le travail d'équipe, y ont vu plusieurs avantages.

Il y a d'abord l'idée que le rôle de Père, que se doit de prendre l'intervenant, à l'égard de

l'usager de substitutifs, est plus facile à prendre en équipe : ce rôle de Père semble, comme

nous l'avons vu, incertain et fluctuant, évoluant entre l'autorité et les limites d'une part, et les

conseils et les repères, d'autre part. L'équipe permet alors d'arriver à un équilibre entre les

différentes facettes de la Paternité.

La solitude du médecin plaide aussi en faveur d'un travail en équipe : pris dans la

tension entre le soulagement immédiat et la guérison à long terme, on a vu qu'il peut avoir des

difficultés à poser certaines décisions. L'apport d'une équipe consiste en un échange d'avis

possible entre les différentes personnes en présence, qu'elles soient professionnelles ou

usagères de soins.

Les participants à l'analyse en groupe s'accordent en effet pour dire que c'est par le

dialogue, que la confiance peut être accentuée, entre professionnels, et entre professionnels et

usagers. Et en temps normal, le travail en équipe devrait justement permettre de la

triangulation et du dialogue.

De manière fondamentale, ce dialogue et cette triangulation permettent de clarifier les

objectifs de chaque traitement de substitution (sevrage, stabilisation, maintenance, ou

réduction des risques ?), et de mieux définir les modalités du cadre d'intervention (plus ou

moins strict, plus ou moins permissif ?).

Divergence : Face à la complexité de la relation entre le soignant et le soigné, se pose la

question de savoir s'il est nécessaire, pour les professionnels, de travailler à plusieurs,

comme en équipe.

Certains participants aux analyses sont très attachés au colloque singulier entre

professionnel et usager de soins. Le travail d'équipe n'a alors pas lieu d'être.

D'autres pensent que le travail d'équipe permet d'intéressantes perspectives,

notamment parce qu'il facilite la prise du rôle de Père, par l'intervenant, et permet le

dialogue et la triangulation, 1) soutenant alors le médecin dans sa relation avec le

soigné, et 2) restaurant la confiance entre professionnels et usagers, en clarifiant les

objectifs et les modalités du cadre d'intervention, de chaque traitement de substitution

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 103

Page 104: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

particulier.

On pourrait aussi penser que le travail en équipe va jusqu'à permettre un partage des

responsabilités, la décision éventuellement difficile, comme autoriser un dépannage,

n'incombant plus au seul médecin. Certains participants aux analyses le pensent, en tout cas.

Certains, mais pas tous... Car d'après d'autres participants, le travail d'équipe peut aussi

permettre, justement, de renvoyer les responsabilités aux responsables. En effet, que la

relation soignant / soigné soit, ou non, inscrite dans un travail d'équipe, ce sera toujours le

médecin qui sera tenu pour responsable d'une prescription trop importante. Les responsabilités

sont donc vouées à être toujours inégalement partagées en fonction des professions et des

positions hiérarchiques de chacun au sein des équipes : selon ces participants, la

responsabilité du prescripteur sera toujours plus grande que celle du professionnel, non

prescripteur, accompagnant l'usager.

Divergence : Selon certains participants, un travail en équipe devrait permettre au

médecin-prescripteur de partager la responsabilité de la décision à l'égard de l'usager

de soins, décision qui est parfois loin d'être facile à prendre.

D'autres participants, par contre, pensent que le travail en équipe ne résout pas

radicalement les choses : en termes par exemple de dépanne autorisée par l'équipe des

soignants, ce ne sera jamais que le médecin-prescripteur qui en portera pénalement la

responsabilité.

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e) Schéma récapitulatif

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IntervenantIntervenant

tiers

UsagerTraitement

Substitution

Pblm 7: L'incertitude du cadre d'intervention

Pblm 2: Pluralité des produitsde substitution aux opiacés

Pblm 1: Incertitude des objectifs

Pblm 4: Mésusages

Pblm 6: Les points d'incertitude de l'interaction usager / prof.

Pblm 3: Dépendance aux traitements de substitution

Problématiques liées aux

produits de substitution

Problématiques liées au cadre d'intervention

Pblm 5: Relation et partage desavoirs entre usager & prof.

Page 106: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

VIII. HUITIEME PROBLEMATIQUE :

LE TRAVAIL EN RÉSEAU (récit 9)

Si le dialogue et la triangulation sont rendus possibles grâce au travail d'équipe, ils le

sont aussi par d'autres dispositifs, tels que le travail en réseau. Ce travail en réseau a aussi été

étudié dans le cadre des analyses en groupes. Et comme nous allons le voir, il peut aussi

prêter à controverses.

a) Le récit proposé par un pharmacien : « La discontinuité de soins l'a planté »

« Une pharmacie, c'est fait d'anecdotes, et on voit beaucoup de choses. Les points que

j'aurais souhaité peut-être mettre en évidence, c'est difficile de les résumer sur une seule

personne. Mais ici, on va parler de la faiblesse du maillon, ou de la chaîne de soins. Donc,

il y a trois types de populations qui viennent. Ceux qui sont en, ou qui recherchent un

processus thérapeutique, c'est-à-dire qui s'inscrivent dans un processus thérapeutique, et

qui souhaitent à terme décrocher ou se stabiliser. Il y a une partie de la population qui, elle,

est dans une phase de stabilisation, et donc c'est au long cours. Je suis ici depuis 10 ans,

mais ça fait 15 ans qu'ils viennent, et c'est une relation au long cours, c'est-à-dire que

socialement, professionnellement, affectivement, ils sont stabilisés, mais ils continuent à

consommer le produit. Et il y a un lien. Et il y a une troisième population, qui elle, vous

allez comprendre pourquoi je dis ça, qui elle vient chercher du produit, point barre. Et

quand elle se présente la première fois, les autres pharmaciens ne savent pas à qui ils ont à

faire, a priori. Et l'accueil est difficile.

Donc, le brave Albert est venu de manière assez violente. Il pétait un câble dès le premier

jour : relation difficile à installer, qui s'est installée après quelques semaines. Le médecin,

également, a mis beaucoup d'intelligence pour établir une relation de confiance et un

processus. Et, il y a le troisième maillon, qui est les travailleurs sociaux, qui eux

n'accrochaient pas trop. Il a été mis sous méthadone. Il faut savoir que le réveil est difficile,

il se lève généralement vers midi. Le samedi, si on se lève à midi, la pharmacie, elle est

fermée. On peut louper son rendez-vous, mais le médecin n'a pas un service continu, donc il

vient deux jours par semaine, mais si le rendez-vous est... Il est reporté. Il n'a pas son

produit. Il passe le week-end. Le lundi, un combi de police arrive, il est emmené à Jamioulx,

parce que, complètement défoncé, il a démoli 5-6 voitures dans une rue.

La même situation s'est présentée il y a 10 ans, et il ne s'est pas retrouvé à Jamioulx, parce

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Page 107: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

qu'il y avait une interaction beaucoup plus profonde entre moi, le travailleur social, et le

médecin. Et le vendredi soir, j'appelais le médecin, ou le samedi, et le dépannage se faisait

de vive voix. Maintenant, toute cette chaîne est beaucoup plus formalisée, ce qui fait que,

avec toute l'intelligence qu'on peut y mettre, sur une année, on va tomber sur une situation

d'échec à coup sûr. Et donc, il va se planter. Ils se plantent tous, ils se plantent tous : ceux

qui rentrent dans un processus thérapeutique. Le cadre est très formel, le cadre est

réglementaire, et la consigne l'a planté. La formalisation de la relation. La continuité de

soins, ou plutôt la discontinuité de soins. »

b) Les enjeux du récit

Les traitements de substitution aux opiacés sont notamment caractérisés par une

collaboration entre professionnels, en l'occurrence, a minima, entre un prescripteur et un

délivreur.

Si donc la relation entre médecin (généraliste ou psychiatre) et pharmacien est

fondamentale, elle doit souvent prendre en compte d'autres professionnels, avec lesquels

l'usager est éventuellement en interaction régulière : assistant social, éducateur, psychologue,

etc., que ces derniers officient en cabinets privés, ou dans des services spécialisés, comme des

comptoirs d'échange de seringues ou des maisons d'accueil socio-sanitaires, ou des services

généralistes, comme des maisons médicales et des services de santé mentale.

La collaboration entre ces professionnels apparaît alors cruciale dans la bonne gestion

d'un traitement de substitution. Il semble donc nécessaire que « la chaîne de soins » soit

suffisamment forte et bien organisée, pour que les objectifs du traitement soient rencontrés.

c) Les convergences et les divergences

Les participants aux analyses en groupe ayant traité du travail en réseau, s'accordent sur

le fait que ce dernier peut, tout comme le travail en équipe, permettre le dialogue et la

triangulation. Cela n'empêche pas le travail en réseau de poser questions, notamment sur deux

points importants, en l'occurrence le secret professionnel, et le fait que la chaîne de soins

consacrée par le travail en réseau reste très fragile.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 107

Page 108: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Si la problématique du secret professionnel a été évoquée, elle n'a pas, pour autant, été

largement étudiée.

Par contre, la fragilité de la chaîne de soins a fait l'objet de discussions et d'accord au

sein du groupe qui s'est penché sur cette question. Cette fragilité a ainsi été expliquée par

plusieurs facteurs.

D'abord, le mode de vie de la population sous substitution lui-même peut rendre la

chaîne de soins fragile, parce que les horaires, les logiques, et les contraintes sont différents,

entre l'usager tentant de trouver une réponse à ses besoins, et le professionnel devant répondre

à des règles éthiques et/ou institutionnelles.

Ensuite, certains événement nécessitant une prise de position délicate de la part du

professionnel, sont inexorablement liés aux traitements de substitution ; on l'a vu avec les

demandes de dépannage. C'est lors de l'émergence de ces micro-événements, qu'en vérité, la

chaîne de soins pourra être mise à mal. Le récit proposé en est un parfait exemple, puisque le

locuteur raconte l'histoire d'une dépanne empêchée par l'obstruction d'un professionnel tiers,

avec qui il devrait y avoir concertation et collaboration.

Convergence : Le travail en réseau constitue une autre modalité d'organisation des

soins, permettant là aussi le dialogue et la triangulation.

Néanmoins, cette modalité des soins n'est pas aisée, puisqu'à la problématique du

secret professionnel, s'ajoute l'extrême fragilité de la chaîne des soins liés à la

substitution, surtout lorsque certaines demandes délicates peuvent mettre les différents

professionnels en concurrence, voire en opposition.

Centrons-nous d'abord sur les événements délicats, pouvant mettre à mal la chaîne de

soins : les participants à l'analyse en groupe se sont entendus sur des solutions,

conjoncturelles, lorsqu'il y a par exemple demande de dépannage, mais obstruction par un

tiers. Il s'agit donc simplement d'ajustements, ou d'« accommodements raisonnables ».

Un premier ajustement est de faire exception : si normalement, les contacts avec le

médecin prescripteur ne se prennent pas pendant le week-end, les participants s'entendent

pour outrepasser cette règle de manière épisodique, afin de lui demander son accord pour une

dépanne.

Un deuxième ajustement est, tout simplement, de demander à un autre médecin-

prescripteur, de permettre une dépanne, là aussi de manière exceptionnelle.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 108

Page 109: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Ces deux premières solutions paraissent en tout cas légitimes aux yeux des participants

aux analyses, puisqu'entre ne pas respecter le cadre d'intervention, et ne pas dépanner, la

première solution leur semble la moins mauvaise.

Convergence : En cas de besoin de dépanne, et d'impossibilité de contacter le médecin-

prescripteur, les participants aux analyses s'entendent sur le besoin de trouver des

solutions exceptionnelles, comme la possibilité de contacter le médecin même si c'est

durant le week-end, ou le recours à un autre médecin-prescripteur.

Quoi qu'il en soit, en cas de besoin de dépanne, il vaut mieux sortir exceptionnellement

du cadre d'intervention, que ne pas subvenir aux besoins du patient.

Une autre solution, de dernier recours, a été évoquée, en l'occurrence,

l'approvisionnement de la personne sur le marché noir : selon certains participants, en effet, le

marché noir présente l'avantage de pouvoir suppléer aux lacunes du réseau de soins. Cette

vision n'est toutefois pas partagée par d'autres participants, pour lesquels le recours au marché

noir relève de failles, et ne peut constituer une solution pertinente, dans le cadre d'un

traitement.

Divergence : Selon certains participants, le marché noir permet de suppléer aux

lacunes du réseau de soins ; d'autres participants, par contre, pensent que ce recours

au marché noir relève de failles que le réseau de soins se doit de réparer.

De manière plus générale, on cherchera, dans les pages suivantes, une ou plusieurs

solutions structurelles à la fragilité de la chaîne de soins...

Il faut tout d'abord souligner que, d'après les participants aux analyses, cette fragilité de

la chaîne de soins est aussi issue du partage des rôles entre les différents intervenants, et des

éventuelles « zones grises » entre ces derniers.

Ce désaccord peut surgir à tout moment, puisque les missions des différents

professionnels peuvent très souvent se recouvrir : une même mission peut être l'objet de

l'intervention de plusieurs professionnels, générant alors d'éventuels « parasitages ». Ces

désaccords sont d'autant plus fréquents, qu'il faut nous baser sur des notions floues, telles que

« le suivi du traitement » : quel doit être ce suivi, pour un pharmacien ? Doit-il se réduire à la

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 109

Page 110: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

bonne délivrance du médicament ? Doit-il prodiguer des conseils d'usage ? Ou doit-il même

prendre des nouvelles du patient, en tant que professionnel de soins à part entière ? Oui, mais

alors, comment ne pas parasiter le travail du médecin, et/ou du psychologue ?

Il est d'autant plus difficile à travailler en concertation, que certains professionnels se

donnent clairement le droit et le devoir de faire un peu plus que ce qu'on pourrait attendre

d'eux. D'après certains participants, il peut alors y avoir confusions, lorsque par exemple le

suivi du pharmacien se rapproche d'un suivi psychosocial.

D'après les participants, ces « zones grises » soulignent déjà bien les difficultés

structurelles du travail en réseau : le professionnel qui se sentirait bafoué dans ses missions,

aura forcément des difficultés à prendre part à la concertation.

Convergence : Le partage des rôles entre les différents professionnels apparaît comme

constituant la difficulté cruciale du travail en réseau. Cette difficulté repose notamment

sur les « zones grises » existant entre les différents professionnels et leurs missions

respectives, se chevauchant occasionnellement, et se parasitant éventuellement.

Le contrat d'intervention pourrait constituer une solution structurelle à cette difficulté du

partage des rôles ; les participants aux analyses en ont discuté la plus-value.

Le principe du contrat est d'utiliser un outil permettant de formaliser 1) les échanges

d'informations, et 2) les relations entre médecin, pharmacien, et usager de produits de

substitution. D'après certains participants, c'est par cet outil qu'il est possible d'éviter les

dépassements du cadre d'intervention, tout en permettant une plus grande responsabilisation

de l'usager de soins, cette responsabilisation constituant elle-même un garde-fou limitant les

dépassements du cadre d'intervention.

Néanmoins, des participants aux analyses soulignent des inconvénients au contrat

d'intervention, puisqu'en empêchant les dépassements de cadre, il élimine en même temps

toute éventuelle flexibilité. Dans ce sens, des relations moins formalisées permettent des

réponses plus adaptées aux besoins fluctuants des patients, besoins d'autant plus fluctuants

lorsque l'objectif du traitement de substitution est de l'ordre de la réduction des risques ou de

la maintenance.

Certains participants dénoncent donc le contrat d'intervention, servant davantage

l'optimisation du système institutionnel, plutôt que l'optimisation du service au patient.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 110

Page 111: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Divergence : Si, a priori, le contrat d'intervention peut constituer une solution

structurelle au difficile partage des rôles entre les professionnels intégrés dans la chaîne

de soins, dans la réalité, cette idée est controversée.

En effet, les partisans du contrat d'intervention arguent du fait que ce dernier permet

la formalisation de l'échange d'informations, des collaborations entre professionnels, et

de la responsabilisation de l'usager de soins, limitant alors les dépassements du cadre

d'intervention.

A l'inverse, d'autres participants soulignent que cette formalisation a le tort

d'éradiquer toute plasticité du traitement, alors que les besoins de certains patients

sont complètement fluctuants. Par le contrat d'intervention, disent-ils, on pense

davantage à l'optimisation du système institutionnel, qu'à l'optimisation du service au

patient.

Et à vrai dire, lorsqu'on se penche sur le dialogue et la triangulation, les participants

remarquent que ce n'est pas le contrat d'intervention qui pourrait les développer. Or, comme

nous l'avons vu, le dialogue et la triangulation semblent à la base de traitements de

substitution pilotés plus aisément, grâce à des collaborations professionnelles plus équilibrées.

Si le contrat ne développe pas le dialogue et la triangulation, il peut même avoir l'effet

inverse, et rendre les concertations plus complexes, en suscitant par exemple des blocages.

Ainsi donc, le besoin impérieux de concertation entre professionnels, et avec l'usager de

produits de substitution, doit encore être alimenté par de multiples pistes de réflexion :

« Qu'est-ce qui fait que ce colloque singulier [entre médecin et pharmacien] n'existe plus ? Je

trouve que ce serait très important que les intervenants se connaissent, se parlent et puissent

avoir vraiment une relation personnelle. Ce serait vraiment dans l'intérêt de l'usager. Que les

différentes personnes qui s'occupent autour d'un usager puissent se parler... »

Convergence : Les participants aux analyses en groupe s'entendent d'ailleurs pour dire

que le contrat d'intervention, s'il permet de clarifier les échanges d'informations et le

partage des rôles, n'entraîne pas forcément plus de dialogue et de triangulation. Au

contraire, même, le contrat d'intervention peut en fait oeuvrer à des collaborations

d'autant plus difficiles entre professionnels.

Des pistes sont à explorer, pour permettre les concertations, en allant plus loin que le

contrat d'intervention.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 111

Page 112: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Une solution structurelle au difficile partage des rôles entre les différents intervenants,

se trouve directement dans les mains de l'usager de soins, du moins s'il est responsabilisé en

ce sens. Les participants aux analyses se sont aussi entendus là-dessus : l'usager de soins

devrait lui-même pouvoir prendre ce qu'il peut trouver chez l'un ou l'autre, en élaborant alors

un projet de soins cohérent, fidèle à ses besoins et à ce que peut donner chaque professionnel :

« Le médecin a sa position de médecin, le pharmacien est à sa place de pharmacien, le

psychologue a son cadre de psychologue ou de thérapeute... A la fois, il faut une cohérence,

pour que le patient ne soit pas tiraillé d'un côté, puis de l'autre. Mais à la fois, j'insiste sur la

responsabilité de l'usager, d'un moment donné pouvoir faire la part des choses de ce qu'il

entend chez l'un et chez l'autre, et lui, de se situer. D'avoir sa propre élaboration, son propre

choix de vie. »

Convergence : Une solution structurelle au difficile partage des tâches entre les

différents professionnels, réside directement dans la responsabilisation de l'usager de

soins, apte alors à prendre ce qui est disponible chez chaque professionnel avec qui il

est en contact, dans un projet de soins cohérent et qui lui est pertinent.

Il faut malheureusement nuancer cette intention, et ce même si elle fait l'objet d'une

large convergence. En effet, dans une autre analyse en groupe, la responsabilisation de

l'usager de soins a fait l'objet d'une divergence quant au partage des responsabilités.

Cette question avait été abordée concrètement autour de la question du dosage initial,

lorsque le patient rencontre pour la première fois son prescripteur. D'après certains

participants, la responsabilité incombait uniquement au soigné : c'est lui qui sait quel dosage

lui convient. « [Concernant] la question du dosage, oui, il s’agit de faire confiance [à

l'usager de substitutifs], car c’est la personne qui sait quel est le dosage. On ne doit pas

choisir à la place de l’usager car il sait quel dosage lui convient. »

D'autres participants, à l'opposé, soulignaient que d'un point de vue juridique, seul le

médecin prescripteur est responsable. Cette responsabilisation pénale du prescripteur appelle

toutefois aussi à une responsabilisation accrue de l'usager : « En tant que médecin, on peut se

retrouver au pénal pour une situation d’overdose suite à une prescription de méthadone. Et

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Page 113: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

ça, j’essaie de l’expliquer au patient. J’essaie de le responsabiliser par rapport à ça. J’espère

qu’il respecte ce que je raconte. »

D'autres, enfin, percevaient un partage des responsabilités entre soignants et soignés :

« Par rapport aux médecins généralistes, à une première consultation, [prescrire en se

basant uniquement] sur les dires du patient, sans autre réflexion, je trouve ça dangereux. La

réponse, c’est d’évaluer avec le patient et savoir où il en est. »

La question du partage des responsabilités entre soignant et soigné est donc complexe.

Pour la résoudre, dans la pratique de tous les jours, c'est encore la confiance et le dialogue qui

permettront, selon les participants, de résoudre les dilemmes.

Convergence : La question du partage des responsabilités entre soignants et soignés est

complexe. La seule solution structurelle envisagée par les participants est, à nouveau, le

dialogue et la triangulation, afin de lever les éventuels doutes et ignorances.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 113

Page 114: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

d) Schéma récapitulatif

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 114

IntervenantIntervenant

tiers

UsagerTraitement

Substitution

Pblm 7: L'incertitude du cadre d'intervention

Pblm 2: Pluralité des produitsde substitution aux opiacés

Pblm 1: Incertitude des objectifs

Pblm 4: Mésusages

Pblm 6: Les points d'incertitude de l'interaction usager / prof.

Pblm 8: Les points d'incertitude du travail en réseau

Pblm 3: Dépendance aux traitements de substitution

Problématiques liées aux

produits de substitution

Problématiques liées au cadre d'intervention

Pblm 5: Relation et partage desavoirs entre usager & prof.

Page 115: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

PRE-CONCLUSIONS

Un postulat de cette recherche était que les différences locales pouvaient entraîner

l'émergence de problématiques distinctes. Entre régions, il était possible que les perceptions

et les pratiques soient différentes.

Elles le sont, mais seulement à la marge...

Le critère local le plus déterminant est avant tout celui des moyens alloués à la région en

question. Ainsi, les traitements de substitution s'opèrent avant tout en services généralistes,

en province du Brabant wallon, alors que les quatre villes investiguées auparavant sont

largement fournies en services spécialisés. On l'a vu : cela nous a obligés à travailler

différemment en Brabant wallon.

Les problématiques étudiées étaient-elles largement différentes, selon les contextes locaux ?

Pas forcément... Il a pu apparaître des déclinaisons différentes : des débats sont plus ou

moins avancés en certains coins de la Wallonie, alors qu'ils sont encore à mener dans

d'autres... L'objectif des traitements de substitution a été largement étudié à Arlon, alors que

Charleroi et Liège, où les processus de concertation sont importants, se sont centrées sur le

travail en équipe ou en réseau.

Mais de manière générale, les problématiques interpellant les professionnels et les usagers

n'étaient pas fortement liées aux contextes locaux. Ainsi, les analyses carolorégiennes et

liégeoises n'ont pas pu faire l'impasse de la question des objectifs des traitements ; ces

derniers ont simplement été davantage étudiés à Arlon.

Le déterminant majeur du local n'a donc été vérifié qu'à la marge.

Ainsi, partout, les traitements de substitution se révèlent avant tout constituer un objet

incertain : les controverses émergent, et ce tout autant à propos

– des objectifs recherchés par ces traitements ;

– des produits de substitution ;

– de leur usage et des mésusages ;

– et de la dépendance qu'ils peuvent induire.

Cette liste de questions n'est assurément pas exhaustive. Ce n'est d'ailleurs pas la prétention

de cette recherche-action, de lister tous les questionnements que posent les traitements de

substitution, ainsi que toutes les réponses qu'ils apportent.

L'essentiel est ailleurs : ce que ces questions nous enseignent, c'est qu'indubitablement, les

traitements de substitution sont, partiellement en tout cas, l'objet de profondes incertitudes.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 115

Page 116: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Cet enseignement est essentiel, puisque ces incertitudes auront forcément d'importantes

conséquences sur, notamment, les relations entre usagers de soins et professionnels psycho-

médico-sociaux, relations qui s'avéreront tout aussi incertaines, et poseront des questions

telles que :

– Quelle est l'interaction et le partage des savoirs entre professionnels et usagers ?

– Comment interagir avec l'usager de substitutifs ?

– Quel cadre d'intervention instituer, et pourquoi ?

– Comment collaborer, entre les multiples acteurs concernés par les traitements de

substitution ?

De cette liste de questions et d'incertitudes, on peut croire qu'il y en a qui ne peuvent pas

être entièrement levées, puisqu'aucune autorité légale et/ou morale ne pourra clairement

définir ce qui doit être et ce qui ne doit pas être, en termes de traitements de substitution. En

termes juridiques, les différents lois et arrêtés n'ont jusqu'à présent apporté que de bien

maigres clarifications, souvent éloignées des pratiques de terrain, et même dépassées par

ces dernières : c'est bel et bien hors de toute réglementation légale, que sont nés les

traitements de substitution en Belgique.

A certains égards, nous pouvons même penser que certaines incertitudes ne doivent pas être

levées. Car derrière elles, existent des patients aux profils différents, aux trajectoires

divergentes, et aux compliances aux traitements distinctes. Imposer des règles et des

normes, nous disent la plus grande partie des participants à ces analyses, c'est se

désolidariser de l'humain, de ses ambivalences, et de ses singularités. Imposer un cadre

d'intervention univoque pour tous, c'est nier les différences propres à chacun.

Les cadres d'intervention sont alors fluctuants, hétérogènes, divergents. Ils sont à la libre

appréciation des professionnels, assez souvent en concertation avec l'usager, suivant la

réponse amenée à la question du partage des savoirs.

Ce sont ces professionnels, relativement avec l'usager, qui détermineront les objectifs du

traitement, qui identifieront le produit de substitution le plus adéquat, et qui définiront le

cadre du traitement.

Le plus souvent, ils le feront en vertu de l'éthique et de la déontologie propres à leurs

professions. Actuellement, c'est avant tout dans un ensemble de règles morales, parfois

écrites, parfois tacites, que se trouveront les justifications fondamentales de leurs choix.

Apparaît alors une difficulté, en ce que le professionnel sera appelé à prendre des décisions,

en âme et conscience ; c'est-à-dire, seul. En regard des informations dont le professionnel

dispose, en regard de ce que lui dit l'usager, en regard de ce que d'autres professionnels

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 116

Page 117: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

actifs autour de cet usager lui ont peut-être confié (outrepassant éventuellement le secret

professionnel), le professionnel prendra une décision,... seul.

Les participants aux analyses en groupe lancent alors un appel, non pas à une transmission

élargie d'informations entre professionnels et à propos des patients, mais à une véritable

concertation, et à un réel travail en réseau, autour de ces derniers. Sachant que les

traitements de substitution impliquent de multiples acteurs, ceux-ci, disent les participants

aux analyses en groupe, se doivent de travailler ensemble, de collaborer, de se concerter.

Une autre difficulté apparaît alors, puisque éthique et déontologie ne sont pas uniformes et

homogènes entre tous. Les modes de fonctionnement institutionnels ne le sont pas plus. La

collaboration peut être complexe. Surpasser l'isolement des professionnels impliqués dans

les traitements de substitution, impose des concertations beaucoup plus profondes, du

travail en réseau beaucoup plus énergique, du dialogue, de la triangulation,...

In fine, c'est de cela dont il sera question, dans les perspectives pratiques...

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 117

Page 118: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

PERSPECTIVES PRATIQUES ET RECOMMANDATIONS

Accepter l'impossibilité de cadres univoques, pour les pratiques de substitution

La première perspective pratique que nous présenterons, traverse, entre les lignes, les analyses

en groupe menées à Liège, Charleroi, Arlon, et Tournai, ainsi qu'en Brabant wallon. Car à la

réalité des controverses autour des pratiques de substitution, correspond une vérité, en ce que

justement les cadres univoques sont difficilement applicables.

Cette recherche-intervention s'est ainsi longuement penchée sur les incertitudes propres à la

substitution aux opiacés, puisqu'elles ont été amenées, constamment, et par tous les

participants aux analyses.

Et face à ces incertitudes, on pourrait penser qu'il existe deux solutions : soit tenter de les

lever, en clarifiant, voire en bétonnant les cadres, notamment légaux, éthiques et

déontologiques ; soit, prendre en compte l'incertitude, et en faire la base des traitements de

substitution présents et à venir.

A aucun moment, durant la définition des perspectives pratiques, les participants aux analyses

en groupe n'ont réclamé des cadres d'intervention stricts et définis par des textes légaux.

Puisque l'usage de la substitution est singulier à chaque patient, voire à chaque période de la

vie de ce patient, un cadre univoque et inflexible n'a jamais rameuté la moindre préférence.

A l'inverse, les participants aux analyses ont souligné qu'un cadre plus restrictif, rendrait

l'accès aux soins plus difficile pour certains usagers d'opiacés. Il s'agissait là d'un des

obstacles à l'accès aux soins, en plus de, notamment, le coût ou le stigmate. Les participants

aux analyses ont justement demandé à ce que des efforts soient constamment réalisés, afin

que l'accès aux soins soit toujours plus aisé, à l'instar de ce qui fut réalisé lors de la

constitution des Maisons d'Accueil Socio-Sanitaires.

Soutenir légalement la flexibilité des cadres d'intervention

Le problème est que la tentation du cadre univoque et inflexible est constamment présente, et

il s'en faut de peu, pour que certaines flexibilités soient remises en question. Certains

supporteurs d'un cadre univoque utilisent par exemple l'argument du marché noir, dont

l'existence est bien réelle, pour appeler à une prescription et une délivrance nettement plus

contrôlées ; un autre argument est par exemple celui de la mort accidentelle d'enfants, suite à

l'ingestion d'un comprimé de méthadone. Ces événements dramatiques rendent alors le débat

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 118

Page 119: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

émotionnel. C'est fréquemment à ces occasions qu'un appel est lancé à des cadres normatifs

plus stricts.

C'est alors oublier que la population des usagers de produits de substitution est infiniment

diversifiée : on ne peut exiger pour tous, ce qui peut éventuellement être pertinent pour

certains. Tous les participants aux analyses en groupe ont bel et bien affirmé que les pratiques

de revente, de mésusage, ou encore de surconsommation existent, mais ne concernent pas la

population des usagers de substitution, dans son entièreté.

Si ce sont bien des pratiques telles que le mésusage qui posent questions, et si ce sont sur ces

problématiques que nous nous sommes penchés, les débats n'en ont pas moins souligné la

prépondérance de comportements responsables chez les usagers de substitution. D'ailleurs, les

traitements de substitution eux-mêmes, dans leur principe, ne posent aucunement controverse.

Au regard des débats qui se sont déroulés au sein de ces analyses en groupe, on peut même

souligner la confirmation d'un attachement important à l'égard de ces modalités de soins : nul

ne voudrait les voir disparaître du paysage socio-sanitaire.

La question à se poser est alors de savoir s'il est opportun, ou non, de légiférer pour protéger

la flexibilité des traitements de substitution : le cadre légal peut certainement prôner des

interventions univoques, mais il peut aussi bétonner la flexibilité des soins, en soutenant le

professionnel dans son jugement, son éthique et sa déontologie.

Le cadre légal détermine largement les pratiques et les représentations des traitements de

substitution. C'est ainsi qu'en Suisse, on peut remarquer des différences notables de canton à

canton, ces différences s'expliquant certainement par les contextes locaux, mais aussi par la

diversité des politiques menées entre chaque canton. La prescription d'héroïne sous contrôle

médical n'est par exemple mise en place que dans certains cantons, et non pas à l'échelle

fédérale, niveau de pouvoir traitant de matières subsidiaires en termes de santé.

Si donc, le cadre légal revêt une importance fondamentale dans les pratiques et

représentations des traitements de substitution, il peut alors être opportun de s'y pencher

quelques instants. Soyons toutefois clairs : si la perspective suivante respecte l'esprit des

recommandations exprimées par les participants aux analyses en groupe, ces derniers ne se

sont pas formellement positionnés à ce sujet.

L'esprit, donc, est qu'il ne faudrait pas que les dérives, bien réelles, dissimulent complètement

les résultats positifs des traitements de substitution, en termes notamment de réduction des

risques et de stabilisation de nombreux patients. Il semble donc opportun de définir un cadre

légal :

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 119

Page 120: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

– faisant le constat de dérives bel et bien existantes, mais aussi de résultats positifs des

traitements de substitution, favorisant pleinement le bien-être d'une bonne partie des

usagers ;

– se basant sur l'éthique et la déontologie du professionnel, en ce que l'éthique et la

déontologie devraient l'aider à oeuvrer au bien-être de la personne, sans être

instrumentalisé dans les éventuelles dérives propres aux traitements de substitution ;

– définissant, à partir de ces constats, non pas des règles et des limites, mais des

ressources et du support pour les professionnels de soins, afin que ces derniers

puissent agir en faveur du bien-être de la personne, tout en respectant leur éthique et

leur déontologie.

A l'égard de tout cela, force est de reconnaître que la politique de la Région Wallonne s'inscrit

dans cette perspective, soit lorsqu'elle écrit le nouveau décret wallon centré sur les assuétudes,

soit lorsqu'elle défend, dans les Arrêtés fédéraux concernant les traitements de substitution,

une position prenant en compte le parcours de soins de la personne, fait de zigzags,

d' « avancées », et de « reculs ».

Au niveau de l'interaction avec l'usager, la question du contrat d'intervention

Si donc la création d'un cadre univoque est rejetée au niveau législatif, c'est qu'elle l'est aussi

au niveau de l'interaction avec l'usager. Les participants aux analyses en groupe ont souligné

qu'à ce niveau, surtout, il est nécessaire de prendre en compte le parcours de la personne, dans

toute son individualité.

La question qui émerge le plus rapidement, est alors celle du contrat d'intervention.

Apparemment, en effet, on pourrait croire que ce contrat est rejeté, puisqu'il se dirige

justement vers la création de cadres univoques pour les usagers de substitution. Mais la

réponse est en fait plus nuancée que cela...

Les participants aux analyses en groupe ont exprimé l'extrême nécessité de penser les

traitements de substitution de manière flexible et singulière à chaque patient. C'est bel et bien

le Projet du patient, qui constitue la base sur laquelle le traitement de substitution est fondé.

Ce principe n'est pas particulier à la Région Wallonne : on le retrouve en Suisse et aux Pays-

Bas, souvent identifiés comme experts en la matière.

Cela barre-t-il la route aux contrats entre soignants et soignés ? D'après les participants, non :

il est possible de développer des contrats d'intervention, spécifiant des modalités pratiques,

des recommandations, etc., mais structurant aussi une possible flexibilité. Ainsi, certains

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 120

Page 121: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

contrats, d'ores et déjà existants, institutionnalisent la possibilité de recourir à un nombre

déterminé de « dépannes », sur une certaine période. Dans ce cas, le contrat vise alors avant

tout à donner des points de repères et à clarifier le cadre d'intervention, en favorisant même la

responsabilisation de la personne.

C'est ce raisonnement qu'a suivi une institution comme le Programme héroïne PEPS, à

Genève, qui fait bel et bien signer un contrat d'intervention à tout nouveau patient, mais reste

attentif à ce que ce contrat reste individualisé à tout traitement. En clair, il s'agit d'exiger la

sécurité et le respect au sein de l'institution, ainsi que de clarifier le cadre institutionnel et les

exigences du Programme héroïne : notamment l'obligation induite par le traitement, que la

personne vienne au centre trois fois par jour, à des horaires bien définis.

Néanmoins, il s'agit aussi de prendre en compte l'individualité du patient, afin que le cadre et

le contrat d'intervention n'entrent pas en concurrence avec la réflexion clinique et

l'individualisation des soins. D'après le responsable d'unité au Programme héroïne PEPS, c'est

justement le travail thérapeutique, mieux que les interdictions et les protocoles, qui permettent

la réduction de la violence.

En comparaison, la Fondation privée Phénix, installée à Genève, fait signer un contrat

thérapeutique entre le patient et l'institution, détaillant les engagements des deux parties, ainsi

que les inconvénients propres aux médicaments de substitution. Du point de vue du cadre

institutionnel, et des exigences liées au traitement, il y est par exemple notifié le caractère

hebdomadaire des prescriptions, et la fréquence quotidienne des délivrances. Le patient prend

aussi connaissance, entre autres choses, des prises d'urine effectuées deux fois par semaine, en

début de traitement.

Néanmoins, ce contrat standardisé et identique à chaque patient, s'accompagne d'un document

détaillant le « Projet Individuel de Soins ». Ce projet est découpé suivant six grandes

thématiques, en l'occurrence l'addiction, la santé physique et psychique, l'insertion sociale et

les relations avec les autres, la famille, le travail et les occupations, et l'administratif. Pour

chaque domaine, le projet individuel de soins précise les objectifs, les moyens, et les délais

impartis.

Ce projet individuel peut être réaménagé à tout moment, lors d'un rendez-vous de la personne

avec son référent au sein de Phénix. C'est alors le patient qui prépare la réunion de

redéfinition de ses objectifs, cette redéfinition étant étudiée avec les professionnels actifs

autour de lui. Selon la Fondation Phénix, cette procédure permet la responsabilisation du

patient, et la pleine prise en compte de ses attentes.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 121

Page 122: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Ainsi donc, il semble, en Région Wallonne comme en Suisse, que le contrat d'intervention

n'induise pas forcément une annihilation de l'individualité de la personne. L'essentiel est

simplement, semble-t-il, que les professionnels ne se laissent pas déborder par le caractère

éventuellement contraignant et standardisé d'un contrat d'intervention, et qu'à cet effet, les

modalités de son usage soient régulièrement remises à plat.

A titre d'exemples, les contrats d'intervention du Programme PEPS et de la Fondation Phénix,

sont publiés en annexe.

La référence nécessaire au débat sur les normes de qualité

Sans que les participants aux analyses en groupe n'en aient fait mention, il paraît nécessaire de

nous attarder sur les normes de qualité. Les contrats d'intervention utilisés en Suisse ont en

effet été développés dans le contexte de la mise sur pied du système QuaThéDA (Qualité

Thérapie Drogues Alcool), promu par l'Office Fédéral suisse de Santé Public. Qui plus est, les

débats à propos de ces normes de qualité flirtent très souvent avec la question du caractère

univoque ou non des soins. Il semble donc nécessaire d'en écrire quelques mots, même si,

encore une fois, les analyses en groupe ne se sont pas penchées sur cette question spécifique.

Les contrats d'intervention précités ont donc été développés dans le contexte QuaThéDA.

Comme son nom l'indique, il s'agit d'une norme qualité, à laquelle peuvent accéder les

institutions spécialisées dans le domaine des assuétudes. Le but recherché est double :

« permettre aux partenaires sociaux de parler un langage commun lorsqu'ils parlent de qualité,

et créer les conditions cadre pour le développement, à terme, de la qualité des résultats » (Le

référentiel modulaire QuaThéDA, 2006, p 4).

Afin de prendre en compte la pluralité de l'offre de soins en assuétudes, ce référentiel

modulaire QuaThéDA est divisé en plusieurs parties, en l'occurrence :

– un module de base, transversal au sein de l'offre de soins ;

– un module spécifique à la thérapie résidentielle et à la réinsertion ;

– un module spécifique au conseil, à l'accompagnement, et à la thérapie ambulatoires ;

– un module spécifique à la substitution ;

– un module spécifique à l'aide à la réinsertion socioprofessionnelle ;

– un module spécifique aux logements accompagnés ;

– un module spécifique aux foyers d'urgence ;

– un module spécifique aux centres d'accueil bas seuil ;

– et un module spécifique au travail social hors murs.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 122

Page 123: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Chaque module spécifie des exigences plus ou moins précises, en y accolant des indicateurs et

des standards au regard desquels l'institution en question est évaluée. Si nous nous attachons à

étudier par exemple le module spécifique à la substitution, les exigences qui y sont précisées

relèveront :

– de la transmission d'informations ;

– de la phase exploratoire et de l'admission ;

– de la remise de substances ;

– du traitement ;

– de la documentation ;

– de la sortie ;

– de la sensibilisation et de la formation ;

– du travail en réseau avec des intervenants externes ;

– et des interventions de crise.viii

Plusieurs avis ont pu être glanés auprès de professionnels de soins suisses.

Un point positif, et généralement souligné, est que la démarche QuaThéDA a été l'occasion de

réfléchir, de clarifier, et de formaliser le cadre d'intervention de chaque institution.

Par contre, le pas suivant, en l'occurrence l'évaluation des institutions et le développement de

la philosophie du « Bench Marking », est l'objet de craintes, de la part de certains intervenants

: il est délicat, d'après eux, que les résultats d'évaluations puissent déterminer les montants des

subsides de chacun.

D'autres professionnels soulignent aussi le caractère chronophage de la démarche, pour un

résultat qu'ils tentent à qualifier de maigre, puisqu'ils ne se réfèrent pas à QuaThéDA dans

leur clinique de tous les jours.

Des ressources et du support pour les professionnels de soins : de la formation

Les premières pages de ces perspectives pratiques sont donc largement axées sur le support

des professionnels de soins, dans leurs pratiques de substitution. Cette recommandation a été

fortement soutenue par les participants aux analyses en groupe.

Une des premières modalités de ce support, consiste en la formation des professionnels.

Les participants aux analyses en groupes ont tout d'abord regretté que les formations des

médecins généralistes ignorent presque complètement les problématiques spécifiques à la

toxicomanie. Cette lacune est à résoudre au plus vite selon eux.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 123

Page 124: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

A cet égard, il faut noter que l'Arrêté Royal de 2006 instituait des formations pour tout

médecin prescrivant un traitement de substitution à deux patients ou plus. Néanmoins, cet

arrêté n'est pas encore appliqué, et le contenu de ces formations reste à ce jour indéfini.

D'après les participants aux analyses en groupe, tout nouvel Arrêté Royal devrait soutenir

l'organisation de formations.

Il ne s'agit toutefois pas de développer une spécialisation pour des médecins actifs en

toxicomanie, à l'instar de l'addictologie développée en France. Plutôt qu'une spécialisation, il

s'agit de développer une formation de base :

– accessible dans les universités et les écoles supérieures,

– s'adressant autant aux médecins qu'aux infirmiers, psychologues, etc.,

– et généraliste : abordant, non pas seulement le produit de substitution, mais aussi les

modalités du travail social.

Qu'en est-il de ces formations, à l'étranger ? Dans le cadre de cette recherche, des visites ont

pu être réalisées en Suisse et aux Pays-bas...

En Suisse romande, les fondements d'un cursus universitaire centré sur les addictions semble

être constitués, et le site internet form@tox permet une formation à distance dans le domaine

des dépendances, pour les médecins pré- et post-gradués des universités de Lausanne, Genève

et Zürich. Néanmoins, ce programme semble actuellement buter sur la difficulté d'attirer

suffisamment de médecins. Une solution passe, d'après certains, par le développement de

formations continues et de stages pratiques, accessibles pour diverses disciplines telles que la

médecine, la psychologie, etc.

Divers organismes soutiennent déjà des processus de formation continue, et ce sous

différentes formes. Tout d'abord, la Fédération romande des organismes de formation dans le

domaine des dépendances (Fordd : www.fordd.ch) propose l'obtention d'un Certificate of

advances studies interprofessionnel en addictions. Ensuite, des organismes tels que le

Groupement Romand des Etudes de l'Addiction (GREA : www.grea.ch), proposent des

formations continues en addictions. Enfin, des réseaux régionaux d'acteurs concernés par la

prise en charge médicale des traitements de substitution, comme le COROMA (Collège

Romand de Médecine des Addictions : www.romandieaddiction.ch), ont notamment pour

vocation de stimuler la formation continue des professionnels.

En comparaison, le projet amstellodamois Euromethwork (www.euromethwork.org) répond

d'une autre philosophie : s'il peut fournir des formations pour les médecins prescripteurs de

traitements de substitution, il vise aussi à ce que ces mêmes médecins puissent eux-mêmes

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 124

Page 125: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

devenir formateurs pour leurs confrères. Cette philosophie a fait le succès du projet, approché

de praticiens issus de tout le continent.

Euromethwork ne développe plus son projet de formation, depuis que l'UE a modifié sa

politique de subsides. Les outils développés par le passé restent cependant bel et bien

utilisables par tout un chacun. On trouvera ainsi, sur le site d'Euromethwork, un manuel de

formation, des présentations powerpoint, un manuel à l'intention des décideurs, et des

guidelines et des examens critiques concernant la méthadone et la buprénorphine.

Certains de ces projets suisses et néerlandais semblent donc se distinguer assez largement des

attentes exprimées par les participants, à savoir, pour rappel : une formation généraliste,

s'adressant à diverses disciplines, et accessible à l'université et en école supérieure. En

comparaison, les projets dont il est fait mention plus haut, semblent souvent se centrer sur l'art

médical, en s'adressant à des médecins, et ce hors du contexte universitaire. On retiendra

pourtant que le Certificat de la Fédération romande des organismes de formation dans le

domaine de la dépendance (Fordd) est bel et bien interprofessionnel, et universitaire.

Qu'en est-il alors des développements actuels en Région Wallonne ? Un projet de formation

certifiante dans un cadre universitaire, est justement en train de voir le jour. L'objectif est de

constituer une formation théorique et pratique de base pour intervenir en toxicomanie, tant sur

le plan préventif que curatif, dans le contexte de l'évolution du secteur. Cette formation

s'adressera aussi bien à l'étudiant diplômé (voire en cursus), qu'au professionnel désireux de

suivre une formation continuée. A priori, ce projet paraît donc répondre aux attentes

exprimées par les participants.

Ce projet de formation s'ajoute à un dispositif déjà existant depuis 1992, animé par le Réseau

Alto (voir sur le site ss mg.be). Alto propose en effet dans de nombreuses villes de Wallonie,

des intervisions et formations à l'accompagnement de patients avec assuétudes. Des cycles de

formation dite « de base » sont également organisés. Ils développent les éléments nécessaires

à l'accompagnement de patients dépendants, en cabinet de médecine générale. Les sujets

traités recouvrent aussi bien les problèmes de santé liés à l'usage de drogues, que la première

consultation avec un patient en demande d'un traitement substitutif, l'accompagnement en

assuétudes, les interventions en réseau, etc.

Des ressources et du support pour les professionnels de soins : de l'accompagnement

Si la formation constitue une première modalité de ressource et de support, dont tout

professionnel concerné par la substitution devrait pouvoir jouir, elle n'est forcément pas la

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 125

Page 126: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

seule modalité à prendre en compte. Une seconde modalité a en effet été proposée par les

participants aux analyses en groupe, à savoir l'accompagnement pour les professionnels et

institutions en contact avec des personnes sous substitutifs, mais dépourvus d'outils

permettant de les aider dans leurs interactions avec ces personnes.

Les maisons d'accueil constituent un exemple-type d'institutions, appelées à rencontrer des

usagers de substitutifs, et même à les côtoyer pendant des périodes plus ou moins longues,

mais apparemment nécessiteuses d'accompagnement de la part de professionnels plus

expérimentés ; c'est en tout cas dans ce sens qu'allaient les témoignages des professionnels

des maisons d'accueil, ayant participé à la démarche.

Plus généralement, les participants aux analyses en groupe ayant proposé cette perspective

pratique, ont soutenu que cet accompagnement devrait être accessible à tout professionnel et

institution du secteur socio-sanitaire.

Concrètement, certains participants ont proposé de créer des centres de référence, tels que

ceux existant pour les soins palliatifs, et qui visent à soutenir le soignant, par une expertise, un

regard de tiers, une connaissance des réseaux locaux,... L'objectif ne serait donc pas de

remplacer le soignant, mais bien de l'accompagner et de le soutenir.

Le contenu de cet accompagnement n'a pas été défini largement. Tout au plus peut-on nous

baser sur la perception d'un participant, selon lequel les services spécialisés ont la

responsabilité d'être disponibles pour le professionnel isolé, et « bloqué » dans sa relation de

soins avec le patient. D'après ce participant, le service spécialisé peut alors prendre le rôle de

tiers, visant à trianguler et à repenser la relation entre le professionnel et le patient. Dans ces

cas-là, le service spécialisé répond déjà à une mission de centre de référence.

En l'absence d'une définition plus précise, il eût été intéressant de visiter des dispositifs

existant à l'étranger, et répondant au même objectif. En vérité, nous n'en avons pas trouvé. Si

l'accompagnement des professionnels prescripteurs existe, c'est en effet souvent sous d'autres

formes.

Ainsi, l'Office Fédéral suisse de Santé Publique mène un intense travail d'accompagnement

des professionnels, mais par la définition des conditions-cadres de pratiques de traitement,

l'impulsion de bonnes pratiques, et l'alimentation des professionnels en informations diverses.

Concrètement, l'Office, en partenariat avec la Société Suisse de Médecine de l'Addiction et

l'Association des Médecins Cantonaux de Suisse, a par exemple émis des recommandations

concernant les traitements de substitution aux opiacés (www.bag.admin.ch/substitution).

Il s'agit donc là, d'une méthode d'accompagnement basée sur le partage d'informations et la

définition de guide-lines. En cela, cette méthode se distingue largement d'un centre de

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 126

Page 127: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

référence tel qu'attendu par les participants aux analyses en groupe. Il est néanmoins probable

que l'une et l'autre méthodes d'accompagnement, ne soient pas antithétiques, mais

complémentaires.

Si nous n'avons pas trouvé de centre de référence à l'étranger, c'est plus généralement parce

que l'accompagnement des professionnels en assuétudes est souvent organisé sous forme de

concertations, d'intervisions et de supervisions. C'est l'objet du point suivant, qui ne devra

toutefois pas occulter la perspective, soit de formalisation de centres de référence, soit de

formalisation de la mission de références, pour les services spécialisés déjà existants.

Des ressources et du support pour les professionnels de soins : de la concertation

Cette mission d'accompagnement pour les services spécialisés, est déjà reconnue par la

Région Wallonne, sous la forme de la concertation. Le nouveau décret assuétudes confirme

ainsi l'importance du cadre de la concertation pluridisciplinaire, pour les missions des services

d'aide et de soins spécialisés en assuétudes, missions qui se résument à l'accompagnement

psychosocial, la prise en charge psychothérapeutique et médicale, les soins (substitution,

sevrage, prises en charge résidentielle ou hospitalière), et la réduction des risques.

Accessoirement et à la demande, le service spécialisé a la mission d'organiser des

supervisions et intervisions pour les professionnels issus d'institutions du réseau.

Comparativement, l'Office Fédéral suisse de Santé Publique a largement promu les processus

d'intervision. Concrètement, le Collège Romand des Addictions cherche par exemple à faire le

lien entre médecins de cabinets privés et d'institutions. Des réseaux de praticiens locaux sont

aussi soutenus par la politique suisse en matière de drogues.

La plus-value de l'intervision a été approuvée par les participants aux analyses en groupe.

Néanmoins, lorsque ces derniers se sont positionnés sur la question de la concertation, ils ont

été plus loin que la rencontre d'autres professionnels de soins, et l'intervision avec eux : ils ont

en effet étudié les perspectives pratiques liées directement à la concertation clinique, autour

du patient.

D'après les participants, il ne peut y avoir de cadre d'intervention, sans concertation, puisque

dès qu'il y a cadre, il est nécessaire que les différents intervenants le connaissent. On ne peut,

d'après les participants aux analyses, instituer un cadre, sans instituer une collaboration entre

professionnels. Face aux « zones grises » du cadre d'intervention, la concertation pourrait en

effet permettre de :

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 127

Page 128: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

– mieux comprendre les attentes du patient, et mieux faire comprendre le bon usage du

substitutif ;

– clarifier le cadre d'intervention ;

– trianguler avec le patient et le soignant ;

– responsabiliser l'usager de substitutifs ;

– améliorer la confiance entre lui et les professionnels, et entre professionnels.

Le travail en équipe et/ou en réseaux constitue alors la première concrétisation de ce

développement de la concertation : les participants l'ont en effet demandé, y voyant aussi

l'occasion de favoriser l'échange d'informations, et coordonner les actions entre les différents

professionnels.

L'échange d'informations autour du patient permettrait, selon les participants, de prendre en

compte la globalité des problématiques auxquelles il est confronté, et interagissant

éventuellement négativement : une trithérapie, provoquant des vomissements et interagissant

alors avec le traitement de substitution, est souvent pris en exemple. Dès lors que l'usager se

procure ces traitements antagoniques auprès de médecins et pharmaciens différents, les effets

de l'un annuleront les effets de l'autre. Un échange d'informations entre les différents

intervenants concernés est alors perçu, par certains, comme une intéressante plus-value.

Cette perspective pose toutefois des questions pratiques et déontologiques, que n'ont pas

éludées les participants : tout d'abord, le facteur temps est à prendre en compte. Il n'est pas

aisé, pour certains professionnels comme des médecins généralistes, de prendre le temps de

faire les passerelles.

Ce facteur temps sera parfois à rapprocher d'un facteur économique, pour des praticiens

indépendants.

Enfin, cet éventuel passage d'informations devra toujours se baser sur l'accord du patient.

D'après certains participants, le patient garde d'ailleurs un droit à vouloir séparer ses recours

aux soins. Si les liens interinstitutionnels sont à construire, il ne s'agit pas de les formaliser au

détriment de la liberté du patient.

Cette liberté se traduit aussi par ce qui est dit, et ce qui est tu, au sein des réunions de

concertation. Par exemple, la Fondation Phénix, qui travaille largement en collaboration avec

le réseau socio-sanitaire genevois, s'attache à la préparation de chaque réunion de

concertation, et ce en partenariat avec le patient : professionnel et patient précisent alors les

sujets pouvant faire l'objet d'un secret professionnel partagé. En comparaison, la clinique de

concertation laisse au patient la responsabilité de définir ce qui est à dire et à ne pas dire, en

posant simplement la question : « que pouvons-nous dire ? ». Elle va néanmoins plus loin, en

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 128

Page 129: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

laissant la possibilité à la personne de définir ce qu’elle voudrait que nous disions, car la

personne peut absolument vouloir que nous parlions de telle ou telle chose de sa vie, à

d’autres personnes ou institutions : « qu’est-ce que vous exigez que nous disions de vous ? »

Du point de vue du dispositif, les « projets thérapeutiques » pourraient constituer un modèle

intéressant, puisque d'après la note politique fédérale de mai 2005, relative à la santé mentale,

ces derniers constituent un outil favorisant la concertation « autour », ou « au sujet du »

patient (les deux terminologies existent). L'objectif recherché est un élargissement et une

meilleure organisation de l'offre des soins de santé mentale, cette offre devant tenir compte

des besoins du patient, s'adresser à des groupes-cibles spécifiques, et s'organiser en réseaux,

pour des patients présentant des troubles chroniques et complexes.

Concrètement, cette concertation autour du patient réunit les différents intervenants concernés

par la situation dudit patient, avec le patient et éventuellement ses proches, et ce à intervalles

réguliers. Il s'agit par exemple que le médecin prescripteur, le psychologue du service de santé

mentale, et l'assistant social du CPAS sachent ce que chacun peut faire au bénéfice de la

personne.

Tout cela est rendu possible par l'éventuelle rétribution des professionnels présents à la

concertation, ce qui facilite la présence de professionnels indépendants. En gardant un oeil

vers l'étranger, on voit que c'est cette rétribution qui permet aux professionnels du canton de

Genève, d'être pleinement actifs dans les réunions de réseaux. Ces derniers, en effet, peuvent

bénéficier d'honoraires en bonne et due forme.

Si les projets thérapeutiques présentent donc certaines avancées, du point de vue de leurs

principes de base, éventuellement transposables à certains traitements de substitution, il faut

néanmoins souligner que leur organisation pratique est sujette à de très nombreuses critiques,

notamment par une trop forte formalisation. Le modèle semble donc sujet à une nécessaire

adaptation.

Mais le réseau et la concertation sont aussi, selon les dires de participants aux analyses, le

résultat d'initiatives personnelles : le contact entre le médecin prescripteur et le pharmacien

délivreur peut clairement prendre place en-dehors de tout dispositif formel ! Et, au quotidien,

il se réalise déjà entre les professionnels enclins à adopter cette pratique.

Davantage de concertation avec le pharmacien

Plusieurs intervenants ont désiré développer davantage de concertation avec le pharmacien.

Le pharmacien devrait être reconnu comme intervenant de soins à part entière. Cette

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 129

Page 130: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

reconnaissance semble alors devoir passer par une prise de conscience, de la part des usagers

de traitements de substitution, du rôle fondamental du pharmacien. Rappelons d'ailleurs que

plusieurs récits ont traité de ce manque de reconnaissance vécu par ce dernier, ce manque de

reconnaissance ne provenant pas uniquement des usagers, mais aussi d'autres professionnels

de la chaîne de soins.

Concrètement, il s'agit d'augmenter les communications et les liens entre médecin,

pharmacien et usager, et ce aussi bien par téléphone, courrier, ou toute autre voie de

communication. Certains évoquent même la possibilité pour le pharmacien d'être reconnu

comme référent pour le patient, et de connaître davantage l'histoire de consommation de

drogues et de soins, de ce dernier.

A cet égard, la Suisse a développé différents outils permettant la pleine intégration du

pharmacien dans la concertation de soins, et ce sous la forme de contrats tripartites médecin /

pharmacien / usager, de formulaires de transfert d'informations, et de conventions-cadres de

collaboration entre des sociétés de médecins et de pharmaciens. Selon les concepteurs de ces

outils, ces derniers laissent pleinement la place à l'individualité du traitement.

De la concertation, et non pas de la concentration de soins : le contrôle de la double

prescription n'est pas revendiqué

Les visites effectuées en Suisse et aux Pays-Bas ont permis de noter que, vu les interactions

médicamenteuses que pourrait éprouver l'usager de produit de substitution, il est de coutume

de prévenir tout autre prescripteur, de la mise en place d'un traitement de substitution. Cette

démarche ira même souvent jusqu'à la concentration de toutes les prescriptions

médicamenteuses, auprès du seul et unique prescripteur de substitution.

Ce développement est-il réalisable en Région Wallonne ? A l'heure actuelle, on peut en

douter. Il faut tout d'abord souligner que ce dispositif a été d'autant plus facile à mettre en

place en Suisse et aux Pays-Bas, qu'un contrôle sur les doubles prescriptions y est organisé et

pleinement effectif. En Belgique, ce contrôle n'existe que de manière lacunaire.

Si en effet l'Arrêté de 2006 prévoyait un dispositif de contrôle des doubles prescriptions,

l'absence d'arrêté d'application a empêché ce dernier de voir le jour.

Les Commissions Médicales Provinciales pourraient alors prendre cette mission en charge.

Certaines le font, mais il ne s'agit que d'une minorité. Dans la plupart des cas, les

Commissions Médicales Provinciales s'attachent avant tout à contrôler les éventuelles

prescriptions abusives, en termes de dosages.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 130

Page 131: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Des initiatives locales existent aussi, comme des contrats entre le médecin, le pharmacien, et

l'usager, ayant notamment pour but d'engager les partenaires, et surtout l'usager, à ne pas

recourir à la double prescription.

Quoi qu'il en soit, on peut déjà penser qu'un contrôle des doubles prescriptions à l'échelle

provinciale ou communale soit discutable : il suffit alors de dépasser les limites territoriales,

pour contourner ce contrôle.

Plus radicalement, on soulignera qu'à aucun moment, les participants n'ont revendiqué un

contrôle accru des doubles prescriptions, dans les perspectives pratiques : si cette idée a pu

apparaître, ça et là, lors des discussions, elle n'a jamais été retenue comme développement à

accomplir. A l'heure actuelle, la Belgique ne dispose donc pas de dispositif de contrôle de

double prescription, et les participants aux analyses en groupe ne semblent pas en être

demandeur.

De la participation à la responsabilisation, des usagers de soins et de leurs proches

Les participants aux analyses en groupe ont clairement exprimé la demande de développer les

liens avec les associations d'usagers, ainsi qu'avec les proches, que ces derniers soient des

parents, des amis, voire des personnes moins proches mais en contacts réguliers avec l'usager

de substitutifs.

Il est d'ailleurs intéressant de souligner que la mère d'un usager de substitutif participant à la

démarche, a elle-même demandé d'y prendre part. S'il était malheureusement trop tard pour

modifier le protocole de recherche-intervention, il est clair que les proches auraient aussi pu,

voire du, être inclus dans la démarche.

Quoi qu'il en soit, selon les participants aux analyses en groupe, c'est par les associations de

support pour les usagers et leurs proches, que passera le développement de leur participation.

Les dispositifs d'accompagnement et de concertation dont nous avons parlé précédemment,

doivent donc être constitués de représentants de ces usagers et proches.

Dans le même ordre d'idées, une plus grande implication des proches dans le traitement au

quotidien a aussi été jugée comme constitutive d'une intéressante perspective pratique. Cette

demande s'accompagnait d'un constat, toujours propre aux participants, selon lequel les

groupes de parole ne fonctionnent que modérément ; de nouveaux dispositifs d'implication

des proches dans le traitement de substitution, semblent donc à inventer.

Une plus forte implication des proches aurait en tout cas l'avantage de réduire la tension vécue

par certaines personnes substituées sur une longue durée. Pour rappel, en effet, plusieurs

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 131

Page 132: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

usagers nous ont conté l'opposition entre, d'une part, l'injonction du médecin prescripteur d'un

usage du substitutif sur le long terme, et d'autre part, l'injonction de certains proches d'arrêter

toute substitution à court ou moyen terme. Nous l'avons vu, notamment dans les propositions

de récits : cette tension peut, à l'extrême, induire soit une rupture des relations avec la famille,

soit une rupture brutale du traitement de substitution. Impliquer donc les proches, et avant tout

ceux des usagers au long cours, pourrait donc permettre de résoudre la tension que ces usagers

peuvent vivre, et basée sur des perceptions différentes entre le médecin et les proches, du

traitement de substitution.

Les participants aux analyses en groupe se sont aussi clairement positionnés en faveur d'une

responsabilisation accrue des usagers de traitements de substitution. Cette responsabilisation

permettrait en effet de poser de meilleures bases, pour une relation avec le(s) professionnel(s)

de soins, notamment en désamorçant les fausses représentations de soi : au lieu de les ignorer,

il s'agirait alors d'en parler et de les travailler. Bref, de réellement instituer un espace de

dialogue.

Maximiser l'information, pour l'usager de traitements de substitution et ses proches

La plupart des analyses en groupes menées se sont conclues par le besoin de développer

davantage les informations, aussi bien à propos des traitements de substitution, qu'à propos

des drogues en général.

Pour rappel, plusieurs usagers de substitutifs ont témoigné du fait qu'ils ignoraient, au début

de leur traitement, la réelle difficulté du sevrage à la méthadone : certains ont parlé de

« piège » du traitement de substitution, révélant alors le peu de connaissance qu'ils avaient des

effets à long terme d'un produit tel que la méthadone, ce peu de connaissance au préalable,

pouvant forcément induire des mésusages de ces produits. Il semble donc nécessaire que le

prescripteur initial prenne le temps d'expliquer, largement, les avantages et les inconvénients

des traitements de substitution.

Plus généralement, la responsabilisation de l'usager de substitutifs passe par sa

conscientisation et son accès à l'information. Parler ouvertement du bon usage du produit de

substitution, mais aussi des conséquences néfastes d'un mésusage tel que l'injection de

méthadone, permettrait très certainement de réduire ces pratiques, d'après les participants.

Enfin, cette responsabilisation ne concerne pas seulement l'usager, mais aussi ses proches.

C'est en effet à nouveau par l'information qu'il sera possible de réduire les risques

d'empoisonnements accidentels. Pour rappel, la méthadone fait bel et bien partie des « one pill

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 132

Page 133: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

killer » : une gélule suffit à tuer le non initié, le ratio létal pour ce dernier étant de 1 mg/kg, et

la dose moyenne étant très souvent d'au minimum 60 mg. On ne peut donc qu'insister sur le

fait que la méthadone, si elle est un médicament pour certains, est un poison pour d'autres.

Les produits de substitution impliquent donc un bon usage, tout comme tout autre

médicament. L'usager doit être conscientisé sur le fait que la méthadone se range, dans la

mesure du possible, hors de portée des enfants. Et en cas de doute sur une éventuelle

ingestion, le seul bon réflexe est d'appeler en urgence le centre anti-poison.

Selon les participants aux analyses, la première source d'informations, concernant le

traitement de substitution et à l'égard de l'usager, est et doit rester l'intervenant de première

ligne, que cet intervenant soit prescripteur ou délivreur. Ainsi, le rôle d'information et de

conseil du médecin généraliste et du pharmacien, doivent être reconnus à leur juste valeur.

D'après les participants, ce n'est pas le cas actuellement. L'Arrêté Royal du 25 avril 2007,

attribuant un honoraire au pharmacien pour ses actes intellectuels et de conseils, va sans doute

dans le bon sens.

Dans le même ordre d'idées, mais toutefois sans que les participants ne se soient prononcés à

ce propos, on peut s'étonner qu'aucune notice particulière n'accompagne certains produits de

substitution. Si les formes de buprénorphine Subutex, Suboxone et Te mgésic, sont produites

par une industrie pharmaceutique, et en cela accompagnés de notices en bonne et due forme,

ce n'est pas le cas de la méthadone, le plus souvent préparé de façon magistrale.

En soi, une préparation magistrale peut être accompagnée d'une notice, plus ou moins

complète. Néanmoins, l'auteur de la notice en question se pose alors comme responsable en

cas d'information erronée, et toujours passible de poursuites en responsabilité civile. Alors

que la judiciarisation prend une place de plus en plus importante dans notre société, cela

génère la nécessité de prévoir tous les effets secondaires et contrindications d'un produit qui,

comme on l'a vu, peut induire des effets très différents selon les personnes, les modes d'usage,

les interactions avec d'autres médicaments, etc.

Écrire donc une notice pour la préparation magistrale de la méthadone s'avère un réel casse-

tête : plusieurs tentatives ont déjà été menées, mais devant les risques juridiques auxquels

s'exposait l'éditeur responsable, les différents groupes de réflexion ont préféré s'abstenir.

D'après un Inspecteur Provincial des Pharmacies, seule une autorité étatique pourrait se

permettre d'établir une notice pour la méthadone en préparation magistrale. Dans l'attente,

certaines brochures d'informations peuvent servir, comme celle de Modus Vivendi centrée sur

la méthadone, dont la version a été renouvelée en 2008ix.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 133

Page 134: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Mener une campagne d'information et de sensibilisation, favorisant une meilleure

acceptation des traitements de substitution et de leurs usagers

Une des perspectives pratiques proposées par les participants aux analyses, a aussi été de

mener une campagne d'informations et de sensibilisation, dans le but de diminuer le rejet à

l'encontre des produits de substitution, et de manière concomitante, le stigmate à l'encontre de

l'usager de substitutifs. Les participants ont notamment appelé de leurs voeux que des

campagnes identiques à celles à l'encontre du sida et du rejet des sidéens, soient menées

autour de la substitution aux opiacés.

Il est certain qu'il existe un amalgame entre les drogues et les médicaments, et que cet

amalgame est d'autant plus important concernant les substitutifs aux opiacés, qu'ils peuvent

être perçus tantôt comme médicament, et tantôt comme drogue, selon l'usage qui en est fait :

une analyse en groupe a qualifié les mésusages de la méthadone, de « toxicomanie légale ».

Dans cette perspective, une campagne de masse aurait le bénéfice, d'après les participants, de

pouvoir insister sur le côté médical, et non criminel, de la consommation d'opiacés. Le

stigmate serait alors moins prégnant.

Reste que les moyens pour mener une telle campagne doivent être conséquents... De telles

démarches ont été menées en Suisse, à l'instar des campagnes concernant le SIDA. La

différence était néanmoins notable : le message des campagnes SIDA était relativement

simple, ce qui se distingue largement des nuances à apporter lorsqu'on parle des drogues et

des assuétudes. Qui plus est, d'après les avis récoltés auprès de l'Office Fédéral suisse de

Santé Publique, une campagne d'informations ne suffit pas : cette dernière doit être intégrée

dans des paquets de mesures cohérents. Cela fait déjà plusieurs années que L'OFSP n'a donc

plus développé ce type de campagnes.

Rejeter le stigmate, déjà au sein de la relation soignant - soigné

C'est en fait déjà au sein de la relation soignant – soigné, que le stigmate touchant l'usager de

substitutifs doit être contourné. Les analyses en groupe ont en effet été l'occasion pour les

participants de noter que, si certaines relations soignant – soigné évitent les pièges du

stigmate et ses conséquences néfastes sur la relation de soins, il semble néanmoins que ce

stigmate soit suffisamment prégnant, pour que l'accès aux soins pour des usagers de

traitements de substitution soit parfois très compliqué.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 134

Page 135: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Certaines structures n'acceptent en effet pas de patients toxicomanes, ou n'en acceptent qu'en

nombre réduit. Quand elles le font, les relations ne sont pas toujours aisées, et peuvent

déboucher sur des conflits anormalement nombreux (Denis B., et al., 2008). Il y a donc encore

un large travail à réaliser, afin que la dépendance aux opiacés et l'usage de substitutifs ne

constituent plus de facteurs d'exclusions et de non accès aux soins.

Les réflexions à ce sujet semblent devoir être entretenues avec les institutions se percevant

comme inadéquates à l'accueil des usagers de traitements de substitution. De même, il est

nécessaire d'accompagner suffisamment celles qui se décident à ouvrir, peu à peu, leurs portes

aux usagers, comme par exemple les maisons d'accueil qui se trouvent de plus en plus

dépourvues face à des problématiques d'assuétudes, d'après les participants aux analyses qui

en étaient issus.

Enfin, les participants aux analyses ont aussi proposé une autre manière de rejeter le stigmate

de l'usager de traitement de substitution, lorsque la relation soignant – soigné était établie sur

de bonnes bases. La proposition a été que le soigné ait la possibilité ne pas être constamment

perçu comme, uniquement, un (ex-)toxico-dépendant.

Certains ont ainsi appelé à davantage d'initiatives travaillant sur la globalité de la personne, et

sur son bien-être général : il fut par exemple imaginé que les usagers de substitutifs auprès de

centres spécialisés, puissent avoir des facilités d'accès vers des clubs de sport, des endroits de

culture, etc. L'intérêt n'était pas seulement de travailler leur bien-être, mais de le faire

notamment en s'intégrant dans des groupes non restreints aux (ex-)usagers d'opiacés.

En prolongement, on notera que certaines antennes de la Fondation Phénix, à Genève, sont

construites à l'identique d'un centre médical « classique ». En cela, elles se positionnent à

l'intersection entre services spécialisés et services généralistes. Y viennent d'ailleurs, non

seulement des (ex-)usagers d'opiacés, mais aussi toute autre personne voulant consulter un

médecin généraliste. De même, le personnel entretient une attention constante au fait de traiter

les personnes comme des patients ordinaires, consultant au sein d'une structure hospitalière

classique. Ce faisant, ce ne sont pas des (ex-)toxicomanes qui viennent y consulter, mais des

patients malades.

En plus de la méthadone, les développements permis par la buprénorphine

Tout au long de ce rapport, nous avons vérifié, à nouveau, la forte prééminence de la

méthadone : les participants aux analyses ont amené des récits ayant tourné, dans leur grande

majorité, autour de cette seule molécule.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 135

Page 136: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Ils ont néanmoins noté que des perspectives nouvelles étaient permises par le développement

de l'usage de la buprénorphine, et par l'ouverture d'un projet-pilote centré autour de la

diacétylmorphine.

Concernant la buprénorphine, connue sous les noms de Te mgésic, Subutex et Suboxone, elle

présente justement l'avantage de... ne pas être connue par le grand public. Au contraire de la

méthadone, connotée négativement, les noms pharmaceutiques de la buprénorphine ne prêtent

à aucun stigmate. En cela, les participants aux analyses soulignent un premier avantage, en

faveur d'un usage renforcé de la buprénorphine.

Cela paraît d'autant plus vrai, selon eux, pour les patients « fatigués » de la méthadone :

certains intervenants prônent un passage à la buprénorphine, dès lors qu'ils sont stabilisés sur

le long terme.

D'autres caractéristiques plaident encore en faveur d'un usage de la buprénorphine, par rapport

à la méthadone : le sevrage à cette molécule est plus aisé que celui à la méthadone. En outre,

la buprénorphine semble plus adéquate à la réduction des risques. Tout d'abord, ce produit se

prend de manière sublinguale : l'usager doit le garder pendant plusieurs minutes sous la

langue, pour que le comprimé puisse faire son effet. Si le comprimé est avalé trop rapidement,

son effet est d'autant plus diminué. Les risques d'empoisonnement chez les enfants sont donc

considérablement réduits.

Ensuite, le fait est qu'au Subutex et au Te mgésic, s'est ajouté récemment le Suboxone,

produit mixte entre Subutex et Naloxone, le Naloxone ayant la propriété de réduire la

possibilité d'injection.

Il est toutefois nécessaire de noter qu'à ce jour, aucune étude clinique n'a clairement démontré

les avantages de la buprénorphine sur la méthadone.

Les résultats peu convaincants de la méthadone injectable

Certaines études ont démontré des résultats similaires entre méthadone orale et méthadone

injectable, lorsque nous tenons compte d'indicateurs tels que la consommation et l'injection

d'héroïne illicite, la santé physique et psychologique des patients, et leur implication dans des

activités illégales. La satisfaction du traitement injectable était plus grande chez les injecteurs

d'opiacés de rue. Mais ce traitement injectable coutait aussi environ cinq à sept fois plus cher

que le traitement oral. Les chercheurs en concluaient la faisabilité des programmes de

méthadone injectable, et la nécessité que les prescripteurs identifient, d'après leur pratique, les

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 136

Page 137: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

profils de patients pouvant tirer davantage de bénéfices de la méthadone injectable (Strang J,

Marsden J, Cummins M, Farrell M, Finch E, Gossop M, Stewart D, Welch S., 2000).

A cet égard, on notera qu'en comparaison, le projet suisse PROMI (PROgramme de

Méthadone Injectable, 1994-1998) a recensé des résultats mitigés. L'objectif initial, en

l'occurrence que des personnes de la rue puissent s'injecter de la méthadone stérile, n'a été que

faiblement rempli : la majorité des participants prenaient déjà de la méthadone par voie orale.

Sur la cinquantaine de participants, seule une minorité a arrêté l'injection et la méthadone à

moyen terme ; les autres ont soit décrit une plus grande dépendance à l'injection, soit ont

arrêté le programme suite à des problèmes veineux, pour passer à la méthadone orale, alors

même qu'un second objectif était de limiter les conséquences physiques des injections,

comme les abcès.

Cela faisait dire aux responsables du projet, qu'un programme de distribution d'héroïne était

plus adapté. Le programme de méthadone injectable perdurait néanmoins sur demande des

usagers, qui y voyaient des avantages liés à la stérilité du produit, à l'accompagnement

médical et au caractère adapté du milieu où ils pouvaient pratiquer ces injections, et au

« flash » permis par celles-ci :

(http ://www.objectifreussir.ch/FR/cadre_repertoire/social/Sante/Methadone/methadone.html,

1 juin 2010).

Il est donc intéressant de noter que ces critères se retrouvent dans des programmes d'héroïne,

ou de diacétylmorphine, sous contrôle médical.

Les développements permis par la diacétylmorphine

La diacétylmorphine apparaît maintenant dans le paysage wallon des produits de substitution,

via le projet liégeois TADAM (Traitement Assisté à la DiAcétylMorphine : présentation en

annexe). Ce développement fait notamment suite aux succès engrangés par les programmes

suisses et hollandais de distribution d'héroïne sous contrôle médical. Une majorité des

participants aux analyses en groupe ont soutenu ce développement.

Le développement d'autres modes d'administration

Une participante aux analyses en groupe a proposé que l'on ait recours à d'autres modes

d'administration, en l'occurrence des patchs, ayant l'avantage de permettre des durées plus

longues de perméabilité du produit, et un dosage plus constant.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 137

Page 138: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

La buprénorphine, par exemple, se trouve aussi sous forme de patchs, et ce sous la

dénomination Transtec. Sa durée d'action est d'environ trois jours. Néanmoins, sa notice

précise clairement que ce médicament ne doit pas être utilisé comme substitutif aux opiacés.

Les patchs concernent aussi d'autres molécules que la méthadone et la buprénorphine, comme

le Fentanyl, sous ses formes Durogesic et Fentanyl Bexal. Le Fentanyl est un analgésique

narcotique, induisant un état de somnolence et d’euphorie, ce dernier étant moins prononcé

que ce que l’on observe avec l’héroïne et la morphine.

On peut effectivement trouver des expériences de substitution menées avec le Durogesic.

Certains témoignages tendent à démontrer que la substitution est tellement confortable, que la

personne peut même en oublier l'existencex.

Plusieurs inconvénients existent néanmoins, le premier étant sans doute les mésusages

croissants de Fentanyl, utilisé de manière illicite par injection, ingestion orale, inhalation ou

sniff de poudre ou de patchs.

L'usage des morphiniques comme produits de substitution ?

La question du Fentanyl pose plus généralement celle de l'usage des morphiniques, comme

substitutifs aux opiacés. Le Fentanyl est en effet utilisé médicalement, le plus souvent en

remplacement de la morphine. En France, il semble qu'il y ait eu une ouverture aux sulfates de

morphine, sous leur forme Skenan, mais aussi Moscontin. Les traitements de substitution

doivent normalement se limiter à la méthadone et à la buprénorphine, et en cela, Skenan et

Moscontin sont interdits, et réduits au traitement de la douleur. Mais une note délivrée par le

Directeur Général de la Santé autorise exceptionnellement, en cas de contre-indications ou

d'inadaptation des traitements à la méthadone et au Subutex, la prescription de médicaments

utilisant des sulfates de morphine, à des seules fins de substitution aux opiacés, moyennant

concertation avec le médecin conseil (Girard J.-F., Ministère du Travail et des Affaires

Sociales, Direction Générale de la Santé, note d'information du 27 juin 1996 concernant le

traitement de substitution pour les toxicomanes). Cette lettre n'a néanmoins pas force de loi, et

des prescriptions sauvages ont été constatées.

La piste des sulfates de morphine est-elle à explorer, sur le long terme ? Devrait-on utiliser

l'équivalent belge du Skénan, le MS Contin, comme produit de substitution ? En Suisse, un

traitement à base de morphine ne peut normalement pas être mené ; certains professionnels ne

le font qu'exceptionnellement, pour les patients ayant des problèmes cardiaques, ou pour les

métaboliseurs rapides.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 138

Page 139: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

D'un côté, des recherches ont déjà prouvé l'apport de la morphine à diffusion lente dans le

cadre des traitements de substitution (Eder et AL., 2005). Par contre, les possibilités de

mésusages ainsi que le renforcement positif conduisant à renouveler la consommation, ont

empêché le sulfate de morphine de jouir d'une autorisation de mise sur le marché français

dans le cadre de la substitution (OFDT, 2003). Rediscuté en 2009 au sein de la commission

française des stupéfiants et des psychotropes, et prenant en compte l'efficacité discutée des

sulfates de morphine dans les traitements de substitution, il a été décidé de poursuivre le

protocole défini par la note de 1996 (AFSSAPS, Compte-rendu de la réunion de la

Commission nationale des stupéfiants et des psychotropes du 23 avril 2009. Adopté le 23 juin

2009).

Les visites d'institutions en Suisse et aux Pays-Bas n'ont pas permis d'étayer ces perspectives

pratiques, ces tentatives n'y ayant pas vu le jour.

Toutes ces réflexions font en tout cas suite à l'appel, relayé par les participants aux analyses,

de développer davantage la pharmacopée des produits de substitution, afin de mieux répondre

aux attentes de la population, diversifiée, des usagers d'opiacés.

Des conditionnements de méthadone différents, permettant une réduction des risques

Certains participants aux analyses ont proposé des gélules de couleurs différentes, selon leurs

concentrations en méthadone, et ce afin d'éviter des surdoses après approvisionnement sur le

marché noir.

Cette piste s'avère toutefois limitée, étant donné le nombre de couleurs différentes nécessaire,

pour des dosages allant très souvent de 0 à 150 mg. Ensuite, si la gélule doit être colorée, il en

va de même pour la poudre, étant donné le possible trafic de gélules. Le colorant doit alors

être mentionné sur la prescription, ce qui oblige à un changement des règles de

remboursement de l’INAMI, changement qui, d'après certains, serait très difficile à obtenir…

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 139

Page 140: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

PARTIE IV : L'INCIDENCE DU PARCOURS CARCERAL SUR LES

TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 140

Page 141: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

A. INTRODUCTION

La première partie de cette recherche-action s'est donc centrée, de manière générale, sur

les traitements de substitution aux opiacés. L'approche a été inductive, c'est-à-dire qu'elle n'a

pas cherché à la construction d'hypothèses préalables, mais a laissé aux participants aux

analyses, l'occasion d'identifier les problématiques concernant les traitements de substitution

aux opiacés, de les analyser en profondeur, et d'y répondre par des perspectives pratiques.

Dans un deuxième temps, la Fedito Wallonne a néanmoins voulu se pencher sur une

problématique spécifique des traitements de substitution aux opiacés, en l'occurrence

l'incidence du parcours carcéral sur ces derniers. Il s'avérait en effet, d'après les membres de la

Fedito Wallonne, que les intervenants de terrain, concernés par la substitution, sont souvent

confrontés à des effets induits par le parcours carcéral de la personne. Ce sujet particulier

semblait donc appeler une analyse en groupe particulière.

La particularité de cette analyse en groupe supplémentaire s'est toutefois limitée au

sujet, qui fut donc davantage défini que dans les autres analyses. En termes de méthode et de

processus, par contre, les principes ont été identiques à ceux qui avaient été respectés

auparavant.

C'est donc bel et bien une démarche inductive, basée sur la méthode d'analyse en

groupe, qui a été utilisée pour étudier l'incidence du parcours carcéral sur les traitements de

substitution aux opiacés.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 141

Page 142: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

B. MISE EN PLACE DE L'ANALYSE EN GROUPE CONCERNANT L'INCIDENCE

DU PARCOURS CARCERAL SUR LES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION

Cette analyse en groupe a donc répondu au même schéma processuel, en l'occurrence

quatre réunions :

– la première réunion avait pour but la proposition d'expériences vécues, et le choix de

deux d'entre elles à approfondir ;

– la deuxième réunion visait à l'analyse approfondie de la première expérience vécue ;

– la troisième réunion visait à l'analyse approfondie de la seconde expérience vécue ;

– la quatrième réunion visait à la synthèse des analyses, et à la proposition de

perspectives pratiques.

La particularité de cette analyse en groupe, résidait donc plutôt dans les profils de ses

participants : puisque nous avions choisi d'étudier l'incidence du parcours carcéral sur les

traitements de substitution, il nous est paru nécessaire d'intégrer dans le groupe, des

professionnels issus du secteur pénal, et des usagers de substitution ayant connu un parcours

carcéral.

Du côté du secteur carcéral, nous avons choisi de nous centrer sur deux établissements

pénitentiaires, assez proches l'un de l'autre, mais ayant des politiques apparemment distinctes

en termes de substitution aux opiacés. Nous avons donc invité les établissements

pénitentiaires de Lantin et de Verviers, en l'occurrence, pour chacun d'eux, un membre du

personnel soignant, et un agent pénitentiaire.

Le groupe a bien entendu été constitué de professionnels issus du secteur socio-

sanitaire. Nous avons donc choisi d'inviter quatre associations, verviétoises et liégeoises, et en

cela inscrites dans le réseau autour des établissements de Lantin et de Verviers. Ces

associations devaient aussi illustrer la diversité de l'offre de soins.

Nous avons bien entendu invité des (ex-)usagers de traitements de substitution, ayant

connu un parcours carcéral à Lantin ou/et à Verviers.

Enfin, nous avons aussi invité les maisons de justice de Liège et de Verviers, en ce

qu'elles peuvent illustrer l'intersection entre les soins ambulatoires et le judiciaire. Notre but

était que soient présents un assistant de justice travaillant dans le secteur probatoire, et un

autre dans le secteur des libérations conditionnelles.

Concrètement, les institutions ayant répondu à notre appel ont été les suivantes :

– établissement pénitentiaire de Verviers, représenté par un médecin et un agent

pénitentiaire détaché à l'infirmerie ;

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 142

Page 143: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

– la maison de justice de Verviers, représentée par une assistante de justice ;

– un service de santé mentale spécialisé en assuétudes, représenté par une assistante

sociale ;

– un service de santé mentale, représenté par un psychologue ;

– un service de prévention communal, représenté par un systémicien thérapeute ;

– trois (ex-)usagers de traitements de substitution, ayant connu un parcours carcéral.

D'autres institutions invitées n'ont donc pas accepté de prendre part au processus, pour

des raisons extrêmement diverses comme le manque de temps, le fait que cette association

avait déjà participé à l'analyse en groupe menée sur Liège, ou encore pour des raisons

inconnues.

Enfin, deux institutions avaient accepté de prendre part au processus, mais ne se sont

pas présentées aux analyses en groupe, soit parce qu'elles n'ont pas délégué une personne

suffisamment à temps, soit pour cause d'indisponibilités de dernière minute. Il s'agit de la

maison de justice de Liège, et de l'établissement pénitentiaire de Lantin.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 143

Page 144: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

C. ANALYSE DES RECITS CONSACRES A L'INCIDENCE DU PARCOURS

CARCERAL SUR LES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION

I. Première problématique :

La motivation liée au traitement de substitution, en établissement carcéral

a) Le récit proposé par un médecin en établissement carcéral : « quelles motivations se

trouvent derrière la demande de traitement de substitution ? »

Une personne est entrée dans un projet qu'on avait mis en place en prison. Et on proposait à

tout qui le désirait, d’entrer dans un groupe de gens à qui on donnait d'abord un traitement

de substitution, puis un sevrage et une prise en charge. On avait engagé des éducateurs, on

proposait des cours, du sport,… On a eu très peu de personnes au départ. Ma question, c'est

donc la motivation. Mon interrogation, c'est... On a eu difficile de trouver des candidats.

Puis difficile d’intégrer le projet, de se lever le matin, participer aux activités, de vivre en

groupe. Donc, on a arrêté le projet. Pourquoi y-a-t-il un manque de motivation ?

Michel a fait partie du groupe, il a été motivé au départ, puis on a remarqué qu'il y avait de

la consommation : quand quelqu'un sortait, il ramenait, et tout le monde consommait. Le

projet a duré quelques mois puis a dû être abandonné.

b) Les enjeux du récit

Ce récit pose la question de la motivation des traitements de substitution, dans le cadre

d'un établissement carcéral. Pour la bonne compréhension de ce récit, il est peut-être utile de

spécifier qu'en vérité, la substitution ne consistait qu'en une étape de l'ensemble du projet.

Si la motivation pour adhérer à ce projet, diffère par nature avec celle que peut trouver

la personne non incarcérée, il est clair que cette différence peut être d'une certaine incidence

sur le traitement de substitution, non seulement à l'intérieur de la prison, mais aussi à

l'extérieur, comme lors de la sortie de la personne.

Les analyses menées, et présentées ci-dessous, le démontrent d'ailleurs bien.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 144

Page 145: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

c) Les convergences et les divergences

Les participants à l'analyse en groupe consacrée à l'incidence du parcours carcéral, sur

les traitements de substitution, s'entendent tout d'abord pour dire que l'incarcération pousse à

la consommation d'opiacés de rue ou de produits de substitution, cette consommation

permettant aux usagers de se sentir « hors de la prison ».

Certains participants témoignent même du fait d'une certaine compréhension, de la part

du personnel soignant à l'intérieur des établissements carcéraux, à l'égard de cette

consommation et de ce qui a été nommé comme « la recherche d'une certaine marge de

liberté ». Cette compréhension apparaît d'autant plus grande et partagée par l'ensemble du

personnel carcéral, dès lors que la consommation d'opiacés permet de calmer le climat

carcéral.

Qui plus est, la présence d'opiacés de rue au sein des établissements carcéraux est bel et

bien réelle. Les contacts entre incarcérés sont tellement fréquents, et les stratagèmes utilisés

pour le trafic des opiacés sont tellement nombreux, qu'un établissement carcéral sans drogues,

s'avère illusoire.

Dans ces conditions, l'abstinence en prison semble constituer un objectif difficile à

atteindre. D'après certains participants, elle est même impossible, et si une personne

incarcérée entre dans le cadre d'un traitement de substitution, il ne faut certainement pas

exclure une éventuelle consommation parallèle d'opiacés de rue.

Convergence : Par essence, le milieu carcéral incite à la consommation de

psychotropes, et des produits de substitution. La motivation pour suivre un traitement

ne semble alors renvoyer que rarement à une recherche de stabilisation, voire

d'abstinence.

Certaines personnes n'ont d'ailleurs aucune attente à l'égard de traitements abstinentiels :

soit qu'elles ne sont simplement pas demandeuses ; soit, plus radicalement, qu'une

toxicomanie trop sévère ou qu'une éventuelle problématique mentale les empêche de

constituer tout projet abstinentiel.

Et pourtant, d'autres personnes se montrent motivées par intégrer des projets à visée

substitutive, voire abstinentielle, comme le démontre le récit exposé plus haut. Comment le

comprendre ? Les participants à l'analyse décryptent ce phénomène, par le désir de toute

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 145

Page 146: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

personne incarcérée, de saisir n'importe quelle occasion pour sortir de sa cellule, entrer en

contacts avec d'autres personnes incarcérées, et éventuellement en profiter pour

s'approvisionner en opiacés.

Convergence : Dans le projet dont il est fait mention, dans le récit, la motivation

principale se trouvait sans doute moins dans le désir de contrôler une consommation

d'opiacés, que dans le fait d'avoir une occasion nouvelle, pour les personnes

participantes, de sortir de leurs cellules.

Sachant cela, une divergence a émergé au sein du groupe d'analyse.

En effet, une première option serait d'adoucir le cadre concernant la consommation en

établissement carcéral. Si les participants s'accordent pour reconnaître l'importance d'un

minimum de règles, ils rejettent l'objectif, jugé utopique, de l'abstinence.

Si un système de réglementation devait être revu a minima, en quoi devrait-il consister ?

Des exemples ont été donnés comme, lors d'activités, une non consommation, et l'obligation

de s'y inscrire en étant suffisamment lucide.

A l'égard de la consommation, les participants proposent même une position inverse, en

l'occurrence, travailler sur les raisons même de la consommation et de la rechute, plutôt que

les nier en imposant l'abstinence. Il s'agit donc de travailler sur le problème antérieur à la

consommation, plutôt que sur la consommation elle-même. Inversement, un travail se limitant

à l'aspect symptomatique de la consommation, ne peut amener de résultats probants.

Le problème, selon certains participants, est que le personnel des établissements

carcéraux ne peut accepter ouvertement la consommation d'opiacés. Le faire, ce serait ouvrir

une boîte de Pandore.

En outre, l'éventuelle consommation de produits de substitution et d'opiacés de rue

pouvant engendrer un risque accru d'overdoses, selon certains participants, il pourrait être

opportun de proscrire les traitements de substitution en milieu carcéral.

Commentaire du chercheur : Si effectivement, le risque d'overdose peut s'accroître par

l'interaction entre opiacés de rue et produits de substitution, cela concerne aussi bon nombre

d'autres médicaments, psychoactifs ou non. La logique défendue ci-dessus est donc

difficilement applicable, dès lors qu'une bonne part des suivis médicaux, en tous genres,

serait à proscrire.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 146

Page 147: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Divergence : Au sein du groupe d'analyse a émergé une divergence, ou du moins un

dilemme. Une piste est en effet celle d'adoucir le règlement lié aux consommations

d'opiacés. Cela permettrait, non plus de la nier, mais de travailler sur les raisons

résidant derrière le symptôme.

Néanmoins, le système carcéral et pénal rend complexe, l'idée qu'il y ait une relative

acceptation de cette consommation, enfreignant les lois actuelles.

Comment, dès lors, imaginer des projets à l'intérieur des établissements carcéraux, et

centrés sur la consommation d'opiacés ? Quelles pierres d'achoppements sont-elles à lever,

avant que de tels projets puissent être réellement efficients ?

Tout d'abord, selon les participants, il s'agit de construire une réelle relation entre le

professionnel de soins et l'usager.

Ensuite, il est nécessaire de permettre une collaboration interdisciplinaire, entre

notamment médecin, psychologue et assistant social, chacun de ces professionnels ayant une

« porte d'entrée » et un champ d'action spécifique et complémentaire.

Enfin, il est nécessaire d'établir un encadrement suffisamment clair et engendrant le

respect de règles de base, telles que, nous l'avons dit, le fait de ne pas consommer d'opiacés

durant les activités. Lorsqu'un cadre n'est pas clair, il peut engendrer des interprétations

diverses, et dissoudre un consensus préalable et que l'on pensait bien établi.

Convergence : Des projets en établissement carcéral, alliant notamment traitement de

substitution, nécessitent une réelle relation entre le professionnel et l'usager, une

collaboration interdisciplinaire, et un encadrement suffisamment clair et explicite.

Malheureusement, des pierres d'achoppements rendent ces développements difficiles.

Les participants ont ainsi renvoyé au manque criant de moyens, entre autres en termes

de ressources humaines. Ce manque est illustré par la durée des rendez-vous entre médecin et

usager, très souvent limités à cinq minutes. Dans ce contexte, il est impossible, pour le

professionnel, de se mettre réellement en position d'écoute, avant toute éventuelle

réorientation du traitement. De même, il est alors extrêmement difficile, pour le médecin, de

construire un lien, autour d'un usager, avec les services extérieurs d'aide et de soins.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 147

Page 148: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Convergence : Cependant, les participants s'accordent pour dire qu'il est avant tout

nécessaire de combler le manque criant de moyens.

Ensuite, un cadre consensuel est d'autant plus difficile à établir, selon certains, que les

logiques carcérales, d'une part, et sociales et de santé, d'autre part, peuvent amener à des

oppositions quant aux stratégies à adopter face à la consommation d'opiacés : d'après un

participant, le projet auquel il est fait référence dans le récit, allait pleinement en contradiction

avec la logique carcérale.

L'antagonisme des logiques se cristallise par exemple dans le partage des informations

entre professionnels émanant de la justice et du social, partage se réduisant alors à de larges

silences.

Qui plus est, à l'intérieur même des logiques sociales et de santé, peuvent émerger

d'importantes différences de déclinaisons, selon que l'on s'adresse à des services internes ou

externes à la prison, ainsi que selon les diverses philosophies de soins (réduction des risques,

traitements à visées stabilisatrice, abstinentielle, ...).

Plusieurs exemples ont illustré cette idée : le fait, d'abord, que dans certains

établissements, des procédures très lourdes doivent être complétées, avant de rencontrer

certains professionnels de soins, comme des psychiatres ; le fait, ensuite, qu'entre

professionnels peuvent exister d'importantes divergences en termes de soins, voire de

conséquentes différences en termes de compétences ; le fait, enfin, que des participants ont

voulu dénoncer ce qu'ils ont qualifié d'inaptitude de certains médecins rencontrés en prison,

qui manquent de temps pour ausculter sérieusement la personne, qui administrent un

traitement de substitution standardisé, ou qui, tout simplement, attacheraient peu d'importance

aux toxicomanes.

Ce point a toutefois été nuancé par d'autres participants, soulignant qu'au sein de

certains établissements carcéraux, il est possible de dépasser les antagonismes systémiques, et

forger des consensus entre les différents professionnels de ces prisons.

D'après les participants, les antagonismes systémiques semblent ainsi être avant tout

l'apanage d'établissements d'une certaine importance, où, pour des raisons organisationnelles,

c'est la sécurité et le caractère procédurier des démarches, qui prennent le pas sur la santé.

Dans ces cas-là, les démarches, notamment vers les services extérieurs, sont vouées à une

certaine lenteur, voire à l'inexistence.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 148

Page 149: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Ce sont souvent les services extérieurs eux-mêmes qui prennent les contacts avec les

établissements carcéraux. Néanmoins, ils se heurtent tout autant aux procédures et à la

difficulté d'intégrer ces établissements. Un suivi individuel en prison peut alors facilement

prendre trois à quatre heures du temps d'un professionnel issu d'un service extérieur. A défaut

de pouvoir assurer un suivi pour de nombreuses personnes, certains se concentrent alors sur

un petit nombre d'entre elles.

Divergence : Certains participants ont souligné qu'une autre pierre d'achoppement

existait, en l'occurrence la coexistence, voire la concurrence, entre logiques pénale et de

soins. Et même, à l'intérieur même de la logique sociale et de la santé, peuvent coexister

d'importantes différences entre les professionnels officiant à l'intérieur et à l'extérieur

de l'établissement carcéral.

Ce point a été nuancé par certains participants, soulignant que les antagonismes

systémiques peuvent être dépassés dans la réalité, à l'échelle de certains établissements.

Tous se rejoignaient néanmoins pour affirmer que ces antagonismes sont d'autant plus

difficiles à dépasser, qu'ils concernent des établissements d'une certaine importance.

Que faire alors ? Comment concevoir des projets de traitements de substitution, pour

des personnes ayant un vécu carcéral ? Comment réduire l'incidence néfaste du parcours

carcéral sur les traitements de substitution ?

Faut-il, déjà, concevoir de nouveaux projets à l'intérieur des établissements carcéraux ?

Ebauchant déjà les perspectives pratiques, les participants ont répondu à ces questions,

mais ce de manière divergente.

Certains d'entre les participants aux analyses pensent en effet que ces projets ont tout

leur sens, y compris à l'intérieur même des établissements carcéraux, et ce par l'éventualité

qu'ils peuvent être d'une certaine aide pour l'une ou l'autre personne incarcérée : « s’il y en a

un qui s’en sort sur 100, il faut continuer ». Il ne s'agirait pas, d'après cette idée, que les

professionnels et les institutions tombent dans la déresponsabilisation. Le projet relaté dans le

récit semble bel et bien se baser sur des tentatives menées dans d'autres établissements

carcéraux, et qui ont démontré un certain succès.

Commentaire du chercheur : On référera par exemple au projet B-leave, de Ruiselede,

« programme pénitentiaire pour usagers de drogues illégales », dont l'objectif est d'offrir une

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 149

Page 150: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

détention alternative pour des personnes incarcérées pour des motifs liés aux stupéfiants.

Ce programme « veut croire en la possibilité d'une vie sans drogues, malgré une dépendance

longue de plusieurs années et la co-existence d'autres problématiques ».

Notons toutefois que ce programme n'existe pas à l'intérieur d'un établissement carcéral : il

s'agit bien d'un programme pénitentiaire, mais à la campagne, dans ce que les promoteurs du

projet appellent « Une Ferme-Prison ». Ce programme est doté de nombreuses activités

diverses (travail, sport, artistique,...), ainsi que de larges déclinaisons thérapeutiques.

Néanmoins, des réadaptations sont alors nécessaires, tout simplement parce que la

réalité d'un établissement carcéral diffère de celle d'un autre. Pour chaque contexte, le projet

doit être retraduit et remodelé.

La prise en compte des attentes des usagers paraît en tout cas fondamentale : on ne peut

se limiter à celles exprimées par les professionnels et leurs institutions. Or, dans le récit

analysé, certains participants dénotent un investissement trop maigre des personnes

incarcérées, dans la construction même du projet.

Plutôt que de questionner la motivation de l'usager, il s'agit de questionner les

déterminants favorisant cette motivation. Plus généralement, il s'agit de mener une large

réflexion au préalable, censée mieux cerner les motivations des personnes, et les inscrire au

centre du projet.

Cette large réflexion devrait être menée au rythme de la personne, et en fonction de ses

moments, de ses développements, et de ses attentes. Il est nécessaire qu'elle-même ait décidé

de modifier sa consommation.

C'est de cette façon qu'il est possible de construire un projet efficace, et sur le long

terme, en ajoutant éventuellement ce à quoi n'auraient pas pensé les professionnels.

Quant aux règles du cadre ainsi construit, il s'agit d'y être intransigeant, quitte

éventuellement à l'évaluer et à le modifier l'année suivante. L'important est donc bien de ne

pas laisser la place au hors-cadre.

Cette position prend toutefois pleinement en compte le fait que le projet instigué à

l'intérieur d'un établissement carcéral, est par définition un projet collectif, et qu'il est donc

difficile de prendre en compte les attentes individuelles. En outre, en termes de démarches, ce

ne sont pas seulement les personnes incarcérées qui éprouvent un manque de liberté : toute

proportion gardée, les professionnels sont eux aussi l'objet de certaines contraintes.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 150

Page 151: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Certains participants posent alors la question de savoir comment il est possible de

retrouver un espace de liberté, afin de ne pas stigmatiser et être porté à vouloir supprimer ou

enfermer les problèmes.

C'est sans doute dans cette lignée que certains croient plutôt en la genèse de ce genre de

projets, dès lors qu'ils sont spécifiquement dédiés à des personnes en fin de peine. En

opposition à ceux qui soutiennent l'émergence de projets à tout moment de l'incarcération,

certains participants soulignent l'inefficacité de ces démarches, pour des personnes amenées à

réintégrer le milieu carcéral.

Notons d'ailleurs que c'était le cas du projet pré-cité. Il s'agissait bien de préparer et

affronter la sortie de la personne. Et ce projet semble avoir amené, d'après certains, à un

relatif décloisonnement, en permettant davantage de contacts avec les services sociaux et

médicaux de l'établissement en question. A présent, lorsqu'un détenu s'apprête à sa sortie, des

contacts peuvent être établis : un premier, pour permettre l'accroche et l'entame d'un travail

thérapeutique ; et puis d'autres, à l'extérieur, avec les méthodes classiques du secteur

spécialisé, et une prise en charge par les professionnels des différentes démarches sociales et

de santé à accomplir.

La philosophie repose alors sur l'externalisation du problème, et la création d'une

nouvelle histoire au sein de laquelle l'usager devient pleinement acteur. Cette perspective est

presque impossible dès lors que la personne est encore incarcérée, puisque, d'après certains

participants, la prison a tendance à infantiliser les personnes incarcérées, et à ne pas leur

réapprendre à bien gérer leur liberté. Cette philosophie d'intervention ne peut donc s'effectuer

que lorsque la logique carcérale est moins prégnante.

Un exemple est celui de la rechute : alors qu'elle fait partie intégrante du processus, et

qu'elle peut être travaillée en services extérieurs, elle n'est tout simplement pas admise dans

un projet à l'intérieur de la prison.

Divergence : Malgré ces obstacles d'importance, certains participants soulignent la

nécessité de continuer des projets liés aux assuétudes, en établissements carcéraux. Ils

en veulent pour preuve que certains de ces projets recueillent des résultats probants,

suivant certaines expériences étrangères. Il est donc possible de faire de même,

moyennant forcément une adaptation des dits projets aux contextes en Région

Wallonne.

Il s'agit alors de prendre pleinement en compte les attentes des personnes ; de

s'intéresser, non plus à leurs motivations, mais aux déterminants de cette motivation ;

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 151

Page 152: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

de faire pleinement participer les personnes au projet, et ce dès le début ; de se montrer

intransigeants, une fois le cadre général fixé.

Le projet ainsi constitué a alors tout du projet collectif, et il est vrai qu'il est difficile

d'individualiser les soins dans un établissement carcéral, où les marges de liberté sont,

par définition, réduites.

Certains autres participants ne croient dès lors pas qu'il soit réaliste de constituer des

projets de ce genre, durant les longs séjours carcéraux. Un projet pour des personnes

incarcérées ne peut donc réellement fonctionner que si la personne atteint sa fin de

peine, et qu'il est possible d'externaliser le problème, hors de la prison.

Un consensus émerge en tout cas entre les participants, autour de l'importance de

commencer un suivi alors que la personne est encore incarcérée, et d'organiser directement les

développements nécessaires. C'est donc encore durant l'incarcération, que des contacts

doivent être pris pour, par exemple, une entrée en post-cure.

Simplement, les modalités de ce suivi divergent sur quelques points, certains insistant

sur la nécessité de ne pas laisser la personne seule, même une journée, durant l'intervalle entre

l'incarcération et l'entrée en résidentiel.

Plus fondamentalement, une divergence apparaît concernant la possibilité ou non, que

les personnes incarcérées puissent elles-mêmes assumer la prise de contacts avec les

différents services extérieurs. Tous les participants reconnaissent que l'idéal, c'est que les

personnes accomplissent ces démarches. Mais certains dénoncent le manque de moyens

auquel elles se heurtent, comme l'interdiction de téléphoner, ou le fait qu'elles ne sont pas

traitées comme des adultes responsables, dès lors qu'elles ont un cadre à suivre.

D'autres, par contre, dénoncent le fait que les permissions de sortie et les congés sont

notamment voués à ces démarches, mais que les personnes incarcérées en profitent pour faire

d'autres choses.

Divergence : En cas de volonté de la personne de bénéficier d'un traitement à sa sortie,

tous les participants s'accordent pour dire qu'il est nécessaire d'initier les démarches

suffisamment longtemps avant cette sortie.

Par contre, les participants divergent sur les manières à utiliser pour initier ces

démarches : le principal point de divergence est celui de savoir si les personnes sont à

même de gérer ces démarches, ou non.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 152

Page 153: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Il semble en tout cas certain, que ces perspectives doivent bénéficier de davantage de

moyens, notamment humains, avec à l'intérieur des établissements, davantage d'heures pour

des psychologues et des assistants sociaux. Mais ces moyens devraient bel et bien répondre

aux attentes : un psychologue à quart temps, ça ne sert pas à grand-chose...

Ce manque de moyens devrait aussi être comblé au sein des services extérieurs, qui

n'ont que des ressources limitées pour intervenir en prisons.

Convergence : A nouveau, ces perspectives ne peuvent voir le jour, tant que les moyens,

notamment pour les soins, seront trop insuffisants, aussi bien à l'intérieur des

établissements carcéraux, que dans les services extérieurs et intervenant en prisons.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 153

Page 154: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

II. Deuxième problématique :

Les délais d'attente avant de recevoir un traitement de substitution, à l'entrée et à

la sortie de l'établissement carcéral

a) Le récit proposé par un ex-toxicomane, ayant connu un parcours carcéral : « Les

délais d’attente trop longs ».

J'ai été incarcéré à la suite d'une prise de 10 kg d'héroïne pure à la prison de Lantin. Il

n’existait pas de substitution à ce moment-là. Donc, je suis arrivé là, et on m'a donné des

médicaments comme d'habitude : donc, Buscopan, Dominal, et tout ça. Puis j'ai fait ma

préventive, et je suis passé à la maison de peine. A la maison de peine, là, il y avait

distribution de méthadone. J'ai demandé la méthadone, parce que là, j'ai toujours fait en

noir, j'ai toujours fait rentrer ma méthadone, par le biais de mes visiteurs. Ou par des

gardiens, en payant, j'ai toujours eu ce qu'il fallait. Je suis arrivé à la maison de peines, je

suis resté deux semaines sans avoir de ravitaillement, j'ai du attendre encore deux semaines

pour avoir la méthadone, parce qu'il faut savoir qu'il faut une pharmacie, il faut un docteur,

il faut tout prouver, ils doivent prendre des renseignements, ce qui est complètement

compréhensible. Parce que les gens viennent là et disent « oui, je prends 70 mg par jour »,

et en fait, ils en prennent peut-être 30. Le médecin, c'est pas son but, de le tuer. C'est le but

de le soigner, pas de le tuer.

Et je n'en pouvais plus. Je criais mon désarroi, j'ai dit « écoutez, il faut m'aider, il faut

m'aider, je vais déconner ». Je suis sorti au préau, et j'ai acheté une gélule au marché noir,

dans le préau, parce qu'on peut tout trouver en prison. A toute heure de la journée et de la

nuit. Et j'ai acheté une gélule de 110, mais comme j'avais été abstinent pendant la

préventive, et le temps que j'attendais tout ça... Bon, je consommais bien un peu d'héro, mais

ce n'était pas 110 de métha. Ce qu'il s'est passé, c'est que, comme il n’y avait pas de

contrôle, pas de suivi ou test d’urine, rien, quand on m'a donné la première fois la

méthadone, on m'a donné 70. Ce qu'il fait que je suis rentré dans ma cellule, une heure

après, je suis tombé les 4 fers en l’air. J'ai pris la gélule que j'ai été chercher dehors. Donc,

j'ai fait du coma. Ce qui ne serait pas arrivé si on avait pris ma demande en compte, et

qu'on avait pris en compte mon passé. En plus, moi, j'avais l'héroïne pure, c'était pas la

crasse qui court sur la rue, c'était plus fort. Donc, j'étais plus mal en point. Et voilà.

Il y a un mauvais contrôle sur ça. On la distribue à 6 heures et demi du matin. A 6 heures et

demi du matin, c'est vrai qu'on est content de la prendre, la méthadone. Mais si après vous

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 154

Page 155: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

avez une visite, et que vous continuez à prendre de l'héroïne, en cachette, avec votre

substitution, ça fait deux : ça fait héro + substitution. Et ça j'en ai vu beaucoup tomber. Et

ça, c'est un manque, par rapport à la prison, qu'il n'y a pas à X par exemple, parce qu'à X,

on est très bien suivis, par le psychiatre, les infirmières, le médecin, le psychologue.

Franchement, on est très bien suivi : j'ai fait quatre ans là, à la prison de X, et on est très

bien suivis. Là, ça ne peut pas arriver. Comme c’est une maison de peine, ils nous

connaissent, ils voient quand ça ne va pas, et on peut aller voir les professionnels.

b) Les enjeux du récit

L'incidence du parcours carcéral sur les traitements de substitution, se cristallise

forcément lors de l'entrée et de la sortie de la personne, de l'établissement carcéral. Plusieurs

récits proposés se sont penchés sur ces moments cruciaux. Celui étudié a permis d'ébaucher

une analyse sur ce qui se joue à l'entrée et à la sortie de la personne.

c) Convergences et divergences

Avant de mener les analyses propres à cette problématique, certaines clarifications sont

nécessaires.

Tout d'abord, un autre médecin peut toujours venir en prison, pour un de ses patients.

Par contre, c'est le médecin de la prison qui gardera le dernier mot quant à une éventuelle

prescription.

Si l'établissement possède la preuve que le patient recevait un traitement de substitution

avant son incarcération, il peut effectivement recevoir un traitement adapté à ses besoins. A

défaut, un nouveau traitement sera initialisé à 20 mg de méthadone, avec possibilité

d'augmentation selon les nécessités médicales. N'oublions pas que la méthadone peut être

létale, pour une personne non initiée aux opiacés, à une dose rapport de 1 mg/kg. Des

précautions sont donc nécessaires, selon une personne travaillant en prison.

Qui plus est, il faut aussi compter le temps nécessaire pour commander les traitements.

Dans ces conditions, des prescriptions de Subutex et de Suboxone sont possibles : certaines

prisons en ont de stock, et un traitement peut être initié tout de suite, de par les risques moins

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 155

Page 156: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

grands en termes d'overdose. Cela se fait toutefois moyennant un transfert entre les boîtes

nominatives : on retire quelques gélules de l'une, pour en remettre par après.

Le problème, d'après certains participants, est qu'une réelle analyse de la problématique

individuelle n'est jamais effectuée : on se base sur la consommation, et la seule question

rémanente, est celle de savoir si la personne est « toxicomane », ou non. Suivant la réponse,

un traitement standardisé sera, ou ne sera pas, prescrit.

Plus fondamentalement, la problématique liée à l'usage de drogues est souvent isolée,

alors que la personne doit être perçue dans toute sa globalité : l'usage de drogues, ou la

toxicomanie, ne sont que des symptômes parmi d'autres.

D'après ces participants, tous les toxicomanes vivent cela, qu'ils soient incarcérés pour

des faits de trafic ou non. Simplement, la personne toxicomane et dealer sera d'autant plus mal

perçue et stigmatisée. Tout comme à l'extérieur de la prison, un étiquetage et un jugement de

valeur pourront jouer et entrainer le non respect de la personne. Cela pose un réel problème,

d'autant plus lorsque l'infantilisation, le paternalisme, voire la diabolisation qui en découlent,

ont pour conséquence la non obtention d'un suivi sérieux, et la mise en danger du patient.

A l'inverse, d'autres participants aux analyses n'expliquent les dysfonctionnements

relatés dans le récit, que par un certain « manque de chance » : « il est arrivé un mauvais jour,

juste avant le WE et à Noël. Vendredi, samedi et dimanche sont des mauvais jours pour

commencer les traitements ». Dans le même ordre d'idées, il est selon eux logique que le

système carcéral soit rigide : « la rigidité ne me pose pas de problème. C’est le milieu

carcéral, c’est comme ça. Si le médecin prescripteur est malade au moment où on téléphone,

on ne sait rien faire ».

Divergence : Une part des participants s'accorde pour dire que la stigmatisation à

l'égard des usagers de drogues, explique une bonne partie de l'absence de soins que

peut recevoir la personne, au début de son incarcération. Dans cette perspective, ce qui

attire l'attention, c'est l'usage de drogues, et non pas les raisons déterminant cet usage.

Ce faisant, la personne est uniquement identifiée suivant son (ex-)usage de drogues, et

la globalité de sa problématique s'avère être ignorée.

D'autres participants, par contre, acceptent entièrement la rigidité du système, avec

l'éventualité que cette rigidité soit à la base de retards de soins pour la personne, en

manque d'opiacés.

Une divergence émerge donc quant à l'explication donnée à ces retards.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 156

Page 157: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Certains participants à l'analyse en groupe expliquent cette stigmatisation à l'égard des

toxicomanes, par une confusion entre les missions pénale et de soins. La Direction Générale

a, selon eux, une vision arrêtée sur la répression, l'autorité, et le respect strict des règlements,

cette vision étant éloignée de celle de la Direction des Soins.

Cela génère des difficultés, puisque l'agent, détaché au service médical, dépend du

directeur principal. Le secret professionnel auquel il devrait se soumettre, n'est pas forcément

respecté. C'est le cas aussi de certains psychologues, employés à l'intérieur de l'établissement

carcéral, et qui doivent répondre en même temps à des missions de contrôle et d'aide,

missions qui, selon certains participants, sont incompatibles.

Il est donc nécessaire de mener des changements de mentalité aux niveaux supérieurs :

institutionnels et politiques. Et il s'agit de rendre aux soins, leur mission de soins, que ces

derniers soient prodigués par des services extérieurs ou non, moyennant une réelle remise à

niveau des moyens nécessaires.

D'autres participants ne nient pas le fait que ces deux missions sont incompatibles. Par

contre, certains travailleurs en prison soulignent qu'ils peuvent clairement être inscrits dans la

mission de l'aide et du soin, sans aucun rôle de contrôle.

Ils soulignent en outre que c'est d'abord le directeur de la prison qui va déterminer telle

ou telle politique ; les oppositions entre directions ne se répercutent donc pas forcément sur le

terrain, à l'intérieur des institutions.

Enfin, des aménagements à la marge sont toujours possible, mais cela dépend alors de la

bonne volonté du professionnel. Il y a des professionnels qui dépassent parfois les limites du

cadre institutionnel, pour le bien-être de la personne. « Un médecin m’avait donné une gélule

avant que j’entre dans le tribunal. Cela m’avait beaucoup aidé ». Si l’individualisation des

soins est difficile, puisqu'il faut des règles standard pour toute la prison, il est alors heureux,

d'après certains, que des professionnels prennent des décisions hors cadre.

Divergence : S'il y a effectivement stigmatisation, certains l'expliquent par la confusion

entre les logiques pénale d'une part, et de soins d'autre part, avec une prééminence de

la première sur la seconde. Un réel changement de mentalité semble être à mener

auprès des niveaux directif et politique.

Inversement, d'autres participants insistent sur le fait qu'il est bien possible de

n'appartenir qu'à la logique des soins, à l'intérieur même des établissements

carcéraux ; que la réalité de terrain dépend avant tout de chaque direction ; et que des

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 157

Page 158: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

aménagements à la marge sont toujours possibles, si le professionnel est prêt à dépasser

ses cadres d'intervention.

Si donc une analyse approfondie des besoins des personnes en début d'incarcération

semble manquer, d'après certains participants, une explication consensuelle entre tous réside

dans les moyens, trop peu nombreux, dans le système carcéral. Dans les conditions actuelles,

appeler un médecin généraliste à chaque entrant, est tout simplement impossible. De même,

un psychologue à mi-temps ne peut amener grandement à un établissement carcéral...

Convergence : A nouveau, le manque de moyens est invoqué pour expliquer

partiellement les carences de soins à l'arrivée des personnes incarcérées.

C'est d'ailleurs à cause de ce manque d'effectifs, que les gardiens reçoivent des

consignes, pour éventuellement prescrire de premières médications, à l'entrée de la personne.

Mais cette solution est elle-même l'objet d'une divergence, à propos du partage des

responsabilités entre agent carcéral et médecin.

Certains participants, en effet, ne voient pas d'inconvénient à ce que l'agent carcéral

prescrive un traitement standardisé à la personne, à son arrivée en prison, et ce d'autant plus

qu'un contact téléphonique est pris avec le médecin. De même pour ce qui est de la

distribution du traitement pendant l'incarcération. Distribuer les plaquettes préparées par le

pharmacien n'est pas dépasser les compétences de l'agent carcéral, selon eux.

D'autres participants, par contre, insistent sur le fait que l'acte médical ne doit être

prodigué que par un professionnel prescripteur. Il est alors nécessaire qu'un médecin soit en

permanence présent dans l'établissement carcéral.

Cette deuxième position est d'autant plus affirmée, que certains participants récusent

une prise en charge, parfois trop peu compétente, sur les plans psychologique et médical.

Certains témoignent d'erreurs de prescription commises lors de traitements dégressifs.

Qui plus est, les dépassements de cadres, étudiés par ailleurs dans ce rapport, sont

légion. Les mensonges de la part des personnes incarcérées et consommatrices d'opiacés sont

fréquents, puisque, selon une convergence apparue dans le groupe, « le toxicomane a

tendance à mentir sur la dose. Il demande 70 mg, pour avoir 50, pour être sur d’en avoir

suffisamment pour ne pas être malade ». La consommation permet de fuir l’incarcération et

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Page 159: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

les ennuis issus de l’extérieur, comme la copine qui ne vient pas rendre visite. Le traitement

de substitution en prison n’est alors pas forcément une substitution aux opiacés : cela peut être

une manière de fuir, de se suicider ou de tenir.

Certains prônent alors le recours à des professionnels et des actes médicaux, qui

permettraient, selon eux, de contourner et désamorcer ces mensonges : recourir davantage à

des psychologues, mais aussi à des prises de sang, et à des check-up plus complets de la part

de médecins, dès l'arrivée de la personne.

Certains font même appel à des médecins spécialisés en addictologie, tandis que d'autres

voient déjà un réel apport à mieux former les agents carcéraux.

Enfin, un psychologue, consultable très rapidement dès l'entrée, permettrait d'éviter de

nombreux suicides, en analysant l'état des détenus et en prévenant certains risques. Cet

entretien préliminaire aiderait aussi à ce que la personne ne renforce sa toxicomanie en milieu

carcéral.

Notons toutefois que ces perspectives posent la question de la demande et l'égalité de

tous devant les soins : certains participants soulignent que « le toxicomane doit garder le

choix de dire ou non qu’il est toxicomane. Il ne faudrait pas de traitement différencié des

toxicomanes. Les prisonniers sont des personnes en souffrance. Il faudrait que l’aide soit

disponible pour tout le monde, pour celui qui veut ».

Divergence : Le manque criant de moyens semble expliquer que certains professionnels

non médicaux, comme les agents pénitentiaires, doivent prendre en charge des tâches

normalement dévolues à des professionnels médicaux. L'obtention d'un traitement à

l'arrivée de la personne en prison, en est un exemple.

Certains participants ne voient pas d'inconvénients à cette situation, comme à

l'obtention d'un premier traitement standardisé et la distribution des médicaments, par

du personnel carcéral.

D'autres participants, par contre, sont d'avis que ces tâches doivent nécessairement

être dévolues à des professionnels compétents, et ce d'autant plus que les relations

cliniques sont loin d'être aisées (cfr infra). Diverses perspectives ont alors été élaborées,

telles que l'embauche de psychologues, d'assistants sociaux, de médecins,... Ces

perspectives posent toutefois la question de la liberté du patient, de refuser tout

traitement.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 159

Page 160: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Dans le même ordre d'idées, certains prônent la présence de pharmacies au sein même

des établissements carcéraux, afin que ces derniers puissent directement avoir recours aux

stocks.

Mais d'autres participants soulignent justement que c'était le cas auparavant, mais que

cela entraînait diverses dérives. Il est donc apparu plus opportun que ce soit un pharmacien

qui prenne ces missions en charge. En outre, il y a bel et bien des stocks pour le week-end et

pour l'urgence. Le délai pour l'obtention de méthadone ne s'explique que par le temps

nécessaire pour mener les démarches ; de manière générale, selon certains participants, le

temps nécessaire pour recourir aux produits de substitution en établissement carcéral n'est pas

dramatiquement long.

Divergence : La présence de pharmacies au sein même des prisons a aussi été soutenue

comme perspective potentielle par certains participants.

D'autres, par contre, soulignent que cette perspective, déjà appliquée auparavant, ne

semble pas optimale, et que le système actuel fonctionne tout de même relativement

bien.

Pour ce qui est de la période durant l'incarcération, tous les participants s'accordent sur

l'intérêt qu'il y a à forger de plus grands liens avec les services extérieurs, ce qui permettrait

de contourner les limites budgétaires du système carcéral, et d'améliorer l'expertise des

intervenants. Mais il y a un problème d’accès de ces services aux prison : en une demi-

journée, il n’est souvent possible que de voir une ou deux personnes, trois avec de la chance.

Convergence : Tous les participants s'accordent pour dire qu'il est nécessaire d'aller

plus loin dans les liens avec les services extérieurs, ce qui permettrait de contourner les

lacunes en termes de moyens, et ce malgré que ces services aient, présentement, un

accès difficile aux établissements carcéraux.

Si donc l'arrivée doit être, selon certains participants, repensée de manière assez

poussée, c'est aussi le cas pour la sortie. Les participants à l'analyse en groupe s'entendent

pour dire qu'une sortie de prison, doit aussi être préparée : la personne passe, d'un coup, d'une

privation de liberté, au recouvrement de cette liberté. S'il n'y a pas d'accompagnement à ce

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 160

Page 161: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

moment, il y a risque de dérive. Or, d'après les participants, cet accompagnement fait défaut.

Davantage de contacts entre services internes et externes semblent nécessaires.

Convergence : Enfin, tous les participants s'accordent pour dire que ce n'est pas

seulement l'entrée, mais aussi la sortie de l'établissement carcéral, qui doivent être

repensées drastiquement.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 161

Page 162: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

PRECONCLUSIONS

L'incidence du traitement carcéral sur les traitements de substitution s'avère donc bel et

bien fortement prégnant sur le trajet de soins de la personne, et ce qu'il se passe à l'intérieur

de l'établissement carcéral, ne peut être isolé de ce que peut vivre l'usager à l'extérieur.

En cela, l'analyse en groupe, réunissant (ex-)usagers de traitements de substitutions, mais

aussi professionnels du secteur carcéral et de celui de l'aide et du soin, s'est à nouveau

avérée opérante : elle a permis une analyse approfondie, mêlant des personnes vivant

chacune des réalités différentes, complémentaires et constitutives d'une même

problématique.

Nous regrettons néanmoins l'absence – pour des raisons indépendantes de leur volonté – du

second établissement carcéral qui avait été invité à nos échanges : la politique en matière

de traitements de substitution semble largement dépendante des directions respectives des

établissements, selon certains participants aux analyses. Il eût donc été tout à fait pertinent

que les deux établissements carcéraux aient été présents, pour mener des analyses plus

complètes.

A nouveau, l'ambition n'aura pas été de lister, de manière exhaustive, les problématiques

liées à cette incidence du parcours carcéral sur les traitements de substitution, mais d'en

étudier certains traits, en nous basant sur deux récits jugés exemplatifs.

Comme nous le verrons, les perspectives pratiques découlant des analyses auront été, elles

aussi, suffisamment fournies...

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 162

Page 163: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

PERSPECTIVES PRATIQUES ET RECOMMANDATIONS

Soutenir adéquatement chaque perspective pratique

D'après les participants à l'analyse en groupe, il s'agit d'abord que chaque perspective pratique

soit réellement soutenue par les directeurs des établissements carcéraux. Développer certains

projets n'est réaliste que si ces derniers sont suffisamment portés par les personnes-clés.

Ce soutien doit se réaliser sur le long terme : les perspectives pratiques proposées ci-dessous

constituent bien des évolutions d'importance, impliquant parfois d'éventuels changements de

culture. Il s'agit donc de soutenir les développements sur plusieurs années, l'administration

ayant sans doute là un rôle à jouer, en assurant une cohérence tout du long.

Créer une cellule de soins globale et intégrée, à l'intérieur des établissements carcéraux

Les participants à l'analyse en groupe consacrée à l'incidence du parcours carcéral sur les

traitements de substitution, ont décelé des lacunes dans les soins prodigués en prison, et dans

les moyens qui leur sont alloués.

Ils proposent donc de créer des cellules de soins et de santé, basées autant sur des ressources

médicales, que psychologiques et sociales : le but est bel et bien que ces cellules puissent

prodiguer un suivi psycho-médico-social, permettant de prendre en compte la personne dans

sa globalité.

Prendre en compte la personne dans sa globalité revient à ne plus se centrer sur le symptôme

qu'est la toxicomanie, mais sur le bien-être de cette personne. Il s'agit donc bien de cadrer les

soins dans les perspectives d'une promotion de la santé. Cette cellule ne serait d'ailleurs pas

spécialisée en toxicomanie, mais généraliste, et accessible à l'ensemble de la communauté des

détenus.

Cette cellule serait en contact avec les services extérieurs, afin d'assurer les transitions de la

meilleure façon qu'il soit. Par exemple, c'est elle qui prendrait le plus rapidement possible

contact avec le médecin extérieur et assurant un traitement préalable ou postérieur à

l'incarcération, afin d'éviter toute interruption du traitement à l'entrée ou la sortie de prison.

Ces contacts pourraient aussi concerner les pharmaciens, et tout autre professionnel de soins

extérieurs à l'établissement carcéral.

Dans le même ordre d'idées, les permissions de sortie devraient d'ailleurs être multipliées et

utilisées à bon escient, dans le cadre d'une préparation à la sortie.

En même temps, il semble important aux participants à l'analyse en groupe, que cette cellule

dispose bel et bien d'une autonomie à l'égard des services extérieurs. Il ne s'agit pas que ces

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 163

Page 164: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

derniers doivent superviser les soins prodigués en établissement carcéral ; au contraire, il est

nécessaire que ces soins constituent une étape, éventuellement parmi d'autres, dans le

parcours de soins de la personne.

Ces liens avec les services extérieurs permettraient de faire appel à certaines ressources

externes à la prison, spécialisées par exemple dans la prévention et/ou les tests de dépistage de

l'hépatite C.

Idéalement, ces cellules devraient être supervisées par des référents, pour assurer la réelle

collaboration pluridisciplinaire des équipes. Ces référents sont d'autant plus cruciaux, qu'ils

pourraient aider à la mise en place d'une réelle collaboration avec les agents, reposant sur le

secret partagé, ainsi que sur la mise en place de formations et d'actions de sensibilisation.

Des formations et de la sensibilisation pour le personnel carcéral

Des actions de sensibilisation et de formations devraient en effet être organisées à l'intérieur

des établissements carcéraux, pour les membres des cellules de soins, mais aussi pour les

agents pénitentiaires, acteurs essentiels de ces traitements à l'intérieur des prisons. Certains

d'entre ces derniers manifestent de réelles motivations, et un intérêt sincère, à l'égard des

questions de soins. Il existe donc d'intéressantes ressources dont il peut être fait usage.

Ces formations et sensibilisations auraient l'avantage de répondre à la confusion des cadres

judiciaire et socio-sanitaire, en permettant la mise en place d'un véritable secret professionnel

partagé.

Ces formations devraient être centrées sur des approches généralistes et d'accompagnement,

telles que par exemple la systémique, plutôt que sur les symptômes liés à une toxicomanie.

Cela ne veut pas dire que ces formations ne pourraient pas être prodiguées par des services

reconnus comme experts en la matière : le réseau Alto pourrait ainsi assurer ces actions de

sensibilisation ou de formation. Il est simplement nécessaire que ces services assurent cet

aspect généraliste.

C'est enfin au départ de ces formations et sensibilisations, que des projets de santé intégrée

pourraient être développés.

Des projets de santé globale

Les participants aux analyses proposent enfin que des projets de santé globale soient

développés au sein des établissements carcéraux, projets au sein desquels la personne devrait

être pleinement actrice.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 164

Page 165: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Il s'agirait de travailler dans des perspectives communautaires, en se basant sur les réelles

potentialités de chacun, ainsi que sur les attentes et les motivations. Les projets « top-down »

sont rejetés, pour préférer de loin des projets partant de la base, démocratiques, et respectueux

des projets individuels.

Ces perspectives nécessitent dès lors clairement l'apprentissage de méthodologies

particulières de constitution et de gestion de projets. Les séances de formations devraient

permettre cet apprentissage.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 165

Page 166: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

CONCLUSIONS GENERALES

L'objectif de cette recherche aura donc été d'étudier les représentations et les pratiques

liées aux traitements de substitution aux opiacés, en Région Wallonne.

Pour rappel, cette recherche émane de questionnements issus du terrain et relayés à la

Fedito Wallonne. L'existence même de ces questionnements constitue en vérité le

premier enseignement de cette recherche.

On peut en effet s'en étonner, quand on sait que les premiers balbutiements de la

substitution en Wallonie, ont été menés il y a maintenant une bonne vingtaine d'années.

Si la Conférence de Consensus s'est tenue il y a plus de quinze ans (en 1994), et qu'elle a

bel et bien permis à la justice d'accepter les protocoles socio-sanitaires de substitution

aux opiacés, elle n'a semble-t-il pas levé tous les questionnements liés à ces traitements.

Les années ont donc passé... Les questionnements sont restés...

Sans doute ont-ils évolué. Sans doute les modalités des débats sont-elles différentes. Les

traitements de substitution sont quand même, à présent, largement acceptés par le

secteur socio-sanitaire, le monde judiciaire, et, dans une certaine mesure, par la société.

Sur le principe, il est maintenant largement accepté de traiter une personne

dépendante aux opiacés, par des prescriptions de méthadone ou de buprénorphine,

voire par une assistance à la diacétylmorphine.

Par contre, les modalités de ces traitements font encore débats.

Quelle molécule utiliser comme produit de substitution ?

Faut-il viser le sevrage à court ou moyen terme, ou se satisfaire de la réduction des

risques ?

Comment réagir, face à la dépendance aux produits de substitution, ou aux

mésusages ?

Quelle relation construire entre le soignant et le soigné ?

Dans quel cadre d'intervention ?

Comment collaborer entre professionnels concernés par un même patient sous

substitutifs ?

Comment mener un traitement de substitution, lorsque la personne connaît un épisode

carcéral ?

Ce ne sont là que certaines questions posées dans le cadre de cette recherche ; elles sont

loin de constituer une liste exhaustive des controverses liées aux traitements de

substitution...

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 166

Page 167: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

C'est justement cette existence de doutes et de divergences, qui a guidé le choix

méthodologique de l'analyse en groupe (Van Campenhoudt et al., 2005). C'est en effet

en sachant que les controverses à propos des modalités d'usage des traitements de

substitution existaient bel et bien, y compris à l'intérieur même du secteur socio-

sanitaire, que nous avons voulu permettre la tenue de larges débats. C'est à ce moment-

là, que cette recherche a pris un profil d'intervention et d'action, plus engagé que bien

d'autres recherches sur le sujet.

En cela, cette recherche se place, très humblement forcément, dans les préceptes de la

sociologie de Callon et Latourxi. Ces derniers rejettent les « vérités » scientifiques

« extérieures », pour s'intéresser à leur caractère relatif : une vérité scientifique

n'existe que parce qu'il y a accord sur cette « vérité ».

Pour le dire autrement et concrètement, l'intérêt des traitements de substitution ne sera

pas basé sur des vérités scientifiques « extérieures », mais sur des accords autour de

faits précis, permettant de construire certaines vérités, stabilisées pendant un temps,

mais toujours susceptibles d'être remises en question (Gomart, 2004 & 2002).

C'est alors bien par les controverses, ou pour le dire autrement, par les débats, que ces

vérités pourront émerger, un temps, avant d'éventuellement être remises en question.

L'analyse en groupe, qui se base justement sur les convergences et les divergences entre

acteurs, peut constituer, partiellement du moins, une méthodologie pertinente pour

l'objet des assuétudes. Des méthodes de recherche plus ethnographiques auraient

certainement pu convenir, à l'image de ce que prône en premier lieu Latour, à savoir

suivre patiemment les « traces » de ces constructions scientifiques (Latour, 2007) ; ce

programme n'était toutefois pas praticable, dans le cadre d'une recherche

originellement d'un an à peine.

Un premier postulat a alors été posé, en ce qu'il est possible et intéressant d'associer

toutes les personnes concernées par les traitements de substitution, usagers compris,

dans un processus de réflexion, au sein duquel la parole de chacun équivaut à celle de

tout autre. L'idée est que, ce faisant, il est possible de dégager des « vérités » répondant

aux controverses existantes autour des traitements de substitution.

Sachant que les points de vue concernant les traitements de substitution sont incertains,

il est en effet nécessaire de mettre en place de nouveaux dispositifs permettant de

résoudre cette incertitude, autour de notions « construites comme certaines ». L'agir

dans un monde incertain, de Callon, est à cet égard exemplatif de ce nouveau

paradigme sociologique, nettement plus engagé qu'auparavant.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 167

Page 168: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Le postulat selon lequel il est possible d'associer toutes les personnes concernées par ces

traitements, pour en éclaircir certaines problématiques, a été rencontré. Les

participants ont pleinement adhéré à la proposition de mettre leurs points de vue en

débats et en discussion, avec d'autres personnes concernées par les traitements de

substitution, que ces autres personnes soient ou non des professionnels. Et dans leur

grande majorité, les participants aux analyses ont souligné la richesse de cette

association, pas franchement commune jusqu'à présent, dans la recherche liée aux

assuétudes.

Un deuxième enseignement réside dès lors dans le fait qu'il est possible de mener

analyses et réflexions, en associant pleinement professionnels, tels que médecins

généralistes, psychiatres, psychologues, pharmaciens, assistants sociaux, éducateurs,...

et (ex-)usagers de substitutifs. Ici, cela a été le cas grâce, notamment, à la procédure

exigeante (et parfois frustrante...) de la méthode d'analyse en groupe.

Il ne s'agit pas seulement d'un enseignement méthodologique. Comprenons bien que le

profil engagé de cette recherche-intervention, et l'association de professionnels et

d('ex-)usagers mis sur le même pied d'égalité, constituait un défi à de nombreux égards,

non seulement pour le chercheur, mais aussi pour les associations invitées. Certaines

d'entre elles ont préféré décliner cette invitation, souvent pour des raisons pratiques,

mais parfois aussi parce que la méthodologie semblait encore expérimentale, dans le

secteur des assuétudes.

Néanmoins, nous pouvons l'affirmer à présent : la tenue d'analyses et de réflexions,

associant professionnels et usagers de soins, est possible aussi, au sein du secteur des

assuétudes, tout comme elle s'est avérée pertinente dans les domaines de la santé

mentale, de la précarité, du sans-abrisme, et d'autres figures de l'exclusion sociale.

La tenue de ce genre d'analyses en groupe sera d'autant plus pertinente, que le sujet

étudié 1) impliquera de nombreuses figures différentes (ex : médecin, pharmacien,

usager, psychologue,...), et 2) sera sujet à controverses, notamment entre ces figures.

C'est le cas des traitements de substitution aux opiacés.

Revenons alors à eux, à présent.

Les traitements de substitution semblent donc, en même temps, largement acceptés sur

leur principe, et largement discutés sur leurs modalités d'usages. On voit notamment

que l'existence de cadres permettant la substitution aux opiacés, n'implique pas

forcément la mise en pratique de cette substitution, ou alors une mise en pratique

hétérogène et fluctuante.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 168

Page 169: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Si les traitements de substitution restent largement prescrits, c'est bien parce que,

malgré les controverses à propos de leurs modalités d'usages, les professionnels et

usagers arrivent à « s'y retrouver ».

Pour le dire autrement, l'incertitude semble intrinsèque à la manière d'utiliser les

traitements de substitution : il n'y a pas de règle stricte, qui puisse valoir.

Et pourtant, professionnels et usagers arrivent « quand même » à trouver des points

d'accords. Ils limitent le degré d'incertitude, et des convergences émergent.

Ainsi donc, si les traitements de substitution sont indubitablement sujets à

controverses, ils sont aussi sujets à consensus, ce consensus se construisant en grande

partie, dans le contexte toujours particulier, toujours singulier, de la relation soignant-

soigné.

C'est le troisième enseignement de cette recherche-intervention : si les traitements de

substitution font maintenant partie intégrante de l'horizon des soins autour des

questions de toxico-dépendance, et ce malgré les controverses liées aux modalités de

substitution, c'est qu'entre soignants et soignés, ces controverses peuvent être

dépassées.

Le vecteur le plus efficient pour réduire ces controverses pourrait donc être cette

relation soignant-soigné. Cela paraîtra trivial aux yeux de certains, mais dans les faits,

il est fondamental de le souligner. Il n'est pas rare que les arrêtés royaux aient été taxés

d'un écart trop important avec la réalité de terrain. Il n'est pas rare que nous assistions

à des volontés de davantage de régulations. Il n'est pas rare que le cadre strict soit

perçu comme la solution première, à la résolution de ces controverses.

Ce que nous apprend cette recherche-intervention, c'est que standardiser exagérément

les traitements, c'est les faire s'éloigner de la pratique du terrain, et des besoins

extrêmement divers des patients.

Ce n'est pas que toute standardisation soit bonne à jeter. C'est simplement qu'il est

apparemment nécessaire d'être très prudent, lorsque émergent des volontés de cadrer

davantage les traitements de substitution. A chacun de ces moments, il s'agit bien de

retrouver l'équilibre difficile entre standardisation et singularisation des suivis.

Le postulat fondamental de cette recherche est néanmoins que c'est à partir de la

pratique de terrain, que peuvent être ébauchées les réponses les plus efficientes aux

controverses liées à la substitution. C'est ainsi que les perspectives pratiques sont avant

tout issues de ce que les professionnels et usagers de soins ont ébauché, ensemble, dans

le cadre de ces analyses en groupe.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 169

Page 170: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Alors, parlons de ces perspectives pratiques... Ces perspectives pratiques n'auront levé

qu'une partie des incertitudes. A aucun moment, nous n'avons imaginé possible de

recenser l'ensemble des questionnements ressentis sur le terrain. Nous avons

simplement chercher à en recenser certains, et à étudier ceux qui semblaient les plus

cruciaux, aux yeux des professionnels et (ex-)usagers. L'essentiel, à ce stade, est donc de

ne pas se focaliser sur ce qui reste incertain, mais de nous concentrer sur les processus

proposés pour réduire certains points incertains.

L'un d'entre ces processus semble passer par la responsabilisation de chacun des

acteurs du champ des traitements de substitution aux opiacés.

Responsabilisation de l'usager, tout d'abord, cette responsabilisation ne pouvant

toutefois être complète que si ce dernier bénéficie d'un accès élargi à l'information,

comme par exemple le fait d'être prévenu du pouvoir addictif de la méthadone.

Certains d'entre les participants n'auraient pas entamé de traitement à cette molécule,

s'ils avaient su...

Responsabilisation du professionnel de soins, ensuite, auquel il est demandé de ne pas

se cantonner à son cadre strict de travail. Les traitements de substitution nécessitant

très souvent de la collaboration entre professionnels, il est demandé à ces derniers de

sortir de leurs cadres d'intervention, d'aller chercher ou de transmettre l'information,

et de travailler en réseau.

En soi, on notera que ce n'est pas du tout l'apanage des traitements de substitution, de

nécessiter éventuellement de fortes collaborations : bon nombre de traitements

médicaux exigent orientations, accompagnements à plusieurs, et concertations.

Mais tout comme pour d'autres traitements, ce sera particulièrement au moment de ces

collaborations, que les divergences autour de la substitution pourront jouer

négativement...

La question cruciale devient alors celle de savoir : « quels sont les outils permettant de

dépasser, dans la relation de soins, les divergences entre les différentes figures

impliquées ? » A cet égard, cette recherche a donné quelques perspectives pratiques.

Comment cela a-t-il été possible ? Il est intéressant d'écrire rapidement quelques mots

à ce propos.

Prenons par exemple l'opposition entre, d'une part, l'usage et la dépendance aux

opiacés comme constitutifs d'une maladie, et d'autre part, cet usage et cette

dépendance comme constitutifs, tout au plus, d'un symptôme d'une éventuelle

problématique plus intrinsèque et plus profonde à l'individu, les opiacés jouant alors

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 170

Page 171: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

une fonction adjuvante, voire potentialisante pour la personne.

Ce n'est pas un nouveau dilemme ; dans le secteur, on pourrait dire qu'il existe depuis

la nuit des temps.

Ce qui est intéressant de noter, c'est qu'il s'est manifesté aux débuts des débats, lors des

analyses, pour après disparaître, lors de l'ébauche des perspectives pratiques.

Ainsi, les analyses ont laissé émerger la divergence entre abstinentiel et objectif de

stabilisation et de réduction des risques, cette divergence étant à rapprocher de la

notion que chacun avait de l'usage et de la dépendance aux opiacés, perçus comme

maladie ou comme symptôme.

Mais dans le cadre des perspectives pratiques, aucun retour à l'objectif abstinentiel n'a

été revendiqué, par quelque participant que ce soit...

Que peut-on en conclure ? Que la rencontre et l'échange entre des figures diversement

impliqués dans les traitements de substitution, ont aidé à l'évolution des perceptions, et

sans doute des pratiques, autour de ces traitements. En cela, cette recherche a tout à

fait rencontré ses objectifs d'action et d'intervention.

Concrètement, il semble que les participants ont acté le fait que les traitements de

substitution peuvent évoluer d'objectifs de réduction des risques, à des visées

davantage abstinentielles.

Ce faisant, les participants ont acté, définitivement, l'horizon foncièrement incertain de

ces traitements.

La question est alors de savoir quels outils permettraient aux professionnels d'évoluer

dans cette incertitude, à présent acceptée. Et c'est ici, comme nous l'écrivions, que les

perspectives pratiques peuvent être d'un intéressant apport.

Inutile de les reprendre ici de manière exhaustive : le lecteur aura le loisir de les

trouver dans les pages précédentes.

Penchons-nous simplement sur certaines d'entre elles, à savoir la demande de

bénéficier de davantage de bénéfices de formations, d'accompagnements, et de

concertations. A nouveau, ces demandes s'expliquent par l'horizon incertain des

traitements de substitution, et le fait que professionnels et usagers sont forcés à évoluer

dans cet univers incertain. Formations, accompagnements, et concertations, leur

permettront de trouver des points de repères et des réponses, au cas par cas, dans le

singulier de chaque relation clinique.

Dialogues et partages de savoirs entre professionnels, et entre professionnels et usagers,

seront d'autres modalités de perspectives pratiques.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 171

Page 172: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

LIMITES DE LA RECHERCHE-INTERVENTION

Cette recherche-intervention aurait pu se terminer sur les pages de conclusions…

Néanmoins, en soi, il semble opportun que certains enseignements soient tirés, non

seulement de certains traits marquants de cette recherche, mais aussi d'éléments

pouvant briller par leur absence…

Il faudra en effet bien s'interroger sur le caractère novateur, ou non, des perspectives

pratiques telles qu'élaborées au sein des groupes. A dire vrai, un postulat ayant

déterminé le choix de la méthode d’analyse en groupe, était qu’un dispositif de

recherche novateur pouvait faire émerger des résultats novateurs.

Concrètement, une méthodologie associant aussi intensément professionnels et

(ex-)usagers de drogues, dans des groupes de réflexion quant aux problématiques liées

aux traitements de substitution, aurait pu amener des réponses innovantes.

Or, arrive-t-on à des perspectives pratiques novatrices ? La réponse sera plutôt

négative.

En soi, celles concernant davantage de formations, d’accompagnements et de

concertations sont déjà régulièrement défendues par le secteur.

De même, les perspectives centrées sur l’acceptation de la flexibilité des soins

s’inscrivent pleinement dans une philosophie déjà fortement prégnante dans les têtes

des professionnels en assuétudes : si cette flexibilité n'est pas toujours pleinement

acceptée par tous et en tous lieux, en même temps, il n’émerge pas de larges demandes

en faveur d'une standardisation aboutie des traitements de substitution.

Enfin, l’accès à de nouvelles molécules de substitution et de nouveaux modes

d’administration, soit, est présent concrètement comme pour l’accès à la

diacétylmorphine au sein du projet TADAM, soit, a déjà été étudié comme pour l’accès

au Fentanyl, au mode d’administration par patchs, ou encore des gélules de couleur

selon leur dosage.

Force est donc de penser que les perspectives pratiques proposées par les participants

n'amènent que peu d'éléments réellement novateurs.

Faut-il s’en désoler ? Sans doute pas !

Au contraire, les perspectives ici présentées renforcent une large part des politiques

menées actuellement au niveau wallon, et telles qu'illustrées par exemple dans le

dernier décret assuétudes.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 172

Page 173: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

On pourra dire que ce n’est là que logique, puisque ce décret et ses arrêtés

d’application n’ont été promulgués et publiés qu’après une large période de

concertation avec le secteur spécialisé Mais il n’en reste pas moins qu’ici, ce sont des

intervenants de terrain et des (ex-)usagers de drogues qui se sont exprimés, et ce dans le

sens des politiques actuelles. En clair, les réponses imaginées aux problématiques

identifiées et analysées au sein des groupes, correspondent largement aux réponses que

le politique promeut actuellement.

En cela, cette recherche-intervention est peut-être illustratrice du consensus semblant

prévaloir, pour le moment, entre secteur socio-sanitaire, politique et administration. Cet

aspect est d’autant plus remarquable lorsqu’on se remémore les confrontations parfois

fortement marquées du passé. Si les perspectives pratiques de cette recherche-

intervention s’inscrivent largement dans les politiques actuellement développées, c’est

bien parce que la recherche en elle-même s’est inscrite dans l’ère du temps.

Et pourtant, il reste un côté étrange à tout cela. Si donc nous pouvons nous réjouir du

consensus actuel, et de son illustration au sein de cette recherche-intervention, d’un

autre côté, on aurait pu penser que davantage allait être dégagé, dans ce rapport…

Comment se fait-il que ces perspectives n’ont pas été d’une autre nature, dès lors

qu’elles associaient des personnes dont la consultation est assez peu systématique, en

l’occurrence dans le cas des (ex-)usagers de drogues, mais aussi des professionnels de

terrain (et non pas des responsables), ou émanant de secteurs connexes, comme les

maisons d’accueil ?

Comment se fait-il qu’une autre parole n’ait pas émergé ?

Une hypothèse pourrait être formulée...

Il était demandé aux participants de construire les perspectives pratiques, de manière

consensuelle : « vu les convergences et les divergences existant au stade des analyses,

comment était-il possible de maximiser les premières, et de minimiser les secondes ?

Comment pouvait-on maximiser les points d'accords et de consensus ? »

C'est peut-être justement la recherche trop affirmée de ce consensus, qui a limité

l'émergence de perspectives pratiques, à des recommandations souvent déjà

communément admises.

Pour le dire autrement, en cherchant à ce que les groupes, d’une seule voix

consensuelle, imaginent des réponses aux convergences et aux divergences qu’ils

avaient identifiées en leur sein, on a pu, en fait, tomber dans des consensus faciles.

Il semble en fait que, si la méthode d’analyse en groupe a fait émerger d’intéressants

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 173

Page 174: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

développements, comme la pleine participation d’(ex-)usagers de drogues et de

professionnels associés dans des groupes mixtes, du point de vue de l’émergence de

perspectives pratiques, elle n’a été que peu pertinente. A dire vrai, c’est d’ailleurs sur

ce point des perspectives pratiques, que les promoteurs de l’analyse en groupe pensent

devoir amener le plus souvent davantage de contenu et de méthode.

Insistons toutefois sur un point : l’insatisfaction ne doit pas être complète. En soi,

recueillir des perspectives avalisant largement les politiques menées actuellement, cela

constitue déjà un point très positif. Simplement, on peut penser que favoriser, non pas

le consensus, mais bien le disensus, aurait peut-être permis l'émergence de perspectives

davantage novatrices. Si d'une part, nous pouvons nous réjouir du consensus semblant

prévaloir dans et autour de notre secteur, n’aurions-nous pas dû prêter davantage

attention à une éventuelle part disensuelle ?

C'est un point important à souligner, car cela pourrait renvoyer directement à l'état

des débats concernant le secteur des assuétudes.

Ces dernières années, la seule avancée majeure semble consister en un traitement

assisté à la diacétylmorphine, dans le cadre d'un projet-pilote. Il faut se réjouir de cette

avancée, concrétisée après de nombreuses années de lobbying en ce sens. Mais doit-on

nous en satisfaire ?

Rappelons-nous par exemple les avancées de la réduction des risques, dans les années

80 et 90, au niveau belge et européen. Et posons-nous la question : où en sommes-nous

à présent ?

Hé bien, on pourrait dire que 1) le programme « réduction des risques » a été appliqué

de manière plus avancée dans certains pays, que dans d'autres, mais que 2) ce

programme ne semble plus connaître d’avancées particulièrement fortes.

En Hollande et en Suisse, souvent reconnus comme pionniers de la réduction des

risques, force est de reconnaître que les dernières innovations datent maintenant de

plus d'une dizaine d'années.

En Belgique, le testing occupe une place encore précaire, et les shooting rooms ne sont

pas inscrites à l’agenda. On pourra toujours souligner la mise en place du Traitement

Assisté à la DiAcétylMorphine (TADAM), mais combien de temps a-t-il fallu pour que

ce développement se concrétise ? Et plus largement, au-delà de cette nouvelle molécule,

quelles seront les avancées permises par ce nouveau projet ? Pourrait-on croire en une

décrispation et une relativisation des craintes et des stigmates à l'égard des usagers de

drogues ? Alors que son existence a été conditionnée à la proximité directe d'un

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 174

Page 175: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

commissariat de police, ne devrions-nous pas croire que ce sont avant tout des logiques

gestionnaires et sécuritaires, qui ont joué en faveur de sa constitution ?

En France, une large campagne en faveur des shooting rooms est menée depuis

plusieurs mois par des associations de militance, et a été récemment confortée par des

rapports de recherche d’instituts nationaux, comme l’INSERM. La sortie de certains

hommes politiques comme le Premier Ministre Mr Fillon, a clairement marqué une

opposition à ce projet, pourtant porté par sa Ministre de la Santé Mme Bachelot. Il

existe donc en France, à l’heure d’écrire ces lignes, un disensus fort autour des salles de

consommation. Doit-on le regretter ? Peut-être pas complètement, dès lors que ce

disensus entraîne un réel débat sur ces salles de consommation, et, peut-on l’espérer,

sur la place des drogues et des usagers au sein de notre société.

Cela n'a peut-être pas grand-chose à voir avec les traitements de substitution. Mais cela

a tout fait à voir avec cette recherche-intervention, qui s'est ramenée à constituer un

état des lieux, non seulement des perceptions et des pratiques autour de ces traitements,

mais aussi des perspectives pratiques et des débats d'idées existant au sein de notre

secteur.

Et ces perspectives, force est de considérer qu’elles ont avant tout eu trait à des aspects

gestionnaires. Nous aurions par exemple pu davantage étudier les frontières entre

médicaments et drogues, apparaissant d'autant plus poreuses avec les traitements de

substitution. Rappelons-nous de ce témoignage d’un usager de méthadone, coincé dans

la tension entre d’une part ses proches, lui demandant d’arrêter de recourir à ce

traitement, et son médecin, lui conseillant de continuer son traitement sur le long

terme, voire à vie. Cela n’a rien de nouveau, mais curieusement, alors que nous aurions

pu discuter de la place des drogues dans notre société hyper-médicalisée, nous nous

sommes limités à des solutions avant tout gestionnaires.

Ici encore, la méthode pourrait être mise en cause, puisqu’il s’agissait de développer

des perspectives pratiques. Les analyses, elles, ont donné lieu à davantage de débats de

valeurs. Les principes d'abstinence et d'autonomie y ont été débattus, à certains

endroits ; le désir a été exprimé ici et là d’une société ne stigmatisant plus ses usagers

de drogues ; mais la concrétisation de ces visions de société n’a pas suivi.

Parfois même, certaines perspectives pratiques ne se sont pas construites sur de larges

débats autour de visions de société. C’est par exemple le cas de la responsabilisation et

du partage de responsabilités, au sein de la relation entre l’usager et le professionnel de

soins. Lors des analyses, ces aspects ont pu être abordés, et des convergences et

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 175

Page 176: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

divergences ont bel et bien été exprimées. Certains participants ont par exemple donné

un rôle de Père normatif aux professionnels de soins, alors que d’autres ont souligné

plutôt un rôle empathique, voire de partenaire dans la recherche du bien-être de la

personne.

Qui sait ? Cela aurait pu être la base de nouvelles déclinaisons, dans le débat sur la

place qu’occupe ou que devrait occuper l’usager dans la relation de soins, et plus

généralement dans le débat sur la citoyenneté de l’usager de drogues et les relations de

soins démocratiques. N'aurions-nous pas dû étudier davantage la pertinence des

notions de « responsabilisation » et de « cadre d’intervention » ? Sachant que le cadre

d’intervention a été largement étudié dans les analyses, mais sans que ses

fondamentaux n’aient jamais été définis, n’aurions-nous pas dû nous attarder sur ces

derniers ?

Cela n’a pas été fait, puisque nous nous sommes directement impliqués dans la genèse

de perspectives pratiques, outrepassant les perspectives idéologiques.

Là aussi, la méthode d’analyse en groupe s’est peut-être révélée trop pauvre.

Prenons l’exemple de la tension que peut vivre le professionnel, lors de demandes de

dépannages : coincé entre la volonté de réduire la souffrance de la personne, et celle de

ne pas quitter le cadre prédéfini du traitement, accepter ou refuser le dépannage peut

être chaque fois source d’hésitations, voire de méfiance, et de malentendus.

Cela renvoie à une question plus générale, centrée sur le traitement et l’accrochage

social de la personne. Comment les penser, lorsque la personne se trouve dans un

« entre-deux » ? Pas complètement désinsérée, mais pas complètement insérée non

plus. Pas complètement stabilisée, mais pas complètement déstabilisée non plus. Pas

complètement dans le cadre du traitement, mais pas complètement hors du cadre non

plus.

A cela, nous avons répondu par davantage de concertation et d'accompagnement des

professionnels, outils permettant au prescripteur de ne pas être seul à prendre cette

délicate décision.

Nous avons donc répondu par de la gestion du risque : quel est le risque encouru par le

médecin s'il refuse ou s'il accepte la demande de la personne ? Cette réponse est en soi

typique de notre société telle que perçue notamment par Ulrich Beck, toute entière

tournée vers la réduction des risques qui la caractérise.

Mais ce faisant, avons-nous répondu à la question antérieure à cette tension ?

Bref, le fait que les perspectives pratiques émanant de cette recherche-intervention

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 176

Page 177: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

n'aient pas entraîné d'innovations flagrantes, peut trouver deux explications.

D'abord, si les procédures d'analyse de la méthode d'analyse en groupe sont clairement

étayées, elles le sont moins en ce qui concerne le chapitre des perspectives. On court

alors le risque de nous détourner de perspectives sociétales, pour des perspectives

manageriales. Et sachant que les groupes constitués sont par définition potentiellement

disensuels, les consensus manageriaux peuvent alors être relativement faibles.

Ensuite, si ce premier constat est vrai, il faut alors le mettre en lien avec le contexte

sociétal lui-même, notamment concernant les perceptions à l'égard de l'usage des

drogues. Car force est de reconnaître que dans notre société de gestion des risques, ce

ne sont plus forcément des projets de société qui entraînent d'importants

développements, mais plutôt la conjonction d'alliés stratégiques, dans le sens d’une

gestion des risques.

Où en est alors, le projet de société ?...

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 177

Page 178: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

REACTIONS DES PARTICIPANTS A LA LECTURE DE CE RAPPORT

Il a été proposé aux différents participants à cette recherche-intervention, de réagir à la

lecture du présent rapport. Au-delà de retours par mails, une réunion par groupe a été

programmée, lors desquels diverses réactions ont pu être recueillies, aussi bien

concernant le rapport, que la recherche-intervention elle -même. Ces réactions sont

présentées ci-dessous, de manière transversale aux différents groupes.

De la structure du rapport

Certains participants pensaient que la retranscription allait être plus proche des débats, tels

qu'ils se sont tenus. Mais cette façon de présenter les choses, a en fait permis de retraduire et

de remettre en mots ces débats, sans pour autant trahir les idées émises : la synthèse et la

transversalité des débats apportent une autre plus-value.

A ce propos, plusieurs soulignent l'importance du travail qui a été mené.

Les récits, quoi qu'il en soit, semblent bien résumer les cas auxquels se confrontent les

intervenants : les parcours de vie semblent bien reflétés par ces situations. Il est néanmoins

noté que certains des récits publiés, l'ont été lors de leur présentation au moment de l'analyse.

Or, dans l'un ou l'autre cas, la présentation était davantage détaillée, au moment du choix des

récits. Il aurait donc été plus opportun les premières versions des récits analysés.

Il était utile de présenter largement la méthodologie, afin que les participants comprennent

davantage encore ce dans quoi ils étaient. A la question de savoir si des informations avaient

manqué au début du processus, ils répondent néanmoins qu'elles étaient suffisantes;

simplement, elles sont présentées avec plus de détails, au sein du rapport.

Ce rapport gagnerait à être moins dense et épais. Il y a des redondances, notamment avec les

cadres en gras, et les graphes, et ce d'autant plus que les pré-conclusions précèdent des

conclusions générales...

D’autres pensent justement que ces redondances facilitent la compréhension. Certains notent

aussi un certain plaisir à la lecture de ce rapport, riche et intéressant. Il existe une vraie ligne

rouge, avec les différents récits. Les résumés en encadrés s'avèrent intéressants, puisqu'ils

permettent à chaque fois de recomprendre le sens du texte.

Certains participants ont été surpris de voir que des projets étrangers étaient présentés au sein

des perspectives pratiques et des recommandations, celles-ci ne devant se baser que sur les

analyses en groupe. D'après certains, une distinction plus grande entre les deux aurait été

plus effective.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 178

Page 179: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

De la méthodologie

L'approche sociologique paraît tout d'abord, aux yeux de certains participants, tout à fait

intéressante, et ce d’autant plus qu'elle apporte un regard complémentaire aux approches

cliniques.

On notera toutefois que d'après un participant, si des perspectives sont mises en lumière,

elles constituent avant tout une somme d'avis, dont les conclusions sont moins faciles à

défendre que celles d'une enquête statistique. Il est donc opportun de lire des études

quantitatives, en lien avec celle-ci.

Le cadre méthodologique de cette recherche, à savoir celui de l'analyse en groupe, a pu se

montrer favorisant à certains égards, et limitant à d'autres, notamment dans l'échange des

savoirs et l'exploration plus large des thèmes abordés.

D'autres participants pensent justement que ce temps limité des interventions n'a jamais été

frustrant, ni perturbant. Il a même permis une bonne structuration des débats, d'autant plus

nécessaire que les problématiques s'avéraient larges.

Les résumés et contextualisations lors de l'analyse ont été ressentis comme suffisamment

« soft », et même comme apportant une plus-value dans les débats.

Certains participants ont regretté qu'il n'y ait pas une représentation à égalité, au sein des

groupes, entre les professionnels et les usagers. Si les (ex-)usagers ont généralement

participé pleinement aux réunions, certains ont identifié un déséquilibre en défaveur des

usagers, auxquels on voulait donner une place dans le dispositif. A l'avenir donc, il serait

intéressant, d'après ces participants, que les groupes comptent autant de professionnels que

d'usagers.

Néanmoins, la richesse de la méthodologie d’intervention a été soulignée à plusieurs

reprises, notamment parce qu'elle mettait chaque personne dans une place d’expertise, y

compris les (ex-)usagers de traitements. Cela a permis de changer les positions, et d'induire

des changements dans leur manière d’être par la suite, avec un professionnel ne se mettant

pas dans une position toute puissante. Cette relation usagers professionnels est une

thématique centrale à l’analyse en groupe, et elle transparaît bien dans le rapport.

Certains professionnels émanaient d'institutions fortement différentes. Pourtant, il est apparu

qu'ils ressentaient des difficultés similaires. Tous semblaient dans les mêmes

questionnements, les mêmes recherches, et les mêmes frustrations. C'est rassurant, dans la

pratique de tous les jours! L'analyse en groupe a donc permis l’interconnaissance, d'autant

plus intéressante pour les institutions appelées à travailler en réseau. Cela leur a permis de

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 179

Page 180: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

réfléchir, de mieux connaître les autres, de comprendre leur réalité, sans pour autant

forcément changer son fusil d’épaule.

Notons en outre que des usagers participants ont, d'après certains professionnels, connu

depuis ces analyses des parcours vers davantage de stabilisation. Ces analyses en groupe ont

donc pu avoir des incidences cliniques, en l'occurrence positives dans ces cas-ci. C'est un

point important à souligner, puisque certaines institutions ont préféré ne pas prendre part à la

démarche, de par les interactions possibles entre recherche et clinique. Certains intervenants

soulignant ces incidences positives, même après un an, se demandent toutefois combien de

temps elles feront encore « effets ».

De manière générale, les (ex-)usagers de traitements de substitution ont, semble-t-il, trouvés

beaucoup de satisfaction à la participation à cette recherche, notamment parce que, pour une

fois, disent-ils, il ne se sentaient pas jugés. C'était la première fois, d'après certains, qu’on

leur donnait la parole.

Du contenu du rapport

Un médecin a noté que, concernant la non demande de contrôle de la double prescription,

elle se base aussi sur le fait que certains dispositifs ont été expérimentés auparavant. Ce n'est

vu les avortements qu'ils ont subi, que le contrôle de la double prescription n'est plus

revendiqué.

Un autre a témoigné qu'il était demandeur de contrôle de double prescription, et que ce

contrôle puisse se faire plus facilement que maintenant, c’est-à-dire dès que le contrat

d'intervention a été envoyé.

A cet égard, la commission de la vie privée pose des problèmes, en termes de santé publique,

car d'après certains participants, elle empêche le transfert d’informations, même

anonymisées. Parfois, des mutuelles ne peuvent pas donner l’information, que le pharmacien

recherche au bénéfice du patient.

D'autres participants ont souligné que la méthadone est loin d'être le seul « pill killer », et

qu'il est logique d'avoir une certaine peur des mésusages liés au Fentanyl. Quant à la

buprénorphine, son usage est en fait difficile : comment faire le passage entre 8 et 4 mg ?

Une demande a été faite, pour qu'elle puisse aussi être préparée en magistral.

On note d'ailleurs le contrôle important, imposé aux pharmaciens pour la préparation

magistrale de la méthadone. Quant aux prescriptions, elles sont faites en toutes lettres, pour

tous les produits stupéfiants.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 180

Page 181: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Certains regrettent que la diacétylmorphine n'ait pas été redéfinie, dans les perspectives

pratiques. D'autres que l'on parle de dépendance à la méthadone : on devrait plutôt parler de

la dépendance aux opiacés, physiologique et d'ailleurs à vie, puisqu'un (ex-)usager peut

redevenir dépendant très facilement. Il est donc illusoire de redevenir indépendant, de ne

plus du tout avoir de dépendance. Et c’est ça qui est le plus dur à accepter.

A ce propos, il est utile d'insister sur le fait que, si certains pensent que la dépendance induit

la souffrance, d’autres pensent exactement le contraire. Il y a de la souffrance à se sentir

dépendant, mais c’est souvent la souffrance qui entraîne la consommation de produits

psychoactifs.

A ce propos, il est demandé de rajouter que le plus souvent, les patients n’ont pas la

méthadone comme problème principal. Ils ont souvent d’autres chats à fouetter, tels que

logement, revenus, invalidité, psychiatrie, etc.

Une correction est amenée par un médecin, selon lequel les compagnes et compagnons, en

règle générale, acceptent maintenant bien le traitement de substitution de l’usager. Une autre

chose est la famille, et la société... Mais à partir du moment où les proches se rendent compte

que l’usager vit bien avec son traitement, ils y voient la plus-value. Les mentalités évoluent,

même si on a toujours envie que ça évolue plus vite et plus largement.

Concernant la conduite de machines, la méthadone peut induire une certaine sédation, à

partir d’une certaine dose. Dès lors, certains professionnels conseillent à la personne de

prendre le traitement en soirée, avant d'aller dormir. Quoi qu'il en soit, d'après un médecin,

les tests pratiqués actuellement après accident, ne permettent pas de déceler la méthadone,

puisqu'il ne s'agit pas d'un opiacé. Des cas de poursuite par des agences d'assurance, n'ont

jamais été entendus, quel que soit le médicament concerné.

Au-delà de ces premiers commentaires, les réunions avec les participants ont aussi été

l'occasion de discussions autour de certains thèmes repris dans le rapport. Des réflexions ont

été approfondies, avec d'éventuels requestionnements quant à la pratique clinique appliquée

au quotidien. En cela, on peut croire que cette recherche a réellement pris un profil

d'intervention.

On en voudra pour preuve le fait que certains participants, à la lecture du rapport et des

discussions menées dans d'autres régions que les leurs, ont réexaminé leur pratique de tous

les jours. On prendra l'exemple d'une réflexion menée autour de la volonté de certains

participants, peut-être exagérée selon eux-mêmes, de vouloir « trop diriger les gens, en étant

trop dans la thérapie, et en faisant des étapes de traitement. En fait, chacun est individuel, on

doit plus tenir compte de la différence entre les gens et les modes de vie. On ne doit pas

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 181

Page 182: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

forcément viser l’abstinence. »

A la lecture donc de ce rapport, certains intervenants ont donc remis en question leur volonté

de structurer les interventions, et de donner des directives trop importantes. Si l'obligation

d'abstinence n'est pas présente, les conseils en sa faveur, éventuellement par trop poussés,

peuvent mener à une visée trop thérapeutique.

Ce constat a été partagé, par d’autres participants à la recherche. Il a toutefois été souligné

qu'il y a autant de besoins que de personnes différentes. Il existe dès lors un besoin de

centres structurés et structurant, afin d'assurer une diversité dans l’offre.

Certains participants ont voulu se pencher à nouveau sur le thème du « manque de Pères ».

Si parler du manque de pères est de l'ordre du pensable, en même temps, il est des situations

d'urgence sociale pour lesquelles la première réponse n'est pas de l'ordre de l'intra-subjectif.

Il a par exemple été fait référence à des squatteurs, vivant dans un garage, et ne dormant pas

de la nuit à cause de l'insécurité et du caractère hors-la-loi de certains de ces endroits.

Il existe donc un certain « agacement », portant sur une lecture des choses psychanalytique,

alors que les questions sont de l'ordre de la santé publique. La réponse doit donc être une

coordination de cette santé publique.

Or, s'il y a un manque de Pères, c'est avant tout vrai pour ce qui est de l'institutionnel. Entre

les différents pouvoirs (Régions, Communautés, Fédéral), et surtout pour ce qui concerne

des pratiques à cheval de différentes sources subsidiaires, il est très difficile de ne pas s'y

égarer. « A quand une concertation entre ces trois niveaux de pouvoir ? », demandent

certaines participants.

Autant les usagers que les intervenants semblent n'être reconnus à aucune place, et chacun y

va de son propre gré. Comme nous le verrons plus loin, c'est le cas notamment en Brabant

wallon, alors que dans d'autres régions préexiste réellement une dynamique autour du

signifiant « drogue ».

D'autres intervenants ont préféré se marquer comme « Pères conseillers », sachant que

d'après eux, la loi, quand elle n’a pas de sens, n’est pas très utile… Le rôle des intervenants

est aussi d’arriver à ce que le patient puisse se connaître, connaisse ses limites, et puisse

mieux se gérer. Qu’il apprenne ses points forts, ses points faibles, pour gérer sa vie de la

manière la plus satisfaisante possible. Ce n'est pas uniquement une affaire de limite

extérieures; il s'agit aussi de limites intérieures et personnelles.

Une autre question réexplorée, a été celle de l'éventualité que la liberté thérapeutique soit

bétonnée dans un cadre légal. Le traitement de substitution fait intrinsèquement partie de l'art

de guérir. Il y a alors, selon certains participants, une sorte de non sens à le légaliser :

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 182

Page 183: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

pourquoi légaliser quelque chose qui appartient à la liberté thérapeutique, la liberté du

patient, et plus généralement à la liberté du soignant et du soigné ?

Cela fait songer aux contrats thérapeutiques, où l'usager doit aller chez un médecin un tel, un

pharmacien un tel, un psychologue un tel... « Pris dans un contrat, où est la liberté du

patient ? », se demandent certains participants.

Tout dépendra, ici, du regard porté sur la toxicomanie...

D'autres intervenants ayant participé à la recherche, notent en effet qu'ils utilisent un contrat

de soins entre le médecin, le pharmacien, et l'usager. Selon eux, il ne s'agit pas d'un contrôle,

mais d'une symbolique importante. Ces personnes regrettent d'ailleurs que les questions liées

aux contrats d'intervention viennent trop loin, dans le présent rapport, alors qu'elles

surgissent très tôt dans le suivi.

Un médecin souligne néanmoins le danger d'un contrat d'intervention, dont la fin n'est jamais

définie.

Un autre participant s'étonne qu'il puisse y avoir des demandes de sanctions à l’égard des

prescripteurs en maisons médicales, au sein même des équipes. La première méthode devrait

d’abord être d'en parler, avant tout entre médecins.

Si la sanction n'est pas la panacée, en même temps, dire « oui » à tout n'est pas une solution.

Il faut alors un climat de confiance entre patient et médecin, d'autant plus aidant que l'usager

n'a souvent que peu confiance en lui-même. L’idéal est d’arriver à ce que le patient fasse son

propre cadre, avec l'accompagnement du prescripteur.

Les dépassements de dosage posent, aux yeux de certains, moins de problèmes que les

« diminutions sauvages » : celles de personnes qui veulent absolument diminuer leur dosage

prescrit, très et trop vite, au risque de rechutes. A cet égard, la pression de l’environnement

est invoquée comme explication.

Concernant les établissements carcéraux, certains participants se sont dits étonnés de l'accès

difficile à la méthadone, en leur sein. Si effectivement, on peut comprendre qu'il n'y ait pas

un médecin présent en prison tous les jours, comment cela se passe-t-il, pour les autres

maladies ?

Si les réalités sont diverses entre les différents établissements carcéraux, certains participants

se sont dits choqués que des protocoles de traitement soient appliqués, non par des

professionnels de la santé, mais des agents pénitenciers. Le manque de moyens au niveau

carcéral s'avère, lui aussi, criant...

Les limites de la recherche apparaissent, aux yeux de certains, trop sévères. Si effectivement,

il n’y a pas vraiment de nouveaux éléments sortis des analyses, il y a aussi un côté rassurant

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 183

Page 184: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

à cela, justement parce que personne n'a de réponses toutes faites. C'est fondamental, à

l'heure où des textes légaux pourraient être rediscutés. Il y a clairement une attention portée

au consensus et au point de vue de l'autre. Et ce constat est intrinsèque aux traitements de

substitution.

Il est donc intéressant de ne pas avoir de réponse à tout, parce que la réalité n’est pas si

simple, mais multiple, humaine et subjective. Et la méthode d'analyse en groupe est d'autant

plus pertinente.

Certains ajoutent que si les aspects novateurs sont assez peu présents, c'est bien parce que le

secteur a déjà exprimé ce qu'il revendiquait au quotidien. S'il bénéficiait déjà de ce qui est

présenté dans les perspectives pratiques, ce serait déjà très bien. Il n'est pas forcément

nécessaire d’être « novateur », d'après certains participants. Il est d’abord nécessaire de

pérenniser ce qui existe, et d'apporter de la nuance. Les solutions développés sont les

meilleures connues à ce jour, alors autant continuer et supporter ces perspectives-là...

D'ailleurs, la vision du traitement de substitution est elle-même foncièrement novatrice, et ce

même si elle est déjà appliquée sur le terrain.

Certains professionnels expliquent que les perspectives ne pouvaient pas être totalement

novatrices, dès lors qu'ils se confrontent déjà au jour le jour à la parole des usagers, et

modifient déjà leurs pratiques cliniques au jour le jour (il est noté que ces évolutions ne sont

pas encore présentes au sein du milieu universitaire).

D'autres, par contre, peuvent penser qu'il aurait été possible de défendre des mots « plus

durs ». En soi, les perspectives pratiques disensuelles auraient pu être intéressantes.

Certains contenus du rapport ont donc été rediscutés, lors des réunions de recueil de

réactions. Si elles n'avaient pas pour but de relancer les discussions, il était important d'en

faire état, dans ces présentes pages. Notons d'ailleurs que d'après certains intervenants, la

question qui se pose est de savoir s’il faut absolument arrêter ces débats : certains pensent en

effet qu'ils sont tout à fait intrinsèques aux pratiques en assuétudes.

Des spécificités de certaines régions

Certains groupes ont désiré être reconnus dans leurs spécificités régionales. C'est par

exemple le cas à Arlon, présenté par les participants à ce groupe comme étant un des parents

pauvres de la Wallonie, en termes de soins en assuétudes. Le secteur ne semble pas reconnu

dans ses réels besoins, alors que les problématiques sont bel et bien présentes, et

comparables, en nombre de demandes de prises en charge, aux situations de Liège et de

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 184

Page 185: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Charleroi.

En ce qui concerne le Brabant wallon, les participants demandent de souligner l'existence de

multiples initiatives au sein de la province, et ce même si la plupart de ces initiatives ne

prennent pas place au sein de services spécialisés. Les participants regrettent d'ailleurs qu'il

soit difficile de faire reconnaître ces initiatives, ainsi que leur utilité.

Ces initiatives sont d'ailleurs souvent menées sur fonds propres. Des frais et des dépenses

d'énergie ont été et sont encore menés. Malheureusement, jusqu'à présent, la reconnaissance

de la part de la Région Wallonne a été maigre, d'après certains participants. D'autre part, si

une concertation de soins en assuétudes existe bel et bien au sein de la plate-forme de santé

mentale, la mise en réseau entre les institutions est encore à développer. Dans cette offre de

soins, une lacune se ressent au niveau transversal.

Le problème du Brabant wallon semble que le phénomène « drogue » fasse peur. La

diabolisation est, encore souvent, plus grande qu'ailleurs, et on commence à peine à avoir

conscience du fait qu'il y a des usagers en Brabant wallon. Pour ces derniers, les prises en

charge s'avèrent encore trop rares.

L'intérêt est alors porté avant tout vers les personnes alcooliques, ou dépendantes aux

médicaments, mais pas à ces personnes qui vivent dans des garages, et qui se contractent la

gangrène. Ce n'est qu'en accédant à l'aide d'un Service d'un Santé Mentale, qu'une situation

aussi sérieuse a pu être désamorcée.

Une demande est expressément faite, pour que les acteurs en Brabant wallon puissent

connaître le budget consacré aux assuétudes, en Brabant wallon, et qu'il soit possible de

comparer ce budget à celui d'autres provinces. Le calcul relatif est en effet de mise, puisque

l'offre en services spécialisés est comparable à la province d'Arlon, mais la densité de

population est nettement plus conséquente en Brabant wallon.

Des suites de cette recherche-intervention

D'après certains participants, cette recherche pourrait constituer un levier, pour de futures

évolutions. Ces dernières ne devraient aller vers davantage de codification des pratiques, et

devraient permettre davantage de financements.

Ce rapport doit constituer un argument en ce sens, surtout à l'heure où les textes légaux

pourraient être à nouveau rediscutés.

A ce propos, certains participants soulignent ne pas comprendre le sens de l’obligation de la

formation à partir de trois patients suivis. Quel est le sens de pouvoir faire un suivi librement

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 185

Page 186: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

avec un ou deux patients, mais moyennant une formation pour plusieurs ?

Ce qui s'avère nécessaire, c’est avant tout une formation incluse dans le cursus universitaire,

comme en formation complémentaire. Cela permettrait de répondre à la crainte de médecins

généralistes, d'être envahis de patients usagers de traitements de substitution.

A noter que, si le transfrontalier n'a pas été abordé au sein de cette recherche, c'est bien parce

que, d'après un participant transfrontalier, il ne pose pas de problème particulier, sauf en ce

qui concerne le début du traitement : en France, il est obligatoire de le réaliser dans un centre

spécialisé, le médecin généraliste ne pouvant que continuer le traitement en question. Pour

l'usager habitant loin de centres urbains, cela peut expliquer sa venue auprès de

professionnels belges.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 186

Page 187: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

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ANNEXES

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 192

Page 193: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Annexe 1 : les récits proposés lors des analyses en groupe locales (à Charleroi, Liège,

Arlon, Tournai)

Ces récits ont été anonymisés, et ce dès qu'ils ont été proposés par les participants aux analyses en groupe.

Les prénoms utilisés ne sont donc que des prénoms d'emprunt.

Un responsable clinique d'une communauté thérapeutique : Joëlle, ou « je refuse le traitement différent ».

Le service Kangourou de l’asbl Trempoline accueille des femmes avec leurs enfants afin de permettre à celles-ci

de réaliser le programme résidentiel sans être séparées de leurs enfants et de bénéficier d’un encadrement

pédagogique pour l’éducation des enfants. Depuis quelques années, nous avons décidé de permettre aux femmes

qui bénéficient d’un traitement à la méthadone d’effectuer leur fin de sevrage à Trempoline. Introduire « la

méthadone » dans une communauté thérapeutique qui préconise l’abstinence comme moyen de traitement ne fut

pas chose aisée.

Joëlle (prénom d’emprunt) a intégré le service kangourou avec un traitement de 30mlg de méthadone. Après

quelques semaines de stabilisation, le psychiatre décide d’entreprendre le sevrage à raison de 5mlg par

semaine. Les résidents comme l’équipe de la première phase de traitement (accueil) ont tendance à considérer

Joëlle comme une résidente nécessitant un programme d’accueil particulier nécessitant des plages de repos, un

travail émotionnel moins approfondi,

Suite à ces réactions, Joëlle a fait part au psychiatre de sa volonté d’accélérer son sevrage, au mépris de sa

santé, car elle se sentait ne pas appartenir au groupe des résidents du fait de son sevrage. Elle ne supportait pas

avoir un « traitement différent ». Le psychiatre a refusé sa demande et un travail a été entrepris avec le groupe

des résidents et l’équipe afin d’être attentif à son intégration.

L’enjeu se trouve dans la difficulté pour une résidente sous traitement méthadone de se retrouver dans un

groupe à priori « clean ». J’insiste sur le à priori car plusieurs résidents se trouvent encore sous médication à

l’accueil mais l’équipe comme les résidents ont une représentation différente de la méthadone. C’est un produit

qui est associé au traitement mais aussi à la défonce. Dès lors, dans un souci d’appartenance, la résidente va

tout faire pour être clean le plus rapidement possible au détriment parfois de sa santé.

Un éducateur d'un comptoir d'échange de seringues : Daniel, ou « les mésusages liés aux traitements de

substitution ».

Initialement appelé : « la dépendance au(x)traitement(s)de substitution ». La modification du nom, effectuée

par le chercheur, s'explique par la volonté d'éviter la confusion avec un récit baptisé identiquement.

C'était il y a plus ou moins deux ans... Il y a deux ans. Je suis animateur « Boule de Neige », et on était ici, dans

les locaux d'Ulysse. Un gars de la région nous avait demandé, un gars pas de Charleroi, de l'extérieur, nous

avait demandé pour participer à Boule de Neige via le comptoir de Châtelet. On l'a accepté. Il est arrivé, et lors

de la première séance, il s'est présenté comme consommateur de méthadone, et uniquement de méthadone. Il

avait fait une croix sur l'héroïne, il n'a jamais réussi à arrêter la méthadone, qu'il injectait parce qu'il était aussi

dans les pratiques d'injection. Il nous a montré ses bras et ses jambes, ça ressemblait un peu à des cratères

lunaires, tout le long, énormes. Des ? ? ? comme ça. Ce qui a même effrayé tous les injecteurs qui faisaient

partie du groupe. Le gars, ça fait... Je crois que ça fait cinq ou six ans qu'il consomme uniquement de la

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 193

Page 194: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

méthadone, je crois que c'est 600 ou 700 mg par jour par injection, totalement dépendant. Il a une infirmière qui

vient le matin et le soir, lui soigner les plaies qu'il a fabriquées avec son injection de la veille. Et voilà, la

situation de vie dans laquelle le gars est. Il ne veut pas faire une croix sur la méthadone, il ne veut plus changer

de produit, juste pour un côté pécunnier, parce qu'il arrive à avoir ça via les voies médicales normales. Et donc

voilà, le truc dans lequel ce gars-là est bloqué.

Moi, je trouve ça ultra pertinent par rapport à la journée d'aujourd'hui. Et moi, c'est quelque chose qui m'a

marqué, et je pense que tous les gens qui se sont retrouvés en face des bras du gars, tous ont été vraiment... Ca a

mis un gros choc à tous.

L'enjeu est que le gars était dépendant à l'héroïne. Ca l'a amené à se retrouver dans une vie avec laquelle il ne

se sentait pas du tout en harmonie, c'est-à-dire le deal, faire de l'argent rapidement, le vol, peut-être la

délinquance, etc. Il a rejeté tout ça en étant dépendant d'un opiacé, tout en allant voir un médecin ou un centre.

Je ne connais pas tout son parcours, mais en tout cas, il s'est retrouvé dans un traitement méthadone, auquel il

est vraiment devenu extrêmement dépendant. Il a essayé une fois ou deux d'arrêter, ça lui a fait tellement

violence, qu'il a décidé de ne plus arrêter. Maintenant, il se retrouve avec des consommations tous les jours de

500 à 700 mg, et il est en train de se foutre en l'air au niveau peau, veines, tout, tout. Ca, c'est plutôt le

pharmacien et le médecin qui pourraient répondre à ma place, mais enfin, il est en train de s'abîmer, et on le

sent très fort. C'est en lien à la dépendance aux traitements de substitution. C'est une toxicomanie légale, qui

peut être moralement plus correcte pour le gars, mais au niveau santé, je ne sais pas vraiment, et je voudrais

vraiment avoir les réponses d'un médecin, qu'il mette quelqu'un qui a consommé de l'héroïne sans jamais avoir

touché à de la méthadone par injection, et qu'il se retrouve face à ce gars-là. Je voudrais vraiment avoir un état

de santé par rapport à la consommation des deux, j'ai bien peur que le consommateur de méthadone...

Encore un petit truc : il avait aussi essayé le sniff, qui lui avait totalement brûlé toutes les parois nasales, les

nerfs, etc. C'est pour ça qu'un sniffeur de méthadone, en général, dit « oah, ça fait mal les trois premières fois,

mais après, ça fait plus mal ». Evidemment, il a tout brûlé.

Un consommateur de drogues, avec traitement méthadone : Gérald, ou « un psychologue doit accompagner le

traitement »

Moi, j'ai plusieurs fois fait des cures de substitution. Il y en a une, je suis parti dans les Ardennes, j'ai pris, j'ai

commencé à 50 mg de méthadone, en diminuant. J'avais trouvé un emploi, je travaillais, ça me permettait

d'avoir une vie active, en substitution. Et quand je suis arrivé dans les derniers milligrammes, tout était normal,

mais ce qu'il s'est passé, c'est que mon médecin, il a mis un placebo sans que je m'en rende compte. Mais moi, le

problème, c'est que quand je partais travailler, si par exemple à 11 heures au matin, j'avais oublié de prendre

ma gélule, j'étais malade au travail. Donc, les derniers temps, j'oublie de prendre ma gélule, et j'arrive au

travail, je suis malade, j'attrape la diarrhée, psychologiquement. Donc, je téléphone, il me dit « c'est pas

possible que tu sois malade ». « Ben, pourquoi ? ». « Parce que tu as un placebo depuis plus d'un mois ». Donc,

moi, ce que je voudrais faire comprendre, c'est que le produit de substitution doit être accompagné d'un

psychologue. Parce que j'avais des cauchemars, je me réveillais en transe, vraiment, j'étais en train de

consommer, et pourtant j'étais sous produit de substitution. La nuit, je me réveillais. Je rêvais que j'avais

consommé, je regardais à côté de moi s'il n'y avait pas du produit. Ca a duré 3-4 mois comme ça.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 194

Page 195: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Un médecin en maison médicale : Michel, ou « un produit parmi d'autres »

Moi, je vais parler de Michel. Il a environ 45 ans. Il faut dire que moi, je ne travaille que depuis 3 ans. Donc,

ça, c'est un des premiers patients pour qui j'ai prescrit de la méthadone. Il a commencé tout de suite, « ah, je ne

suis pas comme les autres ». Et si j'oubliais comment il fallait prescrire, il me disait comment il fallait faire.

Maintenant, c'est un polytoxicomane. Comme ça, il prenait toujours 2 gélules de méthadone, parce qu'il a une

cirrhose au foie, et sinon ça n'agit pas les 24 heures, donc il faut en prendre plus par jour. Maintenant, il vient

toutes les semaines, comme ça, je lui prescris 14 gélules. Et vu que tu le voies souvent, tu as quand même une

certaine relation de confiance, finalement, que, un jour, il est devant moi, il prend une gélule, et il sniffe. Je dis

« ah, ok... Tu prends jamais par la bouche ? ». Comme ça, j'ai su qu'il prenait rarement ses deux gélules par

jour, parfois il la sniffait tout d'un coup, et s'il avait des sous, il allait quand même chercher de l'héroïne,

rarement de la cocaïne. C'est aussi très difficile, parce qu'il doit venir une fois par semaine, mais il compte aussi

ses gélules d'aujourd'hui : je lui prescris 14 gélules aujourd'hui, et alors il disait « oui, alors, c'est lundi, mardi,

mercredi... », et il arrive toujours un jour plus tôt.

Je crois que c'est intéressant parce qu'il y a plusieurs trucs que je vois chez d'autres patients qui sont difficiles

pour avoir une régularité dans le traitement. Vu que c'est plutôt un polytoxicomane, c'est juste un de ses

produits. Lui, il le prend pas comme il faut.

Un patient sous traitement méthadone : Paul ou « les différences entre pharmacies »

Moi, ça fait 17 ans que je suis en traitement méthadone. Je n'ai plus jamais repris de l'héroïne. C'est mon

médecin qui m'a presque sauvé. Et il m'a envoyé à une pharmacie familiale. Et la pharmacie, elle m'a accepté

avec gentillesse et a écouté même mes problèmes. Chaque fois que j'allais chercher mon produit, une fois par

mois, elle suivait mon évolution, m'encourageait. Elle me conseillait et elle parlait même de ses difficultés

qu'elle avait, avec ses fils et tout ça. Et une fois, je n'avais pas d'argent, elle me dit « c'est rien, tu payeras plus

tard ». Mais après 10 ans, elle a remis sa pharmacie, et je me suis retrouvé devant une pharmacie d'une grosse

société. Plus familiale. Et là, directement, j'ai vu le changement. Ils m'ont à peine dit « bonjour »... Ils m'ont

regardé d'un air... assez désagréable. Un jour, je suis arrivé sans argent, fin du mois. La pharmacienne n'a rien

voulu savoir. Elle a dit « non, ce n'est pas possible, je dois envoyer mes comptes en ordre, j'ai.. ». Ca m'a mis les

nerfs, vraiment, et je me suis débrouillé pour avoir 5 euros.

L'enjeu, c'est les relations avec les pharmacies, mais industrielles. J'en ai parlé avec mon médecin et il a dit

« oui, les pharmaciens comme ça, ils ne voient que le pognon ». Et après, il m'a donné une autre pharmacie,

familiale, pas de problème. Et un jour, voilà, je me suis retrouvé sans métha à la pharmacie là, et je suis allé

chercher de la métha en rue. Ben, c'était une gélule de 90 mg et j'étais à 20 mg, et je me suis retrouvé aux soins

intensifs.

Pour moi, il y a certaines pharmacies, c'est des dealers. Pour moi, c'est pas mieux que des dealers, ils cherchent

l'argent, avant tout. Ils ne sont pas là pour continuer le traitement, tu vois, le médecin, il aide

psychologiquement, parce que Marc Jamoulle, c'est quelqu'un avec qui je peux parler beaucoup. Et l'autre

pharmacienne que j'avais, je pouvais parler beaucoup avec elle. Mais ceux-là, j'ai l'impression qu'ils ne voient

que l'argent.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 195

Page 196: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Un éducateur de rue : Alfonso, ou « vivre sans métha = rêve impossible »

En fait, nous, on suit une personne qui a plusieurs années de toxicomanie derrière elle. Et ça fait aussi plusieurs

années qu'elle prend des traitements de substitution, et qu'elle regrette un peu d'avoir pris ces traitements de

substitution, parce qu'elle se dit que si elle n'avait jamais commencé, elle n'aurait jamais accroché. Et quand

elle nous parle de traitements de substitution, elle nous dit que c'est la pire des drogues qui pouvait l'accrocher.

Limite, aujourd'hui, elle ne sait plus décrocher. Elle a un seuil très bas de méthadone, de quelques milligrammes

de méthadone, et n'arrive pas à décrocher le dernier seuil, de peur de retomber dedans. Et donc, voilà, je veux

savoir comment on doit se placer, comment on doit accompagner cette personne, pour qu'elle ait moins peur, ou

pour lui mettre des balises, ou...

L'enjeu, pour moi, là-dedans, c'est l'insécurité pour la personne de voler toute seule, de se lâcher, de dire... De

se mettre en autonomie, au niveau de son produit, et au niveau de son traitement de substitution.

Un pharmacien indépendant : Albert ou « la discontinuité de soins l'a planté »

Une pharmacie, c'est fait d'anecdotes, et on voit beaucoup de choses. Les points que j'aurais souhaités peut-être

mettre en évidence, c'est difficile de les résumer sur une seule personne. Mais ici, on va parler de la faiblesse du

maillon, ou de la chaîne de soins. Donc, il y a trois types de populations qui viennent. Ceux qui sont en, ou qui

recherchent un processus thérapeutique, c'est-à-dire qui s'inscrivent dans un processus thérapeutique, et qui

souhaitent à terme décrocher ou se stabiliser. Il y a une partie de la population qui, elle, est dans une phase de

stabilisation, et donc c'est au long cours. Je suis ici depuis 10 ans, mais ça fait 15 ans qu'ils viennent, et c'est

une relation au long cours, c'est-à-dire que socialement, professionnellement, affectivement, ils sont stabilisés,

mais ils continuent à consommer le produit. Et il y a un lien. Et il y a une troisième population, qui elle, vous

allez comprendre pourquoi je dis ça, qui elle vient chercher du produit, point barre. Et quand elle se présente la

première fois, les autres pharmaciens ne savent pas à qui ils ont à faire, a priori. Et l'accueil est difficile.

Donc, le brave Albert est venu de manière assez violente. Il pétait un câble dès le premier jour : relation difficile

à installer, qui s'est installée après quelques semaines. Le médecin, également, a mis beaucoup d'intelligence

pour établir une relation de confiance et un processus. Et, il y a le troisième maillon, qui est les travailleurs

sociaux, qui eux n'accrochaient pas trop. Il a été mis sous méthadone. Il faut savoir que le réveil est difficile, il

se lève généralement vers midi. Le samedi, si on se lève à midi, la pharmacie, elle est fermée. On peut louper

son rendez-vous, mais le médecin n'a pas un service continu, donc il vient deux jours par semaine, mais si le

rendez-vous est... Il est reporté. Il n'a pas son produit. Il passe le week-end. Le lundi, un combi de police arrive,

il est emmené à Jamioulx, parce que, complètement défoncé, il a démoli 5-6 voitures dans une rue.

La même situation s'est présentée il y a 10 ans, et il ne s'est pas retrouvé à Jamioulx, parce qu'il y avait une

interaction beaucoup plus profonde entre moi, le travailleur social, et le médecin. Et le vendredi soir, j'appelais

le médecin, ou le samedi, et le dépannage se faisait de vive voix. Maintenant, toute cette chaîne est beaucoup

plus formalisée, ce qui fait que, avec toute l'intelligence qu'on peut y mettre, sur une année, on va tomber sur

une situation d'échec à coup sûr. Et donc, il va se planter. Ils se plantent tout, ils se plantent tous : ceux qui

rentrent dans un processus thérapeutique. Le cadre est très formel, le cadre est réglementaire, et la consigne l'a

planté. La formalisation de la relation. La continuité de soins, ou plutôt la discontinuité de soins.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 196

Page 197: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Une assistante sociale en Maison d'Accueil Socio-Sanitaire : « Thierry ou « la double prescription »

Moi, je vais parler de Thierry. Thierry, dans un premier temps, se présente comme quelqu'un de très

revendicatif. Uniquement pour recevoir de la méthadone, de la méthadone, de la méthadone. Au bout de 2-3

mois s'installe quand même une relation de confiance entre lui et l'équipe, si bien qu'à un moment donné, il nous

explique qu'il se grille lui-même, en fait. Il nous explique que ça lui arrive de faire plusieurs pharmacies avec

différentes ordonnances de différents médecins, et qu'à un moment donné, il s'est planté. Il a donné à une autre

pharmacie, l'ordonnance d'un autre médecin, et c'est comme ça qu'il s'est fait griller partout. Nous, il ne nous a

jamais dit le pourquoi de la double prescription, etc. Suite à ça, les choses ont été remises au point, et

maintenant, il a un traitement, je vais dire, suivi.

Est-ce qu'on pourrait parler, je ne sais pas, de problématique de double prescription ? Thierry ou « la double

prescription ».

Une psychologue en Centre de Santé Mentale : Abdel ou « Fuyez la méthadone, elle revient au galop »

Moi, je voudrais vous parler d'Abdel, qui est un patient marocain de 36 ans. Il est venu en Belgique à l'âge de

19 ans, et voilà, il a rencontré le milieu de la drogue à Charleroi. Il a commencé à consommer de l'héroïne et de

la cocaïne. Et puis, il a consulté un médecin, qui lui a prescrit de la méthadone. Et assez facilement, il a fait un

programme dégressif à la méthadone, jusqu'à l'abstinence. Au moment où il allait arriver à l'abstinence, il s'est

fait arrêter par la police, il s'est retrouvé incarcéré, et donc il y a eu un sevrage de fait en prison. Incarcéré

pour vente de stupéfiants.

Suite à ça, il est libéré. Et puis, dans le cadre d'une relation conflictuelle avec sa copine, qui le trompe, il

reconsomme de l'alcool, de la cocaïne, et de la méthadone que, là, il va chercher au marché noir. Et à ce

moment-là, il y a explosion de violence contre cette compagne, et il se retrouve à nouveau incarcéré. Et moi, je

le reçois dans le cadre d'une libération provisoire, la condition étant d'avoir un suivi psychologique pour

l'accompagner pour problèmes de stupéfiants, alors que c'est quelqu'un qui est sevré depuis plusieurs années, si

ce n'est cette consommation vraiment ponctuelle mais tout à fait abusive et excessive. Et où son médecin

traitant, dès la libération de prison, lui prescrit de la méthadone, alors qu'il n'y a plus de consommation

d'héroïne, mais un peu de manière préventive. En disant que, vu qu'il doit reconstruire toute sa vie à l'extérieur,

qu'il est en rupture de couple, qu'il n'a pas de boulot, qu'il est un peu paumé, que s'il a la méthadone, ça va

l'aider à éviter une rechute.

L'enjeu, c'est ces trois moments, ces trois dimensions d'un recours à la méthadone pour lui. D'une part dans le

cadre d'une prescription qui apparemment n'a pas posé de problèmes : il y a eu un programme dégressif où

assez aisément, ça l'a mené à l'abstinence. Puis, quand même le recours à la méthadone dans un cadre tout à

fait autre que ça : il va chercher dans la rue de la méthadone, il en prend de manière excessive, mélangée à de

la cocaïne et de l'alcool, et c'est associé à un passage à l'acte violent qui l'amène en prison. Alors qu'il avait

l'expérience d'un usage de méthadone vraiment dans le cadre d'un traitement. Et puis, là, sans rien demander à

personne, son médecin lui prescrit de la méthadone, pour le protéger d'une rechute.

Moi, je suis interpellée chez une même personne de ces trois usages différents. Je suis interpellée comment une

même personne peut utiliser un même produit de manière tout à fait différente, selon son contexte de vie. C'est

vraiment dans son parcours.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 197

Page 198: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Un responsable d'un service psychiatrique en clinique : Michel ou « le non contrôle de la substitution (non

contrôle à plusieurs niveaux : dans l'hôpital, par les doubles prescriptions, etc.) »

Très rapidement... C'est une expérience que j'ai vécue quand j'étais infirmier, il y a pas mal de temps... Il y a à

peu près une quinzaine d'années, donc, ce n'est pas tout neuf. Nous avions une personne qui était venue dans

notre service pour un problème d'alcool, et qui était en même temps sous méthadone. Le souhait de cette

personne, c'était d'arrêter l'alcool. Et en aucun cas, il ne remettait en cause sa consommation de méthadone, qui

était bien réglée et qui lui convenait.

Tout se passait relativement bien, jusqu'à un matin où il ne s'est pas réveillé, du tout. Il est mort, il est décédé

durant une nuit. Ca nous a un peu choqués, beaucoup choqués. On a un petit peu recherché ce qui avait bien pu

causer ce décès, et on s'est aperçus que ce monsieur, en fait, prenait énormément, énormément de méthadone.

On a retrouvé plusieurs flacons vides dans son armoire. On ne fait pas des fouilles. C'était la mode, à une

époque, maintenant on ne procède plus comme ça, par des fouilles. La personne qui vient se faire soigner, on

estime qu'elles ont une vie. Et ce qui se joue dans ce récit, c'est le fait que cette personne ait pu se procurer

autant de méthadone d'un coup, avec certainement plusieurs prescriptions et plusieurs pharmaciens.

Il y a eu une autopsie qui a effectivement confirmé qu'il y avait eu une intoxication à ce produit. Alors, ça on ne

le saura jamais, mais est-ce que c'était un suicide, ou est-ce que c'était une imprudence ? Une overdose par

méconnaissance ? Enfin, apparemment, il était bien au courant des faits, parce que c'était un coutumier... Je ne

sais pas... Un accident ? Son décès nous laisse un petit peu dans le questionnement : qu'est-ce qu'il a voulu

faire, au juste ?

Depuis, c'est vrai que maintenant, dans notre unité, nous n'accueillons qu'une seule personne qui souffre

d'assuétude à la drogue, pour éviter les échanges.

Un ex-polytoxicomane, usager de méthadone : David ou « David ou Jack Daniels »

– Ma copine est partie en vacances. On était toxicomanes tous les deux. Je me suis dit : « c'est le bon

moment pour arrêter, le temps qu'elle parte ». Elle est partie deux semaines. En une semaine, j'était

sevré de l'héro, mais j'étais accro à l'alcool. Après, je ne prenais plus d'héro, et ça a duré presque un

an. Mais je buvais un litre, puis un litre et demi, puis deux litres... On augmente les doses. Mais je ne

prenais plus de l'héro. Jusqu'au jour où j'en ai repris. Et alors, je ne buvais plus.

– Et l'enjeu qui se trouve derrière là, ce que tu disais tout à l'heure, c'est...

– L'enjeu, c'est fuir la réalité.

– Oui, mais ce que tu disais aussi, c'est qu'il y a d'autres produits de substitution, que la méthadone et

autres... Que l'alcool, ici, peut jouer comme produit de substitution...

– Oui, mais c'est fuir la réalité, l'ennui de manière générale. Il y a des gens qui l'auraient fait avec autre

chose que du whisky.

Une personne qui a eu un problème de dépendance, qui s'en est sorti grâce à la méthadone : Xavier ou

« Burgodin : substitution meilleur marché ».

– J'ai arrêté tout, totalement. Mais il faut savoir qu'avant que j'aie arrêté tout, il y avait un médicament

qui s'appelait le Burgodin. Moi, je prenais ça en substitution. Donc, j'avais soi-disant arrêté l'héroïne,

et je prenais des Burgodin, prescrits par mon médecin. J'avais un médecin assez large, comme on dit.

– C'était quand ça ?...

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 198

Page 199: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

– C'était un morphinique, c'était dans les années... Début 90... Et mon médecin m'en prescrivait, à la

limite, pas tant que je voulais, mais je pouvais aller régulièrement chez lui. Et je mangeais du Burgodin

comme je mangeais des petites chiques. Il faut savoir que quand on prend 3 ou 4 Burgodin, ça fait

exactement le même effet que l'héroïne, puisque c'est un produit de substitution comme actuellement la

méthadone. Et donc, moi, ça me plaisait très bien. Donc, je consommais peut-être plus d'héroïne, mais

je consommais trois fois plus de Burgodin. C'était des boîtes, je ne me souviens plus du prix, mais ça

coûtait trois fois rien. Donc, voilà : pendant un laps de temps, j'ai pris du Burgodin. Et quand le

Burgodin n'a plus été en vente, ça a été arrêté pour diverses raisons, j'ai reconsommé à ce moment-là

de l'héroïne. Et je suis reparti dans l'héroïne.

– OK. L'enjeu, derrière ce récit, selon toi, c'est quoi ?

– C'était que je prenais du Burgodin, parce qu'il avait le même effet que l'héroïne, mais qu'il coûtait

beaucoup moins cher.

Un ex-toxicomane, sous traitement méthadone : Michaël ou « Les différences de dosage »

– J'ai commencé l'héroïne en 2004. J'ai consommé pendant un an. J'ai arrêté en avril 2005, en sevrage

sec, parce que dans la famille, j'ai le frère de ma mère qui était toxicomane. Lui a toujours été contre la

méthadone, parce qu'il disait que c'était une drogue pour passer une autre. Il était complètement

contre. Donc, j'ai décidé d'arrêter sec. Ca a marché. Moi, je pense que c'était la seule fois où j'aurais

vraiment pu arrêter... Vraiment... C'est là que je me sentais le mieux, quand j'ai arrêté, cette première

fois. Donc, ça a duré six mois, plus ou moins. Je suis retombé dans l'héroïne. J'ai consommé de

nouveau pendant neuf mois. Et au bout de ces neuf mois-là, j'ai réfléchi de nouveau à la méthadone,

parce que financièrement, je ne m'en sortais plus. Financièrement, c'était très bien, la méthadone, et je

ne voulais plus souffrir, parce que pendant une semaine, j'étais bloqué dans mon lit, ma mère devait me

laver... Je ne voulais pas revivre ça. Et la méthadone, je savais très bien que je pourrais faire ma vie

normalement. Donc, je suis passé à la méthadone, très peu dosée. 20 mg. Le traitement a duré un mois

et demi, parce que toutes les semaines, je descendais de deux. Et au bout de ce mois et demi, j'ai fait un

check-up à Mont-Godinne, pour voir si tout allait bien, s'il n'y avait pas de maladie...

– Et puis, ça a de nouveau duré six mois. Parce que, moi, je ne sais pas, je rechute tous les six mois. C'est

l'arrivée de l'hiver, où je ne sais pas quoi... Il y a quelque chose qui fait que je rechute. J'ai rechuté,

puis de nouveau j'ai repris de la méthadone, mais là, j'ai consommé en même temps. J'ai consommé à

dealer. Mais là, c'était plus par peur de tomber à sec d'héroïne. J'allais chercher un traitement au cas

où je n'avais plus d'héroïne. Et puis, j'ai fait de la prison. Je me suis fait arrêter avec de l'héroïne dans

la rue. Ils m'ont prévenu que si je recommençais, j'allais en prison. Trois mois après, j'étais en prison.

– A la sortie de prison, le juge a ordonné que j'aille dans un centre. Avant de rentrer en centre, j'ai été en

hôpital. Et là, c'était de nouveau à sec. Mais j'ai rechuté il y a deux mois.

– Mais quels sont les enjeux de ton récit ?

– Je pense que c'est intéressant de faire la comparaison des deux périodes [...] C'est pas la même façon

de prendre de la méthadone : la première fois, j'ai pris de la méthadone, vraiment, pour arrêter. La

deuxième fois, j'ai pris de la méthadone, parce que j'avais peur d'être en manque.

– Donc, ça veut dire qu'il y a différents usages de méthadone. C'est ça que tu veux dire ? C'est ça que tu

veux souligner ?

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 199

Page 200: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

– Oui, c'est surtout ça, oui.

– On pourrait résumer ça en quelques mots ?

– Faire la jonction entre bas dosage et haut dosage, mais je ne sais pas comment dire...

– Ah, d'accord... Il y avait les dosages... Ca, j'avais pas compris...

– Quand j'étais à bas dosage, j'aurais pas pu compléter l'héroïne, j'aurais eu un manque, c'est clair. 20

mg, ça n'aurait servi à rien. Tandis qu'à 40 mg, là, je sais que c'était rassurant.

Une éducatrice de rue : Alice ou « Les mineurs et les traitements de substitution »

Dans le cadre de mon travail, j'ai rencontré une mineure, qui m'a expliqué de façon assez vaste son parcours.

Elle consommait de l'héroïne, et a essayé d'entamer un traitement de substitution, ou d'être incluse dans quelque

chose pour arrêter, et elle m'a expliqué qu'elle a eu énormément de mal dans le sens où elle était mineure, on

n'acceptait pas forcément de la soigner, pour les cures ça pouvait poser un problème... Voilà la situation. Moi,

l'enjeu que je voulais faire, c'est les mineurs et les traitements de substitution.

Un intervenant psychosocial et thérapeute familial : Joe ou « Usage détourné de la substitution ».

– Ca s'est passé dans le mois... [...] C'est un jeune, qui a débuté sa consommation vers 16 ans, en 2002. A

l'époque, apparemment, il y a une consommation assez courte, et une hospitalisation assez courte pour

sevrage. [...] Consommation de 6 mois, 8 mois peut-être... Et retour ici, avec une demande de prise en

charge sous substitution, qui a été très difficile à mettre en place. Donc, là, je rejoins un peu le récit

précédent, sauf que là, c'est un garçon, donc ça confirme que c'est multiple [la question des mineurs se

pose aussi bien pour les filles que pour les garçons]. Donc, ça confirme bien que c'est multiple. Il y a

eu finalement, à 17 ans et des..., une prise en charge par un médecin alto, avec un essai aussi à ce

niveau-là.

– Entre cette époque-là et maintenant, une série d'événements, des rechutes, un parcours assez connu des

personnes qui encadrent. Des rechutes, traitements de substitution avec des dosages qui augmentent. Et

on en arrive maintenant à une situation qui est nettement stabilisée depuis deux ans, puisqu'il y a un

traitement en cours, il y a du boulot qui a été mis en place via le cpas au départ, puis un CDD d'un an,

et puis maintenant un CDI. Donc, ça, c'est favorable, mais il y a toujours un traitement de substitution,

avec une difficulté actuelle, qui m'a fait faire ce choix...

– C'est qu'on est dans un traitement assez faible, 20 mg, à cause, entre autres, de la relation de ce jeune

avec sa compagne actuelle, qui est très contrôlante, et qui est à pousser pour que ce soit terminé. Et qui

amène ce jeune à sniffer la méthadone.

– Donc, le faible dosage, d'après toi, amène le jeune à sniffer la méthadone ?...

– Il est poussé pour arrêter, là, maintenant, par sa compagne. Et ce fait-là l'amène à sniffer la

méthadone, parce que le rituel, parce que l'effet est plus direct. Cette substitution, qui est finalement en

fin de parcours, est ébranlée par un comportement qui ramène vers la consommation, parce que ce

rituel du shoot de la méthadone. Il est toujours en substitution... Il est toujours en substitution, mais il

substitue en plus par un sniff de méthadone, qui fait que, finalement, il repart vers un shoot.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 200

Page 201: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

– Bon... Ce que je crois entendre, c'est qu'il y a des exigences trop fortes de la copine... Lui qui tente

vaille que vaille de les respecter... Mais qui ne peut pas les respecter et qui fait donc un usage dévié du

produit de substitution... C'est ça, en gros ?

– Oui, oui. [...] Il essaye de trouver une solution, en gardant sa substitution, finalement. C'est un

détournement de la substitution. [...] Il est tiraillé.

Une psychologue en cabinet privé : Julie ou « le psychologue comme produit de substitution »

J'ai l'impression que je n'ai pas ma place ici, parce que je n'ai pas beaucoup d'expérience avec les drogues,

mais ce qu'il a raconté me donne l'impression que, avec les deux patients que j'ai eus, c'était moi qui étais la

drogue de substitution. [...] Une patiente, mariée, qui a déjà été hospitalisée plusieurs fois. Qui a eu des

traitements de substitution, mais qu'elle a lâchés très facilement. S'éloigne de la thérapie, ne donne plus signe de

vie. Et quand elle va mal, elle me téléphone, et elle reprend contact. Donc,, au fond, elle veut prendre un rendez-

vous, mais elle n'y arrive pas. On se met d'accord, parce que je suis prête à la vir à n'importe quel moment, mais

elle ne vient pas. Et pendant plusieurs mois, je n'entends à nouveau plus rien. Parfois, ça va jusqu'à un an. Et

hop, elle reprend contact téléphoniquement. Toujours, je la reconnais à la voix. Je lui dis « venez, Julie » [...].

« Oui, je viens ». [...] Puis, elle ne vient pas. Elle téléphone juste pour entendre la voix, c'est ça. Elle veut un

contact, mais c'est seulement au niveau de la voix.

Un professionnel d'une maison d'accueil : Roger ou « Les hausses et les baisses dans les dosages ».

Dans le cadre des maisons d'accueil, la première histoire qui me vient à l'esprit, c'est celle-ci : on avait eu

quelqu'un qui prenait de la méthadone depuis 15 ans. Ca, ça m'avait quand même fortement interpellé. Et en

fait, c'est quelqu'un qui parvenait à vivre de manière normale, entre guillemets. Mais une chose à propos de

laquelle j'avais aussi été un petit peu étonné, c'est qu'en fonction des événements de la vie, les dosages

changeaient. Donc, on est bien, on diminue ; on a un peu de soucis, on remonte. Et sa vie était un peu axée là-

dessus. Ca faisait 15 ans, comme ça...

Et dans l'idée qu'on se fait, nous intervenants, de la méthadone, j'étais assez étonné que... Normalement, l'idée,

c'est qu'on diminue pour pouvoir arrêter, et ici, pas d'arrêt : ça permettait de vivre. La substitution, c'était

vraiment vivre une vie normale. Là, on peut aller travailler, on peut faire des tas de choses... Mais l'hypothèse

d'arrêter, je ne la sentais pas. Ca faisait 15 ans, c'est déjà un sacré trajet. Et on ne voyait pas qu'il y avait un

arrêt qui était programmé, en tout cas.

Un kinésithérapeute en maison médicale : Arnold ou « Le mystère de la bouteille cassée »

Moi, la seule histoire que j'ai à relater en maison médicale, c'est un toxicomane qui est arrivé, un soir, avec une

bouteille cassée de méthadone. Et en fait, il était en manque, et voulait avoir une prescription pour renouveler

sa bouteille qui était cassée. On ne savait pas ce qu'il restait, si c'était fait exprès, d'où la problématique de la

confiance à l'égard du toxicomane, savoir si son histoire est bien réelle ou pas.

Un médecin, travaillant en privé et dans un centre spécialisé : Pierre ou « un traitement réussi nécessite un

gros investissement »

Je vais vous parler d'un cas qui s'est très bien passé, mais c'est très rare. Je n'en ai pas beaucoup. Je n'en ai pas

tellement pour dire des choses comme ça. Il s'agit d'un garçon qui a maintenant 47 ans, qui a arrêté depuis 5

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 201

Page 202: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

ans, qui ne prend plus rien, ni alcool, ni rien du tout. Il n'a rien substitué, et il a eu un parcours très difficile.

C'est un enfant adopté, qui a très mal vécu cette adoption. Qui a eu des parents, pourtant, très chouettes et tout,

mais bon... Il a été très gâté. Il a pris toutes sortes de produits. Ca a été des champignons hallucinogènes, LSD,

il a fait le parcours complet, ecstasy, héroïne, coke... Sous la coke, il était très violent. Ses parents l'ont gardé

toujours à la maison, bien qu'il y a eu des séances ? ? ? police, où il cassait tout, etc... Enfin, c'était vraiment

très, très terrible pour eux. Et en même temps, ils ont été très patients.

Alors, à la mort de son père, il s'est un peu remis en question. Et moi, je l'ai soigné. Je le soignais déjà depuis

tout un temps. Mais il prenait donc cette méthadone, il ne prenait plus d'héroïne du tout. Mais il prenait de la

coke de temps en temps, et là, c'était vraiment délirant. A la mort de son père, il s'est dit qu'il devait quand

même entreprendre des études. Il était assez intelligent, et il a fait un graduat en informatique, qu'il a mis 4 ans

à faire au lieu de 3, mais après, il n' pas osé... Il n'avait pas beaucoup de confiance en lui-même... Il n'a pas osé

faire son mémoire. Et là, ça a denouveau duré tout un temps. Il a fini par faire ce mémoire. Il était allé habiter à

Bruxelles, et avait entamé un suivi dans une institution spécialisée. Ca s'est bien passé. A ce moment-là, il était à

20 mg de méthadone. Il a tout arrêté, et est revenu dans la région. Et là, j'ai terminé avec du Subutex. Et en

fait,depuis lors, il ne reprend plus rien : ni coke, ni rien. Mais il m'a dit qu'un jour, si il devait reprendre un

produit, ce serait plutôt de la coke.

[...] C'est pour montrer que... Je me suis vraiment beaucoup investie dans ce cas-là. Je l'ai vu énormément. Il

était très agressif, au départ, à chaque consultation. Il fallait vraiment le supporter, parce qu'il se montrait

vraiment très difficile. Mais avec énormément de patience, en voyant la famille, en le calmant, etc, il avait

confiance en moi, il est parvenu à vraiment stopper tout.

Un médecin alto : Marie ou « l'histoire d'une vie »

[Marie est la quatrième] d'une fratrie de quatre. Sa mère meurt de cancer et alcoolisme lorsque Marie a 6 ans

et le père n'arrive pas a se consoler et consomme énormément d'alcool, est violent avec Marie [...]. [Enfance

très difficile...]

Marie est intelligente, vive, termine ses études secondaires [...] auxquelles elle rajoute des cours de gestion. Son

père meurt d'alcoolisme [...]. De son enfance, elle retient qu'elle ne peut faire confiance à personne. [...] Elle

recourt à l'héroïne et à la cocaïne [pendant deux ou trois ans], va très loin dans la déchéance [...]. L'équitation

et sa relation au cheval, l'aident à se resaisir. [...] [Par après], elle débute un traitement à la méthadone, quitte

assez facilement l'héroïne, mais est étonnée de ne pouvoir réduire ni abandonner la méthadone qu'elle prend à

petites doses quotidiennes.

J'ai eu l'occasion de suivre Marie de mois en mois [depuis six ans maintenant]. Elle a une présentation soignée,

est souriante et affirmée. Elle s'administre consciencieusement sa méthadone a de faibles doses, qu'elle a

souvent voulu réduire, mais reste calée au palier de 10 mg. Elle connait de fréquents accès d'anxiété, de jour et

surtout de nuit. Ressent de la solitude, a toujours du régler tout toute seule. Consciente qu'il y a une souffrance

majeure, dont elle ne peut parler à personne, même pas à elle-même. Hésite à entreprendre une psychothérapie,

peur que l'évocation de son passé ne soit un nouveau trauma. Arrive néanmoins, un an plus tard à se confier à

une psychothérapeute assez maternante. Sur le plan professionnel, elle a connu au début de pénibles périodes de

chômage, ensuite a trouvé des emplois [...], demandant de plus en plus de responsabilités et même si elle en

change régulièrement, c'est pour trouver mieux et trouver davantage de stimulation.

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Page 203: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Elle a pu quitter un premier partenaire, qui pouvait être violent occasionnellement. Ensuite elle a pu faire

progressivement confiance à son partenaire actuel, à emménager avec lui, à accepter une grossesse, accepter de

s'attacher à quelqu'un (ce n'est qu'en toute fin de grossesse qu'elle a pu parler à son f ?tus, le père y arrivant

plus spontanément). L'expérience de la maternité l'aide à se réintégrer dans la société, elle se vivait toujours

comme une 'affreuse tox' et au travers des réactions des autres envers elle et sa grossesse, elle réalise que les

autres la voient comme une personne tout à fait honorable.

L'accueil en maternité fut assez pénible pour elle : séparation immédiate pour surveillance du bébé qui n'a

jamais fait de syndrome de sevrage, regards jugeants de certains membres du personnel. Elle se sauve de

l'hôpital dès que possible. L'attachement à l'enfant se fait progressivement et harmonieusement. [...]

Marie reste hyperactive, ne peut se poser et ne rien faire, doit être constamment sur la brèche. Elle se juge

moins, est moins moralisatrice envers son entourage. Autrefois, c'était l'héroïne qui lui avait permis d'avoir plus

d'ouverture d'esprit, de juger moins les autres et de penser que les autres la jugeaient moins, de réaliser que tout

peut se comprendre dans la vie.

Elle accepte comme un facteur de stabilité la dépendance actuelle à de faibles doses de méthadone : cela la

rassure et, alors que c'est elle qui est toujours à l'écoute des autres, elle apprécie les consultations médicales

mensuelles qui sont les seuls moments ou elle est écoutée.

Un pharmacien : Kevin et Nathalie ou « La pseudo-urgence ».

J'ai un couple qui est en traitement en officine depuis de nombreuses années. Apparemment, le traitement, il est

suivi. Ce qu'il me dérange un petit peu, ce sont des personnes qui habitent près de l'officine, que je vois passer

cinq fois par jour devant l'officine : chercher les enfants à l'école, faire une course ou l'autre, … Et ils viendront

chercher leur méthadone, si possible à 18.30, ou à 18.35, quand je tire mon volet. Je ne suis pas un

fonctionnaire : il n'y a pas de problèmes, je veux bien travailler après mes heures. Mais ce qui m'embête

toujours, c'est que la délivrance de méthadone doit se faire dans l'urgence, toujours, ou pseudo-urgence, je

trouve, dans ce cas-là. Toujours dans l'empressement. S'ils ont de la méthadone jusqu'au jeudi, on ira chez le

médecin le jeudi à 18.00, et on viendra avec l'ordonnance à 18.25.

Cette pression continuelle me dérange. Je prends l'exemple de ce couple, mais ça se répète avec d'autres

personnes.

Un assistant social, dans un centre d'accueil spécialisé : Marc ou « La difficulté de gérer le traitement »

– C’est une personne qui vient chez nous depuis un petit temps. Il se présente, ? ? ? il y a un comptoir et

il y a une collègue psy est là. Je n'ai pas entendu le début, mais quand j’arrive, j’entends qu’il lui dit,

« j’ai une grenade sur moi, vous ne pouvez pas me laisser là, sans métha. » On voyait qu'il était sous

produits, je pense que c'était l'alcool, mais je n'en suis pas sûr. Et donc, il explique : « vous ne pouvez

pas me laisser sans métha. Ca fait trois jours que je suis en manque. Ca ne va pas. De toute façon, ici,

vous ne savez pas nous aider. Je vais tout faire exploser. » alors, j'interviens : « mais qu'est-ce qu'il se

passe, exactement ? ». Il me dit : « on m’a volé ma métha ici, c'est de votre faute, vous n’avez rien fait.

On a volé ma métha, à cause de ça, je ne peux pas en ravoir. » Effectivement, chez nous, comme il est

sous traitement, on ne redonne pas un second traitement, vu qu'on ne sait pas si réellement il a disparu.

On a expliqué un peu la situation, on lui a dit que nous, on ne sait pas vérifier tous les vols ici. On leur

dit toujours qu'ils doivent faire attention à leurs affaires, parce que c'est pas contrôlé. On élève un peu

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 203

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la voix sur lui, parce que... Je crois qu'il s'en prenait à un femme, parce que c'était plus facile pour lui.

Avec la voix, mon collègue arrive et là, il se calme, parce qu'on a une relation, on se connaît. Il se

calme. Il commence à comprendre qu’il a été un peu loin, mais il explique qu'il est en manque, que

c’est difficile pour lui, qu'il n'a pas de méthadone, et qu’il doit encore attendre 3 jours. Et il part

beaucoup plus calmement.

– Quel est l’enjeu ? Pourquoi tu as choisi cette anecdote-là ?

– Moi, je trouve, c’est la souffrance qu’engendre parfois le traitement méthadone, chez les usagers.

Sûrement, ils ont une part de responsabilité, mais par le fait qu'ils la volent ou qu'ils la revendent à un

moment donné, qu'après ils se retrouvent sans... Qu'ils aient consommé dessus, qu'ils l'aient perdu.

C'est, je pense, la souffrance, parce que la violence venait, à mon avis, d'une difficulté qu'il vivait au

départ. Ce n'est pas quelqu'un de violent habituellement. C'est ça qui m'intéresse dans l'anecdote que

j'ai apportée. […] La difficulté de gérer le traitement, et les conséquences que ça a dans les

comportements, chez eux.

Un ex-usager de substitution : Christophe ou « Le regard des autres par rapport aux usagers de méthadone »

Il y a une pharmacie que je fréquente depuis 10 ans. Et au début, je prenais de la métha, mais j'étais pas encore

toxicomane. Et c'est le rapport, comment au début, la pharmacienne, elle m’accueillait. Et au fil des années,

après, j'ai eu diverses aventures, bien sûr... En plus, à cette époque-là, je faisais la manche. Après, j'ai

commencé à décrocher. Après, la pharmacienne, elle m'a regardé d’un autre ?il. Elle me voyait faire la manche.

[…] Par la suite, même si j’habitais beaucoup plus loin, je continuais à aller cette pharmacie, parce que, avec

cette pharmacienne, j'ai établi d'autres rapports. Mais avec la pharmacienne, et en plus, avec les clients qui

venaient dans cette pharmacie, parce que, dans les pharmacies, c'est toujours des habitués qui viennent. Et

même le regard des gens... Comment le regard des gens, par rapport à soi, en tant que mancheur... Et voilà,

avec le temps, j'ai vu comment le regard de cette pharmacienne et des gens autour, comment ce regard a

changé.

Un consommateur : Bernard ou « Trop de facilités, trop peu d’accompagnement ».

Depuis que je me suis séparé de ma compagne, il y a deux ou trois ans, en janvier 2006, je me suis retrouvé ici à

vivre en plein centre ville. Je fréquentais des gens qu'il ne fallait pas. J'ai eu des hauts et des bas, parce que j'ai

perdu mon boulot. Je me suis retrouvé interimaire. Je ne travaillais pas tout le temps. Il y a des fois où je me

retrouvais pendant 2-3 mois sans travailler. Quand tu te retrouves sans travailler, ton argent, tu l'uses très très

vite, en début de mois. Tu te retrouves vite à avoir des facilités, comme aller au centre X (Maison d'Accueil

Socio-Sanitaire) et vite aller chercher sa méthadone, pour 2-3 semaines. Et puis, quand tu retrouves un peu

d’argent, tu arrêtes de prendre de la métha, tu es reparti sur la drogue, et voilà... C'est des hauts et des bas, tout

le temps, comme ça. Et je trouve qu'il faudrait faire attention à ça. C'est trop facile. L'enjeu est qu'il y a trop de

facilités pour recevoir de la méthadone, et trop peu d'accompagnement. Il y a plein de gens qui ont pris la

facilité de la méthadone, et qui ne travaillent plus, avec ça. Quand ils n'ont plus d'argent, ils se remettent

directement là-dessus, mais c'est trop facile. Je suis contre la délivrance de méthadone comme ça, sans qu'il y

ait un suivi plus profond que ça.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 204

Page 205: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Un éducateur en comptoir d'échange de seringues et dans un service de santé mentale spécialisé : Simon ou

« La gélule mouillée dans le sac ».

C’est une situation qui arrive encore assez fréquemment en comptoir d’échange : une personne vient me

trouver, « je suis en rue, il pleut, j’ai des gélules de métha dans mon sac. Et ça arrive que deux ou trois percent,

ou deux ou trois partent en... » Partent en fumée. Et donc, le problème, c’est toujours de retéléphoner au

médecin, parce que évidemment, si ça arrive fréquemment, même si c’est quelqu’un qui est en rue, on soupçonne

toujours le problème de quelqu'un qui revendrait sa méthadone au marché noir. Donc voilà... En même temps,

est-ce que la personne qui vient me trouver me dit la vérité ? Ca, je n'en sais rien non plus. Ce n'est pas

vraiment possible de le vérifier, donc... […] C’est une situation qui se répète souvent et qui m’interpelle.

Un psychologue, responsable des admissions dans une communauté thérapeutique : David ou « La galère du

sevrage méthadone, et donc accès difficile au haut seuil ».

Dans le contexte particulier de [la communauté thérapeutique], où il faut être abstinent pour entrer dans le

centre, quand on est face à des personnes qui arrivent avec 60 ou 80 de métha aux admissions, c'est très

compliqué. Parce qu'on peut offrir une possibilité de sevrage à l'hôpital, mais à partir de 15. Puisqu'on est

quand même très limités dans les périodes de temps, et déjà, passer de 15 à 0, en 15 jours, ce n'est déjà pas

évident.

Donc, on se retrouve face à une situation où on est... Moi, ce qui m’interpelle le plus, c’est la galère que ça

représente après... Quelqu'un qui a pris un entretien d'admission, déjà venir à X, c'est déjà pas facile, et à qui on

dit : « non, ce n'est pas possible : il faut que tu sois à 15. » Et donc, tout le parcours de galère qu'il va y avoir

jusqu'à arriver à 15 pour pouvoir entrer à la clinique. Et à la limite, on se retrouve parfois dans des situations

où on laisse sous-entendre qu’il vaudrait mieux prendre de l’héro, plutôt que de la métha, avec tout le côté

illégal et les problèmes que ça peut engendrer aussi. [...]

[Pour parler d'une situation particulière :] David ; la recherche... ; l’entretien d’admission à XXX ; savoir que

je dois passer de 80 à 15 ; la recherche d'un autre endroit pour faire un sevrage ; l’idée de faire un sevrage,

seul, à la maison, mais ça ne va pas, parce que c’est trop compliqué ; les mois que ça prend ; les contacts qui se

gardent ; et quand on y arrive, c'est comme si c'était... En général, ça ne tient pas. Je trouve qu'il y a toute une

galère qui fait que, pendant 4-5 mois, il va se battre pour arriver à 15, et puis pour arriver de 15 à 0. Puis, il

reste une semaine, et il s’en va. [...] Ce n'est pas galère des procédures, c'est le sevrage. C’est la galère de se

sevrer la méthadone. […] C’est comme s’il s’épuisait avant d’y arriver. […] C’est aussi pour moi, qui

l’accueille, de recevoir la personne bien requiquée, avec un objectif d'abstinence, et de lui dire « reviens dans

quatre mois, quand tu seras sevré ». Et on n'a pas le choix.

Un psychologue d'un service thérapeutique : Roberto ou « Tout va très bien, Madame la Marquise ».

La difficulté pour un médecin traitant généraliste, prescripteur de méthadone de pouvoir gérer les relations

particulières avec les personnes consommatrices. J’ai dans ma consultation, une personne qui vient me voir,

envoyée par la justice. Mais c'est une personne qui se présente d'emblée comme très preneur d’un travail psy. Il

est venu à l'institution, parce que son médecin lui avait donné les coordonnées, mais il m’a choisi, moi, dans

l'ensemble des collègues proposés par la secrétaire, parce que j’avais un nom à consonance italienne. Lui aussi

a un nom à consonnance italienne, donc il se dit d'emblée « ça va bien marcher entre nous, j’ai une grosse

histoire familiale derrière, que j’aimerais raconter, et vous allez me comprendre ». Mais en même temps, il me

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 205

Page 206: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

dit que c’est justement cette histoire familiale pénible, qui fait qu'il vient de rentrer tout doucement dans ce

circuit de consommation.

Et je remarque déjà l'ambivalence entre le fait que, moi, je peux l’aider, mais qu'en même temps, c’est le groupe

familial italien qui le met dedans. Donc, c'est quelque chose, déjà, de très ambigu. Et cette ambiguïté va

vraiment persister tout au long de la prise en charge. A un moment donné, il va me demander de venir toutes les

semaines chez moi, mais il ne viendra pas. Ensuite, quand il revient, il me dit « c'est vrai que je suis le vilain

petit canard, j'ai toujours été comme ça ». A un moment donné, il me dit qu’il faut absolument qu'il arrête, et il

envisage le sevrage bloc. Je lui dis que ça ne se fait plus vraiment, et qu'il me semble que dans sa situation, ce

n’est pas vraiment adéquat, et qu'en plus, il n'est pas dans les conditions. […]

Il y a toute une manoeuvre de séduction, par rapport à moi. Quand il ne vient pas, après, il arrive à m'avouer

que c’est parce qu’il se sent mal. […] Quand il ne vient pas me voir, c’est pour ne pas me décevoir. Parce que je

représente quelqu'un d'important pour lui. […] Il a envie que je garde une bonne image de lui.

Et par rapport à sa difficulté d’arrêter, je me rends compte qu'en fait, la méthadone ne suffit pas, et je lui pose

la question « mais enfin, votre médecin... Vous en parlez de cette difficulté ? De votre peur de ne pas tenir, et

donc de continuer à consommer ? ». Il dit qu’il n’ose pas trop en parler à son médecin, parce que, son médecin,

c'est quelqu'un qui a été important pour lui. C'est quelqu'un d'origine italienne, et voilà le lien. C'est quelqu'un

qui représente un peu une image parentale, pour lui, et chaque fois qu’il va le voir, il lui dit « tout va bien ». Il

lui dit qu'il arrive à arrêter, il ne lui dit surtout pas qu'il consomme. Le médecin est très content de lui, a

vraiment une attitude paternaliste. Et lui profite de cette attitude paternaliste, mais en même temps, à chaque

fois, le médecin propose de diminuer la méthadone, et lui rentre un peu là-dedans. Ce qu'il fait qu'il se retrouve

comme ça dans un cercle vicieux.

Et le problème, c'est que je me dis que, parfois, certains médecins qui exercent en libéral n’ont peut-être pas

assez le soutien d'un réseau de professionnels qui se trouvent là, pour réfléchir avec ce médecin, peut-être

l'aiguiller parfois, voire lui donner certaines informations que peut-être un médecin libéral ne peut pas avoir.

Donc, dans ce cas-ci, le médecin, malgré lui, c'est un peu le producteur du problème de la personne toxicomane.

[...] Parce qu’il est isolé, et parce qu'il y avait une relation particulière qui se nouait, où il n'y avait pas de tiers.

Et ce n'est jamais anodin, de prescrire de la méthadone, qui est un substitutif de drogues à un consommateur, ce

n'est pas comme un autre médicament. Ca se joue dans une relation particulière.

Un médecin en Maison Médicale : Alain ou « Le manque de confiance et de relation thérapeutique ».

C’est un patient qui me pose relativement des problèmes, dans le sens où, soit, il vient et tout va très bien : il

prend son ordonnance, dès qu’il l’a devant lui, il se lève, il part. Et là je me sens complètement instrumentalisé,

je suis un peu un prescripteur, mais d'un autre côté, si tout va très bien, je ne me vois pas trop lui dire « non, ça

ne va pas. Je ne te donne pas ton ordonnance, tu vas trop bien »... Quand on essaye d'entrer en contact avec lui,

il se ferme complètement, et c'est très difficile d'aller plus loin. Je lui ai déjà demander plein de fois d’aller voir

des psy, des psychiatres, je lui ai donné cinq fois les coordonnées du centre X. Je pense que j'ai déjà pris un rdv

pour lui, il n'est jamais venu. Et donc là, on se sent un peu coincé. Et par ailleurs, il y a certains moments où il

perd des gélules, il part 2 semaines chez sa mère, il revient après une semaine : « je les ai oubliées dans le

train ». Et ça revient souvent. Puis, là, se pose une question, soit je lui dit « non, tu as perdu tes gélules, tu te

débrouilles ». Donc, ça veut dire... C'est pas très thérapeutique : soit il reconsomme, soit il va acheter des

gélules, je ne sais pas trop où... Soit je lui dis « oui, d'accord, je veux bien te refaire des gélules que tu as

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Page 207: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

« perdues », entre guillemets », parce que quand ça arrive tous les deux mois... Il y a un moment où on n'y croit

plus. On essaye d'y croire le plus possible. On se dit, « si je pars du principe que je ne crois pas mes patients, je

ne sais pas les soigner ». Mais il y a un moment où on n'y croit plus. Et donc, là, si je lui dis « oui », ce n’est pas

très thérapeutique non plus : ça veut dire qu'il peut faire n'importe quoi, et que de toute façon, il aura toujours

le produit sans problème [...]. Là, c'est trop facile. Donc, c'est un petit peu le malaise du médecin, que je veux

mettre en exergue, dans une relation thérapeutique qui ne se passe pas bien, qui ne se passe pas honnêtement

avec le patient. Et c'est très difficile d'aller le chercher à ce moment-là. Il y a vraiment une instrumentalisation

du médecin par certains patients. On n'est plus qu’un prescripteur de méthadone. On a beau tenter tout ce qu'on

veut pour percer le secret de la personne, mais il se ferme complètement... […] On a l’impression qu’on ne

l’aide pas et qu’il ne s’aide pas.

Un psychologue d'un centre de crise : Joseph ou « Les hauts dosages pendant les longs week-end »

– Je veux parler d’un cas, mais ça arrive fréquemment, de quelqu’un qui quitte l’institution chez nous,

qui a un gros dosage de méthadone. Et la question se pose : est-ce qu'on lui donne 2 fois 80 mg et il

part, ou 2 fois 100 mg et il part ? Trois fois quand c'est des week-ends prolongés. […] Nous, on

téléphone toujours au médecin, et c'est le médecin qui décide. Ce qu'on fait en général, on fait revenir

le patient au X, quand ce sont de gros dosages. Pour que la personne reste en vie, qu’elle ne fasse pas

d’overdose. Même si beaucoup peuvent gérer, mais c'est un risque que nous ne voulons pas prendre

[...]. Mais en même temps, on ne peut pas les laisser sans traitement, d'accord...

– Donc, là, vous êtes pris entre, soit lui donner l'entièreté même lors des week-ends prolongés, soit le

faire revenir le samedi et le dimanche, pour qu'il ait... C'est ça ?

– Oui, l’inquiétude, c’est de hauts dosages, et qu’est-ce qu’on fait pour que ça se passe correctement ?

C'est le souci que les personnes peuvent faire des overdoses... Parce qu'il n'y a pas que ça : il y a les

médicaments en plus, il y a la consommation en plus...

– On va tenter de ratacher ça plus particulièrement à une personne...

– Joseph. […] Il vient d’arriver au centre. C’est un long WE de 5 jours. Il est à 95 de métha. Si il part et

que je lui donne 5x95 de métha, je lui donne une grosse quantité de métha. On a dû choisir, et c'est

clair : on l'a fait revenir. […] Mais il habitait à X et donc il a du se taper jusqu’ici. Est-ce qu'on peut

faire ça ? Est-ce qu'on peut pas faire ça ? Est-ce qu'il faut demander à la famille de venir ? C’est une

inquiétude et en même temps, c’est par souci pour le patient. Dans les deux cas, je comprends qu'il va

être embêté. Je comprends qu'il va être mal si on ne lui donne pas le produit, et je comprends aussi

qu'il va être vachement mal si il s'enfile tout d’un coup.

Un éducateur et systémicien d'un centre ambulatoire : Dominique ou « L’entretien de la toxicomanie par le

manque de conscience de certains professionnels ».

Je vais parler, non pas de situations vécues avec des patients, mais avec des collègues professionnels. Je

voudrais soulever la prise de conscience du rôle et de la responsabilité des professionnels dans la « réussite »

entre guillemets, d’un traitement méthadone. Ca veut dire, on peut parler de Jan et Ben, ce sont deux collègues.

C'est les mêmes discussions qui, malgré les consignes d’équipe, malgré le règlement de la maison, malgré les

discussions, dépannent, prennent des exclus, entravent les règles... pour rendre service aux patients. [...]

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 207

Page 208: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Dominique est un multisuprarécidiviste dans les pertes de méthadone dans le train, dans la machine à lessiver,

son chien, son chat, mouillées dans son sac,... qui vient se faire dépanner, qui est venu à un moment donné se

faire dépanner tous les 2 jours. On voyait et on savait qu’il revendait sa métha. Et les professionnels, malgré

l'interdiction de dépanner... Il faut savoir qu'au centre, on a une règle, on peut dépanner 3 fois sur 3 mois. Les

patients sont au courant, les professionnels normalement sont au courant aussi, et dans la gestion, dans

l'ordinateur, il y a un aspect dépannage. Tout le monde sait si la personne a encore droit ou pas au dépannage,

et c'est les professionnels qui ne respectent pas les règles établies par l'institution. Et quelle est l'incidence que

ça peut avoir sur Dominique... Dominique nous entube, et par là il s’entube aussi, il nous fait un bras

d’honneur. Ca fait quinze ans que je connais Dominique, et Dominique est toujours dans la même situation. Et

voilà, il nous fait un bras d'honneur. La conséquence, c’est que lui, cela le maintient dans son système. Il ne se

tracasse pas, le gars... [...] Je pourrais même aller plus loin, il y a des fautes professionnelles. […] C'est la prise

de conscience des professionnels sur notre incidence par rapport au bon traitement, au bon suivi des patients.

[…] Cela induit l’entretien, on est presque dans l’entretien de la toxicomanie et on empêche le sevrage.

Un usager de substitutifs : Jean ou « La métha, c'est bien, mais trop facile ».

La méthadone est, pour moi, un bon moyen de substitution, mais à l'opposé, elle est très mal distribuée. Je

m'explique : pour obtenir de la méthadone, il suffit d'aller voir un médecin qui la prescrit, et une pharmacie, et

puis l'affaire est faite. Donc, même une personne qui n'a même jamais consommé de l'héroïne peut se faire

prescrire de la méthadone, un moyen comme tant d'autres de gagner de l'argent en la vendant au marché noir.

Le toxicomane est une personne qui, dans la plupart des cas, est une personne en qui on ne peut pas faire

confiance. Donc, les médecins qui prescrivent la méthadone sont très souvent abusés. Si je me permets ce

jugement, c'est que moi-même, il m'est arrivé de tromper mon médecin dans le dosage de ma méthadone.

Lorsqu'on se fait prescrire de la méthadone pour la première fois, les médecins se basent juste sur les dires du

patient, et là, je pense qu'il y a danger, car si le patient donne une fausse information sur sa consommation

réelle, le dosage qui lui sera prescrit pourrait être fatal. Je pense qu'il faudrait être plus vigilant lors de la

première prescription.

Un toxicomane à la méthadone : Didier, ou « La dépendance à la méthadone »

« Je trouve que la méthadone est un très bon produit, parce que ça m'a sorti de la misère, point de vue familial,

et point de vue de discuter, engager une conversation plus ou moins correcte, alors qu'avant, je ne savais pas :

j'étais trop pris par les produits. L'héroïne et toutes les drogues, je suis passé par toutes les drogues. Mais la

méthadone, ça m'a beaucoup aidé.

Ca fait longtemps que j'en prends, parce que j'ai été très haut. J'étais à 225 mg de méthadone par jour. Je devais

aller la chercher tous les jours en pharmacie. J'avais un suivi très correct. C'est-à-dire que je devais aller tous

les jours dans une centre ambulatoire, pour aller chercher ma méthadone. Parce que, à cette dose-là, on ne va

pas me la donner pour 15 jours ou... Même une semaine, c'est impensable. Et encore maintenant, je prends ma

méthadone tous les jours. Et je ne voudrais pas l'avoir pour plusieurs jours ou une semaine, parce que je sais

que je prendrais tout. Je ne la vendrais même pas, je la prendrais. Parce que je suis un peu tombé... Un peu...

Beaucoup... Accro à la consommation de méthadone. [...]

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 208

Page 209: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Ca m'a soigné, d'accord. Avec mes parents. J'ai pu les recontacter, parce que j'étais en guerre avec eux. [...]

Maintenant, ça fait 4 ans, que je suis avec mon beau-père et que j'arrive à discuter avec. Ma mère, j'ai un

nouveau contact humain. [...] Il y a aussi l'hygiène...

Mais ça fait depuis le jour de mon anniversaire, pour mes 18 ans. Parce qu'avant, on ne voulait pas m'en

donner, et puis on m'en a donné. Mais je n'étais pas consommateur d'héroïne. J'étais consommateur de

Rohypnol, Valtran, Desparax,... [...] A part de temps en temps un pétard. [...]

J'aimerais bien parler de la dépendance aux traitements de substitution. [...] C'est peut-être parce que j'ai un

manque affectif, que je continue à prendre des produits de substitution, pour continuer à voir les personnes qui

disent « bonjour ». Ma pharmacienne, elle me dit « bonjour » tous les matins, et elle parle avec moi pendant une

demi-heure. Dans le centre ambulatoire aussi. Et le docteur aussi. »

Une éducatrice dans une maison d'accueil : « La nécessité de l'accompagnement psychosocial »

En maison d’accueil, on a connu plusieurs usagers de substitution, mais un récemment qui a posé beaucoup de

problème. C'est un jeune homme de 19 ans, il a des problèmes d’ordre familial. Il prend un traitement de

substitution. Il prend de la cocaïne depuis l'âge de 15 ans, et il est en traitement depuis 3 mois. Il était très

violent, ce qui posait problème : il tapait dans les murs avec ses points. Pour son traitement méthadone, il voyait

un médecin généraliste tous les 15 jours

Mais pour son traitement, il faisait tout et n’importe quoi. Il échangeait de gélules avec d’autres, parfois, son

pote lui en rendait, mais pas avec le même dosage. Il décalait ses prises jusqu’au moment où il voyait le

médecin.

Ce qui nous interpellait, c'est qu'il n'y ait pas de suivi psychosocial. Le jeune homme avaient une image négative

de la psychiatrie. Ses parents sont en Habitation Protégée.

Donc, à côté de ce traitement méthadone, il n'y avait rien à côté. Pas de suivi psycho-social. Il faisait tout et

n’importe quoi. Il a même reconnu qu’il consommait encore en prenant de la méthadone. Ce qu’il fallait, c’était

arriver à le convaincre. Pour moi, voir le médecin 5 minutes tous les 15 jours, c'est pas suffisant.

Maintenant, ils gèrent eux-mêmes. Il y a une époque où ils ne pouvaient pas gérer eux-mêmes. Il était tellement

mal que de toute façon, il le prenait, mais si on ne lui rappelait pas… Ca ne marche pas.

Il est parti de lui-même, il a trouvé un logement et n’est plus là. Rien n’a changé dans sa situation, à part qu’il

vit tout seul.

Une psychologue dans un centre spécialisé d'aide aux toxicomanes : « Le manque de formations et

d'informations pour des institutions en contact avec usagers »

Il s'agit d'un couple que j’ai suivi il y a quelques années. Ils consommaient tous les deux. A l’époque où je les ai

rencontrés, la jeune fille faisait des études. Je les ai retrouvés récemment, ils sont parents d’une petite fille.

Un jour, la fillette a été retrouvée dans un état comateux. Sa mère a été soupçonnée d’avoir donné de la

méthadone à la fillette. Le père a été incarcéré. Il y a eu une demande au niveau du SAJ, et l'enfant a été placée

en famille d’accueil, chez le frère de la maman.

Le problème, c'est la manière dont le SAJ gère une situation : on demande un suivi, mais depuis 2009, je n’ai

pas encore rencontré ni la maman, ni le papa. Je rejoins le récit précédent : il y a un manque de suivi psycho-

social, mais aussi d’informations. La déléguée est en demande d’informations sur la méthadone. Le contexte de

la méthadone, et la consommation, font qu'on ne sait pas si, finalement, l’enfant a absorbé ou non de la

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 209

Page 210: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

méthadone. Il y a un manque d’info sur les traitements de substitution, pour une structure qui finalement a

l’avenir de l’enfant en main. Les décisions sont prises sans connaissance de la problématique de la substitution.

Un psychiatre au sein d'un hôpital psychiatrique : « L'absence de Pères »

– Jean-François est arrivé avec une mesure d’observation du juge de paix, dans un autre service que le

mien. Puis il a été transféré dans un de mes services. Il y a deux services, avec un nombre de lits

différents. Et moi, à la clinique, je suis spécialiste des drogues dures. Jean-François arrive avec une

mesure d’observation de 30 jours. Il est agressif avec sa mère, et consommateur d’héroïne. Le rapport

est rédigé par un médecin pour le juge de paix, malgré une méconnaissance du patient. Et le juge de

paix a rédigé une ordonnance de placement. Le raisonnement du juge, c'était ceci : « Jean-François

deale de la drogue, en consomme, il est dangereux pour lui et pour les autres. Comme il persiste dans

ce comportement, il est malade mental, donc je l’enferme ». Mais on n’a pas le droit d’enfermer les

gens addict, ce n’est plus un crime, à moins d’une maladie mentale. Jean-François harcèle ses grands-

parents, à qui ils pompaient 3000 euros par mois. Sa mère avait eu le même comportement avec ses

parents. Le patient disait pendant sa période d’observation... Il était assez réglo... Il se disait déprimé.

Mais sinon, le diagnostic de dépression n’était pas véritable. Mais je me suis fait piéger par la détresse

des grands-parents. Leur seul recours, c'était qu'ils portent plainte. Plus tard, j’ai laissé sortir le

patient, qui revenait toutes les 3-4 semaines. Comme il était tout le temps sous l’ ?il de la PJ, il venait

se réfugier à l’hôpital. Un expert psychiatre est venu le voir. Le patient avait peur de se retrouver en

XXX. Je lui ai dit qu’il était responsable (au patient), puis j'ai déclaré le patient guéri : il n'avait pas de

maladie mentale. Mais il a commencé à boire, comme son père.

– Quel est la place du produit de substitution dans le récit ?

– Les consommations étaient associées à des problème psychiatriques, avec la défaillance des familles,

l'absence de papas. Je n’ai quasi aucun père dans toute ma patientèle. Et j’ai un rôle de père : mettre

la loi et les limites. J’ai essayé de pallier à cette défaillance paternelle. (…) L'enjeu, c'est donc :

comment faire quand il n’y a pas de père ?

Une coordinatrice d'une maison d'accueil : « Penser, non seulement au traitement de substitution, mais aussi

à l’homme ».

Je pense à plusieurs patients pour cette histoire. Les patients sont toujours rattrapés par leur passé. Arthur

arrive chez nous, n’a plus de famille, a été SDF pendant 4-5 ans. Il n'a plus d’identité, il est à la rue. Il arrive

chez nous en mauvais état. On lui apprend à se reconstruire, à reprendre confiance en lui. Quand on commence

à parler de ressortir, il flippe, notamment pour trouver un logement. Il se remet à consommer.

A chaque fois, au moment où il devrait sortir, avec la méthadone à un faible dosage, il n’est pas bien, donc on

doit de nouveau augmenter le dosage.

On trouve un logement, une solution, mais au moment où il doit sortir, il est rattrapé par la justice, on lui dit

qu’il doit retourner en prison. Ca casse le travail d’un an, la construction de la confiance, tout est à

recommencer.

On est devenu leur famille...

Pause dû à un problème enregistrement

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 210

Page 211: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Donc, on assiste là à un retour de la justice, qui met en échec une année de travail. La personne est stabilisée

dans le service, mais il y a une coupure, brutale, avec le service, avec qui il a construit une relation de

confiance.

Les patients gardent leur étiquette de tox, et c’est difficile de s’en défaire. Même quand ils se sont reconstruits,

ils sont rattrapés par leur passé. La justice les recontacte suite à des faits d’il y a 5 ans. On avance à 2 vitesses

: la justice d’un côté et le médical de l’autre.

Un usager de méthadone : « La dépendance au traitement de substitution »

– Mon traitement, je trouve que la méthadone est un très bon produit, parce que ça m’a sorti beaucoup

de la misère, point de vue familial, et point de vue de discuter, d’engager une conversation plus ou

moins correcte, que avant je ne savais pas, j’étais trop pris par les produits, je suis passé par toutes les

drogues. Ca fait longtemps que j’en prends. J’étais à 225 mg/ jour, j’avais un suivi très correct, je

devais aller tous les jours au Phare chercher ma dose de méthadone. On va pas vous donner une telle

dose d’un coup. Je suis un peu beaucoup tombé accro à la conso de méthadone, j’en ai acheté au noir.

Ca m’a soigné, d’accord. Avec mes parents, j’étais en guerre avec eux. Ils font des trafics, j’ai mal

vécu ça. J’ai pas eu de père, et j’ai eu un beau-père qui touchait à tous les trafics sauf à la drogue.

Donc, j’ai été rejeté comme une poubelle. Depuis 4 ans, j’ai un contact humain avec mon beau-père, et

avec ma mère. Sans mensonges. J'ai aussi plus d’hygiène. Mais il y a la dépendance au traitement de

substitution. Depuis le jour de mon anniversaire à 18 ans. Mais je n’étais pas consommateur d’héroïne.

Je fumais un joint de temps en temps. J’allais chercher l’herbe, le médecin la gardait et me donnait une

petite dose par semaine.

– Ce que tu veux dire, c'est que le traitement de substitution aide à vivre, mais qu'on en dépend ?

– Peut-être parce que j’ai un manque affectif, qui me fait continuer à prendre un traitement de

substitution. Ma pharmacienne, je parle avec elle tous les jours. Le traitement me permet de garder

contact avec certaines personnes, ma pharmacienne, mon médecin, le Phare,… J’étais à 220 mg par

jour, j’ai pris de hautes doses, jusque 1200 mg par jour. Je mettais de l’eau dans les flacons que je

déposais au Phare. Je prenais tout le traitement, pour toute la semaine, d’un coup.

Un médecin Alto : « Le rythme imposé par l'entourage »

– Je pense à un patient, qu'on va appeler Joann. Tout s’est très bien passé pendant des années. Il a

commencé à des doses élevées. Il était très gentil, très jovial, mais un peu désoeuvré, sans boulot

pendant une période. Il avait commencé l’héro en étant entrainé par une bande de potes. Il vivait avec

sa copine, aussi en traitement de substitution. Et ses parents le soutenaient. Au fur et à mesure des

années, il était de plus en plus pressé de terminer son traitement. Il était descendu très bas. Au nouvel

an dernier, il reprend de l’héro. Il se croyait invincible, mais il a quand même fallu recommencer à des

doses plus élevées. Mon problème était de freiner cette descente qui me semblait un peu casse-cou.

– Ce que tu veux souligner, c'est qu'il faut prendre son temps pour arriver à une diminution ?

– Il est difficile, dans toutes les addictions, de se défaire de la dépendance, qui revient à tout allure dès

qu’il y a un petit problème. J’ai un autre cas plus problématique : le patient en question veut avoir fini

pour le 15 juillet, pour retourner en Italie auprès de ses parents. Il se rend compte que ça ne va pas

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 211

Page 212: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

marcher. Il y a une problématique affective derrière tout ça. Il y a le rôle de la mère et des s ?urs. Le

père que l’on tient à l’écart. La méthadone apparaît comme le diable, la chose à éliminer. Il y a donc

une pression familiale des deux côtés, mais, selon moi, c'est vraiment casse-pipe pour celui qui veut

descendre de 220 mg en quelques mois.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 212

Page 213: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Annexe 2 : les récits proposés dans le cadre de l'analyse en groupe consacrée à l'incidence

du parcours carcéral sur les traitements de substitution aux opiacés

Un ex-toxicomane, ayant connu un parcours carcéral : « Les délais d’attente trop longs ».

J'ai été incarcéré à la suite d'une prise de 10 kg d'héroïne pure à la prison de Lantin. Il n’existait pas de

substitution à ce moment-là. Donc, je suis arrivé là, et on m'a donné des médicaments comme d'habitude : donc,

Buscopan, Dominal, et tout ça. Puis j'ai fait ma préventive, et je suis passé à la maison de peine. A la maison de

peine, là, il y avait distribution de méthadone. J'ai demandé la méthadone, parce que là, j'ai toujours fait en

noir, j'ai toujours fait rentrer ma méthadone, par le biais de mes visiteurs. Ou par des gardiens, en payant, j'ai

toujours eu ce qu'il fallait. Je suis arrivé à la maison de peines, je suis resté deux semaines sans avoir de

ravitaillement, j'ai du attendre encore deux semaines pour avoir la méthadone, parce qu'il faut savoir qu'il faut

une pharmacie, il faut un docteur, il faut tout prouver, ils doivent prendre des renseignements, ce qui est

complètement compréhensible. Parce que les gens viennent là et disent « oui, je prends 70 mg par jour », et en

fait, ils en prennent peut-être 30. Le médecin, c'est pas son but, de le tuer. C'est le but de le soigner, pas de le

tuer.

Et je n'en pouvais plus. Je criais mon désarroi, j'ai dit « écoutez, il faut m'aider, il faut m'aider, je vais

déconner ». Je suis sorti au préau, et j'ai acheté une gélule au marché noir, dans le préau, parce qu'on peut tout

trouver en prison. A toute heure de la journée et de la nuit. Et j'ai acheté une gélule de 110, mais comme j'avais

été abstinent pendant la préventive, et le temps que j'attendais tout ça... Bon, je consommais bien un peu d'héro,

mais ce n'était pas 110 de métha. Ce qu'il s'est passé, c'est que, comme il n’y avait pas de contrôle, pas de suivi

ou test d’urine, rien, quand on m'a donné la première fois la méthadone, on m'a donné 70. Ce qu'il fait que je

suis rentré dans ma cellule, une heure après, je suis tombé les 4 fers en l’air. J'ai pris la gélule que j'ai été

chercher dehors. Donc, j'ai fait du coma. Ce qui ne serait pas arrivé si on avait pris sa demande en compte, et

qu'on avait pris en compte mon passé. En plus, moi, j'avais l'héroïne pure, c'était pas la crasse qui court sur la

rue, c'était plus fort. Donc, j'étais plus mal en point. Et voilà.

Il y a un mauvais contrôle sur ça. On la distribue à 6 heures et demi du matin. A 6 heures et demi du matin, c'est

vrai qu'on est content de la prendre, la méthadone. Mais si après vous avez une visite, et que vous continuez à

prendre de l'héroïne, en cachette, avec votre substitution, ça fait deux : ça fait héro + substitution. Et ça j'en ai

vu beaucoup tomber. Et ça, c'est un manque, par rapport à la prison, qu'il n'y a pas à Andenne par exemple,

parce qu'à Andenne, on est très bien suivis, par le psychiatre, les infirmières, le médecin, le psychologue.

Franchement, on est très bien suivi : j'ai fait quatre ans là, à la prison d'Andenne, et on est très bien suivis. Là,

ça ne peut pas arriver. Comme c’est une maison de peine, ils nous connaissent, ils voient quand ça ne va pas, et

on peut aller voir les professionnels.

Une assistante sociale au sein d'un centre spécialisé : « Le manque de préparation à la sortie »

C'est une personne qui avait un traitement de méthadone en prison. Au moment de la sortie, s’ils ne sont pas

sevrés, il faut qu'il y ait un relais vers la structure qui les prenait en charge. Cette personne est sortie de prison,

il n’y avait pas de suivi, c'était un vendredi, et il était 5 heures du soir. C'est la porte ouverte à toutes les

rechutes, parce qu'à la place St Lambert, on sait bien qu'il y a le marché noir. La grosse structure qui est

ouverte le soir, c'est le centre X (Maison d'Accueil Socio-Sanitaire), pour délivrer de la méthadone. Ils peuvent

voir un médecin, ils peuvent manger.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 213

Page 214: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Mais s'il n'y a pas de préparation avec le service partenaire, c'est pas l'idéal.

Un toxicomane ayant eu un parcours carcéral : « Le manque de communication avec les prescripteurs »

Lorsque je suis rentré à Lantin, on m'a demandé si j'avais un médecin. C'était ma 8eme et dernière entrée. J'ai

vu le médecin le lendemain, parce que je suis rentré un dimanche. Il m'a donné des cachets, n’ayant rien à voir

avec la substitution : des neuroleptiques qu'on a jamais l'habitude de prendre, ce qui fait qu'il peut y avoir des

gens qui sont dans un état impitoyable le lendemain.

Et moi, le lendemain, ce qu'il se passe, à Lantin, c'est que le médecin doit contacter par fax, un service : « Alors,

voilà, on a reçu Mr à Lantin, il est rentré ce jour. Je vous envoie un fax comme de quoi il avait un suivi de

méthadone, de par exemple 80 mg ». C'est un exemple. Eux ils envoient le fax, à, par exemple, le centre X. Et

soi-disant, le fax a été envoyé au centre X. La réponse doit arriver dans les quatre jours. Si tu n'as pas la

réponse dans les quatre jours, tu n'auras rien. Déjà, le lendemain, quand il envoie le fax, on se réjouit qu'il

reçoive la réponse, pour qu'on nous appelle à l'infirmerie, pour prendre la métha, parce qu'on est en manque. Et

le manque est très dangereux. Même si ils donnent des neuroleptiques, comme des Valium, Trasolan, Dominal,

Buscopan, des bêtises qui ne feront rien du tout, hé bien, on a ça, et rien d'autre.

Moi, ils ont envoyé le fax au centre X. Le lendemain, on ne m'avait pas appelé à l'infirmerie, donc je suis

retourné voir le médecin. J'ai dit « écoutez, je n'ai pas eu de contact avec le centre X, mais avez-vous eu des

nouvelles du centre X ? ». Ils m'ont dit « non », et ils m'ont montré une preuve qu'ils avaient envoyé le fax. Alors

j'ai demandé au chef surveillant, quelqu'un que je connaissais, parce que pour avoir quelque chose, il faut

connaître des fois certaines personnes. J'ai demandé pour pouvoir téléphoner, il m'a dit « oui, ça va, je te laisse

téléphoner, normalement, tu ne peux pas, mais je te laisse téléphoner ».

J'ai téléphoné au centre X, et ils m'ont dit « on n'a jamais reçu de fax ». Mais moi là-dedans, c'est qui qui est

embêté ? C'est moi. Eux, ils en ont rien à foutre, le centre X. La maison médicale n'en a rien foutre que je chialle

au téléphone, parce que je suis en manque de benzodiazépines, parce que je suis sous benzodiazépines, ça fait

25 ans que j'en prends des doses mortelles pour ceux qui n'ont jamais touché à un cachet. Et de la méthadone,

quoi.

Je retourne alors à l'infirmerie, à la demande du chef. Il me dit « non, on n'a jamais reçu de fax ». Alors, de là,

je retéléphone au centre X, je lui dit que le médecin m'a montré la preuve comme de quoi ils ont bien envoyé le

fax. « On n'a jamais reçu de fax, et si demain on n'a rien, vous resterez dans votre cellule pendant vingt jours

avec vos médicaments ».

Alors, qu'est-ce que j'ai du faire ? J'ai du y aller tous les jours, voir le médecin. Aller l'embêter, pour voir le

psychiatre de Lantin. Parce que le psychiatre, à Lantin, vous ne pouvez le voir qu'avec une autorisation du

médecin.

Ca, c'est mon histoire. Mais seulement, moi, j'ai du attendre plus de 15 jours avant de voir le psychiatre. Oui,

mais seulement, le psychiatre ne donne pas de méthadone, ne donne pas de Mefenon...

Je veux dire par là que le système est très mal organisé, pour avoir des contacts, entre Lantin et l'extérieur. Eux

que je sois dans ma cellule, que je souffre, c'est pas pour ça qu'il ne va pas pouvoir manger à midi, le mec.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 214

Page 215: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Un médecin en établissement carcéral : « Quelle motivation se trouve derrière la demande de traitement de

substitution ? »

Une personne est entrée dans un projet qu'on avait mis en place en prison. Et on proposait à tout qui le désirait,

d’entrer dans un groupe de gens à qui on donnait d'abord un traitement de substitution, puis un sevrage et une

prise en charge. On avait engagé des éducateurs, on proposait des cours, du sport,… On a eu très peu de

personnes au départ. Ma question, c'est donc la motivation. Mon interrogation, c'est... On a eu difficile de

trouver des candidats. Puis difficile d’intégrer le projet, de se lever le matin, participer aux activités, de vivre en

groupe. Donc, on a arrêté le projet. Pourquoi y-a-t-il un manque de motivation ?

Michel a fait partie du groupe, il a été motivé au départ, puis on a remarqué qu'il y avait de la consommation :

quand quelqu'un sortait, il ramenait, et tout le monde consommait. Le projet a duré quelques mois puis a dû être

abandonné.

Un agent carcéral, détaché en infirmerie : « Le traitement de substitution comme bouée de secours »

Cédric demande un traitement de substitution. Mais il le fait, non pas car il veut arrêter la drogue, mais parce

qu’il n’a pas assez d’argent pour se payer sa drogue. Il n'a plus de ressources. Mais quand il en a, il

reconsomme. C'est juste parce qu'il n'en a plus, qu'il demande de la substitution. Pour moi, il y a une

instrumentalisation du traitement, pour d’autres objectifs qu’arrêter.

Un psychologue en service de santé mentale : « L'auto traitement de substitution»

Quelqu’un part d’une consommation d’alcool, puis se retrouve en prison. Là, il ne trouve pas d’alcool. Mais il

trouve ses propres traitements de substitution à l'alcool, par les drogues. Il a 37 mois de prison et son seul

moyen est de passer à d’autres produits. Il commence à fumer de l’héro avec son codétenu. Il est passé aux

traitements de substitution en suivant son codétenu. Il s’agit d’automédication, d’auto-traitement de

substitution.

Un psychologue en service de santé mentale : « L'impact environnemental»

Un jeune de 24 ans est incarcéré depuis 8 mois. Il est sous méthadone depuis un mois. Il est dans un discours

formaté comme s’il parlait à un agent de probation « L’héroïne, c’est de la merde, je vais facilement arrêter,

… » Il conforme son discours aux attentes. Au niveau familial, ce qui ressort, c'est qu’il n’attend que de sortir de

prison pour recommencer. Sa maman le soutient et l’encadre durant le WE, ce qui semble l’aider.

Ce que je veux dire, c'est qu'il y a un impact de l'environnement, sur la consommation ou la non consommation

de la personne.

Un toxicomane, ayant eu un parcours carcéral : « Le produit de substitution à l’entrée »

Quand je suis entré en prison, on m'a donné une camisole chimique. Après 5 jours, on ne m'a plus rien donné et

on m'a laissé comme un chien. Tu deviens malade. Le maton rigole et dit «Tu n’avais qu’à pas te droguer. »

Qu’on ait un produit de substitution ou non à l’entrée, un suivi et un traitement de substitution sont nécessaires

en prison. Or, ceux-ci sont absents.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 215

Page 216: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Annexe 3 : Exemple de guide-lines concernant les traitements de substitution

Cette recherche-intervention aura donc bien démontré l'incertitude intrinsèque aux traitements

de substitution, singuliers à chaque patient. Il peut donc paraître paradoxal, de publier en

annexe des guide-lines concernant ces traitements.

Ce paradoxe ne sera résolu que si le lecteur s'attache bien à ne comprendre ces guide-lines

qu'en tant que constitutives de points de repères, et non pas de règles univoques, à suivre

aveuglement.

Encore une fois, et au vu des conclusions précédemment expliquées, il s'agit pour les

praticiens 1) de ne pas s'enfermer dans des cadres d'intervention trop formatés, et 2) de

bénéficier d'aides en ce sens.

Les guide-lines suivantes n'ont donc que pour but de donner quelques informations et points

de repères, sans plus d'ambition.

Ceux qui seraient intéressés par l'original de ces guide-lines, peuvent le commander auprès du

Centre Alfa.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 216

Page 217: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Guide de bonne pratiqueen matière de prescription detraitements de substitution…

Réalisé par l’équipe pluridisciplinaire du Centre Alfa : Christian Figiel, médecin directeur et psychiatre

Dominique Gilles, médecin généralisteArnaud Gérard, médecin généraliste

Ada Biondi, médecin généralisteChristian Jacques, médecin généraliste

Egon Dohmen, psychologueAnne-Lise Gardin, assistante sociale

Editeur responsable : Jacques Van Russelt, coordinateurRéalisation : Anne-Lise Gardin

Décembre 2009

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 217

Page 218: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Préambule : Les traitements de substitution à destination des usagers dépendants aux opiacés existent en région liégeoise depuis presque 20 ans sous l’égide officielle de la Commission Médicale Provinciale de Liège. Le Centre ALFA, qui fut un des acteurs importants de leur implantation dans l'offre de soins, reconnaît, pour un grand nombre de patients, les bienfaits d'une offre de soins en milieu non-spécialisé par des médecins généralistes travaillant isolés ou en équipe.Cependant, les travailleurs et médecins en structures de soins pour personnes usagères de drogues sont confrontés à des pratiques de prescription et d'utilisation des traitements qui peuvent détourner nombre d'usagers des prises en charge de qualité. Des études locales récentes ont montré l'ampleur de revente de traitements de substitution au marché noir, de prescription et délivrance en officine pour des durées excessivement longues, d'absences aux consultations médicales, etc. Ce marché noir entraîne autour des produits de l'arsenal thérapeutique une confusion entre un usage toxicomaniaque et un traitement médical. Le Centre ALFA a décidé, en équipe pluridisciplinaire, de publier le présent guide, afin de baliser des pratiques médicales de qualité. Il sera illustré par quelques cas vécus qui nous ont interpellés.Il est certes indispensable de responsabiliser les usagers. Il importe aussi d'alerter les praticiens sur ces dérives. Nous déplorons le peu de formation offerte aux médecins dans le cursus académique et le master complémentaire en médecine générale. Nous souhaitons que les médecins soient encouragés à suivre les formations spécifiques et les intervisions qui leur sont proposées.Alors que la banalisation des traitements de substitution est grandissante, la loi nous rappelle, depuis 2004, que les produits de substitution restent des stupéfiants et que les prescrire sans balises peut constituer un entretien de toxicomanie1.

Bases théoriques du traitement : 1. Principes de bases du traitement de substitution : La méthadone et la buprénorphine (Subutex®, Temgésic®, Suboxone®), ne concernent que les dépendances avérées (physique et psychologique) aux opiacés. Ce traitement n’est pas indiqué pour les dépendances aux autres substances psychotropes (cocaïne, amphétamines, benzodiazépine, ou même cannabis).

2. Induction du traitement de substitution :Le choix du médicament peut différer en fonction de la situation du patient et de ses préférences.Avant tout, il est nécessaire de vérifier la réalité d’une dépendance physique aux opiacés par le recoupement d’éléments tels qu’un éventuel traitement antérieur, une anamnèse approfondie, voire une analyse d’urine.

−La méthadone : Rappel : Chez les sujets adultes non-dépendants aux opiacés, une dose de 40 mg peut être mortelle.S’il n’est pas possible d’avoir une estimation précise de la consommation, il est conseillé de commencer par une prescription de 20 à 30 mg. Il s’agira d’augmenter la dose de 10 mg en 10 mg jusqu’à la dose d’entretien et de voir le patient très régulièrement au début du traitement. Un sous-dosage est potentiellement moins dangereux qu’un surdosage.

1 Pour mémoire :La loi du 24 février 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques prévoit des sanctions pour

les praticiens de l’art de guérir, de l’art vétérinaire ou d’une profession paramédicale qui auront abusivement prescrit, administré ou délivré des médicaments contenant des substances soporifiques, stupéfiantes ou psychotropes de nature à créer, entretenir ou aggraver une dépendance.

Ne peuvent être sanctionnés, en vertu de cette loi, les traitements de substitution dispensés par un praticien de l’art de guérir.

(voir suite bas de page suivante)

Ces traitements sont réglementés par l’arrêté royal du 19 mars 2004. Selon cet arrêté :

- Les médicaments utilisés dans le cadre d’un traitement de substitution sont délivrés par le pharmacien d’officine dans un emballage avec une fermeture de sécurité pour les enfants.

- Le traitement de substitution est délivré au patient lui-même en doses journalières.

- En officine, le médicament est si possible administré, dans le respect de l’intimité du patient, en un endroit hors de vue du public, quotidiennement, sous forme orale, en présence du pharmacien ou d’une autre personne agissant sous sa responsabilité.

- Par dérogation, le médecin prescripteur peut fixer d’autres règles pour l’administration du médicament si la situation médicale ou psycho-sociale du patient le justifie. Pour favoriser la compliance du patient, et diminuer l’incidence des trafics potentiels, il est cependant recommandé que le traitement de substitution prescrit en une fois ne couvre pas une période supérieure à 15 jours, et que la quantité de médicaments délivrés ne dépasse pas les besoins d’une semaine de traitement.

Les Commissions Médicales Provinciales exercent également leurs missions de surveillance dans le cadre des arrêtés royaux des 31 décembre 1930 et 22 janvier 1998 qui réglementent respectivement les substances stupéfiantes et certaines substances psychotropes.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 218

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−La buprénorphine : Caractéristiques : C’est un agoniste opiacé partiel à grande affinité sur les récepteurs. Il va dans un premier temps déplacer les autres opiacés des récepteurs (méthadone, héroïne, … ) et comme son action intrinsèque est moindre, une sensation de manque précipité se produira ; c’est pourquoi il est nécessaire de suivre les premières 24h.Augmenter la dose directement n’est pas une solution.La demi-vie du médicament est de 48h.

Indications :-dans les dépendances récentes à un opiacé.-dans le cas où l’on n’est pas certain de l’importance de la dépendance à l’opiacé.-lors d’une petite rechute à l’héroïne après un sevrage.-lorsqu’il n’y a pas eu de traitement par méthadone ou en fin de traitement méthadone.-lorsque le patient le souhaite.

Avantages : -Traitement de plus courte durée possible.-Moins de risque de surdosage.-Plus d’affinité sur les récepteurs aux opiacés.

Délivrance : La plus grande difficulté est d’éviter le manque précipité dû au déplacement de l’héroïne ou de la méthadone des récepteurs par la buprénorphine.

Il s’agit alors de prescrire la buprénorphine 8 à 12h après la dernière prise d’héroïne ou 36 à 48h après la dernière prise de méthadone.Commencer par une dose de 2 mg.

Commencer par 2 mg, puis, 2 mg toutes les 2h pour arriver à une dose de 8 mg dans les premières 24 heures.

Si le manque précipité se fait ressentir, reprendre 1 mg toutes les 2 heures jusqu’à la disparition du manque.

• Remarque : ◦ Contact avec les pharmacies : rappeler le contrat médecin-pharmacie-patient.

Pour des cas particulièrement désinsérés, la délivrance du traitement de substitution en dispensaires type Start, MASS est conseillée.Avoir un contact avec les pharmaciens est préférable.

◦ En Belgique, parfois sous la pression du patient, par excès de prudence, par crainte ou par manque de connaissances, les médecins sous-dosent le traitement ; or, les doses recommandées pour un traitement de substitution sont en moyenne de 60 à 90 mg de méthadone ou 8 à 16 mg de buprénorphine, adaptable individuellement bien sûr, le but étant de trouver la dose qui supprime les symptômes de sevrage et diminue le craving à l’héroïne, sans signe d’intoxication (myosis, somnolence, etc.)

◦ Pour un métabolisateur rapide qui ressent les signes de sevrage après 12h, la dose peut être fractionnée en deux prises par jour.

◦ Le traitement de substitution n’est qu’une partie d’un suivi pluridisciplinaire et holistique. Ne pas hésiter à en parler avec des collaborateurs, à entrer en contact avec les partenaires de la situation du patient ou à faire appel à un centre spécialisé.

◦ Délivrer au moins une fois par semaine, voire quotidiennement en fonction des facteurs de risques. Prescrire une délivrance plus espacée entraine une possibilité de surdosage, mais aussi une tentation d’alimentter le marché noir en cas de consommation d’héroïne.

Facteurs de risque :

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 219

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•Irrégularité aux rendez-vous.•Désinsertion sociale importante (SDF, squatt, absence de ressources, etc.)•Impossibilité/incapacité de gérer un traitement.•Personnalité de type psychopatique.•Comorbidité psychiatrique (suicide, psychose, etc.)•Pharmacophilie, polytoxicomanie (alcool, benzodiazépine, etc.)•Dosage élevé.

• D’autres perspectives sont envisageablesPassage de la buprénorphine à la méthadone ou inversement.

Dans un avenir proche, pour une durée limitée dans le cadre d’un projet pilote et pour un certain nombre de personnes, il sera possible d’obtenir une délivrance expérimentale d’héroïne médicale (diacétylmorphine).

•Passage d’un traitement à un autre : cfr supra.

Passer de la buprénorphine vers méthadone ne pose aucun problème.

A l’inverse, passer, de la méthadone à un traitement à la buprénorphine nécessite certaines précautions.

Il faut diminuer le dosage de méthadone jusque maximum 40 mg, l’idéal étant de descendre jusque 20 mg avant de passer à la buprénorphine.

Conclusion : − Revoir le patient très régulièrement au début du traitement (une fois par semaine). Après stabilisation, privilégier un contact au moins tous les 15 jours.− Discuter avec lui des avantages et inconvénients des deux produits.− Parler du traitement aux partenaires (équipe, pharmacie etc.).− Tenir un dossier pour chaque patient

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Page 221: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Poursuite du traitement de substitution : Une fois la dose d’entretien trouvée, il s’agira de continuer à voir le patient au moins tous les 15 jours.

− Problème de la co-prescritpion de médicament psycho actifs (neuroleptique, benzodiazépine etc.) : En cas surconsommation de médicaments ou d’alcool, le risque d’overdose est élevé.Les médecins remarquent également un problème de compliance avec les neuroleptiques et les antidépresseurs et un risque d’abus avec les benzodiazépines. Il est possible, avec l’accord du patient et l’avis d’un spécialiste, de prescrire conjointement un médicament dans la préparation magistrale de méthadone.Certaines précautions sont à prendre :• Eviter les médicaments comportant beaucoup d’effets secondaires, toxicomanogènes et de risques et/ou qui font l’objet d’un grand trafic au marché noir (flunitrazépam, bromazépam etc.)• Préférer les médicaments à longue demi-vie, plus stabilisants (clonazépam –Rivotril®-, diazépam –Valium®- ).• En cas de soupçons d’abus ou de situation quotidienne difficile à gérer (sdf ou très marginalisés), préférer les petits conditionnements.• En cas de prescription d’un grand conditionnement pour une question financière, demander une délivrance fractionnée à la pharmacie est préférable.• Au début du traitement, une délivrance plus régulière, voir quotidienne est préférée.• En fonction de la durée de vie du conditionnement et le rythme de prescription, vérifier ou estimer la compliance du patient au traitement.• Il est important de noter dans le dossier du patient la dose prescrite, la forme du traitement, le mode de délivrance, la date mais aussi les partenaires de la situation.

Fin du traitement de substitution :

Le sevrage du traitement ne doit démarrer que quand il y a une stabilisation sociale, psychologique et somatique.Faire attention aux patients qui pensent être « guéris » et qui demandent de diminuer le dosage prématurément.

La méthadone : Généralement, une diminution de 10 % n’est pas ressentie et se fait comme suit :Entre 120 mg et 80 mg, diminuer par paliers de 10 mg, maximum une fois par semaine.De 80 mg à 40 mg, diminuer par palier de 5 mg, maximum une fois par semaine.De 40 mg à 20 mg, diminuer par paliers de 2-3 mg espacé d’au moins 5 jours.En dessous de 20 mg, c’est là que le risque de rechute est le plus élevé.

Doses:

Doses Diminuer de …

Intervalles entre deux diminutions :

120 mg – 80 mg

10 mg 1 semaine

80 mg – 40 mg

5 mg 1 semaine

40 mg – 20 mg

2 à 3 mg 1 semaine

20 mg – 10 mg

2 mg 1 semaine

‹ 10 mg 1 mg à 2mg 1 à 2 semaine(s)

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 221

Page 222: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Différentes stratégies peuvent être envisagées :üAugmenter l’intervalle entre deux diminutions et ne pas diminuer de plus de 2 mg à la fois. Il ne faut pas hésiter à faire une pause dans la diminution voir d’augmenter la dose s’il y a des rechutes ; le schéma doit être souple. Parfois, garder une très faible dose plus longtemps peut se justifier par la nécessité du deuil du produit et de la relation avec le médecin ou d’une stabilisation sociale plus lente.Il faut donc offrir aux patients la possibilité de garder le lien avec le médecin même en dehors de toutes prescriptions.üPassage à un traitement à la buprénorphine (SUBOXONE®, SUBUTEX®, …), ce qui demande une capacité de compréhension et un respect des consignes (cfr supra).Quand le sevrage à la méthadone est terminé et qu’il y a une rechute, il est possible de proposer au patient de reprendre un traitement de substitution à la buprénorphine pour marquer le passage d’une étape (voir page 2).

La buprénorphine : Généralement, la diminution se fait comme suit :16 mg, diminuer par palier de 4 mg maximum une fois par semaine.8 mg, diminuer par palier de 2 mg maximum une fois par semaine.4 mg, diminuer par palier de 1 mg maximum une fois par semaine pour arriver à une dose de 1 mg.

A partir d’une prescription de 1 mg, et étant donné les dosages de la buprénorphine, il est possible de passer au Temgesic® (buprénorphine de 0.2 mg – 4 comprimés par jour) et diminuer d’un comprimé (0.2 mg) tous les 2 ou 3 jours.

Vu la longue durée de vie de la buprénorphine, il est possible également d’augmenter les intervalles entre deux prises (par exemple, passer de 24h à 36h ou 48h)

Exemple de schéma : Dénomination du médicament :

Doses Diminuer de …

Intervalle minimal entre deux diminutions :

SUBUTEX®/ SUBOXONE® comprimé de 2 ou 8 mg

16 mg 4 mg 1 semaine8 mg 2 mg 1 semaine4 mg 1 mg 1 semaine1 mg / STOP après une semaine

… … Ou : passage au …

TEMGESIC®Comprimé de 0.2 mg

Diminuer d’un comprimé (0.2 mg) tout les 2 à 3 jours.

La rechute : Les dépendances sont considérées comme des maladies chroniques et les rechutes sont fréquentes. Elles ne doivent pas être considérées comme un échec, mais bien comme un épisode qui met en évidence une difficulté à vivre sans produits.Garder une attitude empathique et non culpabilisante permet une reprise de contact rapide avec le médecin.

Bases psychologiques à prendre en compte dans l’accompagnement d’une personne toxicomane.

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üSoutien psychologique et psychothérapie :Tout intervenant peut faire du soutien psychologique. Cependant, les spécialistes formés à la psychothérapie utilisent un cadre beaucoup plus structuré (ce qui nécessite une demande du patient, une implication et une ouverture au travail psychologique). Ceci n’est pas toujours possible en début de traitement et demande un minimum de capacités cognitives et de capacité à contrôler sa consommation.Pour information, il existe différents types de psychothérapies : individuelle ou en groupe, systémique, comportementale, analytique, … Le réseau de soins est là pour vous aider (voir plus bas).

üFonction du produit et comorbidité psychiatrique :Sans entrer dans la psychothérapie, le médecin peut analyser la fonction du produit et quels risques sont encourus si le produit disparait. Ce qui permet d’orienter éventuellement vers un thérapeute.Par ailleurs, la toxicomanie peut parfois masquer un double diagnostic (dépression, psychose, etc.) ; là aussi, le réseau peut aider à mieux comprendre le patient et ses problèmes.

üEmpathie, sympathie … Cadre et limites à respecter et faire respecter :Les attitudes d’empathie et de non-culpabilisation abordées précédemment sont certes importantes pour construire l’alliance thérapeutique, mais il faut rester vigilant quant au cadre (institutionnel ou relationnel) à faire respecter, ainsi qu’aux limites personnelles de l’intervenant dans son travail. Une proximité trop grande pourrait donner l’impression au patient d’avoir une amitié qu’il pourrait perdre s’il déçoit le soignant. Il s’agit de garder une juste distance thérapeutique.La personne en crise pourrait avoir tendance à dépasser les limites. Par exemple : venir aux consultations en dehors des heures, téléphoner pour requérir une ordonnance perdue ou volée… Ce qui monopolise l’énergie du médecin et risque à la longue de l’épuiser ou de l’irriter. Il s’agit de se protéger du « burn out », de l’épuisement. Ceci est vrai aussi pour les autres intervenants.

üRéseau de soins et aide possible :Il ne faut pas hésiter à faire appel aux réseaux de soins existants et spécialisés dans les toxicomanies et les dépendances. En effet, dans ce genre de centre, il y a bien souvent un panel d’intervenants qui peuvent aider la personne de manière holistique, en collaboration avec le suivi médical mis en place : possibilité de suivi social, psychologique, psychiatrique.De plus, ce genre de collaboration est fortement encouragé par les dispositions légales régissant les traitements de substitution.

üStructure de personnalité2 et stade de motivation3 :Il est important d’évaluer où en est le patient dans le cycle de motivation et d’avancer à son rythme, tout en restant un élément stimulant pour aller vers un progrès ; fixer avec le patient des objectifs en fonction de ses projets, de sa personnalité et revenir régulièrement sur l’atteinte de ces objectifs. Le soignant ne doit pas imposer sa motivation au patient mais il existe différentes technique d’entretien, dont l’entretien motivationnel³.

Pré-contemplation : le patient n’a pas encore de volonté de changement et pas de prise de conscience.Contemplation : le patient envisage un changement mais est toujours ambivalent.Décision : le patient décide de changer un comportement.Changement : le patient change son comportementMaintien : Le patient arrive à maintenir ce changement.Rechute : le patient rechute et ré-adopte le comportement qu’il avait avant le changement.Comportement adopté : après plusieurs cycles, le patient atteint l’accomplissement de son souhait de changement.

Modalités de prescription des traitements de substitution :

2 Lecture conseillée : « Comment gérer les personnalités difficiles » de François Lelord et Christophe André aux éditions Odile Jacob, 372 pages, Paris, mars 2000.3 Inspiré des travaux de Proshaska et Diclemente.

³ Décrit pour la première fois en 1983 par William R. Miller, l’entretien motivationnel a été d'abord une approche d'intervention en addictologie.

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Il existe différentes formes sous lesquelles on peut trouver les traitements de substitution :NB : Actuellement, les pharmaciens sont tenus de délivrer, tant sirop que gélule dans des flacons de sécurité.

La méthadone :

-Sous forme de sirop : à privilégier en début de traitement.

Exemple : Rp/ chlorydrate de méthadone ou méthadone, x mg (en toute lettre)Eau distilléeSirop de framboise (ou d’écorce d’orange) aa pf x ml S/ x ml / j ( =x mg/ jour) du … au … à la pharmacie … à délivrer quotidiennement (ou 2 x par semaine, 1x par semaine, …)

D’autre formulation sont possibles (cfr : FOLIA PHARMACOTHERAPEUTICA – novembre 2009)

On peut soit garder une concentration fixe (1 mg par ml ou 2 mg par ml) comme recommandé par les FOLIA PHARMACOTHERAPEUTICA, soit garder une quantité fixe de ml de sirop en variant la concentration (ce qui peut être pratique pour les grands ou petits dosages).

Avantages : - se prête moins au trafic- grande souplesse dans le dosage

Inconvénients :- il y a parfois une caution sur les flacons- conservation dans un frigo et à l’abri de la lumière- plus fastidieux pour le pharmacien

En début de traitement, on peut privilégier un flacon par prise c’est-à-dire 7 flacons par semaine. Par la suite, on peut prescrire un flacon par semaine avec un bon doseur.

-Sous forme de gélule :

Rp/ chlorydrate de méthadone (ou méthadone), x mg (en toute lettre)Gomme de guar (ou produit équivalent) qs pf 1 gélule non injectableDt x gélule(s)S/ x gélules / jour du … au … à délivrer à la pharmacie … quotidiennement (ou 1x par semaine, ou 2 x par semaine, … )

Dans le cas où il y a deux prescriptions différentes par jour (ex : plus dosée le matin que le soir), il est possible de commander un colorant pour différencier des gélules dosées différemment.

Avantages : - discrétion- bonne conservation- moins cher que le sirop

Inconvénients :- métabolisation un peu moins rapide que le sirop (30 minutes environ)- facilité du trafic

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-Sous forme de comprimés :

Il existe en effet le MEPHENON® dosé à 5 mg.On peut utiliser son faible dosage en fin de traitement.

La buprénorphine :

üHaut dosage de buprénorphine : 8 ou 2 mg par comprimé : SUBUTEX®

üHaut dosage de buprénorphine + antagoniste (naloxone) : 8 ou 2 mg par comprimé : SUBOXONE®Peut remplacer sans problèmes le SUBUTEX®, et devrait être préféré à celui-ci surtout lorsqu’il y a un risque d’injection.Par ailleurs, le SUBOXONE® est vendu par boite de 28 comprimés, avec l’utilité de recommander une délivrance contrôlée à la pharmacie.

üFaible dosage de buprénorphine : 0.2 mg par comprimé : TEMGESIC®Son faible dosage peut être utile en fin de traitement.

Avantages : - plus discret- moins connoté ou stigmatisant- relativement peu de trafic- moins de risque d’overdose en cas de re-consommation pendant le traitement

Inconvénients : - prix un peu plus élevé que la méthadone- nécessité de respecter la manière de prendre (sublinguale)

Relais locaux éventuels :

ACCUEIL DROGUESPlace Xavier Neujean, 404000 LIEGE04/221.21.14 (fax : idem)Information/prévention/orientation/ comptoir d'échange de seringues

AIDE VERVIETOISE AUX ALCOOLIQUES ET AUX TOXICOMANES (A.V.A.T.)rue de Dinant 20-22 4800 VERVIERS087/22.16.45 & 087/22.54.85Consultations psycho-médico-social des personnes dépendantes/centre de jour

A.L.F.A. SERVICE DE SANTE MENTALErue de la Madeleine, 17 4000 LIEGE04/223.09.03 (fax : 04/223.56.86)Aide liégeoise aux alcooliques/soutien aux parents de personnes dépendantes et dépendants/suivi psycho-médico-social de la personne toxicomane/ traitement de substitution/ service parentalité/ prévention des assuétudes.

CAP FLYrue du Ruisseau, 17

4000 LIEGE04/228.07.04Traitement ambulatoire de substitution/suivi psycho-social

CENTRE PLURIDISCIPLINAIRE DE TRAITEMENT DES TOXICOMANES &ALCOOLIQUESrue Grande, 75 4460 GRACE-HOLLOGNE04/234.05.17Consultations ambulatoires

COMMISSION PROVINCIALE ASSUETUDES DE LA PROVINCE DE LIEGELa Maison du Socialboulevard d’Avroy, 28 4000 LIEGE04/232.31.53Groupe de réflexion/professionnels/prévention

LA TEIGNOUSErue Sart 2 4171 COMBLAIN-AU-PONT04/380.08.64Accompagnement psycho-social/éducateurs de rue

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LES LIEUX DITSrue Saint-Lambert 84 4040 HERSTAL04/248.48.11Accueil/consultations ambulatoires/ traitement de substitution

NADJARue Souverain Pont, 564000 LIEGE04/223.01.19Accueil ambulatoire/toutes toxicomanies

SERVICE INTEGRE D'AIDE AUX JEUNES ET AUX FAMILLES (S.I.A.J.E.F.REVERS)rue Maghin 19 4000 LIEGE 104/227.68.76Accompagnement de personnes toxico-dépendantes/café sans alcool/activitésculturelles/loisirs/comptoir échanges seringues/réhabilitation socioprofessionnelle

PACTrue des Alliés, 19 4800 VERVIERS087/35.37.25Prévention et accompagnement des comportements toxicomanes

SERAING 5rue de la Province, 104 4100 SERAING04/336.36.88suivi psycho-social ambulatoire

START MASSRue Montagne Ste Walburge, 2-44000 Liège04/224.63.09 (fax : 04/224.63.07)Suivi médical de la personne toxicomane/ accueil/ comptoir d’échange de seringues

STRUCTURE D'ACCUEIL POUR TOXICOMANESrue de la Résistance, 2 4500 HUY085/23.66.03Aide individuelle/suivi psycho-social en ambulatoire

La province de Liège a édité un répertoire d’aide aux personnes toxicomanes disponible gratuitement et sur simple demande au centre d’étude et de documentation sociale :

Boulevard d’Avroy, 28-304000 LiègeTél : 04/237 27 49 ou 04/237 27 50

Par ailleurs, si un médecin se sent en difficulté avec cette problématique, il peut également faire appel au CEFOP :

Rue des Vennes, 167

4020 Liège04/344.94.00

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Vignettes cliniques à la base du questionnement sur les bonnes pratiques :

Nathalie et l’auto-médication :

Nathalie est une jeune femme héroïnomane enceinte qui fréquentait le centre Alfa à une époque.Après un suivi prénatal normal, lorsqu’elle fut sur le point d’accoucher, son ancien médecin de l’Alfa fut contacté.L’enfant naquit avec un gros syndrome de sevrage.

Quel fut l’étonnement de notre médecin d’apprendre que durant toute sa grossesse, alors que nous n’avions plus de contact avec elle depuis longtemps, Nathalie n’avait pas pris d’héroïne, mais bien de la méthadone et que personne n’avait cherché à savoir d’où provenait ce traitement. Personne n’avait cherché le médecin prescripteur (inexistant car il s’est avéré qu’elle achetait son « traitement » au marché noir).

Carlos et la gestion de ses dépendances :

Carlos est toxicomane depuis de nombreuses années. Régulièrement, il s’est tourné vers la méthadone au marché noir pour pallier le manque d’héroïne ou pour arrêter de consommer un moment. Ca lui convenait bien.

Par la suite, Carlos, dans une démarche plus symbolique a pris un rendez-vous au Centre Alfa pour un traitement de substitution.

Consulter régulièrement un membre du corps médical représentait pour lui un projet thérapeutique différent de l’ « auto-gestion » à laquelle il avait toujours eu recours.

Cédric… A bout.

Cédric est un médecin qui consulte en privé qui accepte d’avoir des patients toxicomanes en traitement de substitution.Il reçoit Antoine, héroïnomane depuis quelques mois (délivrance hebdomadaire). Ce dernier se présente d’abord à l’heure, puis en retard de quelques heures, puis en retard d’un jour ou deux, puis trois jours avant en disant qu’il a perdu sa boîte de gélules.

Cédric ne sait plus que faire… Croire Antoine ? Continuer le suivi ? Arrêter le suivi ? Il est démuni face à sa décision.

Cédric décide de ne plus recevoir de patients toxicomanes pour un traitement de substitution, histoire de ne plus être dans ce genre de dilemme.

Mireille et l’abondance

Mireille a trouvé le médecin parfait : un privé, donc elle n’a pas de contrainte quant au respect d’un horaire précis.Un médecin qui lui prescrit ce qu’elle souhaite.Elle exagère le récit de sa consommation d’héroïne, ses crises d’épilepsies fréquentes, ses crises d’angoisse fortes… Il lui prescrit la méthadone et les médicaments psychotropes qui semblent adaptés pour le mois.

Et Mireille se rend Place Saint Lambert et revend ses médicaments au marché noir.Elle peut alors acheter ses billets aller-retour pour Maastricht où elle achète l’héroïne en grosse quantité, recoupe, divise, revend… consomme.

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Annexe 4 : Premier exemple d'un contrat d'intervention

Du Pasquier S., Guignard E., Bugnon O., Pharmacie de la PMU, (Sur mandat de l’OFSP, en partenariat avec le COROMA, les réseaux MedRoTox, la SSPH et les pharmaciens romands), Contrat thérapeutique multipartite fixant les modalités du suivi en officine des traitements par substitution aux opiacés , Lausanne, 2004

La substitution aux opiacés (méthadone, buprénorphine, …) est une dispensation à court ou long terme, dont le but principal est de permettre et de soutenir le traitement médico-psychosocial de l’addiction. Il vise à améliorer l’état de santé du patient et à faciliter sa réinsertion socio-professionnelle.

Le médecin est responsable de la prescription du traitement de l’addiction et du suivi thérapeutique du patient, en collaboration avec les pharmaciens et les services psychosociaux concernés. Il informe le patient des bénéfices attendus du traitement par substitution aux opiacés ainsi que des effets indésirables et risques du traitement, en particulier en cas d’abus d’autres substances psychotropes. Le suivi implique des visites médicales régulières.

Le pharmacien est responsable de la validation de la prescription médicale, de la dispensation et/ou de l’administration du traitement prescrit selon les standards de bonnes pratiques officinales. Il offre des conditions d’accueil respectant le droit à la confidentialité du patient. Il est d’autre part disponible pour toutes questions du patient concernant son traitement. La fréquence de dispensation et/ou d’administration du traitement est définie par le médecin, d’entente avec le patient et le pharmacien.

Dans le cadre de ce suivi ambulatoire, les objectifs thérapeutiques suivants ont été convenus entre le médecin et le patient : …………………………………………….................................................................................………………………………………………………………………………………………….………………………………………………….........................................................................

Le patient accepte de se soumettre au suivi ambulatoire tel que proposé. Ceci implique le respect des horaires fixés pour les rendez-vous médicaux, ainsi que ceux liés à la présentation à la pharmacie pour la dispensation et/ou l’administration sous surveillance du traitement. Les situations empêchant le patient de se rendre à la pharmacie pour l’administration et/ ou la dispensation du traitement selon l’horaire fixé seront annoncées à l’avance au médecin et au pharmacien ( si possible avec un préavis de ………….jours).

Le patient s’engage à prendre sous son entière responsabilité toute dose non-ingérée à la pharmacie et qui lui est confiée pour les dimanches, jours fériés ou d’autres raisons. Il adopte les mesures nécessaires pour qu’elles ne soient pas prises à son insu, par des enfants en particulier.

Le patient prend aussi note du fait que la vente ou le vol de stupéfiants et de substances psychotropes, un comportement violent ou des menaces envers le personnel pourront amener la révision des modalités du suivi ambulatoire et de l’autorisation du traitement par substitution.

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Autres éléments à insérer dans le contrat selon entente entre les parties

Oui Non (selon annexe)

De toute manière, le présent contrat et les objectifs thérapeutiques seront réévalués tous les …….. mois.

Par leurs signatures, les participants à ce contrat thérapeutique attestent de la compréhension du présent document et de leur bonne volonté à mettre tout en ?uvre pour l’atteinte des objectifs convenus.

• Patient • Nom et prénom . ………………………………………………• Signature :……………………………………………………...• Lieu et date……………………………………………………..

• Médecin• Nom et prénom . ……………………………………………….• Signature :………………………………………………………• Lieu et date……………………………………………………...

• Pharmacien : • Nom et prénom . ……………………………………………….• Signature :………………………………………………………• Lieu et date……………………………………………………...

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Annexe au contrat multipartite

Eléments à insérer ou modifications dans le contrat multipartite selon entente entre les parties

Le patient est d’autre part conscient : • que le pharmacien ne délivre pas de doses à des tiers (sauf accord du médecin et

identification claire de la personne mandatée par le patient).• que les doses ne seront pas remplacées en cas de vol, perte, dégradation ou

vomissement (sauf accord du médecin).• qu’il est important de ne pas consommer de produits psychotropes dont l’alcool et

autres drogues, pour éviter les interférences avec le traitement par substitution aux opiacés.

• qu’il est de son devoir d’informer le médecin et le pharmacien de tout traitement médicamenteux qu’il pourrait recevoir d’un autre médecin ou d’un tiers (même ceux en vente sans ordonnance), pour éviter toute interférence ou risque supplémentaire pour son traitement.

• qu’il peut lui être demandé de se soumettre à des contrôles urinaires ou salivaires. • que le pharmacien peut refuser de remettre une dose s’il suspecte que le patient est en

état d’intoxication (drogues, alcool ou autre médicament). Dans ces situations, le pharmacien consulte le médecin ou le référent désigné avant de procéder à la dispensation ; il peut être amené à référer le patient vers son médecin ou une structure spécialisée.

• que le pharmacien informera le médecin traitant s’il prend connaissance que le patient reçoit d’autres prescriptions pour des substances psychotropes.

• que pour faciliter le suivi et la qualité des soins, le médecin et le pharmacien peuvent échanger des informations relatives au patient.

• que pour faciliter le suivi et la qualité des soins, le médecin peut déléguer au pharmacien certaines décisions selon des modalités convenues entre eux au préalable en cas de situations particulières de crise (p.ex. « perte » de doses, etc.).

• que la non-observation des points cités plus haut peut amener le médecin ou le pharmacien à proposer la modification ou l’interruption du suivi ambulatoire tel que suggéré dans ce contrat.

• que le manque de progrès dans le sens des objectifs fixés doit donner lieu à une réflexion et d’éventuels changements du traitement et des modalités du suivi ambulatoire.

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Annexe 5 : Deuxième exemple d'un contrat d'intervention

CONTRAT THERAPEUTIQUE DE LA FONDATION PHENIX (GENEVE, SUISSE)

Je, soussigné

Certifie que les indications que j’ai données dans le questionnaire sont exactes.

Je considère une prise en charge à moyen ou à long terme avec l’aide de la méthadone comme une chance d’éviter la déchéance sociale, la dégradation physique et psychique, le danger d’overdose et le risque d’incarcération qui me menacent.

J’insiste sur le fait que je suis actuellement incapable par moi-même ou avec l’aide que j’ai reçue jusqu’à présent de quitter durablement le milieu de l’héroïne.

J’ai étudié très attentivement et discuté avec mon thérapeute les bases du contrat thérapeutique et m’engage à respecter pleinement chacune de ses exigences.

J’ai pris bonne note de l’importance d’un traitement à moyen ou à long terme et j’accepte de rester à Genève le temps qu’il me faudra (de quelques mois à un à deux ans dans le cas d’une cure à moyen terme et de trois à cinq ans, parfois beaucoup plus, dans le cas d’une cure à long terme) pour parvenir aux buts que je me fixe, soit :

− Enrayer la dégradation physique et psychique, ainsi que la déchéance sociale liées à l’héroïnomanie en cessant tout usage de drogues, d’alcool en excès et de médicament non prescrit

− Retrouver un bon équilibre physique et moral, résoudre mes problèmes psychologiques, sociaux, professionnels et affectifs. En résumé, atteindre une qualité de vie aussi satisfaisante que possible

− En dernier lieu, dans un temps non déterminé, lorsque je me sentirai prêt, remplissant la plupart des conditions requises, et avec l’accord et l’aide de mes thérapeutes, je m’efforcerai de me sevrer très progressivement de la méthadone et de rester libre de toute dépendance.

Si la prise quotidienne d’une dose adaptée de méthadone demeure un élément thérapeutique capital dans la prise en charge, j’ai compris qu’elle n’en reste pas moins insuffisante pour que je parvienne aux buts fixés. D’autres éléments sont primordiaux : relation personnelle privilégiée avec un des soignants, favorisée par des entretiens réguliers, ou toute autre forme de prise en charge (psychothérapie individuelle ou de groupe, thérapie de famille ou de couple, approche corporelle, etc).

Je m’engage à maintenir un contact régulier avec mes thérapeutes et à bénéficier de l’une ou l’autre des possibilités de traitement offertes.

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INCONVENIENTS DE LA METHADONE, EXIGENCES DU TRAITEMENT

J’ai pris note également des inconvénients majeurs de la méthadone, du fait que le dépendance morphinique est intégralement conservée jusqu’au sevrage et que, par conséquent, pour ne pas présenter de signes de manque, je dois absorber tous les jours une dose de méthadone.

Les premiers temps, cette absorbtion se fait tous les jours (sauf le week-end), sous contrôle, au centre thérapeutique. Je suis d’accord de me soumettre à des contrôles d’urine réguliers, en principe deux fois par semaine, et suis informé que des traceurs qui peuvent être analysés dans l’urine sont ajoutés périodiquement à la méthadone pour vérifier sa bonne prise et l’authenticité des urines. J’ai également pris note que je ne peux pas partir en vacances n’importe où et n’importe quand. J’accepte ces inconvénients encontrapartie de tous les avantages offerts par ce traitement.

De même, je m’engage à quitter totalement le milieu des stupéfiants, à cesser toute délinquance, à ne plus user de drogues majeures (héroïne, cocaïne) d’alcool en abus ou de médicaments non prescrits. Je vais m’efforcer de reprendre et maintenir une activité régulière (travail, études, apprentissage).

Je vais m’efforcer, avec l’aide des services sociaux de l’Etat ou de la Fondation, de mettre ma situation à jour, particulièrement en ce qui concerne mon loyer, mes dettes, ma caisse-maladie. Je m’acquitterai des paiements de celle-ci (primes, franchises et participations).

Je m’engage aussi à garder une tenue et un comportement corrects, à respecter toutes les règles du traitement et à maintenir une relation de confiance en m’abstenant de toute tricherie ou dissimulation.

J’accepte que le traitement soit interrompu au profit d’une autre forme de prise en charge plus aédquate si je ne respecte pas les exigences de ce contrat thérapeutique, de même que je dégage mes thérapeutes de toute responsabilité en cas d’accident survenu par ma faute.

Genève, le Signature :

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Annexe 6 : Présentation du Projet TADAM

Présentation du projet pilote liégeois TADAMTraitement Assisté par DiAcétylMorphine

(héroïne à usage médical)

Situation à LiègeMalgré la présence à Liège d'un important réseau d'aide et de soins en assuétudes, une fraction des personnes gravement dépendantes de l'héroïne reste dans une situation de dégradation physique, psychique et sociale importante. Non seulement aucun traitement actuel n'améliore leur situation mais ces personnes continuent à consommer de l'héroïne dans des conditions sanitaires parfois désastreuses. Depuis longtemps, les Liégeois sont sensibilisés à cette détresse visible qui résiste aux nombreuses offres de traitement.

Les institutions d'aide et de soins du réseau liégeois et la Ville elle-même ont souvent eu recours à des solutions innovantes et efficaces pour lutter contre les différentes conséquences de la consommation de drogues : les premières expériences avec la méthadone, l'échange de seringues, le premier centre d'accueil permanent à bas-seuil (Start), les opérations Boule de neige, un service d'urgence spécialisé en assuétudes, un réseau d'aide à la parentalité, etc.

Pour ces personnes sévèrement dépendantes qui continuent à consommer de l'héroïne malgré tous les traitements, des pays européens ont expérimenté une méthode qui donne des résultats positifs sur les plans de la santé, des comportements à risques et de la criminalité : un traitement assisté par diacétylmorphine (héroïne à usage médical).

Intéressés par les exemples étrangers, des intervenants de terrain ont proposé, dès 1995, d'expérimenter ce type de traitement à Liège. Pendant plusieurs années, la Ville a relayé cette demande auprès du Gouvernement fédéral et, en 2007, celui-ci a donné son accord sur ce projet novateur et a accordé les subsides nécessaires.

Le Gouvernement fédéral a demandé que ce projet soit élaboré dans le cadre d'une expérimentation scientifique. A cet effet, l'Université de Liège est chargée d'évaluer l'ensemble du projet. Depuis juin 2007, l'Université a mis à jour le Protocole du projet sur

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base des expériences à l'étranger. Ce Protocole a reçu l’accord Comité d'éthique Hospitalo-facultaire Universitaire de Liège, de la Commission médicale provinciale de Liège et du Conseil liégeois de l’Ordre des Médecins.

Description du traitement assisté par diacétylmorphineLe traitement assisté par diacétylmorphine prendra place dans un lieu sécurisé, spécialement conçu à cet effet, appelé "Centre de traitement". Il sera situé rue Florimont, près de la rue de la Régence au centre de Liège. Le traitement de chaque patient sera supervisé par une équipe médicale expérimentée comprenant un psychiatre, des médecins généraliste et plusieurs infirmiers.

Seuls les médecins du centre rédigeront les prescriptions de diacétylmorphine et détermineront la dose adaptée à chaque patient. Le patient discutera avec un médecin pour établir la meilleure dose possible, c'est-à-dire celle qui permettra d'éviter tout état de manque et toute envie de consommer de l'héroïne de rue, tout en évitant au maximum les effets secondaires. Pour éviter les sensations de manque, une dose supplémentaire de méthadone sera toujours proposée.

Lors de son entrée dans le programme, l'équipe médicale expliquera au patient le règlement d'ordre intérieur du centre et, notamment, les règles d'hygiène et de prévention qu'il devra suivre. Chaque patient élaborera avec l'équipe médicale un planning hebdomadaire personnalisé et approuvé par son médecin. Il sera ensuite tenu de se présenter au centre chaque jour aux heures prévues dans son planning. Un patient n'aura jamais droit à son administration de diacétylmorphine en dehors des heures prévues mais le planning pourra être revu et adapté aux activités du patient et à l'évolution de celui-ci.

Sur base des prescriptions du médecin, les infirmiers prépareront quotidiennement à l'avance la dose de diacétylmorphine de chaque patient. La préparation et l'administration par injection ou par inhalation ne se réalisera que dans les locaux spécifiques du centre de traitement. Chaque administration sera surveillée par les infirmiers, principalement pour intervenir au moindre signe de malaise, mais également pour éviter toute tentative de détournement (celle-ci pourra être punissable par l'exclusion du traitement).

L'équipe médicale surveillera l'évolution de la santé du patient, au niveau physique et mental, se renseignera sur sa situation sociale et lui conseillera si nécessaire des traitements complémentaires à l'extérieur du centre. En outre, tous les patients du projet pilote devront s'engager dans un suivi psychosocial auprès d'une des institutions partenaires du projet.

A tout moment pendant son traitement, un patient pourra décider avec son médecin d'arrêter son traitement par diacétylmorphine pour passer à un autre traitement (par exemple, un autre traitement de substitution ou un traitement vers l'abstinence). L'équipe médicale veillera à assurer au mieux la transition.

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L'objectif final du traitement assisté par diacétylmorphine est ainsi résumé par la Suisse4 :

"La prescription médicale d’héroïne a pour objectif général d’inciter les personnes fortement dépendantes à se (ré)insérer dans le réseau sanitaire. Ce traitement vise donc surtout à améliorer l’état de santé somatique et/ou psychologique, à favoriser une meilleure intégration sociale (aptitude à travailler, distanciation du milieu de la drogue, réduction de la délinquance) et à sensibiliser à la responsabilité personnelle dans la prévention du VIH/sida et des hépatites. On (re)crée ainsi des conditions de vie susceptibles de mener, à plus long terme, vers une existence exempte de drogues."

Résultats des expériences de traitement assisté par diacétylmorphine dans les autres paysCe type d'expérience a été évalué dans 6 pays : en Suisse, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne, au Royaume-Uni et au Canada. Chacune de ces expériences a conclu à l'efficacité supérieure du traitement assisté par diacétylmorphine par rapport au traitement à base de méthadone pour le groupe cible : amélioration de l’état de santé général du patient, baisse des comportements à risques et diminution des actes de délinquance.

Les modalités du traitement étaient similaires dans ces études : délivrance de diacétylmorphine dans un cadre strict, sous contrôle médical, associé à un traitement psychosocial. Le groupe cible était également identique : des patients dépendants des opiacés depuis des années, en mauvaise santé physique et mentale et en échec thérapeutique avec les traitements existants.

Le nombre de patients concernés était faible en raison des conditions très strictes d’inclusion. Plusieurs pays ont d'ailleurs connu des difficultés pour recruter le nombre nécessaire de patients pour leur expérience. Cependant, depuis 1994, plusieurs milliers de patients ont été traités de cette manière.

Objectifs du projet pilote liégeoisL'objectif du projet pilote liégeois est de comparer un traitement à base de diacétylmorphine avec les traitements par méthadone existants. Les patients seront répartis par tirage au sort (randomisation) entre 2 groupes : les uns recevant de la diacétylmorphine et les autres de la méthadone. Le but est de déterminer si un traitement assisté par diacétylmorphine peut apporter une plus-value aux patients par rapport aux traitements existants par méthadone. Cette expérimentation vise également à évaluer les conditions idéales d'implémentation d'un tel traitement en Belgique.

4 p.9, chapitre 1 du manuel "Traitement avec prescription d'héroïne" de février 2004, de l'Office Fédéral de la Santé publique de Suisse

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Déroulement du projet pilote

Nombre de patients et ligne du tempsLa période de recrutement des 200 patients du projet pilote est de 12 mois. Les patients seront traités aussi tôt que possible après le recrutement pour éviter une trop longue période d'attente. Chaque patient sera traité et suivi par l'équipe scientifique pendant 12 mois. Après leurs 12 mois de traitement, les patients seront orientés par l'équipe médicale vers un autre type de traitement existant.

1 Critères de sélectionLes 200 personnes intégrées dans ce projet pilote seront des personnes dépendantes depuis plusieurs années et qui ont connu des échecs avec le traitement méthadone. L'équipe de recherche de l'Université de Liège évaluera si les patients correspondent aux critères de sélection, notamment :

• être citoyen belge ou résident légal en Belgique ;

• être domicilié dans l'arrondissement judiciaire depuis 12 mois,

• être âgé de 20 ans au moins ;

• consommer quotidiennement de l'héroïne depuis au minimum 5 ans ;

• être injecteur ou inhalateur ;

• avoir échoué avec les solutions de traitement actuellement disponibles.

Si une personne correspond aux critères d'inclusion, l'équipe de recherche procédera au tirage au sort devant le futur patient et lui annoncera s'il va dans le groupe expérimental (diacétylmorphine) ou dans le groupe contrôle (méthadone).

Les personnes qui souhaiteraient participer au projet pilote devront s'adresser d'abord à une des institutions d'aide et de soins partenaires du projet car seules ces institutions réfèreront

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 236

6 mois 12 mois 12 mois 6 mois

Préparation

Intégration des patients

Traitement des patients

Evaluation

Sortie du projet

Préparation : La préparation comprend la mise en place de l'infrastructure, la communication autour du projet, l'élaboration du partenariat avec le psychosocial, le recrutement du personnel.

Intégration des patients : Cette période dure un an maximum et elle s'arrête plus tôt si les 200 patients ont été intégrés.

Traitement des patients : Chaque patient sera traité pendant 12 mois.

Evaluation scientifique : L'évaluation comprend la préparation de l'étude scientifique pendant 6 mois, le suivi des 200 patientspendant 12 mois chacun et la publication et diffusion des résultats les 6 derniers mois.

Sortie du projet :La sortie du projet comprend l'arrêt du traitement pour les patients et la réorientation des patients

ClôturePhase préparation Inclusion et Traitement Traitement

Page 237: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

les futurs patients à l'équipe de recherche. La liste de ces centres partenaires sera communiquée peu avant l'ouverture effective du traitement.

23 Partenariat avec les institutions existantes d'aide et de soins en

assuétudesLes institutions d'aide et de soins en assuétudes de la région de Liège sont invitées à participer au projet. Celles qui sont intéressées signeront une convention de partenariat avec les responsables du volet Traitement du projet. Ces institutions partenaires assureront le traitement par méthadone pour les patients du groupe contrôle et elles assureront également le suivi psychosocial pour les 200 patients de l'expérience.

Supervision du projetLa gestion du volet Traitement du projet pilote a été confié par la Ville à une Fondation privée, la Fondation TADAM, regroupant la Ville, la Province ainsi que quatre grands hôpitaux de la région liégeoise : le CHR de la Citadelle, ISoSL, le CHC et l'hôpital du Bois de l'Abbaye. Celle-ci a été constituée le 4 décembre 2008. Le contrat de gestion la liant avec la Ville a été signé le 11 février 2009.

C’est cette Fondation qui a procédé à la réalisation du centre de traitement où seront accueillis les patients du groupe expérimental, ainsi qu’à la mise en place de l’encadrement médical et au recrutement de l’équipe soignante.

La gestion du volet Evaluation et suivi scientifique est confiée à une équipe de recherche de l'Université de Liège dirigée par les professeurs M. ANSSEAU, chef du service de Psychiatrie du CHU, et A. LEMAITRE, du service de Criminologie. L'équipe de recherche assurera l'évaluation scientifique de l'ensemble du projet, notamment en ce qui concerne :

• l'évolution des patients (aux niveaux médical, psychologique, social et criminologique),

• l'intégration du traitement par diacétylmorphine dans le réseau d'aide et de soins en assuétudes,

• l'intégration du traitement dans son environnement urbain,

• l'efficience économique (au niveau santé publique et au niveau sociétal).

Le Protocole clinique a été soumis à l'approbation des autorités médicales (Comités

d'éthique, Commission Médicale Provinciale, Ordre des médecins) ainsi qu'à celle d’experts

étrangers. Le projet a, enfin, obtenu l’agrément comme essai clinique de l’Agence Fédérale

des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS).

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 237

Page 238: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Annexe 7 : Présentation du Réseau MAG

Le Réseau MAG est un réseau de chercheurs associés proposant aux organisations des

interventions d’analyse, de conseil et de construction de l’action collective basées sur des

méthodes participatives.

Notre philosohie d’action repose sur la Méthode d’analyse en Groupe (MAG) et ses

développements.

Nous accompagnons les organisations vers le changement en mobilisant la capacité d’analyse

des acteurs directement concernés par le problème en vue de produire une connaissance à la

fois scientifiquement valide et pertinente sur le plan pratique.

Nous réalisons des interventions sur mesure en recherchant la meilleure adéquation possible

entre les méthodes proposées et les besoins de nos commanditaires.

Parce que:

Travailler en réseau,

Assurer la collaboration entre une diversité d’intervenants,

Favoriser l’apprentissage collectif,

Mobiliser des savoirs et compétences diversifiés pour établir des diagnostics partagés,

Mener des évaluations participatives,

Piloter des processus de changement organisationnel ou de réforme institutionnelle,

Prendre en compte les transformations de l’environnement,

S’adapter aux nouvelles demandes des clients et des publics,

Faire face à une crise interne ou à une mutation externe,

... sont autant d’enjeux et de défis auxquels sont confrontés les responsables et les

professionnels des entreprises, de l’action publique et des ONG.

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 238

Page 239: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Un cadre méthodologique structurant, un réseau d’intervenants-experts, des outils

d’analyse et d’action

En proposant un cadre méthodologique rigoureux, éthique et participatif basé sur la Méthode

d’Analyse en Groupe (MAG) développée par Luc Van Campenhoudt et Abraham Franssen,

Professeurs aux Facultés Universitaires Saint-Louis,

En mobilisant un réseau d’intervenants experts dans leurs différents domaines (gestion des

conflits, travail en réseau, formation d’adultes, pilotage du changement organisationnel,

projets de développement, évaluation des politiques publiques, psycho-sociologie des

organisations,...),

En mettant à la disposition des professionnels des outils d’analyse et d’action opérationnels

dans une perspective de capacitation (empowerment),

.... le Réseau MAG accompagne les organisations vers le changement en mobilisant la

capacité d’analyse des acteurs directement concernés par le problème en vue de produire une

connaissance à la fois scientifiquement valide et pertinente sur le plan pratique.

Qu’il s’agisse d’orienter la décision, d’évaluer l’action, d’accompagner le développement, de

construire le travail en réseau, de renforcer les pratiques professionnelles, d’accroître les

capacités d’analyse et de gestion, d’organiser des consultations participatives,...

… le Réseau MAG mobilise des outils à la pointe des sciences sociales pour fournir des

services participatifs aux organisations et aux professionnels en vue d’améliorer leurs

capacités d’analyse et d’action :

Des recherches participatives Des interventions en organisation Des processus de consultation

et d’évaluation participative Des formations méthodologiques et thématiques

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 239

Page 240: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

Un Réseau multipartenarial fondé sur une éthique participative et proposant aux

acteurs privés et publics des analyses sociologiques et des solutions co-contruites en vue

de potentialiser leur action

Aujourd’hui plus que jamais, les organisations réalisent la prédominance des facteurs humains

dans leur fonctionnement. Ceux-ci influent directement sur l’efficacité des organisations et

leur capacité à atteindre les objectifs qu’elles se fixent.

En partenariat avec le Centre d’Etudes Sociologiques des Facultés Universitaires Saint-Louis,

l’Agence de presse et d erecherche-intervention ALTER et l’IHECS (Institut de Hautes

Etudes des Communications Sociales), le Réseau MAG est une unité d’intervention

sociologique composée d’un réseau de chercheurs associés spécialisés qui propose aux

acteurs et organisations privés et publics des interventions basées sur une éthique

démocratique - égalité morale entre les participants, capacitation des acteurs, articulation entre

connaissance et reconnaissance, coopération conflictuelle -.

Ces interventions ont pour objectif d’analyser avec eux les situations, problèmes et

expériences auxquels ils sont confrontés de manière à pouvoir dégager des perspectives

d’action en les associant à l’ensemble de la démarche, de l’analyse scientifique des

phénomènes sociaux à l’implémentation des solutions pratiques.

Les outils proposés par le Réseau MAG ne manqueront pas d’intéresser les pouvoirs publics

(par exemple pour la mise en œuvre de processus participatifs ou d’évaluation des politiques

publiques), les instances para-publiques (par exemple pour la mise en œuvre d’un plan

stratégique ou la consultation du personnel) les ONG et les associations (par exemple pour la

mise en œuvre de projets ou le renforcement des pratiques professionnelles) ou les sociétés

privées (par exemple pour la consultation du personnel ou le développement de compétences).

Recherche Fedito Wallonne : traitements de substitution aux opiacés, 2010, Page 240

Page 241: Rapport final Incertitude & Flexibilité des Traitements de Substitution

i Loi visant à la reconnaissance légale des traitements de substitution et modifiant la loi du 24 février 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques (22/08/2002), Moniteur Belge, Bruxelles, 01/10/2002, p. 44262, art 2 § 4, cité dans Pelé I., Nicaise P, Corten P., Bergeret I., Baert I., Alvarez Irusta L., Casselman J., Meuwissen K, Les traitements de substitution en Belgique : développement d’un modèle d’évaluation des diverses filières de soins et des patients, Gent, Academia Press, 2005, p 168.

ii Ansseau M., Gustin F., Hodiaumont F., Lemaître A., Lo Bue S., Lorant V., Portet M.-I., Reggers J., Tyberghein M., van Deun P. (2005), DHCo – Délivrance d’Héroïne sous Contrôle médical : étude de faisabilité et de suivi, Academia Press, Gent

iii Van Campenhoudt L., Chaumont J.-M., Franssen A., La méthode d'analyse en groupe, Dunod, 2005

iv Ibidem, p 25

v Ibidem, p 36

vi Ce récit a initialement été baptisé « Daniel ou la dépendance au(x) traitement(s) de substitution ». Sachant toutefois qu'il pouvait alors être confondu avec le récit « David ou la dépendance aux traitements de substitution », alors qu'il traitait moins de cette question, mais davantage des mésusages, l'auteur s'est permis cette nouvelle dénomination.

vii Stigmate : « individu qui présente un attribut qui le disqualifie lors de ses interactions avec autrui. Le stigmate est déterminé par l'écart entre l'attribut et le stéréotype que nous en avons, en particulier par rapport à son identité » (Goffman).

viii Pour de plus amples détails, visitez le site www.quatheda.ch/

ix On peut en commander gratuitement directement auprès de Modus Vivendi, ou télécharger un PDF via le site www.modusvivendi-be.org

x http ://www.asud.org/substitution/article-31-substitution-fentanyl.html

xi Sociologie de Callon et Latour, aussi appelée Sociologie de la Traduction, ou Sociologie de l'Acteur-Réseau