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Une intervention novatrice auprès des femmes en état d’itinérance : l’approche relationnelle de La rue des Femmes Rapport de recherche - Version abrégée rédigé par Sophie Gilbert Anne-Marie Emard David Lavoie Véronique Lussier Mars 2017

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  • Une intervention novatrice auprès des femmes en état d’itinérance :

    l’approche relationnelle de La rue des Femmes

    Rapport de recherche - Version abrégée

    rédigé par

    Sophie Gilbert

    Anne-Marie Emard

    David Lavoie

    Véronique Lussier

    Mars 2017

  • L’ÉQUIPEDERECHERCHE

    SophieGilbert,Ph.D.,etVéroniqueLussier,Ph.D.,sontprofesseuresaudépartementdepsychologiedel’UniversitéduQuébecàMontréal.Anne-MarieEmardetDavidLavoiesontdoctorantsenpsychologie,audépartementdepsychologiedel’UniversitéduQuébecàMontréal.Groupederecherchesurl’inscriptionsocialeetidentitairedesjeunesadultes(www.grija.ca)LESMEMBRESDUCOMITÉD’ENCADREMENTDELARECHERCHE

    LéonieCouture,C.Q.,fondatriceetdirectricegénérale,LaruedesFemmesetFondationLaruedesFemmesSuzanneBourret,directriceclinique,LaruedesFemmesLorrainePipon,présidente,LaruedesFemmesAnne-MarieEmard,adjointederecherche,UQAMDavidLavoie,adjointderecherche,UQAMSophieGilbert,chercheureprincipale,UQAMVéroniqueLussier,cochercheure,UQAMLyneKurtzman,agentededéveloppement,Serviceauxcollectivités,UQAM

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    REMERCIEMENTS

    LesauteurestiennentàremerciernonseulementleServiceauxcollectivitésdel’UQAMquiasoutenulefinancementdelaprésenterecherche,maiségalementLyneKurtzman(agentede développement, responsable du domaine femmes et rapports de sexe au Service auxcollectivités)quiaassuréladirectionducomitéd’encadrementdecetterecherche. Toutenotrereconnaissancevaàl’équipedeLaruedesFemmesquiasuaccueillirchacunetchacuned’entrenousdanssesdifférentesmaisons.Merciauxintervenantesetauxfemmesquiontgénéreusementacceptéd’êtrerencontréesàplusieursreprises.Merciàladirectriceet à la coordonnatrice clinique de l’organisme qui ont accepté d’être interpellées auxdifférentesphasesdelarechercheafind’offrirleurrétroaction.

  • TABLEDESMATIERESINTRODUCTION.................................................................................1

    OBJECTIFSETASSISESMÉTHODOLOGIQUES.............................................................................3

    RÉSUMÉDESRÉSULTATS..........................................................................................................5

    Descriptiondel’approchedeLRDF...................................................................................................................................6Regardsurlesfemmes:lasouffrancepsychiqueetlavulnérabilitésocialementinduite..........................................6

    Comprendrelaspécificité:lesfondamentauxdudéveloppementdulien.........................................................8Uneapprocheféministeouhumaniste?...........................................................................................................................................9Ducadreaudispositifd’intervention.............................................................................................................................................11Accueillirlesfemmes:uneprésenceactive................................................................................................................................13Lapostureessentielledesintervenantes.....................................................................................................................................15Latemporalité:entrevoirdeseffetsàlongterme....................................................................................................................17Différentsniveauxd’intervention....................................................................................................................................................23Lelien...........................................................................................................................................................................................................24Lesenjeuxdupartenariat....................................................................................................................................................................27

    ENGUISEDECONCLUSION…..................................................................................................29

    RÉFÉRENCES...........................................................................................................................30

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    Introduction

    «Ilfautqu’ilyaitdel’amour.Onn’estpasavecdeschiensdePavlov.

    Onneveutpaslesentraîner,saufpeut-êtrepourqu’ellesfinissent

    parcroirequel’amourexiste.»

    UneintervenanterencontréeàLaruedesFemmesActuellement, des femmes qui ont vécu de graves traumatismes causés par la violence,l’abus, le rejetdepuis leurplus tendreenfance, sontà risque importantdese retrouveràl’âgeadulte,en«état»d’itinérance(cetermeesticiemployéselonl’entendementdeLaruedesFemmes(LRDF,ci-après)afindecirconscrireunétatsubjectifdelafemmeitinérante,plutôtquedemettre l’accentsur laproblématiqueperçuede l’extérieurtelle l’absencededomicilefixe).L’itinérancerendcesfemmesparticulièrementvulnérables,dèslorsqu’ellesexacerbent ainsi le risque de se retrouver de nouveau dans des situations d’abus ou devictimisation,deprovoqueroud’aggraverdestroublesdesantémentaleetdetoxicomanie(Gaetz, Donaldson, Richter et Gulliver, 2013). Dans la compréhension qu’a LRDF de laproblématique de ces femmes, les traumatismes de l’enfance atteignent leur «santérelationnelle»,ausensoùilssontextrêmementdestructeursdeleurcapacitéd’êtreenlienavecelles-mêmesetaveclesautres,avecdesimpactsimportantssurleursantéphysiqueetmentale. Si la dimension relationnelle de l’itinérance a déjà été reconnue commeprédominanteparcertainstravaux–notammentparunrapportduConseildustatutdelafemme(CSF,2012),parnotregroupederecherche,leGRIJA1(Poirier,Lussieretal.,1999)et par les travauxmenés sur l’attachement dans la perspective d’une continuité entre lamaltraitance à l’enfance et les failles de l’inscription sociale à l’âge adulte au sortir descentres jeunesse (ACJQ, 2008) –, cette dimension est rarement ciblée en priorité parl’intervention.Dureste,LRDFs’appuiesurceconceptdesantérelationnellepourintervenirdurablementsurlaproblématiquedel’itinéranceauféminin.En cela, LRDF se différencie d’une majorité de ressources pour femmes en situationd’itinérance. En effet, l’association usuelle entre itinérance et pauvreté n’apporte deréponsesqu’auxbesoinsimmédiats(hébergement,repas,etc.)etjustifiedesinterventionsd’urgenceindispensablespourrépondreauxbesoinsdesfemmesensituationd’itinérance.Toutefois,cesinterventionss’avèrentinsuffisantespoursoutenirl’améliorationàpluslongterme de la situation de ces femmes (Gilbert et al., 2013)2, laquelle nécessite une aideciblantnotammentladimensionrelationnelledeleurproblématique,danslebutd’obtenirunréel impact sur leurbien-êtreet leursperspectivesd’avenir.Ledébordementque l’on

    1www.grija.ca2Cequenousavonsretrouvéégalementdansnotreétudesurl’interventionauprèsdejeunesparentsendifficulté.

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    peutconstaterdanstouteslesressourcespourlesfemmesenétatd’itinérance(CSF,2012;Duchaine,2013) témoignedurementde l’échecde l’interventiond’urgenceàaméliorer lesortde ces femmes.Cetteaideaxée sur lesbesoins immédiats résulteessentiellementenunegestiondelamisèreetplutôtqu’endessolutionsaxéessurunmieux-êtreàpluslongtermedelapersonne.L’ouverture récente par LRDF d’une troisième maison d’hébergement a suscité l’intérêtpourl’organismededocumenteretd’analyserplusenprofondeurl’approchedela«santérelationnelle». En effet, pour LRDF, cette approche est au fondement du continuum deservices voués au rétablissement des femmes; retrouver progressivement la santérelationnellepermettraitàcesfemmesd’êtreéventuellementfonctionnellesdanslasociété,etàterme,desortirdéfinitivementdel’étatd’itinérance.L’expériencedecetorganismedémontrequel’approcheproposéedonnedesrésultats:surles336femmeshébergéesdepuis10ansdansleschambresrégulières,2femmessur3ontretrouvéun logementstable.Plusieursdeces femmesétaientà la ruedepuisdesannées,auxprisesavecdesexpériencesdeviolence,ayantadoptédifférentsmécanismesdesurvie3tels la toxicomanie, afin de geler – temporairement – leur souffrance. Du reste, unemeilleure compréhension des facteurs agissants au sein de cette approche, articuléenotammentàdesfondementsthéoriquessolides,pourrapermettredeconsoliderletravaildes intervenantes, et possiblement influencer l’intervention offerte dans l’ensemble desmilieux,communautairesouinstitutionnels,s’adressantàcettepopulation.Ce document présente les principaux résultats issus du rapport de recherche «Uneinterventionnovatriceauprèsdesfemmesenétatd’itinérance:l’approcherelationnelledeLaruedesFemmes».

    3Entermesde«surviepsychique»,soitunefaçondecontrerlaconfrontationàunesouffranceimportante,toutenayantbiensûrdesconséquencesimportantesetnéfastessurlaqualitédevie.

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    ObjectifsetassisesméthodologiquesLa méthodologie de recherche adoptée pour cette étude est qualitative, considérant lanaturedesobjectifsdecelle-ci,etdansunevolontéderendrecomptedelacomplexitéetdelanouveautédel’objetd’étude.Lesobjectifsprincipauxontétéformulésainsi:v Décrire l’intervention proposée par LRDF à la population itinérante féminine de Montréal; v Comprendrelaspécificitédecetteintervention–notammentlaplaceetlerôledela

    dimensionrelationnelleauseindecelle-ci. Afinderépondreàcesobjectifsetdemaximiserlavaleurdenosrésultats,nousavonsrecueillinosdonnéesàpartirdedifférentessourcesetselondiversesmodalités:

    Figure1:Sourcesdesdonnéesprincipales

    Note sur les entretiens (individuels et de groupe): afin d’optimiser les apports d’une démarche inductive, lesentretiens, quoique appuyés sur un canevas d’entretien4, ont été menés de façon non directive, en suivantprincipalement le fil conducteurdudiscoursdesparticipantes (Gilbert,2007); ainsi, l’essencede l’interventionproposée a pu ressortir, de façon inductive, à partir du discours des participantes, incluant des éléments quin’avaientpasétéenvisagésaudépart.Cettefaçondefairemaximiselacrédibilitédesdonnées,ens’appuyantsurl’expériencedesprincipalesintéressées,plutôtquesurlesapriorideschercheures.Une analyse de données thématique (Paillé et Mucchielli, 2016) a été utilisée pour lesentretiens individuels et les entretiens de groupe, afin de décrire l’intervention offerteetd’en faire ressortir les éléments fondamentaux. L’analyse «en continu»5a été privilégiéepour les entretiens individuels, afin de s’assurer de l’exhaustivité de celle-ci. Pour les4Desthématiquesémergeantdel’analysedesdocumentsproduitsparl’organismeetdel’observationontfondélescanevasd’entretiensutiliséslorsdesentretiensderecherche.5Soituneanalyseexhaustivedel’ensembledesdonnées,enpréservantlaqualitéinductivedecelle-ci(l’ouvertureàdenouveauxthèmes)toutaulongdecelle-ci.

    Observationparticipante

    • 20mémosrédigésàpartird'observationsetd'entretiensinformelslorsdevisiteshebdomadairesdansl'organisme;• Objectif:sefamiliariseraveclefonctionnementdel'organisme.

    Entretienssemi-directifsindividuels

    • 2entretiensde1h30chacunparparticipantes;• 3intervenanteset3femmesrencontrées(recrutementopéréaveclesoucid'assurerunediversitédanslescaractéristiquesdesparticipantes);• Untotalde11entrevues(unefemmes'estdésistéeau2èmeentretien).

    Entretiensdegroupeauprèsdesintervenantes

    • Présentationdesrésultatspréliminaires;• 2entretiensde2h30chacun;• Totalde12participantes(8+4)incluantles3participantesauxentretiensindividuels;• Objectif:conrirmer,inrirmeret/ounuancerlesrésultats.

    Rencontresavecladirectriceetla

    coordonnatriceclinique

    • Présentationdesrésultatspréliminaires;• 3rencontresde2heureschacune;• Objectif:claririer,commenteretnuancerl'analyseencours.

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    entretiensdegroupeetlesnotesd’observation,lesélémentssaillantsontétécompiléspuisinclus dans le relevé de thèmes de l’analyse en cours. Les thèmes ont ensuite étéhiérarchisésetreliésentreeux,chapeautésetclassifiésàl’aidederubriques(grandsaxespermettant d’organiser les thèmes). Les résultats finaux ont été produits en mettant del’avantnonseulementcesrubriques(parexemple,«descriptiondesfemmes»),maisdansuneffort«compréhensif», c’est-à-direenmettantde l’avant lesspécificitésde l’approchedeLRDF,sousunangleplusconceptuel(voirparexemplelanotionde«foyer»,ci-dessous).Plusieursstratégiesontétéutiliséesafind’assurerlarigueurduprocessusderechercheetcefaisant,lacrédibilitédesrésultatsobtenus(Morrow,2005).

    Figure2:Assurerlarigueur

    Il est important dementionner que l’orientation théorique et l’expérience des chercheures auront sans douteinfluencélesinterprétationsdumatériel.Lorsquebienencadrée(voirlesstratégiesprécédentes),cettedimensionde la subjectiviténe saurait constituerunbiais; plus encore, la sensibilitédes chercheuresamèneune richessedans le travail de recueil et d’analyse des données, en permettant d’être «sensibles», et donc attentives, àcertainesdimensionsquiautrementauraientpupasserinaperçues.Encesens,parsoucidetransparence,nouspouvonsnommericilesinfluencesprédominantes:- connaissancedumilieude l’itinérancedepuisplusde22ans (surtoutpar larecherche,maiségalementen

    tantquepsychologuescliniciennes);- formation en psychologie, expérience de psychologie clinique d’orientation psychodynamique, orientation

    théoriquepsychanalytiqueetquelquesfondementsdel’approchehumaniste(phénoménologie).

    Immersiondanslemilieu

    Arindecontextualiserlesdonnéesissuesdesentretiens.

    Pairs-chercheures

    Retour/rétroactionaprèschaqueentretien;

    Recherchedeconsensuslorsdelacodirication.

    Retoursurlesrésultats

    préliminaires

    Aveclesintervenantes,puisavecladirection.

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    RésumédesrésultatsL’organisationdelaprésentationdesrésultatss’arrimeàl’articulationdesobjectifs.Ainsi,la première partie consiste en une description de l’intervention proposée par LRDF. Laseconde partie ajoute un regard compréhensif sur la spécificité de cette intervention enfaisantressortirseséléments«fondamentaux».Nousavonschoisideprocéder,dans lesrésultats,àunemiseencommundesproposdesintervenantes et des femmes rencontrées. En effet, compte tenu de la petitesse del’échantillon «formel» (en particulier les femmes rencontrées en entretien individuel), iln’étaitpaspossibledeprocéderàuneanalysecontrastéeentrelavisiondesfemmesetcelledesintervenantes,euégardàl’intervention.Dureste,aufildel’analyse,ilnousestapparuquelesdifférentsdiscoursétaientengénéralconvergents.Leschercheuresonttoutefoisétéattentives à préciser, dans lamesure du possible et lorsque pertinent, la provenance del’information(notamment,parlechoixdescitations6).Enfin, dans ce document-synthèse (rapport abrégé), nous avons choisi de présenter lesprincipauxrésultatsdurapportderechercheextensifsousformedediscussion,c’est-à-direque leséléments saillantsdes résultats sont ici arrimésà certaines références théoriquespertinentes. Le but de ces dernières est de montrer la convergence entre l’approcheanalysée et certains concepts existants, puis des soutenir théoriquement cette approchedéveloppée de façon «intuitive», à partir de l’expérience des principales intéressées(intervenantesetfemmesdesservies).

    6Laprovenancedescitationsestindiquéecommesuit:(F)pourfemmeet(Int)pourintervenante.

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    Descriptiondel’approchedeLRDFL’approche de LRDF a comme première caractéristique de s’ancrer dans la réalité desfemmesdesservies,plutôtquedansdesapprochesetthéoriesexistantes;encela,onpeutconsidérer qu’il s’agit d’une approche intuitive. Cette approche tend néanmoins àreproduire – quoique dans des termes différents – des conceptions fondamentales decertaines approches reconnues en psychologie. S’y retrouvent des éléments essentiels del’approchepsychodynamique(etparfois,delapsychanalysequiconstituelabasethéorico-pratique de cette approche) et des approches humanistes (en référence notamment aucourantphénoménologique).Afindefaireressortirlescaractéristiquesdecetteapproche,ilestnécessairedeprésentersommairementlafaçondontlesintervenantescomprennentlesfemmesqu’ellesdesservent,puisque leur travail s’est développé à partir de cet entendement. Puis, dans un secondtemps,nouscerneronscertainescaractéristiquesde l’approchequien fontdéfinitivementuneapprocheféministe,maisaussi,plusgénéralement,uneapprochehumaniste.

    Regardsurlesfemmes:lasouffrancepsychiqueetlavulnérabilitésocialementinduitePourlesintervenantesdel’organisme,leschangementsobservésaufildesannéesdanslapopulation des femmes en état d’itinérance pourraient témoigner d’une «nouvelleprécarité»,dontlescontoursrestenttoutefoisàdéfinir(Durif-Bruckert,2008).« Tu as des femmes qui arrivent qui ont travaillé. Alors que moi à l’époque, c’était plus des femmes de la rue. » (Int)Enparallèleàcetteobservation,nousavonspurepérercombienlesfemmesdesserviesparl’organisme présentent, au-delà d’une symptomatologie parfois divergente et d’uneprésentationdesoihétérogène,uneproblématiquequiestconsidéréeàLRDFsousl’angledu lien,de ladéfaillancede lapossibilitéd’êtreen lien.Cette faillede larelationà l’autreserait à relier à l’histoire des femmes, une histoire marquée par des traumatismes dedifférentsordres,telquerepéréd’ailleursdanslalittérature(Gélineau,2008).«Tusais,quandj’étaisplusjeune,jepensaisquelesagressionsdemonpère,j’avaismisçadansuneboîteetjepensaisjamaisqueçaallaitseréouvrir.J’étaiscapabledefonctionnerpareil.Maisavecl’accumulationdetoutlerestantjusqu’àaujourd’hui,çaacommepété.Aujourd’huijenesuispluscapabled’engarderàl’intérieur,c’estbizarreàdirelàmais…»(F)«Relationneravecquelqu’unc’estdangereux…puisçareflètebeaucoupl’histoiredelapersonne,qu’est-cequ’elleavécu,etc.Donc,siàchaquefoisqu’elleestenrelationavecdeshumains,çafinissaittoujoursavecdeshistoirespaspossible,deshistoiresd’horreur,etquesaproprepersonnalitéquiestcomplètementbafouéeparcequ’ilyadesabus…»(Int)

    Encesens,lepointdevuedesintervenantesrejointcequiestentenducommela«précaritépsychique», tellequedéfinieparMellier(2006),entantquesituationoù«les liensentreles sujets sont peu fiables, ils ont un caractère ‘’provisoire’’» (p. 147); une situation quiconstitue l’aboutissement d’une histoire marquée par la rupture, et qui paradoxalementgarde cette rupture active par sa répétition. Cette précarité pourrait semanifester selondifférents modes d’expression (par le corps, l’agir, la psyché, la relation), qui ont encommun la difficulté pour les intervenants ou soignants d’accéder à ces soubassements

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    psychiques.C’estdirequeladétresseapparentedesfemmesrecouvreenquelquesorteuneautreformededétresse:«Les intervenantesabordentcetaspectnotammentàtravers lademandeurgenteetcolossaledesfemmes laquelledissimuleraitun‘’manque’’,un‘’grandvide’’,un‘’gouffre’’impossibleàremplir.»(Int)«Plusencore,cetteurgenceseraitintimementliéeàunsentimentdedangerimminent,unemenacedemorts’opposantausentimentdecontinuitéd’exister.»(Int)«Des fois jesens tellement leursbesoins,etpasseulement leurbesoind’avoirunpantalon,mêmesic’est là.Maisc’est lecœur, letrou.»(Int)

    Cettedistinctionentrecequiestdonnéàvoirparlesfemmes(sousdifférentesformes)etcequi sera éventuellement entendu de leur détresse, au-delà des apparences, donne àréfléchir à un contraste extérieur-intérieur. En d’autres termes, l’«auto-exclusion»apparente, par le désinvestissement des liens sociaux et des divers lieux potentielsd’appartenance (Bastard, 2005), camouflerait chez plusieurs femmes une «déshabitationdesoi»(Furtos,2008).Uneruptureavecsoi,tantauplanpsychique,qu’auplanhistorique,pouvant atteindre chez certaines femmes un désinvestissement du corps et des soinsminimauxaccordésàcelui-ci.«Ouais,c’estcommeunrejetdetoi-mêmefinalement.[...]Faitquedanscetemps-là,jemesuiscommerejetée...»(F)

    «C’estunefemmequineselavaitpasbeaucoupnonplus,c’étaitintenselà,fautquetudealavecsonproblèmed’hygièneettout…»(Int)

    Du reste, la compréhensionde laproblématiquedes femmes reçuesà l’organismene faitpasabstractiondelasociétédanslaquellecetteproblématiques’inscrit.Lesintervenantesconsidèrentnotammentlesfaillesduréseaudeservices,demêmequelacausalitésociale,defaçonplusgénérale,deleursituation.Ainsi, l’itinérancerésulteraitdel’absencedefiletsocial face à l’adversité (gouvernement, famille), phénomène duquel «personne n’est àl’abri»(int).« Il y en a d’autres qui ont des logements,mais elles n’ont pas beaucoup d’argent. […] Elles peuvent payer le loyermais, elles nepeuventpas,ellesn’ontpasassezpoursepayerlabouffe.Doncellesvontvenirnousvoir.»(Int)«C’estlesgensquitravaillaient,quiseretrouventvraimentàlarue.Puis,ellessonttombéesmalade,ouellesontperduleuremploi.»(Int)

    Ce faisant, il semble que le terme «vulnérabilité» soit ici plus pertinent que celuid’exclusion.Eneffet,sil’exclusionestenvisagéeparrapportàun«toutsociétalcohérent»,lavulnérabilité tendàmettre lasociétéencause,auplande la fragilisationdu liensocial(Soulet, 2005, p. 24), ce qui a d’ailleurs été relevé par les intervenantes en termes decausalité.Dureste,celaamèneàconfirmerlavisiondeLRDF.Eneffet,enposantle«lien»commecentral,àlafoisentermesdecausalitéetdefondementdel’intervention,l’arrimageentre considérations sociales et psychiques va de soi. Ainsi, la vulnérabilité des femmesdesserviesparl’organisme,grandementtributairedeleurhistoire(failledesliensaffectifsprécoces)seraitpotentialiséedu faitde lavulnérabilitésocialement induite(failledu liensocial) par le contexte sociétal (Soulet, 2005); ce processus tendrait d’ailleurs à segénéraliserdanslessociétésoccidentalesactuelles,selonDurif-Bruckert(2008).

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    Comprendrelaspécificité:lesfondamentauxdudéveloppementdulienNousavonsdéfini la souffrancedes femmes, tellequeperçuepar les intervenantes.Nousallonspoursuivreaveccequinoussembleconstituerlaspécificitédel’approche.Aprèsunsurvol de la caractéristique fondamentalement «humaine» de celle-ci, nous allonsprésenter comment ce «dispositif» d’intervention permet d’accueillir les femmes(notamment par la «fonction contenante» des intervenantes), dans la mesure où lesintervenantessontimpliquéesaffectivementdansletravaild’accompagnement.Puis,nousmettrons en évidence les principaux facteurs agissants inhérents à cette approche: latemporalité et la mobilisation de la demande, les différents niveaux d’intervention, etfinalement, la composante essentielle du lien. Autant d’éléments fondamentaux de cetteapproche, en adéquation avec la trajectoire singulière des femmes, qui permettent derompre la circularité (ou la «spirale», selon Gélineau, 2008) de celle-ci au profit d’uneremiseenmouvementd’abordintérieure(désiretdemande),puisextérieure(stabilisation).

  • 9

    Uneapprocheféministeouhumaniste?Selon lesprincipesdeCorbeiletMarchand(2010), l’approchedeLRDFcorrespondàuneapprocheféministe.Nousenreprenonsicilesprincipauxaspects:

    1. D’abord, le soutien et le respect des femmes dans leurs démarches sont assurés par le rapport à la temporalité et à la demande, laquelle doit, au final, émerger du désir des femmes. L’aide offerte est amenée en support au mouvement du désir amorcé par chaque femme. Ainsi, aucune intervention n’est imposée, à moins que la vie de la femme ou d’autrui soit menacée.

    2. Puis, le travail d’alliance avec les femmes et l’établissement du lien de confiance sont mis de l’avant et ce, avant toute intervention comme telle.

    3. La reprise de pouvoir par les femmes sur leur vie (empowerment) est stimulée de différentes façons : respect du pouvoir de décision; appellation « participantes »7 mettant de l’avant le pouvoir d’action redonné aux femmes.

    4. Les rapports égalitaires sont favorisés dans le fonctionnement de l’organisme, que ce soit entre les intervenantes, ou entre femmes et intervenantes.

    5. LRDF se pose d’emblée comme un lieu où, par le niveau affectif de l’offre de service, par l’emphase sur le lien, il y a possibilité pour les femmes de briser l’isolement et de développer leur solidarité.

    6. Finalement, la lutte pour les changements non seulement au niveau individuel mais au niveau social apparaît très investie par l’organisme. Le travail de partenariat et la réflexion qui entoure celui-ci soutiennent cette dimension.

    7. Du reste, le travail sur la conscientisation des femmes en tenant compte de la pluralité et de la complexité des expériences d’oppression est apparu moins évident. Il semble que la grande vulnérabilité des femmes rencontrées à LRDF puisse limiter la possibilité d’un tel travail.

    Si,seloncescritères,l’approchedeLRDFcorrespondàuneapprocheféministe,dudiscoursdesintervenantesressortessentiellementl’importancedel’humanitédansl’approche.Unedimension fondamentale si l’on considère que les femmes sont en quelque sorte privées,voire«exclu[es]del’appartenancehumaine»(Durif-Bruckert,2008,p.319).«Ilyadesaffairesquisontduresàaccepter,delamanièrequ’onesttraitées.Desfois,c’estpashumain.»(F)«C’est les femmes lesplusexcluesqu’onaccueilleàLRDF.C’est commeunecommunautéd’inclusion.Parceque, commeelles sontexclues,ilfautqu’ellestrouventunautreendroit,poursesentircommepersonneshumaines.»(Int)

    Ceconstat–l’humanitéinhérenteàl’approche–estàlabasedel’interventionproposéeparl’organismeetenparticulier,del’ouvertureàl’autrequisous-tendl’accueilinconditionnel8.Dans l’optique d’une approche essentiellement «humaniste», il semble que plusieursaspects de l’intervention offerte à LRDF pourraient être envisagés non seulement dans

    7LesfemmesquifréquententLRDFsonteneffetappelées«participantes»,afinderefléterleurimplicationdansladémarcheamorcéeparlafréquentationdel’organisme.8Unedescaractéristiquesprincipalesdel’offredeservicesdeLRDFconsisteensonacceptationinconditionnelle,sansdiscrimination,desfemmesensituationdeprécarité.Cettedimensionestdiscutéedefaçonextensivedanslerapportderecherche.

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    l’intervention auprès des femmes, mais également auprès des hommes en situationd’itinérance.

  • 11

    Ducadreaudispositifd’interventionLesparticularitésducadredel’interventionsontunélémentfondamentaldel’approchedeLRDF.Lasouplessedececadre–àrelieràl’ampleurdel’investissementattenduchezlesintervenantes–estcohérenteavecl’espacede«jeu»9accordéauxfemmes.Unespacepourqu’ellespuissentd’abordêtre,puissesentir,etéventuellementserelieretsedévoiler.«L’approchedeLRDF,c’estvraimentd’accueillirpuisd’yalleraveccequiestlà,aumomentoùonreçoitlapersonne.»(Int)La littérature aborde cette qualité du cadre, en différenciant cette notion de celle, pluspertinentedanslecasquinousintéresse,de«dispositif»(Mellier,2006).Eneffet,lanotionmême de dispositif permet de comprendre l’importance accordée à la personne desintervenantes,etàleurrapportprivilégiéauxfemmesconsidéréesdansleurindividualité.Défininonpascommeunensemblederègles,maisd’abordcomme«unétatd’esprit,unemanièred’être», ledispositifpermetauxintervenantesdesemettreautravail(untravailnonseulementconcretmaisd’abord,psychique)enréponseàl’accueildelasouffrancedel’autre(Mellier,2006,p.151).

    Figure3:Interinfluenceentrelasouplessedudispositifd’interventionetleniveaud’implicationsubjectivedesintervenantes

    Lafigureci-dessuspermetd’illustrerlerapportinversementproportionnelentrecequirelèvedudispositif–sasouplesse,sonouverture–etcequirelèvedesintervenantes–leursubjectivitémiseautravaildansl’intervention.Plus ledispositifest souple,plus lepoidsdesdécisionsrelativesà l’interventionpeuts’avérer important:d’unepart, de par la prise de décision comme telle, et d’autre part, du fait que la responsabilité de celle-ci reposeultimement sur l’intervenante, plutôt que sur le cadre de l’organisme (donc porté par l’ensemble desintervenantesetladirection).

    9Audoublesensoùlejeunécessiteunminimumdecadre,derègles,maisaussiausensoùlejeuestunespacepotentiel(«donnerdujeu»)danslequell’expressiondesoietlacréativitépeuventêtreexploitées,entantquepartiedusoisubjectif,maispossiblementdonnéeàvoir(voirencesenslesécritsdeDonaldW.Winnicott).Lejeuestenfinunereprésentation(authéâtre,parexemple),doncconsisteàprésenterànouveau,defaçonjamaisidentique,quelquechosequiétaitdéjà,maisquiestravivédansl’actuel.

    Travailsubjectifdesintervenantes

    Dispositifd'interventionsoupleetouvert

  • 12

    Cet aspect de l’intervention est fortement lié à l’idée d’un «cadre intérieur» chezl’intervenant. Les balises, les limites et les décisions se forgent essentiellement dansl’interaction entre les intervenantes et les femmes, ce qui demande des ajustementscontinuelsdelapartdesintervenantes.«Parcequ’ilsm’ontlaissébeaucoupdelatitudeaudépart.Lessixpremiersmois,regarde,j’étaiscommeunanimalsauvage.Touchez-moipas,parlez-moipaspuisregardez-moipas.»(F)«Jepensequ’euxautreselless’enrendentcomptequandc’estletempsqu’onajustelespendules.Jepensequ’ellesn’auraientpasagidemêmeaudépartparcequ’ellesdevaientsavoirquejen’allaispasrestersiellesmeforçaienttropaudépart.»(F)Ledispositifsertdoncàl’accueil,àlafoisdelafemmeentantquepersonne,etdecequ’elledéposedansl’autre:l’accueillant(Mellier,2006).Cetteconceptionpermetdecomprendreautrement le terme de «foyer» qui nous a semblé apte à nommer ce lieu d’accueil desfemmes,puisquelecadrematérielseconfondavecuncadreessentiellementaffectif:celuidudispositif.

  • 13

    Accueillirlesfemmes:uneprésenceactiveCe sont en effet les composantes affectives inhérentes au lieu offert qui permettentéventuellement le «développement d’une relation », soit la prémisse de tout travailpsychique(Mellier,2006,p.151).Defait,lapropositiond’unaccueilinconditionnelcommecondition première d’un travail ultérieur auprès des femmes rejoint l’idée de la«constitution d’un espace de réconfort et de première protection afin de permettrel’énonciationdelasouffrance»(Soulet,2005,p.29).C’estainsiqueledispositifproposéàLRDFsoutiendraitla«fonctioncontenante»(Mellier,2006) fondamentalechez les intervenantes. Il s’agitpourcelles-cid’accueillir la femmeetsesprojections10,mêmesicelles-cisemanifestentpardesagirsoudescrises.Laprésencepleine et assumée des intervenantes dans ces moments de crise est essentielle pour cetravail de contenance, lequel permettra éventuellement d’accorder un sens à cesévénementsactuels,enregarddel’histoiredesfemmes.Uneintervenante,enévoquantsonimplicationlorsd’unecrise:«Alorslàtuvasêtrejustelà,àcôté.Justeêtrelàpournepasqu’ellesefassemalouqu’ellefassemalàd’autrespersonnes.»(Int)Toutefois, le travaildans l’ici-maintenantde la criseapparaît complexe. Ilnes’agiraitpastantdeforcericilelienavecl’histoiredesfemmes,quedetravaillerauprèsd’ellesla«prisedeconsciencedel’expériencequ’[ellessont]entraindevivre»(Mellier,2006,p.152).Defait, l’approche psychanalytique a démontré la valeur de ce travail dans l’actuel de larencontreavecl’autre,enlienaveclamiseenacteouenmotsdupasséaffectifetsubjectif11de cet autre, ce qui nous semble applicable au travail à partir de la rencontre femmes-intervenantesàLRDF.

    10Lesprojectionsdesfemmesconsistentencequiestvécudansl’actuel(doncdansl’organisme,enlienaveclesautresfemmesetlesintervenantes),maisquiadesfondementsdansl’histoire(etlasouffrance)antérieure.11Ausensoùcen’estpastantl’événementvécudanslepasséquiestactualisédansleprésent,maisbienlafaçondonccelui-ciapuêtrevécusubjectivement,psychiquement.Lestracespsychiquesréfèrentdoncàcetteteneuraffectiveetfantasmatique(imaginaireetinconsciente),plusqu’àuneinscriptiondupasséquiseraitobjectivable.

  • 14

    Figure4:Letravailàpartirdessituationsdecrise

    Lafigureci-dessusrésumecetravailàpartirdelacrise,danssespotentialités.Laflècheinterrompuetémoigned’uneinfluencepossiblesurd’éventuellescrisessubséquentes.

    Crise

    Présence(rassurante,éventuellement"contenante")

    Miseenmots(duressenti)

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    LapostureessentielledesintervenantesLa «dynamique transférentielle», soit la relation intersubjective (c’est-à-dire entre deux«sujets») établie en-deçàdu lienobservable entre les femmeset les intervenantes, et savaleurdansletravailauprèsdesfemmes,ontégalementétéinféréesàpartirdesproposdesintervenantes. Ce faisant, la reconnaissance par celles-ci du vécu affectif mobilisé par larencontreaveclesfemmess’inscritaucœurdutravail.C’estencesensquel’approchedeLRDFaccordeuneplaceprépondéranteauxintervenantes,enparticulierà leurvécudansl’intervention.«Etonnousdemandedetravailleravecnotrecœur,doncc’estnosémotions,notreressenti,notreproprevécuaussi.»(Int)

    Le fait de pouvoir (voire d’accepter de) s’identifier aux femmes est une composanteimportantedecetteapprochesingulière.Dece fait, il ya concordanceavec la conceptiond’une vulnérabilité qui concerne tout un chacun (Soulet, 2005), et qui peut être mise àprofit dans le travail axé sur le lien. D’emblée, une relation de base est tissée avec lesfemmes, laquellepourrait se traduire ainsi:noussommestoushumains,nousavonstoutesdessouffrances,nousavonstoutesunevieaffective. Cette identification constitue un lienaminima,inhérentàlanotiond’accueilinconditionnel.«Etcommeonesttousdeshumains...moiquelquepart, ilyadesfoisquandjepartageunmomentdevieavecunefemmequejepensequeçaval’aiderdanscequ’ellevit...[...]àunmomentdonnéilyenaunequim’adit:“bienfinalementvousêtescommenousautres!ˮJel’airegardéeetj’aidit:“Bienoui!ˮEtj’aidit:“tusais,cen’estpasparcequej’ailechapeaudel’intervenantequejesuisdifférentedetoiquiestsansdomicile.Onestdeshumainsavanttout.ˮ[...]Ellesonttellementl’habitudedesefaireprendrecomme...elles ne sont pas comme les autres... on met une espèce de séparation... pourtant on reste des humains à la base. On a l’air del’oublier.»(Int)

    Par ailleurs, la hiérarchie que nous avons décelée au sein du travail d’équipe desintervenantes permet de soutenir le travail de chacune, selon son expérience,mais aussiselon son état d’esprit. Le support de l’équipe, de la coordonnatrice clinique et de lasuperviseureestfondamental,puisquecetteapprochenécessitel’implicationdel’entièretéde l’être de l’intervenante. Ce faisant, l’organisme se trouve à contrer l’undesprincipauxrisquesdutravailauprèsdecettepopulation,soitl’usuredesintervenantes(Bastard,2005).Eneffet,d’unepart,cettemédiationparuntiers(uneautreintervenante,lacoordonnatrice,etc.)permetd’éviterlesdérivesd’unetropgrandeproximitéaffectiveaveclesfemmes(parsur-identification,oualors,parunsurinvestissementquinepermettraitplusdediscernerce qui appartient aux femmes et ce qui appartient aux intervenantes) et sous-tend ladistanciationnécessairepourqu’unvéritabletravailaveclesfemmesaitlieu.D’autrepart,cerôlefondamentaldetierspermettraauxintervenantesdetravaillersurelles-mêmesparlebiaisdel’introspection,afindecerneretrésoudrecertainsenjeuxrelatifsà leurproprevécuaffectif.Unteltravaildesupervision,fût-ilinformel,apparaîtnécessairepoursoutenirlesintervenantesetéviterquelasouffrancedesfemmesdeviennelaleur(GilbertetLussier,2005).«Maresponsabilitéàmoic’estd’allervoirqu’est-cequiaététouché,qu’est-cequiaétébrassé.C’est intéressantparcequ’onvaseretrouveravecdesblessuresd’enfance[...]etquandonvaaufond,d’allersoignerça,ilyauneouverturequisefait.Etétonnammentcettepersonne-làellenemedérangeplus,pourcetaspect-làentoutcas.Jel’aivécupleindefoisici.»(Int)

  • 16

    «C’estsûrquequandtuvisquelquechosedanslemoment,ilyatoutelaplaceicipourdire“jemesuisfaiterentrerdedansˮou“là,ilyaunesituationoùjenesuispasbien.ˮOnlesaitdansl’équipe.J’aibesoindeprendreunbreak.Tut’envasquelquepartdanslebureau,jenesaispasoùetilpeutyavoirlaresponsabled’équipeouilpeutyavoirlacoordination:vat’asseoiravecetellesvontt’accueillirlà-dedansetellesvonttedonnerdusoutien.»(Int)

    «Quandtuasquelquechose,quandtuasunpetitproblème,tuviens,tuexpliquesàlacoordonnatriceetelleauncœur,c’estuncœurdefemme.C’estincroyable.Tuviens,tuasunproblème,elleestempathique.Etellet’écoute,ellet’apportedusoutien.Elleestavectoi.»(Int)

  • 17

    Latemporalité:entrevoirdeseffetsàlongtermeLatemporalitéinduiteparl’interventiondeLRDFestàrelieràlacomplexitédelasituationde ces femmes: écouter, et même décoder les plaintes, demande de s’inscrire dans unetemporalitéopposéeàl’urgence.Cettetemporalitéestcomplexeets’instaureparétape,defaçonnonlinéairecartoujoursenlienavec lesparticularitésdes femmes.Toutefois, nouspouvons repérer troisdifférentestemporalitésayantchacuneleurfonctionspécifiquedansletravaildesintervenantes.

    Figure5:Différentestemporalitésdel’intervention

    L’accueiletletempsdel’urgence:lesbesoinsprimairesNous l’avonsvu, l’accueilconstitue lepremier tempsde l’intervention.Le faitdemettreàl’avant-plancetempsd’accueilinconditionnelconvergeaveclanotiondel’«accroche»desfemmes,pourunéventuel travailenprofondeur.L’accueil réfère,aubesoinprimaire,quecelui-cisoitd’ordre«social,judiciaire[ou]somatique»(Mellier,2006,p.152).Encesens,les femmessontd’abordaccueilliesavecdesbesoinsapparentsauxquellesrépondentdesservices octroyés dans l’urgence. Ce premier temps de l’intervention s’arrime avec latemporalité initiale des femmes qui semblent vivre dans l’immédiateté. Cette réponse aubesoindonnéàvoirdansl’urgencen’estpassansrisque:lesintervenantestémoignenteneffetdurisquedes’yperdreetdeneplusêtreaidantes.« Parce que si tu fais pareil et que justement, par exemple, répondre à toutes les demandes, lesmille et une demandes qui sontinfinies...sanstegroundervraiment,bienl’expressionqu’ondittoutes,mêmelesnouvellesellesdisent:“bon,elleellecommenceàcourircommeunepoulesanstêteˮ.»(Int)

    L’actueletl’efficacedel’interventiondansl’ici-maintenant:dubesoinàlarelationLes intervenantes affirment que leur travail ne suit pas un plan préétabli. Plutôt, ellesconçoivent leur approche commedéterminéepar ce que les femmesmettront de l’avant,selonlejour,lemoment:«minuteparminute».

    Lesbesoinsprimaires

    • L'accueiletletempsdel'urgence

    Larelation

    • L'actueletl'efricacedel'interventiondanslehicetnunc

    L'accompagnementdelademande

    • Versunedémarcheàlongterme

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    «Onfaitducasparcasfaitqueçac’estdifficileaussi.Onprendchaquefemmetellequ’elleestdanssadifficulté,làoùelleest.»(Int)Cetravaildansl’ici-maintenant(commenousl’avonsvuenlienaveclessituationsdecrise)estàdifférencierdel’interventiond’urgence.Biensûr,laréponseàl’immédiatetédubesoinestnécessairedansuneperspective«humanitaire».Toutefois,cetteperspectivenesauraitremplacer ce quenous pourrions appeler le soutien au développement individuel, lequeldoits’échelonnersurlelongterme12.C’estdanscetteoptiquequeletravaildansl’ici-maintenantconcernelarelation,au-delàdubesoinprésentéparlesfemmes;l’actualitédecequiseprésentedanscelienconstitueunmatérielquipourraêtremisautravailparlesintervenantes,ouend’autrestermes,unvécuquiseramisenmotpourqu’éventuellementlafemmepuissel’utiliserpourseconnaître,sevoirautrement.«Parcequet’saislachargeémotivequej’avaisavantcomparée,c’estlàqu’onpeutreliertaquestiondetantôt,dedire“qu’est-cequeçatefaitdeparler?ˮBienjepensequec’estça,c’estqueçadiminuelachargeémotivequetuasàl’intérieurparcequ’aprèsunecoupledemoisàparler...çafaitquandmêmedubien.Jen’explosepluscommeavant...»(F)

    «Parcequec’estdesgensquines’écoutentpasbeaucoupnonplus…quin’écoutentpas…cequ’ellesressentent.Ellessontdans lesbesoins primaires […] puis tranquillement, avec le lien, on arrive à ouvrir unpeuplus ça, cette consciencede comment jeme sensaujourd’huipuis…mettredesmotssursonressenti,c’esttoutunapprentissageaussi.»(Int)Lesintervenantesnousl’ontsignaléàplusieursreprises:ilnes’agirapasdefaireunretoursystématiquesur l’histoiredes femmes.Ceretour,cerappel, seravariabled’une femmeàl’autre, selon sa propension à se confier, se dévoiler. Plus encore, le travail de l’actuelnécessitedesegarderd’unliendirectentred’unepartlessymptômes,soitdesindicateursdelasouffranceoucequiestdonnéàvoirdecelle-ci,etd’autrepartlacausalitépsychiquede ceux-ci (Mellier, 2006). C’est dire qu’à ce niveau du travail, dans cette temporalité del’actuel,lesliensavecl’histoirenesontpasforcés;letravailenprofondeur,quimobiliseraitles enjeux psychiques de la situation actuelle, exige une autre temporalité, un autre«dispositif».«Elle va commencer à parler de sa vie, de son histoire, de ses bobos. Et comme ça nous on, tout ça c’est des éléments qui sontimportantspournous,pourl’aiderdanssesdémarches.Parcequelàonvavoir,çaseraitmieuxqu’onlagardeencorepourun2mois,3moispourletempsqu’ellesoitmieuxrétablie,pourpouvoirallerailleurs.»(Int)«Etpuisavecletemps[...]c’estellequivaparlerd’elle.C’estellequivanousdire:“moij’aivécuici,j’aifaitçaj’aifaitça,j’aifaitça.Maissinononluidemanderiensurelle.Onneluidemandepas:“qu’est-cequetuasfaitdanstonpassé?ˮ»(Int)Cette temporalité rejoint les dispositions particulières des intervenantes, notamment latolérance au non su, et la grande humilité, mais aussi la présence (au sens de présenceactive, pleine, témoignant d’une disponibilité non intrusive). De plus, cette posture desintervenantes(attentedecequipeutsurgirdanslemomentprésentdelarelation)suggère

    12Ici,nousnousinspironsduparallèlequ’induitlemot«humanitaire»avecl’aideinternationale.Eneffet,sil’aidehumanitaireconstitueunpandecesoutienauxpaysdéfavorisésenparticulierdanslessituationsd’urgence(catastrophesnaturelles,guerres,etc.),lechampspécifiquedel’«aideaudéveloppement»s’endistingue,deparlaperspectiveduchangementàlongtermequ’ilsous-tend,enlienavecleschangementsdurablesetsurtout,l’éventuelleautonomiedespaysendéveloppementconcernés.

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    quelesavoirestducôtédesfemmes.Encorollaire,ilapparaîtessentieldenepasplaquerdesexplicationsauxsymptômesapparents–cequipourraitaussirejoindrelanotiond’unsavoirthéoriqueàmettredecôtépourinterveniràLRDF.«Maisc’estsûrque,ilyadespartiesqu’ellesvontnouscacher.Puisjetrouvequec’estcorrect,çaprendunliendeconfiancedesfoisavantdesortirlessquelettesduplacard.»(Int)«Situasdesoutilsquetuasapprisenthéoriequipeuventteservir,oui,maistulemetsderrière.[...]maisavantd’aborderlapersonneavecsonintellect,aveccetteclientèle-là,enitinérance,c’estimportantdel’êtreavecsonvécu...»(Int) Bref, il s’agira d’aller au rythme des femmes, comme principe directeur del’accompagnement selon Simard (2016), et d’être constamment à l’affût de cequi pourraconstituerunebrèchedansleurparcours.Cequiserarelevéchezlesfemmesenlienaveclarelationd’aide,pourraitfairerupturedansunehistoiretropsouventplaquée13(Lafortune,Gilbert,LavalléeetLussier, souspresse)etune trajectoirecirculaire.Eneffet,depar leurancragedansunvécuactuel(l’ici-maintenant), lesinterventionsaurontplusderésonance(voiredecrédibilitéetd’impact) chez les femmes.Le travail àpartirde la criseestencesens éloquent (voir la figure 4 sur le travail à partir des situations de crise); plusgénéralement, le travail à partir de la relation transférentielle14est un autre exemple decettetemporalité.

    Figure6:Dynamiquetransférentielleetvécuaffectifinhérentsàlarelationd’aide

    Le schéma ci-dessus présente les deux niveaux de l’intervention adoptée, l’un accessible à la conscience (les attentes et la posture) et l’autre qui échappe à l’entendement et la réflexion première, et qui fait davantage référence au ressenti. De par nos référents théoriques, il apparaît que la dimension la plus fertile pour l’intervention serait toutefois celle qui s’enracine dans la composante contre-transférentielle du lien. Plus difficile à cerner et formaliser (voire expliquer), certes, mais dont l’efficacité dans l’intervention découle de la résonance entre l’expérience subjective de la femme et celle de l’intervenante qui la côtoie. En ce sens, ce n’est pas seulement dans la démarche explicite que se situerait l’efficace de l’intervention, mais aussi dans ce que peuvent vivre les femmes, dans la relation affective tissée avec les intervenantes. La réparation tiendrait au fait de « vivre autrement » un lien affectif investi.

    13Ausensd’unecompréhensiondecelle-ciimmuable,racontéeàl’identique,commeunefatalité.14Letransfertconsisteenlatransposition,parlesfemmes,desenjeuxinconscientspassésdanslarelationactuelle;lecontre-transfertconsisteenlaréactiond’abordinconscientedel’intervenanteàcequiestprojetéparlafemmedanslarelationd’aideétablie.

    Transfert

    Attentes,projetéesparlesfemmes,d'unerelationpalliative

    Contre-transfert

    Postureadoptéeparlesintervenantes-réparationetéducation

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    Versunedémarcheàlongterme:l’accompagnementdelademandeLes intervenantes font donc preuve de tolérance, non seulement au plan dudévoilementéventuelledel’histoiredesfemmes,maisencequiconcernelespossibilitésdesocialisationdecelles-ci.Cetteapprocherejointd’embléeune importantemiseengardeconcernant letravailauprèsdecettepopulation.Eneffet, lapossibilitédefaireressurgirunesouffranceintense aumomentd’amorcer la «‘’remontée’’ versunmodede vie resocialisé» (Hassin,dansNoirotetal.,2000,p.770)demeureàconsidérer.Laperceptionqueplusieursannéessontnécessaires avantd’entrevoir les changements chez les femmes s’accorde avec cetteconsidération.Defaçongénéraledanslediscoursdesintervenantes,ilnes’agitpastantderésultats,maisd’uneprogression.Ilfautdéfairelemythedu«fonctionnel»,affirment-elles,auprofit«despetitspas»,de«petitesvictoires»,et«lesannéesetletempsfontqu’onarriveàuneprogression»,cequi«confirmelavisiondeladirection.»(Int)

    Cela dit, le travail au long cours est à distinguer d’une forme de passivité, tant chez lesintervenantesquechezlesfemmes.Eneffet,c’esticiquenouspouvonssituer«letravaildela demande» ou selon les mots de Durif-Bruckert (2008): l’«accompagnement» de lademande.En fait, la demande d’un travail à long terme, d’un travail thérapeutique ne sauraits’exprimer en premier lieu chez ces femmes. Plus qu’une passivité ou qu’une démission,nous pouvons y discerner unmouvement actif chez les femmes, soit la prégnance de lacoupure,tantdanslasituationactuelle(rupturesdeliens,rupturesociale)qu’aveclepassé(Bastard,2005).«Tu décroches.Moi en tout cas dansmon être àmoi, je décrochais de la vie, je ne voulais plus rien savoir […]moi jem’en vais,écœurez-moipaspersonne. Jeneveuxplus rien savoirde la société. Jeneveuxplusde règle, jeneveuxplusvoirpersonneque jeconnaisetjemefousdesrègles.»(F)

    «C’estpeut-êtrequ’est-ceque je ressens…encorede lahonteetde lagêneàêtredans lasituationque jesuis,que jeneveuxpasm’approcherdesgensdel’extérieurparcequej’aiencorehontedequ’est-cequejesuisdevenue.»(F)

    Sicepasséestdéterminantdanslacompréhensiondel’étatd’itinéranceactuel,ildemeuredifficiled’accèsenconséquenced’unmécanisme(actif)deprotectionpourlesfemmes.Cepassé (souvent empreint de honte, de culpabilité) ne peut être abordé de front par lesintervenantes, afindepréserver l’intégritédes femmes.Nouspouvonsdès lors concevoirque letempsnécessairepouraccéderà l’histoiredesfemmes,pouramorceruntravailenprofondeur,estintimementliéàl’émergenceéventuelled’unedemandedelapartdecelles-ci.Enconséquence,laquestiondelademanded’aideestaucœurdelaviséed’untravailàlongtermeetd’unchangementdanslatrajectoiredesfemmes.Il est difficile d’attendre des femmes une demande claire, notamment en raison de laméfiance habituelle de cette population, relevée tant par les intervenantes que dans lalittérature(Bastard,2005;Durif-Bruckert,2008;Mellier,2006).Cefaisant,lademandeestenquelquesortedevancéepar l’offredeservices.Cetteapprocheestégalementreconnuedans la littérature: une proposition de services qui anticipe la demande, par unrenversement de l’ordre habituel (demande –> réponse) attendu notamment en

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    psychothérapie (Mellier, 2006). Les femmes se présentent donc avec des «indices» desouffranceàéventuellementdéchiffrersousformedebesoinsprimaires(Mellier,2006),etlademande–relativeauxdésirsdesfemmes–devientunepotentialité.Encesens,l’offredeservice,soitl’accueildeLRDF,constitue–au-delàdelaréponseauxbesoinsdansl’urgence,évoquée ci-dessus – un espace potentiel pour le déploiement de la demande tributaire àl’accessibilitédesdésirs,soitlepremierjalondel’ouvertureversuntravailàlongterme.

    Figure7:Confrontationentrelebesoinassouvietledésirpersistant,moteurdelasituationprécaireactuelle

    Lafigureprécédenteexposelacomplexitédecernerlademandedesfemmesquifréquententl’organisme.Sediscerneiciunedimensionadaptativefondamentaledel’intervention,cequenousavonsappelé la «souplesse» de celle-ci. Cette condition apparaît essentielle afin de dépasserl’ordre des besoins (et de l’urgence) et accéder à l’ordre des désirs (et du travail enprofondeur). En effet, chez les femmes, le désir serait à mobiliser, un désir qui sembles’absenter de celles-ci par la «disparition des capacités d’initiatives» (Bastard, 2005, p.110),maisaussidel’espoir.«Jesaisquejepeuxpasêtrepire,j’suisdansruelà.Çafaitque,bon.»(F)« Souvent les filles ne veulent plus rien, parcequ’elles ont tellement tout perdu. Elles ont perdu le peude vêtements qu’ellesavaient,lepeudechosesqu’ellesavaient,alorsc’estcomme:j’suisaussibienderienavoir.»(F)C’estdanscetteoptiquequelanotionde«relais»aétéproposée,enregarddelapostureparticulière des intervenantes: il s’agit pour elles de relayer l’espoir, le désir, puis lademandedes femmes.Cette façond’entrevoir le travail auprèsdes femmesen termesderelaisaégalementétérelevéedanslalittérature;ils’agitdeconsidérerquepouruntemps,la«demandedoit[…]êtreportéeparun‘’tiers’’»(Bastard,2005).C’estcequenousavonsappelé plus haut la «fonction contenante» des intervenantes: celles-ci, pour un temps,seraient amenées à mettre en pensées, et éventuellement mettre en mots, ce qu’elles

    DÉSIRindicible

    ancrédanslasouffranceinfantileetactuelle

    arrêtetconfrontationàsoi

    BESOINdicible

    justiriéparlasituationactuelleobservable

    circularitéetfuitedelapensée

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    perçoivent et comprennent des femmes et de leur désir, à partir de ce qu’elles vivent etressententauprèsd’elles(voirlafigure6surladynamiquetransférentielle).«Puisilfautlesameneraussiàvoirqu’ellesontunlangage,qu’ilyaunlangageàl’intérieurd’ellesqu’ellesdoiventapprendreelles-mêmesànommerdeschosesàceniveau-là.»(Int)Untelaccompagnementde lademandepermettrait,àterme,depallier lamiseenactedecelle-ci sous la forme visible de la précarité (Assoun, dansDurif-Bruckert, 2008, p. 319).C’estdirequ’ils’agiradepouvoirsereprésenter,pouréventuellementmettreenmots(unedemande nommée) ce qui auparavant était exprimé par le corps, les actes ou pluslargement, le «donnéàvoir». La tâchen’estpas simple: le travailde co-constructiondecettedemandeàpartird’undésiràfaireémergerestexigeantpourlesintervenantes,maisnécessaire afin que les femmes puissent en quelque sorte s’approprier celle-ci. Celaconstituerait leproprede l’accompagnementvisésur le long terme, lorsqueconsidéréauniveaupsychique.

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    Différentsniveauxd’interventionLa façon d’intervenir selon différentes temporalités sous-tend la perspective d’uneinterventionnonunivoque,ouend’autrestermes,dedifférentsniveauxd’intervention.Celarejointlacompréhensiondelaproblématiquedesfemmesparl’organisme,maiségalementdanslalittérature.Eneffet,silesvoiesd’expressiondelaprécarités’exprimentàlafoisparlecorps,dans lesrelations,dans lapsychéetdans les«agirs»(Mellier,2006), ilapparaîtcohérent de penser une intervention plurifocale. À LRDF, l’intervention visera donc nonseulement les besoins primaires, mais également les enjeux psychiques sous-jacents, àpartird’unfilconducteur:celuidu«lien».Unlienquiseverratransforméaufilduséjourdesfemmes,enintégrantparexemplecertaineslimites(danslaréponseauxbesoins)aprèsune première phase d’accueil inconditionnel. De même, une attention particulière seraaccordéeà lacorporéité(dans laconnotationphénoménologiquede l’êtredanssatotalité,situé dans le monde), tout en privilégiant parfois la voie du corps et des sens (dont letoucher). Comme nous l’avons vu, le passage de l’ordre des besoins à celui des désirsapparaît sous-jacent à ces différents niveaux d’intervention. Ce faisant, il s’agit de faireémergerpuisdemettreautravaillaréalitépsychique,au-delàd’unepremièreapprochedesfemmesvialaréalitématérielle(Mellier,2006)etlesbesoinsprimaires.Cela dit, la prise en compte de différents niveaux d’intervention amène à considérerl’importance d’une approche de réseau (Bastard, 2005), de la pluridisciplinarité dansl’approche des femmes. À ce titre, si «répondre à la précarité psychique est une tâchesociale»(Mellier,2006,p.152),c’estdirequelepassageàl’extérieurdelaressourceestunélément fondamental dans l’issue du parcours ultérieur de ces femmes. L’implicationprogressive d’autres intervenants – ici, nous souhaitons appuyer ce terme, afin de ledissocier des services qui font trop souvent abstraction de la référence personnaliséeprônéeparl’organisme–seraàconsidérerasseztôtdansletrajectoirede«sortiederue»,quirappelons-le,s’avèrel’objectifultimedel’intervention.Durif-Bruckert(2008)évoqueicinon seulement l’image de «passerelles» entre les services, mais l’image évocatrice de«passeurs». Cette posture des intervenantes est adoptée non seulement à l’interne,lorsqu’il s’agit d’amener une femme à consulter une autre intervenante ou uneaccompagnatrice,maiségalementdansl’accompagnementdesfemmesdanslesinstitutionsetauprèsdespartenaires.C’estdireàquelpointl’emphasesurle lien,àLRDF,dépasselasimplerelationd’aideentrefemmesetintervenantes: lelienestaucœurdel’approcheetteinte ainsi les différentes composantes de celle-ci, jusqu’au travail de référence et departenariat.«[Nomd’intervenante]estvenuemechercher.[...]Elleacommencéàparleravecmoi,tranquillement.Etunmoisplustard,elleadit:“jevaisteprésenter[nomd’intervenante]puisj’aimeraisçaquevousvousvoyiezˮ.Çaacommencédemême.Et[nomd’intervenante],ellem’adit:“veux-tuallerfairedel’art-thérapie?ˮ[rires].Ças’estinstallédemême.»(F)

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    LelienRappelonsque l’ambitiondeLRDFestde constituerune«écolede la relation», voireun«hôpital du lien»d’abordpour les femmesqu’elles reçoivent,mais en tenant comptedel’apprentissage de chaque intervenante inhérent à cettemise en chantier de leur propredynamiquerelationnelleetaffective15.Celarejointlafonctionessentielledecetravailsurlelien ou l’«espace relationnel», à partir du lien, prônée par les auteurs en ce domaine(Gilbertetal.,2013;Mellier,2006;Simard,2016).Nousavonsdécelédifférentesétapesdutravailsurcelien,aveclesfemmes,soutenuparlapersonnemême(l’êtreentier,corpsetpsyché)des intervenantes,via leur investissementparticulier de la relation aux femmes. Celle-ci est adaptée dans la mesure du possible àchaquefemme,ettémoigned’uneremiseenchantierdesétapesdudéveloppementinfantiledetoutsujet,etdelacréationduliensocial.D’abord, il s’agitd’un liend’ordreprimitif, de la satisfactiondesbesoinsprimaires (voireessentiels),commelelaisseentrevoirlamétaphoredelaposturematernelleetnourricière(au plan affectif surtout, mais également dans certains gestes et fonctions) desintervenantes.Puis,progressivement,deparl’implicationdugroupeetl’obligationpourlesfemmes de se relier à plus d’une intervenante, un passage vers le lien social peut êtreenvisagé.Celui-cinevapassansunecertainefrustrationparrapportaurapportprivilégié(avec une seule intervenante choisie par les femmes) et à la satisfaction immédiate desbesoins.«Jeveuxqu’ellelefasseavecuneautrepersonnepourpasquejesoissaseuleréférence.Amenerlapersonneaussiàavoirconfianceenplusieursintervenantsouintervenantesdansleurviequiveulentaider.[…]çapeutêtrereconstructifpourlapersonneauniveaudesesliensaffectifsquiontétébrisésdesfoisdanslafamille.Ondevientcommeunefamilleélargie,maissaine,alentourd’elles.»(Int)

    Dès lors, dans cet espace créé au sein du lien duel et de la parfaite adéquation besoin-satisfaction,peutapparaîtrelapossibilitédevoirémergerledésir(au-delà,pluscomplexe,etmoinsaccessibleàlaconsciencequelebesoinprimaire)etlaformulationd’unedemande.Cettepossibilitéestsoutenueparlaprésenceconstanteetactivedesintervenantes,quoiquejamaisinsistante.«Qu’est-cequej’aimevraimentici,c’estquejustementlesintervenantsellessemêlentàtoi.Tusais,c’estcommesionvivaittoutesensemble.Quandc’estpluscalme,onvajouertoutlemondeauxcartes,onvadessiner,onvaseparler,onvariretusais.Ellesnesontpasenarrièredeleurbureau,justeàgérerlescrises.»(F)«Onvitcommeen,encommunauté.Onesttoutletempsensemble.Onvaallermangeravecelle.Ellevacommenceràparlertranquillementdesavie:“ah,moij’aivécuàtelteltelendroit.J’ai,c’estçaquim’estarrivé.J’aiétéviolentée.J’aiétémaltraitée.ˮ»(Int)

    15Ànoterquecequiesticiassociéauxintervenantesserait,àtraversunetelleapproche,appropriépourtoutaidant,voirepourtoutsujethumain.

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    End’autrestermes,enparallèleàlagrandetolérancedesintervenantes(àl’incertitude,àlacrise, au vide, au silence)16, se crée l’espace-temps nécessaire pour que se déploie unedemande singulière, relative au parcours personnel de chaque femme. Peu à peu, lesfemmespeuventapprivoiseruneautremodalitédu lien, soit le liendeconfianceencettepersonne – l’intervenante – qui a su se montrer d’une part disponible, d’autre partpartiellementabsente (d’où laplaceaccordéeauxautres intervenantes) tout en revenantéventuellement17. De plus, par cette présence assidue, les intervenantes arrivent à semontrer non détruites par les agressions, le vide, la frustration, etc. Ici, la capacité decontenancedesintervenantesestsollicitée:recevoirlesagressionsdesfemmesenassurantune présence, et en accordant un sens à certains agirs, ou en d’autres termes «donne[r]sens à l’agir inefficace […] en en faisant une ‘’demande’’» (Brelet-Foulard, 2004, p. 25)serait au fondement de l’instauration du lien investi par les femmes. Le travail«thérapeutique» (au sens d’une valeur thérapeutique, inscrite ou non dans une thérapieformelle)serafondésurcequiseraperçuetcomprisdesfemmes,nonseulementàpartirdeleurdiscours,maisàpartirdelarencontresingulièreavecchacune.«Maismoijemedisquec’estunefaçondesedéfouler.Parcequetunefaispasunecrisepourrien.Ilyaquelquechosequis’estpassé.Même,paspourl’instantprésent,maisdanstavieilyaquelquechosequis’estpassé.Etquetun’arrivespasàt’endébarrasser.Etdesfois,çapeutrevenir.»(Int)

    «Tusais,tusaisdesfoisici,ilyadesintervenantesquivontarriveretquivontsefaireenvoyerpromener,ouellesvontsefairetraiterd’unnom.Puisl’intervenantevadire:“ellem’amanquéderespectˮ.D’essayerdeleurfairecomprendre“sit’avaisvécusavieoùont’atoujourstraitéecommeça,pourtoiçaseraitnormaldetraiterl’autreainsi.C’estsonlangage,safaçonderentrerencommunication.Ellen’estpasentraindetemanquerderespect.Elleestentraind’agirnormalementˮ.»(Int)À un niveau plus conscient et factuel, l’approche des intervenantes amène les femmes àexpérimenter une autre forme de lien. Confrontées à une attitude différente (tolérance,accueil,etc.)deleursexpériencesrelationnellesantérieures(etmêmerécentes,incluantlesrecours à l’aide) empreintes de ruptures, elles pourraient être amenées àmoduler leursattitudes18. Cette expérience pourrait s’avérer réparatrice, notamment en opposant unecertaine continuité à l’alternance du surinvestissement et du désinvestissement radicalobservédanscettepopulation(Durif-Bruckert,2008).Encesens,sediscernedansletravaildesintervenantesune«métaphorefamiliale»,soitlacréation au sein de l’organisme d’un «foyer» (plutôt qu’un simple lieu). Vivre dans uneatmosphèreoùl’affectivitéestaupremierplanauraitlepotentieldemodulerlerapportàl’autrechezcertainesfemmes.Lapostureparentale,voirematernelledesintervenantesest

    16Eneffet,ilsembleplusfaciledesatisfairelebesoinprésentédansl’immédiatquededire«non»,decréerunebrèche,etd’introduireuneattente–danslesdeuxsensduterme:celuidudélaietceluidel’expectative–dansl’espoirqu’unautreordrededemandesoitentrevuchezlesfemmes.17Cequiévoquelanotionpsychologiquede«permanencedel’objet»(voirlesécritsdePiaget),soitlapossibilitédedistinguerl’absencetemporairedeladisparitiondesfiguresd’attachement.Enpsychanalyse,cettepossibilitéderépondresuffisammentauxbesoins(doncd’éviterlasouffrance)toutenintroduisantundélaidanslaréponse(enmaintenantchezl’enfantlapossibilitédumanqueetdudésir)aétédéveloppéeparDonaldW.Winnicott.18Quelquessituationsévoquéesparlesfemmesvontencesens,parexemple,lefaitd’apprécierlesbalisesposéesparlesintervenantes,entantquemoteurdechangement,alorsquel’onpourraits’attendreàdesattitudesdefuiteoudeconfrontation.

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    d’ailleurs la prémisse, fantasmatique (ou portée par l’imaginaire) du travail deréinvestissementdulienaffectif.

    Figure8:L’évolution«réparatrice»dulienentrelesfemmesetlesintervenantes

    La figure ci-dessus présente l’apport de la métaphore familiale : cette perspective évolutive du travail à partir du lien, en revisitant des phases du développement psychosocial. Dureste,ladifficultéàserelierauxpairs,manifestechezlesfemmes,sembletémoignerdela préséancedu lien aux figures parentales (figures d’autorité ou affectives, représentéesparlesintervenantes)surlelienauxpairs.Celaporteàpenserqueleréinvestissementdeslienssociauxetl’inscriptionsocialedemeurentplusconflictuels.«Jepeuxdirequej’ai…deuxamiesici…maisjeparleàtoutlemonde,presqueàtoutlemonde[…]Maislesdeuxamiesquej’aies,onnesefréquentepasàl’extérieurdeLRDF.Onsevoitici,maisonesttoujoursensemble.[…]Maisjeneparlepasdemesaffairesqui…jenemeconfiepasàeuxautres.Jegardeçapourmathérapeuteouàl’occasionpouruneintervenantequandçanevapas…»(F)Le travail sur le lien ne saurait être formalisé per se, par exemple sous forme d’étapes;l’approchedeLRDFledémontrebien.Ils’agiraitplutôtdeprofiterdetouteslesoccasionsdetravailsurlelienetsesparticularitéschezlesfemmes,danslessituationsduquotidienetdel’intervention,end’autrestermes,de«saisirlesoccasions»(Mellier,2006,p.153)ausein de la vie communautaire du «foyer». C’est ainsi que le travail dans l’ici-maintenantpermet qu’éventuellement puissent se dessiner les contours d’un travail au long terme,dansunlienaffectifinvesti,toujoursenprogression.

    Accompagnement"maindanslamain"(Int)

    «Ilsnousprennentcommedesenfants.Audéparttusaisilfautqu’ilsnousentourent,etilsnousréapprennentàvivre.Parcequ’ilyena,moijesuissûrequ’ilsn’ontpaseubeaucoupde

    choses»(F)

    Accessionprogressiveà

    l'autonomie(Int)

    «Danslefondc’estcommesiilsmeréapprenaientlesbasesdelaviequemoijen’aipas,jen’aipasappriset…hum,jepensequetoutcequejefaisaisc’étaitjustecommeêtreenmode

    survie…»(F)

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    LesenjeuxdupartenariatLesdifférentsniveauxd’interventionproposésàLRDFdémontrentlapriseencomptedelanécessité d’un travail pluriel auprès de cette population. Effectivement, les partenariatsconstituent un enjeu majeur du travail des intervenantes, car ils s’avèrent à la foisnécessairesetcomplexes.Enfait, ilsembledifficilepourlespartenairesinstitutionnelsdereconnaître l’expertisedes intervenantes, laquelle réfèreprincipalement à l’expérience etnonàdessavoirsthéoriques.Unautreobstacleauxpartenariatsconsisteendesdemandesdifficilesàsaisir,ducôtédesfemmes.Cefaisant,cequiaurapuêtrediscerné,àforced’uncontactrépétéaveclesfemmesdansl’organisme,necorrespondrapasnécessairementàcequiestdonnéàvoir lorsquelesfemmessontamenéesàfréquenterles institutions–c’estdire combien la reconnaissance de ce savoir des intervenantes sur les femmes, par lesmilieuxinstitutionnels,pourraits’avéreressentielleàuneoffredeservicesadaptée.Restequedufaitdecesaléasdespartenariats,ilsembleyavoirrégulièrementopposition,plutôtquecontinuité,entrelesservicesoffertsàcettepopulationparlesmilieuxcommunautairesetinstitutionnels.

    Figure9:ObstaclesaupartenariatefficaceentreLRDFetlesinstitutions

    Leschémaprécédentrésumelesprincipauxenjeuxdupartenariatparlesquelslacircularitédesrecoursàl’aideparlesfemmessembleentretenue,audétrimentdumieux-êtredecelles-ci.

    Incompabilitéentreapprochesetentretiendelacircularitédesfemmesentrelesmilieuxd'aideetdesoins

    Oppositionplutôtque

    complémentarité

    Demandesetbesoinsvoiléschezlesfemmes

    Fermetureàl'expertisealternative

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    La reconnaissance a été relevée comme un des points d’achoppement de l’idéal d’uncorridor de services. Les intervenantes ont mis en évidence à quel point un véritable«travail d’échange pourrait également avoir l’avantage d’être soutenant pour les uns etpourlesautres,etamenerpetitàpetitunerevalorisationdeleuridentitéprofessionnelle»(Bastard, 2005, p. 114). Si la teneur de l’investissement affectif des femmes par lesintervenantes semble contrer, à l’occasion, le passage vers l’extérieur (de l’organisme), iln’endemeurepasmoinsqu’unefailleimportanteauplandupartagedesexpertisessembleconstituerunobstaclemajeuràunepriseenchargeconjointe fertileetau longcoursdesfemmesensituationd’itinérance.«Jenesaispassionvousl’adéjàdit,maisenfinsouventj’aieulesentimentde…[soupir]onal’impressionqu’onesttouteseule…J’aieusouventcesentiment-là,moij’ail’impressionquelaressourcedeLRDFoulesressourcesenitinérancesontcommetoutesseulesàdevoirgérer…[…]etquandjedisaistantôtquedesfoisj’ail’impressionqu’ontravailletouteseule,dansunsystèmedesociété…tusais,tuenvoiesdumondeàl’urgence,çafait20foisquetulesenvoiesàl’urgenceetilslesrenvoient,ilslesrenvoient,ilslesrenvoientà3heuresdumatin,lesmettredanslarueà3heuresdumatin.»(Int)

    En ce sens, il est important de considérer, dans le phénomène des «portes tournantes»entre les services du réseau d’aide, la possibilité que l’incommunicabilité entre milieuxcommunautairesetinstitutionsdesoinspuisseexacerberunmouvementdéjàprésentchezlesfemmes,encequiatraitaurecoursauxaidants.Cefaisant,lesfemmesdemeureraient,aufinal,dansunentre-deux(Bastard,2005),répétantunmodehabituelderuptureetdere-tissage(tantbienquemal)dulien.En fait, malgré l’existence de corridors de services (et de «passeurs», incarnés par lesintervenantes), ildemeuredifficiled’enarriveràuneinterventioncoordonnéeauprèsdesfemmes.Cetenjeupourraitêtreàrelier,outrelesconsidérationsorganisationnelles,àunecaractéristiquede lapopulationdesservie.Eneffet, la littératuredémontreàquelpoint ilestpérilleuxpourlesaidantsd’avoiraccèsàlasouffrancedesfemmes,au-delàdecequiestdonnéàvoirdefaçonflamboyante(lacriseenétantunexemple),cequialimenteleconflitentre les intervenantes qui ont eu accès (même minimalement) à une souffrance plusintérieureetplusprofonde,etlesaidantspartenaires,quisontponctuellementconfrontésaux symptômes apparents. Malgré l’accompagnement prodigué par les intervenantes, ceconflitsembledemeurerentier.Sid’unepartl’onpeutyvoirunmanquedereconnaissancedel’expertisedecelles-ciparcertainsmilieuxinstitutionnels,d’autrepart,ilaétéobservéque«cessouffrancesalimententdesconflitsdans leséquipes»,devant lamiseendéfautd’unelogiquehabituelled’intervention(Mellier,2006,p.148).«Nousonvadirequelaparticipanteestcorrecte,elleestrendueàtelendroit.Etlà-baslapersonnesedésorganise,etc’estcommeonneveutplusavoirpersonnedeLRDF.Tu sais je, jeme rappelle [nomd’unorganisme].Tu saisunmomentdonnéonétait vraimentbarrées là. Puis j’ai rencontré des intervenantes dans des ateliers ‘’femmes et violence’’. Elle était dansmon groupe où on devaitéchanger,etelledisait‘’non,nousautresonrefusesystématiquementlesfemmesquiviennentdechezvous’’.»(Int)

    L’unedecesvoiesnoussembleêtrecelledupartagedeconnaissancesetd’expertises.Lesintervenantes ont nommé une lacune importante, qu’elles vivent dans les collaborationsavec les milieux de la santé. Le travail amorcé par la présente démarche de recherches’inscrit dans cette voie en permettant de mieux faire valoir le savoir émergeant del’approchedeLRDF.

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    Enguisedeconclusion…L’apport principal de l’approche de LRDF semble constituer une façon d’éviter le cerclevicieuxdel’interventioncentréesurlessymptômes.Lefaitdeprendreencomptelepassédes femmes, de les considérer dans leur entièreté et au sein d’une trajectoire plutôt quesimplement dans le moment présent, permet de développer une tout autre stratégied’intervention, et possiblement, de tolérer voire même d’utiliser dans l’intervention lesaléasducontactimmédiataveccettepopulationparticulièrementdifficileàaider.Lànoussemblesesituerlecœurdela«santérelationnelle».Eneffet, ceconceptnovateuràLRDFtémoignebiend’unevision inclusivede la«santé»,qui«annexeainsiettoutàlafoislessituationsd’impassessociales,d’atteintessymboliques(représentations du corps et estime de soi), et d’atteintes à l’intégrité et la dignitéhumaine» (Durif-Bruckert,2008,p.308).Mais laspécificitédecetteappellation tiendraitselonnousàlavisiontoutaussi«inclusive»delanotionde«relation».Danslecadredel’approchedeLRDF, la relationestévoquéeet travailléedansuneperspective temporelle(histoireetévolution),affective(voirlanotiondefoyer)etbidirectionnelle(lelienàsoiestaussiimportantquelelienàl’autre).Cettecomplexitépermetdeprendreenconsidérationles blessures relationnelles dont sont porteuses les femmes, et de les aborderprogressivement avec délicatesse, à travers un détour par la personne même desintervenantes.Cetterésonancepermettraitderemettreenchantiercertainespotentialitésduliendanssescomposantesaffectivesetsociales,cequisembleconstituerlaprémissedetoutedémarchederéinsertionsociale.

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