racontez-moi la complexité de la douleur
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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2009) 10, 227—229
VOTRE PRATIQUE
Racontez-moi la complexité de la douleur
Tell me about the complexity of pain
Florence Tiberghien-Chatelain ∗, Véronique Piccand,Jean-Louis Lajoie, Frédérique Lassauge,Bernard Fergane, Eugénie Poret
Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, CHU Jean-Minjoz, boulevard Flemming,25000 Besancon, France
Disponible sur Internet le 15 septembre 2009
MOTS CLÉSDéfinition de ladouleur ;Plaintesdouloureuses ;Sens de la douleur ;Comment aborder ladouleur
Résumé Le but de ce court texte est de tenter de donner quelques pistes afin de mieuxapprocher un patient douloureux avec toute la complexité que nous connaissons de la douleur.© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDSDefinition of pain;Pain complaints;Meaning of pain;Approaching pain
Summary The purpose of this short article is to provide food for thought on the complexityof pain in order to achieve a better approach to the patient suffering from pain.© 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Définition de la douleur
Si l’on regarde la définition de la douleur dans le Petit Robert, il est écrit : sensationspénibles en un point ou une région du corps. Cette définition réduit la douleur à une simpleagression corporelle. Elle rapporte la douleur au corps. Alors que la définition choisie par
∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (F. Tiberghien-Chatelain).
1624-5687/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.douler.2009.07.002
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’association internationale pour l’étude de la douleur (IASP)n 1993 dit : « La douleur est une expérience sensoriellet émotionnelle, désagréable liée à une lésion tissulairexistante ou potentielle, ou décrite en termes d’une telleésion ».
Cette définition permet de légitimer la plainte dou-oureuse même si cette plainte résulte de troublessychologiques puisqu’elle souligne la possibilité que lesécanismes générateurs puissent être d’origine physique
omme d’origine psychologique.La douleur est en effet un évènement neuro-
hysiopsychologique central avec une double dimensionubjective, sensorielle et émotionnelle dont le caractèreésagréable ne peut être apprécié que par le maladeui-même.
Cette définition permet de ne pas rejeter le patientt donne un sens aux douleurs sans lésion visible sur lesxamens complémentaires. Il existe un lien neuro-physio-natomique entre mémoire, douleur et émotions, illustréar le fait que la douleur puisse être une forme de langagenconscient pour exprimer un conflit, un problème de vie, ouffectif non résolu, et qu’il est possible de voir réapparaître,es douleurs anciennes à l’occasion d’un stress (évoca-ion de la guerre d’Algérie dans les médias par exemple)u le réveil d’un traumatisme refoulé (maltraitance dans’enfance) à l’occasion d’un traumatisme physique mêmeineur (résonance).
a plainte douloureuse
a plainte douloureuse peut se faire l’expression autante la souffrance psychique que de la douleur corporelle.a plainte permet d’inscrire la souffrance dans un lan-age [1], de nommer l’inexprimable, l’insupportable ; enela, elle apaise l’angoisse. La plainte est porteuse deessages multiples à différents niveaux, de demandes
on formulées mais implicites. La vraie demande restedécoder. Elle peut être suppliante, séductrice, enva-
issante, agressive, manipulatrice, ou encore silencieusenique ou répétitive. Elle peut être une demande d’aide,’apaisement.
Ne cherchons donc pas à faire taire la plaintemais plutôt à l’analyser (sens dans un parcours
de vie).
Trop souvent, la réponse médicale s’arrête à cette pro-lématique alors que la plainte a aussi une dimensionsychologique. Elle est signifiée et exprimée en direc-ion d’un autre, modulée en fonction de l’interlocuteur enace de lui (différemment exprimée selon que la patient’adresse à un professeur de médecine, un interne, une infir-ière, une aide soignante, une secrétaire), mais souvent
elui-ci ne comprend pas cet appel, il ne le décode pas,l reste au niveau de la plainte physique sans comprendreue derrière cette plainte, il existe parfois des difficultés
ociales, psychologiques ou un passé de traumatismes psy-hiques.L’homme a besoin d’être reconnu dans sa plainte. Lalainte a de nombreuses fonctions : quand le patient selaint il n’est plus passif, il est actif et cette plainte permet
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F. Tiberghien-Chatelain et al.
l’homme de rester debout. La plainte tente de maîtriseruelque chose qui angoisse le patient et qui lui échappe.
acteurs de renforcement des douleurs
ue devient la douleur lorsque la révélation d’un can-er est faite sans ménagement (annonce « ratée »), lors de’ablation d’un organe pratiquée sans prévenir et avec bru-alité, si le retour d’un patient à domicile est prématurét non préparé, si l’examen d’un patient est réalisé ene considérant comme un objet, ou encore lorsqu’il passees moments interminables sur un brancard. . . ? De plus,es patients algiques mémorisent plus facilement des motségatifs que des mots positifs.
ens de la douleur
ais cependant, paradoxalement, les symptômes doulou-eux peuvent résister à tous les antalgiques. Parfois, l’êtreumain en face de vous, tout petit au fond de son lit devanta grande visite du professeur, peut ne pas guérir car la dou-eur ou le symptôme a un sens dans son existence. Personnee détient la vérité sauf le patient.
Si la douleur disparaît qui va le regarder, l’écouter,’entendre, le soigner. . . ? La suppression totale d’une dou-eur peut entraîner une perte de sens jusqu’à la demande’euthanasie.
Un jour un patient a dit : « je préfère avoir mal à laête que de souffrir ». Ce n’est pas si simple. . . En effet,a douleur recouvre une variété infinie de sens : naturellehysiologique, elle a permis la survie de l’espèce (fonc-ion d’alerte) ; utile parce que révélatrice d’une maladieHippocrate) ; obligatoire et nécessaire tel que l’ont penséongtemps les chirurgiens, jusqu’au xixe siècle ; formatriceour les stoïciens, rédemptrice et purificatrice pour cer-ains mystiques ; inutile et destructrice quand elle devienthronique.
Le patient demande qu’on l’écoute, qu’on le comprennet qu’on donne un sens à cette douleur qui l’envahit, le para-yse, l’altère dans tous les sens. Il est douleur, il s’identifie
elle et n’en sera délivré que si elle prend un sens à seseux : « Docteur : trouvez-moi un cancer pour expliquer mesouleurs ». A. Camus : « L’homme est un animal qui veut duens ».
’homme douloureux et la société
a douleur est difficilement communicable. Elle est à la foisiolence physique et destruction de la relation au mondeans la mesure où elle envahit tout et paralyse l’activitéla fois physique et intellectuelle. Replié sur lui-même,
e malade finit par lasser de par son impatience, son irri-abilité, son comportement et la durée de ses douleurs.’entourage finit parfois par s’interroger et douter, ce qui
st insupportable pour le patient.Freud a écrit (atteint d’un cancer de la mâchoire) : « Leonde se rétrécit alors au canal étroit d’une molaire ». Laouleur évoque, en décousu, la présence en l’homme d’uneort qu’il craint (par exemple lors de la récidive d’une
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[1] Poret E. Souffrance, douleur et mémoire occultée. Montrond-
Racontez-moi la complexité de la douleur
douleur chez un patient en rémission d’un cancer). Elle estle rappel de la finitude de sa condition. Et pourtant, malgrétout cela, elle reste la marque de son humanité (l’hommesans douleur, sans lien social qui demande si on lui pose laquestion de lui rendre sa douleur [2]).
Comment aborder alors la douleur ?
La prise en charge de la douleur chronique nécessite unepratique pluridisciplinaire basée sur l’entente, le respectdes différences de chacun, l’écoute de chaque membre del’équipe sans hiérarchie, alors qu’elle est encore si présentedans le monde médical. Le degré de satisfaction du patientsera fonction de ses attentes et de ses objectifs. N’est-il pasdifficile de croire le patient quand celui-ci dit qu’il a mal defacon répétée ? Ne le soupconne-t-on pas « d’en rajouter »quand celui-ci prétend que malgré le traitement il a toujoursmal ?
De plus, le savoir médical progresse trop vite : peut-on
tout savoir et synthétiser ?La douleur ne suit pas toujours leraisonnement pastorien (une douleur, une cause,
un traitement).
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Le médecin reconsidère-t-il son diagnostic et seemande-t-il ce qu’il n’a pas vu derrière le « j’ai mal » deon patient ?
La prise en charge de la douleur consiste en un acte’écoute sans porter de jugement, un acte de discernementvec une attitude empathique, un abandon de tout senti-ent de toute puissance et aussi l’ouverture au regard de
’autre.Chacun sait qu’il ne faut pas dissocier la psyché et le
oma mais qu’il faut réhabiliter la notion d’un corps unique àa fois physique, émotionnel, intellectuel et symbolique. Laédecine retrouve alors sa finalité première : reconstituer
’homme, éclaté par la douleur et la maladie, le réunir ete remettre debout et dans le cadre de la douleur chroniquerendre soin et accompagner. . .
éférences
Le-Château: Éditions du Galion; 2003.2] Film de Muriel Coulin et Ruth Zylberman. L’homme sans douleur.
Arte reportage.