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1 QUI A TUE JESUS-CHRIST ? LA RESPONSABILITÉ DES JUIFS DANS LA CRUCIFIXION DU SEIGNEUR PAR LE PÈRE ISIDORO DA ALATRI «Que les Juifs ne disent pas : "Nous n'avons pas fait mourir le Christ"» SAINT AUGUSTIN (Commentaire sur le psaume LXIII) Nihil obstat quominus imprimatur : Romae, die 29 decembris 1960- (Fr. Ioannes Baptista A. Farnese) - Minister Pro- vincialis O.F.M. Cap. Imprimatur : Verulis, die 20 novembris 1961- Carolus Livraghi- Ep. us Verulan-Frusinaten TABLE DES MATIÈRES Préface de l'abbé Curzio Nitoglia Déclaration – Remerciements But du présent opuscule Prière d'introduction La parole est aux Evangiles Remarques et constatations Foule qualifiée "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" Réponse à une contestation Le peuple élu réprouvé pour avoir tué le Christ La destruction de Jérusalem comme châtiment national Fondement théologique "Père, pardonnez-leur" Ignorance coupable Qui donc a tué le Christ ? Le meurtre du Christ dans les Actes des Apôtres Le nouveau peuple élu Saint Laurent de Brindes et la responsabilité des Juifs dans la mort du Christ Saint Paul et le retour d'Israël Explication Conclusion Appendice I - La pensée des Pères de l'Église et d'illustres éxégètes Appendice II - Documents ecclésiastique a) Condamnation de la Société "Les Amis d'Israël" b) Monitum S. Ufficii Appendice III - Document historique et apologétique Appendice IV - Confirmation théologique Bibliographie PRÉFACE L'ouvrage du Père Isidoro da Alatri o.f.m. est l'un des plus beaux jamais écrits sur la question du déicide. L'Imprimatur lui a été accordé par l'évêque de Frosinone en 1961, mais il n'a malheureusement pas eu la diffusion qu'il aurait méritée. La présente édition se propose d'y porter remède. Le style de cet ouvrage est clair, accessible à tous, mais aussi précis et profond tant du point de vue exégétique que théologique. Dans ces pages, la responsabilité collective de la religion juive post-biblique, du Sanhédrin et du peuple hurlant le Vendredi Saint : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" est démontrée sans contredit. L'auteur nous ap- prend aussi qu'en 1933, les Juifs instituèrent à Jérusalem un tribunal officieux pour réexaminer la sentence du Sanhédrin. Le verdict fut que la sentence du Vendredi Saint devait être rétractée, parce que l'innocence de l'inculpé était démontrée. Ce sont les Juifs eux-mêmes qui ont appelé le châtiment de Dieu sur eux et sur leurs enfants. C'est le peuple juif qui s'est condamné lui-même avec ses chefs, encourant par voie de conséquence l'abandon et la répudiation de la part de Dieu. Cependant un grand nombre d'entre eux se sont repentis et ont obtenu le pardon de Dieu mais aujourd'hui encore, si les fils de ce peuple restent solidaires de leurs pères pour condamner Jésus, ils attirent sur leur tête la condam- nation que Dieu réserve à tout pécheur impénitent. Comme le fait remarquer Tertullien, ce ne sont ni le Christ ni Son Eglise qui ont émis la sentence "Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants", ce sont les Juifs. Le peuple (autre- fois) élu a été réprouvé et condamné par Dieu parce que meurtrier du Christ. Aussi le Royaume changera-t-il de maître et sera-t-il transféré des Juifs aux païens ; le peuple d'élu deviendra réprouvé et les nations abandonnées devien- dront les nations élues. C'est aux chefs que revint la culpabilité la plus grave, mais le peuple en eut sa part (bien qu'à un degré moindre), lui qui avait vécu avec Jésus et avait été témoin des miracles opérés par Lui. S'il y eut ignorance, ce fut une ignorance volontaire et donc coupable. L'objection récente suivant laquelle Jésus est mort pour les pécheurs

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QUI A TUE JESUS-CHRIST ? LA RESPONSABILITÉ DES JUIFS DANS LA CRUCIFIXION DU SEIGNEUR

PAR LE PÈRE ISIDORO DA ALATRI

«Que les Juifs ne disent pas : "Nous n'avons pas fait mourir le Christ"» SAINT AUGUSTIN (Commentaire sur le psaume LXIII)

Nihil obstat quominus imprimatur : Romae, die 29 decembris 1960- (Fr. Ioannes Baptista A. Farnese) - Minister Pro-

vincialis O.F.M. Cap. Imprimatur : Verulis, die 20 novembris 1961- Carolus Livraghi- Ep. us Verulan-Frusinaten

TABLE DES MATIÈRES

Préface de l'abbé Curzio Nitoglia Déclaration – Remerciements But du présent opuscule Prière d'introduction La parole est aux Evangiles Remarques et constatations Foule qualifiée "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" Réponse à une contestation Le peuple élu réprouvé pour avoir tué le Christ La destruction de Jérusalem comme châtiment national Fondement théologique "Père, pardonnez-leur" Ignorance coupable Qui donc a tué le Christ ? Le meurtre du Christ dans les Actes des Apôtres Le nouveau peuple élu Saint Laurent de Brindes et la responsabilité des Juifs dans la mort du Christ Saint Paul et le retour d'Israël Explication Conclusion Appendice I - La pensée des Pères de l'Église et d'illustres éxégètes Appendice II - Documents ecclésiastique

a) Condamnation de la Société "Les Amis d'Israël" b) Monitum S. Ufficii

Appendice III - Document historique et apologétique Appendice IV - Confirmation théologique Bibliographie

PRÉFACE L'ouvrage du Père Isidoro da Alatri o.f.m. est l'un des plus beaux jamais écrits sur la question du déicide. L'Imprimatur

lui a été accordé par l'évêque de Frosinone en 1961, mais il n'a malheureusement pas eu la diffusion qu'il aurait méritée. La présente édition se propose d'y porter remède. Le style de cet ouvrage est clair, accessible à tous, mais aussi précis et profond tant du point de vue exégétique que théologique.

Dans ces pages, la responsabilité collective de la religion juive post-biblique, du Sanhédrin et du peuple hurlant le Vendredi Saint : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" est démontrée sans contredit. L'auteur nous ap-prend aussi qu'en 1933, les Juifs instituèrent à Jérusalem un tribunal officieux pour réexaminer la sentence du Sanhédrin. Le verdict fut que la sentence du Vendredi Saint devait être rétractée, parce que l'innocence de l'inculpé était démontrée. Ce sont les Juifs eux-mêmes qui ont appelé le châtiment de Dieu sur eux et sur leurs enfants. C'est le peuple juif qui s'est condamné lui-même avec ses chefs, encourant par voie de conséquence l'abandon et la répudiation de la part de Dieu. Cependant un grand nombre d'entre eux se sont repentis et ont obtenu le pardon de Dieu mais aujourd'hui encore, si les fils de ce peuple restent solidaires de leurs pères pour condamner Jésus, ils attirent sur leur tête la condam-nation que Dieu réserve à tout pécheur impénitent. Comme le fait remarquer Tertullien, ce ne sont ni le Christ ni Son Eglise qui ont émis la sentence "Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants", ce sont les Juifs. Le peuple (autre-fois) élu a été réprouvé et condamné par Dieu parce que meurtrier du Christ. Aussi le Royaume changera-t-il de maître et sera-t-il transféré des Juifs aux païens ; le peuple d'élu deviendra réprouvé et les nations abandonnées devien-dront les nations élues. C'est aux chefs que revint la culpabilité la plus grave, mais le peuple en eut sa part (bien qu'à un degré moindre), lui qui avait vécu avec Jésus et avait été témoin des miracles opérés par Lui. S'il y eut ignorance, ce fut une ignorance volontaire et donc coupable. L'objection récente suivant laquelle Jésus est mort pour les pécheurs

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est réfutée avec beaucoup de bon sens : dire que tous les pécheurs ont tué Jésus de leurs mains, qu'ils L'ont mené à Pi-late et qu'ils ont demandé Sa mort n'est pas possible. On peut seulement dire que Jésus est mort pour sauver tous les hommes ; ceux-ci sont cause finale et non efficiente de Sa mort en croix. C'est bien par le peuple juif vivant à l'époque de Jésus-Christ et ses chefs que le Christ fut tué et trahi, ainsi que par ses descendants qui continuent à Le re-fuser et à vouloir Sa mort, Le considérant comme blasphémateur. Pour avoir rejeté le Christ, Israël était rejeté par Dieu. Dieu n'abandonne pas (ne réprouve pas) qu'Il n'ait été d'abord abandonné : c'est ce qu'enseigne l'Église ! Doréna-vant ce ne sont plus le sang et la race d'Abraham qui forment le peuple élu, c'est la foi en Jésus-Christ : "Si vous êtes du Christ, vous êtes donc descendance d'Abraham" (Gal. III, 26 à 29). Avec la mort de Jésus le peuple juif se scinde en deux : un «reste» formé de ceux qui croyant en Jésus et s'étant dissociés de Sa condamnation constituent le véritable Israël spirituel ; et les autres (hélas, le plus grand nombre !) qui, refusant Jésus, sont demeurés l'Israël réprouvé par Dieu, et c'est le judaïsme talmudique antichrétien. Il faut cependant tenir pour assuré - à l'encontre de l'antisémitisme biolo-gique - que quiconque, de quelque race qu'il soit, reconnaît Jésus comme Dieu peut faire partie du nouveau peuple élu, l'Eglise, en laquelle "il n'y a plus ni Juif ni Grec" (saint Paul) mais seulement la foi. La condamnation de l'antisémitisme biologique va de pair avec la condamnation des «Amis d'Israël», association qui, par un faux oecuménisme, s'éloigne de la doctrine de l'Eglise sur la responsabilité du judaïsme religieux post-biblique dans la mort du Christ, ce en quoi cette as-sociation est un véritable «précurseur» (réprouvé par l'Eglise du Christ) de Nostra Ætate. Cependant, si la condamnation suit le judaïsme tout au long de son histoire, elle cessera un jour ; car l'endurcissement d'Israël aura une fin. Il est révélé que le peuple juif se convertira au Christ, se repentira de son péché et sera accueilli par Dieu.

Puisse cet opuscule éclairer l'esprit de ses lecteurs sur une question si importante, cœur de la religion chrétienne en quelque sorte. Car, si le Christ est Dieu, le judaïsme post-chrétien est une religion fausse ; si, au contraire, l'Ancienne Alliance n'a jamais été révoquée, Jésus est un faux prophète (Absit !). Des deux choses, une seule est vraie, pas les deux ; et ce en vertu du principe de non-contradiction.

Abbé Curzio Nitoglia

DÉCLARATION Sans doute ai-je été trop prolixe dans mes citations d'auteurs anciens et modernes au détriment de cette légèreté de

style recherchée à juste titre par tout lecteur. C'était cependant nécessaire ; et, s'il en était besoin, j'en demande pardon à ces tout nouveaux exégètes qui croient pouvoir imposer leur propre opinion, comptant pour rien, contestant même par-fois, celle d'exégètes insignes tels que les Pères de l'Eglise ; or ce sont ces derniers qui représentent la Tradition chré-tienne, comme le faisait remarquer le Monitum du Saint-Office que nous rapportons en appendice.

REMERCIEMENTS

Au moment d'envoyer à l'impression ce modeste travail, je désire remercier tous ceux qui m'ont aidé à le préparer. Ma reconnaissance s'adresse plus particulièrement au Père Filippo da Cagliari, Docteur en Théologie et Licencié en Sciences bibliques : c'est lui qui m'a signalé auteurs et sources décisifs dans la recherche des preuves sur la responsabi-lité des Juifs dans la mort du Christ.

Père Isidoro da Alatri

BUT DU PRÉSENT OPUSCULE Voilà un certain temps déjà que circulent tant oralement que par écrit des choses inexactes, équivoques et infondées,

et même tout à fait opposées aux affirmations des Evangiles et à la Tradition de la pensée chrétienne catholique, sur la responsabilité pesant sur les Juifs dans la mort en croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ1, mort réclamée et exigée par 1 Cf. I. KLAUSNER, Jésus de Nazareth, Paris 1933 ; J. ISAAC, Jésus et Israël, Paris 1948 ; P. MARIANO, Il Sangue de Lui, Roma 1960 ; Palestra del Clero, n° 18, 15 sept. 1960, pp. 969-976 : * La fameuse phrase, "Que Son sang (du Christ) retombe sur nous et sur nos enfants" n'est pas une phrase cruelle et criminelle, mais une "phrase incriminée" ; * Cette phrase n'a pas été prononcée par la foule du peuple comme le disent tous les exégètes, mais par tout juste "quelques cen-taines de personnes" ; * Ces centaines de personnes consistaient en une sorte de ramassis "anonyme, non qualifié pour représenter la volonté de toute la ville de Jérusalem" ; * Ces gens, israélites et orientaux, furent montés par quelques chefs religieux qui n'avaient absolument pas compris Jésus, ni Ses Pa-roles, ni Sa mystérieuse réalité ; et d'ailleurs il n'est possible à personne d'estimer le degré de leur responsabilité et de leur faute et ce n'est pas à nous de juger l'Histoire. Sur ce point on ne peut donc que se taire ! D'ailleurs cette imprécation, ou vœu ou prise de position des Juifs ("Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants"-) n'a eu au-cune conséquence dans l'Histoire ; juger que la destruction de Jérusalem et la dispersion du peuple juif dans le monde doit être attri-buée à ce blasphème impie n'a aucun fondement ni historique ni théologique ; même si "depuis des siècles ont pensé le contraire des gens et même des savants et des penseurs d'exception comme saint Jérôme, saint Augustin, saint Jean Chrysostome et autres" ; * Aucun de ses meurtriers ne connaissait Jésus : ni les soldats romains, "exécuteurs inconscients" d'une sentence inique ; ni Pilate qui la prononça. Pas même les chefs religieux d'Israël, encore moins le peuple qui en a demandé la mort en croix ; * Ce ne sont pas les Juifs, comme on l'a toujours pensé jusqu'à nos jours, qui ont crucifié le Messie, ce sont "tous les pécheurs" ; * Rien - pas même la destruction de Jérusalem et de son Temple, ni même la dispersion du peuple d'Israël après la mort du Christ - rien n'autorise à dire que le peuple juif vit sous le coup d'un mystérieux châtiment pour avoir réclamé la mort du Christ ; * Israël est toujours le peuple élu ; on ne peut l'appeler "déicide" ; * Qui sait si ce n'est pas la foi (juive) qui enseignera le bien au monde et aux peuples et si ce n'est pas pour cela et seulement pour ce-la qu'il faut que "les Juifs souffrent" ? (cf. R Mariano, Il Sangue di Lui, Roma 1960) ; * A Jérusalem, Jésus est trahi par un disciple, mais pas pour de l'argent. Il tombe entre les mains d'une petite clique de la famille sad-ducéenne et sacerdotale d'Anne, mal vue du peuple ; en sorte que ni Pilate ni le Sanhédrin ni le peuple ne sont responsables de Sa mort (cf. J. STEINMAN, La vie de Jésus, Paris, éd. Club des Libraires de France ; cf. L'Osservatore Romano 28 juin 1961).

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eux avec une insistance et une suffisance inouïes. Il est évident que cette façon de parler et d'écrire en minimisant le drame terrifiant de la Passion et de la Mort de Jésus-Christ, ne peut qu'engendrer confusion, erreur et perplexité dans l'esprit de ceux qui écoutent et lisent ; surtout s'ils sont jeunes et pas encore bien formés et affermis à l'école de la pen-sée catholique, pensée qui trouve son fondement le plus solide et inébranlable non seulement dans la parole inspirée des Livres Saints mais aussi dans tous les Pères et Maîtres d'exégèse biblique les plus éclairés et les plus sûrs.

Cet opuscule vise donc à rétablir, et, par la même occasion, répéter la vérité évangélique et historique concernant le crime horrible commis par le peuple hébreu et ses chefs en ce jour où, devant Pilate qui se lave les mains et crie : "Je suis innocent du sang de ce juste", ils répondent : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" (Matth. XXVII, 25). Je suis désolé de devoir prendre dans cet écrit le contre-pied de ce que pensent d'autres personnes que pourtant j'estime, demeurant persuadé que si elles ont dit et publié des idées non conformes à cette vérité à laquelle chacun doit rendre témoignage et dont nous sommes tous les serviteurs, c'est en toute bonne foi et avec une intention droite. Une pensée me rassure cependant : dans une question aussi importante que celle-ci, la devise "Amicus Pilato, sed magis ar-nica veritas" prend toute sa valeur. Et inutile d'ajouter que, s'agissant de Jésus-Christ dont la mission est essentiellement mission de vérité et de vie (Jean XVIII, 27), cette devise devient impératif divin.

Qu'aussi tout soit pour la gloire de Celui devant qui le ciel, la terre et l'enfer doivent plier le genou (Ph. II, 9). Et je ne puis penser autrement car qui parle et écrit en chrétien ne peut le faire que pour la plus grande gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ : "Au nom duquel il convient que toute chose soit faite et dite" (Col. HI, 17), parce qu'enfin "Il n'y a sous le ciel aucun autre Nom donné aux hommes qui leur permette d'être sauvés" (Act. IV, 12). C'est donc avec le sentiment de la piété la plus vive que je me dispose à reproposer à l'attention du monde chrétien et juif le drame des souffrances et de la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ, afin de voir clairement quelle a été en ces circonstances la responsabilité du peuple juif et de ses chefs. Unique préoccupation dans un problème si important : ne pas trahir la vérité, la dire même toute entière.

Père Isidoro da Alatri o.f.m.

PRIÈRE D'INTRODUCTION Mon Jésus, il m'a toujours semblé tellement difficile d'écrire avec dignité sur Vous, Votre vie, Votre doctrine et, particu-

lièrement, sur le mystère de Votre Incarnation, Vos douleurs et sur Votre mort sur la Croix... Tout en Vous est mystère et grand mystère, malgré la transparence de Votre parole et de Votre enseignement, si soudé à nos vrais besoins de créa-tures humaines, "nate a formare l'angelica farfalla, che vola alla giustizia senza schermi" [nées pour former le papillon angélique qui vole sans défense au jugement de Dieu] (Dante Alighieri). C'est la seule et unique raison qui, en ces cin-quante années de sacerdoce, m'a retenu de prendre la plume pour illustrer au moins quelques aspects de Votre divine personnalité, de Votre vie et de Vos enseignements célestes. Tant de fois, il est vrai, depuis la chaire et l'autel, j'ai parlé de Vous du mieux que j'ai su, du mieux que j'ai pu : tant de fois, il est vrai, j'ai parlé de Votre douleur et de Votre mort, et d'autres fois aussi de Votre mystérieux amour eucharistique ; il est vrai que je Vous ai toujours vu et montré comme étant "l'unique Maître nécessaire à l'humanité", l'unique à porter un nom de "salut". Mais toujours comme ça, en passant, seu-lement lorsque j'avais à parler ou à mettre sur le papier des notes et des plans de prédication. Jamais je n'ai écrit une page destinée aux honneurs de la publication, des pages qui, après ma mort, puissent continuer à Vous donner quelque marque de mon amour, des pages qui Vous glorifient dans le futur aux yeux des hommes. Cinquante ans ont passé. J'ai moi-même du mal à le réaliser entièrement. Aujourd'hui - Votre Providence en a, paraît-il, disposé ainsi - je dois prendre ma pauvre plume et écrire quelque chose sur Vous, quelque chose qui conserve la vie même après que soit achevée la mienne ici-bas. Et si j'ai pris cette humble plume pour composer cet opuscule, c'est uniquement par amour pour Vous et pour la Vérité, car Vous êtes la Vérité ; pour demeurer moi-même dans la voie et l'indiquer aux autres, car Vous êtes la Voie ; pour puiser la vie et la porter aux âmes, car Vous êtes la Vie. Recevez donc cette petite offrande, quelle qu'elle soit : recevez-la comme marque de gratitude et de remerciement en ce cinquantième anniversaire de mon sacerdoce ; pardonnez-moi toutes les négligences et les fautes commises durant ces longues années ; accordez-moi aussi, si Vous le voulez bien, un peu de temps encore pour Vous glorifier et Vous faire aimer toujours davantage par les hommes qui, comme moi, n'ont besoin que de Vous pour être heureux autant qu'il est possible sur la terre et pour conquérir cette joie parfaite dans le ciel, cette joie «qui n'a pour limite qu'amour et lumière».

Rome, 31 juillet 1961. Père Isidoro da Alatri o.f.m

LA PAROLE EST AUX ÉVANGILES Tout d'abord nous pensons qu'il est de notre devoir de mettre sous les yeux du lecteur les pages des Evangiles où se

trouve relatée la scène terrifiante qui nous occupe. Ce sont les pages les plus sombres et les plus horribles qu'ait écrites la main tremblante des Evangélistes. On y rappelle, avec une simplicité et une sobriété allant de pair avec la vérité, toute la malignité et l'extrême impiété des Juifs quand ils demandent et obtiennent la mort en croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais pour les comprendre et en saisir le tragique déroulement autant qu'il est possible, nous les rappor-tons intégralement, telles qu'elles sont racontées par la plume des quatre Evangélistes dans Le Saint Evangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ ou Les quatre Evangiles en un seul par le Chanoine A. Weber, 1908 (Dans éd. Originale it., VA-NETTI P., Il Vangelo unificato e tradotto dai testi originali, Venezia 1958).

* JÉSUS DEVANT LE GOUVERNEUR (Matth. XXVII, 11 ; Jean XVIII, 28-32) «[...] tous les membres du Conseil [...] l'emmenèrent pour le livrer au Gouverneur Ponce-Pilate. On était encore au

matin. Les Juifs n'entrèrent point dans le prétoire, dans la crainte de contracter une souillure légale et de ne pouvoir manger la Pâque. Pilate vint donc à eux sur le seuil de son prétoire ; il leur demanda : "Quelle accusation portez-vous

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contre cet homme ?" Ils répondirent : "Si ce n'était pas un malfaiteur ; nous ne vous L'aurions pas livré". - "Prenez-Le vous-mêmes alors, dit Pilate, et jugez-Le selon votre Loi". - "Il ne nous est plus permis d'infliger la peine de mort à per-sonne", répartirent les Juifs. Il fallait en effet que s'accomplît la parole de Jésus, annonçant de quelle mort Il devait mou-rir».

* ACCUSATIONS DU SANHÉDRIN (Lc XXIII, 2) «Et les Juifs commencèrent à formuler leurs accusations : "Cet homme, nous L'avons trouvé bouleversant notre na-

tion, défendant de payer le tribu à César, et s'arrogeant le titre de Christ-Roi"». * INTERROGATOIRE SECRET (Matth. XXVII, 11 ; Mc 15, 2 ; Lc XXIII, 3 ; Jn XVIII, 33-38) «Pilate rentra dans le prétoire et fit venir Jésus qui se tint debout devant lui : "Est-ce que Tu es le Roi des Juifs ?" lui

demanda-t-il. "Parles-tu de toi-même, lui dit Jésus, ou d'après ce que d'autres t'ont rapporté de Moi ?" - "Est-ce que je suis Juif moi ? répliqua Pilate. Ta nation, tes prêtres te traduisent à mon tribunal : qu'as-Tu fait ?" - "Ma royauté, répondit Jésus, ne vient pas de ce monde. Si Ma royauté venait de ce monde, Mes hommes n'auraient pas manqué de combattre pour M'éviter de tomber entre les mains des Juifs. Non, pour l'heure présente, Mon Royaume n'est pas d'ici". - "Tu es donc roi ?" fit Pilate. - "Tu le dis, Je suis Roi !... Je suis né, Je suis venu en ce monde pour rendre témoignage à la Vérité. Quiconque est du parti de la Vérité entend Ma voix". - "Qu'est-ce que la vérité ?" dit le gouverneur».

* NOUVELLES ACCUSATIONS DU SANHÉDRIN (Matth. XXVII, 12-13 ; Mc XV, 3-5 ; Le XXIII, 4-7 ; Jn XVIII, 38) «Et sur cette question, il retourna dehors, vers les Princes des prêtres et la foule des Juifs et leur dit : "Je ne trouve en

cet homme aucun sujet de condamnation". Alors les Princes des prêtres et les Anciens multiplièrent leurs accusations ; Jésus gardait le silence. "N'entends-Tu pas, s'écria Pilate, combien de témoignages ils accumulent contre Toi ? N'as-tu rien à répondre ?" Mais Jésus ne lui adressa pas même un seul mot, ce qui causa au gouverneur un profond étonne-ment. Cependant les Juifs insistaient avec véhémence et criaient : "Il soulève le peuple par les doctrines qu'Il sème de-puis la Galilée où Il a commencé, jusque dans toute la Judée, et même jusqu'ici". Pilate entendant nommer la Galilée, demanda si cet homme était galiléen. Dès qu'il eut appris que Jésus était de la juridiction d'Hérode, il Le renvoya devant ce prince qui se trouvait alors à Jérusalem».

* JÉSUS DEVANT HÉRODE (Lc XXIII, 8-12) «Hérode, en voyant Jésus, éprouva une vive satisfaction. Depuis longtemps il désirait Le connaître, à raison de tout

ce qu'on lui avait rapporté de Lui et parce qu'il espérait Lui voir opérer quelque prodige. Il se mit donc à Lui poser une multitude de questions. Jésus ne Lui répondit rien. Or les Princes des prêtres et les Scribes se tenaient là, debout, ne se lassant pas de L'accuser. Hérode, avec sa garde, couvrit Jésus de mépris. Il Le fit affubler d'une robe blanche et s'en amusa. Puis il Le renvoya à Pilate. Et de ce jour, Hérode et Pilate devinrent amis, d'ennemis qu'ils étaient auparavant».

* "JE LE RELÂCHERAI DONC APRÈS L'AVOIR CHATIÉ" (Lc XXIII, 13-16) «Pilate, fit approcher les Princes des prêtres, les magistrats et le peuple, et leur adressa ces paroles : "Vous m'avez

présenté cet homme comme soulevant la nation ; voilà cependant que je L'ai interrogé devant vous, et je n'ai trouvé en Lui aucun sujet de condamnation sur les chefs dont vous l'accusez. Hérode, à qui je vous ai renvoyés, n'a rien relevé non plus. Il n'y a donc rien d'établi contre Lui qui mérite la mort. C'est pourquoi je vais Lui faire infliger un châtiment et Le mettre ensuite en liberté"».

* JÉSUS OU BARABBAS ? (Matth. XXVII, 15-18 ; Mc XV, 6-10 ; Lc XXIII, 17 ; Jn XVIII, 39-40) «Or, c'était l'usage, au jour de la fête [Pâque], que le gouverneur leur accordât la délivrance d'un prisonnier, qu'eux-

mêmes lui désignaient... Un malfaiteur insigne, appelé Barabbas, se trouvait alors en prison. Il était enchaîné avec les séditieux pour avoir tué un homme dans une révolte. En ce moment le peuple se présenta devant le prétoire et réclama la grâce que le gouverneur accordait toujours. Ayant fait approcher la foule, Pilate prit la parole et dit : "(...) Lequel voulez-vous de Barabbas ou de Jésus qu'on appelle le Christ ?" Il savait bien en effet, que les Prêtres ne le Lui avaient livré que par envie».

* LA FEMME DE PILATE (Matth. XXVII, 19) «Cependant sa femme lui envoya dire tandis qu'il siégeait sur son tribunal : "Ne vous commettez pas dans la cause de

ce Juste, car aujourd'hui j'ai souffert étrangement en songe à Son sujet"». * BARABBAS EST LIBÉRÉ (Matth. XXVIII, 20-25 ; Mc XV, 11-15 ; Lc XXIII, 18 ; XXIII, 20-25 ; Jn XVIII, 40) «Mais les Princes des prêtres et les Anciens avaient travaillé le peuple, et l'avaient excité à réclamer l'élargissement

de Barabbas et la mort de Jésus. Aussi quand le gouverneur renouvela sa question : "Lequel des deux voulez-vous que je vous délivre ?", ce fut une explosion unanime dans la foule : "Barabbas ! Non pas celui-ci mais Barabbas !" - "Mais que ferai-je de Jésus, de ce Roi des Juifs, appelé le Christ ?" répliqua Pilate. Tous redoublèrent leurs cris : "Qu'Il soit crucifié!" - "Mais enfin, quel mal a-t-Il donc fait ?" insista le gouverneur. Les Juifs criaient toujours plus fort : "Qu'Il soit crucifié !" (Une troisième fois il leur dit : "Qu'a-t-Il fait de mal ? Je ne trouve rien en Lui qui mérite la mort : je Le châtierai donc, puis je Le renverrai". Mais ils s'acharnaient et demandaient à grands cris qu'Il fût crucifié, et leurs vociférations s'élevaient tou-jours plus menaçantes. Alors Pilate voulant donner satisfaction au peuple fit élargir Barabbas, le prisonnier rebelle et as-sassin qu'ils réclamaient et abandonna Jésus à leur merci».

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* JÉSUS FLAGELLÉ ET COURONNÉ D'ÉPINES (Matth. XXVII, 27-30 ; Mc XV, 16-19 ; Jn XIX, 13) «Pilate prit Jésus et Le fit d'abord flageller. Ensuite les soldats Le traînèrent dans la cour du prétoire, réunissant au-

tour de Lui la cohorte entière. L'ayant dépouillé de Ses vêtements, ils Le couvrirent d'un manteau de couleur écarlate. Puis ils tressèrent une couronne avec des épines et L'enfoncèrent sur Sa tête. Dans Sa main droite ils mirent un roseau. Après quoi, faisant devant Lui des génuflexions dérisoires, ils Le raillèrent en répétant : "Salut ! Roi des Juifs !" Ils Lui donnaient des soufflets, Lui crachaient au visage et, prenant le roseau, ils Lui en assénaient des coups sur la tête».

* "VOICI L'HOMME" (Jn XIX, 4-7) «Pilate sortit de nouveau et dit au peuple : "Voici que je vous Le présente encore une fois pour que vous sachiez bien

que je ne trouve en Lui aucun sujet de condamnation". Et Jésus parut en effet, portant la couronne d'épines et couvert du manteau écarlate. "Voilà l'homme !" dit Pilate. Dès qu'ils Le virent les Pontifes et les satellites jetèrent ce cri : "Crucifiez-Le ! Crucifiez-Le !" - "Prenez-Le donc vous-même et crucifiez-Le ! s'écria Pilate. Quant à moi je ne Le trouve nullement condamnable". - "Nous avons une Loi, répliquèrent les Juifs, et, selon notre Loi, il faut qu'Il meure ! parce qu'Il se donne comme le Fils de Dieu».

* LE PLUS GRAND PÉCHÉ (Jn XIX, 8-11) «A cette parole, Pilate fut encore saisi d'un plus grand effroi. Etant rentré dans le prétoire, il dit à Jésus : "D'où viens-

Tu ?" Jésus ne Lui fit aucune réponse. "Tu ne me parles pas ? reprit Pilate. Ignores-Tu que j'ai le pouvoir de Te faire cru-cifier et que j'ai aussi le pouvoir de Te délivrer ?" - "Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir, répondit Jésus, si tu ne l'avais reçu d'En-Haut. Et c'est ce qui aggrave le crime de celui qui Me livre à toi"».

* DERNIÈRES TENTATIVES DU GOUVERNEUR (Jn XIX, 12-15) «Plus que jamais Pilate cherchait à délivrer Jésus. Mais les Juifs redoublèrent leurs clameurs : "Si tu Le délivres, tu

n'es pas l'ami de César : car quiconque se fait roi s'élève contre César". Pilate, entendant ces cris, fit amener Jésus de-hors, et s'assit sur son tribunal, au lieu appelé en grec : Lithostrotos [estrade de pierre], et en hébreu : Gabbatha [la ter-rasse]. On approchait de la sixième heure [midi] de la veille de la Pâque. Pilate dit aux Juifs : "Voici votre roi". - "A mort ! à mort ! crucifiez-Le !" crièrent-ils. - "Quoi donc ? reprit Pilate, crucifierai-je votre roi ?" Les Pontifes répliquèrent : "Nous n'avons d'autre roi que César !"».

* LA SENTENCE (Matth. XXVII, 24-26 ; Mc XV, 15 ; Lc XXIII, 25 ; Jn XIX, 16-17) «Pilate, voyant qu'il ne gagnait rien, et que le tumulte allait croissant, se fit apporter de l'eau et, se lavant les mains

devant le peuple, il dit : "Je suis innocent du sang de ce Juste. Vous en répondrez !" Et tout le peuple de vociférer : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants !" Alors Pilate ordonna qu'il fût fait selon la volonté des Juifs et il Leur abandonna Jésus pour être crucifié. (…) les soldats (…) l'entraînèrent hors de la ville pour Le crucifier».

REMARQUES ET CONSTATATIONS

A la lecture de ces extraits des Evangiles, plusieurs remarques et constatations se présentent d'emblée à l'esprit : La prétention des Juifs, pour lesquels le seul fait d'avoir conduit Jésus devant le gouverneur romain doit suffire à le

faire considérer par celui-ci comme un malfaiteur passible de mort. A la question de Pilate en effet : "Quelle accusation portez-vous contre Cet homme ?", ils répondent sèchement : "Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te L'aurions pas li-vré"... ;

2) Après plusieurs accusations des Juifs, Pilate, qui a interrogé Jésus et examiné les chefs d'accusation, sort parler aux Juifs et proclame une première fois l'innocence de Jésus devant les Princes des prêtres et la foule (notons bien les mots : "devant les Princes des prêtres et la foule") disant : "Je ne trouve en Lui aucun crime". Mais devant l'insistance des Juifs à dire qu'Il agite le peuple, enseignant par toute la Judée, comme si le fait d'enseigner était un crime, Pilate

3) envoie Jésus à Hérode qui, satisfait d'avoir eu l'occasion de le tourner en dérision devant ses soldats, n'ose pas Le condamner et Le renvoie à Pilate reconnaissant ainsi implicitement qu'Il ne mérite pas la mort.

4) Pilate L'interroge alors et examine les nouvelles accusations portées par les Juifs ; et, pour la seconde fois, il dé-clare Jésus innocent, répétant une nouvelle fois au peuple et à ses chefs : "Vous m'avez amené Cet homme comme exci-tant le peuple à la révolte ; je L'ai interrogé devant vous et je n'ai trouvé en Lui aucun des crimes dont vous l'accusez ; ni Hérode non plus car il nous L'a renvoyé. Vous le voyez, rien qui mérite la mort n'a été prouvé contre Lui".

5) Puis, pour la troisième fois, quoiqu'implicitement, Pilate déclare Jésus innocent lorsqu'après L'avoir présenté au peuple aux côtés de Barabbas, il dit : "Lequel des deux voulez-vous que je vous libère, Barabbas ou Jésus qu'on appelle Christ ?" Car il savait, dit l'Evangile, que c'était par envie qu'ils avaient livré Jésus.

6) Jésus est considéré aussi comme innocent par la femme de Pilate qui envoie dire au juge romain : "Qu'il n'y ait rien entre toi et Ce Juste".

7) Encore une fois Jésus est déclaré innocent par Pilate quand, après que les Juifs aient demandé la vie de Ba-rabbas et la mort de Jésus, le Gouverneur réplique : "Mais qu'a-t-Il fait de mal ? Je n'ai trouvé en Lui rien qui mérite la mort".

8) Après les railleries, la flagellation, les gifles et les crachats des soldats, voici que pour la cinquième fois Pilate dé-clare Jésus innocent : «Pilate, poursuit l'Evangile, sortit encore une fois et dit aux Juifs : "Voici que je vous L'amène de-hors afin que vous sachiez que je ne trouve en Lui aucun crime..."». "Toujours plus insolents, les Pontifes crient : "Cruci-fie-Le !", et Pilate pour la sixième fois : "Pour moi je ne trouve aucun crime en Lui...". Mais les Juifs, avec une impiété inédite et une insolence stupéfiante, s'exclament : "Nous avons une loi et d'après notre loi Il doit mourir parce qu'Il s'est fait Fils de Dieu". Devant cette affirmation, Pilate prend peur et réexamine ce cas si grave et embarrassant pour lui. Mais,

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ne trouvant, cette fois encore, aucune faute en Jésus, il tente de prendre les Juifs par les sentiments : "Voici votre roi !" Mais ceux-ci toujours plus obstinés se mettent à crier : "Qu'Il meure, qu'Il meure ! Crucifie-Le !" Pilate leur dit : "Crucifie-rai-je votre roi ?" Et les Princes des prêtres de répondre : "Nous n'avons pas d'autre roi que César..."

9) Par six fois Pilate avait déclaré Jésus innocent ; mais devant une pareille et si impie obstination, voyant qu'il n'obte-nait rien et que le tumulte allait même croissant, il prit de l'eau, et se lavant les mains devant la foule, il déclara : "Je suis innocent du sang de Ce Juste : à vous d'en répondre" ! Comment ne pas voir que cette façon d'agir et de parler de la part de Pilate n'est autre qu'une nouvelle proclamation de l'innocence de Jésus ? Et c'est précisément à cette proclamation de l'innocence du doux Sauveur du monde que tout le peuple répond : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants!"

VALEUR ET CONSÉQUENCE DE CETTE PHRASE

Cette phrase, dans les circonstances où elle fut prononcée et après une journée entière de lutte entre d'une part le

juge Pilate qui proclame Jésus innocent et d'autre part le peuple juif et les anciens décidés coûte que coûte à Le faire crucifier, cette phrase, disais-je donc, a fait croire à certains que la requête ne provient pas de tout le peuple de Jérusa-lem mais d'à peine "quelques centaines de personnes" présentes sur les lieux, non qualifiées et sans aucune autorité. D'abord : qu'il s'agissait juste de "quelques centaines de personnes", qui l'a dit ? Qui peut l'affirmer ? Lorsque l'Ecriture Sainte veut indiquer un petit nombre de personnes, elle le dit explicitement (voir par ex. Act. I, 15). En effet :

1) L'Evangile parle plusieurs fois de foule au singulier et au pluriel ; et foule au singulier comme au pluriel ne s'emploie jamais comme synonyme de "quelques centaines de personnes".

2) Du même Evangile nous apprenons que la foule, c'est-à-dire la multitude, était telle que Pilate craignit des troubles et une véritable sédition ; c'est justement parce qu'il ne gagnait rien et que le tumulte allait même croissant, que Pilate prit de l'eau et se lava les mains devant la foule. Réfléchissons : devant la foule, c'est-à-dire devant une masse de gens. C'est pourquoi, pris par la crainte et pour ne pas être submergé malgré les quelques 500 soldats1 sous ses ordres, il se lave les mains et dit : « Je suis innocent du sang de Ce Juste : à vous d'en répondre" !

3) Qu'il se soit agi d'une multitude, d'une foule impressionnante et non de "quelques centaines de personnes" est éga-lement évident si l'on considère d'une part qu'on était tout près de la Pâque, jour où affluaient à Jérusalem des gens ve-nus de toutes parts et en si grand nombre que cette foule a pu être comparée à un véritable fleuve humain ; si l'on consi-dère d'autre part que la capture de Jésus, acclamé quelques jours auparavant par le peuple et par de nombreux enfants, ne pouvait pas ne pas avoir éveillé curiosité et étonnement dans le peuple de Jérusalem. Nous souscrivons donc bien vo-lontiers à ce que remarque avec son sens aigü d'exégète, l'illustre Père Joseph-Marie Lagrange o.p. (1855-1938), dans son livre intitulé L'Evangile de Jésus-Christ :

«Une clameur lui répond. (...). Pilate comprend que c'est fini. Il n'avançait à rien, dit saint Matthieu, le tumulte augmentait plutôt, prenait les traits hideux d'une sédition populaire. Faisant apporter de l'eau, le gouverneur se lava les mains en présence de la foule, geste qui devait être bien compris des Juifs et dont il commente le sens (cf. Deut. XXI, 6 s) : "Je suis innocent de ce sang ; à vous de voir"»2. Parmi les exégètes qui ont annoté et expliqué le passage qui nous intéresse, il en est d'illustres qui partagent cet avis. Comment ne pas nommer par exemple le célèbre écri-vain Igino Giordani qui dit en passant qu'«une masse de peuple s'entassait sur la place du Prétoire à Jérusalem et recouvrait le sommet du Golgotha durant la crucifixion»3. S'appuyant sur l'autorité de saint Bonaventure (1217-1247), le Père Gaetano Maria da Bergamo o.f.m. (1672-1753), écrit dans son œuvre remarquable intitulée Pensieri e affetti sopra la Passione di Gesù Cristo à la méditation n° 207, que les rues de Jérusalem étaient pleines de gens attirés par la "nouveauté de l'événement". Il n'est pas jusqu'à Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) qui n'ait écrit : «La mort de Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis est la plus douce qu'on puisse désirer ; celle de Jésus expi-rant dans les tourments, injurié, raillé, maudit de tout un peuple est la plus horrible qu'on puisse craindre !» (cf. J.-J. ROUSSEAU, Emile ou De l'éducation, Gallimard, Paris 1959, p. 462). Mais, me dira-t-on, comment une telle foule pouvait-elle être contenue dans l'espace précédant le prétoire ? Etant donné que nous croyons en l'Evangile, et que l'Evangile parle de "foule" au singulier et au pluriel, c'est au Père Vincent, l'un des plus grands archéologues en ma-tière d'études palestiniennes plutôt qu'au Père Giovanni Caprile s,j. et à quelques autres que nous donnons notre as-sentiment. Le Père Vincent, loin de s'en faire scrupule comme Caprile, n'éprouve aucune difficulté à penser au peuple amassé sous les voûtes de la grande porte occidentale et à l'installation provisoire de la chaise curule dans la cour de l'Antonia face à la foule, tandis que certains autres archéologues pensent que Pilate aurait pu facilement se faire écouter par la foule du liant de quelque balcon de la terrasse occidentale de la cour (cf J. STACKYS, Lithostro-ton, in DBS, s. v.). Si le prétoire se confond avec l'Antonia qui dominait le Temple et dont la cour correspondait au pavage (le "lithostroton" de saint Jean) mis a découvert lors des fouilles récentes, le fait évangélique peut très bien être illustré et confirmé par l'épisode vécu par saint Paul quelques décennies plus tard, et rapporté dans les Actes XXI, 30 s ; XXII, 1-25. Du reste en exégèse il est de bonne règle de «recueillir [d'abord] les faits», ensuite de tenter de les expliquer à l'aide des hypothèses les plus plausibles. Or le fait est là : «Tout le peuple s'exclama : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants"». Et, avant Caprile et compagnie à ma connaissance il n'a jamais été écrit que par l’expression «tout le peuple» l'Evangéliste ait voulu parler de quelques centaines de personnes seulement.

FOULE QUALIFIÉE

Mais, me dira-t-on, il s'agit d'une foule sans nom ni autorité ; par conséquent elle ne pouvait représenter la ville de Jé-

1G. CAPRIILE, Atlante della vita di Cristo, Firenze 1959, p. 186. 2 PÈRE J.-M. LAGRANGE, L'Evangile de Jésus-Christ, Etudes Bibliques, éd. J. Gabalda et Cie, Paris 1948, p. 562. 3 GIORDANI, Il Sangue di Cristo, Brescia 1943, p. 110.

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rusalem. Voilà une affirmation gratuite, comme disent les philosophes ; facile aussi à réfuter et par un argument qui s'im-pose à quiconque veut sérieusement trouver la vérité et s'y tenir. Voici ce qu'écrit en effet l'éminent exégète et historien, l'abbé Giuseppe Ricciotti (1890-1964) :

«Ce souhait ou vœu si vous préférez : ("Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants !") invite à une brève et élémentaire réflexion qui n'est d'ailleurs pas étrangère au procès de Jésus. Il fut exprimé d'un commun accord par les guides spirituels du judaïsme et par une large représentation du peuple de Jérusalem; c'était donc vraiment une vox populi représentative, un vœu absolument officiel, résumant les désirs tant du chef que des membres, tant du sanhédrin que du peuple. Ce souhait ou vœu ne s'adresse-t-il pas à un Juge bien plus haut placé que le Procureur romain, à ce Juge tant de fois invoqué dans les saintes Ecritures d'Israël, celui qui seul pouvait faire en sorte que ce sang, objet de la discussion, retombe aussi sur la tête des descendants éloignés. Seul ce Juge suréminent pouvait changer la vox populi en vox Dei, en accueillant ce vœu et montrant qu'il s'est réalisé dans l'histoire. Or que tout cela s'est réellement produit, l'historien moderne peut le vérifier lui-même en faisant précisément appel à l'Histoire et pas seulement à l'histoire ancienne, mais également à l'histoire contemporaine. Ajoutons également que de nos jours la question a été remise sur le tapis et ce sont justement les enfants concernés par le vœu qui l'ont reprise. En effet ce Sanhédrin qui il y a 19 siècles condamna Jésus et exprima le vœu que Son sang retombe sur les plus lointains en-fants d'Israël, ce Sanhédrin, disais-je, n'existant plus, les fils en question instituèrent à Jérusalem en 1933 un tribunal officieux composé de cinq israélites insignes afin de réexaminer l'ancienne sentence du Sanhédrin. Le verdict pro-noncé par ce tribunal, par quatre voix contre une, fut que l'ancienne sentence devait être rétractée parce que l'inno-cence de l'accusé était démontrée, que Sa condamnation avait été l'une des plus terribles erreurs que les hommes aient jamais commises, que la réparer ferait honneur à la race juive»1.

On peut donc affirmer avec le savant exégète Lagrange : «Le peuple entier s'écria : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants !" Israël avait rejeté son Messie, L'avait livré et, lui si fier de n'obéir qu'à Dieu, avait préféré le joug de César. Il prononçait ainsi sa propre condamnation. C'était le jour de la préparation à la Pâque. Il était 6 heures environ depuis le lever du soleil, notre douzième heure ou midi»2.

Certains croient démentir ou du moins atténuer la valeur et les conséquences de la phrase incriminée, (nous la dirions plus volontiers criminelle) en s'appuyant sur le fait que cette expression n'est rapportée, tout compte fait, que dans Matth. XXVII, 25 (voir à ce propos Palestra del Clero n° 39, 1960, p. 963). Or si d'une part ceci est vrai, de l'autre c'est totale-ment faux ; et je m'explique. Il est vrai que la phrase en question ne se trouve que dans saint Matthieu ; mais il n'est pas vrai que seul Matthieu parle de "tout le peuple", de foule, de multitude, de sédition et de tumulte à faire craindre et trem-bler Pilate. Là-dessus au contraire les trois Synoptiques sont d'accord, il suffit de les consulter pour s'en convaincre. Alors si les trois Synoptiques (saint Matthieu, saint Marc et saint Luc) nous disent qu'il y avait une foule en fureur, une foule tu-multueuse, une multitude grondante, menaçante et capable de renverser Pilate et les forces armées à sa disposition (quelque chose comme 500 à 600 soldats) comment peut-on croire que cette foule, cette multitude menaçante ait été constituée de quelques centaines de personnes ? Pas même un enfant ne le croirait (un enfant qui lit les Evangiles, s'en-tend), encore moins un exégète qui les étudie et les comprend, étant maître en la matière. Qu'on lise sans parti pris, plus spécialement le chapitre XV de saint Marc, le XXIII de saint Luc et le XXV de saint Matthieu. Je suis sûr qu'après une lec-ture attentive et réfléchie, l'idée qu'il s'agit des clameurs de peu de gens ne viendra à l'esprit de personne. Et encore moins qu'il s'agit d'un petit nombre de serviteurs et de familiers des chefs du Sanhédrin local, comme l'écrit Caprile dans Palestra del Clero... A exprimer toute ma pensée, si l'on parle ainsi, c'est qu'on ne croit pas à ce que racontent les Evan-giles, mais à ce qu'ont osé écrire certains apologistes de race juive sans tenir compte ni des Evangiles eux-mêmes ni de l'Histoire connue de tous. Aussi Joseph Schmid, en fin exégète, fait-il la considération suivante :

«Les Juifs (et l'expression "tout le peuple", "toute la nation" représentée ici par les membres du Grand Conseil et la foule présente, est choisie intentionnellement par l'Evangéliste) déclarent donc solennellement assumer eux et leurs successeurs la responsabilité du sang, de la mort de Jésus (pour l'expression, cf. II Rois I, 16 ; III, 29 ; XIV, 9 ; III Rois II, 33 ; Jér. LI, 28, 35 ; Act. XVIII, 6). C'est ainsi que le peuple juif s'est maudit lui-même ; car c'est le sang de son Messie dont il assume la responsabilité. Vous avez méprisé la protection de Dieu. Le châtiment qui frappera les habitants de Jérusalem pour leur refus obstiné de l'amour divin consistera dans le fait que leur maison, c'est-à-dire leur ville (non le Temple) sera abandonnée à elle-même par Dieu. Dieu s'est retiré d'eux. Jésus dit seulement que la ville sera abandonnée de Dieu - dont le nom est paraphrasé au passif - et non par ses habitants. La destruction du Temple et de la ville sera la marque extérieure évidente qu'elle a été abandonnée et répudiée par Dieu»3.

"QUE SON SANG RETOMBE SUR NOUS ET SUR NOS ENFANTS" (Matth. XXVII, 25)

En dépit de ces témoignages explicites d'érudits et d'exégètes experts, il se trouve encore des gens pour affirmer que ce cri des Juifs n'eut ni suite ni effet. Mais, nous le répétons, c'est à notre avis la réponse de Giuseppe Ricciotti qui est la plus sensée et équilibrée, et plus encore le jugement de Lagrange dont nous avons également parlé plus haut. A ces ju-gements nous ajouterons, si vous me le permettez, celui de Mgr Emile Paul Le Camus (1839-1906) : «Stupéfait, troublé, le gouverneur [Pilate], comme s'il n'en croyait pas ses oreilles, pose une seconde fois à la foule la question qu'elle a déjà tranchée avec tant de fureur : "Que voulez-vous donc que je fasse du roi des Juifs, surnommé le Christ ?" Et tous en-semble s'écrient encore : "A la Croix ! Crucifiez-Le ! Crucifiez-Le !" La politique de Pilate est ainsi à bout. N'osant imposer sa volonté, il devra subir celle du peuple qu'il consulte. Cependant l'iniquité qu'on lui demande est si révoltante, qu'il se sent tenu de résister encore. Hélas ! ce ne sera qu'avec une lâcheté de plus en plus évidente. Le spectacle a quelque

1 G. Ricciotti, Vita di Gesù Cristo. Ristampata della 14a ed., ed. S.E.I., Torino, p. 720, n° 589 2 LAGRANGE, Ibid., p. 562. 3 J. SCHMID, L'Evangelo secondo Matteo, ed. Morcelliana, Brescia 1957, pp.454, 407 ; comm. a Mt VI, 33.

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chose d'étrange. Un païen défend le Messie contre les Juifs qui L'insultent et Le tuent. Pour la troisième fois Pilate, pre-nant en main la cause de Jésus, s'écrie avec indignation : "Mais quel mal a-t-Il donc fait ? Je ne trouve en Lui rien qui mé-rite la mort. On va Le châtier et je Le congédierai ensuite". Il revenait ainsi au second expédient, un moment entrevu, mais non encore mis à exécution. La multitude, que la soif du sang jette hors d'elle-même, quand elle est soulevée, le voyant faiblir, se montre de plus en plus pressante : "La croix ! La croix !" criait-elle. A cette recrudescence de fureur, aussi bien qu'à ses propres irrésolutions, Pilate sentit que Jésus était perdu. Dès ce moment, et avec des nuances qu'il n'était pas possible aux évangélistes d'inventer, son âme devint le théâtre d'une lutte de plus en plus poignante entre ses convictions et ses intérêts. Ayant demandé de l'eau, il se lava les mains devant le peuple et dit : "Je suis innocent du sang de ce Juste ; quant à vous, c'est votre affaire". Afin d'exprimer d'une manière intelligible pour la foule qu'il ne voit pas, comme juge, de crime à punir, et qu'il entend, comme gouverneur, décliner toute solidarité dans le crime imposé à sa faiblesse, il a recours à ce signe symbolique tout à fait dans les mœurs juives (cf Deut. XXI, 6). En même temps, la multitude, revendiquant toute la responsabilité déclinée par le Romain s'écriait : "Que Son sang tombe sur nous et sur nos enfants !"

Il est inutile de dire que la sacrilège bravade fut entendue de Dieu. Ce sang du Juste est encore sur les fils des coupables, sans que ni les siècles, ni la civilisation moderne, ni le scepticisme universel, aient pu l'effacer. Avec ses ri-chesses, son esprit mercantile, son indomptable énergie, ce peuple, qui est partout sans régner nulle part, qui a l'or de la terre sans pouvoir se faire une patrie, vit, passe et meurt méprisé, maltraité, maudit, comme si encore sur son front on li-sait, écrite d'hier en caractères sanglants, la cause de son malheur : "Déicide !"»1. A tout ce qu'ont dit ces écrivains inat-taquables et d'autorité presque universelle, on pourrait ajouter ce qu'écrit Giovanni Papini (1881-1956) à propos de "L'ebreo errante" [Le Juif errant]. Mais nous préférons renvoyer le lecteur à l'œuvre même de l'écrivain florentin ; il ne pourrait trouver mieux en effet pour se convaincre que le malheur du peuple juif est réellement la conséquence de la cruauté avec laquelle il demanda la mort en croix de son Messie2. Du reste cet avis est partagé par le Père Jacques-Marie Vosté o.p. (1883-1949), exégète de renom, ancien Consulteur et Secrétaire de la Commission Biblique Pontificale. Voici ses propres paroles : "Complètement aveuglés, les Juifs demandent pour eux et pour leur postérité les con-séquences juridiques du meurtre du Messie, qui est donc un crime du peuple messianique d'Israël. Et tout le peuple cria : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants", ce qui revient à dire : "Que la responsabilité retombe sur toute la nation". Cette terrible imprécation s'est accomplie et s'accomplit encore, tout le monde le sait, et le Juif errant en est un témoignage : sans autel, sans temple, objet de haine et d'infamie pour tous, marqué au front par la malédiction de Caïn. "Cette imprécation sur les Juifs dure encore aujourd'hui et le sang du Seigneur pèse encore sur eux" (saint Jé-rôme)3. Un autre exégète, le Père Alfred Durand s.j. écrit : «Et tout le peuple répondit, en disant : "Que Son sang soit sur nous et sur nos enfants !" On sait comment Dieu a relevé cette bravade sacrilège. La légende du "Juif errant" n'est qu'une expression symbolique de l'histoire. Comme Caïn, Ahasvérus porte au front une tache de sang, qu'il n'a pas en-core réussi à effacer»4. Et Otto Hophan remarque : «Alors tout le peuple s'écria : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants". Et les deux choses se produisirent : le sang du Juste fut répandu pour notre salut ; mais il coula aussi en tant que terrible châtiment sur le peuple juif et sur ses fils tout au long des siècles jusqu'à nos jours»5.

«Et nos pères ont appelé ce sang qui coule encore sur ses malheureux enfants. Les générations succèdent aux géné-rations. Aucune ne l'a encore effacé de son front» (Manzoni).

RÉPONSE A UNE CONTESTATION

En dépit de toutes ces preuves, il s'est trouvé récemment quelqu'un pour qualifier sans hésiter notre interprétation de "tout à fait impie, car elle va jusqu'à soutenir que ce n'est pas un homme (et il serait déjà monstrueux de l'affirmer) mais un peuple entier, qui, pendant les siècles passés et pour tous ceux à venir, a été voué par Dieu (?) au malheur et à la souffrance, non par sa faute personnelle, mais par la faute d'un petit nombre (?) qui n'en représentait pas la volonté. Elle est impie car elle nie pratiquement la bonté et la miséricorde de Dieu ; elle nie l'amour que Jésus a pour tous, même pour Ses meurtriers". Devant de semblables affirmations, ou mieux aberrations de pensée et de jugement, on voudrait pouvoir se taire : en effet, avant de chercher et de trouver l'impiété et la monstruosité dans la pensée et le jugement des Pères de l'Eglise, des Docteurs et Exégètes chrétiens, ne devrait-on pas les chercher ailleurs, dans d'autre catégories de per-sonnes où l'on a plus de chance de les trouver ?

Cependant, il nous est impossible de ne pas donner une brève réponse. Et afin qu'elle ait autorité et invite sérieuse-ment à la méditation et à l'étude, nous la tirons des pages d'un grand apologiste du IIIè siècle de l'ère chrétienne, Tertul-lien. A Marcion (85-160 environ), hérétique gnostique de son temps, qui, semble-t-il, se scandalisait lui aussi du châti-ment tombé sur le peuple juif, le grand Tertullien (160-220) lançait cette invitation : "Pour qui admet l'Evangile de la vérité, ô Marcion, il est visible à quelle nation s'adressait la sentence qui fait retomber sur les fils le crime des pères ; à la nation qui devait se lier volontairement par ce vœu : "Que Son sang retombe sur nos têtes et sur les têtes de nos enfants". La Providence lui appliquait déjà la parole qu'elle avait entendue. Cette sentence - "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" - n'a pas été prononcée par le Christ, mais bien par les Juifs qui se soumirent eux-mêmes et leurs fils à ce châtiment. Dieu, toutefois, a souscrit à la sentence des Juifs, telle qu'Il l'avait entendue de leur bouche ; mais ce ne fut pas Lui qui la prononça. La Providence divine ratifia seulement ce que d'autres avaient dit. Aucune peine, aucun châtiment ne viennent de Dieu. Ce sont les hommes qui se les procurent et les traînent derrière eux"6. Donc, en vérité, ce 1 Mgr E. LE CAMUS, La Vie de N.-S. Jésus-Christ, Oudin, Paris 1907, tome III, pp. 345-346. 2 G. PAPINI, Storia di Cristo, vol. Il, Firenze 1939, pp. 532 s. 3 Fr. J.- M. V0STÉ o.p., De Passione et Morte Jesu Christi, Roma 1937 4 A. DURAND, s.j. (Commentaire de), Evangile selon Saint Matthieu, Verbum Salutis, Beauchesne, Paris 1924, p. 550. 5 O. HOPHAN, Il lieto messaggio, Torino 1951, p. 4. 6 TERTULLIEN, Lib. H contra Marcionem, ch. XV : PL 2,302.

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n'est pas Dieu qui "a voué - comme il a été écrit - un peuple entier au malheur et à la souffrance pendant les siècles pas-sés et pour tous ceux à venir" ; c'est réellement ce peuple qui s'est voué de lui-même à la peine et au châtiment, en commettant le crime horrible de déicide et en en assumant la responsabilité.

Dans l'économie divine il apparaît donc que Dieu respecte toujours tant la liberté de chaque homme en particulier, que celle de chaque peuple et de chaque nation dans le choix de leur propre destin. Ajoutons seulement que, puisque les "fils des Juifs" n'étaient pas sur les lieux à Jérusalem pour décider de leur propre destin, "ainsi ayant prononcé cette sentence contre eux-mêmes, comme l'observe saint Jean Chrysostome, et sur leurs enfants, cependant, Dieu dans Son infinie mi-séricorde adoucit cette sentence, l'appliquant uniquement aux incrédules et épargnant les fidèles. Le saint Docteur écrit : "Car si vous consentez, ô Juifs, que cette malédiction tombe sur vous, pourquoi voulez-vous encore qu'elle tombe sur vos enfants ? Cependant Jésus-Christ qu'ils traitent avec tant d'outrages, fut trop bon pour les traiter avec autant de sévérité qu'ils témoignaient en avoir contre eux-mêmes et contre leurs propres enfants, et c'est au contraire d'eux et de leurs en-fants qu'Il choisit ce grand nombre de personnes qu'Il appela à la pénitence, et qu'Il combla de tant de grâces. Saint Paul était de ce peuple, et ces milliers de personnes qui accueillirent la foi à Jérusalem et dont parlent les Actes des Apôtres1. On ne peut donc en aucune façon parler d'impiété et de monstruosité de la part de Dieu ni de quiconque il suffit de bien comprendre la vérité, de comprendre en quel sens et pour quel motif la justice divine a puni le peuple juif' qui avait pris sur lui la responsabilité de la mort du Fils Unique du Père. Les Juifs, meurtriers du Christ, ont été punis ; les fils sur les-quels les pères invoquèrent la punition seront punis également, mais uniquement s'ils se solidarisent avec leurs pères, s'ils ne se convertissent pas et persévèrent dans la même rébellion contre le Christ, pierre angulaire du nouvel édifice. Dieu Lui-même pouvait-Il faire davantage s'il est vrai que chaque homme, chaque peuple et chaque race, doivent rester arbitres de leur propre destin ? Et ce que Dieu fit, Il continue à le faire dans Son infinie bonté qui ne peut toutefois faire abstraction de Son infinie justice. Par conséquent dans cette affaire complexe et douloureuse du juste châ-timent pesant sur le peuple juif meurtrier du Christ et sur ses descendants, il importe peu d'établir (comme le fait Caprile dans deux articles de Palestra del Clero, septembre décembre 1960) laquelle des deux lois était en vigueur au temps du Christ : celle dite de la responsabilité collective ou bien celle de la responsabilité individuelle. Car ce n'est pas que les fils des Juifs naissent maudits ou en état de péché pour le simple motif qu'ils sont de race juive. Simplement ceux qui s'obs-tinent à demeurer de fait dans le même aveuglement que leurs aïeux sont passibles des mêmes peines que leurs pères, tant qu'ils maintiennent cette attitude. Bref, les fils ne sont punis que s'ils persistent dans l'aveuglement et la malice de ceux qui assumèrent la responsabilité de la mort du Christ. Le fait que la race juive dans son ensemble reste aussi obsti-née (même après que le Christ ait donné un nouveau cours à l'Histoire et un nouveau visage au monde) est un mystère difficilement explicable. Toutefois, il ne semble pas trop hasardeux d'y voir un châtiment de ce crime énorme commis par les pères et qui ne cesse de peser sur les épaules des fils pour ainsi dire en affinité avec leurs pères. Tout ceci échappe cependant à la recherche humaine qui ne peut qu'enregistrer le fait et se contenter du "al quia" [se contenter de savoir que les effets sont ce qu'ils sont] (cf. DANTE ALIGHIERI, Le Purgatoire, III, 37).

LE PEUPLE ÉLU RÉPROUVÉ POUR AVOIR TUE LE CHRIST

Les arguments apportés par les opposants à notre thèse sont de deux ordres : arguments historiques qui auraient l'Histoire pour base, et arguments théologiques qui se fonderaient sur la Théologie. Les premiers allégués habituellement rappellent surtout que le peuple juif avait eu déjà à souffrir avant même le meurtre du Messie ; qu'il serait donc naïf de vouloir attribuer à ce crime toutes les infortunes ultérieures de ce peuple. Les adversaires de notre thèse ajoutent que s'obstiner à faire dépendre ces malheurs d'une malédiction plus ou moins hypothétique n'est pas digne de bons raison-neurs. La réponse à de semblables insinuations ne présente pas de difficultés.

Tout d'abord, précisons qu'il ne s'agit pas du tout d'une malédiction hypothétique ; mais d'une malédiction, imprécation ou voeu - comme dit Ricciotti - que tout le peuple et les anciens, c'est-à-dire les chefs d'Israël, prononcèrent officiellement à l'heure la plus grave et la plus solennelle de leur Histoire ; ceci est écrit bien clairement dans l'Evangile, ou je me trompe fort. Nous l'avons déjà dit ailleurs, cette imprécation criminelle est qualifiée par un Père de l'Eglise de forfait le plus horrible qui puisse être commis par des pères envers leurs propres fils. Aussi aimerions-nous que cette ques-tion rapportée dans l'Evangile avec une telle clarté et la plus grande précision ne soit pas traitée avec trop de légèreté et de superficialité. Qu'on se rappelle ce que mettent en relief les exégètes, même des plus récents. Prenons par exemple Mgr Salvatore Garofalo et son commentaire de Matth. XXVII, 25 : «"Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" ; c'est ainsi qu'avec un langage traditionnel, les Juifs prennent sur eux la responsabilité de la condamnation à mort (de Jé-sus)». Citons aussi Clandio Zedda, Professeur à l'Université Pontificale du Latran, qui définit la condamnation de Jésus comme "une coupable répudiation de Jésus comme Messie (...). Et il ajoute : "L'obstination juive due à l'incrédulité et qui met obstacle aux grâces ultérieures, est cause de l'abandon de Dieu"2. Nous ne nions pas qu'Israël ait souffert avant même le meurtre du Christ ; mais en même temps, nous l'affirmons sans crainte d'être démentis, la Sainte Ecriture à l'appui : son infidélité proverbiale et sa dureté de coeur envers son Dieu en étaient presque toujours la cause.

Pour nous en convaincre, il nous suffit de lire les Prophètes, envoyés par Dieu pour ramener le peuple israélite sur la bonne voie. Parmi eux, il en est trois qui se distinguent particulièrement : Isaïe, Jérémie et Sophonie. Il suffit de lire les différents avertissements donnés au peuple juif par Dieu qui les choisit comme porte-parole. On peut en dire plus ou moins autant des autres prophètes. Du reste, celui qui est familiarisé avec les livres de l'Ancien Testament et en particu-lier avec le Livre des Juges n'aura pas à faire grand effort pour reconnaître que Dieu punissait très souvent Son peuple à cause de ses péchés et de ses crimes. Quant aux souffrances qui se sont accentuées avec les siècles chrétiens comme

1 Saint JEAN CHRYSOSTOME, Hom. LXXXVII in Mat 2 Cf. Sainte Bible selon la Vulgate (La), traduction de l'abbé J.-B. GLAIRE, éd. DFT. 1982 ; et La Sainte Bible trad. d'après les textes originaux par l'abbé CRAMPON, éd. révisée 1989.

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l'affirment aussi nos contradicteurs, disons tout de suite que, si l'on s'en tient aux documents évangéliques et historiques, c'est justement au crime en question qu'elles doivent être attribuées dans leur ensemble ; à ce crime commis par le peuple juif et ses chefs lorsqu'ils demandèrent la mort du Christ puis l'exigèrent du gouverneur romain, bien que ce der-nier en ait plusieurs fois proclamé l'innocence. Ceci est un fait absolument historique. D'ailleurs, Jésus Lui-même évo-quant la destruction de Jérusalem et de Son Temple la fait dépendre du crime que les anciens et le peuple de Jérusalem sont sur le point de commettre.

Cette évidence ressort aussi de la simple lecture attentive de la parabole des vignerons homicides (Matth. XXI, 33-41 ; Mc XII,1-12 ; Lc XX, 9-16). Après avoir raconté cette parabole dans laquelle il est dit que les vignerons homicides ont été jusqu'à tuer le fils-même du maître de la vigne, Jésus demande : "Que fera le propriétaire de la vigne ?", et Il conclut : "Le propriétaire de la vigne (c'est-à-dire Dieu, selon toutes les interprétations), après que les vignerons aient tué Son fils, viendra et exterminera les fermiers et donnera la vigne à d'autres". On peut lire, si l’on veut, la parabole telle qu'elle est rapportée entre autres par Giuseppe Ricciotti dans sa fameuse Vie de Jésus-Christ (p. 260, n° 513). Quant au Père Henri Didon o.p. (1840-1900), il écrit : «Alors, Il [Jésus] se tourna vers le peuple ; et, comme s'Il jugeait les grands indignes d'entendre la vérité, Il raconta à tous dans une nouvelle parabole ce qu'Il était, d'où Il venait, quel était Son rôle, quelle serait Sa destinée. Les grands écoutaient. "Un homme, un père de famille, planta une vigne, l'entoura d'une haie, y creu-sa un pressoir et y bâtit une tour ; puis, l'ayant louée à des vignerons, il partit pour un voyage lointain. Et, au temps de la vendange, il envoya l'un de ses serviteurs pour recevoir des vignerons sa part du fruit. Mais eux, l'ayant saisi, le battirent et le renvoyèrent vide. Il leur manda un autre serviteur. Ils le battirent, le blessèrent à la tête, en le chargeant d'outrages, et le renvoyèrent vide. Il en envoya encore un autre, et ils le tuèrent ; ensuite, plusieurs autres, et ils battirent les uns et tuèrent les autres. Et le maître de la vigne dit : 'Que ferai-je ? Ayant un fils qui lui était très cher, il le leur envoya, le der-nier : 'Peut-être, se disait-il, qu'en voyant mon fils, ils le respecteront'. Mais les vignerons se dirent l'un à l'autre : 'Voici l'héritier ! Venez, tuons-le, et l'héritage sera nôtre'. Ils le prirent, le tuèrent, et le jetèrent hors de la vigne. Que fera donc le maître de la vigne ? Il viendra, il perdra ces vignerons, et donnera la vigne à d'autres qui en rendront ses fruits, en leur temps. A ces mots, ceux qui se sentirent visés se récrièrent : "A Dieu ne plaise !" dirent-ils, comme pour écarter ce mau-vais présage. Jésus les regarda, son visage devint sévère, menaçant. "A Dieu ne plaise, dites-vous ? Qu'est-ce donc que cette parole du Livre ? Ne l'avez-vous point lue ? La pierre rejetée par ceux qui bâtissaient est devenue le sommet de l'angle. C'est l'oeuvre du Seigneur : elle est prodigieuse à nos yeux" (Ps. CXVII, 23). Puis il dit en propres termes ces mots qui éclairent toute la parabole : "Oui, le Royaume de Dieu vous sera ôté ; il sera donné à un peuple qui en produira les fruits". Et, revenant à l'image de la pierre prophétique, Il ajouta : "Celui qui tombera sur cette pierre se brisera ; celui sur qui elle tombera sera brisé". Jésus, poursuit le même auteur, ne pouvait exprimer plus clairement ce qu'Il était et de qui Il tenait Ses droits. La vigne plantée par le père de famille, la haie qui l'entoure, le pressoir creusé, la tour de garde bâtie au milieu, c'est Israël, la nation choisie par Dieu, avec la Loi qui la protège, avec son Temple et son culte. Les vi-gnerons, c'est la hiérarchie. Les serviteurs envoyés à la saison des fruits et se succédant les uns aux autres, ce sont les prophètes. Quelle destinée que la leur ! L'Esprit de Dieu les remplit, et les maîtres temporaires de la vigne, loin de les ac-cueillir, de répondre à leur mandat et d'apporter à leurs pieds une part de la vendange, les saisissent, les battent, les blessent, et les renvoient, les mains vides. Le fils du Père de famille, c'est Jésus même. Il est au-dessus de tous les pro-phètes. Son titre est unique, Son droit absolu. Il vient, humble et doux, sans autre auréole que Sa divinité voilée par l'amour : Il est le plus outrageusement traité ; on Le jette hors de la vigne et on Le tue, comme on avait persécuté et tortu-ré ceux qui L'ont précédé. Malheur aux vignerons infidèles et méchants ! Malheur à la hiérarchie coupable ! Puisqu'elle repousse, persécute et tue ceux qui viennent de la part de Dieu, puisqu'elle n'épargne pas même le Fils, Dieu va se ven-ger. Le Royaume changera de maître ; il sera transféré des Juifs aux païens. Le peuple choisi sera le peuple réprouvé, et les nations abandonnées deviendront les nations choisies»1.

LA DESTRUCTION DE JÉRUSALEM, CHATIMENT NATIONAL

Un autre passage des Evangiles décrit ce qui doit arriver au peuple déicide : celui où le divin Maître pleure sur Jérusa-lem et en annonce la ruine, justement parce qu'elle s'est refusée de reconnaître le jour où Il l'a visitée. Mais il n'est peut-être pas superflu de rapporter en entier ce passage où la destruction de Jérusalem n'est pas seulement prédite, comme le voudraient les plus récents "exégètes", mais aussi expliquée et annoncée comme un châtiment. Il y est dit en effet : "Et comme Il approchait, voyant la ville, Il pleura sur elle, disant : Si tu connaissais, toi aussi, au moins en ce jour qui t'est en-core donné, ce qui te procurerait la paix ! Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. Car des jours viendront sur toi où tes ennemis t'environneront de tranchées, t'enfermeront, te serreront de toutes parts et te renverseront par terre, toi et tes enfants qui sont au milieu de toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n'as pas con-nu le temps où tu as été visitée" (Lc XIX, 41-44). Et encore : "Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-Je voulu rassembler tes enfants, comme un oiseau rassemble sa couvée sous ses ailes, et tu ne l'as point voulu ! Voici que votre maison vous sera laissée déserte. Je vous le dis, vous ne Me verrez plus, jusqu'à ce que vienne le moment où vous direz : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !" (Lc XIII, 34-35). Ici, il n'échappe à personne que la "domus vestra deserta" n'est autre que le temple et la ville de Jérusalem, détruits et châtiés pour n'avoir pas accueilli la visite du Christ.

Tous les exégètes en sont convaincus. Citons entre autres Ricciotti, le Père Didon, le Père Lagrange et même Gio-vanni Papini qui en parle longuement dans sa fameuse Histoire du Christ. Voici Ses propres paroles : «"Je vous dis que cette génération ne passera pas avant que toutes ces choses ne soient arrivées". Lorsque ces choses arrivèrent, on était en l'an 70 après J.-C. et Sa génération n'était pas encore toute descendue dans le sépulcre. L'un au moins de ceux qui avaient entendu ces paroles prononcées sur le mont des Oliviers - Jean - fut témoin du châtiment de Jérusalem et de la

1 P. DIDON, Jésus-Christ, vol. Il, Plon, Paris 1891, pp. 187-189.

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ruine du Temple. Dans le délai prévu, les paroles de Jésus se réalisèrent, mot pour mot, avec une atroce exactitude : ce fut une histoire de sang et de feu.

La première fin, la fin partielle, locale, la fin du peuple déicide, a eu lieu. Conformément à la sentence du Christ, les pierres du temple sont disséminées au milieu des ruines, et les fidèles du Temple sont morts dans les supplices ou dis-persés parmi les nations"1. Pourtant on entend alléguer avec insistance, que le châtiment aurait dû concerner tout au plus les représentants du peuple et non la masse toute entière de ce peuple ; qu'il aurait dû s'accomplir seulement contre ceux qui s'opposaient aux nouveautés apportées par le Christ, et représentaient l'économie religieuse de l'Ancienne Alliance. Ce à quoi il est facile de répondre :

1) Tous ceux qui crièrent "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" s'opposèrent à la nouveauté, nom-mons-la ainsi, représentée par le Christ, et c'est pourquoi tous furent compris dans le châtiment de la destruction de Jé-rusalem.

2) L'Evangile ne parle pas de la ruine de quelques (Lc XIX, 41) représentants du peuple de Dieu mais bien de la des-truction totale de la ville de Jérusalem, de son Temple et de ses enfants : "Ils te détruiront toi et tes fils avec toi".

D'autre part, et c'est l'histoire qui parle, la famine était telle, raconte le Juif Josèphe, qu'on vit les mères tuer leurs en-fants pour les manger (cf. PAPINI, op. cit., p. 404). Mais, encore une fois, témoins et exégètes ne parleront jamais aussi clairement que l'Evangile qui est d'une clarté éblouissante :

«Quand vous verrez Jérusalem investie par une armée, sachez que sa ruine est proche ; et quand vous verrez dans le Lieu saint, là où elle ne devait pas être, l'abomination de la désolation prédite par le prophète Daniel (que ce-lui qui lit comprenne) ! Alors, que ceux qui sont en Judée fuient vers les montagnes ; que ceux qui sont dans la ville [Jérusalem] s'en éloignent ; que ceux qui sont dans les régions voisines n'y entrent point ; que celui qui est sur la ter-rasse se garde, en descendant, d'entrer dans sa maison pour emporter quelque chose ; que celui qui est dans la campagne ne revienne point pour prendre son vêtement. (Jésus avertit ainsi Ses disciples). Ce seront là les jours de la vengeance où s'accomplira tout ce qui est écrit. Malheur à celles qui, en ces jours-là, seront nourrices ou sur le point d'être mères. Priez pour que votre fuite n'arrive pas en hiver (ici Il parle aux Chrétiens) ni le jour du sabbat. Il y aura des tribulations telles qu'il n'y en a pas eu de semblables depuis le commencement du monde jusqu'alors, et qu'il n'y en aura jamais. Grande sera la détresse de ce pays et la colère sera sur ce peuple. Ils tomberont sous le tranchant du glaive ou ils seront emmenés captifs parmi toutes les nations. Jérusalem sera foulée aux pieds par les païens jusqu'à ce que les temps des nations soient accomplis» (cf. Chanoine A. Weber, op. cit., pp. 269-270).

C'est évident, l'Evangile ne fait pas allusion au seul châtiment partiel des chefs, mais à la colère, à la vengeance et au châtiment qui retombera sur tout le peuple (cf. Matth. XXIV, 15-20 ; Mc XIII, 14-24 ; Lc XXI, 20-24). Voici ce qu'écrit l'exé-gète Mgr Francesco Spadafora à propos de la destruction de Jérusalem, du châtiment du peuple de cette ville et de la nation juive : «Dans la journée du mardi saint, Jésus blâme les pharisiens et conclut Son discours de condamnation (Matth. XXIII) par cette prophétie menaçante : "Voici que votre maison vous sera laissée déserte" (Matth. XXIII, 38) ; pu-nition sévère, exprimée clairement deux jours auparavant, lors de son entrée triomphale à Jérusalem (Le XIX, 41-44 ; Lc 13-34 s) et qui se réalisera pour cette même génération» (Matth. XXIII, 36). Et ailleurs : «Tout le monde voit dans ce châ-timent la manifestation de la justice et de la puissance divine du Messie (Matth. XXX, 6 ; Mc XXVI, 11 ; Le XXVII), et ce sera un deuil général pour tout le peuple juif qui devra reconnaître que c'est pour la crucifixion du Christ qu'il est frappé (Matth. XXX).

La destruction de Jérusalem et la fin de la nation juive sera un bien pour l'Eglise naissante. Libérée de la per-sécution fanatique et obstinée de la Synagogue (Lc XXVIII), elle se répandra dans tout l'empire romain et sur toute la terre» (Matth. XXXI ; Mc XXVII, 4 ; Le XXXI)2. Aussi Ferdinando Prosperini remarque-t-il avec justesse : «Parfois la sanc-tion collective qui frappe un crime collectif est si claire et si rapide que pour la nier il faut fermer les yeux devant l'évi-dence. C'est le cas auquel se réfère le passage de l'Evangile du dernier dimanche après la Pentecôte : le refus d'Israël qui appelle sur sa tête le sang de l'Innocent est le crime d'un peuple ; l'épilogue épouvantable de l'anéantissement, dans les ruines fumantes du Temple, de tout reste de liberté et de l'existence même d'Israël en tant que nation, est le châti-ment d'un peuple ; sanction d'autant plus évidente qu'elle avait été plus clairement annoncée»3.

«Jésus, écrit enfin le Père Enrico di Rovasenda, pleure sur Jérusalem parce que, de la ville sainte qui avait conservé dans son temple le culte du vrai Dieu, il ne restera pas pierre sur pierre. La destruction de Jérusalem est l'un des événe-ments les plus violents de l'histoire, un des événements dans lequel apparaît de façon la plus évidente un terrible juge-ment spirituel. Cette destruction fut une sorte de fin du monde, l'avertissement exemplaire d'un jugement qui exterminera le péché partout où il se trouve, même dans les traces qu'il laisse entre une pierre et une autre. Jésus donna le motif de la justice : "[...] parce que tu n'as pas connu le temps de la visite qui t'a été faite". Dieu avait visité la ville sainte d'abord en envoyant les prophètes puis en envoyant Son Fils incarné ; mais les Juifs, après avoir tué les serviteurs du Seigneur, se préparaient désormais à crucifier le Fils. En refusant Jésus-Christ, les Juifs commirent un péché qui comprend en lui-même tous les autres. En effet, repousser Jésus est le plus grand affront que l'on puisse faire à Dieu, et ce péché ouvre la voie à tous les autres, car "celui qui est contre Jésus ne peut que blasphémer et contrecarrer tout ce qui est bien"4.

Parvenus à cette conclusion, nous serions en droit de dire : "Satis de hac quæstione" ("nous en avons suffisamment dit sur ce sujet") ; car sur la destruction de Jérusalem et ses motifs, il ne peut subsister aucun doute dans l'esprit de qui-conque veut bien tenir compte de l'histoire, telle qu'elle a été annoncée, telle qu'elle s'est réalisée ensuite, en conformité parfaite avec les paroles du Christ. Nous ne résistons pas cependant à la tentation de rapporter ici ce que dit à ce sujet le Dictionnaire Biblique dirigé par Mgr Spadafora à la rubrique "ESCHATOLOGIE" : «Si l'on a présentes à l'esprit les images 1 Papini op. cit., pp. 404-405. 2 Mgr F. SPADAFORA, Gesù e la fine di Gerusalemme, Rovigo 1950, pp. 10 et 125 3 F. PROSPERINI, in Il Quotidiano, 28 nov. 1960 ; et II Quotidiano, 22 juillet 1961 4 P. E. DI ROVASENDA, in Il Quotidiano, 6 août 1960.

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employées par les Prophètes pour indiquer le "jour du Seigneur" c'est-à-dire la manifestation de la justice divine contre les ennemis de Son règne, on n'éprouve aucune difficulté à expliquer les passages suivants : Matth. X, 23 ; XXVI, 63 s ; Lc XXII, 69 ; et enfin Matth. XXIV, 3 (parousie) ; ils parlent de la "venue du Christ" pour punir la Synagogue persécutrice, les Juifs déicides. Il s'agit de la destruction de Jérusalem, manifestation la plus éclatante du Messie, Juge et suprême vengeur de ses fidèles" (cf. P. G. Lagrange, Evangile selon St Matthieu, 4è éd., 1927, pp. 205-207 ; Prat, Jésus-Christ, II, p. 349). Dans Matth. (XVI, 27 s.) on parle de l'affirmation ou de l'établissement de l'Eglise avec l'image employée dans Dan. VII, 13 s, "venue du Fils de l'homme" ; "venue du règne de Dieu", dans Le XXIX, 26 s, comme organisation externe et définitivement distincte de la Synagogue (P. G. Lagrange, St Matth., p. 233 ; Ev. selon St Luc, pp. 269 s. ; voir dé-monstration dans Spadafora, Gesù e la fine di Gerusalemme, pp. 17 s, 25 s). On a donc, d'une part, le châtiment des Juifs, spécialement dans la destruction de Jérusalem (Dieu intervient pour punir), et de l'autre protection et triomphe de l'Eglise (intervention en sa faveur). Ces deux aspects de la "venue du Seigneur" sont unis dans les deux grandes prophéties sur la fin de Jérusalem : Lc XVII, 20-18 ; Matth. ch. XXIV ; Mc ch. XIII ; Lc ch. XXI.

Dans Lc ch. XVII, Jésus prédit à Ses disciples les persécutions qui les attendent après Sa mort, Il leur prédit qu'ils in-voqueront alors l'intervention du Sauveur ("Viendront des jours où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l'homme ...", v. 22), ce qui démontre, sans laisser de doute, qu'il s'agit d'interventions de Jésus pour punir les persécu-teurs et libérer Ses fidèles. Eh bien, le Seigneur interviendra, et de façon particulière "à Son jour", ce grand jour (de la destruction de Jérusalem) sur lequel Il s'arrête (XVII, 25-30) et sur lequel Il reviendra dans un autre discours (Matth. XXIV et passages parallèles). Aux Apôtres qui demandent où s'abattra le châtiment, Jésus répond par la phrase devenue pro-verbiale (Job XXXIX, 30) : la proie est Jérusalem sur laquelle s'abattront les aigles (c'est-à-dire les légions ro-maines ; cf. Matth. XXIV, 28 ; cf. Tondelli, Gesù, Torino 1936, pp. 364 à 368).

Dans Matth. XXIV et dans les passages parallèles, le divin Rédempteur commence par prédire la destruction totale du Temple et donc de la capitale. Les disciples demandent quand elle aura lieu et quels seront les signes qui la précéderont. C'est la fin d'un monde, du monde juif de l'ère de l'Ancien Testament et non la fin du monde"1.

Et voilà comment un exégète insigne commente toute la scène terrifiante du fameux cri, blasphématoire en lui-même et dans ses conséquences extrêmes et désastreuses : "Pilate, voyant qu'il ne gagnait rien, mais que le tumulte allait croissant, prit de l'eau et se lava les mains devant le peuple en disant qu'il était innocent du sang de ce juste et qu'il leur en laissait la responsabilité (Matth. XXVII, 24). La foule se reprit alors à hurler : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" ("Respondens universus populus dixit : "Sanguis ejus super nos et super filios nostros" v. 25). Alors Pilate relâcha Barabbas et ayant fait flageller Jésus-Christ, il Le leur livra pour être crucifié : "Iesum autem flagellatum tradidit eis ut crucifigetur" (v. 26). Les Juifs aveugles crient : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" ("Sanguis ejus super nos et super filios nostros") et voilà désormais deux mille ans qu'avec le sang du Christ répandu pour le salut du monde, opprobre et malédiction sont imprimés sur le front des Juifs. Jérusalem gît détruite ; la nation juive est sans roi et sans capitale, elle n'a plus ni lois ni temple, ni sacrifices, ni prophètes ni lévites ; ses fils errent dispersés par tout l'uni-vers, objets de dérision et d'abomination à tous les peuples ; ils portent toujours et partout l'empreinte de Caïn ; ils cour-bent la tête sous la réprobation de Dieu et la malédiction des hommes ; ils ressemblent à un corps disloqué, dont les morceaux sont dispersés. Devant toutes les familles du genre humain et tout au long des siècles ils portent le témoi-gnage de leur déicide, du châtiment qui en fut la conséquence et de la vengeance de Dieu pour la mort de son Fils. O, Juifs qui avez crié : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" ! Vos vœux inspirés par une fureur infernale se réalisent... Au siège de Jérusalem les Juifs poussés par la faim fuyaient une ville qui devenait leur tombeau ; pour les y maintenir et les contraindre à se soumettre, Titus en envoyait plus de cinq cents par jour au supplice de la croix, au point que, nous raconte l'historien Josèphe, croix et espace où les planter vinrent à manquer aux Romains. Comment ne pas voir dans ce fait un juste châtiment de la crucifixion de Jésus-Christ ? Vous avez crié, ô Juifs : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" ! Or qu'est-il advenu de toi, ô peuple autrefois l'élu de Dieu, la nation sainte ? Toi dont étaient sortis les patriarches et les Prophètes ; toi qui avait vu tant de miracles et qui possédait les Tables de la Loi, l'arche d'alliance, le temple du vrai Dieu ; toi qui a donné naissance à Marie, à Jésus, aux Apôtres, où es-tu maintenant ? Qu'est-il advenu de toi ? Vois l'énormité de ton crime et l'expiation qui te fut imposée !... Ecoute, malheureux, ce que Da-vid, l'un de tes rois, avait prédit : "Que leurs yeux s'obscurcissent, afin qu'ils ne voient point ; et tenez leur dos toujours courbé" ("Obscurentur oculi eorum ne videant, et dorsum eorum semper incurva" ; Ps. LXVIII, 24 à 29). Répandez sur eux Votre colère et que la fureur de Votre colère les saisissent. Que leur habitation devienne déserte, et que dans leurs tentes il n'y ait personne qui habite ! Parce qu'ils ont persécuté Celui que vous-mêmes vous avez frappé, et qu'ils ont ajouté à la douleur de Mes plaies. Mettez iniquité sur leur iniquité ; et qu'ils n'entrent point dans Votre justice ! Qu'ils soient effacés du livre des vivants, et qu'avec les justes ils ne soient point écrits ! "(Ps. LXVIII, 24-29). Ecoute, ô peuple endurci, ce que dit Daniel, l'un de tes plus grands prophètes : "Et après soixante-deux semaines, le Christ sera mis à mort ; et Il ne sera pas son peuple, le peuple qui doit le renier. Et un peuple avec un chef qui doit venir détruira la cité et le sanctuaire ; et sa fin sera la dévastation et après la fin de la guerre la désolation [telle qu'elle a été] décrétée. L'oblation et le sacrifice cesseront ; et l'abomination de la désolation sera dans le Temple et la désolation continuera jusqu'à la con-sommation et à la fin" (Dan. IX, 26-27). Ecoutez encore Osée, un autre de vos prophètes : "Durant de longs jours les en-fants d'Israël seront sans roi et sans prince, sans sacrifice et sans autel, sans éphod et sans théraphim" (Os. III, 4). "Mon Dieu les rejettera parce qu'ils ne L'ont pas écouté ; et ils seront errants parmi les nations" ("Abiiciet eos Deus meus, qui non audierunt eum, et erunt vagi in nationibus", Os. IX, 17).

La déclaration du Seigneur n'était pas moins claire ; saint Luc raconte en effet comment Jésus, s'approchant de Jéru-salem, se mit à pleurer dès qu'Il l'aperçut, disant : "Si tu connaissais toi aussi, au moins en ce jour qui t'est encore donné, ce qui ferait ta paix ! Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. Car des jours viendront sur toi où tes ennemis

1 F. SPADAFORA, Dizionuno Biblico, Roma, 1955, p. 216.

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t'environneront de tranchées, t'investiront et te serreront de toutes parts ; ils te renverseront par terre toi et tes enfants qui sont dans ton sein et ils ne laisseront pas dans ton enceinte pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps où tu as été visitée" (Lc XIX, 41-44). Et vous criez maintenant, ô vous déicides : "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" !... Ecoutez comment Hugues de Saint Victor fait parler le peuple juif : - "Nous Lui avons tourné le dos. Il ne nous a fait que du bien et alors qu'Il priait pour nous, nous L'avons crucifié. Nous avons entendu Ses paroles et nous avons été comblés de Ses bienfaits ; nous avons été témoins des nombreux et grands prodiges qu'Il a accomplis publiquement ; mais nous avons méprisé Ses avertissements, nous n'avons montré qu'ingratitude pour tous Ses bienfaits et nous nous sommes moqués de Ses miracles. Nous L'avons entendu nous instruire sur la montagne, mais nous sommes passés en nous bouchant les oreilles ; de là viennent les malheurs qui nous accablent. Nous L'avons vu nourrir la foule qui Le sui-vait, mais nous en avons ri ; d'où notre triste condition. Nous L'avons vu cloué à la croix, mais nous L'avons injurié et maudit ; d'où notre terreur et notre ruine. Nous avons compris Sa doctrine et nous savons qu'elle est porteuse de vie, mais nous avons choisi la mort. Ses instructions dissipaient nos ténèbres, mais nous avons refusé de Le prendre pour guide. Il nous offrait le salut et la vie, et nous avons refusé et l'une et l'autre. Sa mort a ressuscité les gentils ; mais sur nous qui étions Son peuple, cette mort, qui est notre oeuvre, a gravé le signe indélébile de la réprobation" (De Anima). "Ah oui - dit saint Jérôme - elle a eu son effet l'imprécation "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants", elle l'a encore et elle l'aura jusqu'à la fin. Le sang du Seigneur ne cessera de s'écouler sur eux. Comme dit le Roi-prophète, ce Sang fait peser sur eux un opprobre éternel : "Opprobrium sempiternum dedit eis" (In Daniel)»1.

FONDEMENT THÉOLOGIQUE

Que la destruction de Jérusalem ait été un châtiment, voilà qui est certain. Cette vérité a un fondement historique, nous l'avons vu, mais elle a aussi un fondement théologique. Or les opposants ne se contentent pas de nier le fondement historique, ils se déclarent également convaincus de l'inexistence d'un fondement théologique ; c'est qu'il faudrait alors admettre que Jésus Lui-même n'a pas mis en pratique ce commandement qu'Il a donné à Ses disciples de pardonner à Ses ennemis (Matth. VI, 14-15). Et si tel était le cas - ajoutons-nous - ce serait vraiment grave. Mais le seul fait d'émettre cette possibilité nous apparaît comme un sacrilège. Que Jésus, pour sa part, ait pardonné, on ne peut en douter ; qui plus est, nous le savons, Il a été jusqu'à invoquer pour Ses ennemis une excuse, les déclarant ignorants et inconscients de leur crime atroce (Lc 23, 34).

Et dans son remarquable travail intitulé Pensieri ed affetti sulla Passione di Cristo per ogni giorno dell'anno [Pensées et affections sur la Passion de Notre-Seigneur pour chaque jour de l'année], le Père Gaetano Maria da Bergamo o.f.m. (1672-1753) consacre à ce sujet trois méditations (n° 333 à 335), dans lesquelles, à la lumière de nombreux textes bi-bliques et patristiques, il met en relief, avec une grande profondeur de pensée, la Charité héroïque de Jésus envers Ses ennemis en cette occasion. Non seulement le Christ a observé ce qu'Il a commandé à Ses disciples, mais Il l'a observé comme Lui seul pouvait le faire : de façon héroïque, c'est à dire divine2. Ce n'est donc pas le pardon du Christ qui a fait défaut, la contestation en est impossible, mais, au contraire, le repentir de Ses ennemis ; librement ils choisi-rent le crime du déicide et jamais, en tant que peuple et nation, ils n'en demandèrent pardon, jamais ils ne revin-rent à ce Christ qui s'est pourtant immolé pour l'univers entier et donc aussi pour eux. Et, comme chacun sait, pour effacer le péché et échapper au châtiment dû inexorablement, la clémence et la bonté infinie du Christ et de Dieu le Père ne suffisent pas : il est nécessaire que la volonté humaine se convertisse à la volonté divine et, avec une douleur et un sentiment de repentir proportionnés à la gravité de la faute en demande pardon. Or rien de ce genre n'eut lieu ni sous la croix où les ennemis du Christ continuèrent à Lui crier : "S'Il veut que nous croyions en Lui, qu'Il des-cende de la croix" (Mc XV), ni par la suite lorsqu'ils surent qu'Il était vraiment ressuscité ; car alors plus que jamais ils s'obstinèrent dans leur péché et accumulant crime sur crime, se mirent à persécuter les Apôtres et tous ceux qui mon-traient leur foi ; comme le Christ Lui-même l'avait prédit, ils les flagellaient dans les synagogues et leur interdisaient de parler de Celui qu'ils avaient crucifié, prétendant L'éliminer pour toujours de la terre des vivants selon ce qu'avait prévu autrefois le Prophète. C'est ainsi qu'ils lapidèrent Etienne, qui tout en implorant pour eux le pardon ne manqua pas de leur reprocher d'avoir la nuque raide et de résister obstinément aux motions du Saint-Esprit (Act. VII, 1-59). Et alors, cha-cun le sait, à qui ne se repent pas, pardonner est impossible "per la contradizzion che nol consente", dirait Dante [parce que la contradiction n'y consent point]3.

Une observation encore. Pour nier que les persécutions du peuple israélite et principalement la destruction de Jérusa-lem aient un caractère punitif et constituent un châtiment mérité dû au péché de déicide, on affirme que "les chrétiens eux aussi ont toujours été persécutés et le sont encore, hélas, un jour ici un jour là, sous des formes diverses mais toujours cruelles et constantes, et pourtant personne ne dit qu'ils sont maudits de Dieu..." Mais il est facile de répondre à cette in-sinuation en faisant observer que c'est justement le Christ qui prévoit ces persécutions des chrétiens et en donne la cause disant que les chrétiens les doivent à leur fidélité à Son Nom ("propter nomen meum", Lc XXI, 19), et c'est encore le même Jésus qui dit, parlant de la destruction de Jérusalem : "Jérusalem, Jérusalem qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés ! Combien de fois ai-Je voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu n'as pas voulu ! Voilà que votre maison vous sera laissée déserte" (Matth. XXIII, 37-38) "parce que tu n'as pas connu le temps où tu as été visitée" (Le XIX, 44).

"PERE PARDONNEZ-LEUR"

Comme nous l'avons fait remarquer, c'est dans cette prière du Christ que réside la preuve la plus évidente que Jésus 1 I tesori di Cornelio A. Lapide, extraits de ses commentaires de la Sainte Ecriture par l'abbé Barbier, nouvelle éd. italienne par l'abbé Giulio Albera, salésien, vol. III, lett. P.F.5, Turin 1930, pp. 17,20-21. 2 P.G.M. DA BERGAMO O.F.M., Pensieri ed affetti sopra la Passione de Gesù Cristo, vol. II, Padova 1755, médit. nn° 333-334-335. 3 DANTE ALIGHIERI, L'Enfer, XXVII, 118-120.

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a prié le Père céleste afin qu'Il pardonne à Ses ennemis. Mais que ceux-ci aient obtenu ce pardon voilà qui n'est pas aussi certain : encore fallait-il qu'ils le demandent et se repentent de leur horrible péché. A cette prière du Christ, des deux mauvais larrons, l'un, crucifié à Sa droite, se convertit ; l'autre, à Sa gauche, non... Alléguant cette phrase "par-donnez-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font", certains s'arrêtent uniquement à ces paroles "ils ne savent pas" et s'in-terrogent : «Qui sont ceux-là qui "ne savent pas" ?» Et de leur point de vue, il semble que personne ou presque de ceux qui se trouvaient autour de la croix n'ait su que Jésus était vraiment le Christ, que tous ou presque étaient dans l'igno-rance et donc excusables et inconscients de leur crime. Car personne ne reconnut le Christ pour tel : ni les soldats ro-mains, "exécuteurs inconscients des ordres reçus" ; ni Pilate qui venait à peine d'entendre parler du Christ et de Ses fautes et qui, tout en le considérant comme juste et honnête, ne vit peut-être en Lui qu'un Juif quelconque à la recherche de vérité ; ni la foule entourant la croix et qui avait demandé Sa crucifixion, invoquant Son Sang sur elle-même ; ni les chefs du peuple qui, précisément pour cette affirmation de Jésus d'être le Christ, avaient demandé Sa mort au juge Pi-late. Et ainsi de suite, tous ignorants, et, disons-le carrément, tous innocents !

En admettant que l'on doive adhérer à cette hypothèse, immédiatement se pose alors une question : quelle valeur donner à la prière de Jésus ? En quoi serait héroïque la prière d'un mourant qui demande le pardon pour Ses meurtriers, si ces derniers sont innocents ? La vérité est donc certainement tout autre. Que les soldats romains n'aient pas reconnu le Christ pour tel, passons... ; que Pilate ne l'ait pas reconnu non plus, malgré son pressentiment que quelque chose de divin se cachait en ce Juste comme l'en avait d'ailleurs averti sa femme, Claudia Procula, passe encore ; mais que la foule ne L'ait pas reconnu pour le Christ, j'en doute fort, car c'est au milieu de cette même foule, de ce peuple que depuis trois années Il vivait et prêchait ; de cette foule et de ce peuple témoin de la guérison de tant des siens, témoin par deux fois du prodige de la multiplication des pains ; de cette foule et de ce peuple qui, quelques jours auparavant et de concert avec ses petits enfants et tant de gens venus à Jérusalem pour la Pâque l'avait acclamé comme Messie... Que les chefs religieux d'Israël ne L'aientpas reconnu, ou plutôt qu'Il ne se soit pas fait suffisamment et clairement connaître, est abso-lument à rejeter. Plusieurs fois en effet le Christ avait affirmé être le Messie, avait affirmé Sa divinité, et pas seulement par des paroles. Ses prodiges inouïs en étaient une affirmation implicite : la guérison par exemple de l'aveugle de nais-sance, la résurrection de Lazare. Mais il y a plus : car devant leur méchante obstination à fermer les yeux à la lumière du soleil, c'est bien clairement que le Christ avait déclaré être le Messie et le Fils de Dieu.

Mais pour qu'aucun doute ne subsiste sur ce point, il est opportun de rapporter ici dans son entier ce qui se passa entre Jésus et les Juifs lorsqu'ils Lui contestaient d'être Dieu, «Les Juifs donc l'entourèrent et Lui dirent : "Jusques à quand tiendras-Tu notre esprit en suspens ? Si Tu es le Christ dis-le-nous ouvertement" Jésus leur répondit. "Je vous parle et vous ne Me croyez pas ; les œuvres que Je fais au nom de Mon Père rendent témoignage de Moi ; mais vous ne croyez point parce que vous n'êtes pas de Mes brebis. Mes brebis écoutent Ma voix, Moi Je les connais et elles Me sui-vent, et Je leur donne la vie éternelle ; et elles ne périront jamais, et nul ne les ravira de Ma main. Quant à Mon Père, ce qu'Il M'a donné est plus grand que toutes choses, et personne ne peut le ravir de la main de Mon Père. Moi et Mon Père, Nous sommes une seule chose. Alors, les Juifs prirent des pierres pour Le lapider. Jésus leur dit : "J'ai fait devant vous beaucoup d'œuvres excellentes par la vertu de Mon Père ; pour laquelle de ces œuvres me lapidez-vous ? Les Juifs Lui répondirent : "Ce n'est pas pour une bonne œuvre que nous Te lapidons, mais c'est pour un blasphème, et parce que Toi, étant homme, Tu Te fais Dieu. Jésus leur répartit : "N'est-il pas écrit dans votre loi : "Je l'ai dit, vous êtes des dieux ?" Quand elle appelle dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée et que l'Ecriture ne peut être détruite, vous me dites à Moi que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde : "Tu blasphèmes", parce que J'ai dit : "Je suis le Fils de Dieu" ? Si Je ne fais pas les oeuvres de Mon Père, ne Me croyez pas. Mais si Je les fais, quand bien même vous ne voudriez pas Me croire, croyez aux oeuvres, afin que vous connaissiez et que croyiez que Mon Père est en Moi, et Moi dans Mon Père" (Jn X, 24-38). Cette démonstration de la Divinité que Jésus fit de Lui-même est si évidente que beaucoup vinrent à Lui disant : "Jean n'a fait aucun miracle. Mais tout ce que Jean a dit de Celui-ci était vrai. Et beaucoup crurent en Lui" (Jn X, 42).

IGNORANCE COUPABLE

N'importe qui peut fermer les yeux devant le soleil ; cela permet-il de dire que celui qui les ferme ignore la lumière de cet astre admirable et lumineux ? Si les Juifs demeurèrent dans leurs ténèbres (et encore, y sont-ils restés ?), une chose est certaine, ce fut par leur faute et leur obstination personnelles, et parce que, comme le dit le divin Maître : "ils aimèrent plus les ténèbres que la lumière pour cacher la méchanceté de leurs œuvres" (Jn III, 19). Une ignorance de ce genre, voulue obstinément, est-elle une excuse ? Dire par ailleurs que personne ne reconnut en Jésus ce qu'Il était vraiment sans qu'il y aille de Sa faute reviendrait à dire que Jésus ne prouva jamais suffisamment ni Sa messianité, ni Sa Divinité ; que c'est justement pour cela qu'Il fut tué par des gens ignorants pour lesquels ce qu'Il affirmait n'était que témérité. Voilà qui serait énorme et ferait vaciller le fondement même de toute l'apologétique chrétienne. Or, c'est tout le contraire ; Il montra, nous l'avons vu Evangile en main, qui Il était : le Fils de Dieu, c'est-à-dire en tout égal au Père qui est dans les cieux, suivant l'expression qu'Il employait Lui-même1. Mais les Juifs fermèrent les yeux car, comme Pilate le remarqua à plusieurs reprises, ce sont l'envie et autres passions qui les rendirent volontairement aveugles devant la lumière. Là-dessus tous sont d'accord, à commencer par saint Thomas d'Aquin (1225-1274), qui a écrit : "Omnia signa videbant in eo quae dixerunt futura prophetae (...) videbant enim evidentia signa divinitatis ipsius, sed ex odio et invidia Christi ea pervertebant ; et verbis ejus quibus se Dei Filium fatebatur, credere noluerunt" [Car ils voyaient en Lui tous les signes prédits par les prophètes (...) ils voyaient, en effet, les signes évidents de Sa divinité ; mais, par haine et par envie du Christ, ils en pervertissaient le sens et ils n'ont pas voulu croire aux paroles par lesquelles Il confessait qu'Il était le Fils de Dieu] (cf. Summae Theologica, III pars, q. 1 47, art. 5).

1 Saint LAURENT DE BRINDES, Opera omnia, vol. X, Pars t., Pataviie 1954, p. 652.

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On pourrait également consulter à ce propos notre Père Da Bergamo (op. cit., p. 234) qui montre clairement comment ce fut la faute des Juifs s'ils furent aveuglés. A ce sujet, les moralistes savent et enseignent qu'il existe une double igno-rance : une invincible, par conséquent non coupable ; l'autre vincible, et donc coupable, crasse, supine ou, comme ils disent, affectée. Il est évident, comme l'affirme encore saint Thomas, que l'ignorance des Juifs était vincible, supine, crasse, affectée et, que de ce fait ils étaient coupables. On ne leur fait donc aucune injure en les appelant déi-cides, puisqu'ils ont tué Celui qui s'était déclaré et avait démontré être vrai Dieu et vrai homme (Voyez les moralistes et relisez l'Evangile à ce propos ; cf. LE CAMUS, Vie de Jésus-Christ, vol. 3, pp. 270-273 ; G. PAPINI, Storia di Cristo, vol. 2, pp. 404-405, et d'autres ayant écrit sur la question). Comparer le meurtre de Jésus par les Juifs à celui de Socrate par les Grecs, à celui d'Abraham Lincoln par les Américains, et à celui d'Humbert Ier de Savoie par les Italiens est tout à fait ridicule et sans aucune consistance logique. Mis à part le fait que l'auteur de ce rapprochement et de cette confrontation n'a que le seul et infime mérite d'avoir copié et amplifié ce qu'avait écrit avant lui le juif J. Klausner, auquel chrétienne-ment le Père Vosté trouve des excuses (op. cit., pp. 141-142, n. 1), le peuple grec ne fut pas promoteur de la mort de Socrate ; pour tuer Lincoln, G. Booth ne demanda pas non plus la permission aux Américains ; et pour tuer le "Bon Roi", Bresci ne fut pas de mèche avec les Italiens. Tant il est vrai qu'à cause de son crime Booth fut fusillé et Bresci condamné à la prison à perpétuité avec le plein consentement du peuple américain et italien. Comment est-on arrivé à faire de tels rapprochements ? On n'arrivera jamais à le comprendre vraiment. De plus, ni Socrate, ni Lincoln, ni Humbert Ier1 de Sa-voie ne sont comparables en aucune façon au Christ : car non seulement tout ce qui concerne le Christ avait été prédit au peuple juif longtemps auparavant par les prophètes, mais encore le Christ a prouvé avec une évidence accablante Sa mission divine de Messie et Son infinie dignité de Fils de Dieu, venu parmi les hommes pour les racheter du péché et de l'esclavage de Satan. Et, comme nous l'avons déjà relevé, maintes fois Il a dans ce but invité Ses ennemis à relire et à méditer ces mêmes Saintes Ecritures en lesquelles ils mettaient toute leur espérance et leur salut. Jésus disait en effet, comme le rapporte saint Jean : «Scrutez les Ecritures puisque vous pensez avoir en elles la vie éternelle, car ce sont elles qui rendent témoignage de Moi. Mais vous ne voulez pas venir à Moi pour avoir la vie» (Jn V, 39-40). «Si Je n'étais pas venu et que Je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient point de péché ; mais maintenant, ils n'ont point d'excuse de leur péché. Celui qui Me hait, hait aussi Mon Père. Si Je n'avais pas fait parmi eux les œuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient point de péché ; mais maintenant et ils les ont vues, et ils ont haï et Moi et Mon Père. Mais c'est afin que s'ac-complisse la parole qui est écrite dans leur Loi : "Ils M'ont haï gratuitement"» (Jn XV, 22-25).

QUI DONC A TUE LE CHRIST ?

Pour nous, il n'existe et ne peut exister aucun doute : ce sont les Juifs qui ont tué le Christ. Mais alléguant ce que dit Jésus dans le jardin de Gethsémani : "C'est assez, l'heure est venue ; voici que le Fils de l'Homme va être livré aux mains des pécheurs" (Mc XIV, 41), nos adversaires croient pouvoir s'en tirer en affirmant : "Puisque nous sommes tous pécheurs, nous L'avons tous tué". Voilà qui est passer ici brutalement de l'ordre historique à l'ordre moral et mystique. Il est vrai que tous nous sommes pécheurs et que, comme tels, nous avons participé à la mort du Christ venu sur la terre justement pour sauver les pécheurs et mort pour les pécheurs ; cela ne fait aucun doute. Mais on ne peut néanmoins af-firmer que tous les pécheurs L'ont tué de leurs propres mains, L'ont conduit à Pilate et ont demandé Sa mort avec ins-tance. Et en effet dire que le Christ est mort pour sauver tous les pécheurs est une chose ; une autre est d'affirmer que tous les pécheurs L'ont tué en insistant comme des forcenés pour que Pilate Le condamne à mort, Le remette entre leurs mains et à la merci de leur volonté perverse, tyrannique et sanguinaire exigeant à plusieurs reprises le supplice de la croix... Qu'Il soit mort pour les pécheurs est une vérité si rebattue dans la Foi des chrétiens que cela ne vaut même pas la peine de le prouver ; en font foi les textes bibliques bien connus du prophète Isaïe (Is. LIII, 4-5), l'autorité de saint Paul (Rom. V, 5-8), et tant d'autres témoignages qui abondent dans les Livres Saints et toute la littérature chrétienne dogma-tique, morale, ascétique et mystique.

Mais la question, nous le répétons, est tout autre, et voici comment elle doit être posée : qui est, historiquement, l'au-teur de la mort du Christ pour avoir réclamé cette mort par tous les moyens, pour être allé jusqu'à menacer Pilate de l'ac-cuser devant l'Empereur, pour avoir provoqué la sédition populaire ? Posée de cette manière la question ne peut avoir qu'une unique réponse : seuls les Juifs ont été la cause de la mort de Jésus. Et de fait, ce sont eux qui Le persécutèrent et Lui tendirent toutes sortes d'embûches durant Sa vie entière, interprétant diaboliquement Ses miracles les plus écla-tants ; ce sont eux qui s'obstinèrent à ne pas voir la lumière émanant de la parole et de la vie du Christ. Ce sont eux qui se servirent de Judas pour Le capturer dans le jardin de Gethsémani ; ce sont eux qui envoyèrent la flicaille dans la nuit fatale. Ce sont eux qui Le conduisirent au tribunal ; qui en réclamèrent instamment la mort, et à plusieurs reprises, soule-vant le peuple contre Lui et menaçant le juge Pilate. Tout ceci est historique et s'impose comme un axiome mathéma-tique à quiconque lit et n'a pas la volonté a priori de refuser l'Évangile. Quant au texte sur lequel s'appuient nos adver-saires ("C'est assez, l'heure est venue ; voici que le Fils de l'Homme va être livré aux mains des pécheurs"), si l'on y ré-fléchit bien, il a le même sens et équivaut à ces paroles : "C'est assez ; l'heure est venue ; voici que le Fils de l'Homme va être livré - comme Il fut livré de fait - dans les mains des Juifs, c'est-à-dire du Sanhédrin, et du peuple juif qui Le conduisit ensuite devant les juges et en demanda la mort publiquement, avec insistance et menaces, mort qu'Il obtint seulement à ce cri : "que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants !" Il suffit de lire tout le chapitre XIV de saint Marc. Il suffit en-core de revoir la triple prédiction de cette même Passion et Mort de Jésus (première prédiction : Lc IX, 32 ; Mc VIII, 31-33 ; Matth. XVI, 21-23 ; seconde prédiction : Lc IX, 43-45 ; Mc IX, 30-35 ; Matth. XVII, 22-23 ; troisième prédiction : Lc XVIII, 31-34 : Mc X, 32-34 ; Matth. XX, 17-19). Voilà pourquoi saint Augustin a écrit, évidemment à la lumière des textes évan-géliques : "Les Juifs voulaient faire retomber toute l'iniquité de ce crime sur un juge homme ; mais pouvaient-ils tromper le Juge Dieu ? Pilate, en faisant ce qu'il fit, participa certainement au mal, mais il fut bien moins coupable qu'eux. A la vé-

1 P. MARIANO, op. cit., p.12.

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rité, il insista comme il put pour libérer Jésus de leurs mains et, dans ce dessein, il Le fit flageller. Il flagella le Seigneur non pour Le persécuter, mais comme pour saturer la fureur des Juifs ; il espérait qu'à cette vue leur colère tomberait, et qu'ils ne voudraient plus tuer Celui qu'ils voyaient flagellé. Mais comme ils persévéraient, il se lava les mains en se décla-rant innocent de Sa mort. Néanmoins, il Le condamna. Or, si celui qui L'a condamné, ayant la main forcée, est coupable, ceux qui L'ont forcé à Le condamner sont-ils donc innocents ? Certes non ! Mais il proféra contre Jésus la sentence, et, en commandant qu'Il fut crucifié, ce fut presque comme s'il Le tua lui-même. Et vous, ô Juifs, vous aussi, vous L'avez tué. Comment L'avez-vous tué ? Avec l'épée de la langue. Vous avez aiguisé vos langues en effet, et vous L'avez tué en criant : "Crucifiez-Le, Crucifiez-Le !"1.

Ajouter autre chose à l'affirmation décisive de saint Augustin qui n'est d'ailleurs que la voix de tous les Pères et Doc-teurs des siècles chrétiens, semble superflu. Toutefois, nous ne voulons pas renoncer à une dernière considération : si les Juifs, le peuple et ses chefs n'avaient pas vraiment tué le Christ, quel sens pourrait avoir cette série bien connue de reproches, les Impropères, qui sont lus dans la Liturgie du Vendredi Saint ? Dieu Lui-même y reproche au peuple juif toutes ses ingratitudes et scélératesses, ainsi que le crime impie de L'avoir pendu à une croix, après avoir reçu de Lui tant de bienfaits tout au long des siècles de l'histoire juive. Nous prions nos lecteurs de relire et de méditer tous ces textes à la lumière des faits, et non des rêves plus ou moins compatissants envers le peuple juif ; car, comme il a été dit justement en cette année 1960 : "La plus grande responsabilité morale de l'inique procès et de l'abominable déicide re-vient au peuple élu. Ses chefs prirent l'initiative, manigancèrent et complotèrent ; le peuple le seconda"2.

LE MEURTRE DU CHRIST DANS LES ACTES DES APOTRES

C'est dans le livre inspiré des Actes des Apôtres que la mort violente du Christ est présentée le plus explicitement et publiquement comme le plus inique et horrible crime du peuple juif et de ses chefs. Il suffit d'en parcourir certains chapitres où le tragique événement du Calvaire y est rapporté avec les expressions les plus claires, spécialement par les Apôtres Pierre et Paul, et par le premier martyr saint Etienne. Avant d'en faire le compte rendu, remarquons que toutes les fois que l'on y parle de la mort du Christ, on y rappelle également la façon dont Il triompha par Sa Résurrection glo-rieuse de la mort elle-même et de toutes les embûches de Ses ennemis. Voici donc ce que déclarait saint Pierre au jour de la Pentecôte : «Hommes d'Israël, écoutez ces paroles : Jésus de Nazareth, homme que Dieu a autorisé parmi vous par les miracles, les prodiges et les merveilles que Dieu a faits par Lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes ; cet homme qui suivant le conseil arrêté et la prescience de Dieu a été livré, vous L'avez fait mourir, Le tourmen-tant par les mains des méchants. Dieu L'a ressuscité, Le délivrant des douleurs de l'enfer ; car il était impossible qu'Il y fût retenu» (Act. II, 22-24). Et encore : «Qu'elle sache donc très certainement, toute la maison d'Israël, que Dieu a fait Sei-gneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié» (Act. II, 36). Et le premier Apôtre et premier Pape redit la même chose après la guérison de l'estropié à la porte du temple de Jérusalem : «Hommes d'Israël, pourquoi vous étonnez-vous de ceci, ou pourquoi nous regardez-vous comme si c'était par notre vertu ou par notre puissance que nous avons fait mar-cher cet homme ? Le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, le Dieu de nos pères a glorifié Son Fils Jésus, que vous avez, vous, livré et renié devant Pilate, quand il jugeait lui-même de Le renvoyer. Car c'est vous qui avez renié le Saint et le Juste, et qui avez demandé qu'on vous remît [en liberté] un meurtrier ; et vous avez même tué l'Auteur de la vie, que Dieu a ressuscité d'entre les morts, ce dont nous sommes témoins» (Act. III, 12-15). "Alors, rempli de l'Esprit-Saint, Pierre leur dit : Princes du peuple et vous, anciens, écoutez. Puisque aujourd'hui nous sommes jugés à cause d'un bienfait en faveur d'un homme infirme, et à cause de celui en qui il a été guéri, qu'il soit connu de vous tous et de tout le peuple d'Israël, que c'est au Nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ de Nazareth, que vous avez crucifié, et que Dieu a ressuscité des morts ; c'est par Lui que cet homme est ici devant vous debout et saint. Ce Jésus est la pierre qui a été re-jetée par vous qui bâtissez, et qui est devenue un sommet d'angle" (Act. IV, 8-11). Puis Pierre et les Apôtres répondent : "Il faut plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus que vous-même, vous avez fait mou-rir, Le suspendant à un bois" (Act. V, 29-30). Puis c'est saint Etienne, qui, à son tour, reproche aux Juifs d'avoir tué le Christ comme ils avaient tué les Prophètes prédisant ce meurtre. Voici comment il parle à ceux qui le lapident : "Il en est de vous comme de vos pères. Lequel des prophètes vos pères n'ont-ils pas persécuté ? Ils ont tué ceux qui prédisaient l'avènement du Juste, que vous venez de trahir et dont vous êtes les meurtriers" (Act. VII, 51-52). Après le Protomartyr, c'est de nouveau le premier Apôtre et premier Pape qui nous parle du meurtre du Christ perpétré par les Juifs : "Vous sa-vez, vous, - dit-il aux Juifs - ce qui est arrivé dans toute la Judée, en commençant par la Galilée après le baptême que Jean a prêché ; comment Dieu a oint de l'Esprit-Saint et de vertu Jésus de Nazareth, qui a passé en faisant le bien, et guérissant tous ceux qui étaient opprimés par le diable, parce que Dieu était avec Lui. Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu'Il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem, ce Jésus qu'ils ont tué, Le suspendant à un bois. Mais Dieu L'a ressuscité le troisième jour" (Act. X, 37-41). A tous ces témoignages ultra-convaincants, ajoutons seulement celui de l'Apôtre Paul : "Car, frères, vous êtes devenus les imitateurs des Eglises de Dieu qui sont en Judée, unies au Christ Jé-sus, puisque vous avez souffert de ceux de votre nation ce qu'elles ont souffert elles-mêmes des Juifs, qui ont tué même le Seigneur Jésus et les prophètes ; qui nous ont persécutés ; qui ne plaisent point à Dieu, et qui sont ennemis de tous les hommes ; nous empêchant de parler aux nations pour qu'elles soient sauvées, afin de combler toujours la mesure de leurs péchés ; car la colère de Dieu est venue sur eux jusqu'à la fin" (I Thess. II, 14-16).

Qui donc a tué le Christ ? Les paroles de saint Pierre, de saint Paul et de saint Etienne sont unanimes et devraient suffire, il me semble, à convaincre quiconque le veut bien ou a cru le contraire : le Christ a été trahi, tué et crucifié par le peuple juif et ses chefs. Et plus qu'aucun autre évidemment s'impose le témoignage des Actes des Apôtres rapporté ici. Il

1 SAINT AUGUSTIN, Commentaire du psaume LXIII ; cf. Docteur P. BARBET, La Passion de N.-S. Jésus-Christ selon le chirurgien, Ed. Paulines Apostolat des Editions, 1977 Paris, p. 248 ; SAINT JEAN CHRYSOSTOME, Hom. 82 in Mt. 2 Gesù Cristo, Guida per il primo corso di cuit tira religiosa dell'A. C. I., Cenac. 1960, p. 268.

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est vraiment décisif, absolu et irréfragable sur le meurtre du Christ par les Juifs. Ce n'est pas seulement un témoignage inspiré ; il porte avec lui la certitude historique1, et, de ce fait, exige l'assentiment de tous : croyants et non-croyants, Chrétiens et Juifs, dans la mesure où ils n'oublient ni la qualité des personnes qui rendent ce témoignage, ni les diverses circonstances dans lesquelles il est donné. Ceux qui dénoncent ce crime énorme de déicide avec une telle assurance sont en effet des témoins de premier plan et ils le dénoncent sur la place publique, dans le temple de Jérusalem, en pré-sence de plusieurs milliers de personnes et des chefs memes de la nation. Et pourtant aucun des auditeurs ne réagit, ne nie ce fait si atroce du meurtre du Messie, de la crucifixion de Jésus que Pierre nomme sans crainte "Auteur de la vie" ! (Act. III, 15) ; entendant Pierre accuser toute la maison d'Israël d'avoir crucifié Jésus, loin de se révolter contre lui, ils sont au contraire convaincus de leur énorme péché, ils sont "touchés de componction" et demandent à Pierre lui-même et aux autres Apôtres : "Hommes, mes frères, que ferons-nous ? Et Pierre leur répondit : "Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, en rémission de vos péchés ; et... sauvez-vous de cette génération perverse". Et, ce jour-là, le nombre des disciples s'augmenta de trois mille personnes environ" (Act. II, passim).

Dans ces faits et autres semblables, deux choses apparaissent sûres et certaines : 1) Pierre parle devant la foule du peuple et l'accuse d'avoir tué l'Auteur de la vie (c'est-à-dire Jésus Homme-Dieu) ; 2) la foule et ses chefs ne nient pas le fait, mais demandent ce qu'ils doivent faire pour échapper à la vengeance divine. Ce comportement de la part du peuple et de ses guides spirituels confirme de toute évidence ce que Pierre affirme au sujet de la responsabilité des Juifs dans la crucifixion et la mort du Christ. Voilà qui est clair et pas bien difficile à comprendre. Et pourtant, aujourd'hui il en est qui se demandent : "Pourquoi le peuple juif est-il appelé peuple déicide", (cf. in Palestra del Clero, art. cit., p. 975 ; R MARIANO, op. cit.). La réponse à cette demande insistante des Juifs et des non-Juifs des temps actuels est évidente : saint Pierre, premier Apôtre et premier Pape lui appliqua ce terme [peuple déicide], sans que le peuple et ses chefs ne nient son affirmation lorsque, voyant cette grande foule, il dit entre autres : "Hommes d'Israël (…) le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères a glorifié Son Serviteur Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate, alors qu'il était d'avis qu'on le relâcha. Vous, vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez sollicité la grâce d'un meurtrier ; et vous avez tué l'Auteur de la vie" (et tuer l'auteur de la vie est la même chose ici que tuer Jésus Homme-Dieu ; n.d.r.), alors comment s'étonner que cette affirmation ait été répétée à travers l'Histoire ? (Act. III, 12-15). On pourra peut-être discuter de l'opportunité de reprocher au peuple juif en telle ou telle circonstance l'énorme crime du déicide, mais affir-mer ou, encore moins, écrire que ce crime n'a jamais été commis par le peuple juif, personne ne le peut, en au-cun cas. La charité peut suggérer parfois de se taire, mais "vérité oblige" : personne ne doit la trahir chaque fois qu'il est nécessaire de parler ou d'écrire sur ce sujet, comme sur tout autre d'ailleurs.

LE NOUVEAU PEUPLE ÉLU

Mais les adversaires de notre thèse insistent, répétant que, malgré le meurtre du Christ, le peuple juif n'a jamais été rejeté par Dieu, que la destruction de Jérusalem et du Temple ne fut pas un châtiment infligé par Dieu pour l'horrible déi-cide de Son Fils envoyé sauver la maison d'Israël ; que la prédiction qu'en fit Jésus n'était que cela, sans plus, comme nous l'avons dit plus haut.

Qu'il en est tout autrement, bien au contraire, nous l'avons déjà démontré, spécialement dans les deux chapitres intitu-lés Valeur et conséquence de la phrase "Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" et Le peuple juif réprouvé par Dieu, rapportant et annotant ce qui est dit dans l'Evangile, et ce que les exégètes anciens et modernes ont écrit au sujet de cette phrase. Il nous semble donc superflu d'insister là-dessus. Une chose nous paraît plus utile : chercher plutôt à comprendre comment il a pu se faire que le peuple juif rejette le Christ et soit, à son tour, rejeté par Dieu en tant que peuple et race élus. Voici de quelle manière Mgr E. Le Camus répond à cette question : «Israël rêvait à un Messie ter-restre. C'était une révolution politique qu'il souhaitait, et non une transformation religieuse. Ce qui n'allait qu'à l'âme ne le touchait guère. Ayant placé son idéal messianique dans l'apparition d'un roi conquérant, qui régnerait sur tout l'univers, il était incapable de Le reconnaître dans le fondateur pacifique d'une religion nouvelle ; d'autant que cette religion, univer-selle comme la vérité, devait - et c'était là la pierre d'achoppement - être pour le monde entier. Le peuple juif dans son égoïsme, voulait un Sauveur exclusivement Juif. Un Messie plus humanitaire que national, n'apportant que des biens d'un ordre invisible et tout spirituel, ne pouvait être le Messie : tel était le raisonnement qui prévalait à Jérusalem. Devant de semblables préjugés, les œuvres, les paroles, la toute-puissance, l'absolue sainteté de Jésus n'étaient rien, et ne prouvaient rien. C'est ainsi que l'on courait au dénouement fatal : Israël, rejetant son Christ, sera lui-même rejeté ; il le mettra à mort, et il se sera lui-même exterminé»2. Et encore : «Rien, en effet, ne manqua à leur crime pour être inexcu-sable : ni, de leur côté, la malice, ni, de la part de Dieu, la bonté patiente et prévenante. Pour nous en remettre les preuves sous les yeux, saint Jean résume les déclarations formelles que Jésus leur avait faites. Elles étaient complètes comme clarté et comme autorité. "Il avait dit assez haut pour se faire entendre : Qui croit en Moi, croit en réalité non en Moi, mais en Celui qui M'a envoyé ; et qui Me regarde, regarde Celui qui M'a envoyé". Car, ainsi que nous l'avons obser-vé si souvent, Jésus avait, par Ses miracles, prouvé que Sa cause était celle de Dieu, et qu'Il ne faisait réellement qu'un avec Son Père. En dehors de Lui, le Docteur envoyé du ciel vers les hommes, il n'y avait que ténèbres. Un coup d'œil je-té sur le monde suffisait à le démontrer. (...) Aussi, malheur à qui s'est obstiné à ne pas reconnaître le divin Docteur, et à fermer les yeux devant Sa glorieuse manifestation ! Les incrédules ont appris de Sa propre bouche le sort qui les attend : "Si quelqu'un, a-t-il dit, écoute Mes paroles et ne les garde pas, ce n'est pas Moi qui le juge ; car Je ne suis pas venu ju-ger le monde, mais le sauver. Qui Me rejette et n'accueille pas Mes discours, a déjà son juge : la parole que J'ai annon-cée le jugera elle-même au dernier jour" (...) Malgré tout cela, Israël est demeuré insensible, opiniâtre, hostile. En vain, selon la prophétie d'Isaïe invoquée par saint Paul, Dieu, tout le jour, durant le temps du ministère de Son Fils, lui a-t-Il

1 Saint JÉROME, De Scriptoribus Ecclesiasticis, ch. 77. 2 Mgr LE CAMUS, op. cit., tome III, p. 153.

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tendu les bras. Il n'a provoqué que son incroyance et son opposition. Lassée de le poursuivre, la grâce le livre enfin à ses instincts criminels, et nous allons le voir commettre de sang-froid l'ingratitude la plus révoltante, le crime le plus odieux, le sacrilège le plus exécrable qui puissent souiller la mémoire d'un peuple. De telle sorte que le châtiment divin, si terrible soit-il, demeurera encore au-dessous de la faute»1.

Il n'y a donc aucun doute, en tant que peuple élu de Dieu, le peuple juif a bien été rejeté désormais par Dieu, pour avoir lui-même rejeté auparavant l'Envoyé de ce même Dieu. C'est pourquoi un autre peuple est né et a pris sa place : le peuple des élus, ou mieux des enfants de Dieu. Ceux-ci, comme l'écrit saint Jean, sont devenus tels non par le "sang, ni par la volonté de la chair, ni par la volonté de l'homme", mais parce qu'ils ont accueilli le Fils de Dieu, et cru en Lui, et à cause de cela, eux-mêmes "sont nés de Dieu" (Jn I, 12-13). C'est alors que s'est formé le nouveau peuple élu, peuple que le Christ s'est acquis, a conquis : tous, Juifs ou Gentils, pourront en faire partie pourvu qu'ils accueillent et écoutent la parole du Christ et entrent dans Son troupeau, troupeau dont Il est le Pasteur éternel et à la tête duquel Il a mis Pierre, puis chacun de ses successeurs, comme Maître, Modérateur suprême et Pasteur visible pour conduire les agneaux et les brebis aux pâturages de la vie. Tel est le nouveau peuple élu dont peuvent faire partie tous les hommes, quelle que soit leur race, quelle que soit la couleur de leur peau, puisque désormais, comme l'écrit saint Paul, "il n'y a point de distinction de juif et de grec, parce que c'est le même Seigneur de tous, riche pour tous ceux qui L'invoquent. Car quiconque invo-quera le nom du Seigneur sera sauvé" (Rom. X, 12-13). Cependant, l'Apôtre continue : "Car vous êtes tous enfants de Dieu par la Foi dans le Christ Jésus. Car vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez été revêtus du Christ. Il n'y a plus ni juif ni grec ; plus d'esclave, ni de libre ; plus d'homme, ni de femme. Car vous n'êtes tous qu'une chose dans le Christ Jésus. Et si vous êtes tous au Christ, vous êtes donc la postérité d'Abraham, héritiers selon la promesse" (Gal. III, 26-29).

Ce n'est donc pas la race ou le sang d'Abraham qui forme désormais le peuple élu, mais bien l'appartenance au Christ au moyen du baptême, et c'est Son esprit qui rend vrais fils d'Abraham et héritiers "selon la promesse". Telle est la lo-gique paulinienne qu'il n'est pas permis de fuir. Bref : "avec la chute de la cité sainte et de son Temple, prenait fin la mission du Judaïsme comme unique vraie religion révélée par Dieu, pour céder la place à la nouvelle religion, le christianisme"2. Cependant Mgr Le Camus ajoute cette remarque : «Au reste, tout Israël n'a pas rejeté son Messie, et l'évangéliste se plaît à reconnaître que, même parmi les chefs du peuple, plusieurs avaient cru en Lui. (...) Ils se levèrent, en effet, après la Pentecôte, hardis et vaillants comme des lions, ces hommes pusillanimes et hésitants qui intérieure-ment avaient reconnu la mission divine de Jésus ; et arrachant, pour ainsi dire, des mains des bourreaux la croix encore sanglante, ils allèrent la promener dans l'univers entier, répétant le mot du centurion : "Oui, ce crucifié, c'était le Fils de Dieu !". Le groupe qu'ils formaient, et qui devint l'Église, fut le véritable Israël des promesses divines. Les autres de-meurèrent l'Israël de la réprobation, et ils l'avaient bien mérité»3.

Sur ce sujet de la réprobation d'Israël et du nouveau peuple élu existe une étude de D. Judant intitulée Les deux Israël qui mérite d'être lue ; on la trouvera mentionnée dans la bibliographie. Certains chapitres surtout présentent un très grand intérêt : le IIIè ("Israël et Jésus") ; le Vlè ("L'Eglise a hérité des privilèges d'Israël") ; le VIIè ("Israël a perdu ses privilèges"), et le VIIIè ("La transformation de l'Alliance" ; pp. 33 s ; 111 s ; 151 s).

SAINT LAURENT DE BRINDES ET LA RESPONSABILITÉ DES JUIFS DANS LA MORT DU CHRIST

Dans son Opera Omnia, Saint Laurent de Brindes (1559-1619) parle à plusieurs reprises de la mort du Christ et des Juifs en tant que principaux acteurs de cette mort4. Pour notre part, nous nous référerons uniquement à ce qu'il affirme dans le Vè volume (parties I, II et III de cette œuvre). Il y affirme clairement que c'est l'ambition et l'avarice des Juifs, qui les perdirent (I, 341 ; II, 61) malgré l'admiration qu'ils avaient pour la doctrine du Christ (II, 356-357). C'est ainsi qu'aveuglés par un juste châtiment de Dieu, ils ne crurent pas dans le Christ malgré tous les miracles dont ils furent té-moins (I, 71 ; II, 240, 359, 390). Ils méprisèrent au contraire le Christ Lui-même (III, 140), ils Le haïrent (I, 492, 515), allant même jusqu'à vouloir Le tuer (II, 43). Dans la dureté de leur cœur, ils raillèrent et calomnièrent Ses miracles (I, 335 ; II, 136, 364, 390) pour en arriver à cette folie incroyable et inouïe de demander la libération de Barabbas et la mort du Christ (III, 302). Ce n'est donc que justice s'ils furent condamnés par Dieu (II, 53) et qu'en châtiment de leur impiété ils périrent dans le massacre de Jérusalem (I, 55) survenu quarante ans après la mort du Christ (III, 359) ; que, toujours en punition de ce crime, ils furent emmenés en esclavage perpétuel (II, 392 ; III, 292), esclavage bien pire que n'avait été l'esclavage babylonien, lui-même pire déjà que celui d'Egypte (I, 337). C'est parce qu'Il dénonça et condamna leurs vices (III, 1) que les Juifs haïrent le Christ. Car ils étaient ambitieux et avares (III, 168, 180). Ils tentèrent de lapider le Christ (III, 7, 272). Car ils étaient remplis d'esprit diabolique (III, 32, 70, 122). Ils avaient une volonté dépravée (III, 180). Ignorant Sa Di-vinité (III, 14), ils ne Le crurent pas et Le tuèrent (III, 37, 104, 123, 176, 267) par suggestion des démons (II, 332), parce qu'ils craignaient l'avènement de Son règne (II, 361). Mais le Christ ayant non seulement déclaré être Dieu et vrai Fils de Dieu mais ayant confirmé cette affirmation par l'évidence de Ses œuvres prodigieuses (III, 104), l'ignorance de Sa Divini-té de la part des Juifs n'était pas de pure négation mais au contraire d'affection perverse, c'est-à-dire qu'elle prenait ori-gine dans leur volonté dépravée et perverse (I, 342). Et, affirme le saint Docteur, cette ignorance par affection perverse, "cause de tous les maux", fut aussi cause de ruine pour les Juifs et c'est elle qui les retient encore hors de l'Eglise hors de laquelle on ne peut espérer le salut. En d'autres termes : l'ignorance des Juifs lorsqu'ils demandèrent et imposè-rent la mort du Christ à Pilate fut pleinement coupable. «En effet, si beaucoup ne veulent pas entendre la vérité, dit saint Laurent, c'est seulement à cause de l'affection perverse de l'esprit ou de la volonté. Ainsi le débauché ne veut pas comprendre la dignité de la chasteté, l'ambitieux ne veut pas comprendre la gloire de l'humilité. C'est pourquoi le Christ 1 Ibid., tome III, pp. 157-158. 2 P. E. DI ROVASENDA 0.P., in Il Qttotidiano, 19 novembre 1960, p. 3. 3 Mgr LE CAMUS, op. cit., vol. III, pp. 156-157. 4 Saint LAURENT DE BRINDES, op. cit., vol. X, P. I, pp. 648-658

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dit aux Juifs : "Comment pourriez-vous croire, vous qui tirez votre gloire les uns des autres et qui ne recherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul ?" (Jn V, 44)». «Donc - conclut le saint Docteur - ayant dépravé leur intelligence par l'avarice et l'ambition, ils ne reconnurent pas le Christ, ce pour quoi ils furent justement punis. C'est ce qu'a dit Isaïe : "Israël ne Me connut pas (...), Mon peuple n'a pas eu d'intelligence. Oh ! peuple pécheur...". C'est ainsi que le prophète prédit le misé-rable esclavage dans lequel se trouve la malheureuse Synagogue : "C'est pour cela que Mon peuple a été emmené captif pour son inconséquence" (Is. V, 13)» ; parce qu'il n'a pas connu le Christ. En effet, le Christ Lui-même dit en prédisant le massacre de Jérusalem : "Parce que tu n'as pas connu le temps où tu as été visitée (..). Si tu connaissais, toi aussi, au moins en ce jour qui t'est encore donné, ce qui importe à ta paix !" (Le XIX, 44, 42) (I, 341, 342). Mais cette ignorance n'étant pas de pure négation comme nous l'avons dit plus haut mais d'affection perverse, aucune excuse ne peut être alléguée pour atténuer la faute des Juifs dans la mort du Christ. Ils Le tuèrent par crainte de Son règne, perdant ainsi leur propre règne (III, 170, 176, 178). Et pourtant, «encore aujourd'hui ils se montrent perfides et incrédules» (III, 62). Pour toutes ces raisons, et d'autres que nous omettons ici, dit le saint Docteur, la misérable et malheureuse Synagogue fut condamnée et réprouvée par Dieu et à sa place fut élu un autre peuple, qui forme l'Église dans laquelle entrera la mul-titude des nations païennes (I, 338). «La loi de Moïse ne fut donnée qu'au peuple juif peuple élu de Dieu, et pour cela sé-paré de toutes les autres nations. Mais lorsque Jésus-Christ vint bouleversant la ville entière, c'est à tous les peuples qu'Il donna la loi : "Prêchez l'Évangile à toute créature", c'est-à-dire à tout homme ; car Il dit : "Ma maison est une maison de prière pour toutes les nations" (I, 313, 314)». Par conséquent le peuple juif, autrefois l'élu, ne l'est plus maintenant puis-qu'à sa place ont été appelées toutes les nations auxquelles le message évangélique a été annoncé par l'intermédiaire des Apôtres et de ceux qui leur succèdent tout au long des siècles, continuant la mission. Dans ce peuple nouveau, élu par la foi qu'il reçoit dans le Christ, tout individu, même du peuple juif, peut s'intégrer pourvu qu'il accepte le message lui-même, reconnaisse que le Christ est le vrai Messie et qu'en Lui seul se trouve le salut, comme le dé-clara jadis saint Pierre au peuple juif qui l'écoutait à Jérusalem (Act. IV, 12).

SAINT PAUL ET LE RETOUR D'ISRAEL

Malgré le crime de déicide commis par le peuple d'Israël et ses chefs, Dieu, dans Son infinie Bonté, est toujours prêt à pardonner à quiconque revient à Lui, comme Il le fit pour saint Paul et pour beaucoup d'autres Juifs au cours des siècles. Toutefois, et nous devons le croire avec saint Paul, pour ce qui est du peuple dans son ensemble, c'est-à-dire de la masse, de toute la race juive, ce ne sera qu'à la fin des siècles, après l'entrée dans le royaume de Dieu de la totalité, mo-ralement entendue, des Gentils qu'il ne retournera effectivement à Dieu et à Son Messie ; il L'acclamera alors, Jésus le dit Lui-même, comme Il l'avait déjà fait un jour et avec les mêmes paroles emphatiques : "Béni soit Celui qui vient au Nom du Seigneur". Dans les chapitres IX, X et XI de l'Epître aux Romains, saint Paul, désolé de ce que les Juifs ne parvien-nent pas au salut, enseigne en effet ce qui suit :

1) Le salut ne vient pas de la descendance, il est un don de Dieu, "car ceux qui viennent d'Israël ne sont pas tous israélites ; ni ceux qui naissent de la descendance d'Abraham ne sont pas tous ses enfants".

2) Dieu n'est pas injuste en sauvant qui Il veut, car Il a dit à Moïse : "Je ferai miséricorde (le salut est toujours miséri-corde de la part de Dieu) à qui Je veux faire miséricorde, et J'aurai compassion de qui Je veux avoir compassion" (Rom. IX, 15).

3) Les Gentils entrent dans le royaume de Dieu tandis qu'un grand nombre de Juifs en sont exclus. On lit, en effet, dans Osée : "Celui qui n'était pas Mon peuple, Je l'appellerai Mon peuple" (Rom. IX, 25).

4) Israël commit une faute en s'obstinant à ne pas croire à la prédication de l'Evangile à laquelle le peuple gentil, au contraire prêta foi. «Israël, en recherchant la loi de justice, n'est point parvenu à la loi de justice. Pourquoi ? Parce que ce n'est point par la foi, mais comme par les œuvres qu'ils L'ont recherchée ; car ils se sont heurtés contre la pierre d'achop-pement (le Christ), comme il est écrit : "Voici que Je mets dans Sion une pierre d'achoppement et une pierre de scandale; et quiconque croit en Lui ne sera pas confondu"» (vv. 30-33). Saint Paul se désole donc de ce que les Juifs n'ont pas connu le Christ, aboutissement de la loi, et ont rejeté la Foi, unique voie de salut.

5) L'ignorance des Juifs est inexcusable. L'Apôtre dit en effet : «Bien que la prédication évangélique soit arrivée par-tout, bien que Dieu ait été trouvé par les païens, Il n'a pas été trouvé par Israël, dont Dieu se lamente par Isaïe en disant : "Tout au long du jour, Je tenais mes mains vers un peuple incrédule et rebelle" (Is. X, 21)». Toutefois :

6) Deux choses sont claires : a) Israël, dans son ensemble, c'est-à-dire en tant que peuple, n'a pas obtenu ce qu'il cherchait, c'est-à-dire le sa-lut ; b) ce qui n'enlève rien au fait que la partie élue de ce peuple l'a obtenu, et peut donc toujours l'obtenir.

C'est ce qui ressort avec évidence des paroles de saint Paul qui écrivait : «Qu'est-il donc arrivé ? Ce que cherchait Israël, il ne l'a pas trouvé ; mais ceux qui ont été choisis l'ont trouvé ; les autres ont été aveuglés, selon qu'il est écrit : "Dieu leur a donné jusqu'à ce jour un esprit de torpeur, des yeux pour ne point voir, et des oreilles pour ne point entendre". David dit encore : "Que leur table devienne pour eux lacet, piège, scandale et rétribution ; que leurs yeux s'obscurcissent pour qu'ils ne voient point, et faites que leur dos soit toujours courbé" (Rom. XI, 7-10)».

7) A la fin, après avoir été l'instrument de la conversion des gentils et une fois ceux-ci tous entrés dans le royaume de Dieu, le peuple juif reviendra (ce qui fut autrefois prédit par Isaïe et ce à quoi Jésus fait d'ailleurs explicitement allusion quand Il dit que les Juifs ne Le verront plus jusqu'à ce qu'ils L'acclament : "Béni soit Celui qui vient au Nom du Seigneur" Matth. XXIII, 38). Et voici qu'en cela également s'accomplira ce que dit Jésus : "Aussi, Je vous dis que beaucoup vien-dront de l'Orient et de l'Occident (...) ; tandis que les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures (...) et ce sont les derniers qui seront les premiers et ce sont les premiers qui seront les derniers" (Matth. VIII, 11-12 ; Lc XIII, 29-30). Et cette dernière affirmation est clairement enseignée par l'Apôtre qui conclut ainsi le chapitre XI de son Epître aux Romains : «Car je ne veux pas, mes frères, que vous ignoriez ce mystère (afin que vous ne soyez point sages à vos

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propres yeux) qu'une partie d'Israël est tombée dans l'aveuglement, jusqu'à ce que la plénitude des Gentils soit en-trée ; et qu'ainsi tout Israël soit sauvé selon ce qu'il est écrit : "Il viendra de Sion celui qui doit délivrer, et qui doit bannir l'impiété de Jacob ; et ce sera là Mon alliance avec eux quand J'aurai effacé leurs péchés". Il est vrai que, selon l'Evan-gile, ils sont ennemis à cause de Vous ; mais, selon l'élection, ils sont très aimés à cause de leurs pères parce que les dons et la vocation de Dieu sont sans repentir».

Il ne dit pas qu'Israël est toujours le peuple élu, comme on l'a entendu affirmer (cf. P. MARIANO, Il sangue di Lui). Il dit seulement qu'à cause de leurs Pères, Dieu continue à aimer les enfants du peuple juif, qu'Il continue à leur offrir Sa misé-ricorde afin qu'ils se convertissent c'est-à-dire qu'ils reconnaissent enfin le Christ comme Messie, qu'ils en acceptent le message divin et qu'ils aient la Vie éternelle (Jn XVII, 3). "Comme donc autrefois, vous-mêmes n'avez pas cru à Dieu et que maintenant vous avez obtenu miséricorde à cause de leur incrédulité, ainsi eux maintenant n'ont pas cru pour que miséricorde vous fût faite et qu'à leur tour ils obtiennent miséricorde. Car Dieu a renfermé tout dans l'incrédulité pour faire miséricorde à tous. O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que Ses jugements sont incom-préhensibles et Ses voies impénétrables ! Car qui a connu la pensée du Seigneur ? Ou qui a été Son conseiller ? Ou qui, en premier, Lui a donné et sera rétribué ? Puisque c'est de Lui, et par Lui, que sont toutes choses ; à Lui la gloire dans les siècles. Amen" (Rom. XI, 25-35).

Il est donc démontré qu'effectivement Israël est pour l'heure dans l'aveuglement ; mais, comme le dit saint Paul, un jour viendra, et ce après l'entrée de la totalité des Gentils, un jour viendra donc où, par la miséricorde et les jugements inscrutables de Dieu, il sera sauvé. C'est également l'avis de Giuseppe Ricciotti. Dans son fameux ouvrage, parlant de l'annonce faite par Jésus de tous les malheurs que, pour L'avoir repoussé, le peuple juif verra fondre sur lui, il écrit : «Après l'annonce que les pharisiens ont comblé la mesure de leurs pères, vient le blâme, comme dans une procédure ju-diciaire où à la démonstration du crime suivait la peine ; c'est la troisième partie du discours : "Serpents, race de vipères, comment fuirez-vous le jugement de la géhenne ? Pour cela, voici que Je vous ai envoyé des prophètes, et des sages, et des scribes ; et vous tuerez et crucifierez les uns, et vous flagellerez les autres dans vos synagogues, et vous les pour-suivrez de ville en ville, afin que retombe sur vous tout le sang innocent qui a été versé sur la terre, depuis le sang du juste Abel, jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie que vous avez tué entre le temple et l'autel. En vérité, Je vous le dis, toutes ces choses retomberont sur cette génération. Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu n'as pas voulu ! Voici que votre maison sera laissée déserte. Car Je vous le dis, vous ne Me verrez plus dé-sormais jusqu'à ce que vous disiez : Béni soit Celui qui vient au Nom du Seigneur". Plus qu'une menace, cette dernière partie est en réalité un blâme - commente Ricciotti – Jésus déplore que Ses tentatives réitérées de sauver cité et nation aient été vaines et que l'édifice entier construit peu à peu par Dieu pour le salut d'Israël soit démoli petit à petit par l'opi-niâtreté des hommes ; ce qui se passait au temps de la loi, lorsque les prophètes de Jahvé étaient lapidés, se passera également au temps du Messie dont les envoyés finiront de la même manière. Mais alors tout le poids des crimes, depuis les plus anciens, pèsera sur ceux qui réalisent le crime ultime parce qu'ils piétinent, ce faisant, les derniers fondements de l'édifice de Dieu ; ayant comblé la mesure, ils attireront sur eux la vengeance totale. C'est donc une menace salutaire, un dernier cri angoissé jeté pour que les guides aveugles de la nation élue s'arrêtent à l'extrême bord de l'abîme. C'est sur cet appel angoissé et menaçant que finissent les tentatives de Jésus. Lorsque le dernier rejet aura eu lieu et qu'aura été consommé le dernier crime, leur maison sera laissée déserte, privée de l'aide de Celui qu'ils ont repoussé. Ils ne Le reverront jamais plus, sinon dans un futur très éloigné, lorsque l'aberrante nation sera revenue de son erreur et cherchera Celui qu'elle a repoussé : "Une clameur se fait entendre sur les lieux élevés, les pleurs des enfants d'Israël demandant grâce : car ils ont perverti leur voie, oublié Jahvé leur Dieu ; en ces jours-là on ne dira plus : ‘O Arche de l'alliance de Jahvé !' Elle ne reviendra plus à la pensée, on ne s'en souviendra plus, on ne la regrettera plus, et on n'en fera plus une autre' ; et à ceux qui se sont perdus, sera adressée une invitation : 'Revenez, fils infidèles, et Je guérirai vos infidélités'. Et ils répondront : 'Nous voici, nous venons à vous, car vous êtes Jahvé, notre Dieu. (...) Oui c'est en Jahvé notre Dieu qu'est le salut d'Israël" (Jér. III, 16-23, avec des inversions). Cette vision de l'ancien Prophète, conclut Ricciotti, Jésus la contemple à nouveau mais en un temps complètement nouveau encore plus éloigné, celui de la parousie ; Israël, récon-cilié avec le Messie autrefois rejeté, pourra de nouveau le voir ; il ira à Sa rencontre L'acclamant comme il le fit autrefois durant le bref triomphe de deux jours et avec les mêmes paroles : “Béni soit Celui qui vient au Nom du Seigneur !" Quelques années plus tard, le pharisien Paul de Tarse, devenu "esclave” de Jésus-Christ, aura lui aussi la vision de ce temps très éloigné où ses compatriotes, jusqu'alors aveuglés, recouvreront la vue en sorte que tout Israël sera sauvé» (cf. Rom. XI, 25-26)1.

EXPLICATION

Si nous résumons ce qui a été dlit dans cet opuscule, trois points apparaissent evidents : 1) Ce n'est pas un nombre restreint de personnes, encore moins un groupe anonyme et non qualifié qui fit pression

sur la volonté de Pilate. Il s'agissait, bien au contraire, des "chefs spirituels du judaïsme et d'une large représentation du peuple de Jérusalem" (G. Ricciotti, op. cit.)

2) Ce sont ces "chefs spirituels" et "cette large representation du peuple de Jérusalem" qui sont les véritables respon-sables du crime de déicide, commis contre la Personne divine du Christ Homme-Dieu

3) Le cri blasphematoire et impie des chefs spirituels du judaïsme et d'une large représentation du peuple de Jérusa-lem qui arracha à Pilate la sentence de mort du Christ - étant prononcé par une vox populi représentative, et représentant un "vœu absolument officiel qui résumait les désirs tant des chefs que des membres, tant du Sanhédrin que du peuple"- ce cri, donc, obtint même d'être écouté de Dieu "se montrant réalisé dans I'Histoire" (G. Ricciotti, op. cit.).

1 Ricciotti, op. cit., pp. 630-632, nn° 520-521.

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Les faits sont là, douloureux hélas, déplorables, et même mystérieux si l'on pense à ce qu'est la personne du Christ, à ce qu'Il fit pour Son peuple, à la décision de ce dernier de Le rejeter, d'en demander la mort sur la croix... On a donc d'un côté un peuple qui demande ; de l'autre Dieu qui accueille la requête de ce peuple ; requête qui consistera en un châtiment non seulement pour le peuple présent à l'époque, mais également pour ses lointains descendants, puisque en leur nom aussi, le peuple et les chefs, ont assumé la responsabilité de "Son Sang" (Matth. XXVII, 25). Tout ceci - di-sions-nous - est vrai, bien mystérieux et douloureux. Mais en quel sens pouvons-nous et devons-nous expliquer ces faits qui, pour quiconque s'en tient à l'Evangile et à l'Histoire, sont aussi éloquents qu'indéniables ? Serait-ce en ce sens qu'a-près cette imprécation malheureuse et impie, Dieu priva les Juifs et leurs fils de la liberté et de la grâce qui leur auraient permis de faire pénitence et d'éviter la punition demandée ? Serait-ce en ce sens que les Juifs et leurs fils sont et demeu-rent maudits sans qu'il y aille actuellement de leur libre coopération, sans qu'ils persévèrent dans leur négation obstinée et dans leur rébellion ? Certainement pas. Après cette invocation, cette prise de position responsable des Juifs pour eux-mêmes et pour leurs fils, ils demeurent cependant libres ; et Dieu, dans Son infini Bonté, ne leur nie pas la grâce qu'Il a l'habitude de concéder librement à tous selon Ses très hauts desseins.

A propos de ce que nous affirmons, Jean Daniélou fait cette remarque : «Ce qui est vrai c'est que le plan de Dieu peut, à certains moments, frapper une race dont les individus d'ailleurs pourront tous être sauvés individuellement. Il y a des Juifs dont les responsabilités pour la condamnation du Christ sont extrêmement grandes, mais dans l'ensemble cer-tainement "ils ne savent ce qu'ils font" comme l'a dit le Christ... Cela ne veut donc pas dire du tout qu'il y a condamnation des Juifs individuellement, mais qu'il était dans le plan de Dieu que ce peuple, en tant que tel, soit écarté quelque temps»1.

Cependant, le crime commis par les Juifs est si grand et si énorme qu'ils demeurent dans leur "aveuglement" (saint Paul), même sous la pluie de grâce que Dieu leur envoie ; ils pourraient coopérer à cette grâce, mais ils n'y coopèrent pas - en tant que peuple - ils n'entrent pas dans l'unique bergerie du salut. Et, de fait, en demeurant dans leur aveugle-ment, par leur propre faute, ils restent eux et leurs fils sous cette malédiction qu'ils invoquèrent pour obtenir la mort du Fils de Dieu. En réalité, Dieu aurait aussi pu prendre l'invocation (ou imprécation) des Juifs dans un sens absolu en sorte qu'aucun d'eux et qu'aucun de leurs enfants n'en fût exempt ; toutefois, comme le remarque un excellent exégète qui suit en cela la pensée de saint Jean Chrysostome (y. 345-407), le Seigneur très miséricordieux a mitigé cette sentence en l'appliquant seulement à ceux qui persistent dans leur incrédulité et dans leur négation du Christ : "En second lieu, il faut le noter, bien que cette imprécation ait été lancée par les Juifs contre eux-mêmes et contre leurs propres enfants, toute-fois le Dieu très miséricordieux modéra cette sentence, l'appliquant seulement aux incrédules et épargnant les fidèles, comme le fit remarquer saint Jean Chrysostome (cf. Hom. LXXXVII, in Matth.). 'Bien que les Juifs se soient follement dé-chaînés tant contre eux-mêmes, que contre leurs enfants, dit le saint Docteur, cependant Jésus-Christ qu'ils traitent avec tant d'outrage, fut trop bon pour les traiter avec autant de sévérité qu'ils témoignaient en avoir contre eux-mêmes et contre leurs propres enfants, et c'est au contraire d'eux et de leurs enfants qu'Il choisit ce grand nombre de personnes qu'Il appela à la pénitence, et qu'Il combla de tant de grâces. Saint Paul était de ce peuple, et ces milliers de personnes dont parlent les Actes des Apôtres (XXI, 20) qui accueillirent la Foi à Jérusalem ; et ce sont eux dont parle saint Jacques lorsqu'il dit à saint Paul : "Vous voyez mon frère, combien de milliers de Juifs croient.maintenant en Jésus-Christ". On re-trouve ce même enseignement dans une autre des homélies du saint Docteur (cf. Hom. de Cruce ac latrone, à la fin du troisième tome) ; il y confirme sa thèse par l'exemple de la fournaise de Babylone (Dan. III, 4). Voici ce qu'il dit : "Le sang du Christ n'est pas moins efficace que le feu de la fournaise de Babylone. Or, ce feu sut respecter et sauver les corps des saints et brûler les corps des Chaldéens. Alors le Sang très précieux du Christ saura bien sauver les croyants et brûler les incrédules. En troisième lieu, il faut remarquer que le cri des Juifs blessa profondément le Cœur du Christ, comme beaucoup d'âmes pieuses eurent le privilège de Le contempler. Autrement dit, Jésus vit avec une grande douleur que Son peuple, en criant ainsi, se soumettait lui et ses propres fils à de dures et lourdes peines ; Il était jugé digne de mort par Son peuple et Son peuple invoquait sur lui-même et sur ses fils la peine et le châtiment dus à l'effusion de Son sang divin"2. C'est aussi ce qu'exprime saint Paul lorsqu'il écrit dans sa Lettre aux Romains : "Eux aussi [les Juifs], s'ils ne per-sévèrent pas dans leur incrédulité seront entés ; car Dieu est puissant pour les enter de nouveau. Car, si toi [autrefois païen], tu as été coupé sur un olivier sauvage de nature, et enté, contrairement à ta nature, sur l'olivier franc, à plus forte raison les branches naturelles [les Juifs] seront-elles entées sur leur propre olivier !" (Rom. XI, 22-24). Comme on le voit, pour recevoir librement une nouvelle fois la greffe sur leur propre olivier en revenant à la foi des Patriarches qui voyaient déjà dans le Christ le futur Messie, Fils de Dieu "tué par les Juifs mais ressuscité de la mort par Dieu" (Act. II, 23-24 ; III, 15), tout dépend de la correspondance à la grâce. Retourner à cette foi signifie se convertir et donc échapper à cette malédiction que les Juifs invoquèrent sur eux et sur leurs fils. Et c'est là, me semble-t-il, un motif parmi tant d'autres qui devrait inciter les Juifs à réétudier de façon sereine la vie, les miracles et la doctrine du Christ, pour pouvoir se réjouir de Lui et avec Lui, comme Abraham lui-même s'était réjoui de Lui, avec Lui, et pour Lui, Abraham qui, comme dit Jésus : "Vidit diem meum et gavisus est" ("il vit mon jour et il se réjouit", Jn VIII, 26). Mais si "les enfants" de ces lointains an-cêtres, sur lesquels pèse indéniablement la responsabilité du meurtre du Christ, si les enfants, disais-je, s'obstinent de fait à demeurer dans leur endurcissement, dans leur aveuglement, et dans une constante opposition et hostilité vis-à-vis du Christ et de Son Eglise ; et si malgré toutes les preuves les plus évidentes concernant le Christ et Son Eglise, malgré la résurrection du Christ et l'entrée du nouveau peuple (les Gentils) dans le royaume de Dieu après la coupable répudia-tion de Jésus-Messie par les Juifs, ils continuent l'œuvre de leurs pères et maintiennent le même comportement, ne se décidant pas à entrer, comme tant d'autres l'ont fait, dans le royaume de Dieu, il est évident qu'ils tombent sous le coup du même abandon que leurs pères qui répudièrent le Christ, Fils de Dieu. Aussi lorsqu'on écrit, comme le fait le rédacteur

1 DANIÉLOU, Le mystère du salut des nations, éd. du Seuil 1945, p. 114. 2 P. F. B. J. DA SYLVEIRA, Commentarium in textum Evangelium, vol. V, Venezia 1728, pp. 389-390, nn° 36-46

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de Palestra del Clero, que, selon la théologie catholique, il n'y a qu'un seul péché qui se transmette à la descendance des coupables, et que ce péché, les Juifs ne l'ont pas commis - c'est celui d'Adam et Eve - on avance sans doute une vé-rité indiscutable, mais qui ne dément en rien ce que nous avons affirmé et démontré. Nous ne disons pas, en effet, que sur les enfants des Juifs pèse le péché de deicide sic et simpliciter, comme s'ils l'avaient commis eux-mêmes ; nous di-sons seulement que, de fait, comme le montre l'Histoire, ces enfants en tant que groupe ethnique ou peuple juif refusent le Messie, s'obstinent dans leur aveuglement et, pis encore, qu'ils rejettent et combattent le Christ et Son Eglise aujour-d'hui comme le faisaient hier leurs pères ; qu'il est donc juste qu'ils partagent avec eux le même sort et la même peine. Quoi d'étonnant à ce que retombe sur les enfants la malédiction invoquée par les pères, si ces enfants n'y ont pas mis un terme, ou du moins ne l'ont pas repoussée, en adhérant à la vérité qui, selon le témoignage même d'une juive convertie (Edith Stein), ne se trouve que dans le Christ ? Si les enfants des Juifs d'antan meurtriers du Christ sont demeurés, de fait, tout au long des siècles et obstinément dans cet endurcissement déjà dénoncé par saint Paul et s'ils continuent à combattre le Christ dans Ses disciples, eh bien, qu'ils se rappellent les paroles adressées par le Christ à saint Paul sur la voie de Damas : "Saule, Saule, quid me persequeris ?" (Act. IX, 4-5) ; et si, malgré les preuves les plus évidentes que sont la résurrection du Christ et le miracle de Son Eglise toujours combattue et jamais vaincue, ils continuent la rébellion contre tout ce qui vient du Christ ou en porte le Nom, pourquoi s'étonner, je le répète, s'ils sont englobés eux aussi dans cet abandon et cette infortune qui s'abattirent sur leurs pères déicides lesquels, d'ailleurs, les avaient invoqués également pour leurs enfants ? Tout bien considéré, il est donc impensable qu'ils échappent à ce que dit le Christ à la fin de la para-bole des vignerons rebelles. Le Christ parlait aux pères, mais si les fils conservent la mentalité des pères, et leur sont même solidaires, les paroles du Christ ne peuvent pas ne pas s'appliquer à eux également : "N'avez-vous ja-mais lu dans les écritures : 'La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient, celle-là même est devenue le sommet de l'angle ? C'est le Seigneur qui a fait cela, et c'est un prodige à nos yeux". C'est pourquoi Je vous dis que le royaume de Dieu vous sera ôté, et qu'il sera donné à un peuple qui en produira les fruits. Celui qui tombera sur cette pierre se brisera, et celui sur qui elle tombera sera écrasé. Les Princes des prêtres et les Pharisiens ayant entendu ces paraboles, compri-rent que Jésus parlait d'eux. Et ils cherchaient à se saisir de Lui ; mais ils craignaient le peuple, qui Le regardait comme un prophète" (Matth. XXI, 42-46). Ils comprirent et pourtant ils s'obstinèrent ; voilà pourquoi ils périrent, furent répudiés... et écrasés... Espérons qu'après tant de siècles de christianisme, les fils comprennent enfin et parviennent ainsi à se soustraire à cette malédiction, dont se voulurent l'objet les pères, persécuteurs et meurtriers du Christ.

CONCLUSION

II est donc un fait certain : en tant que groupe ethnique, le peuple juif doit demeurer dans son aveuglement, comme dit saint Paul, jusqu'à l'entrée dans le royaume de Dieu de toutes les nations, puisqu'alors seulement Israël en tant que peuple ou "ensemble ethnique" se convertira et entrera dans l'unique troupeau en dehors duquel il n'y a pas de salut (Rom. XI, 25 s). Et cependant, répétons-le, jamais il n'a été dit, (et ne sera dit) qu'individuellement il est impossible aux Juifs de se convertir avant cette échéance s'ils correspondent aux sollicitations de la grâce - et c'est d'ailleurs ce qui s'est passé tout au long des siècles de l'histoire chrétienne. Les Apôtres ne sont-ils pas, en effet, des Juifs convertis, et saint Paul lui-même, et les 3.000 personnes, puis les 5.000 qui se convertirent à la parole de saint Pierre et des Apôtres (Act. II, 41 ; IV, 4) ? Et ainsi à toutes les époques, tantôt plus tantôt moins, jusqu'à nos jours. Des Juifs convertis à la Foi chré-tienne, il y en eut toujours, en tous temps et en tous lieux : et il s'agissait souvent de Juifs illustres et ferrés dans les écri-tures divines, comme par exemple le Professeur Eugenio Zolli.

Il ressort clairement de tout ceci que la conduite du chrétien catholique face au problème juif doit se fonder unique-ment sur la vérité et la charité. Vérité qui illumine et libère de l'erreur ; charité qui conforte et invite à accepter la vérité. Telle fut l'attitude du Christ qui ne cessa jamais d'enseigner la vérité pour illuminer et libérer de l'erreur les Juifs de Son temps... Telle fut l'attitude des Apôtres, et spécialement de saint Paul, dans ses Lettres aux Romains et aux Juifs eux-mêmes. Telle fut la conduite des autres grands Apôtres du christianisme, parmi lesquels nous aimons à citer saint Lau-rent de Brindes, ce nouveau Docteur de l'Eglise universelle auquel les Souverains pontifes confièrent en effet, entre autres importantes missions, celle de prêcher aux Juifs ; mission qu'il remplit à la grande satisfaction de ces derniers qui, remplis d'admiration devant son habileté à manier leur langue dans les sermons, le considéraient comme un de leur na-tion. Apportons donc nous aussi aux Juifs vérité et charité. Mais surtout vérité, parce que sans vérité, il ne peut y avoir de charité qu'apparente, ou pire, équivoque et trompeuse, et qui favoriserait alors cet aveuglement des Juifs dont il faut au contraire à tout prix les délivrer pour les faire entrer dans la lumière qui vient seulement du Christ, "Voie, Vérité et Vie".

J'ai nommé plus haut le Professeur Eugenio Zolli. Il était grand rabbin de Rome et son nom était Israël Zolli. Eugenio est le prénom dont il voulut s'honorer à partir du jour de sa conversion au catholicisme ; à l'occasion de son baptême, le 13 février 1945, et en hommage de sa reconnaissance à Pie XII (1876-1958), il demanda à recevoir le prénom d'Eugenio. A tous ceux qui m'ont lu et me liront, je signale cette figure d'éminent spécialiste de la Sainte Bible. Et je voudrais que tous fussent animés des mêmes sentiments que cet homme qui trouva enfin dans le Christ la lumière et la vie. C'est par la lecture et la méditation des Evangile qu'il la trouva : "Souvent, écrit-il, dehors, à la campagne, je lisais de moi-même les Evangiles. A la maison je les étudiais m'aidant des savants commentaires du Père Lagrange et parfois d'autres commen-taires à visées scientifiques ; mais l'été, dans quelque coin de campagne solitaire, je les lisais pour mon plaisir et mon instruction ; et le texte sacré me devenait toujours plus cher, je l'aimais de plus en plus. Voilà de longues années qu'avant de m'endormir, je médite quelque texte biblique de l'Ancien et du Nouveau Testament. Les derniers temps, je méditais sereinement sur les dogmes. Jamais je ne m'étais proposé d'engager un combat pour résoudre un problème. La chose se développait et mûrissait lentement. Je n'ai demandé l'aide de personne, non par orgueil, car je ne sais de quoi j'aurai bien pu m'enorgueillir, moi, un individu quelconque, mais parce qu'il me semblait me suffire à moi-même. Lorsque j'ai vu que mon âme débordait de christianisme, tout en conservant une grande, une infinie charité pour les souffrances de mon peuple, je me suis convaincu qu'il aurait été déshonnête de poursuivre dans une voie qui n'était pas la mienne. J'ai

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renoncé à tout, j'ai remercié tous de tout, pour pouvoir m'engager dans la voie qui était et est pour moi l'unique"1. Voici un homme qui a su allier vérité et charité. Il n'a pas trahi la première pour la seconde, comme il arrive souvent

chez certains esprits faibles et peu équilibrés. Il a embrassé la première, le disant franchement ; il a pratiqué la seconde, "conservant - comme il dit - une grande, une infinie charité" pour son peuple. Et maintenant, désirant clore ces pages par une parole qui exprime toute ma pensée et qui soit à la fois parole de vérité et de charité, je ne peux que reprendre et re-proposer à la méditation des Juifs contemporains celles adressées par l'Apôtre saint Paul à ses compatriotes dans le dis-cours qu'il leur tint à Antioche de Pissidie. Voici ce qu'il dit au peuple juif et aux anciens de cette ville, après avoir résumé l'histoire du peuple d'Israël depuis son séjour en Egypte jusqu'au témoignage que Dieu rendit au Roi David : "c'est de sa postérité [de David], que Dieu, selon Sa promesse, a suscité à Israël le Sauveur, Jésus. Jean, avant Sa venue [de Jé-sus], avait prêché le baptême de pénitence à tout le peuple d'Israël ; et lorsque Jean achevait sa course, il [Jean] disait : je ne suis pas celui que vous pensez ; mais voilà que vient après moi Celui dont je ne suis pas digne de délier la chaus-sure. Hommes, mes frères, fils de la race d'Abraham, c'est à vous et à ceux qui parmi vous craignent Dieu, que la parole de ce salut a été envoyée. Car ceux qui habitaient Jérusalem, et leurs chefs, Le méconnaissant et ne comprenant pas les paroles qui sont lues à chaque sabbat, ils les ont accomplies en Le condamnant ; et ne trouvant en Lui aucune cause de mort, ils demandèrent à Pilate de Le faire mourir. Et après qu'ils eurent consommé tout ce qui était écrit de Lui, le des-cendant du bois, ils Le mirent dans un sépulcre. Mais Dieu L'a ressuscité des morts le troisième jour ; et pendant un grand nombre de jours, Il a été vu de ceux qui étaient montés avec Lui de Galilée à Jérusalem, et qui sont maintenant Ses témoins devant le peuple. Nous aussi, nous vous annonçons que la promesse qui a été faite à nos pères, Dieu l'a tenue à nos fils, ressuscitant Jésus, comme il est écrit dans le deuxième psaume : "Vous êtes Mon Fils, Je vous ai en-gendré aujourd'hui" (Act. XIII, 23-33). Puisse la relecture et la méditation de cette page de saint Paul amener ne serait-ce qu'un lecteur, juif ou non juif peu importe, à éprouver le besoin d'être compté parmi les membres du nouveau peuple élu, pour devenir ainsi fils de Dieu et cohéritier du Christ dans Son royaume ! Je serai alors pleinement heureux d'avoir réalisé ce travail, qui n'était pas des moindres, pour présenter dans la charité la seule vérité concernant la mort du Christ ; ce Christ devenu pierre de scandale pour les négateurs de Sa Divinité, mais salut temporel et éternel pour ceux qui croient en Lui et L'invoquent.

APPENDICE I - VOIX DES PÈRES DE L'ÉGLISE ET D'ILLUSTRES EXÉGÈTES - TEXTE ÉVANGÉLIQUE

“Pilate, voyant qu'il ne gagnait rien, mais que le tumulte allait croissant, prit de l'eau et se lava les mains devant le

peuple en disant : "Je suis innocent du sang de ce juste ; à vous d'en répondre". Et tout le peuple dit : "Que Son sang re-tombe sur nous et sur nos enfants !" Alors, il leur relâcha Barabbas ; et, après avoir fait battre de verges Jésus, il Le livra pour être crucifié" (Matth. XXVII, 24-26).

Commentaire de Jean da Sylveira • PILATE CHERCHE À LIBÉRER JÉSUS DE CINQ FAÇONS "Pilate, voyant qu'il ne gagnait rien..." : autrement dit il considère l'inutilité de ses efforts, à savoir que rien n'a pu apai-

ser l'émeute populaire, ni la déclaration d'innocence de Jésus ("Je ne trouve rien en Lui qui mérite condamnation"), ni de l'avoir envoyé à Hérode, ni la promesse de Le châtier pour Le remettre ensuite en liberté, ni la proposition de Le libérer à l'occasion de la fête de Pâque à la place de Barabbas ; au contraire la fureur populaire va augmentant ; à plusieurs re-prises Pilate a proclamé l'innocence du Christ ; après les paroles, les actes : il proclame maintenant Son innocence en se lavant les mains. Il fait apporter de l'eau et, joignant le geste à la parole, se lave les mains devant le peuple ; ce geste de la tradition juive, comme l'écrit à ce propos Origène (Hom. XXXV), il s'en sert dans l'espoir de calmer le peuple. La cou-tume juive voulait en effet que, lorsqu'un meurtre était découvert, les Anciens viennent à l'endroit où gisait le cadavre et se lavent les mains pour témoigner de leur innocence, comme il était prescrit dans le Deutéronome (Deut. XXI, 1-6). C'est pourquoi Pilate, quoique Romain et Gentil, se servit de la coutume juive ; peut-être aussi s'en servit-il parce que sa voix affirmant l'innocence de Jésus pouvait difficilement être entendue dans le vacarme que faisait le peuple (il faudra attendre encore plusieurs siècles avant de voir apparaître le haut-parleur sur les places !). Aussi, à la voix, voulut-il ajouter un geste symbolique pour faire comprendre même aux gens les plus éloignés qu'il rejetait toute la responsabilité de cette condamnation sur les Juifs. "Pour ce crime, le meurtre de ce Juste, voulait donc dire le président, regardez-y de plus près et considérez bien ce que vous êtes sur le point de faire".

• SOTTISE DE PILATE C'est à juste titre, que tous les Pères désapprouvent la conduite de Pilate dans cette affaire. Il se lava les mains, oui,

mais ce faisant, il n'en lavait pas pour autant sa conscience souillée de l'énorme tache qu'était la condamnation à mort du Juste et du Saint ; il se montra stupide, timide, aveugle et vil, ne sachant pas résister ou plutôt secondant l'injustice. "Ne cherche pas à devenir juge si tu n'as pas la force de déraciner les injustices", est-il dit dans l'Ecclésiastique (VII, 6), car il est du devoir du juge de contenir et de calmer le peuple séditieux et de recourir même si besoin aux forces armées ; c'est d'ailleurs ce que fit Pilate en des circonstances analogues, comme nous l'affirme Flavius Josèphe (v. 37-103 ; Ant., liv. XVIII, ch. 4). Pourquoi alors ne s'est-il pas comporté ainsi à ce moment-là, pourquoi au contraire a-t-il con-damné Jésus à mort, cédant sous la pression du peuple séditieux ? Saint Paschase (Vè siècle ; Liv. XII in Matth.) écrit : "Il se lave les mains, mais il ne lave pas sa conscience de la faute, car le juge ne doit pas céder à la crainte, ni à d'autres pressions de la part de ses adversaires, en condamnant le sang innocent, en condamnant celui qu'il vient à peine de dé-clarer juste". Saint Augustin (354-430, Serm. 118 De Tempore), saint Léon le Grand (mort en 461 ; Serm De Passione),

1 D. G. Rossi, Uomini incontro a Cristo,1950, pp. 125-126.

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saint Jean Chrysostome (v. 345-407 ; dans ch. XXIII Lc, n° 20) affirment la même chose ; ce qui fait dire à Bostrense et à d'autres que Pilate était un faible, un lâche, qu'il était dépourvu d'esprit viril.

• VÉRITABLE SENS Et tout le peuple juif là présent, en foule, de répondre : "Que Son sang retombe sur nous". La phrase est juive et se re-

trouve souvent dans la Sainte Ecriture. C'est ainsi qu'on lit dans le Lévitique (XX, 9) : "Que son sang soit sur lui" ; dans Josué (II, 19) : "Son sang sera sur sa tête", et dans le IIè livre des Rois (III, 29) : Que ce sang [d'Abner] tombe sur la tête de Joab". Et de même en d'autres endroits. Le sens de cette phrase est donc : "Que Son sang - c'est-à-dire la faute et la vengeance qu'on encourt en répandant ce sang et en tuant cet homme - nous soit imputé, soit requis de nous. Nous pre-nons sur nous cette faute, que Sa mort nous soit imputée et qu'à nous et à nos fils soit imposée la peine qui convient pour ce crime".

• IMPRÉCATION INHUMAINE ET CRUELLE En criant "Que Son sang retombe sur nous et nos enfants", les Juifs affirment : "S'il y a une faute dans cette affaire, et

si une vengeance doit s'ensuivre et que toi, Pilate, tu la craignes, qu'elle soit transférée par Dieu sur nous et sur nos en-fants, et nous et nos enfants, nous expierons". Saint Maxime (v. 580-662 ; Hom. III de Passione) a mis en relief cette im-piété suprême des Juifs. "Avec quelle impiété cruelle et inhumaine les Juifs tuent non seulement les enfants présents, mais aussi ceux qui sont encore à naître ! dit le saint. Combien cruelle et inhumaine est cette main qui jette le sang du Christ sur ses propres enfants non encore nés, en sorte qu'ils sont condamnés avant même de voir le jour ! Telle est la peine que les Juifs laissèrent en héritage à leurs enfants". Saint Jérôme (v. 347-420) commente ainsi : "Cette imprécation continue à peser aujourd'hui sur les Juifs, et le sang du Seigneur ne cessera de peser sur eux car, comme le prédit le prophète Daniel (IX, 27) : "(...) cesseront l'oblation et le sacrifice, et l'abomination de la désolation sera dans le temple, et la désolation continuera jusqu'à la consommation et la fin" ! Et saint Jérôme avec saint Paschase ajoute : "voilà héritage que les Juifs laissèrent à leurs enfants : porter sur leurs épaules au travers tant de générations, le poids de ce crime que fut l'effusion du sang du Seigneur". Quel ennemi aurait pu frapper les Juifs d'une calamité aussi énorme et qui pèsera sur eux pendant tant de générations ? "Hélas, ce malheur que les ennemis les plus farouches ne surent pas inventer, note Arnold Carnot (tract. I de verbis Domini), les Juifs surent se le créer eux-mêmes. Vois, écrit l'auteur cité, quelle erreur ; quel malheur et quelle perfidie chez les princes par lesquels le peuple a été trompé, et quelle rancune lui a été attachée par l'autorité sacerdotale ! Ils ne craignent pas d'être taxés à perpétuité d'homicide ; ils prennent même l'accusation à leur propre compte et reportent sur leurs propres enfants le poids d'un si grand crime, souscrivant bien volontiers au décret de leur propre condamnation".

• PÉCHÉ QUE LE TEMPS NE DÉTRUIT PAS Sur ce péché si grave que fut l'effusion du sang de Jésus-Christ - péché qui mille ans après paraît toujours aussi ré-

cent, saint Jean Chrysostome (Hom. IV de Passione) écrit : "Énorme est, sans aucun doute, la gravité d'un crime qui ne s'efface pas, ni ne s'oublie, ni ne disparaît au cours des siècles. Tel est le crime de l'effusion du sang de Jésus-Christ, qui macule encore les coupables (...). Quelle épée, quelle hache ne rouille ou ne se consume avec le temps ? Seule la hache du péché ne cède pas au temps, ni ne craint d'être consumée par lui".

• DIEU A MODÉRÉ LA SENTENCE Il est à remarquer, en second lieu, que, malgré l'invocation de cette peine par les Juifs sur eux-mêmes et sur leurs en-

fants, Dieu dans Son infinie miséricorde modéra cette sentence, l'appliquant seulement aux incrédules, et épargnant les fidèles ; c'est ce que note saint Jean Chrysostome (Hom. 87 in Matth.) : `Bien que les Juifs se soient follement déchaînés tant contre eux-mêmes, que contre leurs enfants, dit le saint Docteur, cependant Jésus-Christ qu'ils traitent avec tant d'outrage, fut trop bon pour les traiter avec autant de sévérité qu'ils témoignaient en avoir contre eux-mêmes et contre leurs propres enfants, et c'est au contraire d'eux et de leurs enfants qu'Il choisit ce grand nombre de personnes qu'Il ap-pela à la pénitence, et qu'Il combla de tant de grâces. Saint Paul était de ce peuple, et ces milliers de personnes dont parlent les Actes des Apôtres (XXI, 20) qui accueillirent la Foi à Jérusalem ; et ce sont eux dont parle saint Jacques lors-qu'il dit à saint Paul : "Vous voyez mon frère, combien de milliers de Juifs croient maintenant en Jésus-Christ". Ce Doc-teur enseigne la même chose dans une autre homélie (Hom. de Cruce ac latrone), confirmant sa thèse par l'exemple de la fournaise de Babylone (Dan. III, 4). Il dit : "Le sang du Christ n'est pas moins efficace que le feu de la fournaise de Ba-bylone. Or, ce feu sut honorer et saliver le corps des saints et brûler le corps des Chaldéens. Donc, le sang très précieux du Christ saura bien sauver les croyants et brûler les incrédules. En troisième lieu, il fait remarquer que le cri des Juifs blessa profondément le cœur du Christ, comme beaucoup d'âmes pieuses eurent le privilège de Le contempler. Autre-ment dit, Jésus vit avec une grande douleur que Son peuple, en criant ainsi, se soumettait lui et ses propres fils à de dures et lourdes peines ; Il était jugé digne de mort par Son peuple et Son peuple invoquait sur lui-même et sur ses fils la peine et le châtiment dus à l'effusion de Son sang divin” (cf R. F. J. DA SYLVEIRA, Commentarium in testum Evangeli-cum, Tom. V, Venezia 1728, pp. 389-390, nn 36-46).

TEXTE ÉVANGÉLIQUE

"Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" (Matth. XXVII, 25). COMMENTAIRE DU PÈRE AUGUSTIN CALMET O.S.B. (1672-1757) "L'effet de cette horrible sentence que les Juifs ont prononcée contre eux-mêmes, est encore aujourd'hui sensible, et

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le sera jusqu'à la consommation des siècles sur toute la nation des Hébreux. Le crime de ceux-ci est sans doute beaucoup plus grand que celui de Pilate" (cf. Père A. CALMET O.S.B., Commentarius litteralis in omnes libros Veteris et Novi Testamenti, vol. VII, Augustae Vindelicorum, 1760, p. 254, col.II).

COMMENTAIRE DU PÈRE CORNELIUS A LAPIDE S.J. (1567-1637) "Que la faute, tout comme la vengeance du sang de Jésus que tu crains, ô Pilate, soit transférée de toi sur nous et sur

nos fils, afin que, si faute il y a, nous l'expiions nous et nos descendants, dans le jugement du Dieu vengeur. Pour notre part, nous ne reconnaissons aucune faute dans cette affaire, aussi ne craignons-nous aucune vengeance, et la prenons-nous [cette affaire] à notre propre compte, sans crainte aucune". C'est ainsi que, devenus aveugles et enragés, ils se mirent eux-mêmes et leurs propres enfants sous l'empire de la vengeance divine. Vengeance qui a pesé sur eux jusqu'à nos jours, durant 1600 ans. En sorte que depuis la destruction du peuple et de la ville de Jérusalem, ils vont errants par le monde, sans ville, sans Temple, sans sacrifice, sans sacerdoce, sans Roi, partout serviteurs des princes et de tout le monde. C'est pourquoi, en châtiment de la crucifixion du Christ, lors du siège de Jérusalem, tandis que les Juifs sortaient en masse à la recherche de nourriture, l'empereur Titus donna l'ordre de les faire crucifier à raison de cinq cents chaque jour, au point que ne suffisaient plus ni l'espace ni les croix pour y pendre les corps, comme l'écrit Flavius Josèphe (6, Belli ch. 12). Et saint Jérôme nous dit : Cette imprécation a continué à peser sur les Juifs jusqu'à nos jours et ils ne seront pas délivrés du sang du Seigneur car, comme l'a prédit le prophète Daniel (IX, 27), la désolation durera jusqu'à la con-sommation" (cf. P. C. A LAPIDE S.J., Commentaria in quattuor Evangelia, Venezia 1661, p. 372, col. 1).

APPENDICE II - DOCUMENTS ECCLÉSIASTIQUES

A) CONDAMNATION DE LA SOCIÉTÉ "LES AMIS D'ISRAËL" “Les Acta Apostolicoe Sedis du 2 avril 1928 publiaient le décret suivant qui porte la date du 25 mars ; trad. fr. dans

Actes de S.S. Pie XI, Tome 7, pp. 200-201 : "La nature et la fin de la société appelée 'Les Amis d'Israël' ayant été sou-mises au jugement de la Suprême Congrégation du Saint-Office, ainsi qu'un opuscule ayant pour titre Pax super Israel, édité il y a peu de temps par les dirigeants de l'Association et répandu abondamment pour mieux en faire comprendre les caractères et la méthode, les Eminentissimes Pères préposés à la garde de la foi et des mœurs ont d'abord reconnu le côté louable de cette Association, qui est d'exhorter les fidèles à prier Dieu et à travailler pour la conversion des Israélites au règne du Christ. Il n'est pas étonnant qu'à ses débuts, cette Association n'ayant en vue que cette fin unique, non seu-lement beaucoup de fidèles et de prêtres, mais encore bon nombre d'Evêques et de Cardinaux y aient adhéré. L'Eglise catholique, en effet, a toujours eu coutume de prier pour le peuple juif qui fut le dépositaire des promesses divines jusqu'à Jésus-Christ, malgré l'aveuglement continuel de ce peuple, bien plus à cause même de cet aveuglement. Avec quelle charité le Siège Apostolique n'a-t-il pas protégé le même peuple contre les vexations injustes ! Parce qu'il réprouve toutes les haines et les animosités entre les peuples, il condamne au plus haut point la haine contre le peuple autrefois choisi par Dieu, cette haine qu'aujourd'hui l'on a coutume de désigner communément par le mot d"antisémitisme'.

Toutefois, remarquant et considérant que cette Association des 'Amis d'Israël' a adopté ensuite une manière d'agir et de penser contraire au sens et à l'esprit de l'Eglise, à la pensée des Pères et à la Liturgie, les Eminentissimes Pères, après avoir recueilli le vote des Consulteurs de l'assemblée plénière du 21 mars 1928, ont décrété que l'Association des 'Amis d'Israël' devait être supprimée. Ils l'ont déclarée abolie de fait, et ont prescrit que nul, à l'avenir, ne se permette d'écrire ou d'éditer des livres ou des opuscules de nature à favoriser de quelque façon que ce soit pareilles initiatives er-ronées. Le jeudi suivant, 22 du même mois et de la même année, en l'audience accordée à l'Assesseur du Saint-Office, le Très Saint Père Pie XI, Pape par la divine Providence, a approuvé la décision des Très Eminents Pères et en a ordon-né la publication" (cf. Actes de S.S. Pie XI, Tome IV, pp. 200-201). A propos de ce décret du Saint-Office, La Civiltà Cat-tolica note tout d'abord dans l'un de ses articles que "(...) le texte du document est si clair (...) et déterminé avec tant de précision et le sens de la condamnation est si bien circonscrit qu'il ne requiert pas de commentaires. Toutefois, puisque (...) certains y `cherchent la petite bête', il est bon de faire certaines observations. Elles peuvent se réduire à ce qui suit :

1) la société des "Amis d'Israël" est née au début sous de très bons auspices et avec de sincères intentions d'aposto-lat : conversion des Juifs, particulièrement par la prière.

2) C'est pourquoi non seulement de très bons fidèles adhérèrent à cette association, mais aussi des évêques et des cardinaux parmi les plus éminents.

3) Bien vite cependant, il y eut des exagérations et des déviations apparurent surtout dans un opuscule ou plutôt une série d'opuscules intitulés Pax super Israel.

4) D'où, dans un premier temps les désapprobations, et enfin la condamnation autorisée du Saint-Office. 5) Lequel cependant, condamnant l'Association des "Amis d'Israël" n'entendit pas toutefois condamner l'esprit de cha-

rité et d'apostolat auquel elle avait donné naissance ; car le Siège Apostolique protégea le même peuple juif contre les in-justes vexations, et de même qu'il réprouve toutes les haines et les animosités parmi les peuples, il condamne aussi sur-tout la haine contre un peuple choisi par Dieu, cette haine qu'on a l'habitude de désigner aujourd'hui vulgairement sous le nom d"antisémitisme". L'Eglise catholique, en effet, a toujours eu l'habitude de prier pour le peuple juif dépositaire jus-qu'à la venue de Jésus-Christ des promesses divines, malgré son aveuglement postérieur et même à cause de celui-ci, afin de l'en libérer.

De cette même condamnation ressortent donc deux points bien certains : a) L'exemple de l'Eglise qui prie pour les Juifs, et la recommandation aux fidèles d'en faire autant pour eux car ce sont

eux qui ont le plus besoin de cette aide pour sortir de leur aveuglement. b) La condamnation spéciale de la haine, et contre le peuple juif en particulier ; non parce qu'innocent ou plus digne

que d'autres peuples tout aussi éloignés du christianisme, mais parce que, plus que d'autres, il est exposé à la haine à

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cause de ses méfaits. "L'antisémitisme" est ainsi condamné nommément, mais il est condamné dans sa forme et son esprit anti-

chrétien, s'entend. Cependant cette bienveillance de l'Eglise et sa double recommandation contre l'antisémitisme évo-quée ci-dessus ne doit pas nous faire oublier ou fermer les yeux sur ce qui est la triste réalité, comme semblent le faire certains des principaux dirigeants et propagateurs de l'Association "Les Amis d'Israël". Le décret insiste particulièrement là-dessus et le rappelle à l'attention des fidèles, dénonçant tout l'inconvénient qui en dérive : autrement dit cette manière d'agir et de penser contraire au sens et à l'esprit de l'Eglise, à la pensée des Pères et de la Sacrée Liturgie qui a conduit à décréter l'abolition de l'Association "Les Amis d'Israël" et à ordonner que nul, à l'avenir, ne se permette d'écrire ou d'éditer des livres ou des opuscules de nature à favoriser de quelque façon que ce soit pareilles initiatives erro-nées".

Enfin, ne faisant en cela que reprendre un point sur lequel le document attire notre attention, le péril juif, la Civiltà Cat-tolica met l'accent sur la menace que fait peser ce peuple sur le monde entier par ses infiltrations pernicieuses ou ses ingérences néfastes en particulier dans les peuples chrétiens, mais plus spécialement encore chez les ca-tholiques et les latins où l'aveuglement du vieux libéralisme a davantage favorisé les Juifs, alors qu'il persécutait les catholiques et surtout les religieux. Le danger se fait toujours plus pressant, et on en a "de bonnes preuves de rai-son et de fait dans l'alliance fréquente et indéniable [de ce peuple] avec la Maçonnerie, avec les Carbonari ou autres sectes et associations, camouflées sous apparence de patriotisme, mais en réalité fluctuantes ou visant délibérément bien que de façon non avouée à la subversion de la société contemporaine, religieuse et civile" (cf. La Civiltà Cattolica, année 79 [1928], vol. II, pp. 335 s).

B) MONITUM SANCTI UFFICII "Biblicarum disciplinarum studio laudabiliter fervente, in variis regionibus sententice et opiniones circumferuntur, quce

in discrimen adducunt germanam veritatem historicam e objectivam Scripturce Sacrce non modo Veteris Testamenti (si-cut Summus Pontifex Pius XII in Litteris Encyclicis Humani generis jam deploraverat, cf A. A. S., XLII, 576), verum et No-vi, etiam quoad dicta et facto Christi Jesu. Cum autem hujusmodi sententiœ et opiniones anxios faciant et Pastores et christifideles, Em.mi Patres fidei morumque doctrince tutandce prcepositi, omnes qui de Sacris Libris sive scripto sive verbo agunt, monendos censuerunt ut semper debita cum prudentia ac reverentia tantum argumentum pertractent, et prce oculis semper habeant SS. Patrum doctrinam atque Ecclesice sensum ac Magisterium, ne fidelium conscientise per-tubentur neve fidei veritates lcedantur. (N B. : Hoc Monitum editur consentientibus etiam Em.mis Patribus Pontificiae Commissionis Biblicae. Datum Romae, ex Ædibus S. Officii, die 20 junii 1961. SEBASTIANUS MASALA, Notarius" (cf. L'Osservatore Romano, 22 juin 1961, p. 1).

Traduction "Avec la nouvelle et louable refloraison de l'étude des disciplines bibliques circulent, dans diverses régions, des sen-

tences et des opinions qui mettent en doute l'authentique vérité historique et objective de l'Ecriture Sainte, et non seule-ment de l'Ancien Testament (comme l'avait déjà déploré le souverain Pontife Pie XII dans la lettre encyclique Humani ge-neris ; cf A. A. S. XLII 576), mais également du Nouveau Testament et même de ce qui regarde les paroles et les actions de Notre-Seigneur Jésus-Christ. De semblables jugements et opinions inquiètent les Pasteurs et les fidèles. Aussi les Eminentissimes Pères préposés à la défense de la foi et des mœurs ont décidé de mettre en garde tous ceux qui s'occu-pent d'écrire ou de parler des Livres Sacrés, afin qu'ils traitent un sujet si important avec la prudence et la révérence né-cessaires, et afin qu'ils aient toujours devant les yeux la doctrine des Pères de l'Eglise, la pensée et le Magistère de l'Eglise, en sorte que ne soit pas troublée la conscience des fidèles, ni lésées les vérités de la Foi".

N. B. : Cet avertissement a été émis avec le consentement même des Eminentissimes Pères de la Commission Bi-blique Pontificale. Donné à Rome, au Palais du Saint-Office, le 20 juin 1961. SEBASTIANO MASALA, Notaire (Cf. aussi : La Documentation Catholique, n° 1356, p. 889, juillet 1961).

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Parodie de l'Evangile ou raillerie de certains exégètes (! ? !) modernes ? Entre autres articles de revues, signalons ce-lui paru dans Luce e amore, organe du mouvement apostolique pour les aveugles (année XI, n° 1, janvier 1961, Lodi Mi-lano) ; il n'est pas sans nous étonner et nous surprendre. L'auteur de l'article, qui s'honore du titre de "La colonne du P. Mariano" rapporte bien, en effet, le passage de l'Evangile de saint Matthieu (XXVII, 21-26), mais, avec une candeur qui fleure la bêtise, il déplore tout d'abord que la phrase "criminelle" prononcée par le peuple juif et ses chefs (ou guides spiri-tuels, comme l'écrit Ricciotti), "que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants", ait été si incriminée par la tradition chrétienne, donc par des hommes comme saint Jérôme, saint Jean Chrysostome et autres de la même envergure. D'un même pas et... avec la même candeur il passe à cette affirmation : "tout le peuple" (saint Matthieu) ne peut indiquer qu'une "centaine de personnes, plus ou moins anonymes, faciles à l'enthousiasme et donc tellement excusables" que ce n'est pas à nous de les juger... Que vous en semble ? N'avons-nous pas là aussi une preuve exégétique intouchable ? Une preuve qu'il ne revient pas à nous, misérables mortels, de juger ? Mais ce jugement ce n'est pas nous qui l'avons porté ; c'est bien le Christ Lui-même qui a déclaré - si je ne m'abuse - que le fait de Le refuser aurait pour contrepartie l'abandon de la part de Dieu et la destruction de la ville déicide : "Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui la-pides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-Je voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l'as point voulu ! Voici que votre maison vous sera laissée déserte. Je vous le dis, vous ne Me verrez plus, jusqu'à ce que vous disiez : Béni soit Celui qui vient au Nom du Seigneur !" (Matth., XXIII, 37-39 ; Lc XIII, 34-35). "Et comme Il approchait, voyant la ville, Il pleura sur elle en disant : Si tu connaissais, toi aussi, au moins en ce jour qui t'est donné ce qui te procurerait la paix ! Mais maintenant cela est caché à tes yeux !" (Le XIX, 41-42). Que fe-

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ra Dieu de ceux qui ont tué Son Fils ? "Il frappera sans pitié ces malfaiteurs et Il louera Sa vigne à d'autres vignerons qui Lui en rendront les fruits en leur temps" (Matth. XXI, 41 s). C'est pourquoi Je vous le dis - c'est toujours Jésus qui parle - le règne de Dieu vous sera enlevé, et il sera donné à une nation qui en produira les fruits. Et celui qui tombera sur cette pierre s'y brisera, et celui sur qui elle tombera, elle l'écrasera" (Matth. XXI, 43-44). Peu de temps auparavant, en effet, Jésus citait l'Ecriture Sainte (Ps. CXVIII, 22 s ; Is. XXVIII, 16), se l'appliquant à Lui-même : "La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient, celle-là même est devenue le tête de l'angle ; c'est le Seigneur qui a fait cela et c'est une chose admirable à nos yeux" (Matth. XXI, 42 ; Act. IV, 11 ; I St Pierre II, 4). "Les Princes des prêtres et les Pharisiens ayant entendu ces paraboles, comprirent que Jésus parlaient d'eux. Et ils cherchaient à se saisir de Lui ; mais ils craignaient le peuple qui Le regardait comme un prophète" (Matth. XXI, 45-46).

"Les scribes" de l'époque comprirent... "les scribes" d'aujourd'hui ne comprennent pas ou feignent de ne pas com-prendre... Et pourtant, aujourd'hui, avec le recul de l'histoire - qui ne l'a jamais démenti mais plutôt confirmé - cet Evangile que ne comprirent pas les scribes et les pharisiens du temps de Jésus devrait se comprendre plus facilement... Et le comble est que certains écrivains modernes citent l'Evangile, peut-être même avec exactitude, pour en donner ensuite une interprétation tout opposée à celle qu'en donnèrent les Pères, les Docteurs et les exégètes les plus insignes. Mais c'est un procédé que Luther et les protestants de tous temps ont employé et emploient de façon systématique. Il faut avoir vraiment du toupet pour écrire de cette façon... On peut se demander si ces écrivains cherchent des imbéciles pour les lire et croient les trouver à l'ombre de la 'Colonne du P. Mariano' dans les pages de Luce ed amore. D'autres affirma-tions fantastiques et sans aucun fondement historique ni théologique se font à l'ombre de la "Colonne" en question. Mais tout ce qu'il y est répété, nous l'avons déjà largement réfuté à travers les pages de notre opuscule ; aussi nous abste-nons-nous d'aller plus avant dans l'énumération de toutes les assertions inexactes.

Mais, se demande-t-on, dans cette exégèse d'un tout nouveau genre s'agit-il de parodier l'Evangile ou bien de tourner en dérision les auteurs de certaines nouveautés bizarres au goût très discutable ? En effet, si ce qui a été écrit récem-ment dans un opuscule intitulé Il sangue di Lui [Son sang] et ce que répètent sans le moindre petit contrôle critique cer-tains journaux et revues comme Palestra del Clero, Digest-religioso et Luce e amore, la revue pour les aveugles, si tout cela était vrai, il faudrait alors réformer tous les textes de la religion, depuis les plus élémentaires jusqu'aux textes univer-sitaires ; tous les traités d'Histoire, sacrée et profane, qui parlent de la mort du Christ et des Juifs qui en sont les auteurs. Il faudrait enfin corriger la Divine Comédie de Dante Alighieri, pauvre naïf lui aussi, qui dans le Purgatoire (XXI, 82-84), et dans l'Enfer (XXIII, 109-123) tient les Juifs pour responsables de la mort du Christ, et stigmatise donc à raison Caïphe, leur chef, qui leur suggéra d'en demander la crucifixion.

APPENDICE III - DOCUMENT HISTORIQUE APOLOGÉTIQUE

PROPHÉTIES DE JÉSUS AU SUJET DE LA CATASTROPHE DE L'ANNÉE 70 Au début de la dernière semaine, les Apôtres contemplent et admirent la façade externe du Temple. "Maître, regardez

quelles pierres et quelles constructions !", dit l'un d'eux. Mais le Christ répond : "Voyez-vous tous ces bâtiments ? Je vous le dis en vérité, il n'y sera pas laissé pierre sur pierre qui ne soit renversée" (Matth. XIII, 1-2 ; Matth. XXIV, 1-2). Les douze, étonnés, demandent une explication : "Maître quand ces choses arriveront-elles ?" Alors Jésus énumère les signes précurseurs de la grande catastrophe. De faux Christs surgiront et en séduiront beaucoup. (Matth. XXIV, 5 ; Mc XIII, 6 ; Lc XXI, 19). La Palestine et les régions d'alentour seront désolées par la guerre et il y aura des tremblements de terre, des pestes et des famines (Matth. XXXIV, 7 ; Mc XIII, 8 ; Lc XXI, 10-11). Les disciples de Jésus subiront des persé-cutions de la part de la Synagogue, encore nommée à côté des tribunaux des païens (Matth. XXIV, 9-10 ; Mc XIII, 9-13 ; Lc XXI, 10-11). Il y aura des phénomènes épouvantables et de grands signes dans le ciel (Lc XXI, 11). Puis, à la fin de la tribulation de ces jours, Jérusalem sera encerclée par les armées, une grande partie des Juifs sera passée au fil de l'épée, les autres seront faits prisonniers pour aller approvisionner les marchés d'esclaves. Jérusalem sera piétinée par les païens jusqu'à ce que les temps des gentils soient accomplis, et enfin l'on verra le comble de l'opprobre : l'abomina-tion de la désolation prédite par le prophète Daniel, autrement dit le culte des idoles implanté dans le lieu saint (Matth. XXIV, 15 ; Mc XIII, 14 ; Lc XXI, 20-24 ; XIX, 43-44). Et même le temps est précisé : "En vérité, Je vous le dis : cette génération ne passera point que toutes ces choses n'arrivent" (Matth. XXIV, 34 ; Mc XIII, 20 ; Lc XXI, 32).

La prophétie s'est vérifiée à la lettre dans les quarante années qui ont suivi la prédiction de Jésus avec tous les signes précurseurs de la catastrophe finale tels que le Christ les avait prédits : disettes, pestes et tremblements de terre, persé-cutions, guerres. Tout cela est attesté par l'historien juif Flavius Josèphe dans son livre La Guerre juive et par divers au-teurs païens. La disette sévit à Jérusalem en 44 (Act. XI, 27-30) ; à Rome en 51 (TACITE, Annales, 43) ; en Italie en 69, suite aux guerres civiles. Il y eut des tremblements de terre en Italie en 51 (ibid., XV, 22), à Laodicée en 60 (ibid., XIV, 27), à Pompéi en 63 (ibid., XV, 22). En l'an 65, des épidémies dévastèrent la Campanie. Dans la seule ville de Rome, en quelques mois on compta 30.000 morts (ibid., XVI, 13). Les persécutions ? Elles sont bien connues : en 70, presque tous les apôtres avaient déjà subi le martyre ; de Rome, les violences ordonnées par Néron s'étaient étendues à tout l'empire. En même temps, troubles et guerres éclataient en grand nombre dans la Palestine et dans l'empire romain (FLAVIUS JOSEPHE, La Guerre juive, II, 17, 10 ; 18, 1-8). Les prophéties annonçant de faux Messies ? Flavius Josèphe affirme que plusieurs imposteurs se succédèrent pour tromper le peuple ; il cite entre autres Teuda en l'an 40, sous Claude, et un certain Egyptien qui rassembla environ 30.000 hommes sur le mont des Oliviers. Jésus avait aussi prédit des prodiges (Lc XXI, 11). Eh bien ! ce même historien en cite plusieurs qui furent interprétés par certains comme signes de disgrâce, et par d'autres comme une promesse de salut. Flavius Josèphe signale une comète en forme d'épée qui fut visible à Jé-rusalem une année entière. Et, en pleine nuit noire, un halo entoura l'autel et le Temple d'une grande lueur semblable au jour, et ce une demi-heure durant. La porte du Sanctuaire s'ouvrit d'elle-même, alors que vingt hommes auraient à peine pu la mouvoir ; et dans l'air, on put voir des chars chargés de soldats surgir au travers des nuages et s'apprêter à encer-

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cler la ville. Une nuit de Pentecôte, les sacrificateurs entendirent un bruit étrange et à plusieurs reprises une voix qui di-sait : "Sortez d'ici ! Sortez d'ici !". Sept années durant, un grossier paysan du nom de Jésus ne cessa de parcourir les rues en répétant : "Voix d'Orient, voix d'Occident, [...] voix contre Jérusalem et contre le Temple", jusqu'au jour où la ville fut assiégée ; alors, aux malédictions habituelles, il ajouta "Malheur aussi à moi !". Et frappé à mort d'un jet de pierre, il expira. (FLAVIUS JOSEPHE, La Guerre juive, VI, 5, 3, 300). Toutes choses qui eurent lieu avant le grand bouleverse-ment. En 66 éclate une révolte, provoquée, dit Josèphe, par le Procurateur Floro. Cestio Gallo, proconsul de Syrie, marche contre la ville rebelle et pénètre dans ses murs ; mais il est rapidement contraint à une retraite désastreuse. Rome ne peut pas rester sur cette humiliation ; elle se lance donc dans une guerre qui sera meurtrière. C'est alors que les chrétiens se rappellent les conseils de Jésus (Matth. XXIV, 15-20 ; Mc XIII, 1 14-16 ; Luc XXI, 20-21) qui leur sont répétés par un voyant et, en toute hâte, ils se réfugient au-delà du Jourdain, à Pella (EUSEBE, Hist. Eccl., L. III, ch. 5). Et en effet, l'an 70 au mois d'avril, les armées de Rome commandées par Titus réapparaissent devant Jérusa-lem et le terrible siège commence. En un rien de temps la ville est réduite aux dernières extrémités et la faim y sévit si horriblement qu'on voit des mères égorger leurs enfants pour les dévorer. Enfin a lieu le dernier assaut. Si l'on en croit Flavius Josèphe, dans la seule ville de Jérusalem périssent 1.100.000 hommes et dans toute la Judée 1.300.000 sont soumis aux plus effroyables supplices ou vendus comme esclaves. En l'espace d'environ trios jours, la ville est rasée au sol. Malgré l'ordre contraire de Titus, le Temple aussi est incendié. Un soldat romain, "poussé par une force divine" écrit Flavius Josèphe, prend un tison ardent et le lance dans le Temple par l'embrasure d'une fenêtre. Très vite l'incendie fait rage, se propageant de façon incroyable malgré les efforts les plus désespérés pour le maîtriser ; et en un rien de temps, il ne reste du Temple que cendres et décombres. Et c'est à l'endroit précis où se trouvait le Saint des Saints que les lé-gionnaires plantent leurs aigles et offrent aux divinités tutélaires des légions leurs abominables sacrifices (FLAVIUS JO-SEPHE, La Guerre juive, V, 3 ; VI, 34 ; VI, 9-3 ; TACITE, Ann. II, 17). "C'en est fait de la vie nationale, comme de la vie religieuse d'Israël ; le sacrifice a cessé pour toujours ; Jérusalem n'existe plus comme cité du grand Roi ; les siècles vont passer sur le tombeau de l'ancien peuple de Dieu" (LEPIN, Jésus Messie et Fils de Dieu, p. 383). En 362, Julien l'Apostat voulut donner un démenti aux prophéties du Christ et ordonna de réédifier le Temple. La démolition des an-ciennes fondations était presque terminée et on s'apprêtait à poser la première pierre du nouvel édifice quand, selon le témoignage d'Ammiano Marcellino, historien païen et officiel de l'armée impériale, "soudain d'effrayants globes de feu je-tèrent des éclairs à plusieurs reprises au milieu des ouvriers, en tuant un grand nombre et rendant le lieu inaccessible. Tous les éléments paraissant défavorables, on dut abandonner l'entreprise" (AMMIANO MARCELLINO, Rerum gest., 1 23, ch. 1). C'est ce que confesse l'empereur lui-même dans une lettre qui est parvenue jusqu'à nous (PINARD. Le thau-maturge et le prophète, p. 172, note 19). La prophétie concernant le Temple eut ainsi sa confirmation ultérieure et solen-nelle. Le châtiment dure encore et la parole de Jésus est toujours vraie : "Jérusalem sera piétinée par les Gentils, jusqu'à ce que les temps des Gentils soient accomplis" (Lc XXI, 24).

PROPHÉTIES SUR LA RÉPROBATION DE LA SYNAGOGUE ET LA DISPERSION DES JUIFS C'est à cause de leur obstination dans le mal que les Juifs seront exclus du règne spirituel fondé par le Messie et que

leur place sera prise par les Gentils. C'est tellement clairement indiqué dans la parabole des vignerons perfides (Matth. XXI, 33-41 et Lc XX, 9-15), que les intéressés saisirent au vol l'allusion. Les princes des Prêtres et les Pharisiens compri-rent en effet qu'Il parlait d'eux (Matth. XXI, 45). Jésus leur dit : "N'avez-vous jamais lu dans les Ecritures : la pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue le sommet de l'angle ? C'est le Seigneur qui a fait cela et c'est un prodige à nos yeux (Ps. CXVII). C'est pourquoi Je vous dis : le royaume de Dieu vous sera ôté et il sera donné à un peuple qui en pro-duira les fruits" (Matth. XXI, 42-43). Non seulement les Juifs ne feront pas partie de l'Eglise du Christ, mais ils cesseront même d'exister comme peuple, selon l'affirmation des prophéties sur la ruine de Jérusalem et sur la destruction du Temple déjà examinée. "Jérusalem sera foulée aux pieds par les Gentils, jusqu'à ce que les temps des nations soient ac-complis" (Lc XXI, 24). La réalisation de cette prophétie est d'une évidence éblouissante. Toute l'histoire de l'Eglise est là pour l'attester. Les Juifs attendent encore le Messie, restant ainsi exclus du salut évangélique.

La dispersion des Juifs est attestée par l'histoire profane De ceux qui échappèrent à la ruine de la ville une partie fut disséminée dans les provinces de l'empire, une autre lais-

sée en Judée. Une tentative de soulèvement de la part de ces derniers décida Adrien à en finir une bonne fois ; il en fit tuer 6.000 et disperser ceux qui restaient. Les Juifs, bien qu'effacés de la carte de la terre en tant que peuple, sub-sistent toujours en tant que race, constituant ainsi une exception aux lois qui régissent l'existence des peuples et un témoignage éternel de l'accomplissement des prophéties et de la malédiction qui pèse sur le déicide (cf. JOSEPH FALCON, Manuele di Apologetica, 3è éd ; éd. Paoline, Alba 1954, pp. 261-264). La réalisation de la prophétie sur la catastrophe de l'an 70, la réprobation de la Synagogue et la dispersion des Juifs suggère à cet auteur cette ré-flexion : "On peut même dire que (les prédictions du Sauveur) sont un argument plus fort que celui des miracles évangé-liques, car certaines [prédictions] durent encore et nous pouvons en constater l'accomplissement de nos propres yeux" (ibid., p. 267). Mais si la dispersion des Juifs n'est pas un châtiment - comme le pensent certains - châtiment qu'ils ont mérité pour le meurtre du Christ en criant "que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants" quelle valeur auraient donc les paroles rapportées par l'écrivain que nous avons cité ? Que ceux qui s'associent aux écrivains juifs en excusant les Juifs du crime de déicide y réfléchissent sérieusement...

APPENDICE IV - CONFIRMATION THÉOLOGIQUE

Ce modeste travail était déjà en cours d'impression lorsque m'est tombée sous les yeux une page de l'œuvre du cé-

lèbre théologien Michael Schmaus intitulée Le ultime realtà [Les dernières réalités] (éd. Paoline, 1960, p. 152). Elle m'a

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semblé résumer tellement remarquablement ce que j'ai écrit dans le présent opuscule que je n'ai pas résisté à la tentation de la transcrire. Qui sait si elle ne fera pas un peu de bien à ceux qui sont à l'opposé de ma pensée sur la responsabilité juive dans la mort du Christ : "Pour le peuple juif une prophétie tout à fait singulière a été prononcée"1. L'existence de ce peuple dont les membres vivent dispersés parmi tous les autres peuples sans toutefois s'y s'assimiler, mais en conser-vant leur physionomie particulière, cette existence reste une énigme tant qu'on la mesure d'après le critère qui s'applique à l'Histoire ordinaire. Ce n'est que si l'on voit dans l'histoire de ce peuple une disposition divine spéciale que l'on peut ré-soudre cette énigme. Lorsque Frédéric Il (1194-1250) demanda à son médecin personnel suisse Zimmerman s'il était en mesure de lui donner une preuve convaincante de l'existence de Dieu, celui-ci répondit : "Mais bien sûr : le peuple juif". Le sens que la survivance du peuple juif prend dans les conseils divins est éclairé par l'Apôtre Paul dans son Epître aux Romains. La pensée du destin de son peuple fit souffrir intensément saint Paul. Ce peuple était l'élu de Dieu, il avait la primogéniture, la gloire, l'alliance, la loi et les promesses. Le Christ descendait de lui dans Sa nature humaine (Rom. IX, 1-5). Malheureusement ses politiciens et ses théologiens méconnurent les promesses et livrèrent à la mort Celui qui avait reçu du Père la tâche de les accomplir. Voilà pourquoi, selon saint Marc, la dernière parole que Jésus adressa pu-bliquement au peuple juif fut pour les juger (Mc XII, 40).

Longtemps, et contrairement aux sphères dirigeantes hostiles dès le début, la masse du peuple rendit au Christ un tri-but d'affection et d'hommage, sans comprendre cependant le sens plus profond de Son oeuvre. L'opinion publique lui était si favorable que les Princes des Prêtres n'osaient L'arrêter et L'exécuter en public par crainte d'un soulèvement po-pulaire (Mc XI, 18-32 ; XIV, 11 ; Lc XXII, 1 ; Matth. XXVI, 5). Ils voyaient bien quel danger les menaçait : que, sous l'in-fluence de Ses prodiges, tous croient en Lui, se plient à Ses prétentions messianiques et se soustraient à leur guides tra-ditionnels. Il fallait donc qu'Il meure (Jn XI, 46-50). Mais pour ce faire, il était nécessaire de retourner l'opinion pu-blique. Après maintes tentatives manquées pour Le compromettre de façon retentissante, les chefs parvinrent à soulever la passion de la masse contre le Christ au moment où, voulant Le libérer, Pilate à bout d'arguments, proposait le choix entre la libération de l'assassin politique Barabbas, personnage populaire de toute évidence, et celle du Christ.

Voilà comment tout le peuple participa au crime des chefs et fut impliqué dans la même responsabilité. Au moment décisif, il prit sur lui la faute, sciemment, avec toutes ses conséquences (Matth. XXVII, 25). Dans l'exécution du Christ, le peuple entier scella la répudiation du message divin qui devait lui apporter l'accomplissement des promesses divines et se mit ainsi sous le jugement de [condamnation] qui menace quiconque rejette le Christ par incrédulité (Jn III, 18 s). Jéru-salem manqua son heure (Lc XIII, 25-30, XIV, 24 ; XIX, 39-48 ; Jn XII, 37 ; Matth. XII, 9-14 ; I Thess. II, 14-16 ; II Cor. XI, 22). Le jugement commença avec la ruine de Jérusalem et se poursuivit tout au long de l'Histoire de l'humanité.

Le peuple qui est sous la malédiction de Dieu ne peut vivre et ne doit pas mourir. C'est ainsi que saint Paul voit la si-tuation de ce peuple qui est le sien, qu'il aime et dont le destin représente pour lui une grande souffrance. Le point culmi-nant des huit premiers chapitres de l'Épître aux Romains est l'hymne de la victoire des élus (VII, 37 s). Puis vient un si-lence, le grand hiatus de la Lettre. Saint Paul prête l'oreille aux bruits autour de lui comme un naufragé qui se retrouve avec quelques autres sur une petite embarcation, sauvé, tandis qu'autour de lui la nuit retentit des cris de détresse déchi-rants de ceux qui se noient. Après avoir écouté longtemps, silencieusement, l'Apôtre poursuit confessant sa fidélité à Israël : "J'éprouve une grande tristesse et j'ai au coeur une douleur incessante" (Rom. IX, 2 ; Ezéch. IX, 4 ; Matth. V, 4). Puis vient l'espérance, sûre de la victoire : il n'en sera pas toujours ainsi ; "Les actes de Dieu relatifs à l'histoire d'Israël ne sont pas encore terminés"2. La parole divine de la promesse n'est pas devenue inefficace du fait de la rébellion du peuple élu (Rom. IX, 6).

Car enfin ce n'est pas le peuple tout entier qui est endurci et rejeté, une partie, un "reste", s'est tournée avec foi vers le Seigneur. Cette partie n'est pas repoussée. C'est pourquoi on peut dire : "Dieu n'a pas rejeté le peuple qu'Il a choisi" (XII, 2 ; IX, 6-27 ; cf. le passage entier XI, 1-6). Les promesses se sont accomplies en ces quelques-uns qui ont cru en Jésus-Christ. Ils sont devenus le noyau fondamental de la communauté de ceux qui, du paganisme, sont venus à la foi. C'est ainsi que le lien historique a été conservé entre l'ancien et le nouveau apparu dans le Christ. Le salut, il est vrai, n'est plus lié à Israël (Matth. III, 9 ; Le III, 8). Le nouveau peuple de Dieu n'a pas été rassemblé à partir de l'ancien peuple de Dieu mais des peuples gentils. Jérusalem, la cité de Dieu, n'est plus le point central dominant de l'ordre nouveau ; tou-tefois, elle reste son point de départ (Rom. XI, 16, 24 ; II Cor. VIII, 14 ; Jn IV, 22). Le "reste" d'Israël sauvé est devenu la racine de l'arbre dans lequel les oiseaux du ciel trouvent leur refuge ; sur l'arbre grandi à partir de la racine de l'Ancien Testament ont été greffés les nouveaux rameaux qui sont les peuples gentils. C'est Dieu Lui-même qui a planté la racine. Il n'interrompt pas l'œuvre qu'il a commencée mais la mène à son terme à travers toutes les réticences humaines (Rom. XI, 11-24). C'est là le premier motif d'espérance pour l'Apôtre. Le second est le suivant : même si la malédiction accom-pagne tout au long de l'histoire le peuple apostat, à l'exception d'une petite partie, et appelle sur lui jugement sur juge-ment, un jour elle prendra fin. La malédiction a un terme parce que l'endurcissement a lui aussi un terme. Un jour le peuple juif trouvera la voie qui mène au Christ et la suivra. Si, malgré son désespoir, ce peuple, parmi cent autres, est conservé par Dieu du fait de la malédiction comme un signe du jugement de Dieu, il est conservé dans le même temps comme signe de la bénédiction divine qui à la fin l'emportera sur la malédiction..Alors s'accompliront en lui toutes les promesses faites depuis le début, promesses qui n'avaient pas pu se réaliser à cause de sa résistance. Alors, se ré-vélera l'amour de Dieu pour tout le peuple converti, pas seulement pour un "reste". "Car les dons de la grâce et l'appel de Dieu sont irrévocables" (Rom. XI, 29). La surdité et l'aveuglement prendront fin quand la totalité des Gentils sera entrée dans le royaume du Christ (Rom. X, 8 ; XI, 25). Alors cessera cet état que la jeune juive du Père humilié de Claudel décrit 1 Cf. E. PETERSON, Die Kirche au luden und Heidenz, 1933 ; F.W. MAIER, Israel in der Heilgeschichte nach R. 9-11, 1929 ; S. LOESCH, Epistula Claudianas, 1930 ; E. KREBS, Urkirche und Iudenturn, 2è éd., 1929 ; art. "Juifs dans Dict de théol. cathol.", VIII, 1870-1914 ; O Kuss, Kommentar zurn Romerb Wrief, 1940, ch. 9-11. Fr. AMIOT, L'enseignement de Saint Paul, II, 2è éd., 1938, pp. 169 s ; H. DE LUBAC, Israël et la foi chrétienne, en collaboration avec F. CHEINE, L. RICHARD et Y. BONSIRVEN, 1942. 2 STAUFFER, op. cit. p. 170.

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comme étant le sien "Il faut beaucoup d'eau pour baptiser un Juif ! On ne perd pas si facilement l'habitude de tant de siècles ! Tous les siècles depuis la création du monde, il me semble que je les porte avec moi. L'habitude du malheur, l'intimité mauvaise avec sa propre déchéance. Tant d'attente, que nous n'avons pu arriver à changer d'attitude, tant de foi dans la promesse qui n'était pas réalisée, que nous n'avons pu y croire du moment où on nous a dit qu'elle l'était".

La conversion et le salut du peuple élu sont liées à l'accomplissement du nombre des Gentils. Lorsque ce nombre sera atteint, le bandeau qu'a aujourd'hui ce peuple sur les yeux de son cœur et qui l'empêche de reconnaître le Christ sera enlevé (II Cor. III, 15). Alors les Juifs arriveront les derniers là où ils auraient pu arriver les premiers (Matth. XIX, 30 ; XX, 16 ; Mc X, 31 ; Lc XIII, 30). De même que les païens doivent s'entendre dire : "Le salut vient des Juifs" (Jn IV, 22), à la fin les Juifs devront s'entendre dire que le salut définitif est lié au salut des Gentils. C'est ainsi qu'Israël tout entier sera sauvé (Rom. XI, 26). A la fin c'est par cet acte salvifique que Dieu qui est le Dieu des pères révélera Sa fidé-lité demeurée victorieuse à travers l'histoire de l'infidélité humaine. Le Christ n'apparaîtra pour la seconde fois que lorsque cet événement sera réalisé. Quand Il sera intervenu, s'accomplira ce que Dieu a promis par l'intermédiaire d'Isaïe : "De Sion viendra le Sauveur" (Is. LIX, 20). Alors, prendront fin les maux dont le Christ a menacé et Sa promesse se réalisera : "Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-Je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu ne l'as pas voulu ! Voici que votre maison vous sera laissée déserte. Car, Je vous le dis, vous ne Me verrez plus désormais jusqu'à ce que vous me disiez : "Béni soit Celui qui vient au Nom du Seigneur !" (Matth. XXIII, 3739 ; Lc XIII, 33-35 ; Ps. CXVIII ; Ps. CXIX, 26). Chaque fois que cette parole est prononcée dans la célébration eucharistique, cette heure où le peuple d'Israël acclame-ra le Seigneur et Sa nouvelle entrée dans le monde est anticipée. Autrefois, alors qu'Il entrait à Jérusalem pour la Pas-sion, c'est une petite partie du peuple qui L'acclamait (Mc XI, 10 ; Matth. XXI, 9), et même cette partie ne sut pas tenir ferme dans ses sentiments. A la fin, à Son entrée publique dans le monde, c'est le peuple tout entier qui acclamera Son triomphe.

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