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Àmon ami leDrKennethBlanchard, dont l’engouement pour cette histoire

m’aincitéàécrirecetouvrage.

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Lesprojetslesplusaffûtés

dessourisetdeshommes

tombentsouventàl’eau.

RobertBurns1759-1796

Lavien’estjamaisunlongcouloirrectilignequel’ontraverseraitd’unetraite,librecommelevent,maisundédaledepassagesdanslequelilfauttrouver

sonchemin,perduetdésorienté,condamnéparmoments

àéchoueraufondd’uncul-de-sac.

Maisilsetrouvetoujours,pourpeuqu’onaitlafoi,uneporteentrouverte,mêmelaplusinattendue,

quiserévéleraêtrelavoiequ’ilfallaitprendre.

A.J.Cronin

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Nosréactionsfaceauchangement

Desplussimplesauxpluscomplexes

Lesquatrepersonnagesdecettehistoire–lessourisFlairetFlèche,etlesminigusPolochonetBaluchon–symbolisentl’esprithumaindanscequ’iladeplussimpleetdeplus

complexe,endehorsdetouteconsidérationd’âge,desexe,deraceoudenationalité.

Nousavonstousunepartde

Flair,

quisaitdécelerlechangementdèssespremièresmanifestations,

deFlèche,

quiseprécipitedansl’action;

dePolochon,

quiredouteetrejettelechangement,craignantqu’ilneluicausedutort;

etdeBaluchon,

quisaits’adapteràtempsdèslorsqu’ilcomprendquelechangementpeutêtresynonymedemieux!

Quellequesoitl’approchequenousprivilégions,nousvisonstousaumêmebut:trouvernotrechemindanslelabyrinthe,et

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sortirlatêtehautedespériodesdechangement.

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L’histoirederrièrel’histoireparKennethBlanchard

C’estaveclaplusgrandejoiequejem’apprêteàvousraconter«l’histoirederrière l’histoire », car cela signifie que ce livre a enfin vu le jour, et quenouspouvonstousleparcourir,l’apprécier,etlefairepartagerautourdenous.

J’attends ce moment avec impatience depuis la première fois que j’aientenduSpencerJohnsonmenarrercettefablemerveilleuse, ilyaplusieursannées de cela, avant que nous n’écrivions à quatre mains notreManagerMinute.

Jemesouviensm’êtreditàquelpointjelatrouvaisriche,etcombienellemeseraitutileparlasuite.

Qui a piqué mon Fromage est une fable sur le thème du changement,prenantpourtoiledefondunlabyrinthedanslequelquatrepersonnageshautsencouleurrecherchentleur«Fromage»–lefromageenquestionétantuneallégoriedecequenousattendonsdelavie,qu’ils’agissed’unmétier,d’unerelation, d’argent, d’une grande maison, de liberté, de santé, dereconnaissance, de paix intérieure, voire d’activités aussi basiques que lejoggingoulegolf.

ChacundenousasapropreconceptionduFromage,etnouslerecherchonsparcequenousyvoyonslaconditionsinequanondenotrebonheur.Quandnous mettons la main dessus, nous avons vite fait de nous y attacher. Etlorsquenousleperdons,ouqu’onnousleretire,celapeutconstituerunréeltraumatisme.

Le«labyrinthe»représenteleterraindenotrequête.Ilpeuts’agirdenotrelieudetravail,denotreviedequartier,commedenosrelationshumaines.

Jerelatesouventcetteparabolelorsdemesconférencesàtraverslemonde,et chaque fois de nombreuses personnes viennent me confier qu’elle aoccasionnédesbouleversementsprofondsetpositifsdansleurexistence.

Croyez-leounon,onrapportequ’elleasauvédescarrières,desménages,etmêmedesvies!

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Parmi les nombreux exemples de cettemétamorphose, je citerai celui deCharlie Jones, grande figure journalistique de la chaîneNBC, quim’avouaque Qui a piqué mon Fromage ? avait sauvegardé sa carrière.Indépendamment des particularités propres à sonmétier, les révélations quifurentlessiennespeuventdevenirl’apanagedetous.

Charlie s’était donné à fond pour assurer avec brio la couverture desépreuves d’athlétisme et d’endurance lors des derniers Jeux olympiques.Aussi tomba-t-ildesnuesquandsonpatron lui annonçaqu’on lui retirait lacharge de ces disciplines vedettes lors des JO suivants, pour l’affecter à lanatationetauplongeon.

Nedisposantquedeconnaissancesapproximativesdanscedomaine,ilsesentit désavoué et meurtri par ce qu’il considérait comme une terribleinjustice.Etsonamertumecommençaànuiresérieusementàlaqualitédesontravail.

Jusqu’àcequ’ildécouvrel’histoiredeQuiapiquémonFromage?

Aussitôt,ilsemitàriredelui-mêmeetrévisasonattitude.Ilcompritqueson chef avait seulement « déplacé son Fromage », et il choisit donc des’adapterenconséquence. Ilpotassaconsciencieusementsesdeuxnouvellesdisciplines et, ce faisant, se rendit compte que la nouveauté lui donnait unsacrécoupdejeune.

Constatantceregaind’énergieetd’enthousiasmechezsoncollaborateur,lerédacteur en chef ne tarda pas à lui confier des tâches plus gratifiantes. Sacarrièreconnutalorsunsecondsoufflequi,desuccèsensuccès,lepropulsajusqu’au sommetde l’élite–parmi legratindes commentateursde footballaméricain.

Jepourraisvousracontermilleautresanecdotesdecetypepourtémoignerdu formidable impact qu’exerce cette fable sur l’existence de noscontemporains,dansleurvieprofessionnellecommedansleurvieaffective.

LapuissancedeQuiapiquémonFromage?aéveilléunetelleferveurenmoi que j’en ai offert un exemplaire à chacun des quelque deux centsemployésdemonentreprise.

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« Pourquoi ? » vous demandez-vous peut-être. Parce que, comme touteentreprisenormalementconstituéequicherchenonseulementàsurvivremaisàrestercompétitive, laKenBlanchardCompanyestenconstanteévolution.Le « fromage » y bouge sans cesse. Si nous attendions autrefois de nosemployés qu’ils se montrent loyaux, nous avons désormais besoin decollaborateurssouplesetadaptablesquinerestentpasjalousementaccrochésàleurpetitprécarré.

Pourtant,vousetmoisavonsbiencommentlefaitd’êtresanscessesurlescharbons ardents, au travail comme à la maison, peut se révélerparticulièrement stressant en l’absence d’une vision positive qui nouspermettedecomprendreetd’apprécier lechangement.C’est là tout l’intérêtdeQuiapiquémonFromage?

En évoquant cette fable devantmes employés, puis en leur remettant unexemplaire à chacun, je sentis se dissiper instantanément leur énergienégative. Contre toute attente, ils vinrent, tous secteurs confondus, meremercierlesunsaprèslesautresdeleuravoiroffertcebouquin,etmedirecombienilleuravaitpermisdevoirsousunnouveaujourlestransformationsdans l’entreprise.Croyez-moi,cettebrèveparaboleestaussiefficacequesalectureenestrapide.

Enparcourantcetouvrage,vousverrezqu’ilsedécomposeentroisparties.Dans la première, intituléeDesretrouvailles, d’anciens camarades de lycéediscutentdelafaçondontilsfontfaceauxbouleversementsqu’ilsrencontrentdans leur vie. La deuxième partie, L’histoire de « Qui a piqué monFromage?»,constituelecœurdecelivre.

DansL’histoire,vousverrezquecesont lesdeuxsourisqui réagissent lemieuxauchangementcarellesportentunregardsimplesurleschoses,làoùlecerveauet lesémotionsdesdeuxminigusont l’artde lescompliquer.Cen’estpasquelessourissoientplusintelligentes.Noussavonsbienqu’iln’enest rien. Mais vous comprendrez, en regardant évoluer nos quatrepersonnages,etenvoyantqu’ilsreprésententchacununepartdenous-même–delaplussimpleàlapluscomplexe–quenousgagnerionstousàappliquerquelquesrecettesévidentespourfairefaceàcertainespéripéties.

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Danslatroisièmeetdernièrepartie,Unediscussion,lesancienscamaradesdébattentdecequeL’histoireleuraapporté,etdubonusagequ’ilsenferontaussibiensurleplanprofessionnelqu’affectif.

Certains lecteurs du manuscrit original ont préféré s’arrêter à la fin deL’histoire,sansallerplusloin,pourl’interpréteràleurfaçon.D’autresontenrevancheapprécié cette conversation,pour cequ’elle aurapermisd’éclairerdeleurpropresituation.

Quellequesoitl’optionquevousretiendrez,j’espèreque,chaquefoisquevousrelirezQuiapiquémonFromage?voussaurez,commemoi,ypuiserune idéenouvelleetutile,quecelavous réconcilieraavec lechangementetvousouvriralavoiedelaréussite,quelquesoitpourvouslevisagedecettedernière.

Bonnelecture,etbonvent.Etn’oubliezpas:BougezavecleFromage!

KenBLANCHARDSanDiego,Californie

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Desretrouvailles

Au lendemain d’une réunion d’anciens élèves, par un beau dimancheensoleillé,unepoignéedevieuxamisseretrouvèrentpourdéjeunerdansunrestaurant de Chicago. S’étant perdus de vue depuis le lycée, ils étaientcurieuxdesavoircequelesunset lesautresétaientdevenus.Aprèsunbonrepas,richeenplaisanteries,laconversations’orientasurundébatintéressant.

–Lavieaprisunetournurebiendifférentedecequej’envisageaislorsquenous étions adolescents. Tant de choses ont changé… soupira Angela, quiétaitjadisl’unedesfilleslesplusappréciéesdel’école.

–Àquiledis-tu!confirmaNathan.

Toussavaientquecedernieravaitintégrél’entreprisedesafamille,qu’ilsavaient toujoursconnue florissante.D’où leursurprisedeconstaterque leuramisemblaitsoucieux.

Celui-ciajouta:

– Mais avez-vous remarqué comme il est difficile de s’adapter auchangement?

–Jepensequec’estparcequ’ilnousfaitpeur,suggéraCarlos.

– Si je m’étais attendue à ça ! s’exclama Jessica. Toi, Carlos, l’anciencapitainedel’équipedefootball,tunousparlesdepeur?

Ils se mirent tous à rire en constatant que, malgré la diversité de leursparcoursrespectifs–dutravailleurindépendantaupatrond’entreprise–,ilsseposaientdansl’ensemblelesmêmesquestions.

Tous essayaient tant bien que mal de faire face aux bouleversementssurvenusdansleurexistenceaucoursdecesdernièresannées.

Michaelditalors:

–Autrefois,j’avaisunepeurbleueduchangement.Quandnotreentreprisefutconfrontéeàunbrusquerenversementdeconjoncture,nousn’avonspassuréagir.Nousavonscontinuécommesiderienn’était,etnoussommespassésplusd’unefoisàdeuxdoigtsdelafaillite.

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«Maisunjour,poursuivit-il,onmeracontaunedrôledepetitehistoirequitransformadefondencomblemavisiondeschoses.

–Commentça?demandaNathan.

– Cette histoireme fit aussitôt voir le changement non plus comme unemenace,maiscommeunechance,etellem’appritàentirerparti.Cefutpourmoiunevéritablerenaissance–dansmontravailcommedansmavieprivée.Audépart, jelatrouvaitropsimplepourêtrecrédible.Elleavait toutdecesfables qu’on enseigne aux écoliers. Mais je compris rapidement que maméfiance tenait au fait que je m’en voulais de ne pas avoir su prévoirl’inévitable et de ne pas avoir fait ce qu’il fallait pour mener à bien lechangement.

«Enmerendantcomptequelesquatrepersonnagesreprésentaientchacununepartdemoi-même,jechoisisceluiauqueljevoulaisressembler,etjememisàchanger.

«Par la suite, j’ai raconté cettehistoire à certainsdemes collaborateurs,qui l’ont transmise à leur tour à leurs collègues, et de fil en aiguille notreentreprise releva la tête.Nousavionsapprisà faire faceauchangement.Enoutre, beaucoupm’ont confié depuis que cette parabole leur avait été d’ungrandsecoursdansleurvieprivée,commecefutlecaspourmoi.

«Malgré tout, quelques individuspersistèrent àdirequ’ellene leur avaitrien apporté. Soit parce qu’ils appliquaient déjà ses précieuses leçons, soit,pour la majorité d’entre eux, parce qu’ils pensaient déjà tout savoir et nevoulaientrienapprendre.Ilsnecomprenaientpasqu’ellepuissefairetantdebienauxautres.

« Lorsque l’un de nos directeurs, qui rencontrait de grandes difficultésd’adaptation,nousdéclaraquecettehistoireconstituait à sesyeuxunepurepertede temps, il fut la riséedesescollègues,qui luidirentqu’ilsvoyaientbienquelpersonnageilincarnaitdanscettehistoire–sous-entendu:celuiquinevoulaitriensavoiretcampaitsursespositions.

–Quelleestdonccettehistoire?demandaAngela.

–Elles’intitule:QuiapiquémonFromage?

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Legroupeéclataderire.

–Jesensqu’ellemeplaîtdéjà,ditCarlos.Etsitunouslaracontais?Peut-êtreaurons-nousaussiquelquechoseàenretirer.

–Volontiers,réponditMichael.Vousverrez,elleesttrèscourte.

Etsurcesmotsilcommença.

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L’histoirede«QuiapiquémonFromage?»

Ilyabienlongtemps,dansunpaystrèsloind’ici,quatrepetitspersonnagesparcouraient sans relâche un labyrinthe à la recherche de fromage. Lefromageétaitàlafoisleuruniquemoyendesubsistanceetlaconditionsinequanondeleurbien-être.

Il y avait deux souris, Flair et Flèche, et deuxminigus – des êtres aussipetits que des rongeurs mais qui ressemblaient fort, tant par leurcomportement que par leur apparence, aux humains d’aujourd’hui –,répondantauxnomsdePolochonetBaluchon.

Ils étaient si petits que leur manège pouvait facilement passer inaperçu.Maisuneobservationattentiverévélaitleschoseslesplussurprenantes!

Chaque jour que Dieu faisait, souris et minigus se rendaient dans lelabyrinthe,chacunenquêtedesonfromagepréféré.

FlairetFlèche,quipossédaient,commetouteslessouris,unsimplecerveaude rongeur doté d’un instinct très développé, raffolaient de morceaux biendursàgrignoter.

Les deux minigus, Polochon et Baluchon, utilisaient leur gros cerveau,pleindecroyancesetd’émotions,pourtrouveruntoutautreFromage–avecungrandF–,qu’ilsconsidéraientcommelaclédubonheuretdelaréussite.

Si différents fussent-ils, tous les quatre suivaient un rituel commun :chaquematin,ausautdulit,ilsenfilaientsurvêtementetbaskets,etquittaientleur petit nid douillet pour regagner, l’eau à la bouche, le lieu du petitdéjeuner.

Le dédale était une succession de couloirs et de salles, dont certainesrenfermaient de délicieux fromages. Il était néanmoins truffé de coinssombres et de voies sans issue ; quiconque s’y aventurait pouvait trèsfacilements’yperdre.Maisceuxquitrouvaientleurchemindécouvraientdestrésorsàmêmed’embellirleurvie.

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Les deux souris, Flair et Flèche, appliquaient la bonne vieille méthodeempirique pour trouver leur butin. Elles parcouraient de bout en bout unpremier couloir, et s’il se trouvaitvide, tournaient les talonspourpasser ausuivant.Ellesmémorisaientainsileszonessansfromageets’enallaientdanslafouléeexplorerdenouvellescontrées.

Grâceàsonmuseautrèsdéveloppé,Flairreniflaitladirectiongénéraledufromage,etFlèches’élançaittêtebaisséeenéclaireur.Commevousvousendoutez,ellesseperdaientrégulièrement,seretrouvaientdansdesculs-de-sac,et se cognaient souvent contre lesmurs.Mais elles finissaient toujours partrouverleurchemin.

Comme leurs amies souris, nos deux minigus usaient également de leurintelligence pour tirer les leçons de leurs expériences passées. Mais leurcerveau sophistiqué leur permettait aussi d’élaborer des méthodes derechercheplus élaborées.Parfois cela fonctionnait àmerveille,maisparfoisleurscroyanceset leursémotionsprenaient ledessusetassombrissaient leurvisiondeschoses.Cequipouvaitrendrebiendifficileetéprouvanteleurviedeprospecteursdanslelabyrinthe.

Quoiqu’ilensoit,Flair,Flèche,PolochonetBaluchonfinirent,chacunàsafaçon,paratteindreleurobjectif.Unbeaujour,tousquatremirentlamainsurleursfromagespréférés,auboutd’uncouloirdelaGarefromagèreF.

Les matins suivants, sitôt revêtue leur tenue de sport, souris et minigusfilèrentdirectementàlaGarefromagèreF.Rapidement,ilsytrouvèrentleursmarquesetuneroutinefortagréables’installa.

Sérieuses et disciplinées, Flair et Flèche continuèrent à se lever chaquematin avec les poules, pour rejoindre le labyrinthe en suivant toujours lemêmeitinéraire.

Arrivées à destination, les souris déchaussaient leurs baskets, lessuspendaientparleslacetsautourdeleurcou–prêtesàlesenfilerrapidementencasd’urgence–puisentamaientleurfestin.

Les premiers jours, Polochon et Baluchon se dépêchèrent également derejoindrelaGarefromagèreFpoursavourerlessucculentesvictuaillesquiles

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yattendaient.Néanmoins,avecletemps,leurrituelmatinalconnutquelquesaménagements.

PolochonetBaluchonfaisaientdésormaislagrassematinée,prenaienttoutleur tempspours’habiller,etserendaientà laGarefromagèreFenflânant.Aprèstout, ilssavaientoùtrouverleFromageet ilsconnaissaientlecheminparcœur.

D’oùprovenaitleFromage,etquil’avaitplacélà?Ilsn’enavaientpaslamoindre idée.Maisquelle importance? Ilspartaientduprincipequ’il seraittoujoursaurendez-vous.

Chaque matin, en arrivant à la Gare fromagère F, ils s’installaienttranquillement et se mettaient à l’aise. Ils ôtaient leur survêtement,déchaussaient leursbaskets, et enfilaient leurspantoufles.Maintenantqu’ilsavaientleFromage,ilsmenaientlagrandevie!

–C’estformidable,ditPolochon.IlyasuffisammentdeFromageicipournouscomblerjusqu’àlafindenosjours!

Touchés par la grâce, heureux comme des poissons dans l’eau, nosminigus se croyaient désormais à l’abri de tous les maux. Vite

familiarisés avec leurnouveaubonheur, ils ne tardèrent pas à considérer ceFromagecommeleleur.Unetelleabondancevalanttouslesgrandssoirs,ilsélirentdomicileàdeuxpasdelaGare.Savourantlesplaisirsdeleurnouvellecapitale,ilss’yconstituèrentbientôttouteuneviesociale.

Pour se sentir vraiment chez eux, Polochon et Baluchon s’amusèrent àrefaireladécoration,enrecouvrantlesmursdebellesesquissesdeFromagesagrémentéesdeslogans.L’undeuxdisaitceci:

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À l’occasion, Polochon et Baluchon invitaient leurs amis dans la GarefromagèreFpourleurfairefaireletourdupropriétaire.

–C’estpasunbeauFromage,ça?demandaient-ilsfièrementendésignantleurmagot.

Parfois,engrandsseigneurs,ilsoffraientunetrancheauxconvives,maislerestedutempsilsgardaienttoutpoureux.

–NousméritonsceFromage,déclaraPolochon.Nous l’avonsgagnéà lasueurdenotrefront.

Etsurcesmots,ilengloutitunbeaumorceaubienfrais,avantdepiquerunsomme,commesouventaprèslerepas.

Chaque soir, repus, les minigus regagnaient lentement leur maison, leventre bombé, et chaquematin ils revenaient, le cœur léger, pour refaire leplein.

Cepetittrain-trainduraunbonboutdetemps.

Peu à peu, l’assurance de Polochon et de Baluchon se transforma enarrogancedeparvenus.Grisésparleurnouveauconfort,ivresderéussite,ilsnevoyaientpaslesnuagesnoirsquiseformaientàl’horizon.

Pendantcetemps,FlairetFlècherestaientfidèlesàleurroutinedesdébuts.Ellesarrivaientchaquematindebonneheurepourrenifler,gratter,etscruterlaGarefromagèreFdanssesmoindresrecoins,afindevoirsiquelquechoseavaitchangédepuislaveille.Puisellespassaientàtable.

Un matin, en arrivant à la Gare fromagère F, elles constatèrent que lefromageavaitdisparu.

FlairetFlèchen’étaientguèresurprises.Ellesavaientbienvuquelestockdenourritureseréduisaitdejourenjour.S’étantpréparéesàl’inévitable,ellessavaientinstinctivementcommentréagir.

Elles croisèrent leurs regards, décrochèrent leurs baskets de leur cou, leschaussèrent,etnouèrentleurslacets.

Lessourisn’allaientjamaischerchermidiàquatorzeheures:pourFlairetFlèche, le problème était simple et la solution toute trouvée. La situation

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ayantchangédanslaGarefromagèreF,ilneleurrestaitplusqu’àchangeràleurtour.

Elles tournèrent les talonsetserendirentaupremiercarrefourvenu.Flairtendit le museau, renifla un grand coup, fit un signe de tête à Flèche, etemboîtalepasdesacompagnequifilaitdéjàloindevant.

C’étaitreparticommeenquarante.EnrouteversleNouveauFromage!

Quelques heures plus tard, Polochon et Baluchon arrivèrent à la Garefromagère F. N’ayant prêté aucune attention aux menues altérationssurvenues chaque jour, ils pensaient, comme de bien entendu, que leurFromagelesyattendrait.

Autantvousdirequ’ilstombèrentdehaut.

– Comment ça, plus de Fromage ? s’exclama Polochon. Y’a plus deFromage?Y’aplusdeFromage?

C’étaientlesseulsmotsquiluivenaientàlabouche.Commes’ilsuffisaitdecrierpourqueleFromagereviennedare-dare!

–Qui a piquémon fromage ? gronda-t-il de plus belle, à en ébranler lesparoisdulabyrinthe.

Restant sans réponse, il porta ses mains à sa taille et, rouge de colère,poussacecriducœur:

–C’esttropinjuste!

Baluchon, de son côté, se contentait de secouer la tête, tel un boxeurgroggy. Lui aussi était convaincu que le fromage les attendrait comme dejuste.Ilsemblaitpétrifié,transid’effroi.Iln’étaitpaspréparéàuntelchoc.

LeséructationsdePolochonluiglaçaientlesang.Incapabledefairefaceàlanouvelledonne,Baluchonvoulaitplongersatêtedansuntrou.

Si l’attitude des minigus n’était guère constructive, elle était toutefoiscompréhensible.LeFromagenesetrouvaitpassouslepasd’uncheval,etil

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constituaitbienplus à leursyeuxqu’uncasse-croûteordinaire : laquêteduFromage représentait la quête du bonheur. Chaqueminigus avait sa proprevisionduFromage, qui dépassait de loin les simples considérationsd’ordregustatif.Pourlesuns,leFromage,c’étaitlaprospérité.Pourlesautres,c’étaitle travail, la santé, ou l’épanouissement personnel.Une raison de vivre, ensomme.

PourBaluchon,leFromagec’étaitsimplementsesentirensécurité,fonderunefamille,etposséderunjolipavillonsurleboulevardReblochon.

Polochon avait pour sa part une autre ambition : devenir un magnat duFromage à la tête d’une puissante industrie, et faire construire unesomptueusevillasurleshauteursdeFrometon.

TenantauFromagecommeàlaprunelledeleursyeux,nosdeuxminiguspassèrentdelongsmomentsàsedemandercequ’ilspouvaientfaire.Enguised’idéedegénie,ilsarpentèrentindéfinimentlaGarefromagèreFpourvérifiersileFromageavaitréellementdisparu.

Si Flair et Flèche avaient repris leurs pérégrinations, Polochon etBaluchonrestaientsurplaceàjouerlesronchons.Polochontempêtaità

n’enplusfinircontrecetteterriblemalédiction,etBaluchon,touchantlefond,était à deux doigts de la dépression. Qu’allait-il devenir si le Fromage nerevenaitpasdanslanuit?PrivédeFromage,ilétaitcuit,etsesrêvess’étaientévanouis.

Les deux compères ne pouvaient s’expliquer pareille mésaventure.Personnenelesavaitprévenus.C’étaittropinjuste.

Ce soir-là, Polochon et Baluchon regagnèrent leur demeure affamés etabattus.Maisavantdepartir,Baluchonécrivitsurlemur:

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Le lendemain, Polochon et Baluchon retournèrent à la Gare fromagèreF.Ilsn’avaientpasperduespoirderetrouverleurFromage.

MaislaGareétaittellequ’ilsl’avaientquittéelaveille.PasunemiettedeFromage en vue. Perplexes, déboussolés, nosminigus ne savaient pas quoifaire.Alorsilsrestèrentplantéslà,figéscommedeuxstatues.

Baluchonfermalesyeuxetsebouchalesoreilles.Ilvoulait faire levide,s’abstrairedecetteinsupportableréalité.IlnevoulaitpassavoirquelestockdeFromages’étaitprogressivementépuisé.Ilpersistaitàcroirequequelqu’unl’avaitdéplacédujouraulendemain,parpuremalice.

Polochon analysa la situation encore et encore, faisant appel au vastesystèmedecroyancesetdeconnaissancesdesonpuissantcerveau.

–Pourquoim’ont-ilsfaitçaàmoi?geignit-il.Qu’est-cequisetrameici?

Baluchonfinitparrouvrirlesyeux,etdemanda,enregardantautourdelui:

–Aufait,oùsontpasséesFlairetFlèche?Tucroisqu’ellesensaventplusquenous?

–Tuparles!lerembarraPolochon.Queveux-tuqu’ellessachent?Cenesont que de vulgaires souris. Elles ne font que réagir instinctivement auxévénementstelsqu’ilsseprésentent.Nousautresminigussommesbienplusintelligents.Nousparviendronssûrementàtirerleschosesauclair.

–Noussommespeut-êtreplus intelligents, réponditBaluchon,mais,pourl’heure, je ne suis pas sûr que notre attitude soit la plus constructive. Leschoses changent autour de nous, Polochon. Peut-être faut-il que nouschangionsnous-mêmes.

–Etpourquoidevrions-nouschanger?demandaPolochon.Noussommesdes minigus. Nous sommes supérieurs. Ce genre de choses ne devrait pasnousarriver.Oudumoinsdevrions-nousentirerunbénéfice!

–Pourquoientirerions-nousunquelconqueavantage?demandaBaluchon.

–Maisenfin,parcequenousyavonsdroit ! réponditPolochonen levantlesyeuxauciel.

–Droitàquoi?insistaBaluchon.

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–DroitànotreFromage.

–Maispourquoi?

– Parce que nous ne sommes pas responsables de ce qui nous arrive,réponditPolochon.LapersonnequinousavolénotreFromageest tenuedenousdédommager.

–Nousferionspeut-êtremieuxd’arrêterdenoustriturerlesméninges,etdepartiràlarecherched’unnouveauFromage,suggéraBaluchon.

– Pas question, trancha Polochon. J’ai bien l’intention de faire toute lalumièresurcettehistoire.

Tandis que Polochon et Baluchon continuaient à tergiverser, Flair etFlèche avaient déjà considérablement avancé. Elles découvraient

chaque jour de nouveaux couloirs qu’elles arpentaient de long en large,traquantdegareengarelemoindresignedefromage.Parmontsetparvaux,bille en tête, elles poursuivirent ainsi leur infructueuse quête. Jusqu’à cequ’elles tombent, hors d’haleine, sur un site inédit : la gare fromagère N,comme une lueur dans la nuit ! À l’unisson, nos deux souris glapirentd’émerveillement;demémoirederongeur,c’étaitunfaitsansprécédent:unemontagnedenouveau fromagesedressait sous leursyeuxécarquillés.Ellesn’enavaientjamaisvuenaussigrandequantité.

Pendant ce temps, Polochon et Baluchon s’empêtraient dans la GarefromagèreF,àruminerleurtragédie.Leseffetsdusàl’absencedeFromagese faisaient cruellement ressentir. Ils se sentaient frustrés et contrariés, etcommençaientàserejeterlafautel’unsurl’autre.

Baluchon pensait régulièrement à Flair et à Flèche : avaient-ellesmis lapatte sur du fromage ? Il leur souhaitait bien du courage, tant il savaitcombien l’explorationdu labyrinthe était une entreprisehasardeuse.Mais ilnedoutaitpasqu’ellesfiniraientpartrouverleurtrésor.

Parfois, Baluchon imaginait Flair et Flèche découvrant du NouveauFromageets’enremplissantlapanse.Ilsongeaaubonheurquiseraitlesien

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s’ilpartaitlui-mêmeàl’aventurepourprospecterduNouveauFromage.Rienqu’àcetteidée,ilpouvaitpresquelesentirfondredanssabouche.

Plusils’imaginaitdécouvrantetdégustantceFromage,etplusilsevoyaitquitterlaGarefromagèreF.

–Enroute!s’exclama-t-ilsoudain.

– Non, répondit aussitôt Polochon. J’aime trop cet endroit. J’y ai monconfortetmeshabitudes.Tuoubliesquec’estdangereux,dehors.

–Cen’estpassidangereux,insistaBaluchon.Souviens-toicombiendefoisnousavonsparcouru le labyrintheensemble.Nousserions toujourscapablesdelefaire.

– Ce n’est plus de mon âge, dit Polochon. J’aurais l’air de quoi, à meperdrecommeunvulgairedébutant?

Enentendantcesmots,Baluchonsentitreveniraugaloplapeurdel’échecets’éloignerlaperspectiveduNouveauFromage,cequisuffitàledissuaderdequittersoncompagnond’infortune.

Jour après jour, nosminigus poursuivirent donc leur petitmanège. Ils serendaient à la Gare fromagère F, constataient l’absence de Fromage, etrapportaientchezeuxleurssoucisetleurfrustration.

Ils avaient beau faire comme si rien n’avait changé, ils avaient lesommeil de plus en plus léger, de moins en moins d’énergie en se

levant lematin, les nerfs à fleur de peau et la hantise du lendemain.Leursmaisons n’avaient plus rien des nids douillets d’autrefois, les murs sefissuraient et ily faisait froid.Denuit commede jour, leurviedevenaituncauchemar.Àcerythme,c’étaitcertain,ilssuccomberaienttôtoutard.Mais,invariablement, ils poursuivaient leur descente, regagnant chaque jour leurGarepours’ymorfondredansl’attente.

–Tusais,ditPolochon,sionretroussenosmanches,onverrapeut-êtrequerienn’avraimentchangé.LeFromageestsûrementtoutprèsd’ici.Peut-êtrel’ont-ilssimplementcachéderrièrelemur.

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Pourvérifiercettehypothèse,PolochonetBaluchonrevinrentlelendemainmunis d’outils. Polochon tint le burin pendant que Baluchon donnait degrandscoupsdemarteau,jusqu’àcequ’ilsréussissentàtranspercerlemurdelaGarefromagèreF.Ilscollèrentleursyeuxcontreletrou,maisnevirentpaslamoindremiettedeFromage.

Malgré leur déception, ils ne perdirent pas espoir. Les jours suivants, ilsarrivèrent plus tôt, restèrent plus longtemps, et travaillèrent d’arrache-pied.Mais, au bout du compte, ils se retrouvèrent simplement avec un trou plusgrand.

Baluchoncommençaitàsaisirladifférenceentreactivitéetproductivité.

–Onferaitpeut-êtremieuxderestertranquillementassis,etonverrabiencequisepasse,proposaPolochon.Tôtoutard,ilsserontbienobligésdenousrestituerleFromage.

Baluchonnedemandaitqu’àlecroire.Alorsilcontinuaàserendrechaquejour,lamortdansl’âme,àlaGarefromagèreFavecsonamiPolochon.MaisleFromagenereparutjamais.

Baluchon n’en pouvait plus d’attendre passivement que les chosess’arrangentd’elles-mêmes.Ilcompritqu’àforcedesepasserdeFromage,ilscouraientdroitàlacatastrophe.

Unjour,Baluchonfinitparéclaterderire:

–Regardeunpeudequoional’air!Onrépèteinlassablementlesmêmesgestes, et on s’étonne que rien ne bouge. Je te jure ! Si ce n’était pas siaffligeant,jetrouveraisçavraimentcomique.

Retourner dans le labyrinthe n’enchantait guère Baluchon : toutreprendre de zéro, se perdre, tourner en rond… Mais il fallait bien

mettre un terme à cet immobilisme suicidaire. Il devait surmonter sa peurpoursortirdel’ornière.

–Oùsontnosbaskets?demanda-t-ilàPolochon.

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Illuifallutdutempspourlesexhumer,carens’appropriantleFromagedelaGareFilsavaientlaisséchoirtoutcedontilspensaientneplusjamaisavoirbesoin.

Voyantsonamirevêtirsatenuedecourse,Polochons’écria:

–Tunecomptespassérieusementrepartirdanslelabyrinthe?Pourquoinerestes-tupastranquillementicijusqu’àcequeleFromagerevienne?

– Tu n’as décidément rien compris ! répondit Baluchon. Moi aussi, jerefusaisdevoirleschosesenface,maisj’aienfinadmisqu’ilfallaittireruntraitsurleFromaged’autrefois.L’heureestvenuededébusquerleNouveauFromage.

–Etquiteditqu’ilyauraduFromagelà-bas?Àsupposermêmequ’ilyenait,quiteditquetusaurasletrouver?

–Jenesaispas,ditBaluchon.

Lui-mêmes’étaitposécesquestionsdescentainesdefois.EnlesentendantdanslabouchedePolochon,ilsentaitsesangoissesreveniraugalop.

Alorsils’interrogeaànouveau:«Oùai-jeleplusdechancesdetrouverduFromage?Ici,oudanslelabyrinthe?»

Uneimageseformaalorsdanssatête.Ilsevitarpentantledédaleavecungrandsourireauxlèvres.

Pour surprenantequ’elle fût, cette image lui fit dubien. Il savaitqu’il seperdraitrégulièrementdanslesarcanesdulabyrinthe,maisilétaitconvaincuqu’il finirait, tôt ou tard, par atteindre ce Nouveau Fromage aux millepromesses.Soncouragereprenaitledessus.

IlfitalorsappelàsonimaginationpourdépeindreletableauleplusréalistepossibledesanouvelleviedansleNouveauFromage.

Il se vit ainsi savourant un merveilleux emmenthal aux beaux trousarrondis,deresplendissantesmimolettesetautres tranchesdecheddar,de lamozzarella,ducamembertaulaitcru,et…

Un raffut de tous les diables le sortit de sa rêverie.C’était Polochon quitentaitdelerameneràladureréalitédelaGarefromagèreF.

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Baluchons’enindigna:

–Tusais,Polochon,lavien’estqu’unesuccessiondechangements.Parfoisces changements sont temporaires, et parfois ils sont irréversibles. Enl’occurrence,jecroisquenoussommesdansledeuxièmecasdefigure.Maisc’est lavie,Polochon !Laviepoursuit sonbonhommedechemin.Etnousdevrionsenfaireautant.

Baluchonvoulait faireentendreraisonàsoncompagnonamaigri,maiscedernier,passédelapeuràlacolère,refusaitmêmedel’écouter.

N’endéplaiseàcevieuxbougon,Baluchonneput s’empêcherde rireenvoyant de quoi ils avaient tous deux l’air. Sa décision était prise : il étaittempsdereprendrelaroute.

En bouclant ses préparatifs, Baluchon se sentit déjà revivre. Il se savaitmaintenantcapablederiredelui-même,dedédramatiser,etd’allerdel’avant.

Dansunéland’enthousiasme,ildéclama:

–LABYRINTHE,MEVOILÀ!

Polochonrestademarbre.

Baluchon ramassa une petite pierre pointue, et grava dans le mur unepenséeprofonde,àl’adressedePolochon.Commeàsonhabitude,ilesquissales contours d’un fromage autour de samaxime, espérant ainsi dérider sonami,luimettredubaumeaucœur,etleremettresursesdeuxpiedspourpartiràl’assautduNouveauFromage.MaisPolochonluitournaostensiblementledos.

VoicicequeBaluchonavaitécrit:

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Baluchon posa un pied hors de la Gare et fixa le labyrinthe d’un œilinquiet. Il songea à la façon dont il s’était empêtré dans cette situation de«non-Fromage».

Ils’étaitditqu’iln’yavaitpeut-êtrepasdeFromagedanslelabyrinthe,ouqu’ilneparviendraitjamaisàmettrelamaindessus.Etcettepeurparalysantel’avaittuéàpetitfeu.

Il savait que Polochon continuait à se demander : « Qui a piqué monFromage?»Maisluisedemandaitmaintenant:«Pourquoin’ai-jepasréagiplustôt?»

Après avoir avancé de quelques mètres dans le labyrinthe, Baluchon seretournaendirectiondel’endroitqu’ilvenaitdequitter.Seshabitudesetsesrepèresluimanquaientdéjà.Ceterritoirefamilierluiouvraitgrandlesbras–bienqu’onn’ytrouvâtplusdeFromagedepuisbellelurette.

Baluchon n’était plus sûr de vouloir s’aventurer dans le labyrinthe. Ilécrivit une nouvelle phrase sur le mur devant lui, et la contempla un bonmoment:

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Ilyréfléchitsérieusement.

Ilsavaitquelapeuraparfoisdubon.Quandnousredoutonsqueleschosess’enveniment,cettepeurpeutnousaideràprendreletaureauparlescornes.Maiselleestparfoissifortequ’ellenoustétanise.

Ilregardasursadroite,làoùiln’avaitjamaismislespieds,etsentitlapeurmonterenlui.

Il prit une grande inspiration, pivota, et se lança, en trottinant, dansl’inconnu.

Maintenant qu’il avait repris la route, Baluchon craignait d’avoir tropattendu pour quitter la Gare fromagère F. Il n’avait rien avalé depuis deslustresetsesentaittrèsfaible.Sonrythmes’entrouvaitralenti,etl’effortluiétaitpénible.Ilsepromitquesilachancedevaitsereprésenter,ilrenonceraitàsonconfortpours’adapterauchangementbienplustôt.

Malgré sa souffrance, un sourire se dessina sur son visage éprouvé.«Mieuxvauttardquejamais»,sedit-ilinpetto.

Lesjourssuivants,ilrepéraparendroitsquelquesmiettesappréciables,de vieux restes de Vieux Fromage, mais jamais rien de bien

conséquent. Il avait tant rêvé d’en trouver suffisamment pour ramener àPolochon de solides arguments : « L’avenir est ailleurs, mon ami, alorsrejoins-moi dans ma quête ! Ensemble nous serons plus forts et nousrelèveronslatête!»Maisuntelretourétaitencoreprématuré.Iln’avait,pourl’heure,d’autrechoixquedecontinuer.Il faisaitdeuxpasenavant,puisunpas en arrière,mais, tout compte fait, était-ce aussi terrible que ça en avaitl’air?

Il devait bienadmettreque le labyrinthe était quelquepeudéroutant.Leschosesavaientchangédepuisladernièrefoisqu’ils’yétaitaventuré.Àpeinecroyait-iltenirlebonboutqu’ilseretrouvaitperdudanscedédaleinfernaldecouloirs.

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Ilcommençaàsedemanders’ilétaitvraiment réalisted’espérerdénicherdu Nouveau Fromage. Et s’il n’était pas condamné à ronger son freinéternellement.Puisiléclataderire:çaluiferaitaumoinsquelquechoseàsemettresousladent!

Dèsqu’ilsesentaitguettéparledécouragement,ilserépétaitque,quellesquefussentlesdifficultésdumoment,ilvalaittoujoursmieuxsebougerquederestersansFromage.Reprendresondestinenmain,plutôtquedesubirleschoses.

PuisilseditquesiFlairetFlècheavaientsus’adapter,alorslui-mêmeenétaitforcémentcapable!

Un peu plus tard, en remuant ses souvenirs, il comprit enfin que,contrairement à ce qu’il avait cru, le Fromage n’avait pas quitté la GarefromagèreFdujouraulendemain.Laréserves’étaitlentementépuisée,etlesderniers morceaux avaient du reste mal vieilli, au point de perdre toutesaveur.

Peut-être même que la moisissure avait fait son apparition sur le VieuxFromage,sansqu’ils’enfûtrenducompte.Ilseditques’il l’avaitvoulu, ilaurait certainement pu voir à temps ce qui se tramait. Mais force était deconstaterqu’iln’yétaitguèredisposé.

Baluchon en conclut que le changement ne l’aurait pas pris au dépourvus’ilavaitsuanticiperlesévénements.Telétaitpeut-êtrelesecretdeFlairetdeFlèche.

Il résolut d’être désormais plus attentif.Conscient que le changement estinévitable, il tâcherait d’ouvrir l’œil. Il s’en remettrait dorénavant à sonintuitionpourprévoirlesévolutions,s’ypréparerets’adapter.

S’arrêtantpoursouffler,ilinscrivitsurunmur:

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Finalement, après une période de disette qui lui parut bien longue,Baluchon parvint aux abords d’une grande Gare fromagère aux alluresprometteuses.Maisquellenefutpassadéceptiondeconstater,enypénétrant,qu’elleétaitdéserte.

«Cettesensationdeviden’aquetropduré!»fulmina-t-il.Ilavaitenviedetoutlaissertomber.

Baluchonétaitphysiquementàbout.Sesachantperdudanslelabyrinthe,ilcraignait d’être perdu tout court ! Il envisagea de faire demi-tour pourregagner laGare fromagère F. S’il y parvenait, et si Polochon s’y trouvaitencore, au moins ne serait-il plus seul… Puis il se posa de nouveau cettequestion:«Queferais-tusitun’avaispaspeur?»

Baluchon croyait avoir surmonté ses angoisses, et pourtant, bon gré,malgré,ellesrevenaientsouventàlacharge.

Trèsaffaibli,ilsedisaitsimplementqu’ilappréhendaitdevoyagerseul.Enréalité,siBaluchonavaittantdemalàavancer,c’étaitparcequedevéritablesangoissesleretenaientparlesbretelles.

Baluchon se demanda si Polochon s’était enfin décidé à bouger, ou s’ilrestait paralysé par ses propres peurs. Puis il se remémora ses meilleursmomentspassésdanslelabyrintheetserenditcomptequ’ilscorrespondaienttousàdespériodesdemouvement.

Ilécrivitunenouvellephrasesurlemur,destinéeaussibienàluiservirdepense-bête qu’à soutenir Polochon si, par miracle, celui-ci décidait de lerejoindre:

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Au seuil d’un nouveau couloir sombre, Baluchon sentit son estomac senouer. Qu’allait-il trouver au bout de ce corridor ? Le vide, commed’habitude?Ou,pire,l’endroitétait-iltruffédepièges?Leschoseslesplussordides lui vinrent à l’esprit.À ce compte, il allait littéralementmourir detrouille.

Puis il eut un sursaut, et se mit à rire de lui-même. Il comprit que sescraintesne faisaientque luicompliquer la tâche.Alors ildécidade fairecequ’ilferaits’iln’avaitpaspeur:ils’engageadanslagalerielugubre.

Un sourire se dessina sur ses lèvres. Sans en être conscient, il venait depercer lesecretde la réussite :avoirconfianceen l’avenir,mêmesi l’onnepeutjamaissavoirdequoidemainserafait.

Baluchoncommençaitàsesentirdemieuxenmieux.«Commentpuis-jemesentiraussibien?sedemanda-t-il.Jen’aipasdeFromage,et jenesaismêmepasoùjevais.»

Maisilnetardapasàtrouversaréponse.

Ils’arrêtapourlagraverdanslemur:

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Baluchon comprit qu’il avait été prisonnier de sa peur, et qu’il s’en étaitaffranchienprenantunenouvelledirection.

Dans cette partie du labyrinthe soufflait maintenant une briserafraîchissante.Ilinspiraàpleinspoumons,etenfutrevigoré.Ilnes’attendaitpasàunclimatsifavorable.Commequoi,sapeurétaitinfondée…

Cela faisait un bail queBaluchon ne s’était pas senti aussi bien. Il avaitpresqueoubliétoutleplaisirquel’onpouvaitéprouveràallerdel’avant.

Pourêtreencoreplusfort,ilsecomposaunenouvelleimagementale.D’unréalisme saisissant, elle le représentait assis entre des monticules de sesfromagespréférés–delamimoletteaubrie!Ilsevoyaitdévorantlentementcesmerveilles,etcetteévocationleravit.Puisilsongeaàtoutescessubtilessaveursqu’ilsauraitdésormaisapprécieràleurjustevaleur.

Àmesurequ’elleseprécisaitdanssatête,cettevisiondevenaitdeplusenpluscrédible.Auplusprofonddesonêtre,ilsentaitmaintenantqu’ilallaityarriver.

Ilécrivit:

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Ravalant remords et regrets, tirant un trait sur le passé, Baluchonsongeait désormais à ce qu’il pouvait gagner. Pourquoi toujours

considérerlechangementcommeundanger,etnoncommeunechance,unevoieverslafélicité?S’envoulantseulementdenepasl’avoircomprisplustôt,ilpoursuivitsarouteenenclenchantleturbo.C’estainsiqu’ilparvintauxabordsd’uneGareinédite,dontl’entréeétaitparseméedecurieusespépites.

C’étaientdesmorceauxdeFromaged’ungenrenouveau,maisd’aspectfortappétissant.Ilenpritun,legoûta,etletrouvadélicieux.Alorsilseremplitleventredetoutcequ’ilavaitsouslamain,hormisquelquesmorceauxqu’ilmitdanssapocheenguisedeprovisions,etqu’ilauraitpeut-être–quisait?–leplaisirdepartageravecPolochon.Laformedesgrands jours revenaitpeuàpeu.

Tout excité, il pénétra enfin dans laGare fromagère.Manquede chance,elle était vide. Quelqu’un l’avait précédé, ne lui laissant que les miettesdevantl’entrée.

Il comprit que s’il avait réagi plus tôt, il aurait sûrement trouvé ici degrandesquantitésdeNouveauFromage.

Baluchon décida d’aller retrouver Polochon pour voir s’il était prêt à lerejoindre.

Enrebroussantchemin,ilfitunepausepourgriffonnersurlemur:

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BaluchonparvintàretrouverlechemindelaGarefromagèreFetvitquePolochonn’avaitpasbougé.IlluitenditdesmorceauxdeNouveauFromage,maisPolochondéclinal’offre.

Bienqu’ilfûttouchéparcegeste,Polochonexpliqua:

–JedoutefortqueleNouveauFromagesoitàmongoût.Jesuishabituéàl’ancien.JeveuxmonFromage,etjen’endémordraipas.

Navré,Baluchonsecoua la tête,etserésolutàreprendre larouteensolo.En retrouvant le point le plus avancé de sa course dans le labyrinthe, il serenditcomptequesonamiluimanquait,maisqu’ilappréciaitmalgrétoutsanouvelle vie. Avant même d’avoir touché à son but – un gros stock deNouveauFromage–ilcomprenaitquesonbonheurnetenaitpasseulementàcequ’ilpossédait.

Ilsesentaitheureuxquandiln’étaitplusenproieàlapeur.L’aventureelle-mêmeavaitungoûtsavoureux.

Dès lors,malgré sa faim, il se sentaitbeaucoupplus fortque lorsqu’il semorfondaitdanslaGarefromagèreF.Savoirquelapeurn’auraitplusjamaisraisondelui,etqu’ilavaitprisunnouveaudépart,lestimulaitetluidonnaitlecouragedesebattre.

Ildevinaitàprésentquesonsuccèsn’étaitplusqu’unequestiondetemps.D’une certaine manière, c’était comme s’il avait déjà trouvé l’objet de saquête.

Unenouvellepenséeachevadeleréconforter:

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Baluchoncompritànouveauquelasituationn’est jamaisaussigravequecequel’onpeutcraindre.Lapeurqu’onlaisses’installeresttoujourspirequelaréalitédeschoses.

Persuadéqu’ilnetrouveraitjamaisdeNouveauFromage,iln’avaitmêmepasvouluessayer.Maisdepuis sonnouveaudépartdans le labyrinthe, il enavaittrouvésuffisammentpourcontinueràavancer.Sonbutétaitdésormaisd’en découvrir davantage. Le simple fait de viser plus haut était en soi unformidabledéfi.

Balayée l’idée selon laquelle le Fromage devait toujours rester aumêmeendroit!Baluchonprenaitmaintenantconsciencequelechangementestunechose inéluctable, que nous l’ayons prévu ou non. Le changement ne nousprendparsurprisequelorsquenousrefusonsdelevoir.

Pourimmortalisercettenouvellephilosophiedelavie,ilécrivitsurlemur:

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Baluchon n’avait pas encoremis lamain sur son Fromage,mais cela nel’empêchapasdeméditercequ’ilavaitappris.

Il comprit que de nouvelles convictions induisaient de nouveauxcomportements. Fini le temps où il retournait inlassablement dans sa garesansFromage.Ilsavaitmaintenantqu’enchangeantlescroyancesancréesensoi,onchangeaitforcémentd’attitude.

Onpouvaitconsidérerlechangementcommeunemenace,ets’yopposer.OubienconsidérerleNouveauFromagecommeunechanceàsaisir,etdoncyadhérer.

C’étaitunesimplequestiondechoix.

Ilécrivitsurlemur:

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Baluchonsavaitqu’ilseraitaujourd’huienmeilleureformes’ilavaitréagiau changement bien plus vite et quitté la Gare fromagère F plus tôt. Il sesentiraitphysiquementetmentalementbeaucoupplusfort,etilluiseraitbienplus facile de relever sonnouveaudéfi.Àvrai dire, il aurait sûrement déjàmislamainsursonNouveauFromages’ilavaitsuanticiperlechangement,plutôtquedeperdreuntempsprécieuxàrefuserd’ouvrirlesyeux.

Il fit de nouveau appel à son imagination pour se projeter dans sesmonticules de Fromage. Il décida alors de s’aventurer dans les endroits lesplusreculésdulabyrinthe,oùiltrouvaçàetlàdesmiettespourserestaurer.Peuàpeu,Baluchonserefitunesantéetrepritconfiance.

Enconsidérantlecheminparcouru,Baluchonseditqu’ilavaitbienfaitderecouvrir les murs de sa prose. Ainsi pourrait-elle servir de balisage àPolochon,s’ilsedécidaitunjouràquitterlaGarefromagèreF.

Baluchonespéraitseulementqu’ilnefaisaitpasfausseroute.Iln’auraitpasaimédonnerdemauvaisesindicationsàsonami.

Ilécrivitsurlemurunepenséequiletravaillaitdepuisunbonmoment:

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Poursuivant sa quête plus déterminé que jamais, il affronta le dédaleavecuneénergiedécuplée.Décidéàendécoudre,àremportercedéfi,

ilinsista,larageauventre,etlemiracleseproduisit.Commeilcommençaitàtrouverletempsbienlong,leboutdutunnelapparut,éblouissantàl’horizon.Audétourd’unnouveaucouloir,unraidelumièredanslenoir…Était-celafin de l’errance ? Était-il au bout de ses peines ?Mais oui, c’était bien duNouveauFromage,danslaGarefromagèreN!

Ilpénétraà l’intérieur,etcrut tomberà la renverse.Dusolauplafondsedressait le plus gros stock de Fromage qu’il ait jamais vu de toute sa vie,comprenantcertainesvariétésqu’ildécouvraitpourlapremièrefois.

Ilsedemandasitoutcelaétaitbienréel,ousisonimaginationn’étaitpasen trainde lui jouerunmauvais tour.Mais il sutquecelan’avait riend’unrêveenapercevantsesvieillescopinesFlairetFlèche.

Flairluisouhaitalabienvenued’unhochementdetête,etFlèched’ungestedelapatte.Ondevinaitàleursventresrebondisqu’ellesétaientlàdepuisuncertaintemps.

Baluchonlessaluarapidement,puismorditàpleinesdentsdanschacundesesFromagespréférés. Ilôtaseschaussuresetse lesattachaautourducou,prêtàlesrenfilerencasdebesoin.FlairetFlècherirentdeboncœur,opinantduchefensigned’admiration.PuisBaluchonsejetadetoutsonlongsurleNouveauFromage.Quandilfutrassasié,illevaunebelletranchedeFromagejeunecommepourporteruntoast:

–ViveleChangement!

Heureux comme un coq en pâte, Baluchon songea à tout ce qu’il avaitappris.

Sa peur du changement l’avait longtemps maintenu dans l’illusion d’unVieuxFromageinamovible.Maisqu’est-cequiluiavaitfaitouvrirlesyeux?Était-ce la peur demourir de faim?Baluchon sourit en se disant que cettedernièreyétaitsûrementpourquelquechose.

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Puisils’esclaffa:toutavaitchangédujouroùilavaitsuriredelui-mêmecommedeseserreurs.Ilserenditcomptequelemoyendeprogressionleplusrapideétaitencorel’autodérision–quipermettaitdedédramatiserpourallerdel’avant.

Ilétaitconscientdedevoirl’unedesesplusbellesleçonsauxdeuxsourisFlairetFlèche:ellessavaientsesimplifierlavie.Ellesnes’encombraientpasd’analyses et de complications à tout va. Face à la nouvelle donne – ladisparition du Fromage –, elles avaient immédiatement réagi en changeantelles-mêmes.Ilveilleraitànejamaisl’oublier.

Mais Baluchon avait également fait appel à son puissant cerveau deminigus pour faire ce dont les souris étaient incapables : il s’étaitmentalement projeté – avec force détails – dans un avenir meilleur. Bienmeilleur.

En revoyant les erreurs qu’il avait pu commettre, il en tira de précieuxenseignementsquiluiserviraientàl’avenir:

Ilfauttoujoursprendresoindesimplifierlesenjeux,defairepreuvedesouplesse,etderéagirvite.

Il ne sert à rien de monter les problèmes en épingle ni de se remplirl’espritdepeursinfondées.

En sachant déceler les signes annonciateurs de changement, on seprépared’autantmieuxàd’éventuelsbouleversements.

Baluchon se dit qu’il devrait désormais s’adapter plus vite, car plus ontraînedespieds,etmoinsonadechancesd’yparvenirunjour.

Ilétaitbienobligéd’admettrequeleplusgrosobstacleauchangementsetrouvaitenchacun,etqueleschosesnepouvaients’améliorerquelorsqu’onchangeaitsoi-même.

Par-dessus tout, Baluchon comprit qu’il y aurait toujours du NouveauFromage quelque part, prêt à être mangé, pour peu qu’on veuille bien

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l’admettre. Et que ce Fromage inconnu constituait une formidablerécompensepourquisavaitsurmontersapeuretprendregoûtàl’aventure.

Certes, lapeuraparfoisdubon,notamment lorsqu’ellenouspréservedudanger. Mais Baluchon se rendait compte que la plupart de ses angoissesétaient irrationnelles et l’avaient empêché de procéder rapidement auxajustementsnécessaires.

Bien qu’il l’eût trouvé détestable sur le moment, il reconnut que lechangement survenu à laGare fromagèreF était en fait un cadeaudéguisé,uneformidableopportunitépourtrouverunmeilleurFromage.

Auboutducompte,ils’étaitmêmedécouvertdenouveauxtalents.

Tandis qu’il récapitulait ses acquis, Baluchon pensa aussi à son amiPolochon.Cedernier avait-il lu les inscriptionsgravées sur les parois de laGarefromagèreFettoutaulongdulabyrinthe?

S’était-ilenfindécidéàrepartirdezéro?S’était-illancédanslelabyrinthe,etavait-iltrouvéunnouveausensàsavie?Ouétait-iltoujoursaussironchon,àcampersursespositions?

Baluchon eut envie de reprendre le chemin de la Gare fromagère F – àsupposerqu’il leretrouve–pouralleràlarencontredePolochon.Ilpensaitainsipouvoirluimontrercommentreleverlatête.Puisilseditqu’ilavaitdéjàessayédesortirsonamidupétrin–envain.

Polochon devait trouver la solution par lui-même, en renonçant à sonconfortetensurmontantsapeur.Personnenepouvait le faireàsaplace,nimême l’en convaincre. C’était à lui seul de comprendre les bienfaits duchangement.

Baluchonsavaitqu’ilavaitpavélecheminpourPolochon,etquecelui-cin’auraitqu’àsuivrelesécrituresdumur.

Ilserenditàl’extérieurdelaGarefromagèreN,pourinscriresursaplusgrande façade un condensé de ses découvertes. Il traça les contours d’unénorme fromageautourde son texte, et sourit en relisant tout cequ’il avaitappris:

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BaluchonmesuratoutlecheminparcourudepuisletempsoùilselaissaitvivredanslaGarefromagèreF.Ilsavaitcombienilseraitfacilederetomberdans lesmêmes traverss’il se laissaitgriserparsonnouveauconfort.Aussiprit-illesoind’examinerchaquejourl’étatdeconservationdesonFromage.Ilferaitdésormaistoutsonpossiblepournepasselaissersurprendreparunnouveaubouleversement.

Il n’attendit pas que sa réserve se réduise comme peau de chagrin pours’aventurerrégulièrementhorsdelaGare,afinderepérerdenouveauxsitesetderesteraufaitdesévolutionsdelaconjoncture.Ilcompritquelameilleuredessécuritésétaitencoredemesurerl’étenduedespossibilitésoffertesplutôtquedesecalfeutrerdansunpetitniddouillet.

Un jour, Baluchon crut entendre un bruit de pas dans le labyrinthe. Entendantl’oreille,ilcompritquequelqu’uns’approchait.

Était-cePolochon?Sonvieilamiallait-ilsurgiraufondducouloir?

Baluchon récita une petite prière, espérant – comme tant de foisauparavant–qu’enfin,peut-être,sonamiavaitapprisà…

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FIN…

àmoinsquecenesoit

unnouveaudépart?

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UnediscussionPlustarddanslajournée

QuandMichaeleutterminésonhistoire,ilscrutasesancienscamaradesetvitqu’ilssouriaient.

Plusieurs le remercièrent, disant qu’elle leur avait ouvert les yeux surbeaucoupdechoses.

–Quediriez-vousdenousrevoircesoirpourenreparler?lançaNathanàlacantonade.

Laplupartd’entreeux furentenchantésàcette idée, sibienqu’ilsprirentrendez-vouspourunapéritif.

Cesoir-là,enseretrouvantaubard’unhôtel,ilscommencèrentàplaisanterau sujet de leurs «Fromages» respectifs et de leur supposéequête dans lelabyrinthe.

PuisAngelademandaauxautres,entoutecamaraderie:

– Alors, qui seriez-vous dans cette histoire ? Flair, Flèche, Polochon ouBaluchon?

– J’y pensais justement cet après-midi, répondit Carlos. Je me souviensd’unepériodedemavie,bienavantquejen’ouvremaboutiqued’articlesdesport,oùlechangementm’enafaitvoirdetouteslescouleurs.Jen’étaispascommeFlair–jen’airienvuvenir.EtencoremoinscommeFlèche–j’étaislittéralement paralysé. J’étais plutôt comme Polochon, qui voulait rester enterrain connu. En vérité, je ne voulais pas faire face à ce changement. Jerefusaismêmedel’admettre.

Michael,quimalgré toutescesannées se sentait toujoursaussiprochedesonvieuxcomplice,luidemanda:

–Qu’est-cequit’estarrivé,monami?

–Unbrusquechangementdeboulot.

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Michaelsemitàrire:

–Tuveuxdirequetuasétéviré?

–Disonssimplementque jen’étaispasdisposéà rechercherduNouveauFromage dans la boîte où je travaillais. Je pensais vraiment être à l’abri detout.Inutiledevousdirequejesuistombédehaut.

Ceuxquin’avaientencorerienditsesentaientmaintenantplusàl’aisepourconfier leurs propres aventures. Ainsi vint le tour de Frank, qui s’étaitrécemmentengagédansl’armée:

–Polochonme fait penser à l’undemesamis.La filialedugroupepourlequel il travaillait était sur le point de mettre la clé sous la porte. Ilsreclassaientlessalariéslesunsaprèslesautres.Maisilnevoulaitriensavoir.Nous avons tous essayé de lui présenter les nombreuses opportunitésqu’offrait lamaisonmèreàceuxqui étaientprêts à s’adapter,mais ilne sesentaitpasconcerné,estimantqu’ilétaitbienlàoùilétait.Ilfutleseulsurprisquand sonna l’heure du dépôt de bilan. Aujourd’hui, il trime comme undinguepourrattraperletempsperdu.

–Moinonplus,confia Jessica, jenem’attendaispasàceque leschoseschangent,etpourtantonm’a«piquémonFromage»plusd’unefois.

Seul Nathan ne se joignit pas aux éclats de rire qui accueillirent cetteremarque.

– Voilà peut-être le fond du problème, dit-il. Un jour ou l’autre, nossommestousconfrontésauchangement.Jeregrettequemafamillen’aitpasentendu cette histoire plus tôt. Nous refusions de voir les évolutions dumarché,etmaintenantc’esttroptard–nousavonsdûliquiderdenombreusesboutiques.

Cette nouvelle en surprit plus d’un. Ils s’étaient toujours dit queNathanavait de la chance de travailler dans une entreprise prospère qui luigarantissaitunecertainesécurité.

–Ques’est-ilpasséaujuste?demandaJessica.

–Notrechaînedepetitesboutiquesaprisunsérieuxcoupdevieuxquandle roi du secteur a ouvert un immense magasin en ville, avec un choix

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imbattable et des prix défiant toute concurrence.Onne lui arrivait pas à lacheville. Maintenant, je vois bien que nous n’avions rien de Flair ni deFlèche,maistoutdePolochon.Noussommesrestésimmobiles,sanstoucherà rien. Aujourd’hui nous le payons vraiment très cher. Baluchon aurait eubeaucoupdechosesànousapprendre–carnousétionsbienincapablesderiredenous-mêmescommedechangerd’attitude.

Laura, qui était devenue une brillante femme d’affaires, écoutaitattentivement,maisn’avaitencoreriendit.

–J’aimoiaussibeaucoupréfléchiàcettehistoire,lança-t-elle.Jemesuisdemandé comment je pouvais suivre l’exemple de Baluchon pour prendreconscience de mes erreurs, rire un bon coup, et repartir sur de nouvellesbases.

Elles’interrompituninstant,puisajouta:

– J’ai une question à vous poser : combien parmi vous redoutent lechangement?

Devantlesilencedesescomparses,elleproposa:

–Queceuxquiontpeurlèventlamain.

Uneseulemainsedressa.

– Eh bien, il semble qu’il y ait une personne honnête dans ce groupe !Alorsjevaisvousposeruneautrequestion:combienparmivouspensentquelesautrescraignentlechangement?

Ilslevèrentlamainàlaquasi-unanimité,avantd’éclaterderire.

–Quepeut-onenconclure?demanda-t-elle.

–Qu’onsevoilelaface,réponditNathan.

– C’est vrai que nous ne sommes pas toujours conscients d’avoir peur,reconnutMichael.Pourmapart,jenem’enrendaisabsolumentpascompte.Quand on m’a raconté cette histoire pour la première fois, j’aiparticulièrement aimé cette question : « Que ferais-tu si tu n’avais paspeur?»

Jessicaajouta:

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– Moi, ce que je retiens de cette histoire, c’est que le changement estpartout,etqueceuxquis’ensortentlemieuxsontceuxquisavents’adapterrapidement. Je me souviens qu’il y a plusieurs années, notre entreprisecommercialisait une encyclopédie comportant plus de vingt volumes. Unepersonne tentadenousconvaincredemettre l’intégralitédecetouvragesurCD-Rom,cequinousauraitpermisdel’actualiserplusfacilement,deréduireconsidérablement son coût de fabrication, et donc de la rendre bien plusabordable.Maisnousnevoulionsriensavoir.

–Pourquoiça?demandaNathan.

–Parcequenousestimionsquelesuccèsdenotresociétéreposaitsurnotrepuissanteforcedevente.Leprixélevédenosproduitspermettaitd’offrirdefortes commissions à nos commerciaux. Ce système faisait notre succèsdepuisdesannées,etnouslecroyionséternel.

–Telleestpeut-êtrelasignificationdecette«arrogancedeparvenus»dontsouffraient Polochon et Baluchon, suggéra Laura. Ils ne pensaient jamaisavoiràrevenirsurcequileuravaitsibienréussijusqu’alors.

–Ensomme,ditNathan,vousconsidériezvotreVieuxFromagecommeleseulFromagepossible.

–Exactement.Et nous étions bien décidés à nous y accrocher.Quand jerepenseàcequinousestarrivé,jecomprendsqu’onnenousapasseulement« piqué notre Fromage », mais que tout « Fromage » a une durée de vielimitée.Quoiqu’ilensoit,cequenousavonsrefusédefaire,unconcurrentaeulabonneidéedelefaireànotreplace,etnosventesontpiquédunez.Noussommes depuis dans une situation critique. Et aujourd’hui, alors qu’unenouvelle révolution technologique se profile dans notre industrie, personnedansl’entreprisenesembles’ensoucier.Toutcelamelaisseprésagerlepire.Jesensquejenevaispastarderàmeretrouverauchômage…

–Labyrinthe,mevoilà!s’écriaCarlos.

Toutlemonderit,ycomprisJessica.

Carlossetournaverscettedernière:

–Jevoisquetusaisriredetoi-même.C’estunbonpoint.

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–Etc’estsurtoutcelaquej’airetenudecettehistoire,ditFrank.Moiquiaitendanceàmeprendretropausérieux,j’aivucommentBaluchonparvenaitàchangerdèslorsqu’ilapprenaitàriredelui-mêmecommedeseserreurs.

–EtcebravePolochon,demandaAngela,croyez-vousqu’ilaura finipars’adapterettrouverleNouveauFromage?

–Jepensequeoui,ditElaine.

–Pasmoi,objectaCory.Certainespersonnesnechangentjamais,quitteàenpayerleprixfort.Jevoisdespatientsdecetypetouslesjoursdansmoncabinet. Ilsconsidèrentque leur«Fromage» leurestdû.Dèsqu’on le leurretire,ilssedressentenvictimesetenveulentaumondeentier.Aufinal,ilssouffrentbienplusqueceuxquisefontuneraisonetpassentàautrechose.

Commes’ilpensaitàvoixhaute,Nathanditalors:

–Finalement,laquestionestlasuivante:renonceràquoi,etpouralleroù?

Unangepassa.

– Je dois admettre, poursuivit Nathan, que j’avais bien vu ce qu’il étaitadvenudesboutiquescommelesnôtresdansd’autresrégionsdupays,maisj’espéraisquenousserionsépargnés.Jesupposequ’ilestpréférabled’initierlechangementtantqu’onenalesmoyens,plutôtquedecouriraprèsunefoisqu’ils’estproduit.Ensomme,c’estpeut-êtreànousdedéplacernotrepropreFromage.

–Qu’entends-tuparlà?demandaFrank.

–Jenepuism’empêcherdemedemanderoùnousenserionsaujourd’huisinous avions revendu l’ensemble de nos locaux pour construire une grosseentitémodernecapablederivaliseraveclesplusgrandsdumarché.

Lauraenchaîna:

– C’est peut-être ce que voulait dire Baluchon en écrivant sur le mur :«Prendsgoûtàl’aventureetbougeavecleFromage.»

–Pourmapart,ditFrank, jecroisquecertaineschosesnedoiventjamaischanger. Je refuserai toujours, par exemple, de renoncer aux valeursauxquelles je crois. Cela dit, je me rends compte à présent que les choses

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iraient bienmieux si j’avais « bougé avec le Fromage » bien plus tôt dansmonexistence.

– Dis-moi, Michael, ton histoire est bien jolie, dit Richard l’éternelsceptique, mais comment l’as-tu toi-même mise en pratique dans tonentreprise?

Le groupe ne le savait pas encore,maisRichard traversait lui-mêmeunepériodetrouble.Récemmentséparédesafemme,ilessayaittantbienquemaldeconciliersacarrièreaveclachargedesesenfants.

– En vérité, répondit Michael, je pensais que mon travail consistaitseulementàgérerlesproblèmesaujourlejour,alorsquej’auraisdûraisonnerà long terme et regarder vers l’avenir. Dieu sait pourtant si j’en ai eu, desproblèmesàgérer.Vingt-quatreheuressurvingt-quatre.J’étaislaplupartdutemps d’une humeur massacrante. Je me sentais pris au piège, incapabled’avancer.

–Ensomme,ditLaura,tutecontentaisdegérer,làoùtuauraisdûdiriger.

– Exactement. Mais après avoir entendu l’histoire deQui a piqué monFromage? j’ai compris quemon rôle consistait à définir les contours d’un«NouveauFromage » que nous aurions tous envie d’atteindre, et qui nouspousseraitàallerdel’avant,quecesoitautravailcommeàlamaison.

– Mais pour ce qui est de ton travail, qu’as-tu fait au juste ? demandaNathan.

–Ehbien,endemandantàmescollèguesquelpersonnage ils incarnaientdanscettehistoire,jevisquelesquatretempéramentsétaientreprésentésdansl’entreprise. J’en déduisis que les Flair, les Flèche, les Polochon et lesBaluchondevaientêtretraitésdifféremment.

« Nos Flair, étant capables de détecter les évolutions du marché, nousaidèrentàactualiserleprojetdel’entreprise.Ilsfurentincitésàanticiperlesnouvellesdemandesdebiensetdeservicesquenousaurionsàsatisfaire.Ilsfurent ravisdepouvoir enfin travaillerdansunenvironnementnovateurquisavaits’adapteràsonépoque.

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« Nos Flèche, aimant l’action et le travail concret, furent encouragés àprendredesinitiativesenrelationaveclenouveauprojetd’entreprise.Ilfallutsimplementveilleràcequ’ilsnesedispersentpasdanstouslessens.Onlesrécompensa largement pour les initiatives qui avaient permis de gagner deNouveaux Fromages. Ils furent touchés de voir que leur entreprise étaitsensibleauxperformancesdesesemployés.

–Etqu’avez-vousfaitdevosPolochonetBaluchon?demandaAngela.

–Malheureusement,lesPolochonétaientlesbouletsquinousempêchaientd’avancercommenousl’entendions.Ilsétaientsoitenracinésdansleurpetitconfort,soiteffrayésà l’idéequequelquechosepuissechanger.Certainsdenos Polochon parvinrent tout de même à évoluer quand ils comprirent lapertinencedenotreprojetcollectif.

« Leur premier souci étant la sécurité, nous devions montrer à nosPolochon que les changements en question étaient fondés, et qu’ils avaienteux-mêmes tout à y gagner. Quand ils comprirent que le véritable dangerrésidaitdanslestatuquo,notreprojetpermitdeconvertircertainsPolochonenBaluchon.

–Etqu’avez-vousfaitdesPolochonjusqu’auboutistes?demandaFrank.

–Nousavonsdûnousséparerd’eux,ditMichaelavecregret.Nousaurionsaimégardertoutnotrepersonnel,maisnoussavionsquesinousnechangionspasrapidement,nousaurionstousdegrosennuis.

« Mais la bonne nouvelle, c’est que nos Baluchon ont su vaincre leursappréhensions initiales. Ils étaient assez ouverts d’esprit pour accepter lanouveauté,agirdifféremment,ets’adapterrapidement.

«Au final, ilsontapprisnonseulementàanticiper,maisà favoriseret àpromouvoir lechangement.Parcequ’ilsconnaissaientmieuxqued’autreslanature humaine, ils nous ont aidés à dépeindre une image du NouveauFromagequisoitcrédibleetattractiveauxyeuxdetous.

« Nos Baluchon furent contents de travailler dans une organisation quioffraitàsonpersonnellaconfianceetlesoutilsnécessairespourchanger.Et

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ils nous aidèrent à garder notre humour tout au long de notre quête duNouveauFromage.

–Ettoutcelagrâceàunesimplehistoire?demandaRichard.

Michaelsourit:

–La clé du changement ne fut pas tant l’histoire elle-même, que ce quenousenavonsfait.

Angelarepritlaparole:

–Ayantmoi-mêmeunfortcôtéPolochon,cequim’aleplusmarquéedanscette histoire, c’est lorsque Baluchon se moque de sa propre peur, puiss’imagineentraindedégusterson«NouveauFromage».Cetteimagerendlelabyrinthe moins hostile et sa quête plus agréable. Au bout du compte,Baluchonse retrouvebienplus richeà l’arrivéequ’audépart. Jevais tâcherd’enprendredelagraine.

– Ce qui prouve que certains Polochon peuvent comprendre l’intérêt duchangement!s’amusaFrank.

–Commel’intérêtdeconserversonemploi,enchaînaCarlos.

–Ouderecevoiruneaugmentation,ajoutaAngela.

Richard,quecettediscussionavaitrendubiensongeur,intervint:

–Depuisquelquetemps,monchefmeditquenotreentreprisedoitévoluer.Jeviensseulementdecomprendrequ’ilsouhaitaitenfaitquecesoitmoiquiévolue.J’avoueque jen’ai jamaiscomprisquelétaitau justece«NouveauFromage»qu’ilvoulaitnousfaireentrevoir,oudumoinscequej’avaisàygagner.

Ilesquissaunlégersourireenavouant:

– J’aimebien cette idéede représentationmentaleduNouveauFromage.Elle offre une vision positive de l’avenir. C’est en voyant tout ce que lechangementpeutnousapporterqu’onaenvied’yadhérer.

«Jepourraispeut-êtreappliquercetteméthodeàmavieprivée,poursuivit-il.Mesenfantssemblentconsidérerqueriennedevrait jamaischangerdansleurvie.Enfait,ilssecomportentcommePolochon–ilssontaigris.L’avenir

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leur fait peur. Je n’ai probablement pas su leur dépeindre une imagesuffisammentcrédiblede leur“NouveauFromage”.Sûrementparceque j’aimoi-mêmedumalàlavisualiser.

Ilyeutunnouveausilence,chacunméditantsursapropreexistence.

–Pourmapart,ditJessica,cettehistoirem’ainterpelléeauniveaudemavieprivée.Jecroisbienquelarelationquejevisencemomentatoutd’un«VieuxFromage»pleindemoisissures.

–Pareilpourmoi, renchéritCory.Jecroisque je feraismieuxderompreavecmonami.

–Pasforcément,rectifiaAngela.Ce«VieuxFromage»peutsimplementreprésenter de mauvaises habitudes. Ce qu’il faut éradiquer, ce sont lescomportements et les attitudes qui empoisonnent la relation, pour ensuitedéfinirdenouvellesfaçonsdepenseretd’agir.

–Tumarques unpoint, reconnutCory.En somme, leNouveauFromageseraiticiunenouvellerelationaveclamêmepersonne.Intéressant…

Richardrepritlaparole:

– Je crois que cet aspect des choses est plus important qu’il n’y paraît.J’aime beaucoup cette idée selon laquelle il vaut mieux rompre avec sesvieilleshabitudesquederompreavecsonousapartenaire.Caràrépétersanscesselesmêmescomportements,onobtienttoujourslesmêmesrésultats.

«Pourcequiestdemontravail,c’estunpeulamêmechose:plutôtqued’aller voir ailleurs, je ferais mieux de changer ma façon de faire.J’occuperaissûrementunmeilleurposte,àl’heurequ’ilest,sij’yavaispenséplustôt.

Becky,quiavaitquittéChicagodepuisdesannées,ditalors:

–Enécoutantcettehistoire,puislescommentairesdesunsetdesautres,jen’ai pum’empêcher de rire demoi-même. Cela fait des années que jemecomporte en parfait Polochon, à me reposer sur mes acquis, redoutant lemoindre changement.Mais je ne pensais pas que nous étions si nombreuxdans ce cas. Et je crains d’avoir involontairement transmis ce trait decaractèreàmesenfants.

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«Quandj’yréfléchis,jem’aperçoisquelechangementpeutêtreréellementsynonymedemieux,quelsquesoientnosdoutesaudépart.

«Jemesouviensdel’annéeoùmonfilsétaitenclassedepremière.Monmari ayant obtenu une mutation, nous avons dû quitter l’Illinois pour leVermont.Monfilsétaitfurieuxdedevoirquittersesamis.Quiplusest,ilétaitférudenatation,maissonnouveaulycéeneproposaitpascetyped’activité.Autantvousdirequ’ilnousenvoulaitàmort.

« Puis il tomba littéralement amoureux des montagnes du Vermont,découvrit les joies du ski, intégra l’équipe de l’université, et aujourd’hui ilcouledesjoursheureuxdansleColorado.

«Sinousavionspupartager l’histoireduFromagetousensemble,autourd’un bon chocolat chaud, nous aurions épargné bien des tensions à notrepetitefamille.

– Dès mon retour, dit Jessica, je la raconterai à mes enfants. Je leurdemanderai où ilsme situent dans cette parabole – si je suis Flair, Flèche,PolochonouBaluchon–etdansquelspersonnagesilssereconnaissenteux-mêmes.Nouspourronségalementréfléchiràcequ’estleVieuxFromagepournotrefamille,etquelpourraitêtreleNouveau.

–Bonneidée!ditRichard,àlasurprisegénérale(dontlasienne).

Frankditpoursapart:

–Jepensequejevaissuivrel’exempledeBaluchon.JevaisbougeravecleFromage, et prendre plaisir à l’aventure ! Et puis, je vais transmettre cettehistoire à tousmes amis qui appréhendent de quitter l’armée. Je pense quenousavonsdebonnesdiscussionsenperspective.

– C’est bien comme ça que nous avons redressé notre entreprise, ditMichael. Nous avons longuement débattu de ce que nous avions retenu del’histoire du Fromage, et de ce qu’elle pouvait apporter à notre propresituation.

«Cefutassezdrôledereprendrelesnomsetlestermesdel’histoirepourévoquerleschangementsquenousrencontrions.Enoutre,celanoussimplifia

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considérablementlatâche,notammentquandcettehistoireserépanditplusenprofondeurdansl’entreprise.

–Qu’entends-tuparlà?demandaNathan.

–Àmesure que cette histoire est descendue jusqu’à la base, nous avonsatteintlespersonnesquiseconsidéraientcommeayantlemoinsdepouvoir.Fort logiquement, ellesétaient lesplusméfiantesvis-à-visdeschangementsimposés par leurs chefs. Elles freinaient des quatre fers. Un changementimposéestsouventunchangementrefusé…

«Maislefaitdenousappropriercollectivementcettehistoire,sanslaisserpersonnedecôté,nouspermitàtousdevoirlestransformationsinéluctablessousunnouveau jour.Ellenousapprità rire–dumoinsàsourire–denosanciennesphobies,etàallerdel’avant.

«Jeregretteseulementdenepasavoirdécouvertcettehistoireplustôt.

–Pourquoi?demandaCarlos.

–Parcequelorsquevintlemomentdemettreenœuvrelestransformationsquenousavionsdécidées,nousétionsdansunetellesituationfinancièrequenous avons dû nous séparer de certains éléments, comme je vous le disaisprécédemment.Parmiceux-làsetrouvaientdebonsamis.Cefutuneépreuvepourtoutlemonde.Malgrétout,ceuxquirestèrent,etlaplupartdeceuxquipartirent,s’accordèrentàreconnaîtrequel’histoireduFromageavaitchangéleurvisiondeschosesetleurpermettraitsûrementd’êtreplusfortsàl’avenir.

«Ceux qui semirent à la recherche d’un nouvel emploi nous confièrentqu’ils en avaient bavé au début,mais que le souvenir de cette histoire leuravaitétéd’ungrandsecours.

–Dansquellemesure?demandaAngela.

–Aprèsavoirsurmontéleurpeur,ilseurentenvied’atteindreceNouveauFromagequilesattendaitforcémentquelquepart!

« Ilsme dirent que le fait d’imaginer leNouveau Fromage – de se voirréussir dans un nouveau travail – leur redonna confiance, et leur permitd’exceller dans leurs entretiens. Nombre d’entre eux ont aujourd’hui unesituationbienmeilleurequ’autrefois.

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–Etques’est-ilpassépourceuxquevousavezgardés?demandaLaura.

– Au lieu de s’apitoyer sur leur sort, ils se sont dit : « On nous asimplement retiré notreFromage.Ànousde trouver duNouveau. »Cequinousfitgagneruntempsprécieuxetréduisitconsidérablementlestensions.

«Ceux qui traînaient les pieds au début comprirent rapidement ce qu’ilsavaient à gagner. Au bout du compte, ils furent de véritables acteurs duchangement.

–Etselontoi,demandaCory,qu’est-cequilesafaitchangerd’avis?

–L’espritdegroupe,toutsimplement.Quesepasse-t-il,engénéral,quandladirectiond’uneentrepriseannonceunerestructurationàsesemployés?Lapremièreréactionest-ellefavorable,oudéfavorable?

–Défavorable,réponditFrank.

–Biensûr,confirmaMichael.Etpourquoi?

Carlossuggéra:

– Parce que les gens veulent que tout reste en l’état, craignant qu’on neremetteencauseleursacquis.Etilsuffitqu’unindividusebraquepourquelesautresluiemboîtentlepas.

–Absolument,ditMichael.Mêmes’ilsnesontpastoutàfaitconvaincus,ilssuiventletroupeaupournepasresteràl’écart.C’estprécisémentcegenredepressioncollectivequiempêchelesentreprisesd’avancer.

– Mais en quoi l’histoire du Fromage a-t-elle changé cet état de fait ?demandaBecky.

–Disonsque lapressiondugroupes’estbrusquement inversée,personnenevoulantpasserpourunPolochon!

Cetteréponsedéclenchal’hilaritégénérale.

– Ils préféraient flairer les changements et se lancer dans l’action, plutôtquedesefaireassommerd’uncoupdepolochonetderestersurleborddelaroute.

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–Jen’yavaispassongé,ditNathan,maisilestévidentquepersonnedansma boîte n’aimerait être pris pour un Polochon.À elle seule, cettemenacepourraitlesinciteràévoluer.Pourquoinenousas-tupasracontécettehistoirel’annéedernière?Jepensequ’ellepourraitmarcher.

–C’estmêmecertain, insistaMichael.Ilfautsimplementveilleràcequechaque personne concernée – que ce soit au sein d’une grande entreprise,d’unePME,oudu cercle familial – ait connaissancede cette histoire.Pourréussirlechangement,ilfautrecueillirl’adhésionduplusgrandnombre.

Michaellivraunedernièrepensée:

–Quandnousavonsconstatélebienfouquecettehistoirenousavaitfait,nous l’avons confiée à certains de nos clients potentiels, qui se trouvaientégalementdansunephasedemutation.Nousleuravonsfaitcomprendrequenouspourrionsdevenir leur«NouveauFromage», c’est-à-diredeprécieuxpartenaires.Etc’estainsiquenousavonsgagnédenouveauxmarchés.

Cetteremarqueéveillad’autresidéeschezJessica,enmêmetempsqu’ellelui rappela qu’une série de rendez-vous commerciaux l’attendaient lelendemainmatin.Elleconsultasamontreetdit:

– Les amis, il est temps pour moi de quitter cette Gare fromagère pourtrouverleNouveauFromage.

Le groupe rit de bon cœur, et les embrassades commencèrent.Beaucoupauraientvouluprolongercettediscussion,mais il se faisait tardpour tout lemonde.Enrepartant,ilsremercièrentMichaelunedernièrefois.

–Jesuisraviquevousayeztrouvécettehistoiresiriched’enseignements,ditcedernier,etj’espèrequevousaurezbientôtl’occasiondelapartageravecd’autres.

FIN

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CelivreestparupourlapremièrefoisauxÉtats-UnisauxéditionsG.P.Putnam’sSonssousletitre:

WhoMovedMyCheese?

©SpencerJohnson,1998.©ÉditionsMichelLafon,pourlatraductionfrançaise,2000.

7-13,boulevardPaul-ÉmileVictor–ÎledelaJatte92521Neuilly-sur-SeineCedex

ISBN:978-2-74992-568-4

Cetteœuvreestprotégéepar ledroitd’auteuret strictement réservéeà l’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detoutoupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévueparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodede laPropriété Intellectuelle.L’éditeur se réserve ledroitdepoursuivre toute atteinte à sesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales