questions approfondies de philosophie des sciences humaines
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FILO 2601 Questions approfondies de philosophie des sciences humaines Professeur M. Maesschalck.
Vanessa Denis FILO 20 M1
‘Michel Foucault et l’histoire sociale de la folie’
« Ce n’est pas un signe de bonne santé que d’être bien adapté à une société
profondément malade ». Jiddu Krishnamurti.
Le problème de la folie est un risque d’égarement pour le discours philosophique. Le ‘fou’
est l’adversaire du sage, il est celui qui se place hors des territoires du discours raisonnable. Il
est à la fois la frontière de la raison et l’assignation de sa limite, de son arrêt. Le ‘fou’1, c’est
cet ‘autre’ qui nous apparait si différent qu’il semble imposer le silence, il est l’imprévisible
par excellence, l’imprévisible comme menace. Voilà sans doute l’une des raisons qui, en
première analyse, confère à la folie son caractère tout à la fois dérangeant, voire terrifiant, et
fascinant. Car si la folie est limite, elle est aussi miroir. Par l’observation de ce qui est son
radical opposé, le discours rationnel peut en effet, sans doute, trouver dans la figure du ‘fou’
un contrepoint essentiel, un révélateur en négatif, ou, si l’on préfère, le lieu qui, en le
délimitant, lui assigne aussi bien sa place. Pourtant le ‘fou’ est, depuis des siècles dans la
civilisation occidentale, exclu, enfermé, oublié, mis au ban, neutralisé. Paradoxe bien étrange
car, si l’on suit le mot de Dostoïevski dans le Journal d’un écrivain, « Ce n’est pas en
enfermant son voisin qu’on se convainc de son propre bon sens ». Ce n’est pas en fuyant les
abîmes de la déraison, de la torsion logique ou du comportement dit ‘déviant’ que le discours
dit ‘de raison’ trouvera matière à s’affirmer ou à se renforcer, mais bien en tentant de
l’appréhender, de l’intégrer, d’en tirer enseignement ; la tâche de la philosophie n’étant pas
1 Nous avons toujours quelques réticences à utiliser ce vocable, jugeant celui-‐ci trop réducteur, probablement aussi parce que la folie a toujours actuellement une connotation de maladie mentale, à laquelle nous n’adhérons pas. Nous expliciterons ce point dans les toutes dernières lignes de notre conclusion, à travers les propose de Frédéric Gros. Nous utiliserons toutefois par moment le mot ‘fou’ (accompagné de guillemets), dans son utilisation générale et quand nous ferons appel aux textes de certains auteurs.
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d’obscurément tirer un trait sur l’inconnu, mais bien de tenter de l’explorer et d’y trouver un
noyau d’intelligibilité, fût-il parcellaire.
C’est donc ici à la lecture de L’histoire de la folie à l’âge classique de Michel Foucault que
nous allons interroger les questions de l’enfermement, de la norme, de la visibilité et de
l’altérité du phénomène de la folie. Nous tenterons de montrer, à travers l’exposition de
l’analyse foucaldienne, non seulement l’évolution qu’a subi l’appareillage des discours sur la
folie en Occident, mais aussi et surtout en quoi et pourquoi cette évolution a progressivement
tendu vers une frénésie diagnostique toujours plus complexe, reflet d’une procédure
généralisée de rejet, de mise à distance et de voilement, de refoulement de la folie comme un
phénomène d’autant plus dangereux et inquiétant qu’il s’agit à tout prix de le caractériser
comme un « dehors », c’est-à-dire de l’asservir à un discours articulé comme définition d’une
norme, et à le contrôler comme une menace toujours planante.
Il est important, dans un premier temps, de relever le fil rouge de l’œuvre de Foucault qui est
la question de la vérité. Contrairement à la question classique de la philosophie2, Foucault va
décrire historiquement les procédures par lesquelles des discours de vérité vont transformer,
aliéner, informer des sujets, et comment des subjectivités vont se construire à partir d’un dire-
vrai3. La première période de Foucault est dite ‘archéologique’, ce concept récurrent va
désigner la méthode qu’il va suivre dans quatre ouvrages majeurs de cette époque (dont celui
qui va nous occuper dans la présente étude). Cette désignation d’archéologie est importante
car il va s’agir pour Foucault de s’opposer à la conception traditionnelle de l’histoire des
savoirs (où l’histoire classique des sciences va se donner pour fondement des vérités positives
contemporaines, comme par exemple, la détermination de la folie comme maladie mentale) et
de décrire le mouvement progressif de la découverte de ces vérités. L’avènement des sciences
humaines, selon lui, va dépendre de l’expérience d’une culture qui constitue son identité en
« excluant un dehors, qui par-là contient le secret de son être (…), l’homme est devenu objet
de vérité mais la vérité tremble dans le délire du fou»4. Foucault va tenter de montrer
également comment les systèmes de pouvoir et de vérité fabriquent des sujets et assujettissent
des individus, ainsi « l’homme normal des sciences humaines peut être réfléchi comme une
production du pouvoir disciplinaire qui informe les pratiques, inculque la docilité et normalise
2 La philosophie qui se pose la question suivante : à partir de quel fondement un sujet peut-‐il connaitre le monde ? 3 FREDERIC GROS : Introduction à la philosophie de Michel Foucault, Michel Foucault, une philosophie de la vérité, in Nouveaux millénaires, défis libertaires, consulté le 25 décembre 2012. 4 Ibidem.
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les conduites ».5 Afin de conclure ce bref fil rouge de l’œuvre foucaldienne, nous reprendrons
les propos de Frédéric Gros à propos de celle-ci : il s’agit d’être fidèle à la leçon socratique,
plutôt que de fonder la vérité du vrai, sa fonction est d’inquiéter et de déranger le régime des
évidences6.
Nous allons voir dans un premier temps, avec la lecture du philosophe français, la question
de l’altérité et de la perception de l’autre, que nous avons choisi de traiter par le biais de
l’évolution de la perception de la folie depuis le Moyen Age, que la folie sera perçue, à l’âge
classique, non plus comme le cauchemar de l’imaginaire humain (comme au Moyen Age), ou
encore comme une expérience cosmique (à la Renaissance, la folie est entendue comme
parlant d’un autre monde), mais comme cet objet honteux que stigmatisent les consciences
morales indignée. Ensuite, nous verrons comment se sont formées dans les murs de
l’enfermement, les grandes synthèses de la folie avec la culpabilité et la sexualité familiale.
Remarquons que Foucault va relever dans les textes classiques consacrés à la folie une
difficulté à définir sa nature, la théorisation de celle-ci trouvera toutefois dans le délire une
certitude : c’est la structure du langage qui fixe la folie. Le ‘fou’ conjugue les formes claires
du langage avec « les visions irréelles du songe »7, la folie délivre le « néant avéré de
l’Etre »8, un ‘rien’ qu’elle manifeste en paroles et en gestes. Enfin, nous aborderons
brièvement la question de la norme abondamment traitée par Michel Foucault.
La question de l’altérité et de la perception de l’autre, évolution de la perception
de la folie depuis le Moyen Age
Penchons-nous quelques instants sur l’évolution de la perception de la folie à travers les
différents âges. Au Moyen-Age, le ‘fou’ trouvait sa place, on ne l’enfermait pas, ni ne le
soignait. Fait intéressant à souligner : il rappelait aux hommes ce qu’ils sont ou peuvent
devenir. A la Renaissance, la folie est ce qui circule. Ainsi ‘La nef des fous’ nous renvoie
notamment à l’idée que le ‘fou’ est cet être de passage, mais il suscite également des craintes,
comme en témoigne la présence récurrente de ce thème qu’est la folie dans les toiles de
5 FREDERIC GROS : Introduction à la philosophie de Michel Foucault, Michel Foucault, une philosophie de la vérité, in Nouveaux millénaires, défis libertaires, consulté le 25 décembre 2012. 6 Ibidem. 7 FREDERIC GROS, Michel Foucault, PUF, Que sais-‐je, 1996, p. 21. 8 Ibidem. La folie au fond joint « la vision et l’aveuglement, l’image et le jugement, le fantasme et le langage, le sommeil et la veille, le jour et la nuit ».
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Jérôme Bosch ou Bruegel : le ‘fou’ par son délire nous annonce le chaos, l’invasion des
ailleurs cauchemardesques et le péril imminents. Par contre, avec Erasme ou Montaigne, la
folie cohabite en l’homme dans un dialogue avec la raison, elle n’est dès lors plus vue dans un
rapport qu’il entretiendrait avec le monde extérieur. C’est avec le 17e siècle (et avec la
création de ‘l’Hôpital général’ à Paris en 1656) que va apparaitre l’enfermement de la
population marginale9, dans le but avoué de résorber le chômage, (afin de faire travailler ceux
qui pèsent sur la société mais également pour anticiper les dangers sociaux qu’ils pouvaient
représenter). La visée de l’enfermement est donc sociale, économique, mais aussi d’ordre
moral. Par la suite, vont se côtoyer diverses figures d’un certain monde - de ce que Foucault
appellera « le monde de la Déraison »10- à savoir des hommes trop dépensiers, des libertins,
des profanateurs, des débauchés ou encore des insensés. Autant de figures qui témoignent
d’une atteinte à l’ordre moral de la cité et de la famille à l’âge classique.
Le ‘fou’ au 17e siècle fut enfermé dans un souci moral, l’internement fut organisé en
rapprochant des personnages différents les uns des autres pour les décaler vers la folie, car ils
entretenaient avec le monde des rapports que ni la famille, ni la société ne pouvaient accepter.
Tous ces hommes et ces femmes - qui sont dits hors de la raison car hors des normes
sexuelles, familiales et religieuses - le philosophe français va questionner pour eux,
« l’épaisseur des systèmes de rationalité qui décidèrent un jour de les inscrire en exil » 11 et
interroger le lien que la police, l’Eglise et la monarchie ont décidé de fabriquer pour eux, ainsi
que ce lieu ( l’asile) où se loge l’écart qu’ils entretiennent avec l’ordre et la raison.
C’est au 18e siècle que, selon l’analyse foucaldienne, surgit le souci médical. Non pas pour
soigner le ‘fou’ mais pour protéger le reste de la population, car la folie est vue à présent
comme « déchainements des instincts, confusion du sexe et de la mort dans la présomption
infinie du désir humain »12. C’est donc, encore une fois, dans un souci du maintien de l’ordre
social que l’on va d’abord diagnostiquer, puis nier cette partie de la société. Par ailleurs, les
Lumières vont provoquer une effervescence : l’homme de la rue interroge, il a des idées, et
dans les registres d’internement (de la Bastille notamment) Foucault relève que l’on trouve
9 Les vagabonds, mendiants, pauvres, fous errants. Le fait d’enfermer les pauvres indique un changement de sens de la pauvreté : elle ne renvoie plus à une expérience du sacré mais plutôt à un besoin de contrôle social ; alors que jusque-‐là, le pauvre était un personnage christique. FREDERIC GROS, Michel Foucault, Que sais-‐je, PUF, 2010, p. 18. 10 Ibidem. 11 ELISABETH ROUDINESCO, Penser la folie, Essais sur Michel Foucault, Paris, Galilée, 1992, p. 68. 12 FREDERIC GROS, Michel Foucault, p. 23. Nous renvoyons le lecteur à l’œuvre du marquis de Sade intitulée : Les cent vingt journées de Sodome.
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toutes sortes de « faiseurs de projets à la tête fêlée, dont on ne sait s’ils sont là pour avoir
critiqué la monarchie, accompagné les philosophes, de leurs propres utopies ou s’ils souffrent
de tête malade »13. Ainsi, le fait d’utiliser simplement son esprit critique paraissait suspect et
pouvait être nommé folie par les autorités.
C’est à la fin du 18e siècle, que va s’exprimer une nouvelle expérience : celle d’une
progressive médicalisation des ‘fous’, où la folie va se placer sous le regard objectivant du
médecin14. On observe alors un glissement de l’enfermement dans le but de corriger le
comportement, à celui de soigner la personne. Il ne faut toutefois pas se méprendre sur cette
notion de soin car la thérapeutique en vigueur à cette époque consiste à culpabiliser le ‘fou’, à
l’humilier, à le juger afin de provoquer chez lui une souffrance lorsqu’il manifeste ses
comportements délirants. Ce qui se trouvait dès lors sous l’égide du soin restait (et restera
comme nous le verrons plus loin), toujours une entreprise de correction ou de
conditionnement. Le ‘fou’ n’est plus seulement cet être stigmatisé par la population et que
l’on doit tenir loin de la cité, mais bien celui qui est cet étranger à lui-même et que l’on doit
culpabiliser d’être ce qu’il est. Il est cet ‘autre’ que l’on étudie, mais le changement capital
qu’il convient de souligner ici, réside dans le fait que pour la première fois, l’homme devient
un objet scientifique, comme l’affirme Foucault, par le biais de l’expérience anthropologique
de la folie15. C’est cette dernière qui a permis l’émergence des sciences psychologiques avec
tout ce que cela suppose comme difficultés dès lors qu’il s’agit d’ériger une vérité sur cette
immense plaine qu’est le monde de la folie.
Après avoir relevé rapidement ce glissement de l’enfermement, penchons-nous quelques
instants sur la question importante du regard clinique, que Foucault observe selon une
modalité tripartite conjuguant l’analyse de l’espace, d’un jeu de langage et de l’observation
des cadavres, tel qu’il avait lieu au 19e siècle. Cet espace nouveau est celui de l’hôpital qui
devient ce lieu où se rencontrent simultanément l’apprentissage, l’enseignement, l’observation
et la pratique médicale. Le langage, quant à lui, s’émancipe également des classifications
ésotériques de la vieille médecine de par l’observation « du spectacle visible du mal »16 et
devient un discours sur les différentes pathologies. L’observation aussi subit une
13 ELISABETH ROUDINESCO, Penser la folie Essais sur Michel Foucault, p.69. 14 Avec cet autre événement clé de l’histoire de la folie qu’est la libération des enchaînés de l’hôpital Bicêtre en 1793 par Philippe Pinel. Selon l’analyse foucaldienne, de sa servitude aux chaines, le fou va se voir asservi au regard médical. 15 FREDERIC GROS, Michel Foucault, op. cit., p.26. 16 Ibidem, p. 29.
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transformation puisqu’elle ne se borne plus à un regard de surface : non seulement on touche
et on écoute le corps, mais on l’ouvre également afin de comprendre la vérité du mal17.
Pour clore la question du regard qu’a l’homme occidental sur lui-même comme objet de
connaissance18, nous citerons l’écho que fait Frédéric Legros de la lecture de la conclusion de
la Naissance de la clinique à celle de l’Histoire de la Folie, en soulignant le fait
qu’ « historiquement les sciences humaines ont trouvé leurs conditions d’émergence dans des
expériences où l’homme faisait l’épreuve de sa disparition. Les vérités positives des sciences
de l’homme reposent sur des points d’effondrement ».19 Cette remarque s’adresse aussi bien
pour la médecine, qui a intégré l’expérience de la mort dans la pensée médicale, qu’à toutes
les psychologies dans leur rapport à l’expérience de la déraison. Après cet aperçu synthétique
de la perception de la folie dans l’histoire, selon l’analyse foucaldienne, passons à une brève
analyse de son œuvre et plus précisément les trois niveaux d’analyse de son ouvrage
L’histoire de la Folie à l’âge classique.
L’unité de l’œuvre foucaldienne
Si la recherche foucaldienne se penche sur les rapports qu’entretiennent les sociétés
occidentales modernes avec la folie, trois niveaux d’analyse s’articulent dans l’ouvrage qui
nous occupe: dans un premier temps, Foucault va chercher comment une culture exclut une 17 FREDERIC GROS, Michel Foucault, op. cit., p.29. Foucault fait remarquer dans l’Histoire de la Folie à l’âge classique que : « La vieille loi aristotélicienne, qui interdisait sur l’individu le discours scientifique, a été levée lorsque, dans le langage, la mort a trouvé le lieu de son concept ». Nous nous permettons de faire une remarque ici concernant le fait « d’ouvrir les corps ». Déjà à la Renaissance, Léonard de Vinci dans sa permanente curiosité pour le corps humain, va s’adonner à l’étude de la fonction des organes par la pratique de la dissection des cadavres –pratique condamnée par l’Eglise à cette époque-‐, et selon ses dires, c’est avec la trentaine d’autopsies, que lui seront peu à peu dévoilés les mystères de l’organisme humain. Par ses dessins, il sera le premier à représenter la structure intérieure du corps humain, anticipant ainsi la science moderne, c’est également aves ses croquis et par l’entremise d’une observation attentive des physionomies humaines, qu’il a tenté de comprendre la psychologie humaine. JEAN-‐CLAUDE FRERE, Léonard de Vinci, peintre, inventeur, visionnaire, mathématicien, philosophe, ingénieur, Paris, Ed. Pierre Terrail, 1994, p. 92. La différence entre ces deux époques, se situe dans le fait qu’à l’âge classique, la dissection était autorisée alors qu’à la Renaissance, elle était interdite. Notre remarque précédente souligne juste le fait que d’ouvrir des corps se faisait déjà bien avant l’âge classique. 18 Notons que Foucault soutient l’existence de trois ‘épistémè’ qui correspondent à trois époques: jusqu’à la fin du XVIe siècle, l’étude du monde s’appuie sur la ressemblance et l’interprétation, au 17e une nouvelle épistémè va reposer sur la représentation et l’ordre (où l’on va tenter de répartir les objets selon certaines classifications) et où le langage aura une place importante. Enfin début 19e, une épistémè sous le signe de l’histoire va s’installer et où l’homme va prendre place dans le champ du savoir, avec en corrélation l’apparition des sciences humaines. 19 FREDERIC GROS, Michel Foucault, p.30.
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part d’elle-même, et essayer de comprendre comment elle décide de rejeter la folie dans un
emprisonnement moral. Pour cela il va faire (comme on l’a vu brièvement) une histoire des
différents discours que l’Occident a eu sur la folie du Moyen Age jusqu’à Freud, qui lui a
d’ailleurs rendu pour la première fois la parole. Ensuite, son ouvrage se présente comme une
réflexion anthropologique et philosophique sur les notions d’interdit et de transgression et
pour cela, il lui faudra aller voir du côté des limites et des marges du fonctionnement d’une
société. Enfin, le philosophe français va poser une critique politique de notre modernité qui
exclut le fou, cette décision culturelle étant qualifiée d’injuste car la société occidentale, plutôt
que d’assurer le bonheur et la liberté de tous (comme le voudrait théoriquement sa vocation
première), va au contraire, dans sa version moderne, assujettir les individus et les chosifier.
Exclusion et emprisonnement
Dans une leçon intitulée L’ordre du discours, Foucault distingue, dans les pouvoirs et les
dangers du discours, des procédures externes d’exclusion comme ‘l’interdit’ où la sexualité
notamment est soumise à des régimes de paroles contraignant, ‘le partage et le rejet’ (pensons
à la séparation entre raison et folie où la parole du fou souffre) et enfin l’opposition du vrai et
du faux. Foucault va d’ailleurs penser le jeu de vérité comme un système d’exclusion, comme
« une entreprise tyrannique de domination »20 jamais réfléchie et même déniée par la
philosophie. Ainsi, tout ce qui ressemble à de la folie amène notre culture depuis le XVIe
siècle à exclure ou enfermer celui que l’on pense malade, celui-ci étant amené dès lors à
s’éprouver comme un étranger dans sa propre culture.
L’originalité de la démarche foucaldienne réside dans son analyse : plutôt que de partir des
normes pour remonter vers les institutions, il inverse cette lecture, et part des techniques de
pouvoir qui traversent les institutions afin de comprendre la constitution des sujets exclus. Il
se penche sur la façon dont des normes spécifiques se sont généralisées à l’ensemble du corps
social21. Il va établir pour cela un lien entre le champ du pouvoir et celui du savoir, et
interroger comment les effets de vérité d’une science (comme la psychiatrie notamment), ont
aussi un effet de pouvoir. Ainsi, au 19e siècle, la psychiatrie a recours au traitement moral, et
Pinel22 rendra responsable le fou qui trouble l’ordre moral, permettant ainsi au psychiatre
20 FREDERIC GROS, Michel Foucault, op. cit., p. 57. 21 JEAN-‐FRANCOIS BERT, Introduction à Michel Foucault, Paris, La Découverte, 2011, p. 27. 22 Pinel va délivrer les malades mentaux de leurs chaines, et va tenter d’humaniser leur traitement. Il est le premier à classifier les maladies mentales (la simple mélancolie, la manie, la démence, l’idiotisme). Pour lui, les
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d’utiliser toutes les pratiques psychologiques mises à sa disposition. La folie, en prenant un
sens médical, va glisser vers l’appellation de maladie mentale :
L’asile de l’âge positiviste est un espace judiciaire où on est accusé, jugé, et condamné, et dont on ne se
libère que par la version de ce procès dans la profondeur psychologique, c’est-à-dire par le repentir. La
folie sera punie à l’asile même si elle sera innocentée dehors 23.
L’asile d’Esquirol (le disciple de Pinel), est pensé comme un lieu d’infantilisation, de
punition, et de responsabilisation. Le fou y apprend à vivre avec sa folie :
Tout est organisé pour que le fou se reconnaisse dans ce monde du jugement qui l’enveloppe de toutes
parts ; il doit se savoir surveillé, jugé et condamné ; de la faute à la punition le lien doit être évident 24.
Freud, quant à lui, rendra possible pour le malade d’être libéré de l’existence asilaire, mais
Foucault lui reproche également (comme à Pinel) son processus thérapeutique rigide,
reprenant ce qui organisait les anciennes structures de l’asile en les projetant dans la toute-
puissance du thérapeute, par le fait que la parole lui est adressée. Foucault dans La volonté de
savoir, voit dans la psychanalyse « une simple technologie de normalisation de la sexualité
qui incite les individus à tout dire sur leurs pratiques et leurs pensées en reconduisant dans son
fonctionnement, le rituel séculaire de l’aveu et de la confession ». Foucault met en évidence
d’ailleurs que réside, dans ce vieux modèle de contrôle ecclésiastique qu’est l’inquisition ou
l’enquête administrative à laquelle l’Église recourrait (ainsi que le procureur du roi par la
suite pour juger des délits), une forme majeure de savoir. Cette tradition de l’enquête (sur
laquelle toutes les médecines, ainsi que toutes les doctrines empiristes se développeront),
légitime en effet une raison empirique et prend sa condition de naissance dans un Etat
souverain25. Ainsi dans la Volonté de savoir, Foucault écrira-t-il :
le discours, pas plus que les silences, ne sont une fois pour toutes soumis au pouvoir ou dressés contre
lui. Il faut admettre un jeu complexe et instable où le discours peut être à la fois instrument et effet de
pouvoir, mais aussi obstacle, butée, point de résistance et départ pour une stratégie opposée. 26
aliénés peuvent être soignés et compris, et va préconiser un traitement moral (en forçant le malade à reconnaître ses erreurs). Il va voir dans les troubles mentaux des atteintes physiologiques provoquées par des émotions, il préconise dès lors une thérapeutique pour soigner le malade. Ce que Foucault reprochera à Pinel, c’est de remplacer l’entravement physique du patient par un conditionnement moral : le ‘fou’ est livré à la toute-‐puissance du médecin, qui jugera seul de sa guérison. 23 MICHEL FOUCAULT Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Plon, 1961, p. 522-‐523. 24 Ibidem, p. 521. 25 FREDERIC GROS, Michel Foucault, Que sais-‐je, p. 60-‐61. 26 Michel Foucault, La Volonté de savoir, cours au Collège de France (1970-‐1971), Paris, Gallimard, 2011, p. 133.
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Ainsi, ce qui nous rend contrôlables et normalisables, réside donc dans le fait de révéler nos
émotions et par là-même d’exprimer notre personnalité.
C’est pour avoir montré comment la société moderne se caractérise par ses lieux
d’enfermement et pour avoir pensé ceux-ci comme complexes sociaux et culturels, que
Foucault sera notamment reconnu par les théoriciens de l’antipsychiatrie.27 Parmi eux, Franco
Basaglia28 dira notamment de l’ Histoire de la Folie : « qu’il s’agit de faire exploser
l’idéologie de l’hôpital comme machine de soins et fantasme thérapeutique en montrant
comment celui-ci est d’abord le lieu où la société nie ses propres contradictions en voulant se
reconnaître à tout prix comme société saine »29. Il saluera dans la démarche de Foucault le fait
de faire apparaître l’idéologie officielle de la psychiatrie qui est la normalisation des
individus. Jean-Olivier Majastre, dans les années 70, s’inscrira dans la droite ligne de
Foucault en observant le fonctionnement quotidien d’une institution psychiatrique et relèvera
des contradictions entre le discours du personnel sur sa pratique et ce qu’il fait effectivement.
Majastre relève que derrière les pratiques de soin, se cache la pratique de l’enfermement, du
gardiennage et du contrôle du mode de vie des patients, ce qui témoigne « d’intentions
morales rédemptrices, voire purificatives »30.
Si l’image de l’asile que donne Foucault en 1961 est celle d’une institution qui prive les
patients de toute liberté, il va se concentrer à cette époque plus spécifiquement sur une
histoire des représentations et de la perception de la folie. En 1970, dans son cours intitulé Le
Pouvoir psychiatrique, il va revoir cette image en dissociant ses analyses de ces entreprises
sociologiques et en indiquant que l’asile « est d’abord un dispositif architectural dans lequel
se jouent des tactiques de pouvoir, de domination et d’assujettissement largement
27 Pour l’ensemble des courants anti psychiatrie d’ailleurs, c’est une certaine forme organisationnelle de la société qui induit ce phénomène d’exclusion sociale qu’est la folie, ce sont les inégalités qu’elle crée ainsi que son fonctionnement autoritaire et répressif qui cause véritablement celle-‐ci. 28 DOMINIQUE LACHAT, Triste : 30 ans après la fermeture de son hôpital psychiatrique, un exemple pour le développement durable et l’insertion sociétale, article URL consulté le 29 décembre 2012. Basaglia est un psychiatre italien qui va se battre pour la suppression des hôpitaux psychiatriques, passionné de phénoménologie, il va être l’instigateur de communauté thérapeutique, ayant comme moteur les assemblées et les réunions, permettant ainsi la possibilité au malade de lui donner un statut social nouveau, ce que la société lui dénie en général. Fait intéressant, la maladie sera mise en parenthèse afin que les relations soient favorisées. Basaglia refusera ce qui a pour fondement dans les institutions la relation d’oppression et de violences entre pouvoir et non-‐pouvoir, la notion d’exclusion, la relation maître élève, la notion de ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas, et surtout la dévalorisation du malade et de la maladie, associés à l’impureté et à la honte. Ce qu’il reproche à l’hôpital psychiatrique, c’est la fonction de gardiennage qui délivre le message d’une mise à distance vis-‐à-‐vis des malades. De plus, Basaglia réclame une prise en charge populaire de la folie et souhaite que ce soit le problème de tous. 29 JEAN-‐FRANCOIS BERT, Introduction à Michel Foucault, p. 31. 30 Ibidem, p. 32.
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différenciées »31. Si le pouvoir psychiatrique en effet se mesure, selon lui, dans la production
des énoncés, de discours et de représentations de la folie, l’objectif de Foucault tel qu’il
l’énonce à cette époque est de tracer l’histoire de la rationalité (et, partant, de déterminer sa
nature) telle qu’elle se produit dans les institutions et dans la conduite des individus.
Après ce bref aperçu de la place de la parole comme procédure externe d’exclusion quand
elle se place dans le rituel séculaire de l’aveu et de la confession permettant ainsi le contrôle
et la normalisation, nous allons approfondir ce dernier aspect et voir comment la norme
permet le contrôle des âmes.
La question de la norme et de la visibilité, du contrôle des ‘âmes’ et des corps
C’est au cours des XVIIe et XVIIIe siècles que le rationalisme amène le rêve d’une société
de progrès : l’ère industrielle va susciter une politique de contrôle des populations afin de
développer l’appareil de production et la croissance de l’économie capitaliste, induisant dès
lors un pouvoir disciplinaire calqué sur le modèle militaire dans les différentes institutions de
la société, ainsi que dans les moindres parcelles de vie. L’originalité de la thèse foucaldienne
se situe dans son analyse du pouvoir, en cela qu’elle montre notamment que dans nos sociétés,
le pouvoir se situe non pas, par exemple, dans la répression des pulsions sexuelles mais dans
la production d’une multiplicité croissante de sexualités : par classement et par hiérarchisation
morale, on les approuve comme conduites ou au contraire on les marginalise, on les discipline
ou on les normalise. Foucault voit dans la discipline un art de répartir les corps dans l’espace,
et dans le contrôle de l’activité un moyen d’infliger au corps une docilité ; on le châtie à
chaque fois qu’il se rebelle par des techniques disciplinaires, afin d’y extraire une conduite
normalisée. La norme finit par être partout, relayée par un dispositif de savoir qui énonce des
vérités32. Un comportement dit ‘anormal’ relevant, ainsi que nous l’avons vu, de la
psychiatrie, l’individu ‘malade’ va devoir, par le biais même d’une pratique thérapeutique
dont il est l’objet, se réajuster à des normes de comportement, s’intégrer à un système
économique et réprimer des désirs non recevables33. Foucault voit dans la norme34 un savoir
31 JEAN-‐FRANCOIS BERT, Introduction à Michel Foucault, p. 32. 32 Foucault voit dans la mise en place de la médicalisation collective de la population (et des différents moyens de contrôle que sont l’hygiène, le contrôle de santé ou encore la démographie), un moyen d’appliquer à la société une distinction entre le normal et le pathologique. 33 FREDERIC GROS, Michel Foucault, p.71. 34 Voir la remarque du bas de page 36.
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qui se donne des moyens de correction afin de transformer l’individu et il la lie
immanquablement à la notion de discipline. Le contrôle fonctionne dans les espaces clos mais
pas seulement, car il se désinstitutionnalise par le fait qu’il se retrouve également dans la vie
quotidienne, investie par ceux que Foucault appelle « les juges de normalité »35(les
professeurs, éducateurs, médecins et travailleurs sociaux) qui actualisent la norme en
vigueur.36
Comme on vient de le voir, la question de la norme telle qu’elle est abordée par Foucault
désigne autant de mécanismes de surveillance qui ont pour fonction, non pas tant de punir de
la déviance, que de la corriger et surtout de la prévenir. Le contrôle37 permet de gérer la
société en fonction de modèles normatifs ainsi que de modeler chaque individu et d’ainsi
gérer son existence. Foucault s’est attaché à penser cette question du double aspect du
contrôle social : celui de diriger la population et le gouvernement de l’individu, dans le cadre
des institutions de santé et du discours médical du 19e siècle. Ainsi, l’intériorisation de la
norme, manifeste notamment dans la gestion de la sexualité, correspond à une introduction du
pouvoir dans les mailles de la vie et à une subjectivation de celle-ci.
Ces questions complexes (que nous n’avons pu qu’aborder très brièvement), que sont
l’enfermement, la norme, la visibilité et l’altérité, vues au prisme de la philosophie
foucaldienne, nous ont montré par quelles procédures des discours de vérité vont transformer,
aliéner, informer des sujets, et comment des subjectivités vont se construire à partir de ceux-
ci. Nous avons notamment vu comment l’avènement des sciences humaines est apparu avec
l’expérience d’une culture renouvelée de la folie, qui a constitué son identité notamment en
excluant une partie d’elle-même. Ainsi, la folie au Moyen Age était perçue comme le
cauchemar de l’imaginaire humain, alors qu’à la Renaissance, elle est vécue comme
expérience cosmique. A l’âge classique, même si on éprouve une difficulté à définir le champ
de la folie, va apparaitre l’enfermement de la population marginale, un enfermement dont la 35 JEAN-‐FRANCOIS BERT, Introduction à Michel Foucault, p. 48. 36 La question de la norme observée par Foucault, nous venons de l’aborder par le biais du ‘vu’ (dans les différentes institutions et notamment psychiatriques) et du ‘non vu’ (dans la vie quotidienne, à travers les discours normatifs). L’autre biais de la question de la visibilité, qui est celui de l’altérité et de la perception de l’autre à travers la notion d’étrangeté (que recouvre notamment la folie), fut approchée au début du présent travail, nous ne reviendrons dès lors pas sur celle-‐ci.
37 Notons ici que la notion de la norme chez Foucault a été différemment abordée dans les trois volumes de l’histoire de la sexualité, ainsi dans les années 80, le contrôle sera plutôt entendu comme un mécanisme d’application de pouvoir différent de la discipline.
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visée est tout à la fois sociale, économique et morale. D’un enfermement dont le but est de
corriger le comportement, on va donc assister progressivement à un glissement vers la notion
de soin, même si les moyens utilisés restent proches de la correction : on humilie, on juge, on
culpabilise le fou, faisant de celui-ci un étranger pour lui-même. Fait capital à cette époque,
l’homme devient un objet scientifique, par le biais de l’expérience anthropologique qu’est la
folie. Nous avons vu qu’avec sa progressive modernisation, la société occidentale à assujetti
et chosifié les individus, notamment avec les procédures de pouvoirs et les stratégies de
discours spécifiques qui regroupent notamment des procédures externes d’exclusion telles que
l’interdit, le partage et le rejet, et enfin l’opposition du vrai et du faux. Le discours peut être à
la fois effet et instrument du pouvoir. Ainsi le fait de révéler nos émotions, de tout dire sur
nos pratiques (sexuelles notamment) et nos pensées nous rend contrôlables et normalisables,
notamment par le biais du développement des institutions psychiatriques.
A ce sujet, il convient ici d’apporter les commentaires de certains détracteurs du philosophe
français. Parmi eux, comptons la critique violente et ambivalente des psychiatres, des
psychologues et des historiens de la psychopathologie (certes compréhensibles, Foucault
dénonçant systématiquement tous les idéaux sur lesquels reposait leur savoir). Ainsi, s’il a
apporté une certaine liberté méthodologique de par son choix d’analyse de documents ou de
nouvelles coupures chronologiques, beaucoup d’historiens refusent la vision foucaldienne
romanesque du Moyen Age, n’adhèrent pas à sa vision idéaliste et romantique de la folie,
ainsi qu’à la façon dont il articule l’exclusion de la folie avec la rationalité progressive de la
société occidentale depuis les Lumières. Parmi d’autres détracteurs, citons la psychiatre
Gladys Swain et le philosophe Marcel Gauchet, qui dans La pratique de l’esprit humain, vont
renverser l’hypothèse de Foucault sur le geste libérateur de Pinel à l’égard des ‘folles’ de la
Salpêtrière. Si Foucault voyait dans ce geste un nouveau refoulement de la folie, Swain et
Gauchet, quant à eux, verront que pour la première fois, l’isolement des ‘fous’ a permis de
changer notre rapport à eux et les a sortis de leur enfermement en eux-mêmes, de leur
inaccessible altérité, pour les ramener « dans l’espace ouvert et multidimensionnel de la
coexistence »38. Gladys Swain particulièrement reproche à Foucault, de ne pas avoir pris assez
de recul face « à l’abolition des chaînes ». Elle remet également en cause l’histoire du regard
de la folie dans son aspect le plus spécifique : la naissance de l’asile moderne au 19e siècle.
Selon elle, la psychiatrie n’est pas née de la libération des chaînes mais de « l’attribution à
38 JEAN-‐FRANCOIS BERT, Introduction à Michel Foucault, p. 36.
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l’aliéniste des pouvoirs exercés autrefois par des infirmiers »39. Swain plus tard, avec Marcel
Gauchet vont tenter de démontrer notamment que les sociétés modernes répondaient à une
logique de l’intégration sous-tendue par le postulat de l’égalitarisme et que dès lors, le fou
était regardé non pas comme un ‘autre’ exclu mais comme l’alter-ego ou comme sujet malade.
Enfin, on va également accuser Foucault d’ignorer la dimension des pratiques et de ne voir
que l’organisation des savoirs40.
Quoiqu’il en soit, nous ne pouvons que reconnaitre l’apport considérable de Foucault à la
psychiatrie et sa volonté de renverser les évidences, démarche à laquelle nous adhérons
volontiers. Enfin, comme un éloge à la folie, nous reprendrons le magnifique texte de Frédéric
Gros, quand il parle de la perception de la folie à la Renaissance quand elle n’était pas encore
une affaire de la raison:
la folie n’est pas encore une décision de la raison, elle est hantise de l’imagination. Quand le fou
s’agite et tremble, les cris qu’il pousse, ses hallucinations vagues, cela suscite des images. Ce qui se
trouve alors inquiété par la folie, ce ne sont pas encore les démonstrations du langage, c’est la
consistance du réel, la peau du monde qui craque. Ce que la culture reçoit du délire du fou, c’est une
question : et si tout cela – les formes du réel, ces volumes, la profondeur des pierres, la lenteur du
soleil, le calme des étangs -‐, et si tout n’était qu’un vernis faible, un rideau mince. Il faut gratter un
peu, soulever le voile légèrement, racler la première couche, et soudain, soudain à travers une faille,
on voit l’arrière-‐fond mouvant du monde : la multiplication des profondeurs, la tempête des couleurs,
le tourbillon des formes, l’accélération des transformations. Ce chaos, ce cauchemar : et si, derrière la
platitude des êtres, derrière la monotonie du monde, grouillaient des monstres sans forme ni âge, des
viscosités délirantes, des intensités galopantes. Bosch après tous les a vus. La folie, ce n’est pas un
problème d’homme, ce n’est pas une affaire de raison, de facultés mentales, de logos, la folie, c’est la
vérité tragique, occultée, secrète, souterraine du monde. Toute cette stabilité des êtres, cette
permanence des choses, c’est illusion. Les fous attestent que c’est illusion, cat ils devinent, eux, et font
deviner les fantômes qui grouillent. Ils voient les choses se disperser en insectes innombrables,
gondoler les lignes, trembler les pierres. Expérience tellement terrible, il faudra la réduire, comme elle
est difficilement supportable. Les images sont trop fortes, violentes, elles frappent démesurément 41.
39 ELISABETH ROUDINESCO, Penser la folie, p. 26. Nous n’entrerons pas ici plus loin dans les considérations de Gladys Swain, soulignons toutefois que sa démarche devait toutefois tout à celle de Foucault. 40 Foucault y répondra par l’archéologie des savoirs. 41 FREDERIC GROS, Michel Foucault, Folie et déraison. Histoire de la Folie à l’âge classique. Article URL Cycle raison, folie, déraisons.
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Bibliographie
DOMINIQUE LACHAT, « Trieste : 30 ans après la fermeture de son hôpital psychiatrique, un exemple pour le développement durable et l’insertion sociétale », article URL consulté le 29 décembre 2012.
ELISABETH ROUDINESCO, Penser la folie, Essais sur Michel Foucault, Paris, Galilée, 1992.
FREDERIC GROS, Michel Foucault, Paris, Que sais-je, PUF, 2010.
FREDERIC GROS, Introduction à la philosophie de Michel Foucault, Michel Foucault, une philosophie de la vérité, in article URL « Nouveau millénaire, défis libertaires », consulté le 25 décembre 2012.
FREDERIC GROS, Michel Foucault, Folie et déraison. Histoire de la Folie à l’âge classique. Article URL, cycle raison, folie, déraisons.
JEAN-CLAUDE FRERE, Léonard de Vinci, peintre, inventeur, visionnaire, mathématicien philosophe, ingénieur, Paris, Ed. Pierre Terrail, 1994.
JEAN-FRANCOIS BERT, Introduction à Michel Foucault, Paris, La Découverte, 2011.
MICHEL FOUCAULT, Histoire de la Folie à l’âge classique, Paris, Plon, 1961.
MICHEL FOUCAULT, La Volonté de savoir, cours au Collège de France (1970-1971), Paris, Gallimard, 2011.