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#1 Série sur la nouvelle évangélisation Michelle K. Borras Qu’est-ce que la nouvelle évangélisation ? sErVICE D INFOrmaTION CaTHOLIquE

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#1 Série sur la nouvelle évangélisation #1 Série sur la nouvelle évangélisation

Michelle K. Borras

Qu’est-ce que la nouvelle évangélisation ?

s E r V I C E D ’ I N F O r m a T I O N C a T H O L I q u E s E r V I C E D ’ I N F O r m a T I O N C a T H O L I q u E

Nous vivons dans un monde de tristesse intérieure. Leshommes et les femmes aspirent à faire l’expérience de la joied’être définitivement aimés et d’aimer définitivement.

L’évangélisation est la communication par la parole et parla vie, par la prière et le silence, par les actes et par lasouffrance, d’un amour qui à la fois embrasse l’homme et ledépasse infiniment. C’est la communication de la joie. Cettejoie est plus grande que l’homme parce qu’elle vient de Dieu.Et c’est justement pour cette raison que c’est la seule joie quipuisse étancher la soif insatiable du cœur humain.

Catholic Information Service ®Conseil suprême des Chevaliers de Colomb

PO Box 1971 203 752 4267

New Haven, CT 06521 800-735-4605 (Télécopieur)

[email protected] www.kofc.org/informationcatholique401-F 12-15

— Pape Benoît XVI

« Il faut faire redécouvrir la beauté et l’actualité de la foi »

rÉDaCTrICE EN CHEF :

michelle K. Borras, Ph.D.

Directrice du Service

d’information catholique

ÉDITEurs :

alton Pelowski et

Patrick scalisi

PHOTO

Thomas serafin

CONCEPTION

adam solove

© Copyright 2012, Chevaliers de Colomb.

Tous droits réservés.

Les œuvres citées sont la propriété de leurs

auteurs respectifs.

Les citations des Écritures sont issues de

la nouvelle traduction liturgique de la

Bible de l’association épiscopale liturgique

pour les pays francophones (aELF).

Série sur la nouvelle évangélisation

1 qu’est-ce que la nouvelle évangélisation ?

1è r E ParTIE « Car DIEu a TaNT aImÉ LE mONDE »2 « Je crois en toi » : La question de Dieu dans le monde moderne3 Les mystères de la vie de Jésus4 un Dieu qui est trois fois amour5 « Nous sommes venus l’adorer » : Introduction à la prière à l’école

de Benoît XVI

2è m E ParTIE « aPPELÉs à aImEr… »6 appelés à aimer : La théologie de l’amour humain, de Jean-Paul II7 à l’image de l’amour : Le mariage et la famille8 suivre l’amour pauvre, chaste et obéissant : La vie consacrée

3è m E ParTIE … DaNs L’ÉgLIsE, ÉPOusE DE L’agNEau

9 « qu’il me soit fait selon ta parole » : marie, à l’origine de l’Église10 avec le cœur de l’Époux : Le sacerdoce ministériel11 La transfiguration du monde : Les sacrements12 Lumière et silence : un journal intime eucharistique

4è m E ParTIE « aImEr EN aCTE ET EN VÉrITÉ »13 Libres en vue de quoi ?14 La justice : La dignité du travail15 La justice : L’Évangile de la vie

5è m E ParTIE « IL NOus a aImÉs Jusqu’au BOuT »16 La dignité de la personne souffrante17 « regardez ! J’étais mort et me voilà vivant… » : La mort et la vie

éternelle

aNNEXEs : OuTILs POur La NOuVELLE ÉVaNgÉLIsaTION

a La beauté de la sainteté : L’art sacré et la nouvelle évangélisationB La technologie et la nouvelle évangélisation :

Critères de discernement

NIHIL OBsTaT

susan m. Timoney, s.T.D.

Censor Deputatus

ImPrImaTur

Cardinal Donald Wuerl

Archevêque de Washington

archidiocèse de Washington

ImagE DE La COuVErTurE : L’archange Gabriel

L’archange gabriel tient un rouleau représentant la première proclamation

de l’Évangile, l’annonciation à marie. Chapelle de la sainte Famille, Conseil

suprême des Chevaliers de Colomb, New Haven, Connecticut. La mosaïque a

été réalisée par le père marko Ivan rupnik, sJ et les artistes du Centre aletti

en 2005.

3 juillet 2012

Le nihil obstat et l’imprimatur sont des

déclarations officielles attestant qu’un

livre ou un livret ne contient pas d’erreurs

doctrinales ou morales. Cela n’implique

pas que les personnes qui ont accordé le

nihil obstat et l’imprimatur sont d’accord avec

le contenu, les opinions ou les affirmations

qui y sont exprimés.

Qu’est-ce que la nouvelle évangélisation ?

Michelle K. Borras

Table des matières

« Nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nousy avons cru… »

1 Un monde assoiffé d’amour et de joie3 Découvrir l’amour de Dieu dans la souffrance5 Un message d’espérance pour le monde moderne7 Partager la joie de l’Évangile

« Allez dans le monde entier proclamer la Bonne Nouvelle »11 Pourquoi avons-nous besoin d’une nouvelle

évangélisation ? 13 Pourquoi « nouvelle » ?17 La source de l’évangélisation

« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas… »23 Qui évangélise ?26 Contenu de la nouvelle évangélisation30 Méthode d’évangélisation33 Conclusion : Le grain de blé

36 Sources40 L’auteur et le « Service d’information catholique »

Détail : le Christ relevant Adam par la

main lors de sa descente aux enfers.

Mur de L’Incarnation du Verbe,

Chapelle Redemptoris Mater, Cité du Vatican.

Image reproduite avec l’aimable autorisation du Centre Aletti.

« Nous avons reconnul’amour que Dieu a pournous, et nous y avons cru… »

(1 Jean 4,16)

Un monde assoiffé d’amour et de joie

Dans notre monde actuel, rares sont les signes d’une véritable espérance, capable de transformer la vie. Il estplus difficile encore de trouver la joie. Bien souvent, on vitau jour le jour, saisissant parfois un moment éphémère debonheur mais, la plupart du temps, on se réveille et on secouche dans une existence plutôt monotone et triste. En Europe occidentale et en Amérique du Nord, quis’enorgueillissent de leur prospérité et de traditions ju-ridiques pour protéger les droits de l’homme, on mangegénéralement à sa faim. Mais la nourriture, le vêtement, letoit et le respect des droits fondamentaux ne suffisent pasà l’être humain pour survivre. Combien de personnes ose -raient confesser, si elles étaient seules ou si elles n’avaientpas à afficher un visage optimiste, que la vie est dure ?

Il est difficile pour un jeune de rentrer tous les jours de l’école dans une maison qui lui rappelle que ses parents, qu’ilaime, ne s’aiment plus suffisamment pour vivre ensemble ;pour un employé, de retourner tous les jours sur son lieu de

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travail où les êtres humains ne sont vus qu’en termes de pro-ductivité ou d’ambition ; pour une personne en milieu de viede découvrir que sa vie sentimentale est brisée et qu’ellepassera le reste de sa vie en tête à tête « avec elle-même ouavec son chat »1 ; ou pour une personne âgée de sentir qu’ellen’a plus rien à apporter à la société et que ses proches l’ont àmoitié oubliée. Il est difficile de ne pas être aimé du tout, oupas autant qu’on aimerait l’être. Et même si nous sommestellement habitués à cette situation que nous n’y prêtonsplus attention, il est dur de ne pas pouvoir aimer.

Il n’est pas facile de vivre dans un monde où toute beautéréelle, durable semble souvent absente – une beauté qui nesoit pas une illusion mais qui puisse nous fasciner et noussortir de notre existence routinière et de nous-mêmes. Etlorsque nous sommes confrontés à un rejet violent et fla-grant de la beauté, de l’humanité, de l’amour, cela devientpresque insupportable. C’est un peu ce qui s’est passé lors desattaques terroristes contre les États-Unis, le 11 septembre2001. À cette époque, le New York Times a décrit « des heuresde panique » où les Américains « ont assisté à quelque chosed’inexprimable, d’incompréhensible, d’impensable »2. Maisd’autres moments d’horreur ne cessent de se produire à uneéchelle plus petite, plus personnelle, et parfois aussi à uneéchelle mondiale. D’un côté, notre époque semble pleine depromesses. De l’autre, ces promesses semblent souvent imploser, parce que nos vies sont ternes et sans joie ou quenous sommes soudain confrontés au mal, manifeste ou plusinsidieux, qui peut se déchaîner dans les cœurs humains etdans le monde.

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Découvrir l’amour de Dieu dans la souffrance

Karol Wojtyła, devenu le pape Jean-Paul II, et JosephRatzinger, devenu le pape Benoît XVI, ont vécu dans un siècle et dans un monde qui étaient non seulement enproie à de terribles conflits, mais où une grande « éruptiondu mal »3 semblait noyer toute possibilité d’espérance et dejoie. Né en 1920, Wojtyła était le plus âgé de quelques an-nées. Il vit le jour dans un pays, la Pologne, qui allait êtreenvahi d’abord par l’Allemagne nazie pendant la Secondeguerre mondiale, puis par les communistes soviétiques.Plus tard, il dira : « Il m’a été donné de faire l’expériencepersonnelle des « idéologies du mal ». C’est quelque chosequi ne peut s’effacer de ma mémoire ».4

Après que les armées d’Adolf Hitler ont envahi son pays en1939, le jeune Karol, étudiant universitaire lorsque la guerreéclata, devint ouvrier dans une carrière de pierres. Un de sescompatriotes a décrit ces années de guerre et d’occupation :« rondes de police, déportations dans les camps ou travauxforcés… exécutions sommaires dans la rue, tout cela faisaitpartie du quotidien… Nous eûmes faim sans arrêt pendantcinq ans, et l’hiver, nous avions affreusement froid »5.Lorsqu’il décida d’étudier en vue du sacerdoce, Karol suivit saformation en secret, dans un séminaire clandestin. Devenuprêtre, et plus tard évêque, il ne vit son pays émerger des hor-reurs de la Seconde guerre mondiale que pour entrer dans delongues années de répression par l’Union soviétique, quiavait installé des gouvernements communistes fantochesdans toute l’Europe de l’Est.

Karol jeune homme, prêtre puis évêque, a vu la dignitéde la personne humaine gravement et continuellementmenacée par l’oppression, les meurtres et les emprison-

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nements injustifiés de ses compatriotes à qui l’on disaitqu’ils n’avaient pas besoin de leur culture ni de Dieu. Malgré cela, il savait qu’il devait vivre une vie digne d’unêtre humain. Face à tout ce qui niait le besoin fondamentalde la personne humaine d’aimer et d’être aimée, il devaitaimer.

Le second de ces deux jeunes gens, Joseph Ratzinger, estné en 1927 et a grandi en Allemagne au moment où le partinazi de Hitler arrivait au pouvoir. Son père, qui s’était ex-primé avec force contre le régime nazi, avait dû déménageravec sa famille pour assurer la sécurité de celle-ci. Adolescentpendant la Seconde guerre mondiale, Joseph, comme tous lesAllemands en bonne santé, fut appelé pour rendre un certainnombre de services de soutien à l’effort militaire allemand.Il creusa des tranchées à la main dans un camp de travail,surveillé, comme il le raconte, par « des idéologues fana-tiques qui nous tyrannisaient littéralement »6.

Enrôlé dans l’infanterie allemande vers la fin de la guerre,Joseph déserta – ce qui était passible de l’exécution immédi-ate – et rentra chez lui. À son arrivée, il découvrit que les soldats américains occupaient la maison familiale. Il fut faitprisonnier de guerre pendant deux mois, dormant avec desmilliers d’autres prisonniers dans un champ en plein air etsurvivant avec, pour ration quotidienne, « une louche desoupe et un peu de pain »7. Une fois relâché, il retourna auséminaire, motivé par « une grande reconnaissance… d’avoirpu revenir du gouffre de ces dures années »8. En dépit desidéologues qui disaient au peuple allemand que leur paysavait besoin de puissance et de fierté nationale – et non deDieu – et alors que beaucoup avaient perdu l’espérance, Josephsavait qu’il devait vivre différemment. Il devait vivre humaine-ment, remercier et espérer. Comme Karol, il devait aimer.

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Ces deux jeunes gens, qui allaient plus tard devenir papes,ont vécu dans des circonstances très difficiles. Mais ils ontaussi été portés pendant ces années par quelque chose qu’ilsoffriraient plus tard à toute personne assoiffée de beauté etd’amour durable : la découverte que l’espérance est possible,que les aspirations les plus profondes de la personne humaine ont un objet réel, que la beauté existe et qu’ellepénètre même les abîmes de la souffrance humaine pour lestransformer, que nous sommes réellement faits – et quenous pouvons être aidés en cela – pour aimer et être aimésd’un amour fidèle, parfait et beau.

Un message d’espérance pour le monde moderne

Comme l’écrivait Jean-Paul II à la fin de sa vie, toutes cesterribles expériences de sa jeunesse lui ont enseigné qu’ily avait une « limite imposée au mal dans l’histoire » et quecette limite avait affaire avec la miséricorde de Dieu.9

Malgré toutes les craintes que nous pouvons avoir devantla capacité de la personne humaine à faire le mal ou devantla faiblesse et la confusion de notre propre cœur, nousn’avons pas à avoir peur, car Dieu aime. En effet, Dieu estAmour. Dieu est un Père, qui a envoyé son Fils unique pourmourir et vaincre la mort pour nous, afin que nous puis-sions vivre dans « la liberté de la gloire donnée aux enfantsde Dieu » (Romains 8,21). Pour le jeune Karol Wojtyła, etpour l’homme qu’il allait devenir, le christianisme, larévélation d’un Dieu qui a tant aimé le genre humain, étaitvraiment un Évangile (evangelion, en grec, signifie « bonnenouvelle »). Dans un monde souvent triste et dans la souf-france, un monde d’oppression et de mort, il avait trouvéla joie. Cette joie était si grande qu’il se sentait le devoir de

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l’offrir tous les jours de sa vie à des personnes qui, de dif-férentes manières, étaient oppressées par le manque de joieet d’espérance.

Dans les pays modernes et prospères d’Occident, la menacecontre le bonheur humain peut prendre des formes plus sub-tiles que la souffrance dont le jeune Karol a fait l’expérience.Mais devenu pape, Jean-Paul II savait bien que ces dangerssubtils sont malgré tout présents et qu’ils ne menacent pasmoins les êtres humains que l’ « éruption du mal »10 dont ilavait été témoin dans sa jeunesse.

Comme Karol Wojtyła, le jeune Joseph Ratzinger auraitfacilement pu désespérer. Son pays avait été moralement et physiquement ébranlé et quelqu’un qui a grandi dans cecontexte aurait de bonnes raisons de craindre ce qui habitele cœur humain. Pourtant, comme Jean-Paul II, Ratzingersera capable de dire, lorsqu’il sera le pape Benoît XVI : « N’ayez pas peur ! ». Il existe quelqu’un qui connaît le cœurdes êtres humains, quelqu’un qui chasse toute crainte,quelqu’un qui nous aime et nous rend capables d’aimer, etdonc aussi d’espérer. Cette personne est Jésus-Christ.

Ce n’est pas le hasard si l’une des premières lettres ency-cliques de Benoît XVI, adressée à l’Église et au monde a portésur l’espérance, la grande et définitive espérance en Dieu quidonne son sens à toute la vie humaine.11 Ayant fait l’expéri-ence de la tyrannie nazie, il savait ce qui se produit – nonseulement au niveau des événements du monde ou de laguerre, mais à l’intérieur du cœur humain – quand des êtreshumains essaient de vivre sans Dieu. Pendant un temps, toutsemble bien se passer, jusqu’à ce que les gens réalisentsoudain qu’ils ne peuvent pas arrêter les menaces et les vio-lences qu’ils ont eux-mêmes déchaînées dans le monde. Ilsperdent espoir et sont terriblement assoiffés de quelque

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chose qu’ils ne peuvent pas donner eux-mêmes. C’estpourquoi, bien plus tard, le pape Benoît a insisté pour visiterune ville de l’Est de l’Allemagne, anciennement communiste,où la plupart des habitants ne croient plus en Dieu, pour leurdire qu’il y a une Bonne Nouvelle. Il existe quelqu’un quiétanche cette terrible soif qui survient dans le cœur humainquand on essaie de vivre sans la seule chose qui puisse nousdonner une joie durable.

En 2011, au cours de sa visite à Erfurt, en Allemagne, lepape a demandé : « L’homme a-t-il besoin de Dieu, ou leschoses vont-elles assez bien aussi sans lui ? ». Puis il a ajouté :« Mais plus le monde s’éloigne de Dieu, plus il devient clairque l’homme, dans l’hybris du pouvoir, dans le vide de soncœur et dans son désir de satisfaction et de bonheur, perd savie de plus en plus. La soif d’infini est présente dans l’hommede façon indéracinable. L’homme a été créé pour la relationavec Dieu et a besoin de lui »12. Nous ne pouvons pas étanchernotre soif de ce qui nous dépasse, d’infini et cet infini est unepersonne qui se donne à nous. Une personne qui nous aimeet désire si intensément notre amour que nous pouvons direqu’elle aussi a soif de notre amour13.

Partager la joie de l’Évangile

Pour Ratzinger, tout comme pour Wojtyła, le christianismen’était pas simplement une « bonne nouvelle », mais laBonne Nouvelle, la seule réponse complète, durable etsurabondante au désir inassouvi du cœur humain.

Pour eux, le message évangélique est réellement une nou-velle si nécessaire à la personne humaine qu’on ne peut pasle garder pour soi. C’est un message d’une joie profonde etrayonnante, si puissant qu’il peut transformer l’abîme de la

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souffrance humaine en quelque chose qui n’est pas simple-ment supportable, mais beau. Il peut transformer le manqued’amour en amour, ou une vie ennuyeuse, pénible en une viequi vaut parfaitement la peine d’être vécue. C’est aussi, nousle voyons chez les premiers chrétiens et même à notreépoque, une joie si grande que les croyants pensent qu’il vautvraiment la peine de mourir pour elle.

La joie qui a accompagné Wojtyła et Ratzinger dans leursexpériences difficiles et qui a inspiré le reste de leur vie estcette même joie dont parle saint Jean, l’apôtre et le disciplede Jésus, dans la Bible.

Considéré traditionnellement comme le plus jeune desdouze apôtres, Jean ne pouvait pas écrire sur cette « nouvelle »sans exprimer son étonnement joyeux devant ce qu’il avaiteu le privilège d’entendre, de voir et de toucher en Jésus-Christ, le Fils de Dieu – Dieu lui-même – fait homme. Aucommencement de sa première lettre, Jean décrit simple-ment son expérience inouïe de la beauté invisible de Dieurendue visible. Par l’Incarnation, Dieu s’est rendu si prochedes êtres humains que nous pouvons percevoir son amouravec tous nos sens : « Ce qui était depuis le commencement,ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nosyeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains onttouché du Verbe de vie… » (1 Jean 1,1).

Dans le Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité d’entreles morts, Jean a été frappé par quelque chose de tout à faitinattendu. Il a rencontré une beauté si grande qu’il en a étécomme transporté hors de lui-même, en extase, et que tousles aspects de son existence en ont été transformés. C’estcette « rencontre » que, dans son commentaire sur ce mêmelivre de la Bible, le pape Benoît XVI décrit comme étant aucœur du christianisme : « Nous avons cru à l’amour de Dieu […] À

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l’origine du fait d’être chrétien [il y a] la rencontre avec unévénement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvelhorizon et par là son orientation décisive »14.

Reconnaissant que c’était l’Amour même qui l’avait faitsortir de lui-même pour vivre une nouvelle existence dansl’amour, Jean savait que cette rencontre était un cadeau àpartager. Si Dieu nous ouvre sa vie, c’est pour nous introduiredans la communion, ou dans la vie partagée, avec lui et avecles autres. Ainsi, Jean poursuit dans sa lettre : « Ce que nousavons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi,pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous.Or nous sommes, nous aussi, en communion avec le Père etavec son Fils, Jésus Christ. Et nous écrivons cela, afin quenotre joie soit parfaite » (1 Jean 1,3-4).

L’amitié que Dieu nous offre dans le Christ est une « joieparfaite »15, une joie plus grande et plus intense que ce qu’unêtre humain peut désirer ou imaginer. Jean sait que cette joieest pour tous et qu’elle doit être proclamée. Pour reprendrele terme que les auteurs du Nouveau Testament, puis la première Église, ont forgé pour parler de cette proclamation,Jean, comme tout disciple après lui, doit évangéliser – nonseulement ou principalement par la parole, mais par toutesa vie.

Jean sait qu’il doit communiquer l’Amour dans lequel ilcroit, non pas parce qu’il pense être meilleur que ceux qui nel’ont pas encore rencontré – il sait bien qu’il ne l’est pas – etcertainement pas parce qu’il veut forcer quiconque à croire.Mais il prie, il écrit, il prêche et il souffre parce que « Dieu atant aimé le monde » (Jean 3,16) et Jean doit l’aimer aussi,puisqu’il aime Dieu. Comme la joie, l’amour déborde na-turellement, et en particulier cet amour qui est l’affirmationdéfinitive de la bonté du monde et de toute vie humaine.

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Détail : Marie et le Christ portant ses blessures, des Noces de Cana.

Chapelle de la Sainte Famille, Conseil suprême des Chevaliers de

Colomb, New Haven, Connecticut.

« Allez dans le monde entier proclamer la BonneNouvelle »

(Marc 16,15)

Pourquoi avons-nous besoin d’une nouvelle évangélisation ?

Comme le savaient très bien Karol Wojtyła et JosephRatzinger, l’humanité a un besoin urgent d’entendre affirmer avec force qu’il est bon que la personne humaine –et le monde tout entier – existe. Nous avons besoin desavoir que la dignité humaine est enracinée dans quelquechose d’inébranlable, que tout être humain est aimé detoute éternité et est appelé à aimer. Wojtyła et Ratzingeront tous deux fait l’expérience dans leur vie de ce qui arriveà la personne humaine quand le sens de Dieu est obscurci.C’est pourquoi, lorsqu’il est devenu pape, Benoît XVI a affirmé : « Là où l’homme a moins la perception d’être accueilli par Dieu, d’être aimé de lui, la question de savoirs’il est vraiment bien d’exister comme personne humainene trouve plus aucune réponse. Le doute à propos de l’exis-tence humaine devient toujours plus insurmontable. [...] Làoù le doute au sujet de Dieu devient dominant, le doute ausujet de l’être même des hommes suit inévitablement »16.

Quels sont les effets de ce doute ? Ils peuvent être terribles,

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comme l’ « explosion du mal » du génocide que Karol Wojtyłaet Joseph Ratzinger ont connu dans leur jeunesse. Mais laplupart du temps, les effets sont plus cachés, comme unepoussière grise et toxique qui se dépose sur nos vies : « Nousvoyons [ce doute] dans le manque de joie, dans la tristesse intérieure qui peut se lire sur tant de visages humains »17.

S’adressant à des enseignants de religion en 2000, le cardinal Ratzinger rappelait que Jésus était venu pour « porter la Bonne Nouvelle aux pauvres » (Luc 4,18). Puis il aeu une expression inattendue : Nous sommes les pauvres. Si lespays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord sont richesmatériellement, leurs habitants sont cependant terrible-ment pauvres car il leur manque souvent la seule chose quirende la vie belle. La plus grande pauvreté n’est pas lemanque de nourriture, d’un toit ou de vêtements mais plutôt« l’incapacité d’éprouver la joie, le dégoût de la vie, considéréecomme absurde et contradictoire. Cette pauvreté est au-jourd’hui très répandue, sous diverses formes, tant dans lessociétés matériellement riches que dans les pays pauvres.L’incapacité à la joie suppose et produit l’incapacité d’aimer,elle produit l’envie, l’avarice – tous les vices qui dévastent la vie des individus et du monde. C’est pourquoi nous avonsbesoin d’une nouvelle évangélisation »18.

Nous avons besoin d’une « nouvelle évangélisation », d’uneproclamation renouvelée de la Bonne Nouvelle que saintJean, comme Wojtyła et Ratzinger après lui, savait ne paspouvoir garder pour lui. En appelant de ses vœux cetteproclamation renouvelée, Ratzinger reprend à son compteun certain nombre d’affirmations du pape Jean-Paul II, quivoyait le besoin d’une évangélisation « nouvelle dans sonardeur, dans ses méthodes et dans son expression »19, capablede porter la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ aux hommes et

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aux femmes dans le monde d’aujourd’hui.Nous vivons dans un monde rempli de cette « tristesse in-

térieure » décrite par le pape Benoît, où l’homme semble deplus en plus tourmenté « dans sa prétention démesurée aupouvoir, dans le vide de son cœur et dans son aspiration à lasatisfaction et au bonheur ». Et surtout, nous vivons dans unmonde qui semble avoir oublié qu’au-delà des moments debonheur éphémères qui traversent parfois la vie de ceux quiont de la chance, il existe une joie durable et inébranlable.Dans ce monde, ce dont nous avons besoin plus que de touteautre chose, c’est d’expérimenter la joie d’être aimé etd’aimer sans condition. Et ceux qui ont rencontré cet amouront besoin de le communiquer. C’est cela, l’évangélisation :la communication par la parole et par la vie, par la prière etle silence, par les actes et par la souffrance, d’un amour quiest joie car il embrasse l’homme et le dépasse infiniment.Cette joie peut parfois être exigeante et difficile. Mais c’esttoujours une joie « plus grande » que l’homme parce qu’ellevient de Dieu. Et c’est justement pour cette raison que c’est la seule joie qui puisse étancher la soif insatiable ducœur humain.

Pourquoi « nouvelle » ?

La communication de cette joie, ou la Bonne Nouvelle del’amour inconditionnel de Dieu pour l’homme, rendu visibleen Jésus-Christ, est la tâche de l’Église depuis le com-mencement. Après la crucifixion de Jésus et sa mort, abandonné, les apôtres se sont barricadés derrière desportes verrouillées. Mais au cœur de la peur qui les paraly-sait, ils ont soudain rencontré la joie : « lui-même fut présentau milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! »

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(Luc 24,36). Ils se trouvèrent confrontés à une réalité qui fitsauter toutes les barrières, si définitive qu’elle donne àtoute l’Histoire « sa signification et son but ultime »20. LeurSeigneur, qui était mort, était vivant devant eux, les invi-tant : « Touchez-moi, regardez… » ; et « dans leur joie, ilsn’osaient pas encore y croire » (Luc 24,36-41). Ils touchèrentet ils virent, et ils surent qu’ils ne pouvaient pas gardercette joie pour eux.

Au cas où les apôtres auraient eu des doutes sur ce qu’ilsavaient à faire devant cette action claire, objective et joyeusede Dieu pour l’homme, Jésus leur donna un ordre : « Allez dansle monde entier. Proclamez l’Évangile à toute la création »(Marc 16,15). Cet « envoi », ou mission, façonne la com -munauté des disciples que Jésus a appelés ensemble. En fait,cette mission façonne si complètement l’Église que, presquedeux mille ans plus tard, un apôtre des temps modernes, lepape Paul VI, écrivait : « Évangéliser est, en effet, la grâce etla vocation propre de l’Église, son identité la plus profonde.Elle existe pour évangéliser »21. Depuis l’aube du christia -nisme, et pour tous les temps, l’Église existe pour proclamerpar sa parole et son action – et surtout par la vie et la mortde tous ceux qui lui appartiennent – la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ, acte suprême de l’amour deDieu. Dans la liturgie de Pâques, elle chante la joie qui nousa été donnée en lui :

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs

est devenue la pierre d’angle :

c’est là l’œuvre du Seigneur,

la merveille devant nos yeux.

Voici le jour que fit le Seigneur,

qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! (Psaume 117, 22-24)22.

14

D’une part, cette Bonne Nouvelle, et la mission de laproclamer, ne change jamais ; toujours et partout jusqu’àla fin des temps, les chrétiens proclament la réalitépérenne de l’Évangile. Ils le font dans la liturgie et les sacre-ments de l’Église, dans le discours de ses membres commedans leur prière silencieuse et cachée, et peut-être plus quetout dans le suprême témoignage du martyre, par lequelceux qui aiment « le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ » (Éphésiens 1,3) communiquent l’amour et la vie quileur ont été donnés. Malgré leur faiblesse, et souvent pré-cisément à travers elle, les chrétiens communiquent la Parole de Dieu et, ce faisant, ils aident à donner la vie àleurs frères et sœurs. Comme eux, ils savent ce que veutdire avoir un cœur insatisfait en tout, parce que leur soifde Dieu est incessante, et parfois insupportable.

Si donc cette proclamation ne change jamais, pourquoile pape Benoît XVI et ses prédécesseurs ont-ils invité avecun sentiment d’urgence à une « nouvelle évangélisation » ?Qu’est-ce qui peut être nouveau dans un message qui aplus de deux mille ans ? Et pourtant, l’Évangile peut-il jamais vieillir ? Nous pouvons commencer à comprendre ceque signifient ces apôtres du XXème et du XXIème sièclesen entendant Jean-Paul II parler de la « passion » qui doitêtre réveillée dans le cœur des chrétiens, et dans les sociétés anciennement chrétiennes qui ont oublié la joiequi leur a été confiée.23 S’il n’est pas attentif à la soif quihabite son cœur et s’il renonce à vouloir voir, écouter ettoucher le Seigneur ressuscité, le chrétien laisse mourir enlui la Parole de vie. Son cœur sans passion devient triste etvieux. Une personne ou une société chrétienne qui renonceà vouloir voir, écouter et toucher finit par rechercher l’in-fini par des moyens toujours plus contradictoires ; elle se

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retrouve dans la perspective terrifiante de toute personnehumaine privée d’une affirmation ultime de sa dignité oude sa valeur.

Le croyant et la société dont la foi s’est affadie doiventréveiller en eux la passion, qui est bien plus qu’une émo-tion ou l’élan d’un enthousiasme passager. Selon les motsde Jean-Paul II, il leur manque cette « ardeur » ou cette « conviction brûlante » de ceux qui ont été fascinés par unebeauté qui les dépasse, aimés d’un amour plus grand quece qu’ils avaient imaginé ou espéré et qui sont devenus àleur tour des personnes qui aiment.24 L’appel à une nouvelleévangélisation est une invitation à réaliser maintenant, ànotre époque et par nos vies, que le christianisme n’est passimplement une nouvelle ou un fait historique. C’est uneParole qui nous est personnellement adressée et cette Pa-role est Vie, c’est un Amour qui demeure. Cette nouvelle estsi bonne et si nécessaire qu’aucun être humain qui l’a ren-contrée ne peut la garder pour lui.

À la fin de la célébration du grand Jubilé de la naissancede Jésus-Christ, Jean-Paul II écrivait : « Nous devons revivreen nous le sentiment enflammé de Paul qui s’exclamait : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Corinthiens 9,16) »25. Comme le grand apôtre, dont lasoudaine rencontre avec Jésus ressuscité a changé toute lavie (cf. Actes 9,1-19), nous devons rencontrer la Parole faitechair et la laisser « brûler » en nous jusqu’à ce qu’elle noustransforme totalement. C’est alors seulement que sa beautépourra rayonner dans tout ce que nous ferons et dirons,dans nos silences et nos souffrances, et dans notre joie –cette joie dont parle saint Jean dans sa lettre et qui a portéKarol Wojtyła et Joseph Ratzinger au long des années diffi-ciles de leur jeunesse. Comme l’a dit le pape Benoît, c’est le

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seul moyen de réintroduire la joie dans nos cœurs éteints,ou la beauté dans notre monde souvent désespéré et sansbeauté. L’Évangile qui ne vieillit jamais, est le chemin versle seul humanisme qui soit vraiment digne de l’homme :

« Les disciples du Christ sont appelés à faire renaître en eux etdans les autres la nostalgie de Dieu et la joie d’en vivre et d’en témoigner, à partir de la question toujours très personnelle :pourquoi est-ce que je crois ? […] faire redécouvrir la beauté etl’actualité de la foi non comme un acte en soi, isolé, qui concerneun moment quelconque de la vie, mais comme une orientationconstante, même des choix les plus simples, qui conduit à l’unité profonde de la personne […] Il s’agit de raviver une foi quifonde un nouvel humanisme capable de faire naître culture etengagement social. »26

La source de l’évangélisation

Dans une série d’homélies de l’Avent, en 2011, le pèreRaniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontifi-cale, met en garde contre deux dangers qui menacent leschrétiens par rapport à la nouvelle évangélisation. Le premier est la paresse, lorsqu’on laisse la tâche aux autres. Nous nous disons à nous-mêmes : « Je pense que l’évangélisation, ou la proclamation de l’Évangile par nosvies et à notre époque est une bonne idée, mais ce n’est pasun ordre qui me concerne personnellement. » Le seconddanger, plus subtil, est l’ « activisme humain fébrile et vide » qui entraîne peu à peu les chrétiens à perdre « contactavec la source » qu’est la Parole de Dieu.27

Par ce double avertissement, le père Cantalamessa

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soulève la question de la source de la nouvelle évangélisa-tion : D’où vient cette passion renouvelée à laquelle Jean-Paul II nous exhortait avec tant d’insistance, ou ce « réveil » que le pape Benoît appelait de ses vœux ? Quelleest l’immuable origine de la joie qui doit nous transformeret que nous devons proclamer par nos paroles et par notrevie ? En un sens, en identifiant cette origine, nous identi-fions aussi ce que tout membre de l’Église doit faire en priorité et de plus important pour communiquer la Parolede Dieu. L’origine de l’évangélisation, et la réponse la plusfondamentale du chrétien, est assez simple. C’est encorel’apôtre et l’évangéliste Jean qui nous indique la réponse.

Lorsque Jean écrit aux premiers chrétiens pour proclamersa joie, il ne peut le faire que parce qu’il a d’abord entendu,vu et touché : il a fait l’expérience de la Parole de Dieu faitechair et a été bouleversé par sa beauté. Il a été attiré dansune relation d’amitié avec le Dieu vivant et a découvert quela joie parfaite (cf. 1 Jean 1,4) consiste à « partager la vie » duPère, du Fils et du Saint-Esprit, « une Trinité d’amour ».28

Comme un amant, il a été transporté hors de lui-même. Dece point de vue, il sait que sa vie entière ne peut qu’être uneréponse à ce don. Il réalise dans cette expérience en chairet en os la vérité que le pape Benoît a ainsi décrite : « À l’o-rigine de toute évangélisation, il n’y a pas un projet humaind’expansion, mais le désir de partager le don inestimableque Dieu a voulu nous faire, en nous faisant participer à savie même »29.

À la source de l’évangélisation, il y a l’expérience d’un don :l’amour gratuit et surabondant que Dieu le Père nous amontré en son Fils Jésus-Christ, par l’Esprit qui, depuis larésurrection de Jésus, a été répandu sur « toute chair ». Quenous en ayons conscience ou non, ce don de Dieu, qui nous

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ouvre sa vie, est la source de toute vraie joie dans le monde.Quand Jean-Paul II demande : « Qu’est-ce que l’Évangile ? »,il répond sans hésitation : « C’est une magnifique jus -tification du monde et de l’homme, parce que c’est larévélation de la vérité sur Dieu. Dieu est la première source dejoie et d’espérance de l’homme. Dieu, tel que le Christ nous l’arévélé. Dieu qui est Créateur et Père : « Dieu qui a tant aiméle monde qu’il a donné son fils unique afin que l’hommene meure pas mais ait la vie éternelle » (Jean 3,16) »30.

L’Évangile est la source de la joie parce qu’il est le don deDieu, la Parole de Dieu qui vient à notre rencontre. C’est larévélation personnelle du Dieu qui est Amour. Cette Parole,dite à tous les êtres humains de toute éternité, est pleine dela vie divine que Dieu désire partager avec l’homme. C’estune « Parole vivante et efficace »31, une Parole puissantemais dont la puissance consiste dans l’humilité et l’amourde Dieu lui-même. La commission préparatoire pour lesynode de 2012 sur la nouvelle évangélisation nous l’a rappelé : « Nous ne devons pas penser seulement à un livreou à une doctrine ; l’Évangile est beaucoup plus : c’est uneParole […] qui met en pratique ce qu’elle dit ». C’est « unepersonne : Jésus-Christ, Parole définitive de Dieu, faitehomme »32 pour nous donner la joie de prendre part à lacommunion d’amour qui est en Dieu.

Si cette affirmation est vraie – si l’évangélisation a sesorigines dans la « proclamation » de Dieu qui a envoyé sonFils racheter le monde – alors, avant de faire quoi que cesoit pour cet Évangile, nous devons le recevoir. Comme Jean,nous devons voir de nos yeux, entendre de nos oreilles ettoucher de nos mains pour répondre à l’invitation d’amourde Dieu. Nous devons écouter, et alors seulement – sans jamais cesser de l’écouter ! – nous pourrons proclamer ce

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que nous avons reçu. Selon les mots du pape Benoît, nousdevons « nous rendre dociles à […] l’Esprit du Ressuscité,qui accompagne tous ceux qui sont porteurs de l’Évangileet ouvre le cœur de ceux qui écoutent. Pour proclamer defaçon féconde la Parole de l’Évangile, il faut avant tout faireune expérience profonde de Dieu »33.

En d’autres termes, nous devons prier. Et lorsque nous aurons réellement été dociles et que nous aurons rencontrécette beauté dans la prière, nous ne pourrons faireautrement que de parler – d’abord à Dieu, dans la « louange »car c’est « de là que part toute réponse authentique de foien la révélation de Dieu dans le Christ »34, puis à nos frèreset sœurs qui, comme nous, sont assoiffés d’amour.

Les papes Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI sont tousformels à ce propos : les chrétiens ne peuvent pasévangéliser s’ils ne sont pas d’abord et continuellementévangélisés,35 s’ils ne contemplent pas la Parole incarnéedans toute son humilité et sa splendeur, s’ils ne l’écoutentpas et ne font pas l’expérience de la vie qu’elle donne. Leschrétiens doivent faire cette expérience avant de s’engagerdans une quelconque activité d’évangélisation, mais aussicontinuellement, parce que la joie qu’ils sont appelés à apporteraux autres leur est offerte continuellement de sa source inextinguible : « Les nouveaux évangélisateurs sont appelésà marcher en premier sur cette Voie qui est le Christ, pourfaire connaître aux autres la beauté de l’Évangile qui donnela vie »36. Ils ne peuvent apporter la vie aux autres que s’ilsdemeurent à la source de la vie, gardant leur « regard fixésur Jésus-Christ » parce qu’ils savent qu’ « en lui trouve son achèvement tout tourment et toute aspiration du cœur humain »37.

Dans toute proclamation de l’Évangile, quelle que soit la

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forme qu’elle prend dans notre vie, il y a la primauté de laParole de Dieu faite chair en Jésus-Christ et qui nous estcommuniquée dans les Écritures et dans les sacrements.Hors de la puissance et de la fécondité de cette Parole, lesmots que nous pourrons prononcer, nos actions et notre viene contiennent ni puissance ni fécondité. Il est vrai que leschrétiens sont des témoins pour leurs frères et sœurs maisseulement parce qu’ils ont été eux-mêmes témoins aupa -ravant. Ce sont eux qui voient, qui entendent et qui touchentl’amour de Dieu mort sur la croix pour nous, ressuscité parle Père et qui a répandu son Esprit sur toute l’humanité.

La source de toute évangélisation est Dieu lui-même, quinous a ouvert sa vie en son Fils. Selon les mots du pape Paul VI, la « base », le « centre » et le « sommet » de l’évangéli-sation sont toujours « Jésus-Christ, le Fils de Dieu faithomme, mort et ressuscité » pour offrir le « salut […] à touthomme, comme don de grâce et miséricorde de Dieu »38. Enécrivant cela, Paul VI se faisait simplement l’écho de saintPaul qui, deux mille ans auparavant, identifiait ainsi le cœurde sa prédication, de ses souffrances et bien sûr de toute savie : « Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre queJésus Christ, ce Messie crucifié » (1 Corinthiens 2,2). Ce mêmeJésus-Christ, qui nous ouvre la vie de Dieu, est le Chemin quenous pouvons suivre afin de « faire connaître aux autres labeauté de l’Évangile qui donne la vie »39.

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Détail : Marie, image de l’Église, recevant le sang et l’eau

qui sont un symbole des sacrements, à la Crucifixion.

Mur de L’Incarnation du Verbe,

Chapelle Redemptoris Mater, Cité du Vatican.

Image reproduite avec l’aimable autorisation du Centre Aletti.

« Si le grain de blé tombé enterre ne meurt pas… »

(Jean 12, 24)

Qui évangélise ?

Nous ne sommes pas solitaires sur ce chemin car la beautéque nous y rencontrons est une participation concrète à lacommunion qui est la vie de Dieu. Comme l’explique le papeBenoît, « sur ce chemin, on ne marche jamais seul, mais accompagné : c’est une expérience de communion et de fraternité qui est offerte à ceux que nous rencontrons, pourleur faire partager notre expérience du Christ et de sonÉglise »40. Évangéliser n’est pas une activité solitaire parceque nous ne recevons et nous n’offrons jamais seuls le donde l’Évangile. Jean le rappelle aux premiers chrétiens danssa première Lettre : l’Évangile est « une communion… avecle Père et avec son Fils Jésus-Christ. » Lorsque les croyantspartagent l’amour et la vie de Dieu, une fraternité se créeimmédiatement entre eux, dans une communion quipousse jusqu’aux confins de la terre ce petit groupe de chré-tiens qui s’aiment : « Ce que nous avons vu et entendu, nousvous l’annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, voussoyez en communion avec nous […] Et nous écrivons cela,

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afin que notre joie soit parfaite » (1 Jean 1,3-4).La communion est la vie partagée. Ce profond partage de

vie avec Dieu et avec nos frères et sœurs est précisément lajoie que les disciples de Jésus-Christ sont appelés à donnerau monde. Comme l’écrivait Jean-Paul II, « ce n’est pas uneformule qui nous sauvera, mais une Personne, et la certi-tude qu’elle nous inspire : Je suis avec vous ! »41. C’estcomme si Jésus nous disait : Avec mon Père, et avec l’Espritqui nous appartient, je suis avec vous, et nous vous aidonsà être les uns avec les autres dans une communion qui surpasse tout le manque d’amour dans le monde, qui estplus fort que la mort !

Si nous pouvions recevoir ou offrir le don de l’Évangileen tant qu’individus solitaires, ce ne serait pas la BonneNouvelle de l’amour de Dieu, un amour assez puissant pourrégénérer l’union d’une humanité divisée par le péché.Même si nous n’avons pas fait, comme Karol Wojtyła etJoseph Ratzinger pendant la Seconde guerre mondiale, ladouloureuse expérience des conséquences de la haine humaine, nous avons tous fait l’expérience de la solitude,de l’échec et du manque d’amour qui isolent. Le « manquede joie » et la « tristesse intérieure » que le pape Benoît ditsi présents dans nos sociétés modernes vont de pair avecl’expérience de ne pas être aimé en vérité, ou pas vraimentaimé. Dans une certaine mesure, nous savons tous ce quesignifie ne pas faire partie d’une communion qui donne lavie, qui tire sa vie de la joyeuse communion de vie qu’estDieu. Lorsque nous expérimentons ce manque de commu -nion, nous savons tous ce que signifie souhaiter quelquechose de différent, même si nous ne pouvons pas mettre de

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mots sur notre désir. Nous souhaitons une plénitude decommunion qui donne la joie.

Cette communion à laquelle nous aspirons est donnéedans la Parole de Dieu faite « chair », qui « a habité parminous » (Jean 1,14), engendrant ainsi son Corps qu’estl’Église. Nous recevons, et nous devons recevoir, person-nellement cette Parole de Dieu, en méditant les Écritures,dans les sacrements et la prière. Mais nous ne pouvons lefaire de manière profitable, ni même le faire tout simple-ment, qu’à l’intérieur d’une « fraternité » ou communionqui tire son origine de lui. L’Évangile de la vie, de la mort etde la résurrection de Jésus-Christ est une Parole d’amouradressée à toute l’humanité, et nous ne la recevons qu’entant que membres de l’humanité renouvelée qu’est le Corpsdu Christ, son Épouse.

La tradition exprime cette vérité avec des images belles etriches, telles celle de l’Église naissant du côté transpercé duChrist crucifié comme la nouvelle Ève tirée du côté d’Adam.L’Église, en tous ses membres, ne cesse jamais de naître dudon de la Parole de Dieu. C’est l’Église dans son ensemble quireçoit à la Pentecôte le don de l’Esprit-Saint qui descend surles apôtres sous forme de « langues qu’on aurait dites de feu » (Actes 2,3). Cette même Église reçoit l’ordre qui définirason existence jusqu’à la fin des temps : « Allez dans le mondeentier. Proclamez l’Évangile… » (Marc 16,15). Elle reçoit continuellement la Parole de Dieu, la médite en son cœur(cf. Luc 2,19) et l’offre à un monde affamé et assoiffé de Dieu.

Nous ne pourrions pas le faire seuls. La Parole de Dieuest trop grande et sa puissance à générer la communion nepourrait pas être contenue en nous. Mais dans l’Église,

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nous pouvons recevoir la plénitude de l’Évangile, lui per-mettre de transformer nos vies et toutes nos relations, etl’offrir à tout moment à nos frères et sœurs qui, commenous, ne peuvent vivre sans amour.

Chaque fois que nous rendons témoignage à l’Évangile parnotre vie, nos paroles et notre prière silencieuse, nous accomplissons un acte qui implique « toute l’Église dans sonessence et dans sa vie »42. Nous offrons la communionjoyeuse, source de vie qu’est l’Église et qu’est notre partage iciet maintenant, avec notre vie concrète, dans la vie de Dieu.En même temps, nous participons à un nécessaire « renou-veau intérieur »43 de l’Église qui, dans sa liturgie et dans lavie de chacun de ses membres, doit constamment revenir àses origines dans le don de la Parole.

Comme nous le disent les documents préparatoires dusynode sur la nouvelle évangélisation, la transmission dela foi n’est « ni individualiste ni solitaire, mais un événe-ment communautaire et ecclésial »44. L’évangélisation esttoujours une action de l’Église, qui loue Dieu et offre auxêtres humains la joie qui vient d’ « une expérience de com-munion et de fraternité »45, la seule expérience de com-munion et de fraternité qui soit plus forte que tout ce quiisole dans le monde.

Contenu de la nouvelle évangélisation

L’Église qui est continuellement nourrie de la Parole deDieu dans sa liturgie, sait que l’évangélisation est sa « grâce »et sa « vocation propre », « son identité la plus profonde »46.Pour elle qui reçoit et contemple la Parole, le contenu de

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l’évangélisation est clair. Par la prière et la proclamation,et dans la vie de chacun de ses membres, elle doit commu-niquer la beauté et la sainteté – en d’autres termes, l’amour– de Dieu manifesté en Jésus-Christ. « Car Dieu a tellementaimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin quequiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vieéternelle » (Jean 3,16). Jean-Paul II avait fait observer quetout l’Évangile est résumé dans cette phrase qui contientla « magnifique justification du monde et de l’homme »47.

Pour comprendre ce qu’il voulait dire, il nous suffit depenser à la solitude, à l’agitation et au manque de protec-tion de la personne humaine sans Dieu. Jésus-Christ, le Filsde Dieu fait chair, vient nous apporter la Bonne Nouvellede l’amour de Dieu. Ce faisant, il nous montre aussi par savie ce que signifie être pleinement humain. Il nous montrece que nous sommes appelés à être : des personnes qui ont été définitivement aimées et qui peuvent donc aimeravec l’amour infini de Dieu. Jésus révèle Dieu, qui est unecommunion d’amour. Ce faisant, il révèle l’homme, qui estfait pour cet amour.

L’Évangile que Jésus-Christ est venu nous apporter n’estpas une information quelconque sur Dieu, mais Dieu lui-même présent parmi nous. Dieu s’est rendu visible à nosyeux, accessible à nos oreilles et à nos mains. Il s’est mêmesoumis, pour la dépasser, à la terreur de la mort. Cette in-croyable humilité d’un Dieu qui vient pour être avec nous làoù nous sommes le plus seuls, explique pourquoi recevoir outransmettre l’Évangile est toujours avant tout l’expressiond’une foi qui s’émerveille, d’une foi qui adore. Pour BenoîtXVI, l’adoration – qui est au cœur de toute prière – est la

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première réponse fidèle d’amour que l’Église puisse offrir àcette révélation inouïe de l’amour. Notre réponse à Dieu, quiconsiste à écouter, contempler et adorer, est au cœur detoute évangélisation : « Le Ressuscité entre au milieu denous. Et alors, nous ne pouvons que dire avec l’apôtreThomas : Mon Seigneur et mon Dieu ! L’adoration est avanttout un acte de foi – l’acte de foi comme tel. Dieu n’est pasune quelconque hypothèse possible ou impossible sur l’origine de l’univers. Il est là. Et s’il est présent, je m’incline devant lui […] Nous entrons dans cette certitude de l’amourincarné de Dieu pour nous, et nous le faisons en aimant avec lui. C’est cela l’adoration, et cela donne ensuite une empreinte à ma vie »48.

L’amour de Dieu, et la réponse d’amour à laquelle noussommes appelés, donne une empreinte à notre vie. Aprèstout, si le christianisme concerne fondamentalementl’amour, on ne peut pas le communiquer comme s’il s’agis-sait simplement d’une idée intellectuelle. Il faut le vivre,parce que l’amour doit se vivre. Et s’il doit se vivre en nouset pour nous, il faut qu’il devienne de chair et de sang. Dieule sait et c’est pourquoi il s’est fait lui-même chair et sangdans le Fils de Dieu fait homme, Jésus-Christ. Désormais,il n’existe pas d’autre moyen de communiquer sonÉvangile qu’en le laissant prendre aussi chair et sang ennous. Le pape Benoît XVI attire notre attention sur cet aspect central de la nouvelle évangélisation en disant : « Puisque la foi chrétienne est fondée sur le Verbe incarné,Jésus-Christ, la nouvelle évangélisation n’est pas un conceptabstrait mais la reprise d’une vie chrétienne authentiquequi s’appuie sur les enseignements de l’Église »49.

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La Parole de Dieu veut entrer en nous et nous trans-former, faisant de nous l’Église, cette joyeuse communionqui est son Corps et son Épouse. Il veut nous aider à aimerparce que nous sommes faits pour aimer. Il sait que nosvies sont dénuées de sens et que nos cœurs sont sans repostant que nous n’avons pas rencontré l’Amour et que nousne lui avons pas permis d’entrer dans tous les aspects denotre vie. C’est pourquoi, si nous la laissons entrer et si nousnous inclinons en sa présence, la Parole faite chair noustransforme petit à petit, de sorte que notre vie tout entièrecommence à rayonner de la beauté de Dieu qui est Amour.

Si nous prions, si nous faisons l’expérience de la présencedu Christ ressuscité parmi nous et si nous l’adorons avecl’Église, nous commençons alors à comprendre : il nous appelle à aimer avec détermination et pour toujours dansl’amour éternel qu’il porte à l’Église, son Épouse. Cet appelà aimer se dessine le plus nettement dans le don completque nous faisons de nous-mêmes dans le mariage ou, sinous prononçons les conseils évangéliques, en suivant Jésuspauvre, chaste et obéissant dans la virginité consacrée.Mais il détermine aussi tous les aspects du comportementet de la vie du croyant. Les chrétiens sont appelés à aimer,non pas seulement ou d’abord à travers leurs émotions ouleurs paroles, mais entièrement et concrètement, « par desactes et en vérité » (1 Jean 3,18). Ceux qui rencontrentl’Amour sont invités à le laisser transformer tous les aspectsde leur vie. Et parce qu’ils rencontrent cet Amour en Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait chair qui « les a aimés jusqu’aubout » (Jean 13,1), les croyants comprennent alors que labeauté qu’ils ont laissé entrer dans leur vie les emmène

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jusqu’au but de leur vie.Pour le chrétien qui a réellement fait l’expérience de

l’Évangile, la souffrance et la mort ne sont pas les réalitésultimes. La réalité ultime est l’Amour qu’est Dieu, unamour qui est la signification et le but de toute vie humaine. Cet amour contient une telle puissance qu’il estplus fort que le péché et plus fort que la mort. La vie etl’amour divin que le Christ ressuscité communique à toutel’humanité contiennent un mystère de jugement et demiséricorde à la fois, et la promesse de la vie éternelle.

La vie éternelle n’est pas autre chose que notre participa-tion complète et pour toujours à l’Amour que Jésus est venunous apporter, l’Amour dont nous parle le christianisme.C’est notre transformation finale par laquelle nous devenonsles enfants bienaimés du Père, invités à partager la vie deDieu. En même temps, c’est une invitation à partager ce « grand mystère » (Éphésiens 5,32) que nous entrevoyonsdans les Écritures : le « banquet des noces » de l’Agneau avec l’humanité rachetée, ou avec l’Église qui est son Corps et sonÉpouse (cf. Apocalypse 19,9). Cet Agneau, Jésus-Christ, est lavie de Dieu qui nous est ouverte. Par son incarnation, sa mortet sa résurrection d’entre les morts pour nous, pour nousdonner son Esprit et nous conduire au Père, il est la joie dansle monde, et il est le contenu de l’Évangile.

Méthode d’évangélisation

Une « nouvelle évangélisation » est grandement nécessaireà notre époque, où tant de personnes ont terriblement soifd’être aimées et d’aimer pour toujours. Mais la « méthode »

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d’évangélisation, de même que son contenu, n’a pas fonda-mentalement changé. Depuis le jour où le Christ ressuscités’est tenu au milieu de ses apôtres effrayés, qui « dans leurjoie […] n’osaient pas encore y croire » (Luc 24,41), depuis queson Esprit, répandu sur eux sous la forme de « langues qu’onaurait dites de feu » (Actes 2,3), leur donna un nouveaucourage et une nouvelle compréhension du mystère duSeigneur, ou encore depuis que Jean a écrit sa première lettre à certains des premiers chrétiens, la seule méthoded’évangélisation est celle de l’Amour incarné. L’amour doitprendre corps et être communiqué, par les paroles bien sûr,mais avant tout par toute la vie.

L’évangélisation est le témoignage rendu par l’existencetout entière de celui qui proclame. Quand Jean parle duChrist, c’est en témoin qu’il en parle. Il a simplementproclamé ce qu’il avait vu, entendu et touché, celui qui estsa (et notre) porte d’entrée dans la joie. L’admiration etl’amour avec lesquels il a contemplé le « Verbe de vie », « lavie… manifestée » (1 Jean 1,1-2) sont palpables dans la lettrede Jean. C’est comme s’il avait encore sous les yeux l’imagede Jésus sur la croix, nous aimant jusqu’au bout, ou celle deJésus ressuscité montrant ses blessures glorieuses, nousaimant au-delà de tout. C’est cet amour qui poussa Jean àaimer, à aimer Dieu par-dessus tout, la communauté descroyants qu’est l’Église et tout être humain comme unfrère. Il savait ce que tout chrétien après lui doit savoir :nous ne pouvons pas rendre témoignage à la Parole, auVerbe fait chair sans laisser cette Parole prendre chair en nous.

La Parole de Dieu est une Parole totalement engagée

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envers tout être humain qui a jamais vécu et qui vivra ja-mais. C’est l’engagement du Fils de Dieu venu pour mourirafin que nous vivions, non plus notre petite vie limitée etsujette à la mort, mais la vie véritable de Dieu. Dieu s’estouvert à nous par amour. Sa Parole s’est faite chair, « s’abaissant » (Philippiens 2,8) si totalement pour nousdonner l’amour de Dieu qu’il est mort sur une croix. Ainsi,il a posé ce que le cardinal Ratzinger identifiait commeétant la première condition de toute évangélisation : offrirsa propre personne « au Christ pour le salut des hommesest la condition fondamentale d’un […] authentique engagement pour l’Évangile […] évangéliser n’est pasuniquement une façon de parler, mais une façon de vivre »50.

Dieu s’est offert totalement par amour, et l’homme nepeut rendre un témoignage crédible à cet amour que s’ils’offre totalement lui-même. Ainsi, l’évangélisation est uneforme de témoignage qui est toute notre vie, une vie qui ir-radie l’amour. Un témoin, comme toute personne qui aimevéritablement, ne se recherche pas lui-même ; il s’offre lui-même, indiquant par toute son existence ce qu’il a vu.

En outre, parce que le chrétien a été introduit dans une« fraternité », ou communion, où la Parole de Dieu estreçue, méditée et gardée, il ne témoigne pas seul. Danstoutes ses faiblesses et ses difficultés, il est porté dans unecommunion plus grande que lui. Témoigner d’un Autre,d’une beauté qui vous sort de vous-mêmes, signifie,comme nous le rappelle le cardinal Ratzinger, « parler aunom de l’Église »51. L’Église ayant son origine en Dieu et reflétant la vie de Dieu, « la communauté des chrétiensn’est jamais close en elle-même »52. Tout dans l’Église et

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tout ce qu’elle fait – y compris sa vie de prière la plus cachée– « n’a tout son sens que lorsqu’elle devient témoignage »,ou un témoin de l’amour : « C’est ainsi toute l’Église quireçoit mission d’évangéliser, et l’œuvre de chacun est importante pour le tout »53.

Conclusion : Le grain de blé

Bien que tout dans le monde et que toute créativité humaine soit destiné à participer au service de l’amour deDieu, l’évangélisation n’est pas un programme que l’onpeut gérer ou améliorer grâce aux dernières technologies.En réalité, la méthode d’évangélisation est toujours inévitablement la méthode d’un témoignage qui est à lafois le nôtre et celui de toute l’Église. C’est l’engagement detoute une vie dans la fidélité et la patience, attendant quela graine qu’est la Parole de Dieu porte du fruit. L’attentepeut être longue, et parfois difficile, mais il s’agit d’attendredans l’espérance. C’est aussi une attente dans la prière, carc’est seulement en voyant, en entendant et en touchant laParole que nous commençons à comprendre la grandeurdu don que nous avons reçu.

Dans la liturgie de l’Église et dans la contemplation silencieuse, nous apprenons que nous avons été aimés sansmesure et que c’est ainsi que nous avons trouvé la joie. Maiscet amour et cette joie ne sont pas seulement pour nous ;ils sont une force qui nous pousse à sortir et à aller vers nosfrères et sœurs. Selon les mots du pape Benoît XVI, « decette contemplation naît dans toute sa force intérieurel’urgence de la mission, la nécessité impérieuse « de com-

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muniquer ce que nous avons vu et entendu », pour que tous soient en communion avec Dieu (cf. 1 Jean 1,3). La contemplation silencieuse nous immerge dans la source del’amour, qui nous conduit vers notre prochain, pour sentirsa douleur et lui offrir la lumière du Christ, son message devie, son don d’amour total qui sauve »54.

C’est peut-être un paradoxe mais c’est précisément dansles moments de découragement, quand il semble qu’au-cune de nos actions ou de nos paroles n’a porté de fruit, quenous découvrons la véritable « méthode » d’évangélisation :nous ne sommes pas la source qui fait porter du fruit à la Parole. Toutevie et tout le « succès » de l’évangélisation viennent deDieu. Nous sommes simplement ses serviteurs, parce qu’ila besoin de personnes qui aiment. Il a besoin de personnesqui se livrent et qui prient. De telles personnes, comme lesjeunes Karol Wojtyła et Joseph Ratzinger, sont suffisam-ment attentives, dans l’obscurité du monde, pour percevoirla beauté de Dieu. Ce faisant, elles réalisent alors que la Parole de Dieu a sa méthode propre pour porter du fruit.

Au sujet de la nouvelle évangélisation, le cardinalRatzinger affirmait qu’ « évangéliser n’est pas uniquementune façon de parler, mais une façon de vivre. Le Seigneur lui-même […] a formulé cette loi de fécondité dans la paroledu grain de blé qui meurt, tombé en terre »55.

Cette « loi de fécondité » s’accomplit dans toute proclama-tion de l’Évangile : « Si le grain de blé tombé en terre nemeurt pas, il reste seul. Mais s’il meurt, il porte beaucoup defruit » (Jean 12,24).

Le témoin qui voit, entend et touche la Parole – commeJean, Karol, Joseph, et peut-être nous-mêmes – a besoin de

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connaître cette loi de la graine qui meurt afin de pouvoirporter un fruit inattendu et surabondant : « Nous ne pouvonsdonner vie aux autres sans donner notre vie »56. Nous pour-rions aussi décrire cela simplement comme la loi de l’amourde Dieu. Cela peut paraître une étrange méthode et une loidifficile pour la nouvelle évangélisation, mais ce témoignagerendu en livrant notre vie est la seule façon de répondreréellement à l’Amour en aimant. C’est la seule façon de devenir vraiment capable de la joie. Comme l’ont réalisé Jean,Karol et Joseph, c’est le seul chemin pour que le messagechrétien devienne une Parole d’amour vivante et pleine dejoie pour nous-mêmes et pour tous les hommes et lesfemmes de notre temps.

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Sources

1 Marina Corradi, « On Mission in the Depths of the East »,

Avvenire, juillet 2001. D’après la traduction en anglais sur

www.chiesa.espressoonline.it.

2 N.R. Kleinfield, « U.S. Attacked ; Hijacked Jets Destroy Twin Towers

and Hit Pentagon in Day of Terror », New York Times, 12 septembre,

2001. http://www.nytimes.com/2001/09/12/us/us-attacked-hi-

jacked-jets-destroy-twin-towers-and-hit-pentagon-in-day-of-

terror.html?ref=sept112001.

3 Jean-Paul II, Mémoire et identité, Flammarion, 2005, p. 13.

4 Ibid., p. 26.

5 Mieczysław Malinski, cité dans George Weigel, Jean-Paul II.

Témoin de l’espérance, Éd. JC Lattès, 1999, p. 76.

6 Joseph Ratzinger, Ma vie : Souvenirs 1927-1977, Fayard, 1998, p. 38.

7 Ibid., p. 44.

8 Ibid., p. 50.

9 Cf. Mémoire et identité, op. cit., p. 26.

10 Ibid., p. 13.

11 Lettre encyclique Spe salvi, (Sauvés dans l’espérance), 2007.

12 Benoît XVI, Discours lors de la célébration œcuménique à Erfurt,

23 septembre 2011.

13 Cf. Benoît XVI, « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé »,

Message pour le carême 2007 : « Sur la Croix c’est Dieu lui-même

qui mendie l’amour de sa créature : Il a soif de l’amour de chacun

de nous ».

36

14 Lettre encyclique Deus caritas est, (Dieu est amour), 1.

15 Cf. Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale Verbum

Domini (La Parole du Seigneur), 2 : « participer à la vie de Dieu,

Trinité d’Amour, est plénitude de joie (cf. 1 Jean 1,4) ».

16 Benoît XVI, Discours à la Curie romaine pour la présentation des

vœux de Noël, 22 décembre 2011.

17 Ibid.

18 Joseph Ratzinger, Conférence pour le jubilé des catéchistes sur le

thème de la nouvelle évangélisation, 10 décembre 2000.

19 Jean-Paul II, Discours à l’assemblée de la Conférence épiscopale

d’Amérique latine (CELAM), 9 mars 1983.

20 Cf. Jean-Paul II, Lettre apostolique Novo millenio ineunte (Au début

du nouveau millénaire), 5.

21 Paul VI, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi (L’évangélisa-

tion du monde moderne).

22 Il s’agit du psaume responsorial de la messe du Dimanche de

Pâques.

23 Cf. Novo millenio ineunte, op. cit., 30.

24 Ibid., 40.

25 Ibid.

26 Benoît XVI, Homélie de la célébration des vêpres et du Te Deum

d’action de grâce pour la fin de l’année 2011, 31 décembre 2011.

37

Sources (suite)

27 Raniero Cantalamessa, « La deuxième grande vague évangélisatrice

après les invasions barbares ». Homélie de l’Avent au Vatican,

9 décembre 2011. Source : http://www.zenit.org/fr/articles/la-

nouvelle-evangelisation-apres-les-invasions-barbares-par-le-

p-cantalamessa.

28 Benoît XVI, Verbum Domini, op. cit., 2.

29 Benoît XVI, Lettre apostolique Ubicumque et semper (Partout et

toujours).

30 Jean-Paul II, Entrez dans l’espérance, Éd. Plon/Mame, Paris, 1994,

pp. 47-48.

31 La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi

chrétienne : Lineamenta (document préparatoire) pour la XIIIème

assemblée générale ordinaire du synode des évêques, 11.

32 Ibid.

33 Benoît XVI, Ubicumque et semper, op. cit.

34 Jean-Paul II, Novo millenio ineunte, op. cit., 4.

35 Cf. Paul VI, Evangelii nuntiandi, op. cit., 15.

36 Benoît XVI, Homélie de la messe pour la nouvelle évangélisation,

16 octobre 2011.

37 Benoît XVI, Lettre apostolique Porta fidei, (La porte de la foi), 13.

38 Paul VI, Evangelium nuntiandi, op. cit., 27.

39 Benoît XVI, Homélie de la messe pour la nouvelle évangélisation.

40 Ibid.

41 Jean-Paul II, Novo millenio ineunte, op. cit., 29.

38

42 Lineamenta, op. cit., 2.

43 Ubicumque et semper, op. cit.

44 Lineamenta, op. cit., 2.

45 Benoît XVI, Homélie de la messe pour la nouvelle évangélisation.

46 Paul VI, Evangelii nuntiandi, op. cit., 14.

47 Jean-Paul II, Entrez dans l’espérance, op. cit., p. 47.

48 Benoît XVI, Discours aux cardinaux, à la Curie romaine et à la

Famille pontificale pour la présentation des vœux de Noël,

22 décembre 2011.

49 Benoît XVI, Discours aux évêques de Nouvelle-Zélande et du

Pacifique en visite Ad limina, 17 décembre 2011.

50 Joseph Ratzinger, « La nouvelle évangélisation : Construire la

civilisation de l’amour », I. 2.

51 Ibid.

52 Paul VI, Evangelii nuntiandi, op. cit., 15.

53 Ibid. L’Église a proclamé patronne des missions sainte Thérèse de

Lisieux, carmélite cloitrée, morte à l’âge de vingt-quatre ans sans

jamais avoir quitté son monastère. Ce simple fait montre de

manière éloquente ce que l’Église entend par évangélisation.

54 Benoît XVI, « Silence et parole : Chemin d’évangélisation », Message

pour la quarante-sixième Journée mondiale des communications,

20 mai 2012.

55 Joseph Ratzinger, La nouvelle évangélisation : Construire la civilisation de

l’amour, op. cit., I. 2.

56 Ibid.

39

L’auteur

Michelle K. Borras, Ph.D., est directrice du Service d’information

catholique. Elle a un B.A. en littérature anglaise de l’Université

Harvard, une licence canonique en théologie de l’Institut Jean-Paul

II pour les études sur le mariage et la famille à Rome, et un Ph.D.

en théologie de l’Institut, section de Washington, D.C. Sa thèse

porte sur l’interprétation du mystère pascal par Origène. Michelle

K. Borras a enseigné à l’Institut Jean-Paul II de Washington comme

professeur adjoint pendant l’année académique 2010-2011 et a

donné des séminaires en littérature catholique, en interprétation

patristique de l’Écriture et en théologie de Hans Urs von Balthasar

dans le cadre de la formation interne des Sœurs missionnaires de

Saint Charles Borromée, à Rome. Outre de nombreux travaux de

traduction, elle a publié des articles dans le domaine de la littérature

catholique et de la théologie.

Le Service d’information catholique

Depuis sa fondation, l’Ordre des Chevaliers de Colomb est impliqué

dans l’évangélisation. En 1948, les Chevaliers ont lancé le Service

d’information catholique (Catholic Information Service : CIS) pour fournir

des publications catholiques au grand public ainsi qu’aux paroisses,

écoles, maisons de retraite, établissements militaires, prisons, assem-

blées législatives, au corps médical et aux personnes individuelles qui

en font la demande. Depuis plus de 60 ans, le CIS a publié et distribué

des millions de livrets et des milliers de personnes ont suivi sa

formation catéchétique.

« Catholic Information Service » est une marque déposée des Chevaliers de Colomb.

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rÉDaCTrICE EN CHEF :

michelle K. Borras, Ph.D.

Directrice du Service

d’information catholique

ÉDITEurs :

alton Pelowski et

Patrick scalisi

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CONCEPTION

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Les œuvres citées sont la propriété de leurs

auteurs respectifs.

Les citations des Écritures sont issues de

la nouvelle traduction liturgique de la

Bible de l’association épiscopale liturgique

pour les pays francophones (aELF).

Série sur la nouvelle évangélisation

1 qu’est-ce que la nouvelle évangélisation ?

1è r E ParTIE « Car DIEu a TaNT aImÉ LE mONDE »2 « Je crois en toi » : La question de Dieu dans le monde moderne3 Les mystères de la vie de Jésus4 un Dieu qui est trois fois amour5 « Nous sommes venus l’adorer » : Introduction à la prière à l’école

de Benoît XVI

2è m E ParTIE « aPPELÉs à aImEr… »6 appelés à aimer : La théologie de l’amour humain, de Jean-Paul II7 à l’image de l’amour : Le mariage et la famille8 suivre l’amour pauvre, chaste et obéissant : La vie consacrée

3è m E ParTIE … DaNs L’ÉgLIsE, ÉPOusE DE L’agNEau

9 « qu’il me soit fait selon ta parole » : marie, à l’origine de l’Église10 avec le cœur de l’Époux : Le sacerdoce ministériel11 La transfiguration du monde : Les sacrements12 Lumière et silence : un journal intime eucharistique

4è m E ParTIE « aImEr EN aCTE ET EN VÉrITÉ »13 Libres en vue de quoi ?14 La justice : La dignité du travail15 La justice : L’Évangile de la vie

5è m E ParTIE « IL NOus a aImÉs Jusqu’au BOuT »16 La dignité de la personne souffrante17 « regardez ! J’étais mort et me voilà vivant… » : La mort et la vie

éternelle

aNNEXEs : OuTILs POur La NOuVELLE ÉVaNgÉLIsaTION

a La beauté de la sainteté : L’art sacré et la nouvelle évangélisationB La technologie et la nouvelle évangélisation :

Critères de discernement

NIHIL OBsTaT

susan m. Timoney, s.T.D.

Censor Deputatus

ImPrImaTur

Cardinal Donald Wuerl

Archevêque de Washington

archidiocèse de Washington

ImagE DE La COuVErTurE : L’archange Gabriel

L’archange gabriel tient un rouleau représentant la première proclamation

de l’Évangile, l’annonciation à marie. Chapelle de la sainte Famille, Conseil

suprême des Chevaliers de Colomb, New Haven, Connecticut. La mosaïque a

été réalisée par le père marko Ivan rupnik, sJ et les artistes du Centre aletti

en 2005.

3 juillet 2012

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#1 Série sur la nouvelle évangélisation #1 Série sur la nouvelle évangélisation

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Qu’est-ce que la nouvelle évangélisation ?

s E r V I C E D ’ I N F O r m a T I O N C a T H O L I q u E s E r V I C E D ’ I N F O r m a T I O N C a T H O L I q u E

Nous vivons dans un monde de tristesse intérieure. Leshommes et les femmes aspirent à faire l’expérience de la joied’être définitivement aimés et d’aimer définitivement.

L’évangélisation est la communication par la parole et parla vie, par la prière et le silence, par les actes et par lasouffrance, d’un amour qui à la fois embrasse l’homme et ledépasse infiniment. C’est la communication de la joie. Cettejoie est plus grande que l’homme parce qu’elle vient de Dieu.Et c’est justement pour cette raison que c’est la seule joie quipuisse étancher la soif insatiable du cœur humain.

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— Pape Benoît XVI

« Il faut faire redécouvrir la beauté et l’actualité de la foi »