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AVERTISSEMENT Ce texte a été téléchargé depuis le site http://www.leproscenium.com Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France). Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraîne des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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Page 1: QUELLE GALÈRE, CETTE CROISIÈRE ! (2 versions) - Le Proscenium · 2015. 10. 1. · Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 6/83 Acte I Scène 1 (Cyrielle, Germaine, Amélie,

AVERTISSEMENT

Ce texte a été téléchargé depuis le site

http://www.leproscenium.com

Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France).

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe.

Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori.

Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraîne des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation.

Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs.

Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 2/83

Quelle galère, cette croisière ! (2 versions

13 ou 14 acteurs : page 3

16 ou 17 acteurs : page 42)

Comédie policière

de Ann ROCARD

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 3/83

Quelle galère, cette croisière ! (1e version pour 13 ou 14 acteurs)

Comédie policière

de Ann ROCARD

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 4/83

Caractéristiques Durée approximative : 60 mn. Distribution : 14 personnes pour 13 ou 14 acteurs • Germaine de la Roseraie : dame d’un certain âge. • Amélie de la Roseraie : la fille aînée de Germaine. • Fleur de Rocaille : la fille cadette de Germaine. Mariée au peintre Hubert de Rocaille. Un peu écervelée. • Hubert de Rocaille : un peintre dans le vent qui ne vend rien. • Lucienne Aliéba, dite Lulu : grande amie d’enfance de Germaine. Poétesse qui délire. (l’actrice ou l’acteur peut interpréter aussi Gaston Poulaga) • Cyrielle Malicorne : la cuisinière et femme de chambre de Germaine. • Guy Lambertini : le skipper du voilier. • Claire Calvin : la cousine du skipper, très utile dans les manœuvres. • le docteur Dany Mirambo : veuf, bon parti. C’est le médecin de Germaine ; il a inventé une nouvelle technique de soins : l’œuf-hypnose. • Corentin Bouchon : grand voyageur qui vient d’hériter de son grand-oncle richissime. • Miss Vicky Whitehall : une anglaise qui écrit une biographie de Germaine pour un célèbre éditeur londonien. • Nicole Pichou : la sœur de Germaine, qui a perdu la tête. • Alice Lenoir : la filleule de Germaine, adepte provisoire de la méditation. • Gaston Poulaga : naufragé (peut être interprété par l’actrice ou l’acteur qui joue aussi Lucienne). Accessoires : photos sépia des acteurs Corentin et Dany, au besoin pendule dont on peut modifier facilement l’heure, phonographe et disques vinyles, verres, flûtes, bouteilles, assiettes, couverts, plats, serviettes, nappe, table, sièges, vase et fleurs, petits fours, théière, tasses, biscuits, pain, panier..., paire de jumelles, parapluie à ouverture automatique, crayon, carnet, gouvernail (roue), cordes, objet pour le pilotage automatique, collier de perles cassé, lampes-tempête (il suffit de fixer une petite pile à l’intérieur avec une petite ampoule), maquillage vert, laisse, œuf peint, pistolet, 2 paires de menottes, papier collant (pou le fixer sur la bouche de l’acteur, un morceau de sparadrap à chaque extrémité, c’est suffisant), tableau à partir de la photo de Germaine façon cubiste au fond de la mer. Décor : Sur la scène : le carré du bateau (pièce principale où tous se rassemblent, mangent, etc.) Sur le côté, un espace pour représenter le pont du bateau avec gouvernail. Epoque : années 1920 (costumes et coiffures « charleston »).

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Public : tout public. Remarque : pièce dédicacée aux Feux follets d’Arcambal, près de Cahors. Synopsis : Treize personnes se retrouvent sur le voilier de l’ex-actrice de théâtre, Germaine Choupi, qui n’est guère aimée. On lève l’ancre ; danger et tempête ne sont pas loin... L’auteure peut être contactée par courriel : [email protected] - ou par l’intermédiaire de son site : http:/www.annrocard.com/

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 6/83

Acte I Scène 1

(Cyrielle, Germaine, Amélie, Guy)

Musique. On voit par moments Guy Lambertini et Claire Calvin s’activer sur le pont du bateau (visualisé à part).

Cyrielle va et vient, nettoyant, décorant, etc. le carré (pièce commune) du bateau. Germaine la rejoint ; elle regarde régulièrement la pendule et semble s’impatienter.

GERMAINE : Ah, Cyrielle, si je ne vous avais pas, il faudrait vous inventer ! CYRIELLE : C’est sûr, madame ! Je ne veux pas me cirer les bottes que je n’ai pas, mais vous n’en trouverez jamais une autre comme moi. GERMAINE : Vous êtes ir-rem-pla-çable. CYRIELLE : On peut le dire. Vous m’aviez d’ailleurs promis une augmentation de salaire. GERMAINE : Nous en reparlerons à terre, dès notre retour. CYRIELLE : Nous ne sommes pas encore parties. GERMAINE : Ce n’est qu’une question de minutes. Il ne manque plus que ma fille Amélie ; les autres passagers sont déjà dans leurs cabines. Ah, la voilà justement ! Amélie traverse la salle, valise à la main. Guy Lambertini l’accueille sur le pont du bateau. Amélie rejoint Germaine dans le carré ; Cyrielle continue de s’activer.

AMÉLIE : Bonjour, maman. Bonjour, Cyrielle. CYRIELLE : Bonjour, mademoiselle Amélie. AMÉLIE : (pose sa valise et embrasse Germaine) Fleur est déjà là ? GERMAINE : Ta sœur est toujours à l’heure. Toi, tu es en retard, Amélie, comme d’habitude. AMÉLIE : Désolée, j’ai eu un imprévu... et une migraine épouvantable. Je parie que Fleur a amené son Hubert, (moqueuse) le peintre dans le vent qui ne vend que du vent. Tu ne l’aimes pas beaucoup, avoue-le, maman. GERMAINE : (hausse les épaules, agacée) Parlons plutôt de toi. J’ai bien cru que tu ne viendrais pas. C’est pour toi que j’organise cette croisière. AMÉLIE : (excédée) On pourrait parler d’autre chose ? GERMAINE : Non. Il faut que les choses soient claires. Je veux absolument que tu te maries, mais pas avec n’importe qui, sinon je te déshérite. AMÉLIE : Tu me l’as déjà dit cent fois. GERMAINE : Ce sera la cent unième et dernière fois. Si tu ne t’es pas décidée à la fin de cette croisière, je contacte mon notaire. AMÉLIE : Ce n’est pas ma faute si j’ai fait faillite...

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GERMAINE : Si ! Cette boutique était vouée à l’échec. Vouloir vendre des manteaux en poils de chameau en plein été, quelle aberration ! Pourquoi pas des maillots de bain au pôle Nord ? Tu n’as plus un sou et j’en ai assez de subvenir à tes besoins. AMÉLIE : Mon prochain projet est formidable. GERMAINE : Je ne le financerai qu’à une condition... AMÉLIE : J’ai compris. Combien as-tu prévu de prétendants cette fois-ci ? GERMAINE : Deux seulement. (lui montre les deux photographies sépia) Mon nouveau médecin, le docteur Dany Mirambo, veuf, un bon parti. AMÉLIE : (hausse les épaules) Mirambo ? Mirobolant ! GERMAINE : Tu ferais des économies, toi qui as toujours mal quelque part. AMÉLIE : Moi ? Juste une migraine à chaque fois que tu veux me caser. Et l’autre concurrent ? GERMAINE : Un très très bon parti. Corentin Bouchon, un formidable voyageur qui vient d’hériter de son grand-oncle richissime. Je l’ai rencontré à une réception, donnée par le baron de la Rapière. AMÉLIE : Bouchon ? Il est porté sur la bouteille ? GERMAINE : (outrée) Amélie ! AMÉLIE : Bon, je vais ranger mes affaires dans ma cabine. Avec qui m’as-tu casée ? CYRIELLE : Avec moi, mademoiselle Amélie. La deuxième à droite. Ça ira ? AMÉLIE : (sourit à Cyrielle) Très bien. GERMAINE : J’avais pensé à ma filleule Alice. Elle est adorable. Mais elle s’occupe si bien de ma pauvre sœur Nicole... AMÉLIE : Alice ? Il y a longtemps que je ne l’ai pas vue... Bon, à tout à l’heure. (s’en va) GERMAINE : (grommelle) Moi, j’ai réussi en partant de rien. Pourquoi mes filles n’en font-elles pas autant ? Germaine a l’air mécontente. Cyrielle rit sous cape. GERMAINE : Ça vous fait rire, Cyrielle ? CYRIELLE : Pas du tout, mais alors pas du tout. GERMAINE : Je vais me préparer pour l’apéritif. (sort)

Scène 2 (Fleur, Hubert, Cyrielle, Claire, Guy, Nicole)

Idem pour le pont du bateau avec Guy et Claire ; Nicole y passe plusieurs fois, l’air de chercher quelque chose.

Cyrielle prépare l’apéritif. Fleur arrive, un peu fofolle. Son mari Hubert la suit de près. FLEUR : (soupire) Les croisières sur le bateau de maman sont toujours ennuyeuses. J’ai envie de danser, de m’amuser. Pas toi, Hubert ?

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 8/83

HUBERT : (sans enthousiasme) Pas vraiment, chérie. J’ai le mal de mer. (nauséeux) Tu ne sens pas comme ça balance déjà, même à quai ? FLEUR : (danse en se balançant) J’adore ! (en manipulant le phonographe) Si tu dois vomir pendant tout le voyage, pourquoi as-tu accepté de venir ? HUBERT : Ta mère envisage de modifier son testament. FLEUR : (aperçoit Cyrielle, s’immobilise et toussote) Hum... Hum... HUBERT : Hum hum ? Exprime-toi, chérie. FLEUR : Hum hum... HUBERT : Tu as un problème ? CYRIELLE : Oui, monsieur Hubert. (Hubert sursaute en l’apercevant) C’est moi le problème. Méfiez-vous : les murs ont des oreilles. Mais aussi des pieds, donc je sors. Continuez vos messes basses sans moi. HUBERT : Quel culot ! CYRIELLE : (moqueuse) A tout à l’heure, monsieur Hubeeeeeeeert ! (sort) HUBERT : Cette Cyrielle, je n’ai jamais pu la supporter. Pour qui se prend-elle ? As-tu entendu comment elle s’est moquée de moi ? FLEUR : Hubeeeeeeeeert. Elle n’a pas tort, tu es doux comme un mouton. De toute façon, ma mère ne peut pas s’en passer. Cyrielle Malicorne est... FLEUR et HUBERT : (en imitant Germaine) Ir-rem-pla-ça-ble ! FLEUR : (en mettant un disque) Armstrong, j’adore ! Musique. Fleur se met à danser le charleston.

HUBERT : Chérie, ce n’est pas le moment. FLEUR : (en dansant) C’est toujours le moment de danser ! Allez, viens, Hubert ! HUBERT : Pas maintenant, j’ai l’estomac dans les talons. Quand j’ai faim, mon tempérament d’escargot reprend le dessus, tu le sais bien. FLEUR : (en dansant) Et si j’insiste, tu ne vas pas tarder à rentrer dans ta coquille. (rit) Ce que tu peux être gastéropode, mon chou. (s’arrête de danser) Que racontais-tu à propos du testament ? HUBERT : Ta mère manigance quelque chose. FLEUR : Tu as trop d’imagination, mon petit chou. HUBERT : J’ai surpris des bribes de conversation. Si ta sœur Amélie accepte d’épouser le docteur Mortadelle... FLEUR : Mirambo. HUBERT : ... Le docteur Mirambo ou bien je ne sais quel explorateur, c’est elle qui aura les deux tiers de l’héritage sous prétexte qu’elle est l’aînée. FLEUR : Tant mieux pour elle. Amélie n’a pas un sou. HUBERT : Nous non plus. FLEUR : (réfléchit) Tu n’as pas tort.

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HUBERT : J’ai toujours raison, aussi vrai que je m’appelle Hubert de Rocaille. FLEUR : Je ne vois pas le rapport. HUBERT : Moi, non plus, chérie. FLEUR : Et si Amélie envoie promener les deux prétendants ? HUBERT : Ta mère la déshérite. FLEUR : (se remet à danser) Il suffit d’empêcher ce mariage et nous aurons tout. Le navire, les bijoux et le reste. HUBERT : Tu devrais interroger son docteur, mine de rien. Ta mère a une santé de fer. J’ai bien peur qu’elle nous enterre tous. FLEUR : Alors pas de navire, de bijoux et le reste ! (rit) Fleur entraîne Hubert à danser ; il n’est pas très doué.

HUBERT : Ça te fait rire ? FLEUR : (rit) Oui. Pas toi, mon chou ? HUBERT : Non. FLEUR : Au fait, Hubert, que comptes-tu faire pendant cette croisière ? HUBERT : Peindre quelques toiles, mon amour, et les vendre à Corentin Bouchon. FLEUR : Qui ? HUBERT : Le richissime voyageur. Ta mère n’a plus que son nom à la bouche, ma petite Fleur. N’oublie pas que je suis un peintre à la mode. FLEUR : A la mode de Bretagne. A part trois menhirs déstructurés, tu n’as pas vendu grand-chose cette année. HUBERT : (vexé) Merci de me le rappeler, chérie. Entre Claire Calvin.

CLAIRE : Bonjour, madame. Bonjour, monsieur. FLEUR : (dansant toujours) Bonjour. Venez danser ! Vous allez adorer. (Claire refuse d’un geste) Vous devez être une invitée de ma mère ? CLAIRE : Pas du tout. (se présente) Claire Calvin, une cousine de votre skipper, Guy Lambertini. Comme on annonce pas mal de vent, Guy préfère que je lui donne un coup de main. HUBERT : Ciel, du vent ? Je fais mes bagages et je redescends sur la terre ferme. FLEUR : Chic, du vent ! On va être secoués comme des bouchons. (rit comme une écervelée) Des Corentin Bouchon ! Qu’est-ce que je suis drôle... HUBERT : Fleur ! Arrête ! CLAIRE : Nous n’affronterons pas une tempête, juste un petit grain, rassurez-vous. Voulez-vous monter sur le pont car nous n’allons pas tarder à appareiller ? FLEUR : Oh, oui ! Sur le pont, c’est le pompon ! (rit) Tu viens, mon chou ?

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HUBERT : Non, je vais commencer à peindre. L’inspiration est au rendez-vous. (imagine en mimant) J’ai déjà le titre : « Vague à l’âme ». Une femme tombe à la mer et se noie. Son âme nage entre deux eaux. FLEUR : Le tout déstructuré, évidemment ? HUBERT : Evidemment, mon amour. Tous trois sortent.

Scène 3 (Guy, Claire, Fleur, Corentin, Cyrielle, Nicole, Alice)

Musique. Sur le pont du navire : Guy et Claire s’activent. Fleur gesticule, toute contente ; Corentin fait de grands gestes et semble lui expliquer quelque chose (sans doute en rapport avec ses voyages), il lui fait utiliser sa paire de jumelles. Sur scène : Cyrielle finit de préparer l’apéritif. Alice la rejoint, la salue, puis s’installe en position de méditation. GUY : Larguez les amarres ! CLAIRE : Amarres larguées ! GUY : Paré à appareiller ? CLAIRE : Paré ! Musique suite. Nicole passe sur le pont cherchant quelque chose dans tous les coins.

FLEUR : (à Nicole) Tu as un problème, tante Nicole ? NICOLE : Elle a encore disparu. Plus moyen de mettre la main dessus. CORENTIN : Nous pouvons certainement vous aider, mademoiselle Pichou. De quoi s’agit-il ? (Fleur se penche vers lui et lui chuchote quelques mots à l’oreille) Pardon ? Je n’ai pas compris. NICOLE : Fleur, je n’ai pas besoin d’une interprète. FLEUR : C’était juste pour te rendre service, tante Nicole. Je te laisse avec le célèbre explorateur, Corentin Bouchon. Il va adorer tes explications. (s’éloigne, salue les uns et les autres, puis disparaît) NICOLE : Explo ? Exploraté ? Drôle de métier. CORENTIN : Rateur, pas raté, chère mademoiselle. Décrivez-moi ce que vous avez perdu. NICOLE : Elle a beaucoup de valeur. CORENTIN : Je n’en doute pas une seconde. Mais encore ? NICOLE : Elle est parfois dans les nuages. Prêtez-moi donc vos jumelles, monsieur Rateau. CORENTIN : (en lui passant ses jumelles) Bouchon, Corentin Bouchon. NICOLE : Si ça peut vous faire plaisir, monsieur Bouteille. (pointe les jumelles vers les nuages) Non, elle n’est pas là-haut. (lui rend les jumelles) Elle a dû rouler sur le pont.

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CORENTIN : Ah, c’est une balle ou une boule... quoique les boules ne s’égarent pas dans les nuages... NICOLE : Vous me soupçonnez d’avoir perdu la boule ? CORENTIN : Absolument pas. J’ai simplement un peu de mal à vous suivre, mademoiselle Pichou... NICOLE : Me suivre ? Vous êtes donc détective, monsieur Bouteille. Il fallait le dire tout de suite, vous me serez très utile. Corentin et Nicole passent près de Claire et le skipper Guy qui est à la barre. GUY : (discrètement à Corentin) N’insistez pas, c’est peut-être contagieux. CORENTIN : Contagieux ? Depuis le temps que je voyage, je suis immunisé. NICOLE : (regarde par-dessus bord) Elle a dû tomber à la mer... (puis continue à chercher partout) Ohé ! Ohé ! GUY : (discrètement) C’est de l’histoire ancienne. (en la montrant) La pauvre Nicole Pichou devait se marier avec Léon de la Roseraie, mais Germaine réussit à lui mettre le grappin dessus. Du coup, Nicole ne s’en est jamais remise. CLAIRE : Germaine, la propriétaire de ce yacht ? GUY : Oui, ma patronne. Germaine Choupi, la grande actrice de théâtre. CLAIRE : Choupi, c’est Pichou à l’envers ? GUY : Exactement. Germaine Choupi de son nom de scène est la sœur de Nicole Pichou. CLAIRE : Germaine ne joue plus depuis une dizaine d’années, n’est-ce pas ? CORENTIN : Tout à fait, tout à fait. Elle ne voulait pas que le public voie son idole vieillir. Mais quel est le rapport avec l’objet que nous recherchons ? GUY : Depuis cette époque, Nicole a perdu la tête et passe son temps à la chercher. CORENTIN : Pauvre femme. CLAIRE : Elle n’en veut pas à sa sœur de lui avoir gâché la vie ? GUY : Je l’ignore. Claire, au fait, as-tu vérifié la drisse de grand-voile ? CLAIRE : J’y vais. (s’éloigne) CORENTIN : (se dirige vers Nicole) Chère mademoiselle... NICOLE : Ça y est, monsieur Bouteille... CORENTIN : Bouchon, Corentin Bouchon. NICOLE : Si ça peut vous faire plaisir, monsieur Bouché. Ça y est, je l’ai retrouvée. (touche sa tête) Elle avait fait un tête-à-queue sur le pont d’Avignon. Je viens de la revisser. (elle part) CORENTIN : (en hochant la tête) Je n’aurais jamais imaginé cela de la part de Germaine de la Roseraie... L’habit ne fait pas le moine. Même les robes de haute couture... Mais ce n’est pas mon problème. J’ai autre chose à faire... (s’en va)

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 12/83

Scène 4 (Cyrielle, Alice, Lucienne, Dany Mirambo, Guy, Claire)

Sur le pont : Guy et Claire se relaient pour barrer. Puis Claire va s’en aller à un moment.

Sur scène : Cyrielle continue d’aller et venir. Alice fait de la méditation. LUCIENNE : (déclame en arrivant) Ma mère est sur la mer et mon père est amer. Qui a commis l’impair ? C’était un jour impair. J’étais imperturbable... (s’interrompt en voyant Cyrielle) Cyrielle ! Je suis heureuse de vous revoir. Comment allez-vous ? CYRIELLE : Bonjour, madame Lulu... pardon, madame Aliéba. LUCIENNE : Ah, non ! Depuis le temps que nous nous connaissons. CYRIELLE : Vous savez bien que madame Germaine ne supporte pas les familiarités. LUCIENNE : Tant pis pour elle ! Ce n’est pas parce qu’elle est ma meilleure amie qu’elle doit faire la pluie et le beau temps. CYRIELLE : Le beau temps ? Hum... Avec elle, c’est souvent l’orage ! LUCIENNE : Cela doit vous peser, ma pauvre Cyrielle. CYRIELLE : Je brandis mon parapluie. LUCIENNE : Invisible ? CYRIELLE : Ça dépend des jours. Parfois, j’emploie les grands moyens. (sort son parapluie à ouverture automatique et fait sursauter Lucienne) Très efficace, madame Lulu, je vous le recommande. LUCIENNE : Mais c’est terriblement dangereux, Cyrielle. Vous savez bien que Germaine est cardiaque. CYRIELLE : Première nouvelle ! Elle a le cœur dur comme la pierre. LUCIENNE : Interrogez donc son docteur. CYRIELLE : Le docteur Mirambo ? Vous n’y pensez pas, madame Lulu. DANY : (en arrivant) Docteur Dany Mirambo, présent ! Vous parliez de moi ? CYRIELLE : Non, non... LUCIENNE : Oui, oui ! Je disais que Germaine est cardiaque. N’est-ce pas, docteur ? DANY : Secret médical. (fait le baisemain à Lucienne) Enchanté de vous rencontrer, madame. LUCIENNE : Lucienne Aliéba. Mon nom ne vous dit rien ? DANY : Non, désolé. ALICE : (sans bouger, toujours dans la même position) La grande poétesse. LUCIENNE : (sursaute) Ah, un zombi ! CYRIELLE : C’est Alice Lenoir, la filleule de madame Germaine. LUCIENNE : Je ne vous avais pas reconnue. Bonjour, Alice.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 13/83

ALICE : (idem) Bonjour. CYRIELLE : Elle a passé un an dans un coin perdu avec Eve et le reste. ALICE : (idem) Non loin du mont Everest, dans l’Himalaya... Qui atteindra un jour ce sommet, le plus élevé du monde ? DANY : Sûrement pas moi. (en la saluant) Enchanté, mademoiselle. (se présente) Docteur Mirambo, inventeur de l’œuf-hypnose. LUCIENNE : Ah, vous aimez faire la cuisine, docteur ? Moi aussi ! (déclame) L’œuf était sur le plat et riait aux éclats... CYRIELLE : L’œuf-hypnose ? Ça doit être lourd à digérer. ALICE : (idem) Hypnose ? Ça m’intéresse. DANY : Je vous œuf-hypnotiserai quand vous le souhaiterez, mademoiselle. ALICE : (idem) Alice. DANY : Mademoiselle Alice. LUCIENNE : (déclame) Alice, délices, ambassadrice, quel artifice ! (s’arrête) Moi aussi, docteur, j’aimerais être œuf-hypnotisée si ça ne fait pas trop grossir. DANY : J’organiserai une séance générale. CYRIELLE : (grogne en sortant avec un plateau) Pas question que ma cuisine soit envahie. C’est mon domaine. Ils n’ont pas intérêt à me prendre des œufs. Qui vole un œuf, vole un bœuf ! Y a pas de bœuf sur ce voilier... DANY : (regarde sa montre) Oh, je dois rejoindre notre hôte dans sa cabine pour... (s’interrompt) Secret médical ! (sort)

Alice se lève lentement. LUCIENNE : (en aparté) Germaine a toujours eu un problème de cœur. Il n’y a pas besoin d’être docteur pour le savoir. Sinon elle n’aurait pas volé l’amoureux de sa sœur. (déclame en sortant) Amour, toujours ! Amour sans détour ! Amour des sous et des bijoux ! Amour, amour, tu nous rends fous... (s’arrête et réfléchit) Bijoux ? Germaine ne s’en sépare jamais. Je me demande bien où elle a caché ses perles et son or. Il y en a pour une petite fortune. (sort)

Scène 5 (Alice, Cyrielle, Vicky, Nicole, Guy, Amélie)

Musique. Sur le pont : Guy à la barre. Amélie le rejoint et lui parle (tous deux se trouvent dos aux spectateurs pour qu’on ne voie pas leurs visages), ils gesticulent par moments comme s’ils se disputaient ; puis Amélie s’en va. Sur la scène : Alice fait de lents mouvements (style taïchi). Cyrielle passe par moments prendre ou déposer quelque chose. ALICE : Quelle galère, cette croisière ! Ce sera vite passé. Heureusement que je partage ma cabine avec Nicole, ffff... Il a fallu que j’insiste pour ne pas être avec Amélie. Evidemment, ma marraine est la seule à avoir sa cabine individuelle. Toujours aussi égoïste.... Elle ne s’arrange pas en vieillissant.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 14/83

Alice quitte la scène en faisant des mouvements de taïchi, puis réapparaît sur le pont.

Sur le pont. Arrive Nicole. Guy les regarde et les écoute, mi-figue mi-raisin.

NICOLE : Où est-elle encore passée ? Je vais finir par m’en débarrasser définitivement. ALICE : Un problème, tante Nicole ? NICOLE : Ça se voit, non ? Je n’ai plus les yeux en face des trous. ALICE : Votre tête vous joue des tours ? NICOLE : C’est une vraie tête à claques. ALICE : J’ai la solution. (fait semblant de lui donner deux claques) NICOLE : Aïe ! (se touche les joues) Ah, elle est revenue, comme par magie. ALICE : Grâce à moi, tante Nicole. NICOLE : Merci, ma petite Malice. ALICE : Alice. Vous êtes une femme de tête, tante Nicole. Arrêtez de vous laisser mener par le bout du nez. Pour éviter que votre tête se carapate, vous devriez la mettre en laisse. NICOLE : En laisse ? Bonne idée ! (sort)

Vicky la croise sur le pas de la porte et lui sourit, puis elle écoute discrètement Alice. ALICE : Je parie qu’elle va se mettre la corde au cou par provocation. Moi, à sa place, c’est au cou de Germaine que j’aurais passé une corde. Je l’aurais étranglée sans regret. (mime au ralenti en faisant des mouvements de taïchi avec ses jambes) Oui, c’est ce que je ferais si ma sœur me piquait mon fiancé... Heureusement que je n’ai ni sœur ni fiancé. VICKY : (parle avec un fort accent anglais) Comme c’est intéressant ! Bonjour, mademoiselle. ALICE : Bonjour, madame. Je réfléchissais à voix haute... VICKY : (lui tend la main) Miss Vicky Whitehall. How do you do ? ALICE : Alice Lenoir, la filleule de Germaine. VICKY : Vous ne la portez guère dans votre cœur. ALICE : Qui ? Germaine ? Elle est invivable. Rares sont ceux qui l’aiment vraiment... sauf son amie Lucienne. VICKY : Comme c’est intéressant. ALICE : Pourquoi ? VICKY : J’écris une biographie de l’ex-grande actrice, Germaine Choupi, pour un éditeur londonien, passionné de théâtre. ALICE : Je veux rester en bons termes avec ma marraine. Vous n’avez pas intérêt à écrire ce que je viens de dire. VICKY : Au contraire, Alice, je recherche des témoignages comme le vôtre et je m’en servirai dans mon livre. N’ayez crainte, je ne citerai pas votre vrai nom.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 15/83

ALICE : Vous le regretteriez ! VICKY : Je vais essayer de mieux comprendre la personnalité de Germaine. Vue de l’extérieur, elle semble charmante, adorable, extraordinaire... ALICE : Grattez un peu le masque de théâtre... Vous allez vite déchanter. Mais j’en ai déjà trop dit. VICKY : Comme c’est intéressant. On se croirait en plein roman policier. Une dame d’un certain âge reçoit des amis et de la famille sur son yacht. Elle est tellement détestable que chacun rêve de s’en débarrasser... Et soudain, boum, elle s’écroule morte. Qui est l’assassin ? ALICE : Oh, là, miss Whitehall ! VICKY : Vicky, c’est plus intime. ALICE : Vous êtes biographe ou romancière ? VICKY : Biographe, mais j’ai une imagination débordante. ALICE : Ce n’est pas une raison pour expédier ma marraine dans l’autre monde. VICKY : C’était une plaisanterie. Au fait, quand est prévu l’apéritif ? ALICE : Dans dix minutes. Je vais prendre l’air. A tout à l’heure. VICKY : O.K. Alice sort. Vicky sort un carnet et un crayon, et prend des notes, l’air ravie.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 16/83

Acte II Scène 1

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Vicky, Cyrielle, Germaine, Dany, Lucienne)

Musique. Comme pour l’acte I : on peut voir à la fois ce qu’il se passe sur le pont côté gouvernail et le carré du bateau (salle commune, sur scène).

Sur le pont : Alice fait quelques mouvements de taïchi ; Guy à la barre, Amélie vient lui parler (puis rejoindra le carré avec Corentin) ; Claire et Nicole également.

Pendant la scène 1, dans le carré : Cyrielle revient et dépose des petits fours sur le buffet. Peu à peu, les passagers arrivent ; Cyrielle leur offre un verre.

Ordre d’arrivée des passagers dans le carré pendant la scène 1 : Vicky (déjà présente), Cyrielle, Germaine qui régente tout, Dany, Amélie, Lucienne, Corentin, Claire, Nicole.

Sur le pont : Alice fait quelques mouvements de taïchi sans prêter attention à ce qui l’entoure. Guy est à la barre ; Amélie le rejoint et parle discrètement. AMÉLIE : Guy, as-tu réfléchi à ce que je t’ai dit tout à l’heure ? GUY : Je t’ai déjà répondu, Amélie. (élève la voix, ce qui fait réagir Alice) Nous nous sommes mis d’accord hier. On ne va pas en reparler. AMÉLIE : Moins fort. On n’est pas seuls. GUY : Tu ferais mieux d’aller dans le carré. C’est l’heure de l’apéritif. AMÉLIE : Je m’en moque. GUY : Tu as tort, ce serait le moment idéal. Pas d’entourloupe, je veux que les choses soient claires. AMÉLIE : Au fait, j’ai croisé l’un de mes deux prétendants : le docteur Mirambo, plutôt mignon. (Guy fronce les sourcils) Quant à l’explorateur, je ne sais pas à quoi il ressemble. GUY : A un type sûr de lui. Il paraît que son grand-oncle, un riche producteur de céréales, lui a légué une fortune. On n’est pas tous égaux... Moi, mon oncle cultive son jardin et n’a pas un radis. AMÉLIE : (avec une grimace) Très drôle. GUY : Tiens, le voilà Corentin Bouchon, ton grand voyageur. Arrive Corentin Bouchon qui s’approche d’Amélie.

CORENTIN : Ah, bonjour, mademoiselle ! Vous êtes certainement Amélie de la Roseraie. Encore plus belle que sur les portraits que j’ai pu admirer ! GUY : (discrètement, à Amélie) Côté baratin, il est fort, très fort... AMÉLIE : (à Guy) Chut. (à Corentin) Vous êtes trop aimable, monsieur.

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CORENTIN : Appelez-moi Corentin. GUY : (idem) Ben, voyons. AMÉLIE : (à Guy) Chut. CORENTIN : (joue les charmeurs) Votre père était un voleur... AMÉLIE : (interloquée) Pardon ? CORENTIN : Il a pris toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans vos yeux. (Amélie rit)

GUY : (idem) Très très fort... AMÉLIE : (à Guy) Chut ! CORENTIN : Que dites-vous, belle Amélie ? AMÉLIE : Flûte... CORENTIN : Flûte ? Quelle idée pétillante, poétique et rafraîchissante ! GUY : (idem) De plus en plus fort... (Amélie le fait taire en lui jetant un regard noir)

CORENTIN : Allons de ce pas boire une flûte de champagne. Les étoiles de vos yeux se reflèteront dans les bulles. GUY : (idem) Vraiment trop fort. Je sens que je vais craquer. Corentin se retourne. Amélie en profite pour faire comprendre en silence à Guy qu’il exagère, puis elle accompagne Corentin. Tous deux disparaissent et réapparaîtront ensuite dans le carré.

Guy a l’air mécontent. ALICE : (s’approche de Guy et lui montre par gestes comment être zen) Ce bonhomme est horripilant, je vous l’accorde. Faites appel à la méditation ! Zen... Monsieur Lambertini, zen... GUY : Zen ? (essaie) Ça me donne envie de rejoindre les flûtistes (mime les buveurs de champagne). Vous m’accompagnez ? ALICE : Volontiers. Mais qui dirigera le bateau ? GUY : Le pilote automatique. (installe le pilote automatique tout en donnant des explications) C’est un nouveau système que j’ai amélioré. De toute façon, je ne vais pas m’absenter longtemps. Nicole traverse le pont en cherchant sa tête. NICOLE : Ohé, ohé ! J’aurais dû la mettre en laisse. Ohé ! Où te caches-tu encore ? CLAIRE : (arrivant) Mademoiselle Pichou, votre sœur vous demande de rejoindre tous les invités dans le carré. NICOLE : Pas sans ma tête ! Ohé ! (Alice fait semblant de lui donner des claques) Aïe ! (se tâte les joues) Elle est revenue. (à Claire) Je vous suis. GUY : (à Claire) Nous aussi. Claire emmène Nicole. Guy et Alice les suivent de près. Tous les quatre vont réapparaître sur la scène dans le carré au début de la scène suivante, après Fleur et Hubert.

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Scène 2

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Vicky, Cyrielle, Germaine, Dany, Lucienne, Fleur, Hubert)

Fleur et Hubert arrivent dans le carré (avant Guy, Alice, Nicole et Claire — les autres s’y trouvent déjà). Cyrielle leur propose du champagne.

HUBERT : (prend une flûte) Merci. FLEUR : (prend une flûte qu’elle vide rapidement) C’est lugubre, ici ! (pose la flûte et va mettre un disque vinyle) Armstrong, j’adore ! Fleur se met à danser le charleston. Hubert est un peu gêné. Germaine a l’air mécontente, les autres sont surpris et Cyrielle se réjouit. FLEUR : Allez ! Venez danser ! GERMAINE : Fleur ! On ne s’entend plus. Ta soi-disant musique nous casse les oreilles ! FLEUR : A Paris, ça fait fureur, maman ! Allez ! Venez ! HUBERT : Fleur chérie, tu danseras plus tard. FLEUR : Mon chou, il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même. Germaine grimace. Fleur prend la flûte d’Hubert qu’elle pose sur le buffet, puis entraîne son mari (qui danse toujours aussi mal).

AMÉLIE : Fleur a raison ! N’est-ce pas, Corentin ? CORENTIN : Tout à fait, tout à fait, belle Amélie ! J’ai remporté la flûte du meilleur danseur de Charleston l’an passé. AMÉLIE : La flûte ? CORENTIN : C’est de l’humour ! J’ai beaucoup d’humour et d’amour... J’ai bien sûr remporté la coupe du meilleur danseur. AMÉLIE : (moqueuse, en aparté) Fort, très fort... CORENTIN : Que dites-vous, chère Amélie ? AMÉLIE : Que vous êtes très fort. Vous avez suivi des cours ? CORENTIN : (content de lui) Pas du tout, c’est inné. Amélie et Corentin dansent également. Dany Mirambo les rejoint. DANY : (en aparté) Ce Corentin Bouchon est épouvantable. Pas question de le laisser seul avec Amélie de la Roseraie. Je ne veux pas être le prétendant éconduit. LUCIENNE : (déclame) Et moi, et moi, et moi ? Je suis un petit rat, un rat de l’Opéra. Et moi ? Attendez-moi ! (rejoint les danseurs) VICKY : (à Germaine) Cette drôle de femme parle toujours de cette façon-là ?

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GERMAINE : Hélas, oui. C’est mon amie d’enfance, Lucienne Aliéba, qui se prend pour une grande poétesse. Un jour, les mots lui resteront en travers de la gorge et elle mourra étouffée. Entre nous, c’est ce que je souhaite... Elle commence à m’épuiser. VICKY : Comme c’est intéressant ! (griffonne quelques mots sur son carnet - en aparté :) Nous sommes treize sur ce navire... nombre fatidique ! J’attends la suite avec impatience. Arrivent Guy, Alice, Nicole et Claire. Cyrielle leur propose du champagne. Tous les quatre prennent une flûte et remercient Cyrielle. ALICE : C’est la fête ici ! CYRIELLE : Ça vous change de l’Himalaya, mademoiselle Alice ! ALICE : Une fois de temps en temps, je ne dis pas non. Vous aussi, Cyrielle, vous aimez danser ? CYRIELLE : En cachette, quand madame Germaine ne s’en aperçoit pas. ALICE : Vous avez bien raison. (à Guy, Nicole et Claire) Et vous ? GUY : Je déteste me trémousser. CLAIRE : Moi aussi. ALICE : Et vous, tante Nicole ? NICOLE : Sans tête, je ne verrais pas où je mets les pieds. ALICE : (fait semblant de lui donner deux claques) C’est mieux comme ça ? NICOLE : Aïe ! (tâte ses joues) Parfait. Merci, ma petite Malice. ALICE : Alice. Alice pose sa flûte et celle de Nicole, puis toutes les deux rejoignent les danseurs.

Scène 3 (Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Vicky, Cyrielle, Germaine, Dany, Lucienne, Fleur, Hubert)

Certains dansent, d’autres se déplacent. Cyrielle propose champagne et petits fours ; par moments, elle se met sur le côté et danse discrètement en vérifiant que Germaine ne la voie pas (par exemple, derrière le dos de Germaine). Nombreux déplacements ; le public ne doit pas voir exactement ce qui peut se passer. Tous peuvent à un moment mettre quelque chose dans les flûtes (en passant de dos à l’endroit où elles sont posées).

GERMAINE : Dans cinq minutes, je vais jeter le phonographe par-dessus bord ! GUY : Ce serait dommage, vous venez de l’acheter. GERMAINE : Je suis allergique à cette hystérie générale. CLAIRE : Je vous comprends. GERMAINE : (écarquille les yeux) Mon médecin s’y met aussi, il me déçoit terriblement. (aperçoit Cyrielle qui danse dans un coin) Et Cyrielle ! C’est un comble !

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Elle peut toujours courir pour obtenir une augmentation. Je vais même la lester avec le phonographe et l’offrir aux requins. (se tourne vers Vicky) Et vous, Vicky ? VICKY : Je préfère m’abstenir. Je n’ai aucune envie de finir ma vie dans l’estomac de ces bêtes aux dents pointues. Tout essoufflée, Lucienne s’arrête de danser et rejoint Germaine.

GERMAINE : Lulu, tu es ridicule, ce n’est plus de ton âge. LUCIENNE : (déclame) Mais il n’y a pas d’âge pour danser sans mirage ! Et ça me met en rage d’écouter tes verbiages ! GERMAINE : Mes verbiages ? Tu m’insultes ? LUCIENNE : (déclame) Tu n’es pas à la page. Va faire tes bagages. Tu... Tu... Tu... (tousse et s’étouffe)

GERMAINE : (se tourne vers Vicky) Les mots lui restent en travers de la gorge, je l’avais prédit. GUY : (tapote le dos de Lucienne) Voulez-vous un verre d’eau ? LUCIENNE : (montre sa flûte) Ma... Ma... CLAIRE : (saisit la flûte) Vous voulez un peu de champagne ? Lucienne fait signe que oui. Guy la fait asseoir. Claire lui donne sa flûte dont Lucienne finit le contenu. VICKY : Voilà, elle ne tousse plus. Lucienne s’affale sur la chaise en lâchant la flûte. GERMAINE : Les mots lui ont cloué le bec. Elle dort maintenant. Au moins, elle ne parlera plus. VICKY : (en notant sur son carnet) Scène digne d’un roman policier... My God ! Comme c’est intéressant... Guy et Claire se penchent vers Lucienne, l’air inquiet.

GUY : Mais... CLAIRE : Elle ne respire plus. Guy, fais-lui du bouche-à-bouche ! GUY : Sans façon. (à Vicky) Après vous, miss Whitehall. VICKY : Vous n’y pensez pas ! Je n’aime pas les microbes. Claire fait semblant de faire du bouche-à-bouche à Lucienne. Pendant le reste de cette scène et la scène suivante, Germaine a l’air exaspérée.

GERMAINE : Ah, cette Lulu ! Il faut toujours qu’elle se fasse remarquer. Je ne l’inviterai plus à bord de mon yacht. GUY : (appelle) Docteur Mirambo ! DANY : (tout en dansant) Oui ? GUY : Urgence ! DANY : Ça ne peut pas attendre trois minutes ? GUY : Je ne crois pas.

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Scène 4 (Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Vicky, Cyrielle, Germaine, Dany, Lucienne, Fleur, Hubert)

Dany Mirambo rejoint Lucienne et l’examine. Son visage se fige. DANY : Madame Aliéba n’a plus besoin de mes services. VICKY : Sorry ? She’s dead ? DANY : Oui, elle est décédée. GUY et CLAIRE : Morte ? (Dany approuve de la tête) GERMAINE : Qu’est-ce qu’elle ne ferait pas pour attirer l’attention sur elle. DANY : (à Claire) Pourriez-vous arrêter le phonographe ? Claire approuve d’un signe et va arrêter la musique. Du coup, tous les danseurs s’immobilisent. FLEUR : (proteste) Ah, non ! Pour une fois qu’on s’amuse ! (à Claire) Qu’est-ce qui vous prend ? (Claire lui montre Lucienne) Lucienne nous joue sa grande scène d’adieu ? L’ex-actrice, c’est maman, pas elle. CYRIELLE : (va ramasser la flûte de Lucienne) Encore une chance qu’elle n’ait pas cassé la flûte en cristal ! (elle se redresse et fixe Lucienne en poussant un hurlement) Aaaaaaaaaaaaaaah ! ALICE : Qu’y a-t-il ? CYRIELLE : Madame Luluuuuuuuuuuuuu ! (s’évanouit) ALICE : Eh bien ? GERMAINE : Finie la poésie. Passons à autre chose. DANY : Madame Aliéba nous a quittés. NICOLE : Quittés ? Acquittés ? Expliquez-moi ce qu’il se passe ! On ne me dit jamais rien. (la montre) Elle est là. AMÉLIE : Tante Nicole, il vaut mieux que tu ailles dans ta cabine voir si ta tête s’y trouve. NICOLE : Ne dis pas n’importe quoi, Amélie ! Pour une fois que ma tête se trouve sur mes épaules. GERMAINE : Enfin une bonne nouvelle. AMÉLIE : Alors, allons voir là-bas si j’y suis. NICOLE : Ça c’est une bonne raison. Amélie entraîne Nicole ; toutes deux sortent.

DANY : (à Guy, Hubert et Corentin) Pourriez-vous m’aider à transporter madame Aliéba dans la cale ? CORENTIN : Tout à fait, tout à fait.

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HUBERT : Bien sûr. Heu, si elle n’est pas trop lourde. (se tient le dos) Ah, mon lumbago me reprend... GUY : Je vais plutôt aller faire les manœuvres nécessaires pour rentrer au port. Un grain se prépare. (en aparté) Plus gros que je ne le pensais. J’espère qu’il n’y aura pas trop de dégâts. GERMAINE : La croisière est à l’eau. Merci, Lulu. Tu n’en rates pas une. Dany et Corentin emportent Lucienne dans les coulisses. Hubert ne les aide pas vraiment.

Scène 5 (Guy, Claire, Alice, Vicky, Cyrielle, Germaine, Fleur, Hubert)

Guy fait signe à Claire de venir l’aider ; tous deux sortent (puis vont réapparaître sur le pont et s’occuper des manœuvres ; Guy détache aussitôt le pilote automatique).

FLEUR : (déçue) La fête est finie ? ALICE : Ça me semble évident, Fleur. FLEUR : (agacée) Oh, toi et tes remarques ! HUBERT : Fleur chérie, Alice a raison. La situation est dramatique, même si Lucienne Aliéba n’est pas irremplaçable. Allons dans notre cabine. (il entraîne Fleur ; tous deux sortent)

ALICE : (s’approche de Cyrielle) Cyrielle ! M’entendez-vous ? VICKY : She’s dead ? Elle aussi ? Jamais deux sans trois. Qui sera la prochaine cible ? Comme c’est intéressant... (prend des notes) ALICE : Non, miss Whitehall. Simplement évanouie. (fait semblant de lui donner deux claques, Cyrielle entrouvre les yeux - à Vicky :) Décidément, cette méthode marche à tous les coups. Je devrais la faire breveter. CYRIELLE : J’ai fait un cauchemar... Je vais vous le raconter... ALICE : Ce n’est pas nécessaire. Je vais vous aider à ranger le buffet et à préparer le dîner. CYRIELLE : Vous êtes bien gentille, mademoiselle Alice. Je suis encore sous le choc. VICKY : C’est presque ce que j’ai imaginé tout à l’heure, sauf que je me suis trompée de victime. ALICE : Que racontez-vous ? La pauvre Lucienne a eu une crise cardiaque. VICKY : J’en doute. GERMAINE : Cessez vos élucubrations, miss Whitehall ! Vous êtes ici pour écrire ma biographie, pas pour jouer les apprentis détectives. VICKY : Regardez par terre, là où est tombée la flûte. Drôle de réaction chimique... Ce n’est pas le champagne qui a pu faire ça. Cyrielle se précipite pour vérifier. CYRIELLE : Aaaaaaaaaaah ! C’est épouvantable. Prévenons la poliiiiiiiiiiiiiiiiiiice !

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ALICE : Nous sommes déjà loin des côtes. VICKY : (à Germaine) Je crois que votre amie d’enfance a été empoisonnée. GERMAINE : Je parie qu’elle l’a fait exprès. ALICE : Enfin, marraine ! Ne dis pas une chose pareille. VICKY : (feuillette son carnet) J’ai noté quelque chose d’important tout à l’heure... Hum... C’est là... (lit) « Un jour, les mots lui resteront en travers de la gorge et elle mourra étouffée. Entre nous, c’est ce que je souhaite. Elle commence à m’épuiser. » ALICE : Qui a ... ? (Vicky montre Germaine) GERMAINE : Vous avez dû rêver, miss Whitehall. VICKY : Jamais en écrivant, c’est contraire à mes principes. CYRIELLE : (horrifiée) Madame Germaine, vous n’avez quand même pas empoisonné votre amie d’enfance ? GERMAINE : Quelle question ! Son destin s’en est chargé, car elle était empoisonnante. VICKY : Je crains que la police ait besoin d’une réponse plus convaincante. GERMAINE : Vous m’agacez avec vos soupçons d’écrivain de deuxième zone. J’abandonne le projet (tourne le dos à Vicky qui jette à Germaine un regard mauvais) Adieu, Lulu ! On trouvera une poétesse qui aura plus de talent que toi. Ce départ en fanfare m’a fatiguée, je vais me reposer dans ma cabine. (sort)

ALICE : à Vicky) Que c’est triste. Ma marraine est peut-être aussi folle que sa sœur. Vivement qu’on se retrouve sur la terre ferme et qu’on quitte cette galère. (regarde par un hublot) Il y a de sacrées vagues. Le retour risque d’être mouvementé. VICKY : Il n’y en a qu’une que la tempête laissera froide : notre regrettée poétesse. (prend des notes) La police n’aura plus qu’à analyser le contenu de son estomac à l’arrivée... si arrivée il y a. Lucienne Aliéba préférerait sûrement déclamer ses vers au fond de la mer pour initier les poisons... Hi hi, les poissons. Comme c’est intéressant. (puis sort)

Musique. Alice et Cyrielle rangent le carré, puis sortent. Noir.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 24/83

Acte III Scène 1

(Guy, Amélie, Claire, Nicole, Germaine, Fleur, Hubert)

Bruitages : tempête. Sur le pont, Guy et Claire se démènent. Dans le carré :

• On voit passer plusieurs fois Nicole qui cherche sa tête et a bien du mal à tenir debout ; à chaque fois, Amélie vient la récupérer et l’entraîne dans les coulisses.

• Fleur passe également dès que Nicole et Amélie disparaissent ; elle a le pied marin, essaie de danser le charleston en chantonnant, a l’air ravie de l’état de la mer. Elle regarde par le hublot et dit à chaque fois : FLEUR : Quelle tempête ! J’adore ! (puis repart en essayant de danser, mais elle perd l’équilibre). La dernière fois, Fleur entraîne Hubert qui titube (le visage maquillé en vert) et tous deux traversent le carré. FLEUR : Quelle tempête ! J’adore ! Pas toi, Hubert ? HUBERT : Non, chérie. Je suis malade, complètement malade... FLEUR : Pour lutter contre le mal de mer, il faut danser... HUBERT : Pitié, chérie... Pas danser... FLEUR : Ou marcher droit devant soi... (fait des zigzags à cause des vagues) Tu comprends, Hubert ? HUBERT : (zigzague) Oui, chérie... Droit devant... FLEUR : Comme sur le plancher des vaches (zigzague) Tu comprends, Hubert ? HUBERT : Je donnerais tous mes tableaux pour meugler avec une vache... Même mon préféré, mon Taureau déstructuré... Meuh... FLEUR : Tu m’écoutes, mon chou ? HUBERT : Oui, chérie... Je ne veux qu’une chose : me mettre au vert... FLEUR : Ah, tu as soif ! Je te sers du blanc ou du rouge ? HUBERT : Non... me retrouver à la campagne, me mettre au vert... FLEUR : (montre le visage d’Hubert en riant) Tu l’es déjà ! (Hubert réagit) Pardon, mon chou, je n’ai rien dit, je l’ai juste pensé à voix haute. (l’entraîne en zigzaguant) Droit devant ! Tu comprends, Hubert ? HUBERT : Oui... Fleur et Hubert sortent au moment où arrive Germaine.

GERMAINE : Alors, mon gendre, en forme ? HUBERT : (zigzaguant, hébété) Oui... (met la main sur la bouche et court vers les coulisses) Non... (disparaît)

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 25/83

GERMAINE : Fleur, ton mari devrait renoncer aux laitues déstructurées. Ça déteint sur son visage. Il va finir par manger les pissenlits par la racine. FLEUR : Ce que tu es désagréable, maman ! GERMAINE : Je sais... Tout le monde n’attend qu’une chose : que je disparaisse. FLEUR : Tu exagères ! GERMAINE : Contrairement à ta tante Nicole, j’ai les yeux en face des trous. Toi et ta sœur, vous guettez l’héritage, mais vous aurez de drôles de surprises... (s’éloigne vers les coulisses - en aparté :) Seule la personne concernée est au courant. La grande actrice Germaine Choupi va jouer sa dernière scène ! (sort)

FLEUR : Oh, oh... Il faut que j’en parle à Hubert. (en sortant) Mon chou, où es-tu ? Mon chou ! Sur le pont (pendant que Nicole et Amélie repassent dans le carré) :

CLAIRE : Guy, j’ai entendu des craquements bizarres à l’avant du bateau... Tu crois qu’on reviendra vivants au port ? GUY : Je n’en sais rien. C’est une sacrée tempête... CLAIRE : Les passagers paniquent ? GUY : Certains, oui. D’autres, non. En tout cas, il n’y en a qu’une qui reste sereine... CLAIRE : Qui ? GUY : Lucienne Aliéba qui nous déclame ses mémoires d’outre-tombe. CLAIRE : Ce n’est pas drôle ! Bruitages terribles de tempête. La nuit tombe peu à peu.

Scène 2 (Corentin, Guy, Amélie, Alice, Vicky, Cyrielle, Dany, Nicole)

Dans le noir complet : Corentin et Cyrielle traversent le carré l’un derrière l’autre (on distingue éventuellement des ombres, mais on ne doit pas les reconnaître).

CYRIELLE : (crie) Aaaaaaaaah ! CORENTIN : (crie) Aaaaaaaaah ! CYRIELLE : Rendez-moi ça ! On entend tomber les perles (collier cassé).

CORENTIN : (crie) Voleuse ! CYRIELLE : Voleur ! Bandit ! Mon parapluie à la rescousse ! CORENTIN : (hurle de douleur) Aaaaaaaaaïe ! Corentin s’enfuit en courant et en faisant du bruit.

Voix de DANY : Que se passe-t-il ?

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 26/83

Voix d’ALICE : J’ai entendu crier. Voix d’AMÉLIE : Ça venait du carré. Voix de GUY : Tenez ! Prenez ces lampes ! Voix de VICKY : Encore un meurtre... Comme c’est intéressant ! Voix d’ALICE : Taisez-vous, miss Whitehall ! Voix de GUY : Allons-y ! Voix de DANY : Vous abandonnez le bateau ? Voix de GUY : N’ayez crainte, docteur ! La tempête se calme. Ma cousine Claire tient bon la barre. Entrent sur scène en tenant de petites lampes : Guy, Alice, Dany, Amélie, Vicky. Cyrielle lâche le parapluie qu’elle tenait à la main.

ALICE : C’est Cyrielle ! DANY : Etes-vous blessée, mademoiselle Malicorne ? CYRIELLE : Non, docteur, tout va bien. Mais j’ai eu très peur. GUY : Que faisiez-vous dans le noir ? CYRIELLE : Je suivais quelqu’un qui venait de sortir de la cabine de madame Germaine. VICKY : Le meurtrier, naturellement ! AMÉLIE : Vous voulez dire que ma mère a été assassinée ? VICKY : Of course. D’ailleurs, elle n’est pas parmi nous. AMÉLIE : Vous êtes folle, miss Whitehall ! Ma mère dort avec des boules de cire dans les oreilles, comme Fleur d’ailleurs. Elle n’a pas entendu les cris, tout simplement... et elle n’est pas la seule. GUY : Monsieur Bouchon n’est pas là non plus. Qui partage sa cabine ? DANY : Moi. Il dort profondément, enfoui sous les couvertures. Je ne sais pas comment il arrive à respirer. ALICE : Je vais chercher Marraine ! (sort en courant)

VICKY : Qu’y a-t-il par terre ? On dirait des perles... CYRIELLE : Le bonhomme avait volé le collier de madame Germaine. J’ai essayé de le lui prendre. Voyez le résultat ! Madame Germaine sera furieuse. GUY : Le bonhomme ? CYRIELLE : C’était un homme, j’en suis sûre. Mais je lui ai fait le coup du parapluie. (le ramasse et le montre)

AMÉLIE : C’est-à-dire ? CYRIELLE : (en montrant) Il y a une pointe métallique au bout de mon pépin. (mime) Et vlan, je lui ai piqué la jambe. Du boulot pour vous, docteur. DANY : (regarde la pointe métallique) Des traces de sang... Vous n’y êtes pas allée de main morte.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 27/83

CYRIELLE : Qu’est-ce qu’elle a ma main, docteur ? DANY : Rien. Vous avez dû lui faire sacrément mal à ce voleur. GUY : Félicitations, Cyrielle. Ce sera facile de le retrouver. Si c’est un homme, il ne peut s’agir que de Hubert de Rocaille ou de Corentin Bouchon. VICKY : Le voleur est aussi l’assassin... Comme c’est intéressant !

Scène 3 (Corentin, Guy, Amélie, Alice, Vicky, Cyrielle, Dany, Germaine, Nicole)

Alice et Germaine rejoignent le groupe dans le carré.

GERMAINE : Qui est mort ? VICKY : Vous... Ah, non. Sorry, pas encore ! GERMAINE : (aperçoit les perles par terre et crie) Aaah ! Mon collier ! Cassé ! Il vaut une vraie fortune. On ne retrouvera jamais toutes les perles... AMÉLIE : Cyrielle a blessé le voleur. Tu peux la remercier, maman. GERMAINE : Pas question. Je ne crois que ce que je vois. (folle de rage) Où est-il ce voleur que je lui arrache les yeux ? AMÉLIE : Calme-toi, maman. GERMAINE : Je suis très calme. (pointe le doigt vers Cyrielle) Cyrielle, vous êtes la seule à avoir la clef de ma cabine ! VICKY : Les bijoux sont donc cachés dans votre cabine, madame de la Roseraie... Comme c’est intéressant ! GERMAINE : Miss Whitehall, nous n’avons pas besoin de vos commentaires. Votre tour viendra ; pour l’instant, je m’adresse à Cyrielle Malicorne ! AMÉLIE : (en aparté) Qui soudain n’est plus du tout ir-rem-pla-ça-ble. GERMAINE : Si c’est vous, Cyrielle, la voleuse... non seulement vous perdrez votre place auprès d’une très grande actrice, mais en plus vous gagnerez une place de choix dans une prison non dorée. CYRIELLE : (offusquée) Oh ! Vous m’accusez de... ALICE : Marraine, enfin ! AMÉLIE : Comment oses-tu soupçonner Cyrielle ? DANY : Je suis témoin : il y a du sang sur le parapluie ! GERMAINE : Des perles ! Du sang ! Un parapluie ! On n’arrête plus le progrès ! Nicole arrive à la porte du carré ; quelqu’un l’éclaire quand elle parle.

NICOLE : Vous n’auriez pas vu ma tête, par hasard ? ALICE : Tante Nicole, vous tombez bien. J’ai besoin de me défouler. (fait semblant de donner deux claques à Nicole) Zen ! NICOLE : (se tâte la tête) Merci, ma petite Malice.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 28/83

ALICE : Alice. Pagaille et tension maximum : VICKY : Please, je peux essayer ? (Alice la retient) Moi aussi, je vais me mettre à la méditation expérimentale... (mime les claques, pas près d’un visage) Pif paf ! AMÉLIE : J’en ai assez ! Je vais finir par claquer la porte. GERMAINE : C’est cela, ma fille. Rentre à la nage papillon ! Profites-en pour nous débarrasser du phonographe sans boire la tasse. DANY : Ça dégénère... Que faire ? Que faire ? GUY : (d’une voix forte) Je vous propose d’aller tous vous coucher. Nous nous retrouverons demain matin dans le carré. DANY : Bien parlé, monsieur Lambertini. GERMAINE : Rendez-vous ici même à 9 heures. (à Guy) Vous préviendrez tout le monde. GUY : Bonne nuit. Tous sortent. Noir complet.

Scène 4

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice,

Vicky, Cyrielle, Dany, Lucienne, Fleur, Hubert)

Sur le pont : Claire et Guy s’activent. Puis Claire va descendre dans le carré pendant que Guy installe le pilote automatique. Sur la scène : Amélie, Alice, Vicky, Cyrielle, Dany se trouvent dans le carré. Cyrielle sert thé, café et biscuits aux uns et aux autres. AMÉLIE : La tempête s’est calmée. DANY : Guy Lambertini m’a affirmé qu’il n’y a que peu de dégâts. VICKY : Juste un trou dans la coque. (mime la taille d’un œuf) Un petit œuf à la coque. Les autres se tournent vers Vicky, effrayés.

VICKY : Il ne manquerait plus qu’on coule, ce serait une chute très intéressante. CYRIELLE : (panique) Un naufrage ? (saisit son parapuie) Mon parapluie à la rescousse ! AMÉLIE : (à Cyrielle) Ne paniquez pas, Cyrielle. Il y a un canot de sauvetage. Peut-être pas assez grand pour nous accueillir tous, mais nous tirerons à la courte paille... VICKY : La courte paille comme dans la chanson ! Pour savoir qui qui qui sera mangé... Un œuf à la coque pour treize, c’est peu. Enfin douze depuis que la poétesse nous a abandonnés. Treize à la douzaine... ALICE : Enfin, miss Whitehall ! Vous déraillez ce matin ! (se tourne vers Dany) C’est grave, docteur ?

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 29/83

DANY : Je dirais plutôt : comme c’est intéressant ! Rassurez-vous, le trou a été colmaté, monsieur Lambertini me l’a assuré. ALICE : Au fait, docteur Mirambo, vous ne deviez pas nous œuf-hypnotiser ? CYRIELLE : (entre ses dents) Quand les poules auront des dents... AMÉLIE : Pardon, Cyrielle ? CYRIELLE : (boudeuse) Personne ne touchera à la prunelle de mes œufs. Claire quitte le pont pour redescendre dans le carré. Guy installe le pilote automatique. Nicole arrive à l’entrée du carré, une laisse autour du cou et un œuf (peint) à la main.

NICOLE : Vous n’auriez pas vu... Tous se tournent vers Nicole.

ALICE : Votre tête, tante Nicole ? NICOLE : Tu plaisantes ? Elle ne risque plus de s’échapper, je la tiens en laisse, ma petite Malice. ALICE : Alice. NICOLE : En la promenant sur le pont, j’ai trouvé cet œuf. DANY : Ça tombe bien, il m’en faut justement un. NICOLE : Non, docteur. J’adore gober les œufs. C’est le mien ! DANY : Je vous le rendrai au centuple, mademoiselle Pichou. NICOLE : Dans ce cas... Nicole tend l’œuf à Dany qui le saisit délicatement. ALICE : La laisse lui réussit. Ça lui remet les idées en place. Encore plus efficace que le système-claques. Je devrais aussi faire breveter cette idée. Claire entre dans le carré. CLAIRE : Bonjour. (tous la saluent) CYRIELLE : (à Claire) Monsieur Lambertini va-t-il nous rejoindre ? CLAIRE : Mon cousin ne va pas tarder. Il installe le pilote automatique. Cyrielle sert une tasse de thé à Nicole et du café à Claire. Toutes deux la remercient. DANY : Asseyez-vous tous ! CYRIELLE : (à Claire, discrètement) Le docteur va faire une mini-omelette. Je préférais qu’il aille se faire cuire un œuf en face... CLAIRE : (sourit en montrant la mer par le hublot) En face ? DANY : (insiste en montrant les sièges) S’il vous plaît. Tous s’assoient, sauf Cyrielle. DANY : Vous aussi, mademoiselle Malicorne. CYRIELLE : Je n’ai pas envie de passer à la casserole. Chaque œuf à sa place prend deux fois moins de place.

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AMÉLIE : Cyrielle, un petit effort, ça ne mange pas de pain. CYRIELLE : (grommelle) Manquerait plus que ça... (en s’asseyant) J’ai du pain sur la planche... Je ne suis pas en vacances, moi... DANY : Merci, soyez attentifs. AMÉLIE : Au cas où vous l’auriez oublié, Dany : nous attendons avec impatience l’arrivée de notre voleur nocturne. NICOLE : Un voleur ? Quel voleur ? On ne me dit jamais rien. ALICE : Ecoutez, tante Nicole. DANY : (à Amélie) Chère Amélie, ma méthode va nous aider à percevoir des indices imperceptibles. Concentrez-vous ! Fixez l’œuf d’un œil, puis de l’autre. Tous obéissent sauf Nicole qui louche.

NICOLE : Je n’y arrive pas, docteur. (touche sa tête) Même en laisse, elle se rebelle. ALICE : Chut ! J’entends marcher. Ça boite ! Tous se tournent vers la porte et écoutent. On entend marcher quelqu’un qui boite. VICKY : C’est notre voleur. Les paris sont ouverts : Corentin ou bien Hubert ?

Scène 5 (Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice,

Vicky, Cyrielle, Dany, Fleur, Hubert)

Corentin s’arrête sur le pas de la porte, surpris. Tous le regardent avec un œil noir.

CORENTIN : Qu’avez-vous donc ? AMÉLIE : (durement) Le grand voyageur est blessé ? NICOLE : Pauvre monsieur Bouteille... CORENTIN : (à Nicole) Bouchon. (à Amélie) Merci, belle Amélie, de vous inquiéter pour moi. Ce n’est pas grave. Une simple écorchure... DANY : Simple, hum... Cela mérite sans doute un point de suture. CORENTIN : Merci, docteur. Ce n’est pas nécessaire. (entre) Je peux boire une tasse de thé ? CYRIELLE : Non. (discrètement à ses voisins) Qu’est-ce qu’on fait ? On lui saute dessus ? AMÉLIE : Cyrielle, allez plutôt chercher ma mère dans sa cabine. CYRIELLE : (inquiète) Ah, oui... Madame Germaine qui est toujours si ponctuelle. Elle doit être souffrante. J’y vais... (se lève et sort) On entend des voix. Tous se tournent vers la porte et écoutent.

Voix de FLEUR : Dépêche-toi, mon chou ! J’ai horreur d’être en retard. Tout ça à cause de toi. Voix de HUBERT : Je fais ce que je peux, chérie.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 31/83

Voix de FLEUR : C’est terrible, tu ne vas plus pouvoir danser. Voix de HUBERT : Tant mieux... Heu, tant pis. Fleur et Hubert entrent dans le carré. Hubert boite ; tous sont surpris, sauf Corentin qui va se servir une tasse de thé sans regarder les nouveaux arrivants. VICKY : My God ! Lui aussi... FLEUR : (en se dirigeant vers Dany) Docteur Mirambo ! Pourriez-vous examiner mon Hubert insomniaque ? Il s’est fait mal en tombant cette nuit sur un objet pointu. DANY : Vous l’avez vu tomber ? FLEUR : Bien sûr que non ! Je dormais à poings fermés. AMÉLIE : Hubert est insomniaque, on m’avait caché ça. Pourquoi n’a-t-il pas entendu les cris ? HUBERT : C’est en allant chercher un somnifère que je me suis fait mal, si tu veux tout savoir, Amélie. VICKY : (en aparté) Tiens, tiens... Le somnifère tombe à pic... et la pique tombe sur le voleur. DANY : Montrez-moi ça, monsieur de Rocaille. Ça pourrait s’infecter. HUBERT : Ce n’est rien. FLEUR : Au contraire ! Enlève ton pantalon, mon chou ! HUBERT : Enfin, chérie, un peu de tenue ! On voit passer Cyrielle sur le pont. Elle court vers Guy ; tous deux gesticulent, cherchent visiblement quelque chose, puis quittent le pont.

DANY : (se gratte la tête) J’avoue être surpris par cette avalanche d’événements... VICKY : Un meurtre, deux blessés... et ce n’est pas fini ! (prend des notes) Comme c’est intéressant. ALICE : Ça suffit, miss Whitehall ! Ou l’on vous jette par-dessus bord ! VICKY : Tiens, tiens... Je croyais que vous pratiquiez la zénitude, mademoiselle Alice. CORENTIN : Est-ce que quelqu’un pourrait m’expliquer ce qu’il se passe ? Je suis terriblement vexé de votre accueil matinal. Surtout le vôtre, belle Amélie... moi qui ai rêvé de vos yeux étoilés toute la nuit... AMÉLIE : (en aparté) Trop fort, mais je résiste. (à Corentin) Cette nuit, Cyrielle a blessé un homme qui s’était emparé du collier de perles de ma mère. Si ce n’est vous, c’est donc Hubert ! HUBERT : Moi ? Mais je déteste les huîtres, ça me donne le mal de mer, m-e-r ! CORENTIN : (horrifié) Vous me traitez de voleur, Amélie ? Je rentre chez moi immédiatement. NICOLE : (hilare) Une bouteille à la mer ! Une bouteille sans bouchon... avec un message à l’intérieur... ALICE : Chut, tante Nicole. Occupez-vous de votre tête. On entend courir. Tous se tournent vers la porte.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 32/83

Scène 6

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice,

Vicky, Cyrielle, Dany, Fleur, Hubert, voix de Gaston)

Guy entre dans le carré, suivi de Cyrielle. GUY : (blême) Madame de la Roseraie a disparu. Tous écarquillent les yeux. CYRIELLE : (sous le choc) Evaporée... GUY : On a fouillé tout le bateau. Elle a dû tomber à la mer. CLAIRE : Quand ? Cette nuit ? GUY : Sans doute quand tu étais à la barre, Claire. Moi, je suis sûr que je l’aurais vue passer. VICKY : J’avais raison : une dame d’un certain âge reçoit des amis et de la famille sur son yacht. (tous la regardent, ahuris) Elle est tellement détestable que chacun rêve de s’en débarrasser... Pas de boum, mais un gros plouf ! (en montrant Claire) On l’a forcément poussée... CLAIRE : (prend Guy à témoin) Elle est dingue ! Elle m’accuse... VICKY : (en mimant) Une pichenette... et plouf ! A qui le tour ? FLEUR : (hystérique) Aaaaaah ! CLAIRE : Faites-la taire ! Alice saisit l’œuf des mains de Dany et l’écrase sur la tête de Vicky qui en reste bouche bée. ALICE : Finie la zénitude. AMÉLIE : (à Guy) Il faut rentrer au plus vite. GUY : Je fais ce que je peux. Après la tempête, le vent est tombé. On n’avance plus. HUBERT : (barbouillé) J’ai la jambe et le cœur en compote... Je ne remonterai plus jamais sur un bateau. Je le jure sur la tête de ma belle-mère. CYRIELLE : Là où est madame Germaine, elle ne risque pas de vous contredire, Hubeeeeeeeeeeeert ! Hubert se dirige furieux vers Cyrielle, en boitant toujours.

DANY : (intervient) Monsieur de Rocaille... et vous aussi, monsieur Bouchon, relevez vos jambes de pantalon. CORENTIN et HUBERT : Pardon ? AMÉLIE : Vous avez parfaitement compris. HUBERT : Je n’ai rien volé. CORENTIN : Moi, non plus ! DANY : Alors que craignez-vous ?

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Corentin et Hubert s’observent, ne sachant comment réagir, puis relèvent en même temps et lentement la jambe de pantalon correspondant à la blessure, pendant qu’Alice chantonne les 4 notes célèbres de la 5e symphonie de Beethoven.

FLEUR : Pauvre chou ! NICOLE : Pauvre exploraté... Tous sont attentifs. DANY : (en examinant les blessures) Deux trous identiques ou presque... correspondant à la pique du parapluie de Cyrielle Malicorne. CORENTIN : Quel parapluie ? HUBERT : Quelle pique ? CYRIELLE : Y en n’avait qu’un, j’en suis sûre. Y a un truc qui cloche... FLEUR : (se tort les mains) L’assassin est à bord. Il va nous éliminer l’un après l’autre... Aaaah ! HUBERT : Mais non, chérie. FLEUR : Et si c’était toi, Hubert, tu me laisserais la vie sauve ? HUBERT : Avec des si, mon amour, on mettrait Paris en bouteille. NICOLE : Bouteille, bouchon ! Quel est le message ? ALICE : Chut, tante Nicole. On entend appeler. Tous s’immobilisent.

Voix de GASTON : Ohé du bateau ! Ohé ! AMÉLIE : (jette un coup d’œil par le hublot) Je ne vois rien. FLEUR : C’est une voix d’homme ! Aaaaah ! C’est l’assassin. HUBERT : Mais non, chérie, l’assassin est à bord, tu l’as dit toi-même. FLEUR : Aaaah ! GUY : J’y vais ! LES AUTRES : Moi aussi ! Musique. Guy sort et rejoint le pont, suivi de tous les autres.

Scène 7

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Vicky, Cyrielle, Dany, Fleur, Hubert, Gaston)

Tous se retrouvent sur le pont et montrent un endroit dans la salle.

Gaston (barbu) leur fait de grands signes, debout dans son canot de sauvetage. Corentin a l’air inquiet.

GASTON : Ohé ! Ohé ! GUY : (à Claire) Paré pour les manœuvres ?

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 34/83

CLAIRE : Paré ! FLEUR : Qu’est-ce que vous faites ? CLAIRE : On récupère le type, bien sûr. NICOLE : Ah ! Germaine est de retour dans un canot de sauvetage ! Elle s’est transformée en femme à barbe ! AMÉLIE : Enfin, tante Nicole ! C’est un naufragé dont le bateau a dû couler pendant la tempête. DANY : Il a l’air épuisé. (à Cyrielle) Allez chercher de l’eau, du pain et un petit remontant, s’il vous plaît. Cyrielle approuve de la tête et disparaît. Corentin observe, les sourcils froncés, puis va se mettre à l’écart.

GUY : Claire, lance-lui un bout (se prononce boute) ! Claire lance l’extrémité de la corde qui est fixée sur le pont.

CLAIRE : Aidez-moi à le faire monter à bord. Gaston se retrouve sur le pont.

DANY : (en l’auscultant) Vous êtes blessé, monsieur ? GASTON : (fait non de la tête) J’ai soif... et je n’en peux plus. NICOLE : (écarquille les yeux, déçue) Tu as raison, Amélie. Ce n’est pas Germaine. Musique. Cyrielle revient avec un panier contenant les produits nécessaires. Dany s’occupe du naufragé. GUY : (à Claire) Le canot est bien amarré ? CLAIRE : Oui. GUY : On repart. Le vent se lève un peu... CLAIRE : Tant mieux. J’ai hâte que ce cauchemar s’arrête. GUY : Je vais te laisser la barre. Installe le pilote automatique si tu veux souffler un moment. CLAIRE : D’accord. DANY : (à Gaston) Ça va mieux ? GASTON : Oui. Merci à tous. J’ai bien cru que ma dernière heure avait sonné. Mon nom est Gaston Poulaga. (Corentin sursaute et se fait le plus discret possible) AMÉLIE : Nous ferons les présentations plus tard, monsieur Poulaga. Venez d’abord vous reposer dans le carré. Musique. Claire prend la barre. Dany et Guy aident Gaston à quitter le pont. Quand Gaston passe près de Corentin, ce dernier lui tourne le dos, et Gaston semble surpris. Tous trois passent ensuite près de Vicky qui dresse l’oreille, les écoute et prend des notes sur son carnet, l’air satisfait. Nicole et Hubert se trouvent derrière Vicky et peuvent voir ce qu’elle écrit.

GASTON : (à Dany et Guy) Ce monsieur est un ami à vous ?

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 35/83

GUY : Un invité de madame de la Roseraie, feue la propriétaire de ce yacht. Le riche voyageur Corentin Bouchon. GASTON : Bouchon ? DANY : C’est cela, comme le (mime + un bruit de bouteille qu’on débouche) ... de la bouteille. GASTON : Il a détourné la tête quand je suis passé, mais il m’a semblé le reconnaître. GUY : Ah ? GASTON : C’est Corentin Le Poittevin, dit Coco l’escroc. Il n’a pas un sou devant lui. DANY : Un escroc ? GASTON : Je lui ai déjà passé les menottes à celui-là. Il repère les pigeons, vide leur compte en banque et dérobe le reste. GUY : Les menottes ? Vous êtes... ? GASTON : Commissaire Poulaga. GUY : Vous ne pouvez pas mieux tomber. DANY : Votre cure de repos va être de courte durée. Guy, Dany et Gaston disparaissent. Claire installe le pilote automatique.

VICKY : (en aparté - seule Nicole et Hubert peuvent l’entendre) Quelle croisière d’enfer et damnation... Un vrai panier de crabes ! Comme c’est intéressant. J’ai tout compris. Je vais en parler de ce pas au commissaire Poulaga. Puis je me lancerai dans l’écriture de romans policiers et je deviendrai célèbre. Yeeeeeesss ! Musique. Les autres quittent peu à peu le pont, Claire en dernier.

Scène 8

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Cyrielle, Dany, Gaston, Fleur, Hubert)

Pour l’instant, le carré est vide. Voix de VICKY : (hurle de douleur) Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah ! AMÉLIE : (arrive en courant dans le carré) Qu’est-ce qu’il se passe encore ? FLEUR : (arrive en courant, hystérique) Au secours ! Hubert chériiiiiiiiiiiii ! GUY : (arrive) Qui a crié ? ALICE : (arrive en même temps que Guy) C’était une voix de femme ! (craque et se met à pleurer) Je n’en peux plus... Je n’en peux plus... GUY : Ça va aller, Alice. Zen, méditez. (Alice obéit, en position du lotus)

FLEUR : (toujours hystérique) Hubeeeert ! Hubeeeert ! GUY : (à Fleur) Arrêtez de bêler. Fleur continue de bêler en silence en se tordant les mains.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 36/83

NICOLE : (les rejoint, les yeux écarquillés) Y a quelqu’un qui dort par terre... Et ce n’est pas Germaine. ALICE : (en méditant) Vous rêvez, tante Nicole. Asseyez-vous. Faites comme moi. Nicole fait non de la tête, les yeux toujours écarquillés. Voix de CYRIELLE : (hurle) Aaaaaaaaaaaaah ! Mon parapluie ! NICOLE : (idem) Elle dort dans le couloir avec un parapluie planté là... (montre son propre cœur)

Amélie se serre contre Guy, terrifiée. Fleur s’évanouit. ALICE : (se lève d’un bond) Quoi ? Dany (le visage blême) et Gaston (très professionnel) entrent dans le carré en soutenant Cyrielle qui tremble comme une feuille.

GASTON : Trop tard. L’assassin nous a devancés. DANY : Le parapluie a encore frappé. Miss Whitehall a cessé de vivre. ALICE : (en pleurant) Elle avait raison : jamais deux sans trois... Ça ne s’arrêtera donc jamais ? Je veux retourner dans l’Himalaya... Gaston sort son pistolet de sa poche. Les autres sursautent. GASTON : (en se présentant) Commissaire Poulaga. Dany Mirambo vient de m’expliquer rapidement la situation. C’est grave, très grave... mais j’ai ma petite idée. Fleur se relève lentement, aperçoit le pistolet, ouvre la bouche comme si elle bêlait.

GASTON : Ecartez-vous. Le meurtrier est peut-être armé. Fleur s’évanouit de nouveau. Les autres s’écartent. GUY : A la demande du commissaire, j’ai prévenu Claire Calvin, Hubert de Rocaille et Corentin Bouchon qu’on les attendait de toute urgence dans le carré, en précisant que monsieur Poulaga dormait et qu’il fallait éviter de le réveiller. Gaston se place à côté de la porte pour qu’il ne soit pas visible par le prochain arrivant. On entend marcher. Entre Claire qui ne comprend pas. Gaston lui fait signe de rejoindre les autres. Claire se place près d’Alice, non loin de la porte.

On entend boiter. Entre Corentin Bouchon. GASTON : (pistolet pointé vers Corentin) Haut les mains, mon Coco ! CORENTIN : Tonnerre ! Le poulet ne dort pas. Le piège ! Gaston lui saisit les bras et lui passe les menottes.

NICOLE : Pauvre monsieur Bouteille... CYRIELLE : J’avais bien dit que c’était le voleur. A cause de lui, madame Germaine ne me faisait plus confiance et voulait me mettre à la porte. CLAIRE : (entre ses dents) ... Et détruire sa réputation de cuisinière et femme de chambre... Une bonne raison de se réjouir de sa disparition... ALICE : (à Claire, discrètement) Vous croyez ? (Claire approuve de la tête)

CORENTIN : (crie) Je ne suis pas un assassin. Je voulais juste piquer le collier, au cas où je n’arriverais pas à épouser l’autre cruche !

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 37/83

AMÉLIE : (furieuse) Il me traite de cruche. C’est fort, c’est trop fort ! Je vais lui... GUY : (retient Amélie) Pas besoin, chérie. Tous les regardent, surpris.

DANY : (à Guy) Chérie ? J’ai mal compris ? GUY : Personne n’est au courant. Nous sommes mariés depuis un mois. Amélie m’avait juré de l’annoncer à sa mère avant la fin de cette croisière. AMÉLIE : Eh oui, j’ai renoncé à l’héritage. Par amour ! Quelle belle histoire, n’est-ce pas ? CORENTIN : On s’est fait avoir, docteur. Bienvenue au club. DANY : (à Corentin) Mais vous dormiez profondément dans notre cabine pendant le vol du collier. Je vous ai vu ! CORENTIN : (moqueur) Il suffit de mettre des vêtements sous la couverture... C’est enfantin de donner la forme d’un corps endormi ; tu comprends, Dany ? GASTON : Silence, mon Coco. A ta place, je ne ferais pas le malin. (lui met du papier collant sur la bouche - à Guy et Amélie :) Amélie de la Roseraie, pardon Amélie Lambertini, ne va pas être déshéritée puisque sa mère est tombée à l’eau. Pratique, non ? AMÉLIE : C’est horrible ce que vous dites, commissaire. GASTON : Vous faites tous les deux partie des suspects. GUY : Mais commissaire, (montre Corentin) vous tenez votre coupable. GASTON : Pas sûr. ALICE : (dresse l’oreille) J’entends Hubert... On entend boiter. Gaston tient toujours le pistolet.

Scène 9

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Cyrielle, Dany, Gaston, Fleur, Hubert)

Hubert arrive en boitant, un tableau sous le bras (on ne voit pas ce qu’il représente), et il écarquille les yeux. Nicole doit se trouver non loin de Fleur. HUBERT : Quelle réception ! (pose le tableau près de la porte, puis découvre Corentin menotté) Il y a du nouveau ici... Je m’en doutais. Sur le pont, j’ai entendu miss Whitehall dire qu’elle avait tout compris. (aperçoit Fleur évanouie et crie :) Ma petite Fleur ! Vous l’avez tuée sans me prévenir ! (se précipite vers Fleur) Fleur se relève lentement.

FLEUR : Hubert, mon chou... HUBERT : Je suis là, chérie. (à Nicole) Tante Nicole, aidez-moi un peu. Fleur s’accroche à Hubert et Nicole.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 38/83

CLAIRE : (entre ses dents en regardant Fleur) Cette écervelée fait peut-être semblant... Si ça se trouve, c’est Fleur qui s’est débarrassée de Lucienne, Germaine et Vicky... ALICE : (à Claire, discrètement) Impossible, elle ne ferait pas de mal à une mouche. Gaston est attentif à tout, pistolet à la main.

FLEUR : Miss Whitehall est morte, elle aussi ? (Hubert, étonné car il n’est pas au courant, fait non de la tête) Alors pourquoi son carnet est-il... (Nicole saute en arrière en repoussant Fleur) dans la poche de tante Nicole ? (Hubert relève Fleur et la tient contre lui)

GASTON : (se précipite vers Nicole en pointant son pistolet) Voilà l’indice que j’attendais ! Pas un geste, Nicole Pichou. AMÉLIE : Tante Nicole ? Elle a sombré dans la folie depuis longtemps. Laissez-la donc tranquille, commissaire ! ALICE : Ce carnet ne prouve rien. Miss Whitehall se prenait pour un auteur de romans policiers. Elle avait trop d’imagination... GASTON : ... Et un excellent sens d’observation. Vous avez perdu, mademoiselle Pichou. NICOLE : (change de voix et d’attitude - glaciale :) Je n’ai plus rien à perdre. Je suis gravement malade. Dans un mois, je serai morte. GASTON : Vicky Whitehall a tout noté dans son carnet. (tend la main sans lâcher le pistolet) Donnez-le-moi. NICOLE : (garde le carnet et fait non de la tête) La vengeance est un plat qui se mange froid. Voilà trente ans que je m’y prépare. Je n’ai jamais pardonné à Germaine d’avoir épousé mon fiancé. GASTON : Qui protégez-vous ? (explique) Quelqu’un qui vous a surpris quand vous ne jouiez pas la comédie. Quelqu’un qui a guidé vos gestes depuis le début et à qui vous obéissiez, ne pensant qu’à vous venger. Quelqu’un qui ne s’est pas sali les mains et qui a tous les alibis nécessaires et n’attend plus que l’héritage. NICOLE : Seule, je n’en aurais pas eu le courage. CYRIELLE : (horrifiée, à Nicole) Pourquoi avez-vous empoisonné madame Lulu ? NICOLE : Une erreur d’aiguillage... Dommage pour elle. Il aurait suffi d’attendre un jour de plus, attendre que Germaine aille rejoindre les poissons... et Lucienne serait encore là. Ce n’est pas de chance. GASTON : A qui profite le crime ? La mort de madame de la Roseraie pour être précis. (les montre) A ses filles et leurs maris. AMÉLIE et FLEUR : (protestent) Commissaire ! GASTON : ... Sauf si la grande actrice a modifié son testament et que le ou la bénéficiaire était au courant. Il fallait agir vite avant que Germaine change d’avis. NICOLE : (à Gaston d’un ton moqueur) Mettez un masque et un tuba... et allez interroger ma sœur pour en savoir plus. GASTON : Pourquoi pas ? (articule) Qui vouliez-vous coucher sur votre testament, madame de la Roseraie ?

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 39/83

Scène 10

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Vicky, Cyrielle, Germaine, Dany, Gaston, Fleur, Hubert)

Germaine apparaît sur le seuil de la porte. Alice se colle contre le mur, prête à s’enfuir dès que l’occasion se présentera. Gaston pointe le pistolet vers Alice.

GERMAINE : Ma filleule Alice qui était si attentionnée à mon égard. FLEUR : Aaaah ! Une revenante ! (tombe évanouie dans les bras d’Hubert)

CYRIELLE : (tout émue) Madame Germaine est ressuscitée. Alléluia ! NICOLE : Elle est remontée à la surface. Ah, non... Là, j’ai vraiment tout perdu. (se prend la tête entre les mains) Gaston fait signe à Guy de bien tenir Nicole.

AMÉLIE : (se tourne vers Alice) Monstre ! ALICE : Zen, Amélie... Tout le monde rêvait de se débarrasser de cette femme infecte. Je suis la seule à être passée à l’acte. GASTON : Par personne interposée. AMÉLIE : Où étais-tu, maman ? Germaine montre Dany ; tous se tournent vers lui.

DANY : Cachée dans l’espace « pharmacie » quand quelqu’un risquait de la surprendre dans sa cabine. CYRIELLE : Ah, voilà pourquoi je vous ai vu porter un plateau de nourriture tout à l’heure... GUY : Mais j’ai fouillé cet endroit, docteur. DANY : C’est facile de passer discrètement d’un endroit à l’autre, n’est-ce pas, madame de la Roseraie ? GERMAINE : Evidemment. Fleur ouvre les yeux et ne comprend pas. AMÉLIE : (à Germaine) Pourquoi as-tu fait ça ? GERMAINE : D’abord pour étudier le comportement des uns et des autres, avant de modifier mon testament. ALICE : Je croyais que c’était fait... GERMAINE : Eh bien non ! Tu as failli me tuer pour rien, petite garce. ALICE : (enrage et serre les dents) Grrrr... GERMAINE : Je me méfiais. Et j’ai eu raison quand j’ai interverti ma flûte et celle de Lucienne. Adieu Lulu ! AMÉLIE : (choquée) Maman ! Tu regrettes ton geste, j’espère ? GERMAINE : J’ai toujours détesté la poésie.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 40/83

ALICE : (furieuse) Tante Nicole, le poison c’était ton idée. Moi, j’étais contre. Tu as tout fait rater. (en montrant Germaine) Ensuite, elle s’est méfiée. DANY : C’est après le vol du collier que madame de la Roseraie m’a mis au courant de la situation et m’a demandé de l’aider à se cacher. Alice essaie de s’enfuir. Gaston la menace avec le pistolet, puis la menotte (2e paire).

ALICE : En prison, au moins ce sera calme, je pourrai méditer. NICOLE : J’ai juste quelque chose à régler avec Alice. Gaston fait signe à Guy de laisser Nicole s’approcher d’Alice, mais de bien la tenir. Nicole fait semblant de donner deux claques à Alice.

NICOLE : C’est pour toutes les claques que tu m’as données ! ALICE : (moqueuse) Ça rendait ta folie plus crédible, tante Nicole. NICOLE : (lui redonne deux claques) Et ça, c’est de la part de miss Whitehall car je l’aimais bien. Si elle avait eu moins d’imagination, elle aurait échappé au parapluie. Nicole veut recommencer, mais Guy l’éloigne d’Alice. GASTON : (à Guy) Attachez-la solidement. GUY : O.K. (attache Nicole) CYRIELLE : Il y a quelque chose que je ne comprends pas... Pourquoi monsieur Hubeeeeeeert s’est-il transpercé la jambe avec mon parapluie ? HUBERT : (agacé) Je suis tombé sur une pointe métallique en allant chercher mes somnifères ! Je l’ai déjà dit. FLEUR : Pauvre chou, on ne le croit jamais. (montre le tableau posé près de la porte) Tu as fini ton tableau, chéri ? Montre-le-nous ! HUBERT : « Vague à l’âme »... (montre le tableau) Ma belle-mère déstructurée... Tous grimacent ou sont surpris, sauf Fleur qui s’extasie. FLEUR : Magnifiiiiiiique ! N’est-ce pas, maman ? GERMAINE : C’est moi, cette horreur ? C’est comme ça que vous me percevez, tous ? (prend le phonographe et part en criant) Vous allez le regretter ! Je vais vous déshériter ! Les autres doivent la suivre du regard, même quand ils imaginent le trajet qu’elle suit pour gagner le pont. Germaine disparaît, puis apparaît sur le pont en portant le phonographe. Elle gesticule, furieuse, en criant : GERMAINE : Déshériter ! Vous m’avez entendue ? Mais avant, fini la musique de zoulous ! Tous écoutent et soupirent. Gaston se dirige vers le hublot.

FLEUR : C’est reparti pour un tour ! Gaston regarde par le hublot. Germaine quitte le pont.

GASTON : Ça m’étonnerait. Tous se tournent vers Gaston.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 41/83

GASTON : Je viens de la voir passer... (montre le hublot) avec le phonographe. Elle a coulé à pic. Germaine Choupi a joué sa dernière scène. Noir.

Fin

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Quelle galère, cette croisière ! (+ 3 rôles à la demande des « Joyeux Compères » de Auch dans le Gers)

Comédie policière

de Ann ROCARD

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Caractéristiques Durée approximative : 60 mn. Distribution : 17 personnes pour 16 ou 17 acteurs • Germaine de la Roseraie : dame d’un certain âge, ex-actrice de théâtre. • Ernestine Padechance : vieille connaissance de Germaine, ex-actrice (peu de texte). • Marcel Padechance : mari d’Ernestine, joue au solitaire. • Amélie de la Roseraie : la fille aînée de Germaine. • Fleur de Rocaille : la fille cadette de Germaine. Mariée au peintre Hubert de Rocaille. Un peu écervelée. • Hubert de Rocaille : un peintre dans le vent qui ne vend rien. • Lucienne Aliéba, dite Lulu : grande amie d’enfance de Germaine. Poétesse qui délire. (l’actrice ou l’acteur peut interpréter aussi Gaston Poulaga) • Cyrielle Malicorne : la cuisinière et femme de chambre de Germaine. • Iloma Malicorne : la jeune nièce de Cyrielle Malicorne. • Guy Lambertini : le skipper du voilier. • Claire Calvin : la cousine du skipper, très utile dans les manœuvres. • le docteur Dany Mirambo : veuf, bon parti. C’est le médecin de Germaine ; il a inventé une nouvelle technique de soins : l’œuf-hypnose. • Corentin Bouchon : grand voyageur qui vient d’hériter de son grand-oncle richissime. • Miss Vicky Whitehall : une anglaise qui écrit une biographie de Germaine pour un célèbre éditeur londonien. • Nicole Pichou : la sœur de Germaine, qui a perdu la tête. • Alice Lenoir : la filleule de Germaine, adepte provisoire de la méditation. • Gaston Poulaga : naufragé (peut être interprété par l’actrice ou l’acteur qui joue aussi Lucienne). Accessoires : photos sépia des acteurs Corentin et Dany, au besoin pendule dont on peut modifier facilement l’heure, phonographe et disques vinyles, verres, flûtes, bouteilles, assiettes, couverts, plats, serviettes, nappe, table, sièges, vase et fleurs, petits fours, théière, tasses, biscuits, pain, panier..., paire de jumelles, parapluie à ouverture automatique, crayon, carnet, gouvernail (roue), cordes, objet pour le pilotage automatique, collier de perles cassé, lampes-tempête (il suffit de fixer une petite pile à l’intérieur avec une petite ampoule), maquillage vert, laisse, œuf peint, pistolet, 2 paires de menottes, papier collant (pou le fixer sur la bouche de l’acteur, un morceau de sparadrap à chaque extrémité, c’est suffisant), tableau à partir de la photo de Germaine façon cubiste au fond de la mer.

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Décor : Sur la scène : le carré du bateau (pièce principale où tous se rassemblent, mangent, etc.) Sur le côté, un espace pour représenter le pont du bateau avec gouvernail. Epoque : années 1920 (costumes et coiffures « charleston »). Public : tout public. Remarque : pièce dédicacée aux Feux follets d’Arcambal, près de Cahors. Synopsis : Treize personnes se retrouvent sur le voilier de l’ex-actrice de théâtre, Germaine Choupi, qui n’est guère aimée. On lève l’ancre ; danger et tempête ne sont pas loin... L’auteure peut être contactée par courriel : [email protected] - ou par l’intermédiaire de son site : http:/www.annrocard.com/

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Acte I Scène 1

(Cyrielle, Germaine, Amélie, Guy)

Musique. On voit par moments Guy Lambertini et Claire Calvin s’activer sur le pont du bateau (visualisé à part).

Cyrielle va et vient, nettoyant, décorant, etc. le carré (pièce commune) du bateau. Germaine la rejoint ; elle regarde régulièrement la pendule et semble s’impatienter.

GERMAINE : Ah, Cyrielle, si je ne vous avais pas, il faudrait vous inventer ! CYRIELLE : C’est sûr, madame ! Je ne veux pas me cirer les bottes que je n’ai pas, mais vous n’en trouverez jamais une autre comme moi. GERMAINE : Vous êtes ir-rem-pla-çable. CYRIELLE : On peut le dire. Vous m’aviez d’ailleurs promis une augmentation de salaire. GERMAINE : Nous en reparlerons à terre, dès notre retour. CYRIELLE : Nous ne sommes pas encore parties. GERMAINE : Ce n’est qu’une question de minutes. Il ne manque plus que ma fille Amélie ; les autres passagers sont déjà dans leurs cabines. Ah, la voilà justement ! Amélie traverse la salle, valise à la main. Guy Lambertini l’accueille sur le pont du bateau. Amélie rejoint Germaine dans le carré ; Cyrielle continue de s’activer.

AMÉLIE : Bonjour, maman. Bonjour, Cyrielle. CYRIELLE : Bonjour, mademoiselle Amélie. AMÉLIE : (pose sa valise et embrasse Germaine) Fleur est déjà là ? GERMAINE : Ta sœur est toujours à l’heure. Toi, tu es en retard, Amélie, comme d’habitude. AMÉLIE : Désolée, j’ai eu un imprévu... et une migraine épouvantable. Je parie que Fleur a amené son Hubert, (moqueuse) le peintre dans le vent qui ne vend que du vent. Tu ne l’aimes pas beaucoup, avoue-le, maman. GERMAINE : (hausse les épaules, agacée) Parlons plutôt de toi. J’ai bien cru que tu ne viendrais pas. C’est pour toi que j’organise cette croisière. AMÉLIE : (excédée) On pourrait parler d’autre chose ? GERMAINE : Non. Il faut que les choses soient claires. Je veux absolument que tu te maries, mais pas avec n’importe qui, sinon je te déshérite. AMÉLIE : Tu me l’as déjà dit cent fois. GERMAINE : Ce sera la cent unième et dernière fois. Si tu ne t’es pas décidée à la fin de cette croisière, je contacte mon notaire. AMÉLIE : Ce n’est pas ma faute si j’ai fait faillite...

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GERMAINE : Si ! Cette boutique était vouée à l’échec. Vouloir vendre des manteaux en poils de chameau en plein été, quelle aberration ! Pourquoi pas des maillots de bain au pôle Nord ? Tu n’as plus un sou et j’en ai assez de subvenir à tes besoins. AMÉLIE : Mon prochain projet est formidable. GERMAINE : Je ne le financerai qu’à une condition... AMÉLIE : J’ai compris. Combien as-tu prévu de prétendants cette fois-ci ? GERMAINE : Deux seulement. (lui montre les deux photographies sépia) Mon nouveau médecin, le docteur Dany Mirambo, veuf, un bon parti. AMÉLIE : (hausse les épaules) Mirambo ? Mirobolant ! GERMAINE : Tu ferais des économies, toi qui as toujours mal quelque part. AMÉLIE : Moi ? Juste une migraine à chaque fois que tu veux me caser. Et l’autre concurrent ? GERMAINE : Un très très bon parti. Corentin Bouchon, un formidable voyageur qui vient d’hériter de son grand-oncle richissime. Je l’ai rencontré à une réception, donnée par le baron de la Rapière. AMÉLIE : Bouchon ? Il est porté sur la bouteille ? GERMAINE : (outrée) Amélie ! AMÉLIE : Bon, je vais ranger mes affaires dans ma cabine. Avec qui m’as-tu casée ? CYRIELLE : Avec moi, mademoiselle Amélie. Nous serons un peu serrées, car ma nièce Ilona va me me seconder pendant la croisière. AMÉLIE : Je ne savais pas que vous aviez une nièce. CYRIELLE : Je suis pleine de ressources ! (rit) La deuxième cabine à droite. Ça ira ? AMÉLIE : (sourit à Cyrielle) Très bien. GERMAINE : J’avais pensé à ma filleule Alice. Elle est adorable. Mais elle s’occupe si bien de ma pauvre sœur Nicole... AMÉLIE : Alice ? Il y a longtemps que je ne l’ai pas vue... Bon, à tout à l’heure. (s’en va)

GERMAINE : (grommelle) Moi, j’ai réussi en partant de rien. Pourquoi mes filles n’en font-elles pas autant ? Germaine a l’air mécontente. Cyrielle rit sous cape. GERMAINE : Ça vous fait rire, Cyrielle ? CYRIELLE : Pas du tout, mais alors pas du tout. GERMAINE : Je vais me préparer pour l’apéritif. (sort)

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Scène 2 (Fleur, Hubert, Cyrielle, Claire, Guy, Nicole)

Idem pour le pont du bateau avec Guy et Claire ; Nicole y passe plusieurs fois, l’air de chercher quelque chose. Cyrielle prépare l’apéritif. Fleur arrive, un peu fofolle. Son mari Hubert la suit de près.

FLEUR : (soupire) Les croisières sur le bateau de maman sont toujours ennuyeuses. J’ai envie de danser, de m’amuser. Pas toi, Hubert ? HUBERT : (sans enthousiasme) Pas vraiment, chérie. J’ai le mal de mer. (nauséeux) Tu ne sens pas comme ça balance déjà, même à quai ? FLEUR : (danse en se balançant) J’adore ! (en manipulant le phonographe) Si tu dois vomir pendant tout le voyage, pourquoi as-tu accepté de venir ? HUBERT : Ta mère envisage de modifier son testament. FLEUR : (aperçoit Cyrielle, s’immobilise et toussote) Hum... Hum... HUBERT : Hum hum ? Exprime-toi, chérie. FLEUR : Hum hum... HUBERT : Tu as un problème ? CYRIELLE : Oui, monsieur Hubert. (Hubert sursaute en l’apercevant) C’est moi le problème. Méfiez-vous : les murs ont des oreilles. Mais aussi des pieds, donc je sors. Continuez vos messes basses sans moi. HUBERT : Quel culot ! CYRIELLE : (moqueuse) A tout à l’heure, monsieur Hubeeeeeeeert ! (sort)

HUBERT : Cette Cyrielle, je n’ai jamais pu la supporter. Pour qui se prend-elle ? As-tu entendu comment elle s’est moquée de moi ? FLEUR : Hubeeeeeeeeert. Elle n’a pas tort, tu es doux comme un mouton. De toute façon, ma mère ne peut pas s’en passer. Cyrielle Malicorne est... FLEUR et HUBERT : (en imitant Germaine) Ir-rem-pla-ça-ble ! FLEUR : (en mettant un disque) Armstrong, j’adore ! Musique. Fleur se met à danser le charleston. HUBERT : Chérie, ce n’est pas le moment. FLEUR : (en dansant) C’est toujours le moment de danser ! Allez, viens, Hubert ! HUBERT : Pas maintenant, j’ai l’estomac dans les talons. Quand j’ai faim, mon tempérament d’escargot reprend le dessus, tu le sais bien. FLEUR : (en dansant) Et si j’insiste, tu ne vas pas tarder à rentrer dans ta coquille. (rit) Ce que tu peux être gastéropode, mon chou. (s’arrête de danser) Que racontais-tu à propos du testament ? HUBERT : Ta mère manigance quelque chose. FLEUR : Tu as trop d’imagination, mon petit chou.

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HUBERT : J’ai surpris des bribes de conversation. Si ta sœur Amélie accepte d’épouser le docteur Mortadelle... FLEUR : Mirambo. HUBERT : ... Le docteur Mirambo ou bien je ne sais quel explorateur, c’est elle qui aura les deux tiers de l’héritage sous prétexte qu’elle est l’aînée. FLEUR : Tant mieux pour elle. Amélie n’a pas un sou. HUBERT : Nous non plus. FLEUR : (réfléchit) Tu n’as pas tort. HUBERT : J’ai toujours raison, aussi vrai que je m’appelle Hubert de Rocaille. FLEUR : Je ne vois pas le rapport. HUBERT : Moi, non plus, chérie. FLEUR : Et si Amélie envoie promener les deux prétendants ? HUBERT : Ta mère la déshérite. FLEUR : (se remet à danser) Il suffit d’empêcher ce mariage et nous aurons tout. Le navire, les bijoux et le reste. HUBERT : Tu devrais interroger son docteur, mine de rien. Ta mère a une santé de fer. J’ai bien peur qu’elle nous enterre tous. FLEUR : Alors pas de navire, de bijoux et le reste ! (rit) Fleur entraîne Hubert à danser ; il n’est pas très doué.

HUBERT : Ça te fait rire ? FLEUR : (rit) Oui. Pas toi, mon chou ? HUBERT : Non. FLEUR : Au fait, Hubert, que comptes-tu faire pendant cette croisière ? HUBERT : Peindre quelques toiles, mon amour, et les vendre à Corentin Bouchon. FLEUR : Qui ? HUBERT : Le richissime voyageur. Ta mère n’a plus que son nom à la bouche, ma petite Fleur. N’oublie pas que je suis un peintre à la mode. FLEUR : A la mode de Bretagne. A part trois menhirs déstructurés, tu n’as pas vendu grand-chose cette année. HUBERT : (vexé) Merci de me le rappeler, chérie. Entre Claire Calvin.

CLAIRE : Bonjour, madame. Bonjour, monsieur. FLEUR : (dansant toujours) Bonjour. Venez danser ! Vous allez adorer. (Claire refuse d’un geste) Vous devez être une invitée de ma mère ? CLAIRE : Pas du tout. (se présente) Claire Calvin, une cousine de votre skipper, Guy Lambertini. Comme on annonce pas mal de vent, Guy préfère que je lui donne un coup de main. HUBERT : Ciel, du vent ? Je fais mes bagages et je redescends sur la terre ferme.

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FLEUR : Chic, du vent ! On va être secoués comme des bouchons. (rit comme une écervelée) Des Corentin Bouchon ! Qu’est-ce que je suis drôle... HUBERT : Fleur ! Arrête ! CLAIRE : Nous n’affronterons pas une tempête, juste un petit grain, rassurez-vous. Voulez-vous monter sur le pont car nous n’allons pas tarder à appareiller ? FLEUR : Oh, oui ! Sur le pont, c’est le pompon ! (rit) Tu viens, mon chou ? HUBERT : Non, je vais commencer à peindre. L’inspiration est au rendez-vous. (imagine en mimant) J’ai déjà le titre : « Vague à l’âme ». Une femme tombe à la mer et se noie. Son âme nage entre deux eaux. FLEUR : Le tout déstructuré, évidemment ? HUBERT : Evidemment, mon amour. Tous trois sortent.

Scène 3 (Guy, Claire, Fleur, Corentin, Cyrielle, Ilona, Nicole, Alice)

Musique. Sur le pont du navire : Guy et Claire s’activent. Fleur gesticule, toute contente ; Corentin fait de grands gestes et semble lui expliquer quelque chose (sans doute en rapport avec ses voyages), il lui fait utiliser sa paire de jumelles. Sur scène : Ilona (la nièce) rejoint Cyrielle ; toutes deux finissent de préparer l’apéritif. Alice les rejoint ensuite, les salue, puis s’installe en position de méditation. GUY : Larguez les amarres ! CLAIRE : Amarres larguées ! GUY : Paré à appareiller ? CLAIRE : Paré ! Musique suite. Nicole passe sur le pont cherchant quelque chose dans tous les coins.

FLEUR : (à Nicole) Tu as un problème, tante Nicole ? NICOLE : Elle a encore disparu. Plus moyen de mettre la main dessus. CORENTIN : Nous pouvons certainement vous aider, mademoiselle Pichou. De quoi s’agit-il ? (Fleur se penche vers lui et lui chuchote quelques mots à l’oreille) Pardon ? Je n’ai pas compris. NICOLE : Fleur, je n’ai pas besoin d’une interprète. FLEUR : C’était juste pour te rendre service, tante Nicole. Je te laisse avec le célèbre explorateur, Corentin Bouchon. Il va adorer tes explications. (s’éloigne, salue les uns et les autres, puis disparaît) NICOLE : Explo ? Exploraté ? Drôle de métier. CORENTIN : Rateur, pas raté, chère mademoiselle. Décrivez-moi ce que vous avez perdu. NICOLE : Elle a beaucoup de valeur.

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CORENTIN : Je n’en doute pas une seconde. Mais encore ? NICOLE : Elle est parfois dans les nuages. Prêtez-moi donc vos jumelles, monsieur Rateau. CORENTIN : (en lui passant ses jumelles) Bouchon, Corentin Bouchon. NICOLE : Si ça peut vous faire plaisir, monsieur Bouteille. (pointe les jumelles vers les nuages) Non, elle n’est pas là-haut. (lui rend les jumelles) Elle a dû rouler sur le pont. CORENTIN : Ah, c’est une balle ou une boule... quoique les boules ne s’égarent pas dans les nuages... NICOLE : Vous me soupçonnez d’avoir perdu la boule ? CORENTIN : Absolument pas. J’ai simplement un peu de mal à vous suivre, mademoiselle Pichou... NICOLE : Me suivre ? Vous êtes donc détective, monsieur Bouteille. Il fallait le dire tout de suite, vous me serez très utile. Corentin et Nicole passent près de Claire et le skipper Guy qui est à la barre. GUY : (discrètement à Corentin) N’insistez pas, c’est peut-être contagieux. CORENTIN : Contagieux ? Depuis le temps que je voyage, je suis immunisé. NICOLE : (regarde par-dessus bord) Elle a dû tomber à la mer... (puis continue à chercher partout) Ohé ! Ohé ! GUY : (discrètement) C’est de l’histoire ancienne. (en la montrant) La pauvre Nicole Pichou devait se marier avec Léon de la Roseraie, mais Germaine réussit à lui mettre le grappin dessus. Du coup, Nicole ne s’en est jamais remise. CLAIRE : Germaine, la propriétaire de ce yacht ? GUY : Oui, ma patronne. Germaine Choupi, la grande actrice de théâtre. CLAIRE : Choupi, c’est Pichou à l’envers ? GUY : Exactement. Germaine Choupi de son nom de scène est la sœur de Nicole Pichou. CLAIRE : Germaine ne joue plus depuis une dizaine d’années, n’est-ce pas ? CORENTIN : Tout à fait, tout à fait. Elle ne voulait pas que le public voie son idole vieillir. Mais quel est le rapport avec l’objet que nous recherchons ? GUY : Depuis cette époque, Nicole a perdu la tête et passe son temps à la chercher. CORENTIN : Pauvre femme. CLAIRE : Elle n’en veut pas à sa sœur de lui avoir gâché la vie ? GUY : Je l’ignore. Claire, au fait, as-tu vérifié la drisse de grand-voile ? CLAIRE : J’y vais. (s’éloigne) CORENTIN : (se dirige vers Nicole) Chère mademoiselle... NICOLE : Ça y est, monsieur Bouteille... CORENTIN : Bouchon, Corentin Bouchon.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 51/83

NICOLE : Si ça peut vous faire plaisir, monsieur Bouché. Ça y est, je l’ai retrouvée. (touche sa tête) Elle avait fait un tête-à-queue sur le pont d’Avignon. Je viens de la revisser. (elle part)

CORENTIN : (en hochant la tête) Je n’aurais jamais imaginé cela de la part de Germaine de la Roseraie... L’habit ne fait pas le moine. Même les robes de haute couture... Mais ce n’est pas mon problème. J’ai autre chose à faire... (s’en va)

Scène 4

(Cyrielle, Ilona, Alice, Lucienne, Dany Mirambo, Guy, Claire)

Sur le pont : Guy et Claire se relaient pour barrer. Puis Claire va s’en aller à un moment.

Sur scène : Cyrielle et Ilona continuent d’aller et venir. Alice fait de la méditation. CYRIELLE : Ilona, peux-tu aller chercher le grand plateau qui est dans la cuisine ? ILONA : Avec ce qu’il y a dessus ? CYRIELLE : Evidemment. Canapés, petits fours... ILONA : J’aurai le droit d’en manger ? CYRIELLE : S’il en reste à la fin de l’apéritif. ILONA : Ce n’est pas juste. (boude) CYRIELLE : C’est la vie ! ILONA : Je préférerais avoir la vie de ta patronne, tante Cyrielle. CYRIELLE : Alors tu y vas ? ILONA : Où çà ? CYRIELLE : (agacée) Chercher le plateau en ne touchant à rien. ILONA : (en aparté) Chercher le plateau, oui... Sans rien toucher ? Ça m’étonnerait... Ilona sort.

LUCIENNE : (déclame en arrivant) Ma mère est sur la mer et mon père est amer. Qui a commis l’impair ? C’était un jour impair. J’étais imperturbable... (s’interrompt en voyant Cyrielle) Cyrielle ! Je suis heureuse de vous revoir. Comment allez-vous ? CYRIELLE : Bonjour, madame Lulu... pardon, madame Aliéba. LUCIENNE : Ah, non ! Depuis le temps que nous nous connaissons. CYRIELLE : Vous savez bien que madame Germaine ne supporte pas les familiarités. LUCIENNE : Tant pis pour elle ! Ce n’est pas parce qu’elle est ma meilleure amie qu’elle doit faire la pluie et le beau temps. CYRIELLE : Le beau temps ? Hum... Avec elle, c’est souvent l’orage ! LUCIENNE : Cela doit vous peser, ma pauvre Cyrielle. CYRIELLE : Je brandis mon parapluie.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 52/83

LUCIENNE : Invisible ? CYRIELLE : Ça dépend des jours. Parfois, j’emploie les grands moyens. (sort son parapluie à ouverture automatique et fait sursauter Lucienne) Très efficace, madame Lulu, je vous le recommande. LUCIENNE : Mais c’est terriblement dangereux, Cyrielle. Vous savez bien que Germaine est cardiaque. CYRIELLE : Première nouvelle ! Elle a le cœur dur comme la pierre. LUCIENNE : Interrogez donc son docteur. CYRIELLE : Le docteur Mirambo ? Vous n’y pensez pas, madame Lulu. DANY : (en arrivant) Docteur Dany Mirambo, présent ! Vous parliez de moi ? CYRIELLE : Non, non... LUCIENNE : Oui, oui ! Je disais que Germaine est cardiaque. N’est-ce pas, docteur ? DANY : Secret médical. (fait le baisemain à Lucienne) Enchanté de vous rencontrer, madame. LUCIENNE : Lucienne Aliéba. Mon nom ne vous dit rien ? DANY : Non, désolé. ALICE : (sans bouger, toujours dans la même position) La grande poétesse. LUCIENNE : (sursaute) Ah, un zombi ! CYRIELLE : C’est Alice Lenoir, la filleule de madame Germaine. LUCIENNE : Je ne vous avais pas reconnue. Bonjour, Alice. ALICE : (idem) Bonjour. CYRIELLE : Elle a passé un an dans un coin perdu avec Eve et le reste. ALICE : (idem) Non loin du mont Everest, dans l’Himalaya... Qui atteindra un jour ce sommet, le plus élevé du monde ? DANY : Sûrement pas moi. (en la saluant) Enchanté, mademoiselle. (se présente) Docteur Mirambo, inventeur de l’œuf-hypnose. LUCIENNE : Ah, vous aimez faire la cuisine, docteur ? Moi aussi ! (déclame) L’œuf était sur le plat et riait aux éclats... CYRIELLE : L’œuf-hypnose ? Ça doit être lourd à digérer. ALICE : (idem) Hypnose ? Ça m’intéresse. DANY : Je vous œuf-hypnotiserai quand vous le souhaiterez, mademoiselle. ALICE : (idem) Alice. DANY : Mademoiselle Alice. LUCIENNE : (déclame) Alice, délices, ambassadrice, quel artifice ! (s’arrête) Moi aussi, docteur, j’aimerais être œuf-hypnotisée si ça ne fait pas trop grossir. DANY : J’organiserai une séance générale.

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CYRIELLE : (grogne en sortant avec un plateau) Pas question que ma cuisine soit envahie. C’est mon domaine. Ils n’ont pas intérêt à me prendre des œufs. Qui vole un œuf, vole un bœuf ! Y a pas de bœuf sur ce voilier... DANY : (regarde sa montre) Oh, je dois rejoindre notre hôte dans sa cabine pour... (s’interrompt) Secret médical ! (sort)

Ilona revient avec le plateau, en se léchant les babines, l’air ravie. Elle dépose le plateau sur le buffet.

ILONA : (en aparté) Hum... Les canapés à la crème de saumon ! Un vrai délice ! Le plateau paraît un peu vide, mais personne ne s’en rendra compte. Ilona s’essuie la bouche et sort. Alice se lève lentement. LUCIENNE : (en aparté) Germaine a toujours eu un problème de cœur. Il n’y a pas besoin d’être docteur pour le savoir. Sinon elle n’aurait pas volé l’amoureux de sa sœur. (déclame en sortant) Amour, toujours ! Amour sans détour ! Amour des sous et des bijoux ! Amour, amour, tu nous rends fous... (s’arrête et réfléchit) Bijoux ? Germaine ne s’en sépare jamais. Je me demande bien où elle a caché ses perles et son or. Il y en a pour une petite fortune. (sort)

Scène 5 (Alice, Cyrielle, Ilona, Marcel, Ernestine, Vicky, Nicole, Guy, Amélie)

Musique. Sur le pont : Guy à la barre. Amélie le rejoint et lui parle (tous deux se trouvent dos aux spectateurs pour qu’on ne voie pas leurs visages), ils gesticulent par moments comme s’ils se disputaient ; puis Amélie s’en va.

Sur la scène : Alice fait de lents mouvements (style taïchi). Cyrielle et Ilona passent par moments prendre ou déposer quelque chose.

ALICE : Quelle galère, cette croisière ! Ce sera vite passé. Heureusement que je partage ma cabine avec Nicole, ffff... Il a fallu que j’insiste pour ne pas être avec Amélie. Evidemment, ma marraine est la seule à avoir sa cabine individuelle. Toujours aussi égoïste.... Elle ne s’arrange pas en vieillissant. Ernestine et Marcel entrent sur scène. ERNESTINE : Bonjour, mademoiselle. MARCEL : Bonjour. Nous sommes désolés d’interrompre votre monologue. Vous disiez ? ALICE : Rien. (se présente) Alice Lenoir. Je suis la filleule de Germaine. MARCEL : Enchanté, mademoiselle Lenoir. (montre Ernestine) Mon épouse, Ernestine... Et moi-même, Marcel Padechance. J’étais son impresario. ALICE : Ah ? ERNESTINE : Ernestine Padechance. ALICE : Padechance ? ERNESTINE : Pas... de chance... (soupire) En effet, je n’en ai jamais eu.

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MARCEL : Son nom de scène était Ernestine tout court. Mon épouse était actrice comme notre hôte. Sa remplaçante potentielle... Hélas Germaine n’était jamais malade et Ernestine restait presque toujours dans les coulisses, car Germaine en avait décidé ainsi. Les directeurs de théâtre acceptaient tous ses caprices, car ils avaient trop peur de voir la célèbre actrice s’envoler chez leurs concurrents. ERNESTINE : En effet, jamais malade. Hélas pour moi, tant mieux pour elle. MARCEL : Tu es trop gentille, Ernestine. Je te l’ai dit des milliers de fois. Il serait temps que tu redresses la tête. N’est-ce pas, mademoiselle Lenoir ? ALICE : Bien sûr. ERNESTINE : C’est trop tard, Marcel. MARCEL : Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Alice approuve de la tête, puis quitte la scène en faisant des mouvements de taïchi, et réapparaît sur le pont.

Marcel s’assoit, sort un jeu de solitaire qu’il pose sur une table et joue. Ernestine s’assied à côté de lui et l’observe.

ERNESTINE : Je me demande pourquoi Germaine nous a invités sur son bateau... MARCEL : Pour se moquer de toi, Ernestine. Ce ne serait pas la première fois. ERNESTINE : Oh, Marcel ! Tu vois le mal partout... MARCEL : Germaine de la Roseraie a toujours été une garce, je ne vois pas comment elle pourrait devenir un ange du jour au lendemain. Gare à elle si elle te lance des piques comme elle sait si bien le faire. Je commence à regretter qu’on ait accepté de passer une semaine sur ce bateau... Maintenant, il est trop tard pour sauter à l’eau. ERNESTINE : Sauter à l’eau ? MARCEL : On aurait dû apprendre à nager avant de venir. Ernestine hoche la tête, pensive.

Sur le pont. Arrive Nicole. Guy les regarde et les écoute, mi-figue mi-raisin.

NICOLE : Où est-elle encore passée ? Je vais finir par m’en débarrasser définitivement. ALICE : Un problème, tante Nicole ? NICOLE : Ça se voit, non ? Je n’ai plus les yeux en face des trous. ALICE : Votre tête vous joue des tours ? NICOLE : C’est une vraie tête à claques. ALICE : J’ai la solution. (fait semblant de lui donner deux claques) NICOLE : Aïe ! (se touche les joues) Ah, elle est revenue, comme par magie. ALICE : Grâce à moi, tante Nicole. NICOLE : Merci, ma petite Malice.

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ALICE : Alice. Vous êtes une femme de tête, tante Nicole. Arrêtez de vous laisser mener par le bout du nez. Pour éviter que votre tête se carapate, vous devriez la mettre en laisse. NICOLE : En laisse ? Bonne idée ! (sort) Vicky la croise sur le pas de la porte et lui sourit, puis elle écoute discrètement Alice.

ALICE : Je parie qu’elle va se mettre la corde au cou par provocation. Moi, à sa place, c’est au cou de Germaine que j’aurais passé une corde. Je l’aurais étranglée sans regret. (mime au ralenti en faisant des mouvements de taïchi avec ses jambes) Oui, c’est ce que je ferais si ma sœur me piquait mon fiancé... Heureusement que je n’ai ni sœur ni fiancé. VICKY : (parle avec un fort accent anglais) Comme c’est intéressant ! Bonjour, mademoiselle. ALICE : Bonjour, madame. Je réfléchissais à voix haute... VICKY : (lui tend la main) Miss Vicky Whitehall. How do you do ? ALICE : Alice Lenoir, la filleule de Germaine. VICKY : Vous ne la portez guère dans votre cœur. ALICE : Qui ? Germaine ? Elle est invivable. Rares sont ceux qui l’aiment vraiment... sauf son amie Lucienne. VICKY : Comme c’est intéressant. ALICE : Pourquoi ? VICKY : J’écris une biographie de l’ex-grande actrice, Germaine Choupi, pour un éditeur londonien, passionné de théâtre. ALICE : Je veux rester en bons termes avec ma marraine. Vous n’avez pas intérêt à écrire ce que je viens de dire. VICKY : Au contraire, Alice, je recherche des témoignages comme le vôtre et je m’en servirai dans mon livre. N’ayez crainte, je ne citerai pas votre vrai nom. ALICE : Vous le regretteriez ! VICKY : Je vais essayer de mieux comprendre la personnalité de Germaine. Vue de l’extérieur, elle semble charmante, adorable, extraordinaire... ALICE : Grattez un peu le masque de théâtre... Vous allez vite déchanter. Mais j’en ai déjà trop dit. VICKY : Comme c’est intéressant. On se croirait en plein roman policier. Une dame d’un certain âge reçoit des amis et de la famille sur son yacht. Elle est tellement détestable que chacun rêve de s’en débarrasser... Et soudain, boum, elle s’écroule morte. Qui est l’assassin ? ALICE : Oh, là, miss Whitehall ! VICKY : Vicky, c’est plus intime. ALICE : Vous êtes biographe ou romancière ? VICKY : Biographe, mais j’ai une imagination débordante. ALICE : Ce n’est pas une raison pour expédier ma marraine dans l’autre monde.

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VICKY : C’était une plaisanterie. Au fait, quand est prévu l’apéritif ? ALICE : Dans dix minutes. Je vais prendre l’air. A tout à l’heure. VICKY : O.K. Alice sort. Vicky sort un carnet et un crayon, et prend des notes, l’air ravie.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 57/83

Acte II Scène 1

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Vicky, Cyrielle, Ilona, Germaine, Dany, Lucienne, Marcel, Ernestine)

Musique. Comme pour l’acte I : on peut voir à la fois ce qu’il se passe sur le pont côté gouvernail et dans le carré du bateau (salle commune, sur scène).

Sur le pont : Alice fait quelques mouvements de taïchi ; Guy à la barre, Amélie vient lui parler (puis rejoindra le carré avec Corentin) ; Claire et Nicole également.

Pendant la scène 1, dans le carré : Cyrielle et Ilona reviennent, déposent des plats ou autres sur le buffet. Peu à peu, les passagers arrivent ; Cyrielle et Ilona leur offrent un verre. Ordre d’arrivée des passagers dans le carré pendant la scène 1 : Vicky (déjà présente), Cyrielle et Ilona, Germaine qui régente tout, Marcel, Ernestine, Dany, Amélie, Lucienne, Corentin, Claire, Nicole.

Sur le pont :

Alice fait quelques mouvements de taïchi sans prêter attention à ce qui l’entoure. Guy est à la barre ; Amélie le rejoint et parle discrètement.

AMÉLIE : Guy, as-tu réfléchi à ce que je t’ai dit tout à l’heure ? GUY : Je t’ai déjà répondu, Amélie. (élève la voix, ce qui fait réagir Alice) Nous nous sommes mis d’accord hier. On ne va pas en reparler. AMÉLIE : Moins fort. On n’est pas seuls. GUY : Tu ferais mieux d’aller dans le carré. C’est l’heure de l’apéritif. AMÉLIE : Je m’en moque. GUY : Tu as tort, ce serait le moment idéal. Pas d’entourloupe, je veux que les choses soient claires. AMÉLIE : Au fait, j’ai croisé l’un de mes deux prétendants : le docteur Mirambo, plutôt mignon. (Guy fronce les sourcils) Quant à l’explorateur, je ne sais pas à quoi il ressemble. GUY : A un type sûr de lui. Il paraît que son grand-oncle, un riche producteur de céréales, lui a légué une fortune. On n’est pas tous égaux... Moi, mon oncle cultive son jardin et n’a pas un radis. AMÉLIE : (avec une grimace) Très drôle. GUY : Tiens, le voilà Corentin Bouchon, ton grand voyageur. Arrive Corentin Bouchon qui s’approche d’Amélie. CORENTIN : Ah, bonjour, mademoiselle ! Vous êtes certainement Amélie de la Roseraie. Encore plus belle que sur les portraits que j’ai pu admirer ! GUY : (discrètement, à Amélie) Côté baratin, il est fort, très fort...

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AMÉLIE : (à Guy) Chut. (à Corentin) Vous êtes trop aimable, monsieur. CORENTIN : Appelez-moi Corentin. GUY : (idem) Ben, voyons. AMÉLIE : (à Guy) Chut. CORENTIN : (joue les charmeurs) Votre père était un voleur... AMÉLIE : (interloquée) Pardon ? CORENTIN : Il a pris toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans vos yeux. (Amélie rit) GUY : (idem) Très très fort... AMÉLIE : (à Guy) Chut ! CORENTIN : Que dites-vous, belle Amélie ? AMÉLIE : Flûte... CORENTIN : Flûte ? Quelle idée pétillante, poétique et rafraîchissante ! GUY : (idem) De plus en plus fort... (Amélie le fait taire en lui jetant un regard noir) CORENTIN : Allons de ce pas boire une flûte de champagne. Les étoiles de vos yeux se reflèteront dans les bulles. GUY : (idem) Vraiment trop fort. Je sens que je vais craquer. Corentin se retourne. Amélie en profite pour faire comprendre en silence à Guy qu’il exagère, puis elle accompagne Corentin. Tous deux disparaissent et réapparaîtront ensuite dans le carré. Guy a l’air mécontent.

ALICE : (s’approche de Guy et lui montre par gestes comment être zen) Ce bonhomme est horripilant, je vous l’accorde. Faites appel à la méditation ! Zen... Monsieur Lambertini, zen... GUY : Zen ? (essaie) Ça me donne envie de rejoindre les flûtistes (mime les buveurs de champagne). Vous m’accompagnez ? ALICE : Volontiers. Mais qui dirigera le bateau ? GUY : Le pilote automatique. (installe le pilote automatique tout en donnant des explications) C’est un nouveau système que j’ai amélioré. De toute façon, je ne vais pas m’absenter longtemps. Nicole traverse le pont en cherchant sa tête.

NICOLE : Ohé, ohé ! J’aurais dû la mettre en laisse. Ohé ! Où te caches-tu encore ? CLAIRE : (arrivant) Mademoiselle Pichou, votre sœur vous demande de rejoindre tous les invités dans le carré. NICOLE : Pas sans ma tête ! Ohé ! (Alice fait semblant de lui donner des claques) Aïe ! (se tâte les joues) Elle est revenue. (à Claire) Je vous suis. GUY : (à Claire) Nous aussi.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 59/83

Claire emmène Nicole. Guy et Alice les suivent de près. Tous les quatre vont réapparaître sur la scène dans le carré au début de la scène suivante, après Fleur et Hubert.

Scène 2

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Vicky, Cyrielle, Ilona, Germaine, Marcel, Ernestine, Dany, Lucienne, Fleur, Hubert)

Fleur et Hubert arrivent dans le carré (avant Guy, Alice, Nicole et Claire — les autres s’y trouvent déjà). Cyrielle et Ilona leur proposent du champagne. HUBERT : (prend une flûte) Merci. FLEUR : (prend une flûte qu’elle vide rapidement) C’est lugubre, ici ! (pose la flûte et va mettre un disque vinyle) Armstrong, j’adore ! Fleur se met à danser le charleston. Hubert est un peu gêné. Germaine a l’air mécontente, les autres sont surpris et Cyrielle se réjouit tandis qu’Ilona frétille sur place. FLEUR : Allez ! Venez danser ! GERMAINE : Fleur ! On ne s’entend plus. Ta soi-disant musique nous casse les oreilles ! FLEUR : A Paris, ça fait fureur, maman ! Allez ! Venez ! HUBERT : Fleur chérie, tu danseras plus tard. FLEUR : Mon chou, il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même. Germaine grimace. Fleur prend la flûte d’Hubert qu’elle pose sur le buffet, puis entraîne son mari (qui danse toujours aussi mal).

AMÉLIE : Fleur a raison ! N’est-ce pas, Corentin ? CORENTIN : Tout à fait, tout à fait, belle Amélie ! J’ai remporté la flûte du meilleur danseur de Charleston l’an passé. AMÉLIE : La flûte ? CORENTIN : C’est de l’humour ! J’ai beaucoup d’humour et d’amour... J’ai bien sûr remporté la coupe du meilleur danseur. AMÉLIE : (moqueuse, en aparté) Fort, très fort... CORENTIN : Que dites-vous, chère Amélie ? AMÉLIE : Que vous êtes très fort. Vous avez suivi des cours ? CORENTIN : (content de lui) Pas du tout, c’est inné. Amélie et Corentin dansent également. Dany Mirambo les rejoint. DANY : (en aparté) Ce Corentin Bouchon est épouvantable. Pas question de le laisser seul avec Amélie de la Roseraie. Je ne veux pas être le prétendant éconduit.

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LUCIENNE : (déclame) Et moi, et moi, et moi ? Je suis un petit rat, un rat de l’Opéra. Et moi ? Attendez-moi ! (rejoint les danseurs) VICKY : (à Germaine) Cette drôle de femme parle toujours de cette façon-là ? GERMAINE : Hélas, oui. C’est mon amie d’enfance, Lucienne Aliéba, qui se prend pour une grande poétesse. Un jour, les mots lui resteront en travers de la gorge et elle mourra étouffée. Entre nous, c’est ce que je souhaite... Elle commence à m’épuiser. VICKY : Comme c’est intéressant ! (griffonne quelques mots sur son carnet — en aparté :) Nous sommes treize sur ce navire si l’on met de côté le skipper, sa cousine et la nièce, beaucoup trop jeune pour jouer les assassins dans un roman policier... Treize, nombre fatidique ! J’attends la suite avec impatience. Arrivent Guy, Alice, Nicole et Claire. Cyrielle et Ilona leur proposent du champagne. Tous les quatre prennent une flûte et les remercient. ALICE : C’est la fête ici ! CYRIELLE : Ça vous change de l’Himalaya, mademoiselle Alice ! ALICE : Une fois de temps en temps, je ne dis pas non. Qui est cette jeune personne ? CYRIELLE : Ma nièce Ilona. ILONA : Bonjour, mademoiselle Alice. Comme nous sommes nombreux sur le bateau, j’aide tante Cyrielle. ALICE : Je parie que tu adores danser. ILONA : Ça oui. Mais il paraît qu’ici, je n’ai pas le droit. Ce n’est pas juste. (boude)

ALICE : Vous aussi, Cyrielle, vous aimez danser ? CYRIELLE : En cachette, quand madame Germaine ne s’en aperçoit pas. ALICE : Vous avez bien raison. (à Guy, Nicole et Claire) Et vous ? GUY : Je déteste me trémousser. CLAIRE : Moi aussi. ALICE : Et vous, tante Nicole ? NICOLE : Sans tête, je ne verrais pas où je mets les pieds. ALICE : (fait semblant de lui donner deux claques) C’est mieux comme ça ? NICOLE : Aïe ! (tâte ses joues) Parfait. Merci, ma petite Malice. ALICE : Alice. Alice pose sa flûte et celle de Nicole, puis toutes les deux rejoignent les danseurs. Dans un coin, Marcel et Ernestine ont l’air de s’ennuyer. Du coup, ils n’arrêtent pas d’aller picorer sur le buffet. MARCEL : Les voilà qui dansent sur cette musique de fous ! Franchement, Ernestine, qu’est-ce qu’on est venus faire dans cette galère ? ERNESTINE : On pourrait essayer de faire connaissance... MARCEL : Connaissance ? Je n’ai aucune envie de papoter avec les filles de Germaine qui t’ont toujours regardée de haut...

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 61/83

ERNESTINE : On ne se rencontrait jamais. MARCEL : Ce n’est pas une raison ; elles auraient pu faire un effort. Quant aux autres... (grimace) La poétesse : pitié ! La journaliste : fuyons ! Le navigateur m’as-tu-vu : encore pire ! Le peintre qui s’emmêle les pinceaux : je déteste ses tableaux ! La filleule (la mime) qui se prend pour un yogi : ridicule ! Le docteur : je n’en ai pas besoin, je suis en pleine forme... ERNESTINE : Ça ne durera peut-être pas, Marcel. MARCEL : Bien sûr que si ! Je suis fait pour vivre centenaire. ERNESTINE : Si tu le dis, mon chéri... MARCEL : Quant à cette garce de Germaine... Si tu ne m’avais pas retenu tout à l’heure quand elle s’est moquée de toi de façon détournée, je l’aurais assommée définitivement... Ernestine calme Marcel du mieux qu’elle peut.

Scène 3

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Vicky, Cyrielle, Ilona, Germaine, Dany, Lucienne, Fleur, Hubert, Marcel, Ernestine)

Certains dansent, d’autres se déplacent.

Cyrielle propose champagne et petits fours ; par moments, elle se met sur le côté et danse discrètement en vérifiant que Germaine ne la voie pas (par exemple, derrière le dos de Germaine), du coup, Ilona fait la même chose, ce qui les fait rire toutes les deux, l’air complices.

Nombreux déplacements ; le public ne doit pas voir exactement ce qui peut se passer. Tous peuvent à un moment mettre quelque chose dans les flûtes (en passant de dos à l’endroit où elles sont posées). GERMAINE : Dans cinq minutes, je vais jeter le phonographe par-dessus bord ! GUY : Ce serait dommage, vous venez de l’acheter. GERMAINE : Je suis allergique à cette hystérie générale. CLAIRE : Je vous comprends. GERMAINE : (écarquille les yeux) Mon médecin s’y met aussi, il me déçoit terriblement. (aperçoit Cyrielle et Ilona qui dansent dans un coin) Et Cyrielle ! C’est un comble ! Elle peut toujours courir pour obtenir une augmentation. Je vais même la lester avec le phonographe et l’offrir aux requins. (se tourne vers Vicky) Et vous, Vicky ? VICKY : Je préfère m’abstenir. Je n’ai aucune envie de finir ma vie dans l’estomac de ces bêtes aux dents pointues. Tout essoufflée, Lucienne s’arrête de danser et rejoint Germaine. GERMAINE : Lulu, tu es ridicule, ce n’est plus de ton âge. LUCIENNE : (déclame) Mais il n’y a pas d’âge pour danser sans mirage ! Et ça me met en rage d’écouter tes verbiages !

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 62/83

GERMAINE : Mes verbiages ? Tu m’insultes ? LUCIENNE : (déclame) Tu n’es pas à la page. Va faire tes bagages. Tu... Tu... Tu... (tousse et s’étouffe)

GERMAINE : (se tourne vers Vicky) Les mots lui restent en travers de la gorge, je l’avais prédit. GUY : (tapote le dos de Lucienne) Voulez-vous un verre d’eau ? LUCIENNE : (montre sa flûte) Ma... Ma... CLAIRE : (saisit la flûte) Vous voulez un peu de champagne ? Lucienne fait signe que oui. Guy la fait asseoir. Claire lui donne sa flûte dont Lucienne finit le contenu. VICKY : Voilà, elle ne tousse plus. Lucienne s’affale sur la chaise en lâchant la flûte. GERMAINE : Les mots lui ont cloué le bec. Elle dort maintenant. Au moins, elle ne parlera plus. VICKY : (en notant sur son carnet) Scène digne d’un roman policier... My God ! Comme c’est intéressant... Guy et Claire se penchent vers Lucienne, l’air inquiet.

GUY : Mais... CLAIRE : Elle ne respire plus. Guy, fais-lui du bouche-à-bouche ! GUY : Sans façon. (à Vicky) Après vous, miss Whitehall. VICKY : Vous n’y pensez pas ! Je n’aime pas les microbes. Claire fait semblant de faire du bouche-à-bouche à Lucienne. Pendant le reste de cette scène et la scène suivante, Germaine a l’air exaspérée.

GERMAINE : Ah, cette Lulu ! Il faut toujours qu’elle se fasse remarquer. Je ne l’inviterai plus à bord de mon yacht. GUY : (appelle) Docteur Mirambo ! DANY : (tout en dansant) Oui ? GUY : Urgence ! DANY : Ça ne peut pas attendre trois minutes ? GUY : Je ne crois pas.

Scène 4 (Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Vicky, Cyrielle, Ilona, Ernestine, Marcel, Germaine, Dany, Lucienne, Fleur, Hubert)

Dany Mirambo rejoint Lucienne et l’examine. Son visage se fige. DANY : Madame Aliéba n’a plus besoin de mes services. VICKY : Sorry ? She’s dead ?

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DANY : Oui, elle est décédée. GUY et CLAIRE : Morte ? (Dany approuve de la tête) GERMAINE : Qu’est-ce qu’elle ne ferait pas pour attirer l’attention sur elle. DANY : (à Claire) Pourriez-vous arrêter le phonographe ? Claire approuve d’un signe et va arrêter la musique. Du coup, tous les danseurs s’immobilisent. FLEUR : (proteste) Ah, non ! Pour une fois qu’on s’amuse ! (à Claire) Qu’est-ce qui vous prend ? (Claire lui montre Lucienne) Lucienne nous joue sa grande scène d’adieu ? L’ex-actrice, c’est maman, pas elle. CYRIELLE : (va ramasser la flûte de Lucienne) Encore une chance qu’elle n’ait pas cassé la flûte en cristal ! (elle se redresse et fixe Lucienne en poussant un hurlement) Aaaaaaaaaaaaaaah ! ALICE : Qu’y a-t-il ? CYRIELLE : Madame Luluuuuuuuuuuuuu ! (s’évanouit) Ilona essaie de ranimer Cyrielle sans y parvenir jusqu’à ce que sa tante reprenne ses esprits. ALICE : Eh bien ? GERMAINE : Finie la poésie. Passons à autre chose. DANY : Madame Aliéba nous a quittés. NICOLE : Quittés ? Acquittés ? Expliquez-moi ce qu’il se passe ! On ne me dit jamais rien. (la montre) Elle est là. AMÉLIE : Tante Nicole, il vaut mieux que tu ailles dans ta cabine voir si ta tête s’y trouve. NICOLE : Ne dis pas n’importe quoi, Amélie ! Pour une fois que ma tête se trouve sur mes épaules. GERMAINE : Enfin une bonne nouvelle. AMÉLIE : Alors, allons voir là-bas si j’y suis. NICOLE : Ça c’est une bonne raison. Amélie entraîne Nicole ; toutes deux sortent. Marcel et Ernestine ne savent pas quoi faire ; ils finissent par sortir, l’air inquiets. DANY : (à Guy, Hubert et Corentin) Pourriez-vous m’aider à transporter madame Aliéba dans la cale ? CORENTIN : Tout à fait, tout à fait. HUBERT : Bien sûr. Heu, si elle n’est pas trop lourde. (se tient le dos) Ah, mon lumbago me reprend... GUY : Je vais plutôt aller faire les manœuvres nécessaires pour rentrer au port. Un grain se prépare. (en aparté) Plus gros que je ne le pensais. J’espère qu’il n’y aura pas trop de dégâts. GERMAINE : La croisière est à l’eau. Merci, Lulu. Tu n’en rates pas une.

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Dany et Corentin emportent Lucienne dans les coulisses. Hubert ne les aide pas vraiment.

Scène 5 (Guy, Claire, Alice, Vicky, Cyrielle, Ilona, Germaine, Fleur, Hubert)

Guy fait signe à Claire de venir l’aider ; tous deux sortent (puis vont réapparaître sur le pont et s’occuper des manœuvres ; Guy détache aussitôt le pilote automatique).

Dans le carré (sur scène) : FLEUR : (déçue) La fête est finie ? ALICE : Ça me semble évident, Fleur. FLEUR : (agacée) Oh, toi et tes remarques ! HUBERT : Fleur chérie, Alice a raison. La situation est dramatique, même si Lucienne Aliéba n’est pas irremplaçable. Allons dans notre cabine. (il entraîne Fleur ; tous deux sortent) Germaine se désintéresse de Cyrielle, agacée par tout ce qu’il se passe.

ALICE : (s’approche de Cyrielle) Cyrielle ! M’entendez-vous ? VICKY : She’s dead ? Elle aussi ? Jamais deux sans trois. Qui sera la prochaine cible ? Comme c’est intéressant... (prend des notes) ALICE : Non, miss Whitehall. Simplement évanouie. (fait semblant de lui donner deux claques, Cyrielle entrouvre les yeux — à Vicky :) Décidément, cette méthode marche à tous les coups. Je devrais la faire breveter. CYRIELLE : J’ai fait un cauchemar... Je vais vous le raconter... ALICE : Ce n’est pas nécessaire. ILONA : Tu m’as fait peur, tante Cyrielle. (montre le buffet) Repose-toi, je vais m’occuper de tout. Cyrielle proteste, l’air de dire « Pas question ». ALICE : Je vais vous aider à ranger le buffet et à préparer le dîner. CYRIELLE : Vous êtes bien gentille, mademoiselle Alice. Je suis encore sous le choc. Ilona regarde à chaque fois la personne qui parle, les yeux de plus en plus écarquillés, la bouche de plus en plus ouverte. VICKY : C’est presque ce que j’ai imaginé tout à l’heure, sauf que je me suis trompée de victime. ALICE : Que racontez-vous ? La pauvre Lucienne a eu une crise cardiaque. VICKY : J’en doute. GERMAINE : Cessez vos élucubrations, miss Whitehall ! Vous êtes ici pour écrire ma biographie, pas pour jouer les apprentis détectives. VICKY : Regardez par terre, là où est tombée la flûte. Drôle de réaction chimique... Ce n’est pas le champagne qui a pu faire ça.

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Cyrielle se précipite pour vérifier.

CYRIELLE : Aaaaaaaaaaah ! C’est épouvantable. Prévenons la poliiiiiiiiiiiiiiiiiiice ! ALICE : Nous sommes déjà loin des côtes. VICKY : (à Germaine) Je crois que votre amie d’enfance a été empoisonnée. GERMAINE : Je parie qu’elle l’a fait exprès. ALICE : Enfin, marraine ! Ne dis pas une chose pareille. VICKY : (feuillette son carnet) J’ai noté quelque chose d’important tout à l’heure... Hum... C’est là... (lit) « Un jour, les mots lui resteront en travers de la gorge et elle mourra étouffée. Entre nous, c’est ce que je souhaite. Elle commence à m’épuiser. » ALICE : Qui a ... ? (Vicky montre Germaine) GERMAINE : Vous avez dû rêver, miss Whitehall. VICKY : Jamais en écrivant, c’est contraire à mes principes. CYRIELLE : (horrifiée) Madame Germaine, vous n’avez quand même pas empoisonné votre amie d’enfance ? GERMAINE : Quelle question ! Son destin s’en est chargé, car elle était empoisonnante. VICKY : Je crains que la police ait besoin d’une réponse plus convaincante. GERMAINE : Vous m’agacez avec vos soupçons d’écrivain de deuxième zone. J’abandonne le projet (tourne le dos à Vicky qui jette à Germaine un regard mauvais) Adieu, Lulu ! On trouvera une poétesse qui aura plus de talent que toi. Ce départ en fanfare m’a fatiguée, je vais me reposer dans ma cabine. (sort)

ALICE : à Vicky) Que c’est triste. Ma marraine est peut-être aussi folle que sa sœur. Vivement qu’on se retrouve sur la terre ferme et qu’on quitte cette galère. (regarde par un hublot) Il y a de sacrées vagues. Le retour risque d’être mouvementé. VICKY : Il n’y en a qu’une que la tempête laissera froide : notre regrettée poétesse. (prend des notes) La police n’aura plus qu’à analyser le contenu de son estomac à l’arrivée... si arrivée il y a. Lucienne Aliéba préférerait sûrement déclamer ses vers au fond de la mer pour initier les poisons... Hi hi, les poissons. Comme c’est intéressant. (puis sort)

Musique. Alice, Ilona et Cyrielle rangent le carré, puis sortent. Noir.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 66/83

Acte III Scène 1

(Guy, Amélie, Claire, Nicole, Germaine, Fleur, Hubert)

Bruitages : tempête. Sur le pont, Guy et Claire se démènent. Dans le carré :

• On voit passer plusieurs fois Nicole qui cherche sa tête et a bien du mal à tenir debout ; à chaque fois, Amélie vient la récupérer et l’entraîne dans les coulisses.

• Fleur passe également dès que Nicole et Amélie disparaissent ; elle a le pied marin, essaie de danser le charleston en chantonnant, a l’air ravie de l’état de la mer. Elle regarde par le hublot et dit à chaque fois : FLEUR : Quelle tempête ! J’adore ! (puis repart en essayant de danser, mais elle perd l’équilibre). La dernière fois, Fleur entraîne Hubert qui titube (le visage maquillé en vert) et tous deux traversent le carré. FLEUR : Quelle tempête ! J’adore ! Pas toi, Hubert ? HUBERT : Non, chérie. Je suis malade, complètement malade... FLEUR : Pour lutter contre le mal de mer, il faut danser... HUBERT : Pitié, chérie... Pas danser... FLEUR : Ou marcher droit devant soi... (fait des zigzags à cause des vagues) Tu comprends, Hubert ? HUBERT : (zigzague) Oui, chérie... Droit devant... FLEUR : Comme sur le plancher des vaches (zigzague) Tu comprends, Hubert ? HUBERT : Je donnerais tous mes tableaux pour meugler avec une vache... Même mon préféré, mon Taureau déstructuré... Meuh... FLEUR : Tu m’écoutes, mon chou ? HUBERT : Oui, chérie... Je ne veux qu’une chose : me mettre au vert... FLEUR : Ah, tu as soif ! Je te sers du blanc ou du rouge ? HUBERT : Non... me retrouver à la campagne, me mettre au vert... FLEUR : (montre le visage d’Hubert en riant) Tu l’es déjà ! (Hubert réagit) Pardon, mon chou, je n’ai rien dit, je l’ai juste pensé à voix haute. (l’entraîne en zigzaguant) Droit devant ! Tu comprends, Hubert ? HUBERT : Oui... Fleur et Hubert sortent au moment où arrive Germaine.

GERMAINE : Alors, mon gendre, en forme ? HUBERT : (zigzaguant, hébété) Oui... (met la main sur la bouche et court vers les coulisses) Non... (disparaît)

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GERMAINE : Fleur, ton mari devrait renoncer aux laitues déstructurées. Ça déteint sur son visage. Il va finir par manger les pissenlits par la racine. FLEUR : Ce que tu es désagréable, maman ! GERMAINE : Je sais... Tout le monde n’attend qu’une chose : que je disparaisse. FLEUR : Tu exagères ! GERMAINE : Contrairement à ta tante Nicole, j’ai les yeux en face des trous. Toi et ta sœur, vous guettez l’héritage, mais vous aurez de drôles de surprises... (s’éloigne vers les coulisses — en aparté :) Seule la personne concernée est au courant. La grande actrice Germaine Choupi va jouer sa dernière scène ! (sort)

FLEUR : Oh, oh... Il faut que j’en parle à Hubert. (en sortant) Mon chou, où es-tu ? Mon chou ! Sur le pont (pendant que Nicole et Amélie repassent dans le carré) :

CLAIRE : Guy, j’ai entendu des craquements bizarres à l’avant du bateau... Tu crois qu’on reviendra vivants au port ? GUY : Je n’en sais rien. C’est une sacrée tempête... CLAIRE : Les passagers paniquent ? GUY : Certains, oui. D’autres, non. En tout cas, il n’y en a qu’une qui reste sereine... CLAIRE : Qui ? GUY : Lucienne Aliéba qui nous déclame ses mémoires d’outre-tombe. CLAIRE : Ce n’est pas drôle ! Bruitages terribles de tempête. La nuit tombe peu à peu.

Scène 2 (Corentin, Guy, Amélie, Alice, Vicky, Cyrielle, Ilona, Ernestine, Marcel, Dany)

Dans le noir complet : Corentin et Cyrielle traversent le carré l’un derrière l’autre (on distingue éventuellement des ombres, mais on ne doit pas les reconnaître).

CYRIELLE : (crie) Aaaaaaaaah ! CORENTIN : (crie) Aaaaaaaaah ! CYRIELLE : Rendez-moi ça ! On entend tomber les perles (collier cassé).

CORENTIN : (crie) Voleuse ! CYRIELLE : Voleur ! Bandit ! Mon parapluie à la rescousse ! CORENTIN : (hurle de douleur) Aaaaaaaaaïe ! Corentin s’enfuit en courant et en faisant du bruit.

Voix de DANY : Que se passe-t-il ?

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Voix d’ALICE : J’ai entendu crier. Voix d’AMÉLIE : Ça venait du carré. Voix de GUY : Tenez ! Prenez ces lampes ! Voix de VICKY : Encore un meurtre... Comme c’est intéressant ! Voix d’ALICE : Taisez-vous, miss Whitehall ! Voix de GUY : Allons-y ! Voix de DANY : Vous abandonnez le bateau ? Voix de GUY : N’ayez crainte, docteur ! La tempête se calme. Ma cousine Claire tient bon la barre. Entrent sur scène en tenant de petites lampes : Guy, Alice, Dany, Amélie, Ilona, Vicky. Cyrielle lâche le parapluie qu’elle tenait à la main.

ALICE : C’est Cyrielle ! ILONA : Ça va, tante Cyrielle ? DANY : Etes-vous blessée, mademoiselle Malicorne ? CYRIELLE : Non, docteur, tout va bien. Mais j’ai eu très peur. GUY : Que faisiez-vous dans le noir ? CYRIELLE : Je suivais quelqu’un qui venait de sortir de la cabine de madame Germaine. VICKY : Le meurtrier, naturellement ! AMÉLIE : Vous voulez dire que ma mère a été assassinée ? VICKY : Of course. D’ailleurs, elle n’est pas parmi nous. AMÉLIE : Vous êtes folle, miss Whitehall ! Ma mère dort avec des boules de cire dans les oreilles, comme Fleur d’ailleurs. Elle n’a pas entendu les cris, tout simplement... et elle n’est pas la seule. GUY : Monsieur Bouchon n’est pas là non plus. Qui partage sa cabine ? DANY : Moi. Il dort profondément, enfoui sous les couvertures. Je ne sais pas comment il arrive à respirer. ALICE : Je vais chercher Marraine ! (sort en courant) Ernestine et Marcel Padechance arrivent dans le carré en tâtonnant.

MARCEL : On a entendu crier. Que se passe-t-il ? GUY : Pas le temps de vous expliquer. MARCEL : Merci. Vous êtes trop aimable. Viens, Ernestine, on retourne se coucher. Guy hausse les épaules, agacé. Marcel et Ernestine ressortent.

VICKY : Qu’y a-t-il par terre ? On dirait des perles... CYRIELLE : Le bonhomme avait volé le collier de madame Germaine. J’ai essayé de le lui prendre. Voyez le résultat ! Madame Germaine sera furieuse. GUY : Le bonhomme ?

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CYRIELLE : C’était un homme, j’en suis sûre. Mais je lui ai fait le coup du parapluie. (le ramasse et le montre) AMÉLIE : C’est-à-dire ? CYRIELLE : (en montrant) Il y a une pointe métallique au bout de mon pépin. (mime) Et vlan, je lui ai piqué la jambe. Du boulot pour vous, docteur. DANY : (regarde la pointe métallique) Des traces de sang... Vous n’y êtes pas allée de main morte. CYRIELLE : Qu’est-ce qu’elle a ma main, docteur ? DANY : Rien. Vous avez dû lui faire sacrément mal à ce voleur. GUY : Félicitations, Cyrielle. Ce sera facile de le retrouver. Si c’est un homme, il ne peut s’agir que de Hubert de Rocaille ou de Corentin Bouchon. VICKY : Le voleur est aussi l’assassin... Comme c’est intéressant !

Scène 3 (Corentin, Guy, Amélie, Alice, Vicky, Cyrielle, Ilona, Dany, Germaine, Nicole)

Alice et Germaine rejoignent le groupe dans le carré. GERMAINE : Qui est mort ? VICKY : Vous... Ah, non. Sorry, pas encore ! GERMAINE : (aperçoit les perles par terre et crie) Aaah ! Mon collier ! Cassé ! Il vaut une vraie fortune. On ne retrouvera jamais toutes les perles... AMÉLIE : Cyrielle a blessé le voleur. Tu peux la remercier, maman. GERMAINE : Pas question. Je ne crois que ce que je vois. (folle de rage) Où est-il ce voleur que je lui arrache les yeux ? AMÉLIE : Calme-toi, maman. GERMAINE : Je suis très calme. (pointe le doigt vers Cyrielle) Cyrielle, vous êtes la seule à avoir la clef de ma cabine ! VICKY : Les bijoux sont donc cachés dans votre cabine, madame de la Roseraie... Comme c’est intéressant ! GERMAINE : Miss Whitehall, nous n’avons pas besoin de vos commentaires. Votre tour viendra ; pour l’instant, je m’adresse à Cyrielle Malicorne ! AMÉLIE : (en aparté) Qui soudain n’est plus du tout ir-rem-pla-ça-ble. GERMAINE : Si c’est vous, Cyrielle, la voleuse... non seulement vous perdrez votre place auprès d’une très grande actrice, mais en plus vous gagnerez une place de choix dans une prison non dorée. CYRIELLE : (offusquée) Oh ! Vous m’accusez de... ALICE : Marraine, enfin ! AMÉLIE : Comment oses-tu soupçonner Cyrielle ? DANY : Je suis témoin : il y a du sang sur le parapluie !

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GERMAINE : Des perles ! Du sang ! Un parapluie ! On n’arrête plus le progrès ! Nicole arrive à la porte du carré ; quelqu’un l’éclaire quand elle parle. NICOLE : Vous n’auriez pas vu ma tête, par hasard ? ALICE : Tante Nicole, vous tombez bien. J’ai besoin de me défouler. (fait semblant de donner deux claques à Nicole) Zen ! NICOLE : (se tâte la tête) Merci, ma petite Malice. ALICE : Alice. Pagaille et tension maximum : VICKY : Please, je peux essayer ? (Alice la retient) Moi aussi, je vais me mettre à la méditation expérimentale... (mime les claques, pas près d’un visage) Pif paf ! AMÉLIE : J’en ai assez ! Je vais finir par claquer la porte. GERMAINE : C’est cela, ma fille. Rentre à la nage papillon ! Profites-en pour nous débarrasser du phonographe sans boire la tasse. DANY : Ça dégénère... Que faire ? Que faire ? GUY : (d’une voix forte) Je vous propose d’aller tous vous coucher. Nous nous retrouverons demain matin dans le carré. DANY : Bien parlé, monsieur Lambertini. GERMAINE : Rendez-vous ici même à 9 heures. (à Guy) Vous préviendrez tout le monde. GUY : Bonne nuit. Tous sortent. Noir complet.

Scène 4

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice,

Vicky, Cyrielle, Ilona, Marcel, Ernestine, Dany, Lucienne, Fleur, Hubert)

Sur le pont : Claire et Guy s’activent. Puis Claire va descendre dans le carré pendant que Guy installe le pilote automatique. Sur la scène : Amélie, Alice, Vicky, Cyrielle, Ilona, Dany, Marcel et Ernestine se trouvent dans le carré. Cyrielle sert thé, café et biscuits aux uns et aux autres. AMÉLIE : La tempête s’est calmée. DANY : Guy Lambertini m’a affirmé qu’il n’y a que peu de dégâts. VICKY : Juste un trou dans la coque. (mime la taille d’un œuf) Un petit œuf à la coque. Les autres se tournent vers Vicky, effrayés.

VICKY : Il ne manquerait plus qu’on coule, ce serait une chute très intéressante. CYRIELLE : (panique) Un naufrage ? ILONA : (avec le sourire) Un naufrage ? Super !

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 71/83

CYRIELLE : (saisit son parapuie) Mon parapluie à la rescousse ! AMÉLIE : (à Cyrielle) Ne paniquez pas, Cyrielle. Il y a un canot de sauvetage. Peut-être pas assez grand pour nous accueillir tous, mais nous tirerons à la courte paille... VICKY : La courte paille comme dans la chanson ! Pour savoir qui qui qui sera mangé... Un œuf à la coque pour treize, si l’on met de côté les navigateurs et la nièce, c’est peu. ILONA : (furieuse) Quoi ? VICKY : (sans se préoccuper de la réaction d’Ilona) Enfin douze depuis que la poétesse nous a abandonnés. Treize à la douzaine... ALICE : Enfin, miss Whitehall ! Vous déraillez ce matin ! (se tourne vers Dany) C’est grave, docteur ? DANY : Je dirais plutôt : comme c’est intéressant ! Rassurez-vous, le trou a été colmaté, monsieur Lambertini me l’a assuré. ALICE : Au fait, docteur Mirambo, vous ne deviez pas nous œuf-hypnotiser ? CYRIELLE : (entre ses dents) Quand les poules auront des dents... AMÉLIE : Pardon, Cyrielle ? CYRIELLE : (boudeuse) Personne ne touchera à la prunelle de mes œufs. Claire quitte le pont pour redescendre dans le carré. Guy installe le pilote automatique.

Nicole arrive à l’entrée du carré, une laisse autour du cou et un œuf (peint) à la main. NICOLE : Vous n’auriez pas vu... Tous se tournent vers Nicole. ALICE : Votre tête, tante Nicole ? NICOLE : Tu plaisantes ? Elle ne risque plus de s’échapper, je la tiens en laisse, ma petite Malice. ALICE : Alice. NICOLE : En la promenant sur le pont, j’ai trouvé cet œuf. DANY : Ça tombe bien, il m’en faut justement un. NICOLE : Non, docteur. J’adore gober les œufs. C’est le mien ! DANY : Je vous le rendrai au centuple, mademoiselle Pichou. NICOLE : Dans ce cas... Nicole tend l’œuf à Dany qui le saisit délicatement. ALICE : La laisse lui réussit. Ça lui remet les idées en place. Encore plus efficace que le système-claques. Je devrais aussi faire breveter cette idée. Claire entre dans le carré.

CLAIRE : Bonjour. (tous la saluent) CYRIELLE : (à Claire) Monsieur Lambertini va-t-il nous rejoindre ? CLAIRE : Mon cousin ne va pas tarder. Il installe le pilote automatique.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 72/83

Cyrielle sert une tasse de thé à Nicole et du café à Claire. Toutes deux la remercient.

DANY : Asseyez-vous tous ! CYRIELLE : (à Claire, discrètement) Le docteur va faire une mini-omelette. Je préférais qu’il aille se faire cuire un œuf en face... CLAIRE : (sourit en montrant la mer par le hublot) En face ? DANY : (insiste en montrant les sièges) S’il vous plaît. Tous s’assoient, sauf Cyrielle.

DANY : Vous aussi, mademoiselle Malicorne. CYRIELLE : Je n’ai pas envie de passer à la casserole. Chaque œuf à sa place prend deux fois moins de place. AMÉLIE : Cyrielle, un petit effort, ça ne mange pas de pain. CYRIELLE : (grommelle) Manquerait plus que ça... (en s’asseyant) J’ai du pain sur la planche... Je ne suis pas en vacances, moi... DANY : Merci, soyez attentifs. AMÉLIE : Au cas où vous l’auriez oublié, Dany : nous attendons avec impatience l’arrivée de notre voleur nocturne. NICOLE : Un voleur ? Quel voleur ? On ne me dit jamais rien. ALICE : Ecoutez, tante Nicole. DANY : (à Amélie) Chère Amélie, ma méthode va nous aider à percevoir des indices imperceptibles. Concentrez-vous ! Fixez l’œuf d’un œil, puis de l’autre. Tous obéissent sauf Nicole qui louche.

NICOLE : Je n’y arrive pas, docteur. (touche sa tête) Même en laisse, elle se rebelle. ALICE : Chut ! J’entends marcher. Ça boite ! Tous se tournent vers la porte et écoutent. On entend marcher quelqu’un qui boite. VICKY : C’est notre voleur. Les paris sont ouverts : Corentin ou bien Hubert ?

Scène 5 (Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice,

Vicky, Cyrielle, Ilona, Marcel, Ernestine, Dany, Fleur, Hubert)

Corentin s’arrête sur le pas de la porte, surpris. Tous le regardent avec un œil noir.

CORENTIN : Qu’avez-vous donc ? AMÉLIE : (durement) Le grand voyageur est blessé ? NICOLE : Pauvre monsieur Bouteille... CORENTIN : (à Nicole) Bouchon. (à Amélie) Merci, belle Amélie, de vous inquiéter pour moi. Ce n’est pas grave. Une simple écorchure... DANY : Simple, hum... Cela mérite sans doute un point de suture.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 73/83

CORENTIN : Merci, docteur. Ce n’est pas nécessaire. (entre) Je peux boire une tasse de thé ? CYRIELLE : Non. (discrètement à ses voisins) Qu’est-ce qu’on fait ? On lui saute dessus ? AMÉLIE : Cyrielle, allez plutôt chercher ma mère dans sa cabine. CYRIELLE : (inquiète) Ah, oui... Madame Germaine qui est toujours si ponctuelle. Elle doit être souffrante. J’y vais... (se lève et sort) On entend des voix. Tous se tournent vers la porte et écoutent. Voix de FLEUR : Dépêche-toi, mon chou ! J’ai horreur d’être en retard. Tout ça à cause de toi. Voix de HUBERT : Je fais ce que je peux, chérie. Voix de FLEUR : C’est terrible, tu ne vas plus pouvoir danser. Voix de HUBERT : Tant mieux... Heu, tant pis. Fleur et Hubert entrent dans le carré. Hubert boite ; tous sont surpris, sauf Corentin qui va se servir une tasse de thé sans regarder les nouveaux arrivants.

VICKY : My God ! Lui aussi... FLEUR : (en se dirigeant vers Dany) Docteur Mirambo ! Pourriez-vous examiner mon Hubert insomniaque ? Il s’est fait mal en tombant cette nuit sur un objet pointu. DANY : Vous l’avez vu tomber ? FLEUR : Bien sûr que non ! Je dormais à poings fermés. AMÉLIE : Hubert est insomniaque, on m’avait caché ça. Pourquoi n’a-t-il pas entendu les cris ? HUBERT : C’est en allant chercher un somnifère que je me suis fait mal, si tu veux tout savoir, Amélie. VICKY : (en aparté) Tiens, tiens... Le somnifère tombe à pic... et la pique tombe sur le voleur. DANY : Montrez-moi ça, monsieur de Rocaille. Ça pourrait s’infecter. HUBERT : Ce n’est rien. FLEUR : Au contraire ! Enlève ton pantalon, mon chou ! HUBERT : Enfin, chérie, un peu de tenue ! On voit passer Cyrielle sur le pont. Elle court vers Guy ; tous deux gesticulent, cherchent visiblement quelque chose, puis quittent le pont. DANY : (se gratte la tête) J’avoue être surpris par cette avalanche d’événements... VICKY : Un meurtre, deux blessés... et ce n’est pas fini ! (prend des notes) Comme c’est intéressant. ALICE : Ça suffit, miss Whitehall ! Ou l’on vous jette par-dessus bord ! VICKY : Tiens, tiens... Je croyais que vous pratiquiez la zénitude, mademoiselle Alice.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 74/83

CORENTIN : Est-ce que quelqu’un pourrait m’expliquer ce qu’il se passe ? Je suis terriblement vexé de votre accueil matinal. Surtout le vôtre, belle Amélie... moi qui ai rêvé de vos yeux étoilés toute la nuit... AMÉLIE : (en aparté) Trop fort, mais je résiste. (à Corentin) Cette nuit, Cyrielle a blessé un homme qui s’était emparé du collier de perles de ma mère. Si ce n’est vous, c’est donc Hubert ! HUBERT : Moi ? Mais je déteste les huîtres, ça me donne le mal de mer, m-e-r ! CORENTIN : (horrifié) Vous me traitez de voleur, Amélie ? Je rentre chez moi immédiatement. NICOLE : (hilare) Une bouteille à la mer ! Une bouteille sans bouchon... avec un message à l’intérieur... ALICE : Chut, tante Nicole. Occupez-vous de votre tête. On entend courir. Tous se tournent vers la porte.

Scène 6

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice,

Vicky, Cyrielle, Ilona, Dany, Marcel, Ernestine, Fleur, Hubert, voix de Gaston)

Guy entre dans le carré, suivi de Cyrielle.

GUY : (blême) Madame de la Roseraie a disparu. Tous écarquillent les yeux.

CYRIELLE : (sous le choc) Evaporée... GUY : On a fouillé tout le bateau. Elle a dû tomber à la mer. CLAIRE : Quand ? Cette nuit ? GUY : Sans doute quand tu étais à la barre, Claire. Moi, je suis sûr que je l’aurais vue passer. VICKY : J’avais raison : une dame d’un certain âge reçoit des amis et de la famille sur son yacht. (tous la regardent, ahuris) Elle est tellement détestable que chacun rêve de s’en débarrasser... Pas de boum, mais un gros plouf ! (en montrant Claire) On l’a forcément poussée... CLAIRE : (prend Guy à témoin) Elle est dingue ! Elle m’accuse... VICKY : (en mimant) Une pichenette... et plouf ! A qui le tour ? FLEUR : (hystérique) Aaaaaah ! CLAIRE : Faites-la taire ! Alice saisit l’œuf des mains de Dany et l’écrase sur la tête de Vicky qui en reste bouche bée. ALICE : Finie la zénitude. AMÉLIE : (à Guy) Il faut rentrer au plus vite. GUY : Je fais ce que je peux. Après la tempête, le vent est tombé. On n’avance plus.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 75/83

HUBERT : (barbouillé) J’ai la jambe et le cœur en compote... Je ne remonterai plus jamais sur un bateau. Je le jure sur la tête de ma belle-mère. CYRIELLE : Là où est madame Germaine, elle ne risque pas de vous contredire, Hubeeeeeeeeeeeert ! Hubert se dirige furieux vers Cyrielle, en boitant toujours.

DANY : (intervient) Monsieur de Rocaille... et vous aussi, monsieur Bouchon, relevez vos jambes de pantalon. CORENTIN et HUBERT : Pardon ? AMÉLIE : Vous avez parfaitement compris. HUBERT : Je n’ai rien volé. CORENTIN : Moi, non plus ! DANY : Alors que craignez-vous ? Corentin et Hubert s’observent, ne sachant comment réagir, puis relèvent en même temps et lentement la jambe de pantalon correspondant à la blessure, pendant qu’Alice chantonne les 4 notes célèbres de la 5e symphonie de Beethoven.

FLEUR : Pauvre chou ! NICOLE : Pauvre exploraté... Tous sont attentifs. DANY : (en examinant les blessures) Deux trous identiques ou presque... correspondant à la pique du parapluie de Cyrielle Malicorne. CORENTIN : Quel parapluie ? HUBERT : Quelle pique ? CYRIELLE : Y en n’avait qu’un, j’en suis sûre. Y a un truc qui cloche... FLEUR : (se tort les mains) L’assassin est à bord. Il va nous éliminer l’un après l’autre... Aaaah ! HUBERT : Mais non, chérie. FLEUR : Et si c’était toi, Hubert, tu me laisserais la vie sauve ? HUBERT : Avec des si, mon amour, on mettrait Paris en bouteille. NICOLE : Bouteille, bouchon ! Quel est le message ? ALICE : Chut, tante Nicole. On entend appeler. Tous s’immobilisent.

Voix de GASTON : Ohé du bateau ! Ohé ! AMÉLIE : (jette un coup d’œil par le hublot) Je ne vois rien. FLEUR : C’est une voix d’homme ! Aaaaah ! C’est l’assassin. HUBERT : Mais non, chérie, l’assassin est à bord, tu l’as dit toi-même. FLEUR : Aaaah ! GUY : J’y vais !

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 76/83

LES AUTRES : Moi aussi ! Musique. Guy sort et rejoint le pont, suivi de tous les autres.

Scène 7

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Vicky, Cyrielle, Ilona, Marcel, Ernestine, Dany, Fleur, Hubert, Gaston)

Tous se retrouvent sur le pont et montrent un endroit dans la salle. Gaston (barbu) leur fait de grands signes, debout dans son canot de sauvetage. Corentin a l’air inquiet. GASTON : Ohé ! Ohé ! GUY : (à Claire) Paré pour les manœuvres ? CLAIRE : Paré ! FLEUR : Qu’est-ce que vous faites ? CLAIRE : On récupère le type, bien sûr. NICOLE : Ah ! Germaine est de retour dans un canot de sauvetage ! Elle s’est transformée en femme à barbe ! AMÉLIE : Enfin, tante Nicole ! C’est un naufragé dont le bateau a dû couler pendant la tempête. DANY : Il a l’air épuisé. (à Cyrielle et Ilona) Allez chercher de l’eau, du pain et un petit remontant, s’il vous plaît. Cyrielle et Ilona approuvent de la tête et disparaissent. Corentin observe, les sourcils froncés, puis va se mettre à l’écart.

GUY : Claire, lance-lui un bout (se prononce boute) ! Claire lance l’extrémité de la corde qui est fixée sur le pont.

CLAIRE : Aidez-moi à le faire monter à bord. Gaston se retrouve sur le pont.

DANY : (en l’auscultant) Vous êtes blessé, monsieur ? GASTON : (fait non de la tête) J’ai soif... et je n’en peux plus. NICOLE : (écarquille les yeux, déçue) Tu as raison, Amélie. Ce n’est pas Germaine. Musique. Cyrielle et Ilona reviennent avec un panier contenant les produits nécessaires. Dany s’occupe du naufragé. GUY : (à Claire) Le canot est bien amarré ? CLAIRE : Oui. GUY : On repart. Le vent se lève un peu... CLAIRE : Tant mieux. J’ai hâte que ce cauchemar s’arrête. GUY : Je vais te laisser la barre. Installe le pilote automatique si tu veux souffler un moment.

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CLAIRE : D’accord. DANY : (à Gaston) Ça va mieux ? GASTON : Oui. Merci à tous. J’ai bien cru que ma dernière heure avait sonné. Mon nom est Gaston Poulaga. (Corentin sursaute et se fait le plus discret possible) AMÉLIE : Nous ferons les présentations plus tard, monsieur Poulaga. Venez d’abord vous reposer dans le carré. Musique. Claire prend la barre. Dany et Guy aident Gaston à quitter le pont. Quand Gaston passe près de Corentin, ce dernier lui tourne le dos, et Gaston semble surpris. Tous trois passent ensuite près de Vicky qui dresse l’oreille, les écoute et prend des notes sur son carnet, l’air satisfaite. Nicole et Hubert se trouvent derrière Vicky et peuvent voir ce qu’elle écrit.

GASTON : (à Dany et Guy) Ce monsieur est un ami à vous ? GUY : Un invité de madame de la Roseraie, feue la propriétaire de ce yacht. Le riche voyageur Corentin Bouchon. GASTON : Bouchon ? DANY : C’est cela, comme le (mime + un bruit de bouteille qu’on débouche) ... de la bouteille. GASTON : Il a détourné la tête quand je suis passé, mais il m’a semblé le reconnaître. GUY : Ah ? GASTON : C’est Corentin Le Poittevin, dit Coco l’escroc. Il n’a pas un sou devant lui. DANY : Un escroc ? GASTON : Je lui ai déjà passé les menottes à celui-là. Il repère les pigeons, vide leur compte en banque et dérobe le reste. GUY : Les menottes ? Vous êtes... ? GASTON : Commissaire Poulaga. GUY : Vous ne pouvez pas mieux tomber. DANY : Votre cure de repos va être de courte durée. Guy, Dany et Gaston disparaissent. Claire installe le pilote automatique.

VICKY : (en aparté — seule Nicole et Hubert peuvent l’entendre) Quelle croisière d’enfer et damnation... Un vrai panier de crabes ! Comme c’est intéressant. J’ai tout compris. Je vais en parler de ce pas au commissaire Poulaga. Puis je me lancerai dans l’écriture de romans policiers et je deviendrai célèbre. Yeeeeeesss ! Musique. Les autres quittent peu à peu le pont, Claire en dernier.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 78/83

Scène 8 (Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Cyrielle, Ilona, Ernestine, Marcel, Dany, Gaston, Fleur)

Pour l’instant, le carré est vide.

Voix de VICKY : (hurle de douleur) Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah ! AMÉLIE : (arrive en courant dans le carré) Qu’est-ce qu’il se passe encore ? FLEUR : (arrive en courant, hystérique) Au secours ! Hubert chériiiiiiiiiiiii ! GUY : (arrive) Qui a crié ? ALICE : (arrive en même temps que Guy) C’était une voix de femme ! (craque et se met à pleurer) Je n’en peux plus... Je n’en peux plus... GUY : Ça va aller, Alice. Zen, méditez. (Alice obéit, en position du lotus) FLEUR : (toujours hystérique) Hubeeeert ! Hubeeeert ! GUY : (à Fleur) Arrêtez de bêler. Fleur continue de bêler en silence en se tordant les mains.

NICOLE : (les rejoint, les yeux écarquillés) Y a quelqu’un qui dort par terre... Et ce n’est pas Germaine. ALICE : (en méditant) Vous rêvez, tante Nicole. Asseyez-vous. Faites comme moi. Nicole fait non de la tête, les yeux toujours écarquillés.

Voix de CYRIELLE : (hurle) Aaaaaaaaaaaaah ! Mon parapluie ! NICOLE : (idem) Elle dort dans le couloir avec un parapluie planté là... (montre son propre cœur) Amélie se serre contre Guy, terrifiée. Fleur s’évanouit.

ALICE : (se lève d’un bond) Quoi ? Dany (le visage blême) et Gaston (très professionnel) entrent dans le carré en soutenant Cyrielle qui tremble comme une feuille. GASTON : Trop tard. L’assassin nous a devancés. DANY : Le parapluie a encore frappé. Miss Whitehall a cessé de vivre. ALICE : (en pleurant) Elle avait raison : jamais deux sans trois... Ça ne s’arrêtera donc jamais ? Je veux retourner dans l’Himalaya... Gaston sort son pistolet de sa poche. Les autres sursautent.

GASTON : (en se présentant) Commissaire Poulaga. Dany Mirambo vient de m’expliquer rapidement la situation. C’est grave, très grave... mais j’ai ma petite idée. Fleur se relève lentement, aperçoit le pistolet, ouvre la bouche comme si elle bêlait. GASTON : Ecartez-vous. Le meurtrier est peut-être armé. Fleur s’évanouit de nouveau. Les autres s’écartent.

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GUY : A la demande du commissaire, j’ai prévenu Claire Calvin, Hubert de Rocaille et Corentin Bouchon qu’on les attendait de toute urgence dans le carré, en précisant que monsieur Poulaga dormait et qu’il fallait éviter de le réveiller. Gaston se place à côté de la porte pour qu’il ne soit pas visible par le prochain arrivant. On entend marcher. Entre Claire qui ne comprend pas. Gaston lui fait signe de rejoindre les autres. Claire se place près d’Alice, non loin de la porte. Puis arrive Ilona, et ensuite Ernestine et Marcel ; Gaston leur fait signe d’aller se placer au fond de la scène et de se taire. On entend boiter. Entre Corentin Bouchon.

GASTON : (pistolet pointé vers Corentin) Haut les mains, mon Coco ! CORENTIN : Tonnerre ! Le poulet ne dort pas. Le piège ! Gaston lui saisit les bras et lui passe les menottes. NICOLE : Pauvre monsieur Bouteille... CYRIELLE : J’avais bien dit que c’était le voleur. A cause de lui, madame Germaine ne me faisait plus confiance et voulait me mettre à la porte. CLAIRE : (entre ses dents) ... Et détruire sa réputation de cuisinière et femme de chambre... Une bonne raison de se réjouir de sa disparition... ALICE : (à Claire, discrètement) Vous croyez ? (Claire approuve de la tête) CORENTIN : (crie) Je ne suis pas un assassin. Je voulais juste piquer le collier, au cas où je n’arriverais pas à épouser l’autre cruche ! AMÉLIE : (furieuse) Il me traite de cruche. C’est fort, c’est trop fort ! Je vais lui... GUY : (retient Amélie) Pas besoin, chérie. Tous les regardent, surpris.

DANY : (à Guy) Chérie ? J’ai mal compris ? GUY : Personne n’est au courant. Nous sommes mariés depuis un mois. Amélie m’avait juré de l’annoncer à sa mère avant la fin de cette croisière. AMÉLIE : Eh oui, j’ai renoncé à l’héritage. Par amour ! Quelle belle histoire, n’est-ce pas ? CORENTIN : On s’est fait avoir, docteur. Bienvenue au club. DANY : (à Corentin) Mais vous dormiez profondément dans notre cabine pendant le vol du collier. Je vous ai vu ! CORENTIN : (moqueur) Il suffit de mettre des vêtements sous la couverture... C’est enfantin de donner la forme d’un corps endormi ; tu comprends, Dany ? GASTON : Silence, mon Coco. A ta place, je ne ferais pas le malin. (lui met du papier collant sur la bouche — à Guy et Amélie :) Amélie de la Roseraie, pardon Amélie Lambertini, ne va pas être déshéritée puisque sa mère est tombée à l’eau. Pratique, non ? AMÉLIE : C’est horrible ce que vous dites, commissaire. GASTON : Vous faites tous les deux partie des suspects. GUY : Mais commissaire, (montre Corentin) vous tenez votre coupable.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 80/83

GASTON : Pas sûr. ALICE : (dresse l’oreille) J’entends Hubert... On entend boiter. Gaston tient toujours le pistolet.

Scène 9

(Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Cyrielle, Ilona, Ernestine, Marcel, Dany, Gaston, Fleur, Hubert)

Hubert arrive en boitant, un tableau sous le bras (on ne voit pas ce qu’il représente), et il écarquille les yeux. Nicole doit se trouver non loin de Fleur. HUBERT : Quelle réception ! (pose le tableau près de la porte, puis découvre Corentin menotté) Il y a du nouveau ici... Je m’en doutais. Sur le pont, j’ai entendu miss Whitehall dire qu’elle avait tout compris. (aperçoit Fleur évanouie et crie :) Ma petite Fleur ! Vous l’avez tuée sans me prévenir ! (se précipite vers Fleur) Fleur se relève lentement.

FLEUR : Hubert, mon chou... HUBERT : Je suis là, chérie. (à Nicole) Tante Nicole, aidez-moi un peu. Fleur s’accroche à Hubert et Nicole. CLAIRE : (entre ses dents en regardant Fleur) Cette écervelée fait peut-être semblant... Si ça se trouve, c’est Fleur qui s’est débarrassée de Lucienne, Germaine et Vicky... ALICE : (à Claire, discrètement) Impossible, elle ne ferait pas de mal à une mouche. Gaston est attentif à tout, pistolet à la main.

FLEUR : Miss Whitehall est morte, elle aussi ? (Hubert, étonné car il n’est pas au courant, fait non de la tête) Alors pourquoi son carnet est-il... (Nicole saute en arrière en repoussant Fleur) dans la poche de tante Nicole ? (Hubert relève Fleur et la tient contre lui)

GASTON : (se précipite vers Nicole en pointant son pistolet) Voilà l’indice que j’attendais ! Pas un geste, Nicole Pichou. AMÉLIE : Tante Nicole ? Elle a sombré dans la folie depuis longtemps. Laissez-la donc tranquille, commissaire ! ALICE : Ce carnet ne prouve rien. Miss Whitehall se prenait pour un auteur de romans policiers. Elle avait trop d’imagination... GASTON : ... Et un excellent sens d’observation. Vous avez perdu, mademoiselle Pichou. NICOLE : (change de voix et d’attitude — glaciale :) Je n’ai plus rien à perdre. Je suis gravement malade. Dans un mois, je serai morte. GASTON : Vicky Whitehall a tout noté dans son carnet. (tend la main sans lâcher le pistolet) Donnez-le-moi.

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 81/83

NICOLE : (garde le carnet et fait non de la tête) La vengeance est un plat qui se mange froid. Voilà trente ans que je m’y prépare. Je n’ai jamais pardonné à Germaine d’avoir épousé mon fiancé. GASTON : Qui protégez-vous ? (explique) Quelqu’un qui vous a surpris quand vous ne jouiez pas la comédie. Quelqu’un qui a guidé vos gestes depuis le début et à qui vous obéissiez, ne pensant qu’à vous venger. Quelqu’un qui ne s’est pas sali les mains et qui a tous les alibis nécessaires et n’attend plus que l’héritage. NICOLE : Seule, je n’en aurais pas eu le courage. CYRIELLE : (horrifiée, à Nicole) Pourquoi avez-vous empoisonné madame Lulu ? NICOLE : Une erreur d’aiguillage... Dommage pour elle. Il aurait suffi d’attendre un jour de plus, attendre que Germaine aille rejoindre les poissons... et Lucienne serait encore là. Ce n’est pas de chance. GASTON : A qui profite le crime ? La mort de madame de la Roseraie pour être précis. (les montre) A ses filles et leurs maris. AMÉLIE et FLEUR : (protestent) Commissaire ! GASTON : ... Sauf si la grande actrice a modifié son testament et que le ou la bénéficiaire était au courant. Il fallait agir vite avant que Germaine change d’avis. NICOLE : (à Gaston d’un ton moqueur) Mettez un masque et un tuba... et allez interroger ma sœur pour en savoir plus. GASTON : Pourquoi pas ? (articule) Qui vouliez-vous coucher sur votre testament, madame de la Roseraie ?

Scène 10 (Guy, Amélie, Corentin, Claire, Nicole, Alice

Vicky, Cyrielle, Ilona, Ernestine, Marcel, Germaine, Dany, Gaston, Fleur, Hubert)

Germaine apparaît sur le seuil de la porte. Alice se colle contre le mur, prête à s’enfuir dès que l’occasion se présentera. Gaston pointe le pistolet vers Alice. GERMAINE : Ma filleule Alice qui était si attentionnée à mon égard. FLEUR : Aaaah ! Une revenante ! (tombe évanouie dans les bras d’Hubert) CYRIELLE : (tout émue) Madame Germaine est ressuscitée. Alléluia ! ILONA : Alléluia ! NICOLE : Elle est remontée à la surface. Ah, non... Là, j’ai vraiment tout perdu. (se prend la tête entre les mains) Gaston fait signe à Guy de bien tenir Nicole.

AMÉLIE : (se tourne vers Alice) Monstre ! ALICE : Zen, Amélie... Tout le monde rêvait de se débarrasser de cette femme infecte. Je suis la seule à être passée à l’acte. GASTON : Par personne interposée. AMÉLIE : Où étais-tu, maman ?

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Quelle galère, cette croisière ! – Ann Rocard 82/83

Germaine montre Dany ; tous se tournent vers lui.

DANY : Cachée dans l’espace « pharmacie » quand quelqu’un risquait de la surprendre dans sa cabine. CYRIELLE : Ah, voilà pourquoi je vous ai vu porter un plateau de nourriture tout à l’heure... GUY : Mais j’ai fouillé cet endroit, docteur. DANY : C’est facile de passer discrètement d’un endroit à l’autre, n’est-ce pas, madame de la Roseraie ? GERMAINE : Evidemment. Fleur ouvre les yeux et ne comprend pas. AMÉLIE : (à Germaine) Pourquoi as-tu fait ça ? GERMAINE : D’abord pour étudier le comportement des uns et des autres, avant de modifier mon testament. ALICE : Je croyais que c’était fait... GERMAINE : Eh bien non ! Tu as failli me tuer pour rien, petite garce. ALICE : (enrage et serre les dents) Grrrr... GERMAINE : Je me méfiais. Et j’ai eu raison quand j’ai interverti ma flûte et celle de Lucienne. Adieu Lulu ! AMÉLIE : (choquée) Maman ! Tu regrettes ton geste, j’espère ? GERMAINE : J’ai toujours détesté la poésie. ALICE : (furieuse) Tante Nicole, le poison c’était ton idée. Moi, j’étais contre. Tu as tout fait rater. (en montrant Germaine) Ensuite, elle s’est méfiée. DANY : C’est après le vol du collier que madame de la Roseraie m’a mis au courant de la situation et m’a demandé de l’aider à se cacher. Alice essaie de s’enfuir. Gaston la menace avec le pistolet, puis la menotte (2e paire).

ALICE : En prison, au moins ce sera calme, je pourrai méditer. NICOLE : J’ai juste quelque chose à régler avec Alice. Gaston fait signe à Guy de laisser Nicole s’approcher d’Alice, mais de bien la tenir. Nicole fait semblant de donner deux claques à Alice.

NICOLE : C’est pour toutes les claques que tu m’as données ! ALICE : (moqueuse) Ça rendait ta folie plus crédible, tante Nicole. NICOLE : (lui redonne deux claques) Et ça, c’est de la part de miss Whitehall car je l’aimais bien. Si elle avait eu moins d’imagination, elle aurait échappé au parapluie. Nicole veut recommencer, mais Guy l’éloigne d’Alice. GASTON : (à Guy) Attachez-la solidement. GUY : O.K. (attache Nicole) CYRIELLE : Il y a quelque chose que je ne comprends pas... Pourquoi monsieur Hubeeeeeeert s’est-il transpercé la jambe avec mon parapluie ?

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HUBERT : (agacé) Je suis tombé sur une pointe métallique en allant chercher mes somnifères ! Je l’ai déjà dit. FLEUR : Pauvre chou, on ne le croit jamais. (montre le tableau posé près de la porte) Tu as fini ton tableau, chéri ? Montre-le-nous ! HUBERT : « Vague à l’âme »... (montre le tableau) Ma belle-mère déstructurée... Tous grimacent ou sont surpris, sauf Fleur qui s’extasie. FLEUR : Magnifiiiiiiique ! N’est-ce pas, maman ? GERMAINE : C’est moi, cette horreur ? C’est comme ça que vous me percevez, tous ? (prend le phonographe et part en criant) Vous allez le regretter ! Je vais vous déshériter ! Les autres doivent la suivre du regard, même quand ils imaginent le trajet qu’elle suit pour gagner le pont. Germaine disparaît, puis apparaît sur le pont en portant le phonographe. Elle gesticule, furieuse, en criant : GERMAINE : Déshériter ! Vous m’avez entendue ? Mais avant, fini la musique de zoulous ! Tous écoutent et soupirent. Gaston se dirige vers le hublot.

FLEUR : C’est reparti pour un tour ! Gaston regarde par le hublot. Germaine quitte le pont.

GASTON : Ça m’étonnerait. Tous se tournent vers Gaston.

GASTON : Je viens de la voir passer... (montre le hublot) avec le phonographe. Elle a coulé à pic. Germaine Choupi a joué sa dernière scène. Noir.

Fin