Q U E S A I S - J E ?

Gérontologie sociale

M A X I M I L I E N N E L E V E T - G A U T R A T

Maître de Conférence, Laboratoire de Psychologie sociale

Université de Paris X-Nanterre

a n n e / f o n t a i n e

Secrétaire générale Fondation nationale de Gérontologie

DES MÊMES AUTEURS

Maximilienne Levet-Gautrat — avec Danielle Voldman, La médecine familiale du début du siècle, Paris,

Editions scientifiques et juridiques, 1978. — avec la collaboration de Philippe Pitaud, A la recherche du troisième âge.

Eléments de gérontologie sociale, Paris, Editions Armand Colin, 1985, 208 p.

Anne Fontaine — 500 documents de base en gérontologie : 1962-1972, Documents d'infor-

mation et de gestion. Gérontologie, CNRO, juillet-octobre 1973, 140 p. — avec Colette Douriez, Les dix questions clés du retraité, Lorez-le-Bocage,

Editions ELP, 1974, 96 p. — Retraités, votre logement, Lorez-le-Bocage, Editions ELP, 1974, 96 p. — avec Solange Caillet et Maïté Ely, Pour connaître les personnes âgées et

comprendre le vieillissement, Paris, La Documentation française (Guides des sources documentaires), 1981, 256 p.

ISBN 2 13 0 4 0 1 9 2 9

D é p ô t l é g a l — 1 r. é d i t i o n : 1 9 8 7 , o c t o b r e

@ P r e s s e s U n i v e r s i t a i r e s d e F r a n c e , 1 9 8 7

1 0 8 , b o u l e v a r d S a i n t - G e r m a i n , 7 5 0 0 6 P a r i s

INTRODUCTION

Le terme de Gérontologie nous vient de Metchni- koff (1903), mais ce n'est qu'à partir de la deuxième guerre mondiale qu'il apparaît de façon notoire, aux Etats-Unis tout d'abord. Il désigne, depuis cette époque, l'étude scientifique des processus et des problèmes du vieillissement humain, d'où s'est déta- chée la gériatrie qui traite de la médecine spécifique aux personnes âgées.

La gérontologie sociale est plus délicate à définir. Cette expression n'apparaît dans la littérature spé- cialisée qu'aux alentours des années 1950. Elle re- groupe les études menées dans des disciplines mul- tiples : démographie, psychologie, sociologie, éco- nomie, histoire sociale, géographie humaine, etc., sur un même objet, le vieillissement humain.

D'après l'Encyclopedia Universalis, la gérontologie sociale s'intéresse aux causes et conséquences du vieillissement des populations, aussi bien en ce qui concerne les groupes humains que les individus. Ayant de multiples approches d'un même objet d'étude, il est difficile de la considérer comme une discipline. Elle est en voie de développement, et emprunte sa méthodologie aux différentes disciplines qui la composent.

Elle se situe non seulement à leur carrefour, mais également à celui de la recherche et de l'action. L. Rosenmayr parle de « notion-toit » sous laquelle

les sciences humaines et sociales ont établi une forme de collaboration (1).

L'image nous paraît tout à fait convenir, mais nous voudrions corriger son aspect statique en précisant que c'est une science jeune, en mouvement, et en cours de constitution.

Toutes les définitions sont à élaborer, et le travail le plus important et premier en ce domaine consiste à se défaire des images figées et des stéréotypes qui imprègnent la notion de vieillissement, vu, mesuré, analysé, à partir de l'image unique du déclin et de la détérioration.

Son objet premier, l'être âgé, nous ne savons pas le définir de façon satisfaisante. En vérité, il ne s'agit pas de « personne âgée », mais de « personne vieil- lissante », c'est-à-dire en évolution, en mutation, en transformation.

Une question se pose alors : peut-on définir le vieil- lissement humain? En quoi diffère-t-il de celui des animaux ?

Le vieillissement humain ne peut être réduit au seul changement bio-physiologique qui affecte l'organisme de façon naturelle et semblable pour tous les membres d'une espèce. L'homme a une histoire, des institu- tions, des modes d'organisation, qui varient selon l'espace et le temps ; il a également une vie affective et morale qui oriente ses choix.

On ne peut donc parler que des vieillissements : biologique, social, psychologique, affectif, historique, technologique, etc. Ils ne se font pas tous en même temps et au même rythme. Ils travaillent l'individu en interaction, travaillés eux-mêmes, c'est-à-dire in- fluencés et modifiés par l'individu.

Quand est-on vieux ? A partir de quel âge ? A partir

(1) L. Rosenmayr, Dix points sur la gérontologie sociale de demain ou à la recherche d'une « Liberté sur le tard », Sociologie et Sociétés, vol. XVI, n° 2, octobre 1984, p. 29-36.

de quelles dégradations physiques ? De quelle somme d'expériences ? Exist-t-il un seuil ?

Par convention, l'âge de la retraite a fixé pendant longtemps l'entrée dans la vieillesse, mais actuelle- ment, avec l'augmentation de la longévité, et la sortie de plus en plus précoce du monde du travail, l'âge de la retraite a cessé définitivement d'avoir cette signification.

L'entrée dans la vieillesse dépend étroitement du critère auquel on se réfère : biologique, social, juri- dique, chronologique, mental, psycho-affectif, éco- nomique, etc. Enfin, l'entrée dans la vieillesse dépend aussi très fortement du sentiment de l'individu ; selon qu'il se sentira déjà vieux, ou encore jeune, ses comportements et ses attitudes varieront. Mais, en ce domaine aussi, il n'y a pas de modèle unique et monolithique. On peut se sentir « jeune » pour cer- taines choses et « vieux » pour d'autres. En vérité, il n'y a pas d'entrée dans la vieillesse, mais des entrées différentes et successives dans des vieillissements qui affectent des champs plus ou moins étendus de la vie des individus. Et, pourtant, malgré le flou et la complexité de ce concept, le vieillissement est une réalité indéniable à laquelle l'individu et la société doivent se préparer pour y faire face.

Le lecteur comprendra qu'il est illusoire d'avoir l'ambition de traiter de façon exhaustive de la géron- tologie sociale. Nous ne pouvons qu'aborder quelques aspects du vieillissement considéré dans ses impli- cations individuelles et sociales.

Nous partirons de cette évidence : le système social dans lequel nous vivons a été conçu pour (et par) une population d'individus jeunes, terminant leur vie entre 40 et 50 ans. Il faut maintenant repenser tous les problèmes avec cette nouvelle donnée : une population plus âgée, mieux informée et plus cultivée, finissant ses jours entre 75 et 85 ans, voire 90 ans et davantage. C'est en fonction de cette nouveauté,

pour ne pas parler de « nouveaux vieux » que nous étudierons un certain nombre d'aspects de notre vie sociale.

Les bouleversements de la société qui se profilent à l'aube du xxie siècle ne seront pas seulement l'œuvre du développement des sciences physiques et de la communication (informatique), mais également de l'augmentation de la longévité humaine.

Cette longévité influe déjà et influera, sur la répar- tition du temps entre travail, éducation et loisirs, sur celle des richesses entre jeunes et vieux, sur l'ap- proche collective et individuelle de la mort, bref sur l'échelle de valeurs de la société dans son ensemble ainsi que sur ses choix politiques.

L'homme très âgé est une création du xxe siècle, nous lui souhaitons longue vie.

CHAPITRE PREMIER

LE VIEILLISSEMENT

DÉMOGRAPHIQUE

On appelle vieillissement démographique l'aug- mentation de la proportion des personnes âgées dans la population totale (1). La cause fondamentale en est la réduction de la natalité, c'est-à-dire que la py- ramide des âges voit la base sur laquelle elle repose se réduire, et son sommet s'élargir, pour se transformer peu à peu en une colonne. Il ne faut donc pas confon- dre avec le vieillissement individuel qui se traduit par l'augmentation de la longévité. Pendant des millénaires, l'humanité a vécu dans un équilibre dé- mographique, le taux de croissance de la population restant très faible car les naissances compensaient les décès.

Les progrès de la médecine et de l'hygiène ont abaissé les taux de mortalité, ce qui a amené une aug- mentation rapide des populations. Un nouvel équi- libre est en train de se faire avec une mortalité et une fécondité faibles. Ce nouvel état de choses n'est pas le fait des seuls pays riches et industrialisés. Il devient un phénomène mondial.

Il y avait, de par le monde, en 1950, environ 214 mil- lions de personnes de 60 ans et plus ; on en prévoit

(1 ) Nous.ne donnerons ici que des informations d'ordre général, renvoyant, pour la situation française, aux travaux de P. Paillat dans la même collec- tion, n° 1046, 1982 ; et aux ouvrages publiés par l'INED et l'INSEE.

Pyramides des populations pour les régions plus développées et moins développées en 1980, 2000 et 2025

Source : United Nations, World Population Trends and Po- licies, 1981, Monitoring Report, New York, 1982, vol. 1, p. 135.

1 121 000 000, en 2025 (2). Ce dernier chiffre concerne en majorité les personnes qui ont en ce moment entre 15 et 35 ans.

On constate que la structure démographique des pays en voie de développement rejoint peu à peu la structure en colonne qui sera la nôtre en 2025.

A l'occasion de l'Assemblée mondiale des Nations Unies sur le vieillissement, en 1982, Le Courrier de l'Unesco donnait les précisions suivantes :

— « Alors qu'on s'attend à un triplement du total de la population mondiale en soixante-quinze ans, de 1950 à 2025, les Nations Unies prévoient que, dans

(2) Un monde vieillissant. Faits et chiffres, Le Courrier de l'Unesco, octobre 1982, p. 2.

le même temps, la population des plus de 60 ans quin- tuplera et que les plus de 80 ans seront sept fois plus nombreux... »

— « Le vieillissement des populations sera le plus spectaculaire dans le monde en développement où, selon les prévisions, les plus de 60 ans verront leur nombre presque multiplié par sept entre 1950 et 2025... »

— « Dans le monde en développement, c'est entre l'an 2000 et 2025 que le nombre des plus de 60 ans augmentera le plus vite. Des pays comme le Ban- gladesh, le Brésil, le Mexique et le Nigeria verront leur population de personnes âgées se multiplier presque par 15 (3) ».

Le phénomène le plus marquant est, en effet, la rapidité avec laquelle cette évolution s'opère dans les pays en voie de développement : leur population double en vingt ans. Imaginons les problèmes aux- quels nous serions confrontés si, d'ici 2025, nous passions de 54 millions d'habitants à 108 millions !

Comment subvenir aux besoins de la population ? Devant une telle situation, on est en état d'impuis- sance et d'incapacité. La grande majorité des pays est concernée par cette explosion démographique ; seuls y échappent l'Europe, l'Amérique du Nord, l'Aus- tralie et le Japon. En 2025, sur une population mon- diale qu'on évalue à 1 135 millions de personnes âgées de 60 ans et plus, 806 millions appartiendront au Tiers Monde (4).

Les campagnes, dans ce contexte, ne suffisent plus à nourrir leurs habitants, et l'exode se fait vers les grandes villes qui ne peuvent pas plus répondre à leurs besoins en travail et en logements. Dans les faubourgs surpeuplés de ces villes qui deviennent monstrueuses, la population âgée est complètement

(3) Le courrier de l'Unesco, op. cit. (4) Periodical on Aging, vol. 1, n° 1, 1984.

abandonnée, ainsi que nombre d'enfants qui consti- tuent des bandes autonomes sans plus de relations avec leurs parents.

Enfin, il faut ajouter que la proportion des personnes très âgées, 80 ans et plus, va poser à tous les pays de graves problèmes de prise en charge.

Toujours en 2025, la Chine devrait atteindre les 26 millions d'octogénaires (pour une population d'un milliard, il est vrai !) et la France, près de 2 millions.

Si le vieillissement est généralisé, il n'en demeure pas moins que l'Europe occidentale et orientale sera, par rapport au reste du monde, une « presqu'île de vieux dans un océan de jeunes » (5).

L'Europe occidentale subit un vieillissement dé- mographique dû à une baisse du taux de fécondité dans les vingt-cinq dernières années, accompagné d'une augmentation de l'espérance de vie à la nais- sance.

Source : Demographic Indicators of Countries, New York, ONU, 1982.

D'autre part, si on replace la population de l'Europe dans le monde, on constate qu'elle en représentait 15,5 % en 1950, 11,7 % en 1975, et que sur cette lancée, les Européens ne représenteraient plus que

(5) P. Paillat, Projections démographiques et vieillissement des popu- lations dans les pays industrialisés et dans les pays en développement, Vieil- lissement de la société, vieillissement de l'homme, Paris, Ed. CIGS, mars 1985, p. 17-26.

8 , 4 % d e l a p o p u l a t i o n m o n d i a l e e n l ' a n 2 0 0 0 , e t 6 , 4 %

e n 2 0 2 5 , s o i t u n e E u r o p e s a n s p o i d s d é m o g r a p h i q u e e t v i e i l l i e d e s u r c r o î t .

Evolution de la répartition par âge de la population en Europe occidentale, 1950-2025 (')

(') E. Sullerot, L'âge de travailler, Paris, Fayard, 1986, 224 p. (extrait du tableau 4, p. 207).

L'indice de vieillissement est le rapporta multiplié par 100, de l'effectif des personnes de 60 ans et plus, à l'effectif des jeunes de moins de 20 ans.

Ces constats ont des répercussions importantes au niveau économique et social ; c'est ainsi que, pour assurer un rapport démographique de trois cotisants actifs pour un retraité, il faut allonger la durée d'activité jusqu'à 67 ans si la fécondité est de 1,5 en- fant par femme.

La « loi de Sundbârg » dit que la proportion d'ac- tifs reste à peu près la même par rapport aux deux populations, jeune et âgée, d'inactifs. Si elle se confirme, on se trouvera avec une population d'ac- tifs ayant en majorité la cinquantaine...

Les tenants de l'idée que les plus de 35-40 ans sont incapables de se recycler pour intégrer les nou- velles technologies (nous ne sommes pas de ceux-là) doivent avoir des cauchemars devant cette vision

BIBLIOGRAPHIE

A / Ouvrages

Attias-Donfut (C.), L'empreinte du temps : essai sur les générations, Paris, PUF, coll. « Le Sociologue » (à paraître).

Babeau (A.), La fin des retraites, Paris, Hachette, 1985, 432 p. Commissariat général du plan, Groupe « Prospective personnes âgées »,

Vieillir demain, Paris, Documentation française, 1980, 270 p. Gaullier (X.), L'avenir à reculons : chômage et retraite, Paris, Les Editions

Ouvrières, 1982, « Economie et Humanisme », 252 p. — Vieillesse et crise économique, Paris, Ed. du Seuil (à paraître). Guillaumin (Y.), Reboul (H.), Le temps et la vie : les dynamiques du vieillis-

sement, Lyon, Chronique sociale, 1982, 152 p. Guillemard (A.-M.), La vieillesse et l'Etat, Paris, PUF, 1980, coll. « Poli-

tiques », 238 p. — Le déclin du social, Paris, PUF, 1986, coll. « Sociologie », 398 p. Haut Comité consultatif de la Population et de la Famille, Politique de la

vieillesse, Paris, Documentation française, 1962, 438 p. Mishara (B. L.), Riedel (R. G.), Le vieillissement, Paris, PUF, 1983, coll.

« Psychologie d'aujourd'hui », 268 p. Paillat (P.), Vieillissement et vieillesse, Paris, PUF, 1982, coll. « Que sais-je? »,

n° 1046, 128 p. Philibert (M.), L'échelle des âges, Paris, Seuil, 1968, 419 p. Sebag-Lanoe (R.), Mourir accompagné, Paris, Desclée de Brouwer-Eli,

1986, 240 p. Sullerot (E.), L'âge de travailler, Paris, Fayard, 1986, 228 p.

B / Revues

Gérontologie et Société, Cahiers de la Fondation nationale de Gérontologie, revue trimestrielle, 49, rue Mirabeau, 75016 Paris.

Gérontologie, revue trimestrielle, Les Amis de la revue Gérontologie, 14, pas- sage Du Guesclin, 75015 Paris.

Années-Documents CLEIRPPA, revue mensuelle, 15, rue de Chateaubriand, 75008 Paris.

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 3

CHAPITRE PREMIER. — Le vieillissement démographique . 7

— n. — Les âges de la vie 15

— III. — Les femmes âgées 21

— IV. — Le couple âgé 29

— V. — La famille 35

— VI. — Les ruraux âgés 41

— VII. — Questions de santé 48

— VIII. — La dépendance et le grand âge 58

— IX. — La mort 63

— X. — Le travail 76

— XI. — Retraités et pré-retraités 79

— XII. — Education et personnes âgées 95

— XIII. — Du domicile à l'institution 104

— XIV. — Les droits des plus âgés 116

CONCLUSION. — Quelle politique pour demain? 119

QUELQUES DÉFINITIONS 122

DES CHIFFRES 124

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126