que - noël du failil prit de l’importance quand le marché central de paris fut installé en 1137...

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L’Eutrapélique : N°4 - 3ème trimestre 2013 Page 1 Départ pour Paris… Ainsi en avait il été décidé entre François et l’abbé Caillard de Vern, lequel avait conseillé qu’on lui fit poursuivre ses études, voyant ses bonnes dispositions à étudier…, pourvu « d’un assez bon commencement aux lettres ». Le grand jour, celui du départ arrivait… Noël n’en pouvait plus d’attendre et il piaffait comme un jeune chien à l’idée de cette première grande aventure qui s’offrait à lui. Nous ne saurons attribuer une date précise à cet événement qui assurément était la première grande décision qui intervenait pour cet encore bien jeune garçon. Nous le savons présent de façon certaine à Paris le 1 er Janvier 1540, et semble t-il déjà bien intégré et bien entouré de nombreux compagnons. Ce ne devait pas être le début de son séjour à la capi- tale, il avait donc entre dix huit et dix neuf ans vraisemblablement lorsqu’il quitta les bords de la Seiche. Paris, Paris, Paris… se répétait il avidement. Que l’imagination tra- vaillait ! Impossible de la freiner, de l’entraver, il en rêvait la nuit, et quand il n’en rêvait pas, il ne pou- vait trouver le sommeil à cette alléchante perspective. Et puis un beau matin, le grand jour arriva… De son périple, de son voyage, rien… Il ne dira rien dans ses écrits de ses conditions de transport, combien de jours, où s’arrêta–t-il, nous ne pouvons que laisser vagabonder notre imagina- tion. Pleura-t-il, en quittant le vieux manoir, sa mère, ses amis et toute la domesticité qui en ce grand jour était venue ? Nous vou- drions le croire, mais rien n’est moins sûr, étant à un âge où l’égoïsme souvent prévaut, ce qu’il quittait importait beaucoup moins que cet inconnu, rêvé, magnifié, idéalisé, vers lequel il volait. Mais l’enchantement qui fut le sien, à ce petit campagnard tout ébaubi d’arriver dans cette grande ville, se traduisit par la qualification dont il allait user : « Royaume de Paris » ! Dans ces deux mots tout est dit, de son mystère et du mirage qui le fascine. François du Fail, avait été prudent. Pas question de laisser l’animal la bride sur le cou, livré à lui- même. Un personnage de confiance, ami de la famille de longue date, un certain Colin Briand, originaire de la paroisse de Pleumeleuc, sur laquelle était la terre de la Herissaye, avait en charge de veiller sur lui. De le guider, le piloter, mais aussi le surveiller, car les chausses trappes dans une telle ville étaient légion. De son côté, tout en donnant des leçons de grammaire, ce pédagogue sur- veillant continuerait ses études de droit pour obtenir ses « degrés », qualifications nécessaires lui permettant ensuite de s’établir en tant qu’avocat rural, ou sénéchal d’une seigneurie. Leur arrivée à la capitale, du Fail la décrira avec justesse et humour, s’attardant à relater des anec- dotes révélatrices de ce qui pouvait retenir l’attention d’un provincial tout juste débarqué. Colin Briand, alias Lupolde, le troisième larron qui va animer les échanges des Contes et Discours d’Eutrapel, connaissait déjà pour y être venu, ce Paris mystérieux. Il va d’abord lui montrer Notre Dame, sur son île, ce vaisseau de pierre avec ses deux grosses L’Eutrapélique L’Eutrapélique LES AMIS DE NOËL DU FAIL 3ème trimestre 2013 n°4

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Page 1: que - Noël du FailIl prit de l’importance quand le marché central de Paris fut installé en 1137 à l’emplacement des Halles. Agrandi sous Philippe Auguste, du Moyen Age jusqu’au

L’Eutrapélique : N°4 - 3ème trimestre 2013

Page 1

Départ pour Paris… Ainsi en avait il été décidé entre François et l’abbé Caillard de Vern, lequel

avait conseillé qu’on lui fit poursuivre ses études, voyant ses bonnes dispositions à étudier…,

pourvu « d’un assez bon commencement aux lettres ».

Le grand jour, celui du départ arrivait… Noël n’en pouvait plus d’attendre et il piaffait comme un

jeune chien à l’idée de cette première grande aventure qui s’offrait à lui. Nous ne saurons attribuer

une date précise à cet événement qui assurément était la première grande décision qui intervenait

pour cet encore bien jeune garçon.

Nous le savons présent de façon certaine à Paris le 1er Janvier 1540, et semble t-il déjà bien intégré

et bien entouré de nombreux compagnons. Ce ne devait pas être le début de son séjour à la capi-

tale, il avait donc entre dix huit et dix neuf ans vraisemblablement lorsqu’il quitta les bords de la

Seiche.

Paris, Paris, Paris… se répétait il

avidement. Que l’imagination tra-

vaillait ! Impossible de la freiner,

de l’entraver, il en rêvait la nuit, et

quand il n’en rêvait pas, il ne pou-

vait trouver le sommeil à cette

alléchante perspective.

Et puis un beau matin, le grand

jour arriva… De son périple, de

son voyage, rien… Il ne dira rien

dans ses écrits de ses conditions de

transport, combien de jours, où

s’arrêta–t-il, nous ne pouvons que

laisser vagabonder notre imagina-

tion. Pleura-t-il, en quittant le

vieux manoir, sa mère, ses amis et

toute la domesticité qui en ce

grand jour était venue ? Nous vou-

drions le

croire, mais rien n’est moins sûr, étant à un âge où l’égoïsme souvent prévaut, ce qu’il quittait

importait beaucoup moins que cet inconnu, rêvé, magnifié, idéalisé, vers lequel il volait.

Mais l’enchantement qui fut le sien, à ce petit campagnard tout ébaubi d’arriver dans cette grande

ville, se traduisit par la qualification dont il allait user : « Royaume de Paris » !

Dans ces deux mots tout est dit, de son mystère et du mirage qui le fascine.

François du Fail, avait été prudent. Pas question de laisser l’animal la bride sur le cou, livré à lui-

même. Un personnage de confiance, ami de la famille de longue date, un certain Colin Briand,

originaire de la paroisse de Pleumeleuc, sur laquelle était la terre de la Herissaye, avait en charge

de veiller sur lui. De le guider, le piloter, mais aussi le surveiller, car les chausses trappes dans une

telle ville étaient légion. De son côté, tout en donnant des leçons de grammaire, ce pédagogue sur-

veillant continuerait ses études de droit pour obtenir ses « degrés », qualifications nécessaires lui

permettant ensuite de s’établir en tant qu’avocat rural, ou sénéchal d’une seigneurie.

Leur arrivée à la capitale, du Fail la décrira avec justesse et humour, s’attardant à relater des anec-

dotes révélatrices de ce qui pouvait retenir l’attention d’un provincial tout juste débarqué.

Colin Briand, alias Lupolde, le troisième larron qui va animer les échanges des Contes et Discours

d’Eutrapel, connaissait déjà pour y être venu, ce Paris mystérieux.

Il va d’abord lui montrer Notre Dame, sur son île, ce vaisseau de pierre avec ses deux grosses

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cloches, Marie et Jacqueline, qu’on retrouve dans Gargantua, et puis… cette statue vénérée et entourée de légendes qui trônait dans

un coin obscur de la cathédrale à droite du chœur, celle de « Maistre Pierre Cugnet ».

La tête de Pierre Cugnet ou Pierre du Coignet, était ainsi dénommée, nous précise Emmanuel Philipot, soit parce qu’elle se trouvait

dans un petit coin ou coignet de l’édi-

fice, soit plus vraisemblablement

parce que les bedeaux « cognaient »

violemment leurs cierges sur son

nez pour les éteindre. Manifestation

d’humeur envers cette statue qui

représentait Pierre de Cugnières,

avocat de Roi, qui avait conseillé à

Philippe VI de réduire les droits de

juridiction des ecclésiastiques.

Personnage ambivalent, on racontait

beaucoup de choses sur lui. Pour

certains ce procureur du Roi avait

été banni et mis en croix pour avoir

amassé beaucoup de richesses par

des moyens douteux, pour d’autres

il avait été un des premiers à vouloir

réduire la puissance de l’Eglise, en

proposant de confisquer le temporel

ecclésiastique au profit du Roi.

C’est cette deuxième version à, la-

quelle se rallia Noël du Fail, qui

toute sa vie luttera contre les dérives

religieuses. Il devint un grand admi-

rateur de ce Pierre de Cugnières et le

félicitera d’avoir tenté de « rogner

les ongles à la puissance et juridic-

tion ecclésiastique ». (Eutrapel, III,

I, 257), rappelant que c’est d’après

ses recommandations qu’Henri VII

d’Angleterre « donna une merveil-

leuse bastonnade aux gens

d’église ».

Et puis après Notre Dame, Colin

Briand lui fit découvrir le fameux

cimetière des Saints Innocents au

cœur de la ville. Cette vision frappa

l’imagination du jeune Noël, ce

qu’il traduira par cette dénomination

« cet horrible mange chair, le cime-

tière sainct Innocent ».

En effet la terre de ce charnier pas-

sait pour faire disparaître avec une

rapidité prodigieuse les innom-

brables cadavres qu’on lui confiait :

au bout de neuf jours – chiffre fati-

dique -, la chair était mangée, digé-

rée, et il ne restait plus que les os…

Ce sinistre avaloir de corps, décrit

dans le journal d’un voyageur suisse

Thomas Platter en 1597, relatant

comment les vivants alentours vi-

vaient dans les émanations pestilentielles de ce charnier, fonctionna jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, où, suite à l’effondrement d’un

des murs de soutènement du cimetière, un monceau de cadavres en décomposition fit irruption dans une des caves des maisons qui

jouxtaient cette nécropole moyenâgeuse.

Le cimetière des Innocents

Mille ans

d’histoire

pour ce qui

fut durant

longtemps

la plus

vieille et la

plus grande

des nécro-

poles pari-

siennes…

Lorsque

sortant des

Halles, les

parisiens

veulent se

rendre sur le Boulevard Sébastopol, ils traversent le square Joachim du Bellay avec au mi-

lieu sa fontaine Renaissance. Ils se trouvent là, sur la partie Nord de ce qui était le cimetière

des Saints Innocents.

Déjà utilisé à l’époque mérovingienne, c’est Philippe Auguste entre 1185 et 1190 qui, par-

tant en croisade, et faisant ceindre Paris d’une muraille d’enceinte qui porte d’ailleurs son

nom, le fait agrandir et entourer d’un mur de trois mètres, en faisant ainsi un cimetière intra

muros.

Approximativement rectangulaire, il est compris sur sa longueur entre les rues aux Fers

(actuelle rue Berger) et de la Ferronnerie, et sur sa largeur entre les rues Saint Denis et la

Lingerie, soit une surface sensiblement plus grande que le square actuel. L’enclos est divisé

en deux parties, le cimetière proprement dit et le parterre en périphérie parallèle à la rue de

la Lingerie, où sont édifiées des chapelles.

Si pour les bourgeois les sépultures individuelles étaient la règle, pour les autres l’inhuma-

tion se faisait dans des fosses qui restaient ouvertes jusqu’à ce qu’elles fussent pleines… En

raison de l’explosion démographique, furent construits entre le XIVème et le XVème siècle

des bâtiments accolés aux murs d’enceinte, appelés charniers ou pourrissoirs (!), dans les-

quels étaient entassés les ossements après qu’ils aient été exhumés, pour libérer la place aux

nouveaux candidats à la décomposition expresse, « mange chair » qui avait tant frappé

l’imagination du jeune Noël. La sinistrose du lieu prêtait à la méditation. Ainsi naquirent

sous les arcades de pierre des charniers, où vie et mort se côtoyaient de façon si étroite, des

peintures allégoriques, des fresques, et des épitaphes, dont la célèbre Danse Macabre…

Une fois par an à la Toussaint, un coffre renfermant un squelette d’albâtre était ouvert, et

cette « Mort Saint Innocent », tenant d’une main son linceul et de l’autre un cartouche où,

pour remonter le moral des miséreux …et des autres, on pouvait lire :

« Il n’est vivant, tant soit plein d’art,

Ni de force pour résistance,

Que je ne frappe de mon dard

Pour bailler aux vers leur pitance »

Attribuée au sculpteur Germain Pilon, cette œuvre emblématique se trouve désormais au

Louvre.

Page 3: que - Noël du FailIl prit de l’importance quand le marché central de Paris fut installé en 1137 à l’emplacement des Halles. Agrandi sous Philippe Auguste, du Moyen Age jusqu’au

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Il fut fermé en Décembre 1780, puis vidé en 1786, et l’église des Saints Innocents rasée en 1785. Les montagnes d’ossements, exca-

vées sur une profondeur d’un mètre cinquante, furent transférées dans des carrières de pierre souterraines du faubourg de la Tombe

Issoire, transformées dès lors en catacombes, et qui peuvent de nos jours partiellement se visiter.

Situé dans le quartier des Halles à Paris, ce lieu de sépul-

ture tenait son nom de l’église des Saints Innocents, tota-

lement disparue aujourd’hui, et alors dédiée aux enfants

de Judée massacrés sur l’ordre du Roi Hérode.

L’emplacement servait de cimetière depuis les Mérovin-

giens, des sarcophages seront retrouvés lors de fouilles

en 1973 – 1974. Il prit de l’importance quand le marché

central de Paris fut installé en 1137 à l’emplacement des

Halles.

Agrandi sous Philippe Auguste, du Moyen Age jusqu’au

XVIIIème siècle, ce sont les corps issus de vingt deux

paroisses qui y furent déposés, plus ceux de l’Hôtel Dieu,

des pestiférés, des inconnus de la morgue, et des suicidés

et noyés de tout horizon, au total c’est plus de deux mil-

lions de Parisiens qui y furent ensevelis !

Quand la terre « miraculeuse » du cimetière avait fait sa

sinistre besogne, les ossements étaient exhumés et finis-

saient dans des charniers construits au XIVème et

XVème siècles tout autour du cimetière, entassés au des-

sus d’arcades qui servaient de passage ou de déambula-

toires aux vivants. Dans l’un d’eux, côté Sud une fresque

représentait la Danse macabre, représentation des vivants

dansant « en la main de la mort », destinée à faire souve-

nance à ceux qui auraient tendance à l’oublier, de l’éphé-

mère de la vie.

Mais de l’autre côté de la Seine, sur la rive Gauche,

c’était le quartier de l’Université. Et là aussi, que de lé-

gendes, de récits, d’histoires circulaient… et surtout ce

qui intéressait vivement le jeune Noël, que de lieux où de

réputés Bretons avaient défendus vaillamment l’honneur

de la Province ! Pétri de la mémoire de ces exploits lin-

guistiques que lui avait narrés Lupolde, son tuteur / pré-

cepteur, il était impatient de s’imprégner de la vue de ces

endroits, fameux et chers aux étudiants. Car Lupolde, fin

stratège, avait pris soin d’aiguillonner la fierté et l’or-

gueil de son protégé pour le mettre sur les rails de

l’étude. En lui faisant miroiter ces prouesses dont étaient

en ce temps friands les étudiants, il l’engageait à suivre

ces glorieux anciens et lui aussi à apporter un jour sa

contribution érudite à l’honneur breton. Bien joué, car

Noël s’empressa de demander où était le lieu où jadis

notre « Maitre Antoine Tempestas tonna si topique-

ment ». Ce personnage est probablement parent de ce

Pierre Tempeste qui fut principal du collège de Montaigu

en 1553, et dont Philipot nous relate qu’il était un redou-

table fouetteur d’écoliers qui terrorisait ses élèves. Mais

nous dit l’érudit biographe, malgré les allusions qu’il fit à

ce collège, il est fort peu vraisemblable que du Fail y fut

« capette ».

Un peu plus loin, il écrit : « ici est le lieu où Dom Jean Margoigne fit sa tentative ». Voilà un nom qui sent bon la Bretagne, déforma-

tion vraisemblable du patronyme « Malgorn », si répandu en Armorique. Et puis quelques mètres plus loin, c’est Caillard d’Amanlis,

sans doute parent de celui qui lui a fourni un « assez bon commencement aux lettres », qui a marqué les mémoires, s’étant illustré en

accordant « Maudrestan et Tartaret », anecdote dont nous avons déjà parlé.

Danse macabre

Cette fresque peinte entre

1423 et 1424 par un familier

du Duc de Berry, se trouvait

au niveau du charnier des

Lingères, le long de la rue de

la Ferronnerie. Présentée

sous forme de quinze ta-

bleaux, composés chacun de

deux personnages, dont l’un était toujours la Mort, figurée sous forme

d’un squelette grimaçant, elle unissait les « Vifs » représentés par des

hommes de toutes conditions, du Pape, du Roi et de l’Empereur à

l’enfant, en passant par le bourgeois, le chevalier, le moine ou le mé-

decin.

Cette danse « en la main de la Mort », se voulait un rappel à ceux qui

auraient été tentés de l’oublier, de la fatuité de la vie.

Prenant le plus souvent la forme d’une farandole, dans laquelle la

Mort entraîne les vivants de force dans une danse pathétique sans

espoir, la Danse Macabre, plus fréquemment peinte que sculptée,

rappelle qu’Elle ne regarde ni le rang, ni les richesses, ni l’âge, ni le

sexe, de ceux qu’Elle prend par la main.

La Danse Macabre du cimetière des Innocents est considérée comme

la première réalisée. Ces représentations jouirent d’une grande popu-

larité pendant la deuxième moitié du XVème siècle, et de nombreuses

ont été peintes sur les murs extérieurs des cloîtres, des charniers, des

ossuaires, et même à l’intérieur d’églises. Les fresques sont souli-

gnées de vers dans lesquels la Mort s’adresse à sa victime d’un ton

menaçant et accusateur, voire sarcastique et cynique, et où l’Homme

plein de remords et de désespoir supplie la pitié et la miséricorde.

La Mort est souvent représentée avec un instrument de musique, qui

évoque le côté séducteur, envoûtant, diaboliquement enchanteur de

Celle qui vous attire vers le Néant. Irrésistible chant des sirènes qui

mènent les marins à leur perte, sonneur de fifre de Hameln qui lui

aussi représente cette mélodie morbide à laquelle la volonté humaine

ne peut s’opposer, les harmonies nées des instruments figurent la voix

de l’au-delà.

Noël du Fail en a parlé dans le chapitre X d’Eutrapel (I, 238), nous en

reparlerons puisque dans ses pérégrinations il repassera avec quelques

anecdotes originales dans ce haut lieu de la Rive Gauche.

Aujourd’hui détruite cette célèbre Danse Macabre nous est parvenue

grâce à un livre de l’éditeur Guyot Marchand publié en 1485.

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Lupolde évoque ensuite le souvenir d’un autre breton, natif d’une paroisse voisine de la sienne, c’est « l’honneste Hervé de Clayes »

qui « harangua à plate cousture contre les premières et secondes intentions enclavées au haut bonnet de la sophisterie » ! Pitto-

resque expression que malheureusement la science de Philipot n’a pu traduire clairement pour nous… Ce personnage aurait vécu au

XVème siècle, mais son souvenir demeurait vivace dans la mémoire des habitants du canton, car un jeune clerc qui avait réussi à

conquérir à Paris le bonnet de Docteur, devenait une véritable gloire locale dont le prestige retombait sur tous les paroissiens. Tout

en se gaussant de la scolastique, du Fail s’est nourri de tous ces mémorables compatriotes, qui ont aiguillonné sa fierté et lui mon-

traient le chemin à suivre.

A côté de ce pèlerinage intentionnel que Lupolde fait prioritairement effectuer à son protégé, le jeune Noël se voit confronté à des

vexations qui vont le blesser, du moins l’irriter. Provincial d’allure, un peu gauche sans doute, il est un parfait sujet de railleries pour

les « titis » parisiens de l’époque. Il se fait traiter

de « Jean le Veau « ou de « Martin le Sot »,

nous confesse t-il, lorsque découvrant étonné

les belles enseignes « pendantes aux rues », il

est arrêté bouche bée devant… D’autant que

parmi ces « enseignes » figuraient les lumi-

gnons rouges, dont il ne tarda pas à com-

prendre le sens, ni les plaisirs dont ils étaient

annonciateurs.

On ne sait précisément, car il n’y fait aucune

allusion, quel collège il fréquenta. Le plus vrai-

semblable est qu’il fut pensionnaire du collège

Sainte Barbe, dont il représente une des pre-

mières fiertés, puisque de nos jours le site In-

ternet de ce prestigieux établissement s’enor-

gueillit de le compter parmi ses illustres an-

ciens élèves. Ceci est corroboré par les nom-

breuses allusions qu’il fait dans Eutrapel à

propos de Montaigu, dont les bâtiments étaient

voisins de ceux de Sainte Barbe. Les deux

collèges étaient séparés par une ruelle étroite

remplie d’ordures, en décrit J. Quicherat dans

Histoire du collège Sainte Barbe. Leurs pen-

sionnaires se détestaient cordialement, et se le

prouvèrent nous le dit il à maintes occasions.

Ce collège de Montaigu avait la réputation

d’être un collège de pouillerie, alors que Sainte

Barbe accueillait des élèves d’une autre origine

sociale. Aussi Barbistes et Montacutiens, ainsi

se nommaient ils, se défiaient ils plus souvent

qu’à leur tour.

Quant à son précepteur Lupolde il a dû lui, être

boursier au collège du Plessix, lequel en vertu

du testament de son fondateur, devait admettre

un nombre fixe de jeunes gens pauvres et méri-

tants originaires de la Bretagne.

Les rixes entre écoliers, ou avec d’autres cor-

porations étaient fréquentes. Ainsi Noël du Fail

dans un chapitre fort intéressant, le chapitre

XXV des Contes et Discours, intitulé « Des

Escholiers et des Messiers », va-t-il relater un

de ces épisodes épiques, qui nous fait mieux

comprendre comment se déroulait la vie estu-

diantine à Paris au XVIème siècle.

Plutôt que nous entretenir de ses études, de ses maîtres, il se plait à peindre ces à côtés de la vie parisienne, qui lui paraissent beau-

coup plus intéressants à relater. La vraie vie en somme, en l’occurrence celle de ces véritables batailles rangées auxquelles partici-

paient écoliers et étudiants.

Le collège Sainte Barbe

A côté de John

Mair théologien

(1467-1550), de

Jean François

Fernel, physicien

(1497-1558),

d’André de Gou-

véa, professeur

(1497-1548), et

de Saint Ignace

de Loyola, fon-

dateur de la

Compagnie de

Jésus (1491-

1556), tous con-

temporains, Noël

du Fail figure

parmi les Barbistes célèbres dont s’honore l’Association des Anciens Elèves

de cette Institution, vieille de plus de cinq siècles. Etablissement fondé en

1460 sur la montagne Sainte Geneviève, situé rue Valette, il était jusqu’en

Juin 1999, date de sa fermeture, le plus vieux collège de Paris. Au fil des

siècles, ni son nom ni son emplacement n’ont changé. Contrairement à

nombre d’autres établissements, qui portaient des noms de provinces ou de

pays, et qui par eux financés, n’accueillaient des que des boursiers origi-

naires, Sainte Barbe se propose d’offrir le savoir à tous. Le succès est vite au

rendez vous et nombre de parlementaires y envoient leurs enfants, le Roi du

Portugal lui confiant même cinquante pensionnaires. Le collège jouit alors

d’une grande renommée et s’agrandit dès sa quinzième année d’existence,

par l’acquisition de l’Hôtel des Coulons par Jean Hubert alors Directeur.

C’est Geoffroy Lenormand, Professeur réputé du collège de Navarre qui lui

donne son nom et qui passera à la postérité comme fondateur. Au milieu du

XVIème siècle, Robert Dugast, Directeur de l’Université et principal du col-

lège en 1553 lègue sa fortune à ce désormais haut lieu du savoir, lui donne

des statuts en 1556, met en place sept bourses, fait reconstruire les locaux et

les agrandit.

Pendant les guerres de religion, catholiques et protestants resteront accueillis

à Sainte Barbe, et si la vie du collège sera troublée comme celle de tous les

établissements, ce n’est qu’en 1589 sous la pression des événements que les

classes fermeront, alors qu’en 1579 déjà quarante des cinquante collèges que

comptait à cette époque l’Université, ne fonctionnaient plus.

Noël du Fail a dû fréquenter Sainte Barbe vers 1540 ou un peu avant, pen-

dant ces années qui constituent ce qu’il est convenu d’appeler le « beau

XVIème siècle », période prospère et calme où l’insouciance de la jeunesse

pouvait s’allier avec bonheur à l’acquisition du savoir.

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Les « messiers » étaient chargés de la police des vignes, en ce temps nombreuses sur le pourtour de Paris, et dont le raisin était fort

convoité à l’époque des vendanges par la gent écolière. Ainsi un premier récit nous relate-t-il les écoliers étrillés par cette police

des vignes et menés, l’oreille basse devant le juge de Sainte Geneviève, « ayant la teste liée et entortillée de branches de vigne ».

La scène se passe dans les vignes au Sud de Paris (faubourgs Saint Michel, Saint Jacques et Saint Marceau), qui dépendaient de

l’abbaye Sainte Geneviève, où les abbés et le couvent avaient droit de haute, moyenne et basse justice, avec prisons et juges indé-

pendants.

Les biographes de du Fail sont divisés pour dire si le turbulent Noël a participé lui-même à ces échauffourées ou s’il les rapporte

par ouï-dire. La Borderie et Courbet pensent qu’il en a été acteur et pas seulement narrateur.

Ce chapitre mouvementé conte en fait deux

épisodes distincts. Le premier voit les che-

napans prendre une verte correction par la

juridiction ecclésiastique. Quant au second

il met soi disant en scène Polygame, si-

tuant cette scène belliqueuse, lorsque « de

mon temps, ce très docte grammairien

Turnebus lisoit au college Saincte Barbe le

troisiesme de Quintilien ». Soi disant, car

la Borderie a démontré que l’helléniste

Turnèbe n’a enseigné au collège Sainte

Barbe qu’à partir de 1538, année où Poly-

game alias François du Fail, marié avant

1533, était paisiblement occupé à gérer son

domaine de Château Letard ! Facétie cou-

tumière de du Fail écrivain, qui aime à

brouiller les pistes, à ne pas indiquer en

référence aux événements qu’il scénarise

des faits historiques précis qui permet-

traient de les situer, comme animé par une

volonté délibérée de donner du fil à re-

tordre à la postérité.

Cette seconde bataille rangée, plus violente

que la première, met en scène des écoliers

pillards qui se frottent, outre les gardeurs

de vigne, avec une compagnie de bonne-

tiers du faubourg Saint Marcel, lesquels

avaient sans doute d’anciens comptes à

régler aussi avec eux. Les pilleurs de raisin

eurent beau prétendre que « leurs chartres

et titres estant aux Mathurins », leur confé-

rant selon eux propriété des vignobles « et

pays adjacents de Vauvert », ils eurent le

dessous. Mais ils revinrent quelques jours plus tard, écrit il, avec l’appui d’un régiment d’imprimeurs, et mirent alors en déroute,

dans une belle revanche, les dits bonnetiers.

Combats homériques tragi-comiques de garnements, qui pouvaient parfois néanmoins mal tourner. Les querelles de propriété

étaient fréquentes, et comme le rappelle Philipot, c’est un litige du même genre, relatif à la propriété du Pré aux Clercs, qui amena

un peu plus tard, en 1548 une grande émeute, les étudiants déniant aux religieux de Saint-Germain le droit de bâtir dans ce pré, ils

démolirent un grand clos de l’abbaye, saccagèrent des maisons et arrachèrent des vignes. Après avoir réprimé ces débordements, le

Parlement statua finalement en donnant raison à la thèse défendue par les écoliers.

Quant aux études, raison pour laquelle il est « monté » à Paris, c’est en pointillés qu’il va nous fournir des indications… Les fre-

daines et autres anecdotes piquantes sont tellement plus savoureuses à rapporter !

Il se laisse pourtant entrevoir achetant des livres sur la montagne Sainte Geneviève, le plus souvent pour le compte de ses maîtres.

Ainsi cite-t- il les illustres libraires du temps, Collinet, Robert Estienne, Vascosan ou Wechel, soulignant d’ailleurs leur probité et

indiquant qu’en leur commerce, ils faisaient le même prix à un enfant et à un vieux professeur.

Il révèle le nom de certains de ses « savans pedagogues » qui lui transmirent leur savoir et façonnèrent la pâte du turbulent étu-

diant : Jean Ricaut, Jean Boucher, Jean Reffait, Dom Bertrand Touschais, Dom Jacques Mellet, noms que d’ailleurs l’ingrate pos-

térité s’empressa d’oublier, mais aussi Caillard de Vern, que nous avons déjà croisé, et surtout Turnèbe, ce brillant helléniste.

Turnèbe

Turnèbe, de son nom

vrai nom Adrien Tour-

neboeuf, d’origine nor-

mande, fit de brillantes

études à Paris, enseigna

à l’Université de Tou-

louse puis au Collège

royal (Collège de

France) en 1547. Emi-

nent professeur de grec,

puis de philosophie

grecque, il forma la plu-

part des humanistes de

la « troisième généra-

tion ». Son rôle fut comparable à celui de Dorat pour les poètes de la Pléiade.

Attiré par la Réforme comme beaucoup d’humanistes séduits par la liberté de

pensée, il polémique avec divers érudits religieux sur l’ordre monastique et sur

l’importance de la science. Helléniste réputé, il disserte sur Platon et de ses dia-

logues métaphysiques, qui doivent, dit il, former un rempart contre les dérives

des interprétations du christianisme. Par la rigueur et la ténacité de ses vues, il

permet aux études classiques de passer de la philologie* à la philosophie.

* philologie : étude de la linguistique historique à partir des textes originaux, pour

savoir déchiffrer des faits sans les dénaturer par des interprétations. Le philologue

enregistre, inventorie et ordonne des faits littéraires, le linguiste compare ces faits

et tentent d’en déduire des lois organiques.

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L’Eutrapélique : N°4 - 3ème trimestre 2013

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L’admiration reconnaissante dont Noël fait preuve vis-à-vis de ces maîtres, n’est peut être pas étrangère aussi au fait que la plupart

étaient de la Province, car les Hauts Bretons – nous le verrons dans d’autres circonstances -, savaient se retrouver et se regrouper

dans la capitale.

Tous ces patronymes à cette époque sont inscrits dans les registres de Saint Erblon ou des environs proches, où on les voit figurer

aux baptêmes ou aux sépultures.

Toutes les occasions étaient bonnes, notamment chaque année à la Saint Yves, « jour fatal et devot pour nous autres Bretons ». Là,

tous se rassemblaient, les « Pedans, Regens, et Fesseculs de la nation », s’attablaient avec les écoliers. On banquetait ferme, on

jouait aux dés et aux cartes, et un buvait « à la Bretesque », c'est-à-dire cul sec ! On buvait aussi au bienheureux patron de la Ba-

soche, entonnant à tue tête un verre à la main, l’hymne traditionnel des avocats. Du Fail, il est facile de l’imaginer, ne dut pas être le

dernier à vider son verre et à festoyer de la sorte.

Au travers de ces anecdotes qu’il se plait à peindre, se révèle l’étroite solidarité de tous les Bretons exilés, leur besoin de se retrou-

ver, et de reconstituer un univers à eux dans la grande ville. Evocation des souvenirs du pays, de la famille, nostalgie commune qui

tissait une vraie solidarité entre tous les Bretons, qu’ils fussent bretonnants ou Hauts Bretons.

Gai Luron incontestablement, mais il n’est point de vaillants de la sorte auxquels le mal du pays ne s’attaque…

Notre association a pour buts

D’entretenir la mémoire du « Rabelais Breton » et contribuer par tous moyens à faire connaître et apprécier

l’œuvre littéraire de Noël du Fail.

De permettre qu’à travers des manifestations évoquant sa vie et ses écrits, il prenne la place qui lui revient dans

la littérature du XVIème siècle.

De faire vivre sur le plan culturel son manoir natal, en lui donnant les moyens de rayonner « noblement », en préservant l’esprit tant des lieux, que de celui qui y vit le jour.

Pour nous joindre :

Association « Les Amis de Noël du FAIL »

Siège social : Manoir de Château Letard

Route de Saint Armel

35230 Saint Erblon

Adresse e-mail : [email protected] Président fondateur : Pierre MAILLARD

Site internet : http://www.lesamisdenoeldufail.fr

L’association « Les Amis de Noël du Fail »

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ASSOCIATION DES AMIS DE NOËL DU FAIL ET D’EUTRAPEL

Manoir de Château Letard

Route de Saint Armel

35230 SAINT ERBLON

BULLETIN D’ADHESION

Je soussigné : …………………………………………………………………………..

Demeurant à : …………………………………………………………………………….

N° de Téléphone fixe : ……………………….

N° de Portable : ……………………….

Adresse de courriel : ……………………………………………………

Adhère en qualité de :

Membre actif (cotisation annuelle de 20 euros)

Membre donateur (cotisation ad libitum)

Membre bienfaiteur (cotisation unique de 100 euros)

Libellé à l’ « Association des amis de Noël du FAIL »

Et fais parvenir le présent bulletin accompagné d’un chèque d’un montant de : ………………

Fait à , le

Signature

Un reçu vous sera adressé par courriel ou par poste en retour.

Bulletin d’adhésion « Les Amis de Noël du Fail »