quartier france de grand-bassam patrimoine mondial menacé
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Quartier France de Grand-Bassam : les enjeux de la sauvegarde d’un
patrimoine mondial menacé
ANDIH Kacou Firmin Randos, Chercheur au Centre de Recherches
Architecturales et Urbaines (CRAU) / Université Félix Houphouët-Boigny
(Abidjan-Côte d’Ivoire)
Résumé
Première capitale de ce qui était la colonie française de Côte d’Ivoire de 1893 à
1900, la ville historique de Grand-Bassam appelée « quartier France » a gardé sa
configuration coloniale et une grande partie de ses bâtiments d’origine malgré
l’usure du temps.
Aujourd’hui, cet héritage qui fait de Grand-Bassam le « berceau de la Côte
d’Ivoire » est transformé en lieu touristique. Avec l’inscription du quartier
France au patrimoine mondial de l’UNESCO le 29 juin 2012, Grand-Bassam se
présente comme un patrimoine sauvé et légué à l’humanité. Toutefois, le
quartier France demeure une cité en danger en raison non seulement de la
décrépitude des bâtiments coloniaux, des tentatives ratées de rénovation mais
aussi de la montée des eaux marines.
La présente publication est le résultat de recherches documentaires,
d’observations et de collecte de données iconographiques sur le terrain et
d’entretiens avec les autorités administratives locales.
Elle dévoile les vestiges exceptionnels de la ville coloniale, identifie es menaces
qu’ils subissent et présente les défis et enjeux de la conservation de ce
patrimoine.
Mots clés : Grand-Bassam, patrimoine, menaces, enjeux, sauvegarde
Abstract
First capital of what was the French colony of Ivory Coast from 1893 to 1900,
the historic city of Grand-Bassam called “Quartier France" has kept its colonial
configuration and a large part of its original buildings despite wear time.
Today, this legacy that makes Grand-Bassam the "cradle of Côte d'Ivoire" is
transformed into a tourist site. With the inscription of the Quartier France at the
UNESCO World Heritage on June 29, 2012, Grand-Bassam presents itself as a
heritage saved and bequeathed to humanity. However, the Quartier France
remains a city in danger because of not only the decrepitude of the colonial
buildings, failed attempts at renovation but also the rise of marine waters.
This publication is the result of desk research, observations and collection of
iconographic data in the field and interviews with local administrative
authorities.
It reveals the exceptional vestiges of the colonial city, identifies the threats they
face and presents the challenges and challenges of conserving this heritage.
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Keywords: Grand-Bassam, heritage, threats, stakes, safeguard.
Introduction
Construite sur le cordon littoral à 43 kilomètres à l'Est d'Abidjan (entre l’océan
Atlantique et la lagune Ouladine), Grand-Bassam fut la porte d’entrée des
explorateurs dans l’arrière-pays .du territoire qui deviendra la Côte d’Ivoire en
1893. Bien qu’ayant été décapitalisée au profit de Bingerville en 1900 à cause de
la fièvre jaune, la ville a continué de rayonner économiquement sur la Côte
d’Ivoire jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, Grand-
Bassam a subi d’énormes mutations, passant de la ville européenne en Afrique à
la ville africaine occidentalisée. La ville historique appelée « quartier France » a
gardé sa configuration coloniale et une grande partie de ses édifices d’origine.
Toutefois, l’usure du temps, les travaux de restaurations inadaptées et les actions
humaines liées à la croissance de la ville constituent des menaces pour ce
patrimoine historique national.
La lutte pour la préservation de ce joyau historique engagée depuis trente-cinq
ans a abouti à l’inscription du quartier France de Grand-Bassam au patrimoine
mondial de l’UNESCO le 29 juin 2012. Mais la ville n’est pas sauvée pour
autant car les défis à relever pour sa conservation sont grands.
Cet article, contribution à l’aménagement et la gestion de l’espace urbain
ivoirien a pour objet de montrer les richesses de la ville coloniale, d’identifier
les principales menaces sur ces vestiges et de présenter les défis relevés ou à
relever pour leur conservation.
1. Méthodologie : espace d’étude et méthodes
1.1. Présentation de la zone d’étude
La ville de Grand-Bassam (5° 12′ Nord et 3° 44′ Ouest) est située à 43
kilomètres au Sud-Est d’Abidjan en Côte-d’Ivoire (voir figure. 1). Elle est
formée de deux entités spatiales et urbaines séparées par la lagune
Ouladine. L’une située sur le cordon littoral (sud) est constituée de la ville
coloniale appelée le quartier France (figure 2) et l’autre sur la terre ferme (nord)
constituant la ville indigène. La ville coloniale est un exemple d’urbanisme
rationnel présentant deux entités architecturales:
‐ Le quartier France ou la ville européenne de Grand-Bassam
D’une longueur de deux kilomètres pour une largeur de 350 m, ce pan de Grand-
Bassam abrite des bâtiments publics et administratifs construits entre 1885 et
1925 par les Européens. Elle conserve les traces de la présence coloniale
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Figure 1: Situation géographique du quartier
France de Grand-Bassam (Côte d’Ivoire)
Source : Archives CCT/ BNETD, reprises par
UNESCO, 2014 p.7.
française avec ses constructions de type monumental. La ville coloniale a connu
une expansion après son érection en commune mixte en 19141.
‐ Le village N’Zima
Antérieur au quartier européen qu’il jouxte, le quartier villageois ou Essanté est
un village de peuplades autochtones (pêcheurs et courtiers).
Figure 2: La ville historique de Grand-Bassam en 1950
Source : Atlas de Grand-Bassam, 2004, p.34
1 Le 31 décembre 1914, un arrêté érige Grand-Bassam en commune mixte. C’est la première commune de Côte
d’Ivoire.
Village N’Zima
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1.2. Technique de collecte des données
Trois techniques ont été utilisées pour la collecte des données présentées
dans cet article.
D’abord, la recherche documentaire qui a consisté à rassembler les écrits sur
Grand-Bassam et le quartier France. Ainsi nous avons pu collecter des
documents scientifiques tels que des mémoires, thèses, atlas, etc., des documents
historiques, des ouvrages, des articles de presse, des plans, de photographies
aériennes sur la ville de Grand-Bassam, des rapports de missions du Comité
opérationnel pour l’inscription de la ville au patrimoine de l’UNESCO, des
textes réglementaires et juridiques sur la sauvegarde du patrimoine historique.
Ces documents ont été fournis par la Maison du Patrimoine, la Mairie, le Centre
Culturel J-B Mockey, la Direction de la construction et de l’urbanisme de la
ville, la Bibliothèque Nationale, la presse écrite et Internet. Cette collecte de
données secondaires a duré de janvier 2016 à juillet 2017. Parallèlement, à la
recherche documentaire, nous avons (munis de guides d’entretien semi-directifs)
eu des interviews auprès des responsables d’institutions locales tels que la
Maison du patrimoine, la Mairie, le Musée du costume et la direction
départementale de la construction et de l’urbanisme de la ville. Les échanges ont
permis d’identifier les patrimoines historiques et de noter les actions menées par
les autorités ivoiriennes pour la conservation de cet héritage colonial devenu
désormais patrimoine culturel mondial de l’UNESCO. Enfin, deux visites
guidées par le Sous-directeur de la Maison du patrimoine et le guide du musée
du costume sur le terrain ont permis de localiser, les principaux patrimoines,
d’observer leur état et les menaces. D’importantes données iconographiques ont
été collectées à cet effet. La cartographie présentée dans cet article est tirée
principalement de cartes coloniales réadaptées avec le logiciel Adobe Illustrator.
2. Résultats
Les résultats de cette étude portent sur trois points : (i) la présentation du
patrimoine du quartier France, (ii) l’identification des menaces sur les vestiges et
les enjeux de la sauvegarde et (iii) l’analyse des actions pour la mise au
patrimoine de l’UNESCO et sa préservation.
2.1. Quartier France de Grand-Bassam : un exceptionnel
patrimoine historique et culturel national
Construite au milieu du XXe siècle, la ville de Grand-Bassam a connu un essor
remarquable entre 1897 et 1950. Le quartier France appelé la ville coloniale a
bénéficié de nombreuses infrastructures et équipements monumentaux
considérés aujourd’hui comme un patrimoine historique et culturel national. Il
possède un ensemble de patrimoines matériels et touristiques exceptionnels.
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Un patrimoine architectural unique
Le quartier France est un exemple d’urbanisme rationnel avec plusieurs entités
architecturales.
Les constructions de type monumental avec un type architectural appelé
« maison à véranda », en bois surélevées par des pilonnes, en brique de ciment,
en terre cuite ou en matériaux préfabriqués importés (de la métropole) et bâti
pour l’essentiel en hauteur. Les bâtiments servant de résidences, de bureaux ou
de commerces, se caractérisent par de grands toits en pente débordante pour
lutter contre les effets des pluies fréquentes et violentes. Le premier niveau des
maisons est souvent surélevé pour arrêter la remontée de l’humidité du sol tandis
que des galeries construites le long des façades protègent du soleil. De
nombreuses ouvertures et des menuiseries persiennes permettent de garantir une
bonne ventilation des locaux.
Le plan en damier, d’orientation nord-sud, présente « l'avantage inestimable »
d’une aération qui ne nécessite « aucun système de climatisation ».
Un patrimoine historique riche et varié
Le patrimoine historique du quartier France est de loin le plus riche des villes
côtières de Côte d’Ivoire. Il traduit le plus clairement les traces de plus de 70
années de domination politique, administrative et économique française en Côte
d’Ivoire. Quoiqu’effacées dans les esprits, les traces du passé politique
demeurent visibles au « quartier France », la ville historique. L’ancien palais des
gouverneurs (cf.photo 1) Louis-Gustave Binger2, Eugène Bertin (1896)
3, Louis
Mouttet (1896-1898) et Henri Charles Roberdeau (1898-1902) avec son tribunal
coutumier et sa prison secrète, le palais de justice4 (1911), la commanderie, le
Mess des officiers sont les vestiges de l’autorité politique et administrative
française. Les rues aux noms d’illustres résidents et militaires français
permettent de perpétuer les souvenirs de cette présence. Marcel Treich-Laplène,
considéré comme le fondateur de la Côte-d'Ivoire et Gabriel Angoulvant, le
pacificateur du territoire sont immortalisés dans les rues du quartier France de
Grand-Bassam.
Bien qu’ayant été décapitalisée en 1900 pour des questions sanitaires au profit
du village d’Adjamé Santé rebaptisé Bingerville, Grand-Bassam a conservé son
rayonnement politique et administratif avec son érection en première commune
de Côte d’Ivoire en 19145 et commune de plein exercice en 1955.
2Ier gouverneur de la Côte d’Ivoire de 1893 à 1896.
3 Mort en Côte d’Ivoire après quelques mois de gouvernance, il est enterré au cimetière municipal.
4 Destiné au départ à juger les citoyens français, il sera ouvert aux indigènes en 1930.
5 Une des premières communes mixtes d’A.O.F après Saint-Louis et Rufisque au Sénégal.
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Photo1 : Ancien palais du gouverneur construit en 1893, aujourd’hui Musée du costume
Source : Cliché Andih R. (2015)
Un patrimoine commercial révélateur d’une domination économique
Le patrimoine commercial de la ville historique de Grand-Bassam est très
présent. Dominateur de l’économie coloniale par la diversité de ses
infrastructures de commerce, la ville a été le principal centre des échanges
commerciaux avec l’extérieur. De la maison Verdier, le bureau des douanes
(1894), à la chambre de commerce en passant par les compagnies commerciales
(CFC, SCOA, CFAO, cf. photo 2), aux banques (BFA, BCA en 1900 ;cf.
photo3), au trésor et aux différents marchés (aux légumes en 1934, aux
poissons...) et entrepôts (telle que la maison des chargeurs réunis devenue
maison des artistes), les édifices commerciaux de la ville traduisent l’intensité de
l’exploitation de la colonie. Ce dynamisme économique a été à la base de la
construction de plusieurs hôtels accueillant les colons et explorateurs de passage
à Grand-Bassam.
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Photo 2: Compagnie française de l'Afrique
de l’ouest
Photo 3: La Banque Commerciale Africaine
(1890), première banque de Côte d'Ivoire
Source : Clichés Andih R, 2015
Un patrimoine socioculturel et religieux impressionnant
Le quartier France concentre un patrimoine culturel et religieux très
impressionnant avec les vestiges de l’instruction française et religieuse encore
visibles dans cette partie de la ville. Introduites au XIXe siècle par les
missionnaires français (Pères Alexandre Hamard et Emile Bonhomme)
débarqués en 1895 (cf. photo 4) avec les colons pour « évangéliser les âmes
perdues », l’école et l’église occidentales sont entrées dans la civilisation des
peuples ivoiriens. Les traces de cette colonisation culturelle et culturelle
occidentales sont les écoles, la stèle en mémoire des « pères blancs » morts en
mission pour Christ est érigée au lieu du débarquement (Wharf), monument ‘’du
grolo’’ dédié à l’ange Gabriel en 1893 et aux colons comme Treich-Laplène (cf.
photo 5 et 6) morts en terre étrangère sont remarquables.
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Photo4: Stèle aux
premiers missionnaires
blancs en Côte d'Ivoire
Photo5: Monument à
Treich-Laplène
Photo6 : Monument aux morts
de l'épidémie de fièvre jaune
qui décima 45 des 60 français
présents en 1899
Source: Clichés Andih R, 2015
La maison du Père Williams Jacob, l’Eglise du « Sacré-Cœur », église
cathédrale, la mission catholique et ses tombes de prêtres, l’Ecole Régionale,
l’Ecole de France sont autant de traces visibles qui forment le patrimoine
culturel colonial de la ville. Le bâtiment de la presse, la maison des câbles, la
maison de la poste et des télécommunications (PTT en 1894) abritant
aujourd’hui la maison du patrimoine (cf. photo 7), le cercle de l’Union
Européenne (1910)6 sont encore les vestiges de domination au niveau de la
communication des colons dans la ville. Le premier hôpital (1905) et le
dispensaire colonial devenu aujourd’hui dispensaire urbain sont encore visibles
parmi les bâtiments de l’époque (cf. photo 8).
6 Espace de retrouvailles des Européens pour débattre des sujets d’actualité en Europe.
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Photo 7 : Ancien bâtiment de la poste
(1894) aujourd'hui Maison du
patrimoine
Photo 8: Ancien hôpital de
1905
Source : Archives du Comité Opérationnel, 2012.
Au niveau du village N’Zima appendice du quartier France, le patrimoine
matériel socioculturel est constitué du palais royal des Nzima (lieu de prise de
décisions concernant le royaume), des monuments Sider et grolo, à la place de
l’Abissa (fête annuelle des peuples N’Zima ou Apolloniens), de la forêt sacrée,
de la bibliothèque municipale, et du centre culturel Jean Baptiste Mockey.
La présence européenne dans la ville a également laissé des traces dans la
patronymie locale. Certains indigènes, pour bénéficier de privilèges auprès des
colons (principalement leurs correspondants commerciaux anglais) ont adopté
des noms occidentaux. Selon Aka Assie (2015)7
, « M. Edouard Aka, un
exploitant forestier, fait partie de ces familles africaines qui ont par la suite opté
pour des noms européens (Blackson, Clinton, Hamilton, Bright, Maurisson, etc.)
afin d’avoir accès aux crédits des banques occidentales, notamment la banque
anglaise ; Ainsi, sa deuxième maison porte le nom Adouko Blackson, faisant
plus européen ».
Un musée maritime
Le quartier France a conservé les infrastructures portuaire et maritime liées aux
échanges commerciaux avec l’Europe à l’époque coloniale. Elles sont
transformées en patrimoine national. Le débarcadère pour les obélisques, le
magasin du port, les reliques du Wharf, le phare datant de 19148, le dépôt de
bois, le pont Millies-Lacroix, le pont de la victoire (1929) en sont les preuves.
Le wharf lagunaire (débarcadère situé sur le rivage Sud de la lagune Ouladine)
était composé d’un appontement de dix-neuf mètres de long sur six mètres de
large. Sa plate-forme débarcadère était équipée d’une grue de cinq tonnes et
d’une roulante de cinq tonnes également. Ce wharf lagunaire permettait à
7 Ressortissant du village.
8 Haut de 17 mètres pour une portée de 33 kms, il fut construit en 1914 et mis en service de 1915 à 1951.
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Grand-Bassam de communiquer avec les autres villes du littoral et de l’intérieur
à travers un réseau de voies d’eau (lagunes, fleuves et canaux).
Un patrimoine touristique né sur les ruines coloniales
Le quartier France est en lui-même « un album touristique ». Les principaux
centres d’intérêt sont la maison des artistes (logée dans l’ancienne maison des
chargeurs unis), le centre artisanal (ancien quartier général des colons), le centre
céramique (ancien cercle de l’Union Européenne bâti en 1910), le palais du
gouverneur (transformé en musée du costume en 1981) ou les manguiers
centenaires ou encore les fresques retraçant l’histoire coloniale.
Situé sur le cordon littoral, le quartier France abrite de nombreux réceptifs
hôteliers dont les plus anciens (hôtel de France, Atlantique hôtel construits au
début du XXe siècle) en décrépitude avancée ont laissé la place à de nouveaux
complexes hôteliers, modernes, accueillant des visiteurs, touristes et autres
séminaristes sur le bord de mer occupé de paillotes et d’hôtels.
Pour finir l’on peut retenir que le quartier France ou la ville européenne de
Grand-Bassam dispose d’un patrimoine très riche hérité de ses ‘’60 glorieuses’’9
. Ce patrimoine tombé en déclin à la fin de la colonisation, subit
malheureusement, depuis plusieurs décennies l’action de forces centrifuges qui
menacent sa suivie.
2.2. Quartier France de Grand-Bassam : des vestiges menacés
Des menaces contre l’intégrité et l’authenticité du site
Même si l’intégrité du tissu urbain et de l’environnement est préservée, il n’en
demeure pas moins que l’intégrité architecturale de plusieurs bâtiments reste
menacée dans de nombreux cas par l’abandon et l’absence d’entretien. Si
certains édifices ont été convenablement restaurés et réutilisés, l’intégrité
architecturale d’un grand nombre d’immeubles est souvent médiocre voire
mauvaise, et leur authenticité parfois altérée par de mauvaises adaptations. Les
mauvaises restaurations sont aussi une menace majeure sur l’intégrité des bâtis.
De nombreux facteurs constitutifs de menaces
Ce sont entre autres :
Les actions de l’homme : les menaces dues à l’action de l’homme sont
nombreuses. Il s’agit de l’abandon, le manque d’entretien ou la surexploitation
des bâtiments, la mauvaise exécution des travaux de réhabilitation, le
vandalisme et la destruction des édifices. Ces actions ont pour conséquences le
vieillissement, la défiguration, la déstructuration et la ruine des édifices. Les
9Le transfert en 1954, à Abidjan, du Palais de Justice qui faisait jusqu’à cette date de Grand-Bassam, la capitale
judiciaire de la colonie signe l’acte final du déclin de la ville qui a connu 60 années de gloire (1893-1954).
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rivages (lagunaire et marin) du quartier France sont également pollués et
dégradés par les populations riveraines (par des dépôts d’immondices) et les
touristes qui abandonnent leurs emballages non biodégradables sur les plages.
Les pressions liées aux activités économiques : la découverte au large des
côtes de Grand-Bassam d’une importante réserve de pétrole suscite des
inquiétudes puisque l’exploitation de ce pétrole pourrait, sur le long terme,
porter préjudice au caractère patrimonial de la ville historique. L’exploitation
des carrières de sable au niveau de l’embouchure malgré l’interdiction (par
décision municipale), se présente aussi comme une menace pour le site.
Avec la forte fréquentation de la partie balnéaire de la ville, l’on peut craindre
dans un futur lointain, que le développement du tourisme puisse porter préjudice
au paysage actuellement harmonieux du quartier France.
La non maîtrise de l’urbanisation : La densification de la population10
dans la périphérie de la ville coloniale et dans la zone tampon est une menace à
terme pour le patrimoine.
Les catastrophes naturelles : Au quartier France de Grand Bassam,
l’océan avance de façon continue d'un mètre par an11
et endommage une grande
partie du rivage. L’érosion due au transit littoral du sable provoque le
rapprochement progressif de la mer du continent et menace directement
l’intégrité du site. Aussi, le sel marin contenu dans l’embrun oxyde-t-il les
éléments métalliques et est à l’origine de la fissuration des bâtiments.
Chaque année, des végétaux flottants tels que les Eichorniacrassipes et Salvinia
molesta envahissent les eaux lagunaires et le fleuve Comoé qui traversent la
ville. Aussi, la fermeture de l’embouchure du Comoé entraine-t-elle
régulièrement des inondations dans le village N’Zima.
2.3. Les enjeux et stratégies de sauvegarde de la vieille ville
Les enjeux de la sauvegarde du patrimoine
Les enjeux de la sauvegarde du quartier France de Grand-Bassam sont
nombreux car Grand-Bassam a besoin de retrouver son âme et sauver ses
bâtiments qui depuis des décennies « luttent pour éviter de mourir » (Yedagne,
2011). La mise en patrimoine tant au niveau national qu’international a constitué
la seule alternative pour sauver le patrimoine historique et culturel de la ville. Il
faut sauver le quartier France pour les raisons suivantes :
Préserver pour ce que Grand-Bassam représente pour la Côte d’Ivoire :
Grand-Bassam est le berceau de la Côte d’Ivoire. Selon le chef du quartier
Impérial de Grand-Bassam, Nanan Kouamé Adou, « Avant d'être ivoirien, on est
10
En 2008, l’aire proposée pour inscription comptait 5000 habitants et la zone tampon 2000 habitants, soit 7000
habitants. En 2015, la population a presque doublé. 11
Le site est exposé à des raz de marrées qui inondent régulièrement l’intérieur des terres sur près de 200 mètres.
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tous Bassamois que l'on soit N'zima ou pas ». Pour beaucoup d’Ivoiriens de
l’époque coloniale comme Bernard B. Dadié (1981), « Bassam est l’enfance de
la Côte d’Ivoire toute entière ». Première capitale coloniale, portuaire,
économique et juridique de la Côte d’Ivoire, il a toujours témoigné des relations
sociales complexes entre les Européens et les Africains. Pour ce symbole, il
fallut sauver Bassam.
Sauvegarder de la ruine les traces de l’histoire coloniale : la
décapitalisation de Grand-Bassam au profit de Bingerville (1900 à 1934) a
entraîné la délocalisation progressive des équipements symboles de la
domination économique de la ville. La mise en service du wharf de Port-Bouët
en 1931, a marqué le début du déclin de la vie économique de la ville. Grand-
Bassam était une ville en danger en raison de la dégradation avancée de
plusieurs bâtiments d’intérêt patrimonial. Seulement 24% de ses édifices
coloniaux étaient en bon état, 48,5% en moyen état, 15, 5% en mauvais état et
12% en ruine. Ils nécessitaient des travaux d’entretien, de mise en valeur, de
réparation et de reconstruction d’autant plus que ce patrimoine historique et
culturel n’offrait plus d’attrait aux yeux des populations dont les centres
d’intérêts ont désormais migré vers ses plages, ses nombreux restaurants et
hôtels.
Protéger les monuments des menaces anthropiques et naturelles : entre
effacement des traces de la colonisation et conservation des vestiges par des
restaurations inadaptées, la ville coloniale de Grand-Bassam a souffert des
actions humaines. En effet, dès la fin de la colonisation en 1960, les bâtiments
coloniaux ont été l’objet de pillage par les indigènes. Les souvenirs matériels de
la domination coloniale devant être effacés, plusieurs édifices ont été dépouillés.
Précipité dans les oubliettes, cet héritage à la merci des modifications était
soumis aux actions sus-indiquées menaçant pour ainsi dire son intégrité.
Aussi l’avancée de la mer due à l’érosion marine risque-t-elle d’engloutir
plusieurs bâtiments et faire connaitre au quartier France le même sort que
certaines villes côtières comme Grand-Lahou, située au Sud-Ouest de la Côte
d’Ivoire. Selon Kanga (2011), l’ouverture de l’embouchure du fleuve Comoé est
une solution durable. Dans le même ordre d’idée que Cédric Lombardo
(2012)12
affirme ce qui suit: « La Comoé, en se jetant ici dans l'océan,
retardait l'érosion de la côte. Il faudrait rouvrir l'embouchure si on veut sauver
Grand Bassam » (cité par Duval, 2012).
L’enjeu économique : l'inscription du quartier France au patrimoine
mondial de l'Unesco suscite de nombreux espoirs pour l'obtention de moyens
financiers qui permettraient de remédier à ses nombreux problèmes. Selon M.
Maurice Bandaman, Ministre de la Culture et de la Francophonie en 2012,
12
Cédric Lombardo est un consultant français qui se bat depuis des années pour la cause écologique.
95
« Grand-Bassam va être connu sur le plan mondial comme les sept (7)
merveilles du monde. En Collaboration avec des opérateurs hôteliers, nous
allons transformer certains bâtiments en hôtels. Nous allons aussi travailler
avec la Mairie de Grand-Bassam pour que cela puisse profiter à la Côte
d’Ivoire ».
La mondialisation du patrimoine : stratégie clé pour la sauvegarde de
la ville historique
La patrimonialisation de la ville historique est passée par trois étapes :
La première étape est à l’initiative des autorités locales et gouvernementales.
En effet, l’idée de sauver Grand-Bassam est née dans les années 1970. Elle a
donné lieu à certaines initiatives émanant de l’Etat, de la Mairie, de particuliers
et de la société. Les premières études diagnostiques en vue de la conservation et
la mise en valeur du patrimoine architectural de la ville historique ont été
menées par le Centre de Recherches Architecturales et Urbaines (CRAU) de
l’Université d’Abidjan sur la commande du Ministère de la Construction et de
l’Urbanisme. Elles ont été suivies des actions suivantes :
D’abord, les premières actions de préservation ont été effectuées sur des
bâtiments privés comme publics, à partir de 1974. Des travaux ponctuels de
restauration entrepris par le Ministère de la Culture. Divers travaux de
restauration sont donc effectués de 1980 à 2002 sur des édifices qui seront
affectés à de nouvelles fonctions (cf. tableau 1 ci-après).
Les édifices privés ont aussi été l’objet de restauration par des initiatives
privées. Il s’agit de maisons Stewart, du Colombier, Tambonau, Métayer, etc.
Toutes ces restaurations du patrimoine public et privé se sont effectuées dans le
strict respect de la loi n°87-806 du 28 juillet 1987 portant protection du
patrimoine culturel, en ses articles 2, 5 à 36. Elles témoignent des efforts
entrepris par le gouvernement ivoirien pour sauver de la ruine le patrimoine
architectural de la ville historique dans la perspective de l’inscription de la ville
au patrimoine mondial.
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Tableau 1: Les édifices restaurés et leurs nouvelles affectations
N°
d’ordre
Edifice et Date de
construction
Dates de
restauration
Nouvelles
affectations
1 Palais du
Gouverneur
1893 1977 / 1980 Musée National du
Costume
2 Marché au Poisson - 1982 Centre culturel JB.
Mockey
3 Ancien Centre
culturel Français
1910 1985 Centre coopératif des
Céramistes
4 Hôpital de Grand
Bassam
1905 2001 Direction Régionale
de la Santé
5 Marché des
légumes
1934 2001 Bibliothèque
Municipale
6 Hôtel des Postes et
de la douane
1894 1993 / 2002 Maison du
Patrimoine
Source : Adapté à partir du Dossier de nomination à l’UNESCO, 2012 p.39.
Le 11 juillet 2002, la Maison du patrimoine est créée par décret et rattachée au
ministère de la Culture et de la Francophonie. Son premier objectif fut de
procéder à un inventaire et de mettre en valeur le patrimoine culturel de Grand-
Bassam afin de créer un pôle d’attraction permettant le développement culturel,
artistique et touristique du littoral Est de la Côte d’Ivoire.
Ensuite, la réalisation d’enquêtes de terrain par une équipe constituée
d’experts nationaux, d’ONG et la notabilité du village a permis en 2004 de
collecter les documents sur l’histoire de la ville.
Enfin, des travaux d’aménagement ont été réalisés à l’initiative du Maire
de la ville pour l’embellissement du site, l’adressage des rues, le bitumage de
certaines voies et la viabilisation des certaines maisons coloniales. Avec le
concours du Conseil Général et la Maison du patrimoine, des sensibilisations ont
été menées auprès de la population sur la préservation de ce patrimoine national.
La deuxième étape : l’évolution du cadre législatif et réglementaire. En effet,
pour renforcer les atouts culturels de la ville, plusieurs dispositions juridiques
ont été prises depuis le vote de la loi n°87-807 du 28 juillet 1987 portant
protection du patrimoine Culturel. C’est ainsi que le décret n°91-23 du 30
janvier 1991 classe des monuments de la ville de Grand-Bassam ; tandis qu’en
1999, un autre délimite le périmètre de protection du patrimoine architectural et
en 2001, un arrêté interministériel réglementait la conservation, la restauration et
la mise en valeur du patrimoine architectural de Grand Bassam.
En 2008, le quartier France fut inscrit par la Côte d’Ivoire sur la liste-
candidature, mise en renvoi en juin 2009 lors de la 33è conférence du comité du
patrimoine mondial de l’Unesco réuni à Séville en Espagne. Après le rejet de
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son dossier en 2010 par l’UNESCO, la ville s’est préparée à nouveau pour
l’inscription au patrimoine mondial en créant un Comité Opérationnel pour
l’Inscription de la Ville historique de Grand-Bassam (COI-VGB). Les
recommandations sur le dossier ont permis de corriger les sept points de lacunes
pour une meilleure présentation pour la session de juin 2012.
La même année, plusieurs ajustements réglementaires ont été faits avec la
création du comité local de gestion de la ville historique, de la commission
chargée de l’examen du permis de construire sur le site de la ville historique; le
classement des monuments et la délimitation du périmètre de protection du
patrimoine architectural (cf. figure 3), ou encore la création de l’office ivoirien
du patrimoine culturel et la mise en place du plan de préservation de la ville
historique de Grand-Bassam. Figure 3 : Limites du bien proposé pour inscription et de la zone tampon
Source : Cabinet d’Architecte AUP, UNESCO 2014, p.14
Troisième étape : l’inscription du quartier France sur la liste de patrimoine
mondial de l’UNESCO le vendredi 29 juin 2012.Elle est le couronnement de
plus de trente-cinq ans d’actions menées par le maire de la ville, en collaboration
avec le ministère de la Culture et de la Francophonie. Selon le rapport de
l’UNESCO (Comité Opérationnel, 2012), la ville de Grand-Bassam est proposée
à l’inscription sur la base des critères iii et iv13
.
13
Le critère (iii) stipule que le bien doit « apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une
tradition ou une civilisation vivante ou disparue ».Le critère (iv) formule que le bien doit « Offrir un exemple
éminent d’un type de construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une
période ou des périodes significatives de l’histoire humaine ».
98
Le bien mis en patrimoine et son état
La surface du bien proposé au patrimoine couvre une surface de 109,40 ha. Elle
est protégée par une zone tampon de 561,38 ha. Le bien inscrit sur la liste de
l’UNESCO est composé d’un patrimoine culturel immobilier et d’un patrimoine
culturel immatériel.
Le patrimoine culturel immobilier : à l’origine, il convient de noter que
vingt (20) bâtiments historiques de nature publique situés sur le périmètre de la
Ville historique de Grand-Bassam ont fait l’objet de classement sur la liste du
patrimoine culturel national par le décret n° 91-23 du 30 janvier 1991 en
application des dispositions de la loi N° 87-806 du 28 juillet 1987 portant
protection du patrimoine culturel.
A cette liste du patrimoine culturel national, ont été ajoutés quinze (15) autres
bâtiments exceptionnels et/ou remarquables par l’arrêté n°09/MCF-CAB du 20
janvier 2012 qui complète les dispositions du décret N° 91-23 du 30 janvier
1991 portant classement des monuments de la Ville Historique de Grand-
Bassam. Soit un total de trente et cinq (35) bâtiments protégés dans le périmètre
de protection. Ce patrimoine matériel composé de bâtiments anciens (coloniaux,
traditionnels, monuments religieux), des paysages culturels (bois sacré,
manguiers centenaires) et des monuments d’art commémoratifs bénéficie d’une
protection particulière. Le patrimoine de Grand-Bassam est classé en quatre
groupes répartis dans les quatre zones urbaines du quartier France (figure 4). Il
s’agit des biens du patrimoine exceptionnel, des biens du patrimoine
remarquable, des biens du patrimoine ordinaire et des biens inscrits sur liste du
patrimoine national. Figure 4 : Répartition des biens selon les zones urbaines
Source : Cabinet d’architecte AUP, 2012
99
Dans la zone résidentielle située entre le Boulevard Angoulvant et le cimetière
municipal (30,75 ha), 87 bâtiments principaux classés en patrimoines
exceptionnels et remarquables et 44 annexes en dehors des neuf complexes
hôteliers sont identifiés. Le Mess des officiers est classé comme patrimoine
exceptionnel tandis que la Maison Diaw, l’ancienne Ecole Régionale, l’Ecole
primaire publique 4 et l’ancien hôpital sont classés au patrimoine remarquable.
Dans la zone administrative (située entre la rue du Général Mangin et le
boulevard Angoulvant) de superficie 22, 9 ha, 80 bâtiments principaux et 41
annexes ont été classés. Dans cette zone, les biens classés patrimoines
exceptionnels sont le Palais de justice, le Palais du gouverneur, la Maison du
patrimoine culturel et l’Evêché. Ceux classés patrimoines remarquables sont
l’ancienne Limonaderie (actuelle maison Morisson), la Préfecture, la Maison des
artistes (ancien bâtiment des chargeurs réunis), l’Eglise du sacré Cœur, le
Presbytère et l’ancien siège de la CFAO. Les biens classés patrimoine ordinaires
sont composés des deux monuments commémoratifs ; la Stèle à Treich-Laplène
et le Monument du débarquement. Les biens inscrits sur la liste du patrimoine
national sont nombreux. Il s’agit entre autres de la Mairie, l’hôtel des postes et la
douane, l’ancienne maison du trésor, l’ancien marché, la CFCI, le phare, le
wharf maritime, le débarcadère, les voies Decauvilles, etc.
Dans la zone commerciale (allant de la rue Mangin à la place Abissa) d’une
superficie de 22,58 ha, il y a 218 bâtiments principaux et 38 annexes classés en
dehors de 06 restaurants et deux complexes hôteliers. Le bien classé patrimoine
exceptionnel est la Maison Ganamet. Les biens du patrimoine remarquable sont
le Centre culturel Jean baptiste Mockey (ancien marché), la Bibliothèque
(ancien marché), le centre culturel français (actuel Centre céramique), la Maison
AkilBorro, la Maison Edouard Aka, l’Hôtel de France, l’ancien BCA, la Maison
Varlet et la Maison Kétouré.
Dans le Village N’Zima (partant de la place Abissa à l’embouchure soit 10,20
ha), en dehors du village retenu pour l’histoire et l’approche conviviale de
l’espace, les monuments Sider et Gros lot, le Bouakey, lieu de purification du roi
et ses attributs sont également classés au patrimoine mondial.
Le patrimoine culturel immatériel est formé de l’Abissa. C’est une
manifestation annuelle14
marquée par des danses et des séances rituelles, des
chants satiriques et des critiques sociales destinés à apaiser les conflits et les
tensions au sein de la communauté. C’est un évènement social d’une importance
capitale institué par le peuple N’Zima Kotoko depuis plusieurs générations.
14
Se déroule pendant une semaine, du dernier dimanche du mois d’octobre au premier dimanche de novembre.
100
Sous ses apparences carnavalesques, l’Abissa est une danse de purification, de
retrouvailles et de pardon mutuel perpétué par les sept clans du groupe ethnique.
Il a été classé patrimoine culturel immatériel.
Quel est l’état du bien après l’inscription au patrimoine mondial ?
Au niveau du bâti dans les zones administratives et résidentielles, mis à part
l’ancien Palais de justice et l’école régionale qui sont en état de ruine, la
majorité des édifices publics a été maintenu en état et leurs caractéristiques
patrimoniales globalement préservées. Il en est de même des édifices privés qui,
pour la plupart bien entretenus, n’ont pas été dégradés. Cependant, certaines
maisons appartenant à l’Etat ne sont pas bien entretenues.
Dans la zone commerciale, un certain nombre d’édifices sont dégradés, du fait
de leur abandon par leurs occupants (maison Ganamet, Edouard Aka, Hôtel de
France...). Par ailleurs, des édifices comme la maison Treich-Laplène ont été très
dégradés par des travaux de rénovation qui ont totalement défiguré leur structure
d’origine. Il est prévu, dans le plan de gestion, un programme de restauration et
de réutilisation de ces bâtiments. Dans cette perspective, des travaux de
rénovation réussie viennent d’être réalisés même si par ailleurs, des malfaçons
sont à noter sur certains bâtiments rénovés (exemple de la maison Ketouré).
Dans le village N’Zima, les constructions en matériaux durables résistent au
temps, alors que celles à base végétale font l’objet d’une perpétuelle
réhabilitation par leurs occupants compte tenu de leur fragilité face aux
intempéries. Pour tous les édifices qui sont encore en ruine, des dispositions sont
en train d’être prises par les autorités en vue d’assurer leur restauration
Au niveau de la voirie qui s’organise autour de trois axes principaux que sont le
boulevard Angoulvant, le boulevard Treich-Laplène et le boulevard Louis
Alphonse Bonhoure., on note qu’en dehors du boulevard Angoulvant qui connaît
un problème de drainage perceptible en temps de pluie, les deux autres
boulevards (bitumés) sont dans un état relativement bon. Dans l’ensemble, les
rues sont bien entretenues, à l’exception des rues Fleuriot de Langle et Général
Mangin envahies par la broussaille. Cependant, des travaux d’assainissement et
de préservation du littoral prévus dans le plan de gestion attendent d’être réalisés
pour aider à solutionner les problèmes de drainage.
Les stratégies de préservation
Deux stratégies sont mises en place pour préserver et sauvegarder le patrimoine
historique de Grand-Bassam. Il s’agit de :
-La mise en place de plans de préservation, de conservation et de gestion
élaborés par ‘’La Maison du Patrimoine Culturel’’. Créée en 2002, cette
institution assure la gestion actuelle du site à partir des orientations du Comité
Local de Gestion (CLG). Ces plans sont un ensemble de servitudes et
101
prescriptions architecturales et techniques définis pour la conservation, la
restauration et la mise en valeur du patrimoine architectural et urbain à
l’intérieur du périmètre de protection et de la zone tampon délimités sur la
commune de Grand Bassam.
Pour la valorisation du patrimoine, un plan de gestion des sites, des outils de
planification communale et des organes de gestion incluant des dispositifs
traditionnels de gestion ont été mis en place. Ainsi au niveau du cadre juridique,
la réglementation a été actualisée, avec un cadre institutionnel et un dispositif
juridique adaptés, permettant de renforcer son efficacité et faciliter son
application effective. Les moyens de gestion quant à eux sont basés sur le
Service Technique de la Mairie de Grand-Bassam (qui assure l’entretien courant
du site) et sur une commission chargée des permis de construire (qui s’occupe
du contrôle des constructions et aménagements sur le site).
Les principes clés du cadre de gestion du patrimoine sont le partage des
responsabilités (coopération Etat-collectivités, mutualisation des ressources),
l’association des populations (consultation et participation) et la construction
d’une approche transversale (le patrimoine étant inscrit dans une dynamique de
développement urbain et de stratégies économiques).
-La restauration des édifices coloniaux par des initiatives publiques et privées.
Ces initiatives visent à renforcer celles effectuées avant 2012.Les règles
architecturales imposées pour la restauration des édifices et les nouvelles
constructions dans le périmètre protégé sont définies par la loi de 1987 portant
protection du patrimoine. Cet instrument juridique garantit la protection de
l’intégralité du quartier France, par le respect de son harmonie architecturale.
Ainsi, toute maison nouvellement construite dans l’enceinte de ce périmètre
protégé doit se conformer à l’architecture coloniale en reproduisant les
caractéristiques et en n’excédant pas les deux étages. Des dispositions en
matière de contrôle sont prises par les agents de la maison du patrimoine culturel
pour suivre l’effectivité de ces mesures (Yedagne 2011).
102
3. Discussion
Si pour la sauvegarde du patrimoine du quartier France de Grand-Bassam, le
défi de l’inscription sur la liste des patrimoines mondiaux de l’UNESCO a été
relevé le 29 juin 2012, la conservation du bien, quant à elle, reste un pari non
encore gagné d’avance.
En effet, l’inscription de la ville historique de Grand-Bassam au patrimoine
mondial ne doit pas faire perdre de vue les défis à relever pour la maintenir sur
la liste (Traoré 2014). C’est un pari qui n’est pas gagné d’avance, ce que mesure
pleinement M. Georges Ezaley15
, le Maire (de 2013 à 2018) de la ville lorsqu’il
affirme que « il faut surtout conserver, préserver ce label de patrimoine mondial
de l’UNESCO parce que ce n’est pas un acquis, rien n’est définitif » (Joyce,
2014). Plusieurs actions nécessaires à la conservation du patrimoine de la ville,
sont initiées ou réclamées par les bénéficiaires et partenaires. Mais les facteurs
de succès de ce pari sont d’abord le financement des investissements. Selon
Traoré (2014), réhabiliter le bien et son environnement nécessite des
investissements importants, essentiellement à la charge de l’Etat et de la Mairie.
Or les capacités d’investissement global annuel de la commune de Grand-
Bassam ne sont estimées qu’à 859 millions de francs CFA16
dont une partie (6%
) est destinée à l’entretien et à l’assainissement du site (Traoré, 2014). Une
augmentation du budget alloué à la restauration du site est donc souhaitée.
Comme solution, La Traoré (2014) propose des investissements privés pour la
réhabilitation du patrimoine privé, pouvant être utilisé à des fins de logements,
d’équipements et infrastructures pour saisir les nouvelles opportunités lucratives
touristiques ou de loisirs. De nouvelles sources de financement ou des mesures
d’exonération fiscale pouvant incitée les opérateurs privés à investir dans la
restauration des bâtiments devront alors être envisagées. Tout cela montre que la
gestion des sites mis en patrimoine doit être inscrite dans une vision stratégique,
ce qui rejoint la proposition de Kanga (2011) concernant la préservation du bien.
Il préconise l’élaboration d’une vision stratégique, de principes et d’instruments
fondés sur deux impératifs ; celui de la préservation de l’intégrité (éviter de
détruire) et la préservation de l’authenticité (éviter de dénaturer). De ce fait, la
sensibilisation permanente des acteurs et du public apparait comme une autre clé
de succès des plans de préservation. Stratégie que partage l’UNESCO (2014)
lorsqu’elle préconise une sensibilisation sous forme d’actions à vocation
culturelle, comme l’organisation de journées thématiques et d’expositions sur la
ville de Grand-Bassam ou de communications institutionnelles à l’exemple des
opérations de replantage d’arbres visant à reconstituer les alignements des
boulevards Treich-Lapleine et Bonhoure. Ces opérations devraient associer les 15
Lors d’une interview accordée au magazine ivoirien « Top Visage » le 27 janvier 2014. 16
FCFA : Communauté Financière Africaine; US $1 = 500 FCFA ; £1 = 1000 FCFA ; 1 € = 655 ,957FCFA.
103
établissements scolaires de la commune pour permettre aux nouvelles
générations de participer à la sauvegarde du passé. Le développement de la ville
doit donc être en adéquation avec la conservation du patrimoine mondial.
Conclusion
Grand-Bassam est la plus ancienne capitale qui a marqué l’histoire coloniale de
la Côte d’Ivoire. Sa domination politique éphémère de 1893 à 1900 n’a pas pour
autant mis fin à son hégémonie économique et culturelle sur la Côte d’ivoire.
Plus d’un siècle plus tard, Grand-Bassam, conserve toujours sa valeur de ville
historique, mémoire de la Côte d’Ivoire. L’inscription du quartier France au
patrimoine mondial de l’UNESCO en 2012 a permis de sauver de la ruine cette
ville qui est désormais un patrimoine légué à toute l’humanité. Toutefois, cet
héritage doit être préservé pour continuer à subsister sur la liste des merveilles
du monde et dans la mémoire des Ivoiriens.
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