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Le mardi 18 octobre 2011 | Volume 101 Numéro 6 Fait tomber les masques depuis 1977 le délit Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill delitfrancais.com le seul journal francophone de l’Université McGill Mascarade

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Le mardi 18 octobre 2011 | Volume 101 Numéro 6 Fait tomber les masques depuis 1977

le délit Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

delitfrancais.comle seul journal francophone de l’Université McGill

Mascarade

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rédaction3480 rue McTavish, bureau B•24

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6784

Télécopieur : +1 514 398-8318Rédactrice en chef [email protected]

Anabel Cossette CivitellaActualité[email protected] de section Emma Ailinn HautecœurSecrétaire de rédaction Florent Conti Arts&[email protected] de section

Raphaël D. FerlandSecrétaire de rédaction

Alexis ChembletteSociété[email protected]

Francis L.-RacineCoordonnateur de la production [email protected]

Xavier PlamondonCoordonnateur [email protected]

Alice [email protected] de la [email protected]

Anselme Le TexierCoordonnateur [email protected]

Nicolas [email protected]

Mathieu MénardCollaborationMarek Ahnee, Sabrina Ait-Akil, Emilie Blanchard, Jonathan Brosseau, Martine Chapuis, Rouguiatou Diallo, Laure Henri-Garand, Annick Lavogiez, John Levesque, Annie Li, Élise Maciol, Margaux Meurisse, Nathalie O’Neill, Marion Provencher, Nicolas Quiazua, Lucas Roux, Mathieu Santerre, Miruna Tarcau, Jean-François TrudelleCouverturePhoto: Alice DestombeMontage: Xavier Plamondon

bureau publicitaire3480 rue McTavish, bureau B•26

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6790

Télécopieur : +1 514 [email protected]

Publicité et Gérance Boris Shedov

Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert

The McGill [email protected]

Joan MosesConseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD)Tom Acker, Emilio Comay del Junco, Humera Jabir, Anthony Lecossois, Whitney Malett, Dominic Popowich, Sana Saeed, Mai Anh Tran-Ho, Will Vanderbilt, Aaron Vansintjan, Sami Yasin

le seul journal francophone de l’université McGill

le délit

Le Délit se penchait cette semaine sur le thème de la mascarade. À l’aube de la réflexion, il y avait les sujets

comme la corruption au ministère des Transports, qui a engendré nombre de contestations citoyennes mascarades-ques, la grève de MUNACA, qui donne lieu à une parade tous les matins devant les portails de McGill, et, bien sûr, l’émi-nence de la fête d’Halloween qui s’en vient, qui nous donne des ailes pour se déguiser et travestir notre identité.

Du balai les libéraux! L’imposture de l’attribution des

contrats par le ministère des Transports est un bon point de départ à la parade de la calomnie. Parade, de par l’effet domi-no que l’attribution des contrats a créé sur la province de Québec. Pour illus-trer mes propos, il suffit de jeter un œil sur ce qui se passera aujourd’hui, mardi 18 octobre, aux portes du Parlement. Le groupe Génération d’idées, en coopéra-tion avec l’Action Terroriste Socialement Acceptable (ATSA), se mobilisera pour «balayer les libéraux» sur le parvis de l’Assemblée nationale près de la Fontaine de Tourny.

Génération d’idées est un organisme à but non lucratif visant à offrir aux jeu-nes Québécois une plateforme d’expres-sion pour réagir aux enjeux actuels de la société. L’organisation, en partenariat avec l’ATSA, donnait la possibilité aux Québécois intéressés d’acheter un balai au prix de 12 dollars. Les balais amassés seront montés en une structure artis-tique, devenant ainsi le symbole de la démocratie québécoise afin de bien faire comprendre l’exaspération citoyenne ac-tuelle.

Des lettres ouvertes envoyées par des citoyens exaspérés lancent le même son de cloche. Sur les tribunes, on crie pour

faire cesser la farce politique. Pourtant, les libéraux, ce sont les Québécois qui les ont élus aux dernières élections… S’était-on déguisé pour aller aux urnes?

Devant le spectre d’une possible com-mission d’enquête publique, Jean Charest se cache derrière son masque. Il se prépare peut-être pour le 31 octobre? Combien de jeunes (et moins jeunes) porteront un masque à l’effigie de Jean Charest le soir d’Halloween? Les paris sont ouverts!

McGill récompensée: une superche-rie?

La grève de MUNACA n’est un mys-tère pour personne. Depuis la rentrée, les employés de soutien de McGill bran-dissent le poing vers l’administration de l’université. Depuis septembre, ils ne sont pas au travail parce qu’ils protestent contre leurs conditions.

Étonnamment, McGill a tout de même été classée au rang des 100 meilleurs employeurs du Canada pour 2012, une mention qu’elle reçoit pour la quatrième année consécutive. Les critères de sélec-tion du classement étaient basés sur leurs pratiques à l’égard des ressources humai-nes, soient «le milieu de travail physique, l’atmosphère de travail et climat social, les avantages sociaux et financiers, la protec-tion familiale, les vacances et congés, la communication avec les employés, la ges-tion du rendement», etc.

C’est probablement une blague. Une grande farce destinée à faire sourire la communauté académique trop sérieuse. Ou bien c’est de la propagande.

Même si les requêtes des employés de MUNACA sont illégitimes et exagé-rées, que les syndiqués crient le ventre plein et ne sont pas du tout les victimes qu’ils disent être, même si tout ça était le cas, reste que le «climat de travail» ne peut pas être agréable, qu’il est impos-sible que la «communication avec les employés» soit bien portante, et pour la «gestion de rendement», on repassera,

avec tous les délais administratifs engen-drés par la grève…

La parade d’HalloweenSur une note plus ludique, prenons un

moment pour vérifier les recommandations gouvernementales au sujet de la soirée cos-tumée du 31 octobre.

«Les enfants risquent de s’étrangler avec certaines friandises comme les bon-bons mous, les arachides et les bonbons durs.» Après avoir retiré ces friandises du sac de votre enfant, il ne reste pas grand-chose…

«Les enfants qui ne sont pas accom-pagnés par un adulte peuvent être victimes de blessures et d’intimidation par d’autres enfants ou entrer en contact avec des pré-dateurs.» C’est probablement vrai, mais il ne faut pas trop en mettre.

«Chandelles, citrouilles illuminées, briquets et allumettes posent un risque d’incendie.» Malheureusement, c’est la décoration la plus symbolique de la fête d’Halloween.

Et la description continue, mettant un frein à tous les petits plaisirs de la fête. Dans notre société ultra-protectrice-conservatri-ce-anxieuse, il est bien normal de s’inquié-ter de la sécurité de nos enfants lors de cet-te parade déguisée. Pourtant, n’y a-t-il pas là un désir un peu sadique de surprotéger pour mieux contrôler?

La bonne nouvelle pour les parents anxieux réside toutefois dans la nouvelle application web sur le marché depuis le 12 octobre dernier. Iconosys Inc., une compa-gnie importante dans le développement de «sécurité mobile», propose Trick or Tracker, conçue dans le but de retrouver vos enfants dans le noir de la soirée macabre. S’agit simplement d’équiper votre enfant d’un téléphone intelligent, et le tour est joué.

Enfin. Bon numéro spécial, vive la mascarade, vive l’imposture, le traquenard, le guet-apens, le maquillage, la supercherie, le plagiat et tout autre forme de déguise-ment. x

Le carnavalAnabel Glosette au NutellaLe Délit

É[email protected]

2 Éditorial x le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

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4 Spécial Mascarade x le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

Mascaradewww.delitfrancais.com

Le Canada passe sous le bistouri cet automne, pour un lifting du faciès. Un lifting à rebours, en fait, puisque la Couronne britannique revient dans les bonnes grâces de l’image-rie canadienne.Comme si le pays trouvait son visage trop lisse, et s’ennuyait de ses rides.

La presse a ridiculisé d’une voix ce complexe soudain. De fait, l’opération semble rivaliser de bêtise avec l’émulation du culte carcéral américain à l’encontre des alizés statistiques.

Le Devoir, notamment, y voit un «écran de fumée masquant des enjeux prioritaires négligés». Bob Rae, lui, discerne l’expression d’une «vulnérabilité» conservatri-ce. Mais c’est bien tout le contrai-re!

Plus qu’un simple maquilla-ge, c’est une véritable chirurgie, un effort concerté des Conservateurs pour calquer l’imaginaire national sur un nouveau «parti naturel du Canada».

D’abord, cet élan de britanni-cité paraît paradoxal. Après tout, la base Conservatrice n’est-elle pas américanophile, suffisam-ment téméraire pour embras-

ser sans remords les mœurs de l’Oncle Sam?

Pour élucider la chose, il faut regarder le grand tableau et remonter la généalogie conserva-trice, jusqu’à John G. Diefenbaker puis John A. Macdonald. En fait, jusqu’au passé anglophile de cette famille politique.

La stratégie harperite entend dépoussiérer le fil bleu de l’his-toire pour rendre la monnaie de sa pièce à l’ex-hégémonie libérale. En reconquérant leur britannicité ancestrale, les Conservateurs es-pèrent envahir la mémoire cana-dienne.

Ainsi, la nouvelle carte de visite de John Baird (brodée d’or!) n’est pas anodine: elle omet le «bâtiment Lester B. Pearson» de l’adresse du bureau chef des Affaires Étrangères, tandis qu’en parallèle un nouvel édifice minis-

tériel a été inauguré au nom de… John G. Diefenbaker!

Le mandat du Chief Diefenbaker est serré au milieu d’un demi-siècle de règne libéral. Îlot bleu dans un océan rouge, les Conservateurs n’ont pas d’autre choix que de le maintenir à flot dans la mémoire nationale, preuve qu’ils ont traversé le temps sans sombrer.

Justement, de toutes les posi-tions politiques de Diefenbaker, c’est l’identité britannique qu’il soutînt avec le plus d’éloquence. Sans doute les chirurgiens plasti-ciens du Canada espèrent-ils ren-dre le pays plus au goût du défunt premier ministre, et ainsi réclamer son héritage.

Mais ce serait oublier l’ultime (et épique) campagne du Chief, qui s’opposa bec et ongles, jusqu’aux confins de l’hiver, à l’adoption de l’unifolié, celui-là même que les

Conservateurs, dans un énième emprunt de ce que les États-Unis ont de moins bon à offrir, viennent de sacraliser!

Alors Harper aurait beau or-donner qu’on sculpte, au scalpel, le visage du Canada comme un so-sie d’Élisabeth II –ce qu’il fait déjà, dans un sens, en ornant chaque ambassade d’un portrait régal– Diefenbaker ne se laisserait pas séduire pour autant, lui qui voyait dans l’unifolié, et non sans raison, une pure ingénierie Libérale.

Les Conservateurs ne sont donc pas les premiers à forcer la symbolique historique de leur bord. Du coup, si l’on ne veut pas perdre la tête devant le visage janusien du pays –et si je puis me permettre d’écrire la chute la plus mièvre jamais publiée dans ce jour-nal– il est crucial que l’on sache aller au-delà des apparences. x

Une question de complexesLucas Roux | Morceau de pipeau

CHRONIQUE

Substitut de grèvisteMcGill contourne-t-il la loi pour combler les postes des syndiqués de MUNACA?

CAMPUS

Le 4 octobre, donnant suite au rapport de l’enquêteur du Ministère du travail,

la Commission des Relations du Travail (CRT) rejette la demande d’ordonnance provisoire faite par MUNACA au sujet de l’emploi de briseurs de grève par l’Univer-sité McGill, une pratique illégale au Québec. Michael Di Grappa, Vice-président Administration et Finances à McGill se dit «très content de savoir que McGill avait raison, [ayant] en tout temps suivi toutes les lois».

Le 23 septembre, suite à une demande de MUNACA, Thomas Hayden, enquêteur du ministère –le même qui, en 2008, révélait que l’université violait le code du travail en utilisant des briseurs de grève lors du conflit de travail avec les Auxiliaires d’Enseignement– produit un rapport faisant part de violations à l’article 109.1 du code du travail. Le rapport stipule que, sur 105 employés non académi-ques rencontrés sur le campus de l’université, 15 employés rem-plissaient, de façon illégitime, des tâches incombant aux employés de MUNACA en grève.

Parmi ces 15 employés, la plu-part sont membres de l’Association

des Employés de Soutien de l’Uni-versité McGill (AMUSE, jeune syndicat représentant les employés occasionnels à McGill) en négo-ciations concernant une première convention collective. De par cette absence de convention collective, les membres de l’AMUSE ne béné-ficient pas d’une description spé-cifique de leurs tâches, du lieu de leur travail ou du nombre d’heures à travailler.

Plutôt, dans la nature même de leur travail, les «occasionnels», selon l’annexe cinq de la conven-tion collective de MUNACA, sont embauchés pour «alléger la charge de travail» voire «remplacer [les] salariés réguliers».

De plus, ladite annexe ne men-tione en aucun cas le procédé à appliquer en cas de grève. Pour ces raisons, l’annexe cinq semble être en grande partie responsable de la décision rendue par la CRT de rejeter la demande d’ordonnance provisoire.

Les demandes pour la pro-chaine convention collective étant d’ores et déjà déposées, une révi-sion de l’annexe est maintenant hors du pouvoir de MUNACA. Par contre, les employés occasionnels étant maintenant syndicalisés par AMUSE, ces derniers seront bien-tôt munis d’une convention col-lective qui pourrait régulariser leur

situation d’emploi et corriger cette situation.

Le verdict de la CRT selon lequel McGill ne remplace pas les travailleurs de MUNACA illéga-lement ne semble pas nécessaire-ment vouloir dire que l’université ne contourne pas la loi pour les remplacer. Le président de l’AMU-SE, Farid Attar, pense que «la façon dont l’université gère son travail non académique lui permet de fonctionner comme à l’habitude». Le Délit s’est entretenu avec une étu-diante de première année, engagée par l’université en tant qu’assistante bibliothécaire deux jours seulement avant que la grève soit déclarée. Selon Farid Attar, cette situation n’est pas un cas isolé: «l’université a engagé un grand nombre d’em-ployés occasionnels en se préparant pour la grève et ceux-ci travaillent plus d’heures qu’à l’habitude». Un constat qu’AMUSE envoie réguliè-rement, sous forme de rapports, à MUNACA. Selon Kevin Whittaker, président de MUNACA, une autre méthode utilisée par McGill pour contourner la loi serait d’identifier certains postes sous l’appellation «managerielle» –pouvant remplacer légalement les employés en grève– alors qu’ils ne le sont pas réelle-ment.

D’un autre côté, les ressources disponibles pour les enquêtes du

Ministère du Travail semblent ne pas être suffisantes. Pour conduire une enquête plus en profondeur, monsieur Whittaker pense que plus d’un enquêteur serait néces-saire; sachant que pour l’instant «seulement une mince partie de la population a été considérée lors de l’enquête». Cette affirmation est soutenue par le document offi-ciel émis par la CRT, notant que l’enquêteur n’a couvert que «5% du campus pendant son enquête». Farid Attar pense aussi qu’il «serait important de revoir les ressour-ces allouées aux enquêteurs dans les conflits de travail». En fait, au ministère, on explique que la seule ressource disponible pour les en-quêteurs est de «faire le parcours des lieux suite à une autorisation d’accès à l’établissement faite par l’employeur».

À propos des conclusions di-vergentes entre le rapport de l’en-quêteur du ministère et la décision rendue le 4 octobre par la CRT, Kevin Whittaker ajoute que «le pro-blème réside au cœur de la CRT». Selon lui, il est peu probable que l’université puisse fonctionner tout en suivant la loi, alors que 1700 de ses employés réguliers sont en grève. Selon lui, le véritable impact de l’absence de ces membres se fera sentir pendant la période d’exa-mens et d’inscription pour la ses-

sion d’hiver et il compte «enquêter de très près durant cette période».

La décision de la CRT n’est pas définitive. Monsieur Attar pense que «McGill n’est pas pour autant libérée de tout soupçon». MUNACA, de son côté, annonce qu’elle compte contester la décision de la CRT et qu’elle continuera à enquêter «sur d’autres cas de bri-seurs de grève portés à [leur] atten-tion par [leurs] membres et [leurs] alliés quotidiennement». Par contre, étant donné la conjoncture actuelle, il semblerait que McGill réussisse à naviguer sous un couvert légal. x

nicolas QuiazuaLe Délit

Crédit photo: Camille Chabrol

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5Spécial Mascaradex le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

Pour la quatrième année consécutive, les 4, 5 et 6 octobre, la Conférence sur

la sécurité alimentaire à McGill présentait avec moult détails les enjeux et conséquences de la crise alimentaire actuelle. Le rassemble-ment d’étudiants en sciences, en économie, en développement inter-national, ainsi que les professeurs et les conférenciers cogitaient sur les actions entreprises notamment dans la corne de l’Afrique dans les derniers mois.

Malgré la pertinence et l’inté-rêt de certaines interventions, de nombreuses présentations s’adres-saient à une foule à la fois instruite et ignorante: des discours très secs et longs qui demandaient beaucoup d’attention, un support visuel infi-niment ennuyeux mais chargé, et un contenu absolument réchauffé et sans nouveauté.

«Les présentateurs ne sem-blent pas connaître les bases mini-males de la communication. Leurs PowerPoints sont ennuyeux, il ne disent rien et il n’ont pas d’image» commentait une auditrice après quelques heures de ce traitement.

Daniel Gustasfon, le direc-teur de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agri-

culture (FAO), avançait que l’incer-titude de la situation des paysans et les prix volatiles rendent leur situa-tion précaire. «Les chocs économi-ques à court terme affectent le long terme»; il soutient que «les plus vul-nérables souffrent le plus», et que «moins les récoltes sont diversifiées, moins les familles et le pays sont à l’abri.»

Tout cela n’a rien de révélateur. Faut-il vraiment travailler à l’Orga-nisation des Nations Unies pour arriver à ces conclusions? N’est-ce pas là un écran de fumée pour nous faire croire qu’ils accomplissent de grandes choses alors que rien ne se passe concrètement?

Zelda, une étudiante en envi-ronnement à McGill y met son grain de sel: «Ils parlent beaucoup, mais pour ne dire absolument rien. Ces présentateurs travaillent à l’étranger, mais font-ils vraiment une différence? Je l’espère, car ils gagnent beaucoup d’argent!»

Le second conférencier de l’après-midi ne brillait pas non plus par ses propos recherchés. Sergiy Zorya commentait la volatilité des prix des matières premières. Rien de nouveau sous le soleil, puisqu’il an-nonçait que «le coût du pétrole va augmenter, mais que le prix des fac-teurs de production va descendre si on impose de bonnes politiques».

Il ajoute aussi dramatiquement

que les augmentations en pic des prix vont devenir plus fréquentes et plus profondes.

Je pourrais dire avec autant de certitude que demain, il fera beau, à moins qu’il pleuve.

Dudley Adolph semblait pro-metteur, mais, encore une fois, il faut oublier ça: il ne faisait qu’exhi-ber des statistiques. Le comble de la discussion s’impose quand il lance qu’«on doit rassembler les fermiers pour qu’ils créent des coopérati-ves». Oui, bien sûr, cela peut être une solution, mais qui a dit qu’ils ne tentent pas déjà de le faire et que, manque de financement, leurs pro-jets tombent à l’eau?

La table ronde qui suivait réu-nissait des étudiants et des orga-nismes citoyens comme Santropol roulant. Les intervenants étaient plus dynamiques et accrocheurs. Le contenu était de loin plus ins-pirant. Ainsi, la conférence se ter-minait sur une bonne note, malgré tout.

Pourtant, une interrogation demeure. La première partie réunis-sait des grands du développement international: des représentants de l’ONU, de la Banque mondiale, des professeurs d’universités renom-mées… Pourquoi leurs discours donnaient-ils l’impression que tout le travail humanitaire mené dans la corne de l’Afrique est une

mascarade? Pourquoi semblent-ils si peu au courant de ce qui se passe sur le terrain, réellement? Comme

quoi, de beaux discours et des titres n’apportent pas toujours plus à la parade de l’aide internationale. x

Le carnaval de l’insécuritéLa quatrième conférence sur la sécurité alimentaire à McGill, une fumisterie qui génère des questions aux réponses.

BILLET

L’AÉUM, une mascarade?L’Association Étudiante de l’Université McGill est censée représenter tous les étudiants. Mais le fait-elle vraiment?

BILLET

Les étudiants de McGill pro-viennent de tous horizons. Ils ont chacun différents

bagages universitaires et cultu-rels, différents idéaux politiques, certains viennent du Québec et d’autres d’ailleurs, certains sont favorables à la hausse des frais de scolarité et d’autres s’y opposent. Avoir une organisation dont le but est de représenter tous les étudiants est un réel défi et nous pouvons nous demander si l’AÉUM (Association Étudiante de l’Université McGill) remplit réellement cette responsabilité.

En effet, nous avons récem-ment observé une polarisation tangible de l’AÉUM comme l’a démontré la chaotique der-nière Assemblée Générale, et nous nous inquiétons quel-que peu quant au tournant pris dans l’idéologie de l’Associa-tion, autant son exécutif que ses membres les plus actifs.

Ceci concerne tout particu-lièrement la controverse sur la

position de l’AÉUM vis-à-vis de l’augmentation des frais de sco-larité et sa respectable volonté de s’y opposer. Toutefois, en quoi cet acte supposément militant peut-il apporter quelque chose au débat, sinon le polariser da-vantage?

D’un côté, cette vive opposi-tion sur le dossier ne semble pas jouer en la faveur de l’AÉUM et des étudiants de McGill. D’une part, cette intransigeance rend illégitime le mouvement étudiant et empêche tout simplement la présence de l’Association Étudiante à la table de négocia-tion.

D’autre part, toutes les éner-gies concentrées sur ce seul et unique dossier viennent met-tre en péril le développement d’autres projets potentiellement plus utiles à la vie de tous les jours des étudiants, tels que le développement durable sur le campus, l’accompagnement aca-démique et professionnel des

étudiants, l’accès aux bibliothè-ques, pour ne citer qu’eux.

En outre, cette soudaine volonté d’affirmer un idéal poli-tique, fortement orienté et n’ac-ceptant aucune contradiction, entre en conflit avec l’objectif premier de l’Association: repré-senter les étudiants, tous les étudiants. Récemment, l’AÉUM nous a prouvé à quel point elle voulait affirmer sa propre poli-tique, soutenant ouvertement la grève de MUNACA et voulant affirmer sa position contre la hausse des frais de scolarité.

On ne peut que louer l’acti-visme de l’AÉUM, mais égale-ment le questionner. Ces affaires sont devenues, d’une certaine manière, l’occasion de se rebel-ler gentiment contre la grosse méchante administration de McGill et les rouages du systè-me qui nous dirige, ainsi que de satisfaire les besoins révolution-naires que beaucoup d’étudiants éprouvent, tout en poursuivant

leur mode de vie consumériste et intellectuellement mainstream. Tout cela démontre en effet un certain conformisme de la part de bon nombre de nos cama-rades étudiants qui pourtant se targuent très souvent d’être des alternatives à la société, défen-dant le pauvre contre le riche, critiquant le patron qui aliène ses employés.

Une certaine puérilité a ainsi envahi le campus grâce à ces opposants à la «dictature mcgilloise». Tout cela est un peu facile, et d’une certaine façon un peu ridicule, venant de la part d’étudiants dont les frais de sco-larité sont à quatre zéros et dont les habitudes de consommation sont parmi les plus coûteuses de toutes les tranches de la société confondues. Ceux qui décrient que l’éducation est un droit uni-versel sont pour la plupart les mêmes gens de ces classes privi-légiées qui aliènent sans le savoir celles qui leur sont inférieures.

Il y a donc dans ce désir in-fantile de révolution incarné par les positions de l’AÉUM d’im-menses contradictions. Pourquoi ne pas se concentrer sur le rôle qui nous est attribué à chacun, se focaliser sur ce qui peut vraiment venir en aide à l’étudiant «stan-dard», ce qui peut vraiment pro-duire du changement, plutôt que de s’aventurer sur les chemins hasardeux et moralisateurs de la démagogie oppositionnelle?

Cette position n’est certai-nement pas partagée par tous les étudiants de McGill. Mais plu-tôt que de critiquer un système auquel nous prenons tous part que nous le voulions ou non, il serait mieux de nous question-ner nous-même, sur notre mode de vie, sur nos comportements et voir comment nous pouvons vi-vre ensemble au lieu de s’aliéner les uns les autres. x

Illustration: Alice Des

Anabel Cossette CivitellaLe Délit

Florent Conti, Xavier Plamondon, Francis L. Racine

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6 Spécial Mascarade x le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

Qu’est-ce que ces sociétés secrètes?

Ce sont des fraternités et soro-rités ayant pour but de réunir, lors de leur passage à l’université, des jeunes du même âge qui parta-gent des valeurs communes. Parmi celles-ci, on compte plus souvent qu’autrement l’amitié, la créativité, la réussite, l’entraide. Elles cher-chent à créer des liens forts suite au partage d’expériences, de vic-toires et d’échecs, et à la mise en commun de connaissances. Aussi, elles favorisent un développement dans plusieurs aspects de la vie, autant intellectuel qu’interperson-nel et social. Tous peuvent joindre une de ces fraternités ou sororités. La preuve étant que leurs membres représentent différentes origines ethniques et classes sociales.

Demandent-t-elles une impli-cation de temps importante?

Bien entendu, l’essence de ces clubs est de rassembler les étu-

diants. Ainsi, selon la fraternité ou de la sororité, l’engagement dif-fère. Le poste occupé et les projets entrepris sont aussi des variables à considérer.

Quelles sont les activités pro-posées?

Ces sociétés secrètes sont gé-néralement associées à des causes qui leur sont chères. De la sorte, de nombreuses opportunités sont offertes à ce niveau, en passant par la distribution de dîners pour les pauvres aux collectes de fonds pour les organismes luttant contre le cancer. De plus, les membres ont l’opportunité de faire des voyages au Canada ou aux États-Unis pour rencontrer les membres des autres universités faisant partie de la même fraternité ou sororité. Finalement, il est clair que ces groupes valorisent les événements sociaux, autant les partys que les rencontres amicales. Bref, toutes sortes d’événements rassembleurs sont proposés, même

si, parfois, certains sont inconnus du grand public.

Comment devenir membre?Les étudiants de tous âges et

de tous niveaux d’études peuvent s’inscrire à la première étape vers l’adhésion à un club: le rush. Cette semaine d’activité est le moment idéal pour en apprendre davantage sur les différentes fraternités et so-rorités. Celle-ci donne une bonne idée de la vie à l’intérieur du club et est, aux dires de leurs membres, plaisante et agréable, les humilia-tions et autres dégradations du genre étant prohibées.

De plus, le rush est habituel-lement gratuit. La deuxième est étape est celle du pledge. À ce mo-ment, les candidats choisis doivent poursuivre leur initiation pendant une période de deux mois, durant laquelle ils se rapprochent de leur objectif, devenir membre. La troi-sième étape consiste en une céré-monie finale, pendant laquelle le

Jonathan Brosseau-RiouxLe Délit

Pour tout savoir

Sociétés secrètes: la face cachée de la vie étudianteLes sociétés secrètes sont la face cachée de la vie étudiante. Qu’en est-il à McGill? Le Délit s’est infiltré dans un monde à part.

CAMPUS

Que ce soit dans la littéra-ture ou sur grand écran, le thème des sociétés

secrètes a été largement exploi-té, et ce, depuis des décennies. Alexandre Dumas en est pro-bablement le fer de lance, ayant écrit de nombreuses fois sur le sujet, notamment dans Joseph Balsamo (1846) et dans Le Vicomte de Bragelonne (1847). Toutefois, il ne fut pas le seul inspiré par celles-ci. Hergé lui a emboîté le pas avec Les Cigares du pharaon (1934). Plus récemment, le suc-cès planétaire du Da Vinci Code (2003) de Dan Brown consti-

tue un exemple supplémentaire de cette tendance. L’œuvre fut même adaptée au cinéma quel-ques années plus tard, créant un engouement monstre pour la superproduction américaine.

Les toutes premières socié-tés secrètes dateraient de l’An-tiquité. Il est difficile d’établir précisément leur but, mais elles requéraient une haute teneur initiatique et des liens profonds avec la spiritualité.

La chute de l’Empire romain a entraîné une grande période d’instabilité politique et écono-mique dans l’Ouest de l’Europe,

ce qui aurait favorisé la naissance de groupes ayant pour objectif premier la protection de leurs membres.

La fin du Moyen-Âge a été le siège de la multiplication des sociétés secrètes, versées dans le contrôle des pouvoirs de plus en plus centralisés, particulièrement ceux de l’Église. En Angleterre, la suppression des guildes par Henri VIII a accentué ce mouve-ment.

À la Renaissance naissent des sociétés comme la Franc-Maçonnerie en Angleterre et la Rose-Croix en Allemagne. (Voir

La Maçonnerie décortiquée, dans Le Délit du 3 novembre 2010). Dès lors, elles deviennent des associations à caractère phi-losophique et philanthropique.

Au XVIIIe siècle, la tendance traverse l’océan et fait des adep-tes aux États-Unis. Les premières fraternités qui y sont recensées étaient constituées d’étudiants des plus anciennes et prestigieu-ses universités au pays. Notons le Flat Hat Club (1750) et le Phi Beta Kappa (fondé en 1776).

Cependant, c’est réellement au début du XIXe siècle que leur popularité prend de la vigueur.

Sigma Phi Society (1827) et Delta Phi Fraternity (1827) sont créées et représentent l’esprit de l’époque. D’abord à visée littérai-re, elles tentent en plus d’établir des liens à vie entre les membres. Leurs activités varient comme leurs vocations. Alors que cer-taines ont un caractère religieux inhérent, d’autres sont principa-lement axées sur l’entraide dans la communauté et les valeurs de partage.

Aujourd’hui, la société se-crète ayant la plus grande renom-mée est la Skull and Bones (1832) fondée à l’Université Yale. x

La création de l’Empire

candidat doit faire certains ser-ments. Il est important de noter qu’une fois membre, on l’est à vie. Dès lors, il faut payer des frais an-nuels qui sont variés, tout dépend de l’organisation. x

Gracieuseté de alphadeltaphi.org

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7Spécial Mascaradex le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

13 heures 12 J’ai rendez-vous avec Isabelle, la photographe, devant la

maison de la fraternité Alpha Delta Phi. Après avoir discuté de notre philosophie d’approche sur ce reportage, on se retourne devant cette imposante bâtisse qui, pour sûr, doit avoir un passé glorieux. Trois massives lettres grecques en couvrent la devanture. Mystiques, vous dites, les fraternités?

13 heures 19 Nous sonnons. Évidemment, personne ne répond. Cependant, l’énorme porte de bois n’est pas totalement enclenchée, nous laissant la possibilité d’y pé-nétrer à notre guise. Nous échan-geons des regards emplis de doute.

13 heures 25 Après avoir em-poigné mon courage à deux mains, j’entre en lançant à haute voix: «Bonjour… il y a quelqu’un?» Timidement, Isabelle me suit. Toujours pas de réponse. Puis, des bruits au deuxième étage: «Montez!»

13 heures 27 Alex, le prési-dent, dévale les marches deux à deux. Il nous salue simplement et nous propose de nous faire visiter les lieux, alors que je me confonds en excuses pour l’impolitesse de notre geste. Lui, franchement, ne semble pas en faire un plat. Alors que nous explorons les différentes pièces, il est impossible de ne pas sourire devant l’actualisation du stéréotype des fraternités. Table de Ping-Pong, de soccer sur table, de billard, statue de bronze, photo d’époque, armoiries, divans en surnombre, boiseries et tout le tra-lala, chacun des clichés représen-tés dans les films hollywoodiens est présent. Et, il faut le noter, les traces du dernier party n’ont pas encore été totalement effacées…

13 heures 40 Arrivé au troi-sième étage de la maison, Alex me

demande d’attendre dans les mar-ches. Lorsqu’il m’invite à monter, j’ai tout juste le temps de le voir refermer une porte. Si vous me demandiez ce qu’il y avait à l’inté-rieur, je vous dirais un salon an-glais du 18e siècle. Mais, pour être franc, c’est sûrement mon imagi-nation qui parle. Alex me dit que je ne peux pas entrer dans cette salle. Il range la clef de fer, nouée à un fil accroché à son cou, sous son t-shirt.

13 heures 46 On s’installe dans sa chambre, la suite prési-dentielle, pour faire l’entrevue. On jase de tout et de rien et je ne peux m’empêcher de poser des ques-tions trop précises, des questions dont j’ai l’assurance de ne rece-voir aucune réponse. Je m’essaie tout de même. Lui, alors, ne fait que hocher gentiment de la tête et m’inciter à poursuivre dans une autre direction.

14 heures J’entends la porte s’ouvrir et se fermer. Quelqu’un rentre. Il monte les marches et fait irruption dans la chambre, alors que nous discutons des réunions annuelles de la fraternité. Le gar-çon indique à Alex qu’il vient de faire l’épicerie. Précision: dans la maison d’Alpha Delta Phi, huit chambres sont disponibles pour les membres. Ainsi, un certain nombre d’entre eux vivent entre les quatre murs de la fraternité. Il repart.

14 heures 15 L’entrevue se termine. Je le remercie. En des-cendant les marches, je réalise que nous avons oublié Isabelle. Était-elle partie? S’était-elle fait avaler par cette maison quasi hantée? Puis, arrivé sur le bord de la porte, bien sûr, je réalise que non. Elle faisait seulement son travail, capter l’essence de ce lieu hors de l’ordi-naire. x

Dans le ventre de la bête

Photos: Isabelle Sokolnicka

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9Spécial Mascaradex le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

Pour écrire sur une mascarade, Occupy Wall Street et toutes ses émulations à travers le monde (il y a même un Occupons Sherbrooke!) ne pouvaient pas mieux tomber. Il est toujours splen-dide de voir les «99%», le «peuple», cette curieuse entité dont nos pro-fesseurs d’université qui n’en ont

pas fini de leur phase révolution-naire nous parlent constamment. Finalement, la «résistance» contre les «structures de domination» s’organise! La «démocratie» sera re-gagnée au parc Zucotti à New York et au square Victoria à Montréal!

Ce mouvement se prétend pacifiste et se veut une sorte de Tea party de la gauche qui en a ras-le-bol des riches. La comparaison est rapidement apparue dans les médias, mais elle ne trouve aucune résonance dans la réalité. Il n’y a eu aucune arrestation lors des mani-festations du Tea party. Il y en a eu 700 en une journée d’Occupy Wall Street. Un protestataire a été vu en train de déféquer sur une voiture de police. À Washington, des manifes-tants ont forcé la fermeture du Air and Space Museum. Le Tea party a été déclaré violent parce qu’une poignée de fans du second amen-

dement se sont pointés à des ras-semblements avec leur arme à feu bien en vue, un droit aux États-Unis. Il serait aussi supposément raciste, même si Herman Cain se rapproche de Mitt Romney dans la course à l’investiture républi-caine. En passant, les obsédés du consensus de Occupy Atlanta ont refusé la parole à John Lewis, figure proéminente du mouve-ment des droits civiques parce que tous n’étaient pas d’accord pour l’entendre. Racistes, les Occupy? La rhétorique «haineuse» du Tea party a été dénoncée quand cer-tains orateurs parlaient d’arroser l’arbre de la liberté avec le sang des tyrans et des patriotes, une citation que l’histoire a attribué à nul autre que Thomas Jefferson. Pourtant, Roseanne Barr, figure célèbre du milieu de la culture aux États-Unis, a expliqué à Russia Today que les

banquiers refusant de partager leur fortune devraient être envoyés en camp de rééducation. Si cela ne faisait pas l’affaire, ils devraient être décapités. Entre Jefferson et Barr, il n’est pas difficile de voir qui appel-le réellement à la violence.

Quoi de mieux que de se dé-guiser pour aller à la mascarade? Le quotidien britannique Daily Mail est allé jeter un œil pour voir de quoi avaient l’air les protestataires. Ils ne semblaient pas trop mal en point! Jeans à 300 dollars, tricots en laine de haute qualité et souliers de marque semblaient être l’accoutre-ment de bien des manifestants. Pas mal pour des gens qui se baladent avec des pancartes «Eat the rich»! Un habillement n’est cependant jamais complet sans les accessoires qui viennent avec. Il est toujours bon de voir des gens comme Kanye West se pointer pour soutenir les

«99%» avec de beaux bijoux en or. On devrait lui dire qu’il peut faire une contribution volontaire à l’IRS s’il veut «partager sa richesse».

D’ailleurs, finissons-en avec cette idée du 99%. D’abord, allez faire un tour sur la page Tumblr The 53, en référence aux 53% d’Amé-ricains qui paient des impôts pour les 47% qui reçoivent. En 2008, le fameux 1% dénoncé a payé 38% des impôts sur le revenu perçus par le gouvernement américain. Pour les 25% les plus riches, il s’agissait de 86%. Au Québec, en 2007, 3,6% des contribuables gagnaient plus de 100 000 dollars. Ils ont payé 30,8% des impôts sur le revenu.

Alors contre quoi les Occupy se battent-ils? Allez savoir!

Une chose est sûre, ils com-muniqueront tout sur Twitter à partir de leur iPhone! À bas le capi-talisme! x

Je n’aime pas Occupy Wall StreetJean-François Trudelle | Attention, chronique de droite

CHRONIQUE

Les jeunes au Salon bleuChaque année des jeunes de 18 à 25 ans prennent place dans l’Assemblée Nationale et légifèrent sur quatre projets de loi fictifs pendant les vacances de Noël.

SOCIÉTÉ

Le Parlement Jeunesse du Québec. Voici le nom de la simulation parlementaire à

laquelle plus de quatre-vingt jeu-nes des quatre coins du Québec participent pendant les vacances de Noël. Cette simulation, orga-nisée par l’Association des Jeunes Parlementaires du Québec, a pour mission de donner une culture dé-mocratique et politique aux jeunes en assaillant les sièges des députés québécois dans le Salon Bleu du 26 au 30 décembre.

Le Parlement Jeunesse du Québec est une simulation parle-mentaire organisée depuis plus de

62 ans. C’est au début des années 1950 que plusieurs jeunes québé-cois anglophones ont voulu repro-duire la simulation parlementaire organisée à Queen’s Park par leurs compères ontariens. La simulation a été pendant plus de 15 ans exclu-sivement pour les jeunes hommes. Les premières simulations se sont déroulés entre Montréal et Québec jusqu’à définitivement prendre place dans le Salon Bleu.

Le Parlement Jeunesse est une simulation organisée par des jeunes, pour des jeunes. Il s’agit d’une simulation complètement indépendante des programmes de l’Assemblée Nationale. Au cours de son histoire, les projets de loi proposés par le Parlement

Jeunesse sont souvent dans l’esprit de l’époque, mais plus souvent qu’autrement ils sont très avant-gardistes. Un moment impor-tant du Parlement Jeunesse est le changement dans les statuts de l’organisation pour permettre aux femmes de pouvoir participer à la simulation. En effet, le gouverne-ment du PJQ durant les années 1960 ne voulait pas que les jeu-nes femmes se joignent aux autres hommes dans l’Assemblée. Le chef de l’opposition de cette an-née-là était feu Jack Layton. Lors de son discours d’ouverture, il demanda aux députés ministériels de changer d’allégeance politique afin de renverser le gouverne-ment en place. Monsieur Layton

est devenu Premier ministre cette année-là. Il fit motion afin que les jeunes femmes qui attendaient dans l’antichambre de l’Assemblée puisse entrer dans le Salon Bleu afin qu’elles puissent participer à la simulation.

Cette année, des jeunes de toutes les régions du Québec se réuniront dans l’Assemblée afin de discuter de quatre projets de loi fort intéressants. Le premier consiste en une réforme de l’aide internationale accordée par le Québec aux pays et aux organisa-tions non-gouvernementales. Le deuxième projet de loi concerne l’itinérance et la réinsertion socia-le. Le troisième projet vise à libéra-liser le monde syndical en y ajou-

tant une notion de compétitivité syndicale. Le quatrième concerne une libéralisation du monde de l’éducation en laissant aux écoles le choix du cursus scolaire et en créant un «voucher».

Pour participer à la soixante-deuxième législature du Parlement Jeunesse, vous avez jusqu’au 1er novembre pour appliquer sur le site internet www.pjq.org. Cette grande tradition continue aujourd’hui et les jeunes conti-nueront de prendre la place des députés entre les 26 et 30 décem-bre. Loin d’être une mascarade, le Parlement Jeunesse est fort de ses convictions et fort de participer à l’enseignement de la démocratie chez les jeunes. x

Francis L. racineLe Délit

Salon Bleu: Vue de l’Opposition offcielle du côté gouvernementalAssociation des Jeunes Parlementaires du Québec

Salon Bleu: Applaudissements après le dépôt d’un projet de loiAssociation des Jeunes Parlementaires du Québec

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10 Spécial Mascarade x le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

Il fallait être en Afrique, le 9 juillet, pour célébrer la naissance d’un «nouveau Soudan». En Amérique, peu de relais de

l’événement. Pourtant, au sud du Soudan du Sud, en Ouganda, on pouvait sentir le ressac du contentement le jour de l’indépendance. Dans les bars, bistros, café Internet, hôtels, enfin, partout où il y avait la télévision, les Ougandais suivaient avec intérêt le déroule-ment de la cérémonie à Djouba, la nouvelle capitale de cet État.

En stage pour McGill dans la jungle ougandaise cet été, je n’avais malheureuse-ment pas accès à ce qu’on pourrait appeler des «breaking news». Pourtant, j’ai eu la chan-ce de tâter le pouls de cette nation. Après mon stage de deux mois, j’ai plongé tête la première dans ce qui semblait l’aventure la plus trépidante qui soit.

Le Soudan et ses voisinsLe Soudan et l’Ouganda entretien-

nent des relations économiques étroites. La plupart des exportations de produits finis ougandais se dirigent vers le Soudan qui, lui, exporte son pétrole vers Kampala, capi-tale ougandaise. Cet échange économique s’amplifiera avec l’indépendance, puisque les échanges seront d’autant plus facilités.

La presse ougandaise annonçait donc en grande pompe l’émancipation du voisin du nord, au plus chaud de l’été. Pourtant, n’y a-t-il pas là l’ombre d’un abus déguisé?

L’Ouganda, par son président Yoweri Museveni, soutient l’indépendance du pays qui vient de naître. Les Ougandais semblent en faveur de la libération: «l’indépendance arrive enfin pour ceux qui ont énormément souffert» commente l’homme qui tient le café Internet le plus achalandé à Fort Portal, une ville importante du sud de l’Ouganda.

Et au Soudan du Sud, l’enthousiasme est à son comble: «Nous avons notre police et notre armée, nous avons notre monnaie; nous avons notre indépendance, finale-ment!» s’exclame Gabriel, un Soudanais rencontré dans le bus direct reliant Djouba et Kampala. Oui, leur indépendance est pro-clamée à la face du monde. Oui, le Soudan du Sud est indépendant sur le papier, mais l’est-il en pratique?

Cet étudiant universitaire a vu du pays: il vient du Soudan, mais étudie au Kenya et a habité huit ans en Ouganda. Je lui apprends

que l’indépendance du Soudan du Sud m’interpelle vu l’histoire de tensions entre ma nation, le Québec, et le reste du Canada. «Pourquoi le Québec veut-il son indépen-dance? demande-t-il aussitôt, quelle est la différence entre le Québec et le reste du Canada?»

La différence. Tout est là. Au Québec, la langue, la culture, le bagage historique, les vieilles rancœurs expliquent la volonté de se séparer. Là-bas, au Soudan, c’est la religion qui est le catalyseur de tous les conflits. Et Gabriel la voit comme le facteur de consé-quences beaucoup plus graves: les inégalités.

D’après lui, la religion a créé des classes d’élites fermées qui exacerbaient les tensions religieuses. «Les sudistes n’avaient pas accès aux emplois gouvernementaux» avance l’étudiant d’une vingtaine d’années.

Mouloud Idir, un politologue canadien d’origine algérienne, membre de l’équipe du Centre Justice et Foi et du Collectif Échec à la guerre, croit que les divisions nord-sud n’expliquent pas toute l’histoire. «Les régi-mes de dictature qui se sont succédés sont la principale cause de la situation actuelle».

Bref historique des troubles politiques soudanais

Au Soudan, c’est le Nord qui a long-temps fait la loi. Depuis l’indépendance en 1956, Khartoum détient les rênes du pou-voir. Que ce soit dans l’industrie du pétrole ou dans la vente de produits manufacturés, les profits reviennent dans les poches des compagnies du Nord. Pourtant, les ressour-ces viennent majoritairement du Sud. Le pé-trole est un gros enjeu, car il est entièrement extrait des puits sudistes, pour ensuite être raffiné dans le Nord… puis vendu à l’exté-rieur, à des pays comme l’Ouganda.

Après l’indépendance de 1956 s’engage une longue série de coups d’État, d’échauf-fourées, de frictions politiques qui prennent la forme d’une guerre civile. La guerre civile débute officiellement en septembre 1963 lorsque qu’un mouvement séparatiste se forme au Sud du pays. En mai 1983, une nouvelle guerre civile oppose le gouverne-ment aux rebelles de l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) dirigés par John Garang.

Dans le pays, à cette heure Suite à une forte majorité de 99%, le

référendum de janvier 2011 a tranché: la séparation du Nord et du Sud du Soudan se

ferait dans les six prochains mois. Les diri-geants ont alors pris six mois pour discuter différents conflits litigieux, comme le statut de certaines régions, l’avenir du pétrole, le statut des réfugiés, etc.

Le 9 juillet 2011, l’indépendance com-plète et formelle du nouveau pays se dessi-nait concrètement, mais tous les litiges ne sont toujours pas réglés: la dette soudanaise par exemple, qui atteint maintenant 42 mil-liards de dollars, appartient-elle au Sud ou au Nord? D’après Mouloud Idir qui parlait à la radio de CKUT, «le Soudan du Sud attri-bue la facture à Khartoum pour l’achat d’ar-mes», ce qui fait de ce point un sujet chaud entre les deux entités.

Le futur du pays, le pétroleC’est en 1978 que du pétrole est décou-

vert au Sud du Soudan. Les revenus pétro-liers ne sont profitables que dans les années 1990, mais servent rapidement à payer les armes requises par Karthoum pour mater la guerre civile. En 1997, la Chine s’en mêle et s’associe à deux compagnies pétrolières Malaysienne et Canadienne.

D’après Mouloud Idir, ce qui arrivera au Soudan du Sud est absolument compa-rable à ce qui se passe en Lybie, soit que la situation n’est «ni mieux, ni pire que toute autre dictature africaine soutenue par de grosses puissances occidentales».

«Si les régimes africains dans le contex-te actuel avaient plus de clairvoyance, si ils avaient une vision à long terme, avec l’équi-libre mondial qui commence à s’effriter aujourd’hui, ce sont les BRICS, soit le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, qui devraient s’allier.» Pourtant, conti-nue Mouloud Idir, pour renverser la vapeur, il faut des régimes socialistes, ce qui n’est pas en voie de se passer au Soudan du Sud avec le gouvernement de Salva Kiir.

En effet, Salva Kiir vient de vendre à Nile Trade and Development, une compa-gnie texane: 25 000 dollars pour 600 000 hectares, ce qui revient à dire que le Soudan du Sud se dépossède de ses ressources pour à peu près rien.

Mouloud Idir commente: «Ce qu’on peut présager pour l’avenir c’est que l’ali-gnement du régime sud-soudanais semble indéniablement lié à ce qui se passe pré-sentement en Lybie, soit un régime allié, subalterne, et complètement subordonné aux grandes puissances impérialistes occi-dentales.» x

Anabel Cosette CivitellaLe Délit À la mode du

South SoudanLe Soudan s’est divisé en deux le 9

juillet. Le Délit se penche sur le cas de ce nouveau pays: indépendance affirmée ou mascarade autonomiste?

SOCIÉTÉ

À la frontière du Soudan du Sud, les camions attendent leur tour. Anabel Cossette Civitella

Anabel Cossette CivitellaLe Délit

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11Spécial Mascaradex le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

À dix-huit kilomètres de Gulu, la der-nière grande ville avant la frontière entre l’Ouganda et le Soudan du

Sud, nous avons eu l’idée folle de pous-ser un peu plus vers le Nord. Nous avons décidé de profiter du transport gratuit of-fert par deux conducteurs de camion pour nous rendre jusqu’à Djouba, la capitale du Soudan du Sud. Ma collègue de stage et moi-même savions que nous contreve-nions ainsi à toutes les recommandations parentales et diplomatiques. Mais il nous fallait voir ce pays qui se dit indépendant. En effet, la grande question demeure: le Soudan du Sud est-il vraiment autonome?

Le voyage pour Djouba, à partir de Kampala, est un vrai tour de force. D’abord, rejoindre le Nord de l’Ouganda par la grande route qui relie la capitale à la ville de Gulu se fait sans trop de peine: la route d’asphalte est impressionnante tellement elle est bien portante. Par contre, quitter Gulu, la dernière grande ville avant la fron-tière du Soudan, vous assure trois heures de souffrance.

À la frontière de l’Ouganda et du Soudan, l’atmosphère est à la fête. Un mois et demi après l’indépendance, comme tous les soirs, une file de camions s’aligne, en attente à la frontière. La ville frontalière accueille chaque jour un nombre impres-sionnant de voyageurs, de camionneurs en transit, ou de simples travailleurs expatriés pour la semaine.

À 22 heures, les bars ouvrent et les hô-tels s’enrichissent. Le chiffre d’affaires de la soirée est assuré avec tous ses frontaliers en latence. Après un souper trop gras, com-posé de chapati (une sorte de pain naan) et (d’os) de poulet, après avoir discuté un peu avec les amis, les connaissances de voyage ou les serveuses, les camionneurs vont se coucher, crevés de fatigue. La route était longue.

Les heures d’attente à la frontière per-mettent de réfléchir à ce qui doit être vu à Djouba. Nous n’aurons que douze heures, soit le temps qu’il faut pour à peine tâter le pouls de cette nation naissante, mais aussi constater les dégâts causés par des décen-nies de guerre civile.

À l’entrée du Soudan, c’est la valse de la paperasse bureaucratique qui commence. Chaque voyageur doit présenter son passe-port, remplir un formulaire d’attestation d’identité, présenter une photo supplémen-taire et finalement faire des photocopies des deux documents officiels. Évidemment, rien n’est simple, surtout quand le garde frontalier, les officiers et le personnel se contredisent sur les démarches à suivre, dans un anglais incompréhensible, qui plus est. Hope et moi avons envie de mordre, surtout que le bus complet nous attend.

L’entrée dans Djouba est historique. On est bien loin de tout ce qu’on peut ima-giner être une capitale. C’est le calme plat. À l’entrée de la ville, les maisons sont faites de terre. Le réseau d’eau est inexistant: des camions citernes passent leur journée à al-ler puiser de l’eau dans la rivière qui traver-se la ville pour approvisionner les habitants.

Il semblerait que le pétrole est l’uni-que raison d’être du Soudan du Sud. Des camions citernes quittent la ville en perma-

nence pour exporter la denrée noire. Et en-tre dans le pays tout ce qui est nécessaire à la survie: des légumes, des fruits, tout ce qui n’est pas exploité au Soudan. Ici, les pro-duits venus d’ailleurs, cultivés pour pres-que rien, sont revendus à prix d’or.

Les campagnes sont vides. Qu’en est-il de la capitale? «Djouba est sûre, mais vous ne devriez pas trainer dans ce quartier», se fait-on dire après s’être aventuré un peu en-dehors du centre. Malgré tout, chez les vendeurs de rue, le plus gros changement depuis l’indépendance est le sentiment de sécurité qui n’existait pas lors de la guerre civile.

Il considère que le plus gros problème des Africains est leur tendance à croire en la propagande: «Seuls les voyageurs peu-vent avoir une opinion critique sur ce qui se passe autour d’eux. Les autres, ceux qui ne bougent pas, comparent sans savoir.»

Cette réplique, il la lance à Rachid, un Ougandais qui voit les Soudanais du Sud comme «arrogants et primitifs». Bien sûr, tous ne voient pas l’indépendance du meilleur œil. Les revendications jugées exa-gérées exacerbent le sentiment d’impatien-ce de ceux qui n’ont pas vécu les années de misère directement.

Sur la route pour se rendre à Djouba, le rien qui entoure l’autoroute fraîchement refaite détonne. Il n’y a rien, mais la route qui y mène est plus fonctionnelle qu’une bonne partie des autoroutes québécoises. Rien. Pas d’industrie, pas de plantations, pas de villes, que des villages de très petite taille.

Le Soudan était un énorme pays. Ses 2 376 000 km² lui donnaient le titre de plus gros pays d’Afrique. Bien sûr, le rien peut s’expliquer par sa dimension, mais la réalité est tout autre: «Les paysans ont fui les villages, en quête de sécurité. Pendant longtemps, leur vie était mise en danger par l’instabilité politique. Ils ont donc préféré déserter» commente Sam, un Soudanais qui a lutté pour l’indépendance pendant vingt-et-un ans. En effet, avec ses six mil-lions de réfugiés, le Soudan est le pays qui a créé le plus d’expatriés dans l’histoire de l’Afrique. x

Passer la fontière d’un nouveau pays

FAIT VÉCU

À la frontière du Soudan du Sud, les camions attendent leur tour. Anabel Cossette Civitella

Visa d’entrée au Soudan du SudGouvernements de l’Ouganda et du Soudan du Sud

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12 Spécial Mascarade x le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

Les citrouiLLes envahissent les marchés, squelettes et zombies s’étalent dans les vitrines, bon-bons et autres gommes règnent partout. Halloween donne à la vil-le une nouvelle allure. Dès l’Ac-tion de grâce, une vive ambiance anglo-saxonne s’installe, attei-

gnant son apogée lors de la grande fête pagano-amerloque. La ville se pare de cette tradition nord-amé-ricaine comme d’un masque, ter-me lourd de sens. Qui dit masque, dit mascarade; qui dit masque dit peau, qui dit peau, dit vraie na-ture. Où est l’authentique, où est l’apparence? Quelle est l’essence de Montréal? Aussi dense qu’un grimoire. Il revient au promeneur d’engager sa quête de symboles sur la piste des feuilles mortes. Quel sens se cache entre deux stations de métro? «Ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connaît car tu ne pourrais pas t’égarer» recommande le maî-tre cabaliste Nahman de Bratslav.

Commençons. Pour beau-coup de torontois et de new-yor-kais, Montréal est: «so French… so European, very old world». Dans

son ensemble, la cité a un épi-derme très francophone, c’est indéniable. Mais «française», Montréal? Il faut en finir avec ce bête réductionnisme à la South Park, qui dépeint les Québécois en grenouilles à béret. D’ailleurs, on peut sans mal ni faute qualifier Montréal de québécoise. Le lien semble évident.

L’ouïe et le regard apportent des preuves: sacres, tuques, pou-tine, fleur de lys… Hélas, le cliché rôde comme le Malin. Quelques sages comme Marius Barbeau ou Gilles Vigneault pourraient éclai-rer la voie, mais c’est trop tard, l’incertitude s’immisce. Quelle est la vraie nature de Montréal? Dans le doute, le regard allogène se tourne vers le masque. Montréal est-elle anglo-saxonne? Outre le folklore enraciné des dinners ou

des pubs, l’architecture et la so-ciété paraissent fortement impré-gnées d’un héritage britannique corpulent. Voilà de quoi hérisser la momie de Pierre Falardeau. Encore et toujours cette dualité.

D’après un conteur kéra-lais, il ne faut jamais geler d’un seul sens ce qui est par la taille et l’essence multiple. Au fil du temps, Montréal porte un mas-que différent, selon l’endroit où on se trouve. Prenons un Kenyan mcgillois vivant à East Westmount. Il étudie dans le centre-ville et partage ses sorties entre Saint-Laurent et Crescent. Sa vision de la ville est différente de celle d’un étudiant mexicain à l’UQAM dont l’univers pivote entre Beaudry et Pie IX. Sans tenter de noyer la binarité fran-cophone-anglophone en brandis-

sant les couleurs du multicultura-lisme, rajoutons un Libanais qui zigzague entre Côte-des-Neiges, la Petite Italie et Outremont. Les spéculations gnostiques aboutis-sent parfois aux lapalissades les plus évidentes: une ville est plu-rielle. Son essence, c’est à dire sa culture, se renouvelle sans cesse en plus d’être diverse. Comme dans un poème hindou, l’appa-rente dualité s’efface et se fond dans un grand tout. Les masques tombent.

À chaque Montréalais son Montréal. Qu’il continue à flâner librement d’un quartier à l’autre tandis que les arbres rougeoient, en regardant alentour, avec en tête le talmudiste philosophe Emmanuel Lévinas, qui rappelle que l’Autre –avant tout un visa-ge– est le miroir de Soi. x

Ésotérisme urbainMarek Ahnee | Carnets métèques

CHRONIQUE

certains d’entre vous connaissent peut-être déjà le concept de couch surfing. Il s’agit non seulement d’une mé-

thode d’hébergement très éco-nomique, mais aussi d’un excel-lent moyen de rencontrer les ha-bitants de la ville que l’on visite et de s’immerger dans la culture d’un pays étranger. Chez l’habi-tant, on profite aussi des conseils et astuces de connaisseurs: on peut ainsi éviter les attrape-tou-ristes, visiter les musées les plus intéressants –qui ne sont parfois pas les plus connus–, prendre certains trams gratuitement par-ce que l’on sait de source sûre que les contrôleurs n’y montent jamais, etc.

Comme vous vous en dou-tez, la plupart des gens qui nous hébergent font preuve d’une

gentillesse hors du commun –pour accepter de quasi inconnus chez soi, il le faut bien. Toutefois, en «couch surfant», on peut aus-si rencontrer tout un éventail de personnalités étranges, voire carrément bizarres. Ce fut le cas de notre hôte à Budapest.

Au bout d’un voyage en train de près de douze heures, mon compagnon de voyage et moi, épuisés, avions hâte d’arri-ver à destination. Le système de notation des rues n’étant cepen-dant pas le même qu’ailleurs en Europe, nous n’arrivions pas à trouver la maison de notre hôte. J’ai donc envoyé un petit messa-ge à ce dernier pour lui deman-

der de nous décrire sa demeure. Il est vrai qu’il faisait déjà nuit, mais il aurait très bien pu nous dire que c’était la maison à côté du jardin d’où provenaient les aboiements d’un chien, ou qu’il y avait un grand arbre dans la cour… À la place, il est sor-ti nous faire de grands gestes (apparemment amicaux) dans la rue, avant de nous dire qu’on posait des questions stupides: il était complètement ridicule de lui demander de décrire quelque chose qu’on ne pouvait pas voir dans le noir. Sympa, l’accueil! Ça démarrait bien…

Le reste du séjour s’est dé-roulé de manière très paradoxale,

si bien qu’on ne savait pas si ce type cachait sa méchanceté sous un air de sympathie, ou sa sym-pathie sous un air méchant. Un coup il nous traitait d’imbéciles et qualifiait toutes nos questions de stupides; la minute d’après, il était tout sourire et nous don-nait d’excellents conseils tout en nous préparant notre petit déjeuner.

À la fin de notre séjour, notre hôte, mon compagnon de voyage et moi avions adopté tant de rôles différents pour que tout se passe bien qu’on ne savait plus lequel d’entre nous mon-trait son vrai visage, et lequel jouait la mascarade. x

Avez-vous aimé Budapest? Question stupide!Élise Maciol | Plume en vadrouille

CHRONIQUE

Écrivez pour notre section Société!La gloire sera encore plus grande que si vous

écriviez pour la section Arts & Culture!

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13Arts & Culturex le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

Arts&[email protected]

John LevesqueLe Délit

Un biodôme humainL’envers du masque montréalais au Nouveau Théâtre Expérimental.

PERFORMANCE

Zoo 2011 est en premier lieu une expérience de solitude collective pour le spectateur:

on est invité à commencer l’exposi-tion en groupe mais on est accueilli dans un grand espace dénué de décor et plongé dans une obscu-rité silencieuse. D’entrée de jeu, le groupe s’éparpille et se dirige vers les points de lumière qui dévoilent les participants de ce zoo humain. Le spectateur y découvre des scènes tant banales que surprenantes: on observe, par exemple, une femme rapiécer des vêtements avec une machine à coudre et un homme qui fait constamment les cent pas en parlant incessamment au téléphone. On voit aussi un vieillard qui pré-pare des doses de crack en faisant

cuire du bicarbonate de soude sur une cuisinière, ou encore une fem-me haltérophile en plein exercice.

Si Zoo 2011 est donc un projet pour le moins atypique, c’est avant tout un hommage au spectacle ori-ginal Zoo de 1977. En effet, 34 ans plus tôt, le Théâtre Expérimental de Montréal (l’ancêtre du Nouveau Théâtre Expérimental) lançait une expérience sociale mais aussi co-mique: le but était de surprendre les visiteurs en mêlant scènes absurdes, comme la «femme-accident», et des animaux. Cette fois-ci, la mise en scène est différente car l’atmosphère est décidemment plus pesante, les participants sont concentrés sur leurs tâches et ignorent les visi-teurs. Le silence du début laisse très rapidement place aux bruits sourds de moteurs d’avions et de gronde-ments de tonnerres. Zoo 2011 ne

cherche plus à divertir son public, mais à l’amener dans l’intimité de Montréal, pour observer ce que l’on y voit rarement.

Car, tel un voyeur, le spectateur déambule dans l’obscurité et ob-serve ces «tableaux vivants» où des êtres anonymes répètent inlassa-blement les mêmes gestes. On peut parler de «tableaux vivants» parce que ces scènes ne sont pas des spec-tacles, les participants ne sont pas des acteurs et il y a très peu d’évolu-tion. La répétition des gestes donne l’impression d’un voyage au cœur du quotidien caché d’un Montréal marginal. Face à un miroir, un tra-vesti se prépare sans relâche en retouchant son maquillage et réar-rangeant ses perruques: on regarde le moment précis mais transitoire d’une transformation qui se répète sans fin.

Mais il faut se demander si le spectateur ne devient pas lui aussi participant involontaire dans cette expérience: les réactions révèlent la véritable nature intime de ces scènes. Au début, on perçoit une certaine gène ou curiosité dans l’assemblée et progressivement, après plusieurs tours de salle, cer-taines scènes font sourire, ou même rire, tel que le «serial téléphoneur». À l’inverse la scène de l’infirmière s’occupant d’un handicapé pro-voque un malaise face à la vieillesse et la maladie. Certaines déclenchent même une curiosité malsaine, par-ticulièrement lorsqu’on se retrouve face à un artiste tatoueur en plein travail de scarification sur une jeune femme. Passé les premières réactions, les visiteurs interrogent plusieurs des participant, mais on remarque qu’ils restent silencieux

devant les scènes les plus margi-nales ou les plus personnelles: mal-gré la proximité physique, la dis-tance sociale persiste et se fait sentir.

Zoo 2011 porte bien son nom car il s’agit bel et bien d’un zoo humain, et non pas d’un cirque: le but n’est pas de divertir mais d’ex-poser. On y voit des scènes banales et on y découvre des pratiques peu connues. On se promène selon son envie mais dans ce projet il n’y a pas de cage, mis à part la distance qu’on instaure nous-mêmes. Zoo 2011, une expérience sociale qui sur-prend, dérange et ne manque pas de provoquer une interrogation sur notre ville et notre regard. x

Crédit photo: Gérard Rancinan

Zoo 2011Où: Espace libre 1945 rue FullumQuand: 11 au 29 octobre 2011

Qui que vous soyez, vous ne sortirez pas indemne de

votre rencontre visuelle avec l’œuvre de Gérard Rancinan! Avec des ti-tres d’exposition tels que «Métamorphoses», «La Trilogie du Sacré Sauvage» ou bien «Art à Mort», ce portraitiste décadent reste l’un des maîtres incon-testés de la mise en scène. Originaire de la région bor-delaise, Gérard Rancinan devient à dix-huit ans l’un des premiers photojour-nalistes français. Depuis, il a parcouru le monde pour être au plus près de l’actua-lité et rapporter dans ses va-lises des séries de portraits photographiques. Qu’il braque son objectif sur l’athlète, l’artiste, l’homme de foi ou le simple passant, son but est la photographie de l’instant; mais sa force réside dans son talent à mettre en scène de A à Z des images poignan-tes qui font tomber les masques de la société et déconstruisent toute vi-sion fermée du réel. Cet adepte de la controverse utilise sans limite l’iro-nie, accentue la noirceur du monde et attise les foudres des institutions religieuses. Enfin, il débride le sexe

qu’il banalise de ses carcans habi-tuels. Connu pour sa capacité à revisiter les chefs-d’œuvre de l’his-toire de l’art, Matisse, Velasquez et Delacroix sont tous passés entre ses mains. Il les utilise pour souligner les maux de notre société comme sa mise en scène de La Cène dans laquelle il présente Jésus en ser-

veur de fast-food à des apôtres en surpoids, tous plus ventrus les uns que les autres.

Pour réaliser le cliché ci-dessus intitulé Décadence, il s’est inspiré du tableau peint par Thomas Couture en 1847 qui a pour titre Les Romains de la Décadence. Cette orgie qui ex-plore les thématiques du sexe, de

la drogue et de la dorure est une réelle prouesse technique. En effet, il a fallu trois mois de prépara-tion et une foule de décorateurs, stylistes, costumiers ainsi qu’une trentaine de figurants pour exécu-ter la mise en scène qui a été tirée en très grand format. «Pas de mon-tage ni de Photoshop» tel est son

leitmotiv! Pour Décadence, il n’hésite pas à habiller le pape d’une couronne go-thique, Jésus d’un tutu et une bonne sœur de linge-rie fine. Le noir et le blanc s’affrontent à la manière du neuf et de l’antique et de grandes colonnes déli-mitent cet espace où tout est permis et dépourvu de jugement. Outrage ou li-bération? Cette image sa-turée de tabous est d’une clarté sublime; Gérard Rancinan parvient ainsi à magnifier l’obscurité de nos sociétés et à créer des clichés d’une rare beauté. Si certains obser-vateurs sont choqués, tel est après tout le but de la provocation, mais on ne peut nier la perfection de la composition de l’image dont chaque détail est millimétré, dont chaque recoin du décor est étu-

dié. Dans une entrevue, il précise qu’il souhaite dénoncer sans porter de jugement, se positionner en tant qu’artiste éditorialiste. La photo-graphie est donc intrinsèquement liée à la mise à nu et à l’engage-ment pacifiste. Mascarade ou pas, ce bal original risque d’en titiller plus d’un! x

Gérard Rancinan: laissez tomber vos masques!Margaux Meurisse | Photo m’a-t’on dit?

CHRONIQUE PHOTO

Crédit photo: Michel Ostaszewski

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14 Spécial Mascarade x le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

C’est vers la page douze de Motel Art Improvement Service (Akileos) que nous nous sommes rencontrés. Nous sui-

vions alors Bee-Jin dans sa tentative de traver-ser l’Amérique à vélo. Quand celle-ci s’est fait renverser par une bande d’imbéciles sur la route, nous nous sommes arrêtés dans un motel un peu par hasard. C’est là qu’il faisait le ménage dans une chambre vidée de ses occupants. Après l’avoir observé un temps, nous avons réalisé que le net-toyage de ces lieux de passage n’était pas sa seule activité. Bilan d’une rencontre avec Cyrus Wilson, un blond mystérieux, fort sympathique, au talent indéniable.

Le Délit (LD): Tu as fait une école d’art à Chicago, où tu es d’ailleurs né. Comment en es-tu arrivé à trafiquer les peintures dans les motels?

Cyrus (C): Six mois après l’école, j’avais déjà ma première expo personnelle dans une des meilleures galeries de Chicago. L’argent coulait à flots. Mais quand j’ai

commencé à rencontrer les acheteurs, et comme ma peinture s’insérait dans les pro-jets de décoration de leurs demeures de multimillionnaires, ça m’a foutu le moral en l’air. C’est à ce moment-là que j’ai arrêté la peinture abstraite. En fait, j’ai complète-ment arrêté de peindre et j’ai commencé à me balader dans le pays, en séjournant dans des hôtels de seconde zone. J’étais complè-tement déprimé. Je me suis vite retrouvé à court d’argent. Désespéré, je suis allé voir le directeur de l’endroit où je résidais et lui ai demandé un boulot. Il a eu pitié de moi, m’a engagé pour l’entretien et m’a montré les ficelles. Un jour, allongé sur mon lit d’hôtel, j’ai eu une révélation… J’ai réalisé qu’il y avait tant d’yeux qui se posaient sur les œu-vres pathétiques et vulgaires qu’on trouve dans les chambres d’hôtel. Et j’ai réalisé que je n’avais absolument rien appris à l’école d’art. J’ai immédiatement recommencé à peindre et je n’ai pas arrêté depuis.

LD: Tes tableaux sont de plus en plus connus. Tu n’aurais pas envie de les exposer dans une galerie?

C: Je suis sur la route depuis un cer-tain temps. Mon travail est spécifique au site. Le sortir de son contexte lui ferait perdre toute sa résonance.

LD: Peindre n’est pas ta seule occu-pation dans ces motels pour lesquels tu travailles. Tu n’as jamais caché que tu fouilles dans les affaires des clients et que tu leur voles presque systématiquement leurs médicaments.

C: Maintenant que j’ai trouvé ma vocation artistique, je suis surtout un collectionneur. Je ne les prends plus qu’occasionnellement. Je suis un féti-chiste de la pilule. J’adore leurs petits flacons marrons dans leurs jolies boîtes. Elles sont comme des petites perles colo-rées dans ma collection. C’est un passe-temps inoffensif. Personne ne remarque les pilules manquantes.

LD: Et tu as d’autres passions?C: J’aime beaucoup les femmes; c’est

un autre de mes loisirs. Dans l’exercice de mon travail, on rencontre pléthore

de femmes seules. J’ai été avec pas mal d’entre elles. Un paquet. Je n’en ai jamais vraiment aimé aucune.

Retrouvez les aventures professionnelles, amoureuses et sexuelles de Cyrus dans Motel Art Improvement Service, véritable bijou d’originalité de l’américain Jason Little. Vous y rencontrerez les originaux et marginaux qui marquent la route de Cyrus: Bee-Jin, une jeune fille rousse de dix-huit ans qui tente de traverser l’Amérique à vélo, deux jeunes dea-lers à leurs débuts, Johnson, un militaire en permission dont le seul but est de se fournir en drogues… Les personnages sont géniaux et évoluent avec justesse dans les cases de l’album. Celles-ci participent avec succès au déroulement de l’histoire par leur forme et leur agencement. L’histoire est excellente, drôle, sexy, sympathique et hors du commun et l’album est quant à lui un bel objet qu’on prend plaisir à feuilletter. Un chef-d’œuvre rempli de rebondissements et de péripéties à ne pas manquer, tant pour son indéniable qualité esthétique et visuelle que pour l’originalité de son propos! x

L’Art revisité par Cyrus WilsonVous avez toujours secrètement rêvé de décrocher les hideuses toiles des motels et de les remplacer par vos chefs-d’œuvres personnels? Cyrus Wilson réalise votre fantasme avec le Motel Art Improvement Service. Rencontre fictive et exclusive avec le génie derrière ce mouvement.

BANDE DESSINÉE

Annick LavogiezEl Délito

Photo et montage: Alice Des

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15Arts & Culturex le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

Les trois films, sans histoire com-mune, sont reliés par une mise en scène théâtrale, exagérée, colorée et

souvent loufoque.Strictly Ballroom, sorti en 1992, se situe

dans le milieu de la danse de salon. La mère du réalisateur australien était profes-seure de danse et lui-même prit beaucoup de cours dans sa jeunesse. Le scénario est inspiré d’une pièce de théâtre que Baz Luhrmann a écrit lors qu’il était à l’uni-versité. Scott Hastings (Paul Mercurio) est un danseur de salon de Sydney qui veut changer les règles très strictes du milieu et y apporter ses propres touches personnel-les, au grand découragement de sa mère (Pat Thomson), professeure de danse exu-bérante.

L’unique comédie de la trilogie, Strictly Ballroom est hilarante et ridiculise le milieu kitch de la danse de salon. Strass et paillet-tes, costumes plus que flamboyants, cou-leurs très vives, et tous les stéréotypes dans un seul film. Le film eut un énorme succès en Australie et reçut quelques prix interna-tionaux dont quelques BAFTA.

Romeo + Juliet (1996) est certainement le film de la trilogie qui fut le plus mal reçu de la critique. L’histoire, connue de tous, fut adaptée aux États-Unis des années 90. Donc, les épées sont remplacées par des fu-sils et l’habillement est complètement diffé-rent. Par contre, la grande particularité tient dans les dialogues qui sont restés intacts. Dans la version originale anglaise, les dia-logues sont en vieil anglais, ce qui crée un

grand choc avec la mise en scène. Toutefois, c’est ce qui apporte un cachet si unique, en comparaison avec les multiples adaptations de Roméo et Juliette.

Finalement, il y a Moulin Rouge! (2001), un succès autant critique que commercial. Inspiré en partie des opéras La Traviata de Giuseppe Verdi et La Bohème de Giacomo Puccini, Moulin Rouge! raconte l’histoire de Christian (Ewan McGregor), un poète, qui tombe amoureux de la vedette mourante du cabaret Moulin Rouge de Paris, Satine (Nicole Kidman).

Après avoir exploré le milieu de la danse et du théâtre dans ses deux films pré-cédents, Baz Luhrmann touche maintenant au milieu de la chanson, car Moulin Rouge! est un film musical. Le réalisateur termine

sa trilogie en avec un film en béton: une bonne réalisation, la cinématographie est riche et la distribution est parfaite.

Les danseurs de Strictly Ballroom, Roméo, Juliette et la troupe de Moulin Rouge! jouent tous un rôle à un moment où un autre. Ils se costument pour sortir de la réalité que ce soit pour une compétition de danse, un bal costumé ou un spectacle musical. De plus, les trois films sont colorés, exagérés à souhait et la musique est importante. Tous ont des environnements stéréotypés, par-fois mêmes loufoques. Et bien sûr, chaque film débute et se termine avec des rideaux rouges. Red Curtain est une trilogie intéres-sante qui amène la mascarade à un autre niveau, soit le mise en scène théâtrale, sur-exagérée et riche en émotions. x

La trilogie du Rideau rougeLe Délit présente trois films de la Red Curtain Trilogy de Baz Luhrmann.

CINÉMA

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Eyes Wide Shut, sorti en 1999 est un thriller érotique et fut le dernier film réalisé par Stanley Kubrick (A

Clockwork Orange). Le réalisateur britanni-que est décédé en 1999, soit quatre jours après une projection privée du film avec sa famille, ainsi que Tom Cruise et Nicole Kidman. Le film est inspiré de La Nouvelle rêvée d’Arthur Schnitzler. Un couple vien-nois admet mutuellement avoir voulu tromper l’autre. Kubrick voulait faire un film sur les dangers du mariage. La rou-tine et l’ennui qui s’installent et le désir qui s’éteint. Malgré une vie en apparence parfaite, le couple est misérable.

Le docteur William Harford (Tom Cruise) et sa femme Alice (Nicole

Kidman) se préparent pour une soirée mondaine de New York. Plus tard dans la nuit, le couple admet mutuellement avoir eu le désir d’être infidèle. C’est alors que William veut explorer de nouveaux horizons sexuels et se retrouve dans une soirée pour adultes d’une société secrète sans y avoir été invité. Plusieurs événe-ments s’ensuivent et il est difficile de cri-tiquer l’histoire sans dévoiler les intrigues qui sont intéressantes quoiqu’un peu prévisibles.

Dans Eyes Wide Shut, la mascarade consiste soit à montrer un visage qui n’est pas réel, une facette que personne ne connaît, soit à montrer son vrai visage. Pour assister à la soirée de la société se-

crète, le docteur Harford doit porter une cape et bien sûr un masque. Un masque empêche de voir ce qu’une personne pen-se ou ses émotions. La nudité féminine y est omniprésente, pour symboliser une des multiples façons de montrer son vrai visage.

À l’inverse, dans la soirée mondaine du début du film, tous sont habillés mais le visage reste à découvert. La question devient donc: où se trouve la vraie mas-carade?

En ce qui concerne les performan-ces, Nicole Kidman surclasse son mari de l’époque, Tom Cruise. Plusieurs rumeurs entouraient leur divorce en 2001. L’une d’entre elles était le succès populaire et

critique grandissant de Nicole Kidman, qui jusque-là était dans l’ombre de son mari. C’est clairement le cas dans ce film. Elle interprète avec brio une femme en-fermée dans un mariage en apparence parfait, mais où les époux y sont miséra-bles.

La bande-annonce d’Eyes Wide Shut ne présente pas le film comme il se doit. Ce n’est pas une histoire de plaisirs éro-tiques démesurés et d’orgies. Bien au contraire, le film parle des dangers du ma-riage quand la routine et l’ennui prennent toute la place. Nicole Kidman offre une performance bien plus intéressante que Tom Cruise, ce qui est plutôt dommage parce que son rôle est secondaire.x

Au bal masqué de Stanley KubrickEyes wide shut explore des désirs sexuels inconnus voire interdits.

Emilie BlanchardLe Délit

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16 Spécial Mascarade x le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

Du Montréal du XXe siècle au Montmartre de l’entre-deux-guerres...

MUSIQUE

Le film est inspiré de l’intelligent essai Brève histoire du progrès, de l’auteur Ronald Wright. Si pour

l’altermondialiste moyen le documentaire n’est qu’une synthèse d’idées connues depuis des années et discutées par di-vers penseurs contemporains, le choc est ailleurs: ce sont de puissants médias qui se chargent de promouvoir auprès du grand public le film au sujet relativement radical, dans la lignée du documentaire La Corporation. Lors de la soirée d’ouverture, des représentants de nul autre qu’Alliance Vivafilm, distributeur détenu par CanWest Global Communications, puissant mono-polisateur de médias, ont pris le micro à tour de rôle pour vanter les mérites du film: «C’est un film important, essentiel, pour vous faire réfléchir».

Le film débute avec des images de chimpanzés jouant sommairement avec des blocs, opposées à des images du so-phistiqué Bras canadien dans l’espace, pour ensuite nous présenter différentes définitions du progrès. On nous introduit alors au concept des «trappes du progrès» selon lequel combler les besoins à court terme mène au désastre. En obtenant tou-jours plus par le progrès technologique, nous avons accès à un confort certain. C’est cependant une arme à double tran-chant, nous prévient la primatologue Jane

Goodall. Notre faible capacité à penser à long terme fait que nous omettons ce qui est bon non seulement pour l’individu, mais aussi pour «la société, la planète».

Le documentaire aborde aussi la surpopulation, qu’on dit être un sujet tabou parce qu’il touche la religion, la famille et les libertés individuelles. Il tou-che de même la surconsommation en s’attardant particulièrement sur la classe moyenne et la situation environnementale en Chine. Ensuite, la romancière Margaret Atwood dénonce le parallèle fait par les décideurs économiques entre la nature et les cartes de crédit illimité. Le film enchaî-ne ainsi sur la crise économique de 2008 et l’endettement des pays en voie de déve-loppement. On y fait l’analyse des civili-sations complexes qui se sont effondrées dans le passé, ayant eu en commun une dévastation écologique, une concentra-tion des biens et un contrat social brisé. On y affirme que la lutte politique du XXIe siècle se penchera sur la question de la dette, les intérêts dus par les pays en voie de développement atteignant main-tenant neuf fois les sommes empruntées. Le film poursuit l’exploration du progrès en revenant sur le passé dictatorial de l’ex-Zaïre et sur la déforestation amazo-nienne en dénonçant les politiciens qui se font aussi agro-industriels au Brésil. Lorsque les solutions au problème arri-vent, les points de vue s’opposent quant au rôle des manipulations génétiques qui

pourraient sauver le monde et on conclut plutôt qu’il faut réduire sa consommation et poser des limites au progrès technolo-gique et matérialiste.

Allons-nous survivre à tous les pro-blèmes qui menacent notre monde? Contrairement aux précédentes civilisa-tions, la nôtre est mondiale et interdépen-dante, mettant en péril l’humanité entière.

Survivre au progrès met en scène des ima-ges soignées, tournées autour du monde et fait une bonne synthèse de points de vue, qu’ils soient progressistes ou non, rassemblés en un bouquet habilement monté de variations sur le thème des tra-vers du progrès. Espérons que l’étonnant changement de vent dans la puissante in-dustrie des médias porte fruit! x

L’envers du progrèsHarold Crooks et Mathieur Roy présentent un documentaire grand public.

CINÉMA

Annie Li Le Délit

Rouguiatou DialloLe Délit

Au National, Béatrice Bonifassi nous propulse dans un voyage en-tre la Belle Époque et les Années

folles, deux périodes bien distinctes se-lon elle. Dans son Tombeau, Betty entend faire revivre la chanson réaliste sans nos-talgie, mais avec joie et bonne humeur. La chanson réaliste est un genre mu-sical né des cafés-concerts et caba-rets à la fin du XIXe siècle et qui du-rera jusqu’à l’entre-deux-guerres.

Principalement chanté par des fem-mes (on se rappelle tous la Môme Piaf), il relate avec mélancolie la vie des quartiers populaires.

À peine un pied dans la pièce que la transition débute; après avoir pas-sé le comptoir, nous voici dans un bar enfumé, on discute autour d’une biè-re ou d’un verre de vin. La salle aux airs de cabaret se remplit peu à peu de familles, de couples et de bandes d’amis qui attendent patiemment la chanteuse des Triplettes de Belleville.

Le spectacle commence. Accompagnée de son Orchestre du Nouveau Monde, coiffée d’un mini haut-de-forme rouge, Béatrice nous

emporte sous des airs de Piaf, Ferré, et Boyer. Il est difficile d’ignorer sa voix magnifique ainsi que son charisme qui communique le naturel et le mysté-rieux à la fois. Si on ajoute les lumières qui jouent entre ombre et clarté, nous voilà transportés au début du XXe siècle dans un café chantant de Montmartre.

Mais ce n’est pas tout: par un tour de passe-passe, la troupe parvient à in-troduire du Alain Bashung et du Nirvana dans leur répertoire. Ce qui aurait pu relever de l’anachronisme apporte, au contraire, un renouveau au genre.

Lorsque Betty propose un entracte, on la retrouve au bar, cigarette et verre de vin à la main. Pendant que la pia-niste, Fabienne, joue sur un piano-vélo; les clients du bar dansent et célèbrent Piaf à coup de «Padam Padam Padam»!

Le spectacle peut parfois paraître chaotique avec ses nombreux musi-ciens sur scène, ses objets saugrenus dans le piano de Fabienne (des insignes religieuses, un globe, un tube, etc.), ses jambes rouges élastiques en guise d’écharpe et la bagarre entre musiciens. Néanmoins, ce qu’il faut retenir de ce spectacle, c’est qu’il permet avant tout d’entretenir une atmosphère bon enfant et de ne pas tomber dans la nostalgie. x

Crédit photo: Surviing progress

Le Tombeau des trottoirs

Crédit photo: Audiogram

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17Arts & Culturex le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

À la guerre comme à la guerreQuand l’amour rencontre l’instinct de survie.

CINÉMA

Valérie Donzelli ouvre le Festival du Nouveau Cinéma avec brio. Son deuxième long-métrage La Guerre

est déclarée est un film personnel et poignant.La Guerre est déclarée, c’est l’histoire d’un

coup de foudre. Roméo et Juliette sont atti-rés l’un par l’autre comme des aimants. On est loin d’un remake bidon du classique sha-kespearien. Non, c’est plutôt l’histoire d’un jeune couple qui est né d’une pulsion pas-sionnelle. Il vit et grandit au jour le jour. Des images défilent, les amoureux courent à toute allure vers un destin inattendu. Le temps fuit, et du fruit de l’amour naît Adam. Mine de rien, cette naissance brusque la quiétude des deux amants. Roméo (Jérémie Elkaim) se rend vite compte que son fils n’est pas comme les autres enfants. Il ne marche pas, il semble malade, mais Juliette (Valérie Donzelli) nie tout jusqu’au jour où un diagnostic médical confirme qu’Adam est bel et bien malade. Atteint d’une forme de cancer rare et grave, le destin d’Adam est entre les mains de ses jeunes parents. On assiste alors à la disparition de l’insouciance et à l’émergence d’un combat.

Ce deuxième long métrage de la pétillante Valérie Donzelli transporte au cœur de l’intimité de ce qu’à jadis été son couple qu’elle formait réellement avec Jérémie Elkaim. La force du film réside dans le partage poignant de cette histoire tantôt fragile, tantôt électrisante. Ce n’est pas de l’apitoiement, mais plutôt un hymne à la survie. À travers un scéna-

rio bien ficelé (écrit par Jérémie Elkaim) et une mise en scène vivante, Valérie Donzelli réussit à contraster la lourdeur des événements avec la légèreté de l’am-biance. Effectivement, la luminosité qui réside dans les images amène espoir et fraîcheur. Le jeu des couleurs, des plans et surtout de la musique crée une symbiose particulière et renforce le côté tragique

de l’histoire. La bande sonore du film réussit à accompagner les personnages passant par tout le spectre des émotions. On y trouve du classique et du moderne. Malgré la forme «recette», le film est est loin de recréer un cliché des genres; au contraire, la musique est centrale et réus-sit à traverser le film et à le rendre vibrant. Les sons plus éclectiques sont comme des cris de douleur poussés pour extir-per un mal intérieur trop lourd à porter.

La performance des acteurs est ma-gistrale. Les acteurs réussissent à entrete-nir un jeu de charme impeccable. Ils en-tretiennent la flamme malgré tout. Il règne une ambiance de convivialité par moments comme l’illustrent les scènes de fêtes où ils boivent jusqu’à l’ivresse en titubant de bonheur. Quelques moments comiques sont de la partie et révèlent les multiples facettes de la situation. Ensuite vient l’iso-lement, leurs querelles déchirantes, pour finir par la séparation. La scène finale réserve une surprise visuelle aux specta-teurs. Le triomphe ou l’hécatombe? En tous les cas, la guerre a été déclarée. Cela devrait en inciter plus d’un à découvrir ce petit chef-d’œuvre cinématographique. x

Sabrina Ait AkilLe Délit

U ne vie de ballets de Marlène Ionesco relate les carrières de la danseuse Ghislaine Thesmar et de son mari,

le danseur et chorégraphe Pierre Lacotte. Le film est principalement composé de clips tirés d’archives qui montrent les différents ballets dansés et mis en scène par les époux. Les clips sont présentés en ordre chrono-logique et permettent de percevoir le déve-loppement du ballet au cours des soixante dernières années. Le répertoire des deux danseurs est effectivement très varié, incluant des ballets classiques tels Gisèle et La syl-phide et des ballets contemporains comme La dame aux camélias et La voix. Cette variété artistique donne à Une vie de ballets de nom-breux décors et un éventail de personnages, des princesses égyptiennes aux cowboys, en passant par des papillons et des mousquetai-res. Une vie de ballet explore aussi une grande variété musicale, avec de nombreux composi-teurs classiques, mais aussi des compositions contemporaines comme celles de Claude Léveillée pour La Voix (chantée par Édith Piaf) et de Charles Aznavour pour Gosse de Paris.

Ghislaine Thesmar et Pierre Lacotte pas-sent finalement le flambeau à la prochaine gé-nération de danseurs, en prenant plusieurs jeu-nes interprètes sous leurs ailes, espérant ainsi perpétuer la ferveur et l’intérêt pour le ballet.

Ainsi, Une vie de ballets offre un portrait enivrant de la danse. Le film aurait cepen-dant bénéficié de coupures dans les entre-vues avec les amants au profit des scènes de danse. La merveille du film se trouve en effet principalement dans le choix des extraits, d’une diversité tournoyante, ser-vant de kaléidoscope au monde du ballet. x

Nathalie O’NeillLe Délit

Photo: Une vie de ballets

Photo: La guerre est déclarée

Sa vie à danserDeux danseurs ont fait de leur réalité un spectacle.

CINÉMA

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18 Spécial Mascarade x le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

Le 6 octobre, journalistes, politiciens et commanditaires se réunissaient pour saluer les soixante ans du Théâtre

du Nouveau Monde (TNM) et de sa direc-trice artistique et générale, Lorraine Pintal. L’événement était fêté en grande pompe à l’occasion de la première médiatique de L’École des femmes, une pièce malheureusement un peu traditionnelle pour un théâtre qui se dit au cœur des mutations de la société qué-bécoise depuis plusieurs décennies. L’histoire du TNM compte en effet son lot de pièces subversives, lesquelles viennent soutenir les propos de Lorraine Pintal qui affirme que le TNM «n’est pas une entreprise culturelle, mais une institution et un service public». On songe par exemple à des pièces telles La nef des sorcières (1976) et Les fées ont soif (1978) qui donnèrent de l’impulsion aux manifestations féministes des années soixante-dix, ou encore à la représentation d’une pièce aussi contesta-taire que Jeux de massacre d’Eugène Ionesco en pleine crise d’Octobre 70. Mais le sain répu-blicanisme du théâtre qui donnait une voix à la cité se perpétue-t-il encore au moment où Lorraine Pintal fête ses vingt ans de mandat? Rien n’est moins sûr; mais c’est pourtant ce dont ne semblaient douter ni les journalistes ni les politiciens présents lors de la première. Les commanditaires, eux, ont eu à pâtir de cette tradition contestatrice à l’automne 1999, lorsque Wajdi Mouawad publia une violente invective contre la présence de leurs pancar-tes sur scène dans le programme de son Don Quichotte.

En vérité, si la programmation du TNM provoque encore des remous en 2011, ce n’est plus tant parce que ses pièces interviennent directement dans les crises actuelles, mais

plutôt parce que la contestation intervient au niveau de la société québécoise elle-même. Celle-ci a mal accepté par exemple le choix de Wajdi Mouawad d’inclure Bertrand Cantat dans la distribution du cycle Des Femmes, une adaptation de Sophocle qui, ironiquement, illustre la violence faite aux femmes, alors que Bertrant Cantat a été condamné pour le meurtre de sa femme Marie Trintignant. Peut-être est-ce pour cela qu’Yves Desgagnés a tenu à présenter L’École des femmes comme étant «féministe» avant l’heure. Sa mise en scène met en effet l’accent sur le caractère révolutionnaire de Molière, qui donne le «mauvais rôle» aux hommes à travers le per-sonnage d’Arnolphe. Prôner l’éducation des femmes en France au XVIIe siècle dénotait, il est vrai, un caractère tout à fait révolution-naire, tout comme il le serait dans les pays du Golfe aujourd’hui. Or, c’est souvent dans les sociétés les moins sensibles au féminisme que le combat est le moins présent dans les arts, et inversement.

Voilà pourquoi on peut s’interroger sur la pertinence de présenter cette pièce au Québec dans la continuité d’une tradition qui fait du TNM une institution publique, au service de la cité. Pourtant, ce ne sont pas les problèmes qui manquent, ni les groupes sociaux marginalisés qui auraient grand besoin de faire entendre leur voix sur la scène publique! Tandis que les étudiants ne cessent d’encaisser la hausse des frais de scolarité, les employés de MUNACA pro-testent contre la réduction de leurs acquis sociaux, et la vague de contestation se pro-page auprès des jeunes qui manifestaient au square Victoria lors de la journée internatio-nale du mouvement «Occupy Wall Street» le 15 octobre, dans le cadre de manifestations organisées dans plus de 1500 villes dans le monde. Avec tout ça, n’y avait-il pas une

quatrième mise en abyme de l’espace scéni-que dans la mise en scène d’Yves Desgagnés –les trois premières étant représentées sur scène par un rétrécissement progressif de la scène qui aboutit à une ouverture des rideaux sur le visage de Guy Nadon; la qua-trième représentant le public des journalis-tes, politiciens, et commanditaires applau-dissant l’esprit révolutionnaire du TNM. x

Albertine en 5 temps, pièce centrale de l’œuvre de Michel Tremblay, est considérée comme l’un des chefs-

d’œuvre de l’auteur. Albertine, quant à elle, est peut-être le personnage canadien le plus joué sur les scènes du pays. L’équipe du Tuesday Night Café, une compagnie de théâtre dirigée par des étudiants en parte-nariat avec le département d’études anglai-ses de McGill, a décidé de s’attaquer à ce classique de la littérature québécoise. Une entreprise audacieuse étant donnée la re-nommée de la pièce et le fait qu’elle sera jouée dans la langue de Shakespeare, sur un campus anglophone au cœur de la Belle Province.

Le verdict? Même si le rythme tombe parfois à plat, l’ensemble de la perfor-mance est quasi-impeccable. Le tout rendant bien l’essence d’un texte fort et d’une traduction fidèle.

Si cette version traduite fonctionne bien, c’est grâce à la qualité de son texte. Albertine se retrouve à 70 ans en mai-son de retraite. Seule pour sa première nuit dans ce nouvel univers, elle y fait l’état de sa vie en compagnie de ses fan-

tômes. Les Albertine de ses 30, 40, 50 et 60 ans, ainsi que sa sœur Madeleine, son éternelle confidente, se rencontrent. Certaines sont optimistes, d’autres désil-lusionnées, pour faire le point sur les dif-férentes étapes de leur existence. La pièce constitue une critique sociale du rôle de la femme dans la société québécoise des

années 30 et 40. C’est un cri du cœur venant d’une femme dépossédée de sa destinée qu’elle voit plutôt régie par les normes d’une société elle-même plongée dans la Grande noirceur.

Dès l’entrée en salle, on voit que la pièce sera jouée dans les règles de l’art: le décor est typiquement «tremblayen» et

La Bastringue, jouée en boucle, fait office de trame sonore. Le casting est mené avec brio et chacune des comédiennes représente bien physiquement Albertine dans toutes les étapes de sa vie. La mise en scène, de Zoe Erwin-Longstaff est simple, épurée, et laisse toute la place au texte. On y retrouve aussi, à dose calcu-lée (preuve du bon goût et de la maîtrise du genre de madame Erwin-Longstaff) les monologues féminins et l’utilisation du chœur, pratiques propres à Michel Tremblay.

Au début de sa carrière, Michel Tremblay faisait preuve de réticence à voir ses pièces traduites et interprétées en anglais. Cette peur est compréhensible; la plupart des œuvres de l’auteur dépeignent la réalité du quartier populaire franco-phone du Plateau Mont-Royal. Ce que le TNC Theatre illustre avec habileté grâce à sa production de Albertine in 5 Times, c’est que Michel Tremblay est tout aussi crédible, poignant et pertinent, même si ses pièces ne sont pas en «joual». x

Miruna TarcauLe Délit

Sous les jupons de l’École des femmesLes masques du Théâtre du Nouveau Monde: sous une contestation apparente, un conformisme décevant

BILLET

Marion Provencher-LangloisLe Délit

Ç’t’à ton tour, Albertine!Albertine in Five Times, une version déguisée mais touchante présentée au Tuesday Night Café

THÉÂTRE

Crédit photo: Jean-François Gratton

Albertine in Five TimesOù: Tuesday Night Café Theatre 3585 McTavish, local 016Quand: du 19 au 22 octobre

L’École des femmesOù: Théâtre du Nouveau Monde 84 Ste-Catherine OuestQuand: du 4 au 29 octobre, supplémen-

taires les 2 et 3 novembre.

Crédit photo: Eric Chad

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19Arts & Culturex le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

TouT le monde a déjà entendu ce mot: mascarade. Et vous l’avez lu de nombreuses fois dans ces pages cette semai-ne, alors que nous avons choisi d’en faire l’hommage dans ce numéro spécial. Mais qu’est-ce que c’est? Ceux d’entre nous qui ont la fâcheuse tendance de rap-porter à l’anglais toute question qui touche à la langue française auront pensé tout d’abord à une grande salle style XVIIe pleine de dorures et d’aristocrates en loup noir que la jet set new-yorkaise affectionne à recréer.

Que nenni! Si le bal mas-qué a bien porté ce nom et le porte toujours occasionnelle-ment, la mascarade est avant tout un ensemble de jeux scéni-ques et de danses particulière-ment populaires dans la société florentine du XVIe siècle. La mascherata («masquées» littéra-lement) est une dance costu-mée, et masquée évidemment, qui rappelle les rites dionysia-ques gréco-romains.

Le champ étymologique du masque serait passé dans les langues latines par le farsi, c’est-à-dire le perse, ramené en Italie par les voyageurs de la route de la soie. En s’étendant à toute l’ère d’influence du latin, le mot qui est devenu «masca-rade» a gagné du sens et de la popularité. En France, il a peu à peu cessé de désigner ce que l’on qualifierait aujourd’hui de

performance artistique, pour qualifier ce bal auquel tous prennent part. La mascarade n’est donc plus un spectacle, mais elle reste un divertisse-ment.

Plus tard, alors que le sens figuré du mot se démocratise, la mascarade devient moins plai-sante: elle est une imposture. Car c’est bien cela une masca-rade, c’est se masquer, se voiler

pour cacher son vrai visage, sa vraie nature, son essence. De tout temps on a cherché à dis-simuler son identité pour diver-ses raisons; pour les besoins du théâtre, pour les besoins de la fête, pour les besoins de la reli-gion, pour les besoins du crime. À l’heure où l’accès à l’infor-mation est devenu un droit ina-liénable, peut-être est-il temps de tomber les masques. x

Tomber les masquesAnselme Le Texier | Les mots de saison

CHRONIQUE

la semaine dernière,la serveuse du restaurant dans lequel j’étais attablée m’a sur-prise à zieuter la table voisine. «Quelque chose d’intéressant par ici?» me demande-t-elle en sou-riant. «Non! Non, non… je suis

un peu dans la lune, c’est tout…» En tentant de lui rendre son sou-rire, je fais un geste maladroit de la main, qui signifie quelque chose comme: «Suis-je bête!» La jeune femme me sert mon café et repart, visiblement amusée par mon mensonge flagrant. Car je n’étais pas «dans la lune», mais plutôt absolument et tout à fait concentrée sur la conversation se déroulant près de moi, chose que je fais très souvent lorsque je suis seule dans un lieu public. C’est toutefois la première fois que je m’y fais prendre… «Il faut que j’arrête de dévisager tout le monde» me dis-je en souriant bêtement à la serveuse qui, as-siettes empilées sur les bras, na-vigue maintenant entre les tables de la salle à manger.

Mais d’où me vient cette dé-sagréable manie? Ladite conver-

sation, en tous cas, ne présentait pas de véritable intérêt: «T’as une nouvelle peignure! Ben oui, hey, je voulais un peu de blond, mais Gisèle m’a convaincue que ça m’irait mieux le noir… C’est pas facile! À Montréal, j’aime mieux ne pas avoir d’auto… C’est dur à expliquer, qu’y m’a dit… Hey, fais dont ta job de prof!». Conversation classiquement en-nuyeuse, en ce sens qu’elle appa-rait comme un ramassis d’obser-vations qui n’ont pour but que de «prendre des nouvelles», et ainsi faire passer le temps. L’intérêt ne résidait donc pas dans la conver-sation elle-même… Mais dans quoi, alors?

Comme je semble incapable d’accepter que cette fâcheuse manie découle simplement d’un voyeurisme vulgaire et attardé, je me vois obligée d’élever ma pro-

blématique à un niveau moins embarrassant, en faisant un lien entre ma situation ridicule et la littérature. Première réflexion: mon besoin d’écouter aux tables ressemble étrangement à mon besoin de lire de la fiction. De la prose, pour être plus précise. Dans son essai Le Rideau, Milan Kundera explique que «la prose, ce n’est pas seulement le côté pénible ou vulgaire de la vie, c’est aussi une beauté jusqu’alors négligée, la beauté des senti-ments modestes». Est-il possible que mon espionnage enfantin soit une manière de chercher le Beau à travers le quotidien de personnes qui me sont incon-nues? Dans ce même essai, Milan Kundera écrit que «les personnages romanesques ne demandent pas qu’on les admire pour leurs vertus. Ils demandent

qu’on les comprenne. […] La seule chose qu’il nous reste face à cette inéluctable défaite qu’on appelle la vie est d’essayer de la comprendre». Seconde réflexion: la table d’à côté est en fait un roman que j’essaie de lire discrè-tement. Car si le monde entier est un théâtre, le quotidien –ce moment où les masques sont enlevés, où le jeu cesse et que la vie, la vraie vie comme on dit, commence– on en devient les coulisses. Pour une raison que j’ignore, l’âpreté du quotidien me semble beaucoup plus fascinante que la flamboyance exagérée qu’exige le théâtre des relations sociales.

Tandis que je méditais ces questions, je me surpris, encore une fois, à dévisager les dineurs de la table voisine, qui cette fois-ci m’ont remarqué… x

Le monde entier est un théâtreLaure Henri-Garand | Le chemin de la croix

CHRONIQUE

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20 Spécial Mascarade x le délit · le mardi 18 octobre 2011 · delitfrancais.com

Mascarade funèbreFICTION

par

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Les cieux éventrés par l’orage se déversaient sur Édouard et Ruben. Les deux frères avançaient, recro-

quevillés sous le vent qui leur fouettait les flancs, vers un immense manoir néo-go-thique qui reposait au faîte d’une colline boisée. Sur le seuil de la porte, Édouard regarda son grand frère Ruben qui humait l’air en tous sens, en agitant son impo-sante crinière comme une marée d’algues noires. Édouard écarquillait les yeux sous la pluie pour ne pas manquer un seul des mouvements de son ours de frère. Soudain Ruben lui serra l’épaule. La foudre dans le regard, il lui dit: «Je te l’ai toujours promis, petit frère. Le temps est maintenant venu.» De sa main libre, il poussa le battant de la grande porte et poussa Édouard dans la gueule du manoir.

À l’intérieur, une salle de bal pullulait d’invités. L’éclair d’un unique candélabre pendu au centre du plafond révélait une at-mosphère poussiéreuse d’où cavalcadaient les silhouettes comme dans un théâtre d’ombres chinoises. Au fond du hall, une dizaine de Léviathans de marbre surgis-saient à la base de deux immenses escaliers qui perçaient le plancher et s’élevaient en spirale jusqu’à un nombre d’étages incon-cevable. Les invités, tous en chair et en os, certains plus en os qu’en chair, saturaient la salle entière d’une odeur de viande en putréfaction. La plupart s’étaient engagés dans une danse tournoyante sur les larges marches des escaliers. Un homme en habit d’arlequin se tenait à l’embrasure de la porte, une main serrée sur sa propre gorge.

Lorsqu’il vit les deux frères, il s’élança vers Ruben en poussant un tonitruant cri de joie. Les deux hommes rirent chaleureusement en se serrant la main. L’arlequin, en prenant de ses deux mains celle de Ruben, avait lais-sé grande ouverte la large fissure qui lui cei-gnait le cou. Un flot de sang noir s’écoulait encore de sa gorge lorsqu’il se tourna vers Édouard: «Enchanté, maître Édouard! On m’a souvent parlé de vous. Je suis le baron Sanche, et je vous prie sincèrement de vous joindre à nous en cette funèbre soirée.»

Édouard lui serra distraitement la main, les yeux écarquillés et la nausée au cœur: derrière le baron Sanche se trou-vaient des tables où s’alignait un grotesque buffet consommé par des êtres au visage rongé jusqu’à l’os. Au centre de la table, un sanglier déployait ses entrailles où festoyait une mare d’asticots. Une horde de mains en lambeaux déchiraient la bête de leurs ser-res de charognards. Dans les assiettes s’éta-laient un véritable potager de pourriture, un pot-au-feu de pestilence. Au-dessus des mangeurs volaient des souris mortes et des crânes de chats, projetés par des bouffons masqués et squelettiques qui jonglaient à chaque extrémité de la table.

Le baron Sanche prit congé en se courba d’une respectueuse révérence, puis retourna danser avec la macabre assemblée. Édouard, en s’avançant à pas incertains à travers la macabre assemblée, s’enfonça dans un énorme kyste vêtu d’une robe de soirée bleu poudre.

«Bonsoir, seigneur Édouard, dit le kyste. Tu ne te rappelles probablement pas la dernière fois où nous nous sommes ren-contrés. Je suis madame Öklesse… je suis ravie de te revoir enfin.»

La grosse dame s’éloigna tandis qu’Édouard la regardait valser d’invité en invité, en traînant avec elle une énorme épée enfoncée dans son crâne selon une parfaite ligne verticale. «Pour seule fin d’ornement» disait la dame.

Édouard tenta de s’approcher de la ta-ble mais fut assailli par une meute d’enfants qui laissaient sur leur passage une traînée de morceaux de peau et de doigts minus-cules, comme autant de petits poucets en décrépitude. À cheval sur leur monture, composée d’une tête chevaline montée sur un pieu en bois, ils effleuraient Édouard dans leur charge épique vers la nourriture. Les gamins atteignirent un majordome as-sis à table, qui bondit aussitôt sur ses pieds et se précipita vers les deux frères.

«Je suis André de Vébaire. Bienvenue! Nous vous attendions depuis longtemps!»

À ces mots, plusieurs se retournèrent et levèrent leur chapeau en souriant. À de nombreuses reprises, la tête se souleva au-dessus du corps en même temps que le chapeau. André de Vébaire toisait Édouard et Ruben avec un demi sourire. En réalité, il n’aurait pu faire autrement étant don-né la moitié du visage qu’il lui manquait. L’autre moitié était recouverte d’une bande de cuir clouté qui lui recouvrait le front et les yeux, avant d’aller s’enrouler autour de son demi-crâne. Le bandeau retenait tant bien que mal la masse cérébrale qui se li-quéfiait à travers les pores du cuir.

«Si vous me le permettez, messei-gneurs, je vais vous guider jusqu’à la chambre des maîtres.»

Édouard et Ruben s’engagèrent à la suite de Vébaire. Les trois hommes se diri-gèrent vers l’un des deux escaliers, puis se

frayèrent un chemin entre les danseurs. Les partenaires de danse, bien qu’ils valsassent sans se déplacer, restaient étrangement no-bles dans leur fixité; des geysers de grâces issus des fleurs du tapis rouge. Ruben dési-gna les portraits mangés aux mites qui or-naient chacun des pans de mur au-dessus de chaque marche. «Oncle Werben… tante Zinar, cousine Alaistair…», marmonnait-il, absorbé par lui-même. Puis il sursauta et se tourna vers son frère:

- Ah, Édouard! Tu te souviens de nos parents morts dans cet accident de carriole, n’est-ce pas?

- Ruben, voyons, comment pourrais-je…

- Eh bien, les voilà!- Ruben avait défoncé d’un coup de

pied la porte de la chambre des maîtres. À l’intérieur, une carriole déglinguée gisait sur les carcasses de quatre braves chevaux qui n’avaient connu que le devoir. Dans l’amas des corps chevalins, les parents d’Édouard étaient nichés langoureuse-ment. À la vue de leur enfant, ils s’animè-rent simultanément d’un chaleureux sou-rire. La mère ouvrait les bras et penchait la tête vers le bas, une roue de la carriole enfoncée dans la nuque. Le père avait la gorge transpercée d’un essieu. Il s’exprima d’une voix métallique:

«C’est si bon de te revoir, mon fils. Bienvenue chez toi, seigneur Édouard.»

Édouard, les larmes aux yeux, laissa tomber son paletot d’écolier, dévoilant ain-si les huit trous de balles qui rougissaient sa chemise blanche. Puis il s’élança pour embrasser ses parents. Ruben hoqueta d’un rire ému, rangea son fusil, puis se joi-gnit à l’étreinte familiale. x

Raphaël Dallaire FerlandLe Délit

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