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1 Université de Fribourg 6 e Journée d’études bilingue CIFT – Faculté de théologie Universität Freiburg 6. zweisprachiger Studientag CIFT Theologische Fakultät Prêtres, diacres et laïcs au sein des équipes pastorales. Conditions d’une collaboration fructueuse 1. Cette contribution appelle quelques remarques préliminaires. Le canoniste que je suis réagira d’abord sur la désignation des acteurs dont il s’agit : en rigueur, parler de « prêtres », de « diacres » ou de « laïcs », cela ne dit rien de précis sur leur implication dans des équipes pastorales. Pour le canoniste, il ne suffit pas d’évoquer la condition cléricale des uns prêtres et diacres et la condition laïque des autres laïcs pour savoir de quoi on parle ni quelle est la nature de leur engagement dans de telles équipes. Car ces conditions canoniques particulières ne disent rien quant aux ministères respectifs de ces personnes, ou en langage du droit ecclésial de la charge (lat. munus) ou de l’office ou fonction ecclésiale (lat. officium ecclesiasticum) des uns et des autres. Il me faudra donc apporter ces précisions que la rigueur conceptuelle d’une discipline impose. 2. Une deuxième précision concerne la notion d’équipe pastorale. Cette expression recouvre des réalités différentes selon les pays. La mise en place d’équipes pastorales de paroisse s’est généralisée au cours de ces trois dernières décennies en Europe occidentale et au Québec. Selon les diocèses, les appellations en cours sont sensiblement différentes : équipes pastorales, équipes d’animation paroissiale ou pastorale, équipes pastorales mandatées, etc. Pour la clarté de mon propos, j’entends ici par équipe pastorale une instance de direction pastorale. Nous verrons cependant ce qu’il faut mettre derrière la notion de « direction » quand il s’agit de l’Église, concrètement de l’institution paroissiale. 3. De plus, ces équipes ont une portée institutionnelle différente selon qu’elles sont mises en place pour une ou plusieurs paroisses, en particulier pour des regroupements ou fédérations de paroisses, diversement appelés secteurs pastoraux, ensemble paroissial, Unité pastorale, voire « nouvelle paroisse » dès lors que les paroisses concernées ont formellement fait l’objet d’une fusion. Dans la suite de mon propos, je parlerai en général d’équipes pastorales pour plusieurs paroisses, c’est-à-dire pour une réalité multicampanaire, plus précisément dans le cadre d’une Unité pastorale ou d’une nouvelle paroisse. Je tiens à cette précision car, selon les circonstances, leur existence est concomitante avec la présence d’équipes-relais, groupe ou équipe d’animation locale, voire Conseil pastoral local ou Conseil de communauté, etc. 1 1 Je n’aborde pas ici la réalité des équipes relatives aux communautés locales. Leur dénomination est variable : « équipes-relais », « relais paroissiaux » ou « répondants locaux », « relais de communauté locale » ou « équipe de correspondants de villages », etc. Leur caractéristique commune est d’assurer une proximité de la paroisse auprès des gens. Ces relais incarnent le souci de la communauté paroissiale d’être présente dans son environnement propre. Leur tâche peut varier selon les cas. Celle-ci consiste pour le moins à servir d’antenne paroissiale pour relayer l’information et les demandes de services avec le souci de rendre visibles la communauté paroissiale dans son environnement humain et sa sollicitude à l’égard des gens quels qu’ils soient qui s’adressent à elle. Dans certains cas, la tâche en question consiste à promouvoir dans les communautés locales de la paroisse nouvellement remodelée les préoccupations majeures de la mission, les orientations pastorales de la paroisse ou

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Université de Fribourg – 6e Journée d’études bilingue CIFT – Faculté de théologie

Universität Freiburg – 6. zweisprachiger Studientag CIFT – Theologische Fakultät

Prêtres, diacres et laïcs au sein des équipes pastorales.

Conditions d’une collaboration fructueuse

1. Cette contribution appelle quelques remarques préliminaires. Le canoniste que je

suis réagira d’abord sur la désignation des acteurs dont il s’agit : en rigueur, parler de

« prêtres », de « diacres » ou de « laïcs », cela ne dit rien de précis sur leur implication dans

des équipes pastorales. Pour le canoniste, il ne suffit pas d’évoquer la condition cléricale des

uns – prêtres et diacres – et la condition laïque des autres – laïcs – pour savoir de quoi on

parle ni quelle est la nature de leur engagement dans de telles équipes. Car ces conditions

canoniques particulières ne disent rien quant aux ministères respectifs de ces personnes, ou –

en langage du droit ecclésial – de la charge (lat. munus) ou de l’office ou fonction ecclésiale

(lat. officium ecclesiasticum) des uns et des autres. Il me faudra donc apporter ces précisions

que la rigueur conceptuelle d’une discipline impose.

2. Une deuxième précision concerne la notion d’équipe pastorale. Cette expression

recouvre des réalités différentes selon les pays. La mise en place d’équipes pastorales de

paroisse s’est généralisée au cours de ces trois dernières décennies en Europe occidentale et

au Québec. Selon les diocèses, les appellations en cours sont sensiblement différentes :

équipes pastorales, équipes d’animation paroissiale ou pastorale, équipes pastorales

mandatées, etc. Pour la clarté de mon propos, j’entends ici par équipe pastorale une instance

de direction pastorale. Nous verrons cependant ce qu’il faut mettre derrière la notion de

« direction » quand il s’agit de l’Église, concrètement de l’institution paroissiale.

3. De plus, ces équipes ont une portée institutionnelle différente selon qu’elles sont

mises en place pour une ou plusieurs paroisses, en particulier pour des regroupements ou

fédérations de paroisses, diversement appelés secteurs pastoraux, ensemble paroissial, Unité

pastorale, voire « nouvelle paroisse » dès lors que les paroisses concernées ont formellement

fait l’objet d’une fusion. Dans la suite de mon propos, je parlerai en général d’équipes

pastorales pour plusieurs paroisses, c’est-à-dire pour une réalité multicampanaire, plus

précisément dans le cadre d’une Unité pastorale ou d’une nouvelle paroisse. Je tiens à cette

précision car, selon les circonstances, leur existence est concomitante avec la présence

d’équipes-relais, groupe ou équipe d’animation locale, voire Conseil pastoral local ou Conseil

de communauté, etc. 1

1 Je n’aborde pas ici la réalité des équipes relatives aux communautés locales. Leur dénomination est variable :

« équipes-relais », « relais paroissiaux » ou « répondants locaux », « relais de communauté locale » ou « équipe

de correspondants de villages », etc. Leur caractéristique commune est d’assurer une proximité de la paroisse

auprès des gens. Ces relais incarnent le souci de la communauté paroissiale d’être présente dans son

environnement propre. Leur tâche peut varier selon les cas. Celle-ci consiste pour le moins à servir d’antenne

paroissiale pour relayer l’information et les demandes de services avec le souci de rendre visibles la communauté

paroissiale dans son environnement humain et sa sollicitude à l’égard des gens quels qu’ils soient qui s’adressent

à elle. Dans certains cas, la tâche en question consiste à promouvoir dans les communautés locales de la paroisse

nouvellement remodelée les préoccupations majeures de la mission, les orientations pastorales de la paroisse ou

2

4. À cette troisième remarque s’en ajoute une quatrième : le foisonnement de ces

équipes – leur diversité autant que leur multiplicité – s’inscrit dans le contexte de la

promotion du travail en équipe dans la vie de l’Église à l’instar de la généralisation de cette

modalité de travailler, de gérer ou d’entreprendre dans le domaine économique, associatif et

culturel 2. Après Vatican II, cette tendance a été renforcée par la valorisation des laïcs dans la

vie ecclésiale, entre autres en relation avec la diminution du nombre de prêtres.

5. Ma cinquième remarque relève surtout de la sociologie des organisations.

L’expérience nous apprend que le « travail en équipe » ne se réduit pas à un « travail de

groupe », ni même à un « travail à plusieurs ». Il faut donc bien cerner de quoi on parle. Il

n’est pas toujours facile de s’y retrouver car, sous une même appellation, le travail peut être

un véritable travail d’équipe, une simple coordination des tâches, une mise en commun

d’efforts individuels, voire un vœu pieux, sinon même une pure incantation ! Il y a équipe

pastorale et équipe pastorale ! Les laïcs impliqués plein temps dans les affaires de l’Église à

l’instar des curés et d’autres prêtres en paroisse ne peuvent que se positionner différemment

des laïcs dont l’engagement bénévole ne requiert que quelques heures par semaine. Pour

savoir de quoi on parle sur le terrain, il faut à chaque coup tenir compte de la composition de

l’équipe, du degré d’implication effective de ses membres, de la détermination de sa mission

institutionnelle, de la fréquence des réunions, etc.

6. Je me propose donc, dans un premier temps, d’examiner à quel titre des « prêtres,

diacres et laïcs » sont habituellement impliqués dans une équipe pastorale. Je m’en tiendrai à

l’essentiel sur le statut des uns et des autres. J’aborderai dans un deuxième temps les

conditions d’une collaboration fructueuse au sein de l’équipe pastorale. Tout ne pourra pas

être dit. Mon propos sera forcément coloré par mon approche canonique de ces réalités, mais

il ne manquera pas d’intégrer d’autres apports qui relèvent plutôt de la théologie pratique.

1. Le curé et les autres membres d’une équipe de direction pastorale

7. Avant de parler des statuts canoniques des membres d’une équipe pastorale,

rappelons quelques éléments majeurs de théologie de l’Église et des ministères. Dans une

perspective trinitaire, Jean Rigal aime à dire : « Tous (sont) égaux dans le peuple convoqué

par le Père, tous (sont) différents dans l’unique Corps du Christ, tous (sont) animés et unis par

les dons de l’Esprit » 3

. L’Église est foncièrement une communion, mais une communion

organique, diversifiée et plurielle ! Par leur participation à la vie divine, en vertu du baptême

et selon la diversité des dons de l’Esprit, les chrétiens sont rendus « coresponsables » de la vie

ecclésiale et de la mission évangélique4. La « coresponsabilité de tous » légitime la synodalité

les grands axes de l’évangélisation. Le « relais paroissial » veille par exemple à assurer localement la prière

commune, l’éveil et l’éducation à la foi, la gestion financière et la liaison avec le curé et l’équipe pastorale. Ces

relais sont composés de bénévoles notamment afin de ne pas concentrer toutes les facettes de l’animation

pastorale dans les mains des permanents ou du personnel rétribué. 2 Cf. A. BORRAS, « Les équipes pastorales de paroisse. Le défi du travail en équipe et l’enjeu d’une nouvelle

gouvernance », Transversalités 101 (2007), p. 187-212. 3 J. RIGAL, L’Église en chantier, Paris, Éd. du Cerf, 1994, p. 213.

4 Cf. A. BORRAS, « La coresponsabilité : enjeux théologiques et institutionnels », dans O. BOBINEAU & J.

GUYON, La coresponsabilité dans l’Église, utopie ou réalisme ?, Paris, Desclée de Brouwer, coll. « Religion &

Politique », 2010, p. 69-89.

3

ecclésiale, celle-ci étant une qualité de l’Église qui tient conseil (all. sich beraten) en vue de la

réalisation de l’œuvre commune, l’annonce de l’Évangile en ce lieu5.

Les ministres ordonnés dans le rapport symbolique ecclesia - ministerium

8. Au sein du Corps ecclésial du Christ édifié par l’Esprit Saint – parmi les fidèles (lat.

inter christifideles, cf. c. 207 § 1) – quelques-uns assument ainsi une fonction particulière au

service de tous sous la présidence d’un seul, qui figure le Christ, tête de son Corps 6. C’est la

dimension symbolique du ministère ecclésial : ce rapport entre « un [pasteur] / quelques-uns

[autres minitres] » et « tous [les autres fidèles] » fait « tenir ensemble » la communauté (gr.

sunballein).

9. Le pasteur et les autres ministres signifient et réalisent qu’il n’y a d’Église de Dieu que

par le Christ et dans l’Esprit de qui vient la grâce du salut, l’offre d’alliance. Pas d’Église

sans la grâce. Les autres fidèles signifient et réalisent qu’il n’y a pas d’Église sans l’adhésion

libre de la foi, la célébration du salut et le service de notre humanité appelée à son

achèvement. Pas d’Église sans la foi. Dans cette perspective, les ministères se situent comme

des services de cela même que la communauté est appelée à être et à faire 7. Ils « disposent

l’Église à sa mission »8.

10. À l’instar de l’évêque, les prêtres sont habilités en vertu de leur ordination à la

présidence ecclésiale et eucharistique des communautés qui leur sont confiées. L’ordination

est en effet une habilitation à exercer une mission, un ministère ; elle confère de ce fait la

grâce indispensable pour l’exercer. Comme pour les évêques, l’habilitation en question

concerne le ministère de présidence de l’Église et de l’eucharistie. Ils garantissent à ce titre-là

l’apostolicité de la foi de l’Église dans les communautés qui leur sont confiées et avec les

autres communautés ecclésiales9.

11. C’est ainsi que par leur ministère – en raison de la grâce de l’ordination –, les prêtres

signifient et réalisent, comme les évêques vu l’unité de consécration et de mission, la seule et

unique médiation sacerdotale du Christ, tête du Corps ecclésial édifié par l’Esprit Saint.

Comme l’évêque, ils exercent un ministère sacerdotal de présidence ecclésiale et

eucharistique, en l’occurrence in persona Christi capitis (cf. c. 1009 § 3)10

. Comme lui, ils

5 Si la coresponsabilité baptismale désigne une qualité des baptisés en tant qu’individus, le concept de synodalité

désigne un trait de l’Église en tant que communauté. La synodalité est même une qualité constitutive de la

communion ecclésiale dont elle est l’expression ; elle comprend le concours de tous les fidèles, pasteurs y

compris. 6 Sur ce rapport dialectique entre « tous » et « quelques-uns » en référence à « un » (signifié par ailleurs par le

ministère de présidence), on trouvera des allusions néo-testamentaires commentées par H. LEGRAND, « Le rôle

des communautés locales dans l’appel, l’envoi, la réception et le soutien des laïcs recevant une charge

ecclésiale », LMD 215 (1998), p. 13-22. 7 Y. CONGAR, « Mon cheminement dans la théologie des ministères », dans Ministères et communion ecclésiale,

Paris, Éd. du Cerf, 1971, p. 19. 8 Je cite volontiers cette formule de Mgr J. Doré et du Prof. M. Vidal : « Pour que l’Église vive et remplisse sa

mission de service de l’Évangile en ce monde, il faut que, en elle, certains acceptent de servir pour la disposer à

sa mission — autrement dit : quelques-uns acceptent d’assurer en son sein des ministères » (J. DORÉ et M.

VIDAL, « Introduction générale. De nouvelles manières de faire vivre l’Église », dans J. DORÉ & M. VIDAL [dir.],

Des Ministres pour l’Église, Paris, Bayard Éditions /Centurion – Fleurus-Mame – Éd. du Cerf, coll.

« Documents d’Église », 2001, p. 14). 9 Les ministres ordonnés ne « créent » pas l’apostolicité de l’Église. Ils la « garantissent » : ils en sont les

« garants » (en latin les sponsores) synchroniquement avec les autres communautés ecclésiales et

diachroniquement avec les origines et dans une perspective eschatologique, pour s’assurer que l’Église continue

à tenir, vivre et attester dans la fidélité l’Évangile qu’elle a reçu des Apôtres. 10

Désormais le c. 1009 comporte un 3e § qui s’énoncent en ces termes : « Ceux qui sont constitués dans l’Ordre

de l’épiscopat ou du presbytérat reçoivent la mission et la faculté d’agir en la personne de Christ-Tête, les diacres

4

figurent sacramentellement le Christ, le bon pasteur par excellence, qui conduit son Église

vers le Royaume, pour qu’elle devienne toute entière un peuple sacerdotal, prophétique et

royal. Leur ministère est apostolique en cela même qu’ils sont institués pour être les garants

de l’apostolicité de la foi dans l’entre-deux des deux venues du Christ comme le dit le P. Y.

Congar11

.

12. Les diacres sont, en vertu de leur ordination, envoyés pour servir le rassemblement

ecclésial en train de se faire. L’ordination diaconale est une habilitation pour servir. Comme

les autres ministres ordonnés – évêques et prêtres –, les diacres sont investis de ce ministère

dans tout leur être et pour toute leur vie. Au rang qui est le leur, ils garantissent l’apostolicité

de la foi vécue dans la charge ou la fonction ecclésiale que l’évêque diocésain leur confie

dans la pastorale ordinaire ou aux avant-postes de la mission, selon les besoins en la matière.

Par leur ministère diaconal, les diacres figurent sacramentellement la diaconie du Christ à

laquelle toute l’Église est appelée. Ils entraînent les baptisés à devenir un peuple de serviteurs

et ils redonnent à ce monde le goût du service.

13. Le diaconat s’articule avec le ministère des pasteurs en étant à leur service et au

service des communautés appelées à entrer dans la diaconie du Christ et à s’ouvrir à l’action

de son Esprit. La figure christique du serviteur s’intègre ainsi à celle du pasteur contribuant de

la sorte à manifester, dans l’unité du ministère ordonné, l’indissociable identité du Christ,

pasteur et serviteur.

Coresponsabilité baptismale de tous et collaboration ministérielle de quelques-uns

14. Jusqu’à présent, avec ces quelques notions fondamentales, j’en suis resté sur le plan

des généralités d’une théologie des ministères. Qu’en est-il des « laïcs » ? Ce n’est pas de tous

les (autres) laïcs que nous parlons, à savoir de ces baptisés qui permettent à l’Église de

prendre corps en ce lieu et participent à l’annonce de l’Évangile, prennent part à la célébration

de la liturgie et des sacrements et contribuent à la sanctification du monde, au service de

l’humanité et à l’accomplissement de l’histoire.

15. Parmi les fidèles laïcs, certains – pas tous – se voient appelés à accomplir un service

ou à exercer un ministère. Je veux parler de ces « quelques » laïcs qui se singularisent par

rapport à tous les autres fidèles laïcs du fait de leur engagement dans une équipe pastorale.

Selon les termes mêmes du Père B. Sesboüé, « le ministère ordonné ne confisque pas toute la

réalité ministérielle de l’Église » 12

.

16. Théologiquement parlant, c’est donc en vertu de leur baptême et en fonction des

charismes qui sont les leurs, que des laïcs sont susceptibles d’être appelés par l’Église –

quelles que soient les modalités de cet appel et du discernement qu’il présuppose – pour

assumer des services ou des ministères indispensables pour édifier l’Église et contribuer à sa

mission en ce lieu. Ils participent « de plus près » à la charge pastorale (cf. AA 24f).

16bis. Il faut bien mesurer théologiquement parlant l’apport d’une « équipe pastorale ». À

la dimension christologique du ministère de présidence du curé, elle ajoute ou plutôt valorise

la dimension pneumatologique de l’exercice de son ministère. Celle-ci consiste en la

reconnaissance et la promotion des charismes des fidèles, en l’occurrence appelés à la

en revanche reçoivent la force de servir le peuple de Dieu dans la diaconie de la liturgie, de la Parole et de la

charité » (Cf. BENOÎT XVI, « Litterae apostolicae motu proprio datae Omnium in mentem. Quaedam in Codice

Iuris Canonici immutantur, 26 octobre 2009 », AAS 102 (2010), p. 8-10). 11

L’apostolicité est aussi bien référence aux origines apostoliques de la foi et du ministère que fidélité à l’Esprit

du Christ dans l’attente de la réalisation eschatologique. Cf. Y. CONGAR, L’Église. Une sainte, catholique et

apostolique, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Mysterium salutis », 1970, p. 187. 12

B. SESBOÜÉ, N’ayez pas peur ! Regards sur l’Église et les ministères aujourd’hui, Paris, DDB, coll. « Pascal

Thomas. Pratiques chrétiennes » n°12, 1996, p. 124.

5

direction de la communauté (cf. LG 12b ; AA 3d ; c. 275 § 2). Bien plus, c’est désormais avec

ces proches collaborateurs que le curé discerne l’action de l’Esprit en ce lieu. Je cite à

nouveau Jean Rigal qui a une formule bien frappée pour mettre en relief l’intérêt d’une équipe

de direction pastorale. J’élargis cependant son approche essentiellement christologique à une

considération également pneumatologique du ministère. Il écrit : « tout vient du Christ,

signifie le ministère ordonné », et je dirais plutôt « tout vient de Dieu par le Christ dans

l’Esprit saint ». Le ministère ordonné signifie en effet que l’Église se reçoit de Dieu, par le

Christ dans l’Esprit. Et notre confrère d’ajouter : « Nul n’est le Christ, rappelle la

collaboration pastorale », seconde partie de sa formule que je complèterais en ajoutant : « nul

ne possède l’Esprit, ni même tous ses dons » 13

.

17. Sous le bénéfice de ces précisions théologiques, nous pouvons maintenant nommer et

situer en termes canoniques la place – le statut – des uns et des autres dans le champ

paroissial. Les clercs habilités en vertu de l’ordination à exercer le ministère reçoivent les

charges (lat. munus, au pluriel munera) ou les fonctions ecclésiales (lat. officium au pluriel

officia, cf. c. 145) indispensables ou pour le moins utiles pour la prise en charge pastorale (lat.

cura animarum ou cura pastoralis) de la (nouvelle) paroisse (ou Unité pastorale) à laquelle ils

sont affectés. À l’instar des clercs, d’autres fidèles que des clercs se voient confier une charge,

voire un office pour l’accomplissement de la mission de l’Église (c. 228, cf. c. 145), et plus

particulièrement au sein de l’équipe pastorale et pour le service de la paroisse. Quelles sont

alors ces charges ou ces fonctions de clercs et de laïcs au sein de l’équipe pastorale ?

L’office de curé

18. Il y a tout d’abord la charge de curé. Il s’agit à proprement parler d’un office, c’est-à-

dire d’une fonction ecclésiale au sens du canon 145 qui présuppose que cette charge a été

établie de manière stable14

. La stabilité signifie que l’office a été créé (ou érigé) par le droit

(ou l’autorité compétente). Dans ce cas la stabilité de l’office est de iure inhérente à l’érection

de la paroisse ; il n’y pas en effet de paroisse sans office de curé (cf. cc. 515 § 1 et 519). Cette

« vérité » canonique traduit dans le droit cette même vérité théologique selon laquelle il n’y a

pas de communauté ecclésiale sans pasteur. Je renvoie ici au lien intrinsèquement symbolique

entre ecclesia et ministerium.

19. Mais la stabilité signifie aussi que l’office comprend un ensemble d’obligations et de

droits, autant que de pouvoirs, facultés et autres compétences déterminées par le droit en

l’occurrence par le Code de droit canonique (cf. cc. 519 sq.). La notion de stabilité est ici

synonyme d’objectivité des droits et devoirs inhérents à l’office (cf. c. 145). Outre la stabilité,

ce qui caractérise l’office par rapport à une simple charge, c’est qu’il est en principe de

nomination épiscopale : le curé est en effet nommé par l’évêque diocésain (cf. c. 157).

20. Je ne m’étends pas outre mesure sur l’office de curé qui est régulé par le droit, celui du

Code et, le cas échéant, le droit particulier du diocèse ou de la province ecclésiastique

concernée par la paroisse où le prêtre est affecté comme « curé ». Notons bien en passant que

la nomination à un office est synonyme, en vertu de sa stabilité, d’affectation à un « poste ».

13

Cf. J. RIGAL, L’Église en chantier, Paris, Éd. du Cerf, 1994, p. 248. 14

R. TORFS, «Auctoritas, potestas, iurisdictio, facultas, officium, munus : une analyse de concepts», Concilium

217 (1988), p. 81-93 ; P. VALDRINI, « Charges et offices confiés aux laïcs. Le point de vue juridique », L’Année

canonique 35 (1992), p. 91-100 ainsi que son article « À propos des ministères en droit canonique. L’office

ecclésiastique », Prêtres diocésains n°1280 (1990), p. 77-87 ; B. BASDEVANT-GAUDEMET, « Office

ecclésiastique. Points de repères pour une histoire d’un concept », L’Année canonique 39 (1997), p. 7-20 ; E.M.

MOREIN, Officium ecclesiasticum et universitas personarum. Bestimmung des Rechtsinstituts Amt, Munster, Lit

Verlag, coll. « Tübinger Kirchenrechtliche Studien » n° 4, 2006 ; PH. TOXÉ, « L’office ecclésiastique dans

l’organisation de l’Église », L’Année canonique 49 (2007), p. 55-82.

6

21. Je retiens surtout pour notre propos que le curé est le « pasteur propre » de la

(nouvelle) paroisse (ou de l’Unité pastorale) (cf. c. 519). Cette expression typiquement

canonique signifie qu’il jouit, d’après le droit de l’Église et à l’instar de l’Évêque diocésain,

de la légitime autonomie dans l’exercice de la charge pastorale. Il participe pour sa part aux

charges et à la sollicitude de l’évêque diocésain (LG 28b ; SC 42b), en l’occurrence en se

mettant au service d’une paroisse (ou Unité pastorale) qu’il dirige sous l’autorité de l’évêque

diocésain et, par lui, en communion avec le diocèse et l’Église toute entière (cf. cc. 515 § 1 et

519). Le droit nous apprend qu’il est titulaire de la pleine charge pastorale de la paroisse,

plena cura animarum (cc. 519 et 521 § 1, cf. c. 150). À ce titre, il a la responsabilité de la

(nouvelle) paroisse (ou de l’Unité pastorale). C’est à l’évêque diocésain qu’il en rend compte.

22. Le curé est responsable du tout (et non de tout) : il ne fait pas tout mais il veille à ce

que tout se fasse15

. Il ne dirige cependant pas seul, ni a fortiori de manière isolée. C’est ici

qu’entrent en ligne de compte les autres clercs et des laïcs sur le plan de l’équipe pastorale16

.

Le canon 519 in fine prévoit en effet que « d’autres prêtres ou diacres collaborent avec lui et

des fidèles laïcs lui apportent leur aide, selon le droit ».

Le statut des autres clercs, prêtres et diacres

23. En ce qui concerne les clercs, je songe tout d’abord aux prêtres susceptibles d’être

affectés dans la paroisse (ou Unité pastorale) au titre de vicaires. Il s’agit d’« adjoints » du

curé (cf. c. 545 § 1). Le Code nous rappelle qu’en tant que, coopérateurs du curé, ils

participent à sa sollicitude dans un même élan et avec un même zèle (ib., lat. communi [cum

parocho] consilio et studio). La doctrine antérieure au Code discutait pour savoir s’il s’agit

dans leur cas d’un office puisqu’une paroisse ne comprend pas nécessairement, de soi, un ou

des postes de vicaire. Pour ma part, je maintiens qu’il s’agit bel et bien d’office même si cette

charge a été confiée « à la discrétion prudente » de l’évêque diocésain17

. Compte tenu de la

fonction même d’adjoint du curé, il va de soi selon moi que le vicaire est membre de droit de

l’équipe pastorale. Ce ne sera pas nécessairement le cas d’autres prêtres comme les prêtres

« auxiliaires » ou « coopérateurs » qui rendent des services plus limités et plus ponctuels dans

la (nouvelle) paroisse (ou l’Unité pastorale).

24. Qu’en est-il des diacres ? Ce n’est évidemment pas parce qu’un diacre a son domicile

dans la paroisse ou y exerce un ministère dans le domaine d’une des trois diaconies qu’il doit

être considéré comme tel en tant que membre de l’équipe pastorale. Il n’en sera membre que

dans le cas où la charge ou fonction ecclésiale qu’il a reçue de l’évêque inclut non seulement

un travail paroissial, mais une participation à l’exercice de la charge pastorale de la (nouvelle)

paroisse (ou l’Unité pastorale). La qualité de membre d’une équipe pastorale requiert en outre

15

À l’instar de l’évêque, le curé exerce une episkopé, un ministère de vigilance pour que la communauté

devienne ce qu’elle doit être : le corps (ecclésial) du Christ en ce lieu. Si la cura animarum contribue à ce que

l’ensemble de la communauté paroissiale devienne ce qu’elle doit être, elle appelle la diversité des ministères

dans la paroisse outre le ministère de présidence, car celui qui préside ne fait pas tout. 16

D’aucuns parleront de direction « collégiale ». Personnellement, je préfère parler de leadership partagé. Il

convient d’éviter l’adjectif collégial qui, canoniquement, a un sens technique bien précis : les membres d’un

collège « en déterminent l’action en prenant part en commun aux décisions prises à égalité de droit ou non, selon

le droit et les statuts » (c. 115 § 2). La paroisse n’est pas une réalité collégiale : en son sein les décisions ne sont

prises par accord des volontés des paroissiens. Traditionnellement, la direction collégiale à strictement parler n’a

jamais été le principe de direction des paroisses (catholiques). C’est pourquoi je préfère parler de direction

partagée. Les anglo-saxons parlent de collaborative ministry ; je renvoie par exemple au document de la

Conférence des évêques d’Angleterre et du Pays de Gales, The Sign we give. Report from the Working Party on

Collaborative Ministry, Londres, 1995. 17

Cf. A. BORRAS, Les communautés paroissiales. Droit canonique et perspectives pastorales, Paris, Éd. du Cerf,

coll. « Droit canonique », 1996, p. 213-219.

7

des qualités que tous les diacres n’ont pas nécessairement, celles-là même qui sont requises

chez les laïcs membres de ces équipes.

Les laïcs membres de l’équipe pastorale

25. Les laïcs membres de l’équipe pastorale prennent part à la cura animarum au titre de

la collaboration ministérielle de quelques-uns18

. Le Code reconnaît la place des fidèles laïcs

au service des communautés (cf. c. 275 § 2), notamment sur le plan de collaboration

ministérielle de quelques-uns19

, entre autres dans le gouvernement de la paroisse par leur

participation à la direction pastorale. Le curé s’associe en l’occurrence des fidèles laïcs ayant

les qualités requises pour la conduite de la paroisse. Nous voilà au cœur du sujet : l’idonéité

requise (cf. c. 149 § 1 et c. 228 § 1). On l’a compris : ce n’est pas comme telle la condition

laïque – ni même la condition cléricale – qui fait d’un baptisé un ministre de l’Église, titulaire

d’une charge ou d’une fonction ecclésiale. Il faut en avoir les qualités requises.

Théologiquement parlant, on dira qu’il faut avoir les charismes nécessaires.

26. Dans le langage du droit, on dira qu’il faut être idoine. La notion d’idonéité est relative

à la charge en question. Il importe dès lors de s’assurer de l’idonéité de l’intéressé au regard

de la tâche objective à accomplir (c. 149 § 1) non seulement en général, in abstracto, mais s’il

convient dans ce cas, in concreto en fonction d’un ensemble de circonstances qui déterminent

son exercice. Quelqu’un aura par exemple les qualités humaines et spirituelles requises pour

œuvrer dans la solidarité et l’entraide avec les plus pauvres, mais conviendra-t-il pour autant

dans l’équipe pastorale ? Ou bien tel autre, pourtant très compétent et plein de qualités, ne

convient pas comme membre de l’équipe à cause d’un regrettable a priori négatif à son égard,

fortement enraciné dans la communauté.

27. En plus de l’idonéité requise, les fidèles laïcs comme les autres membres, prêtres ou

diacres, doivent avoir été sollicités pour accomplir ce service. Autrement dit, ils doivent avoir

été appelés à cet effet. Par qui ? En principe, par l’évêque diocésain. Puisqu’il s’agit en effet

de participer étroitement au gouvernement pastoral d’une (nouvelle) paroisse (ou d’une Unité

pastorale), mon opinion est que cette charge est non seulement de nomination épiscopale (cf.

c. 157), mais qu’elle consiste bel et bien en une fonction ecclésiale, un office proprement dit

(cf. c. 145)20

. Dans la réalité de certains diocèses, on constate cependant que la désignation

des membres d’une équipe pastorale est du ressort du curé concerné : il s’agirait dans ce cas

d’une simple charge (lat. munus). Pour ma part, je tiens à une vision que d’aucuns qualifieront

de maximaliste de l’équipe pastorale et j’estime qu’à ce niveau d’implication ecclésiale et de

responsabilité pastorale, il incombe à l’évêque diocésain de nommer les membres des équipes

pastorales.

18

Je ne préjuge pas ici de la contribution de tous les paroissiens qui, dans la diversité de leurs vocations,

charismes et fonctions, édifient l’Église et annoncent l’Évangile en ce lieu. C’est en effet aux paroissiens de faire

émerger l’Église en ce lieu. La paroisse est là où sont les paroissiens, curé et autres ministres y compris. Nous

sommes ici sur le plan de la coresponsabilité baptismale de tous. 19

Plusieurs canons du titre relatif aux paroisses (cc. 515-552) contiennent des allusions à la contribution des

fidèles à la cure d’âmes et à leur collaboration au titre d’un ministère, qu’il s’agisse d’un office ecclésial

proprement dit (officium au sens du c. 145) ou tout simplement d’une charge ministérielle (lat. munus) confiée

par l’autorité compétente à des personnes dotées des qualités requises (« idoines », cf. c. 149 § 1). On songe en

particulier aux tâches envisagées par les cc. 528 et 529, 536 et 537 ainsi qu’aux dispositions du c. 776 en matière

de catéchèse ou encore à celles du c. 910 § 2 pour la distribution de la sainte communion (cf. c. 230 § 3). 20

Cf. entre autres P. VALDRINI, « Charges et offices confiés aux laïcs. Le point de vue juridique », L’Année

canonique 35 (1992), p. 91-100 ; A. BORRAS, « Les ministères de laïcs dans la mission de l’Église », Esprit &

Vie hors-série n°2, novembre 2010, p. 37-53, et « Du droit canonique à l’articulation des ministères. Quelle

place pour les laïcs ? », ibidem, p. 69-83.

8

28. Canoniquement parlant, l’attribution de cette fonction de membre d’une équipe

pastorale est opérée par un acte administratif (c. 35) – un décret particulier (c. 48) – émanant

de l’autorité ecclésiale compétente, en l’occurrence l’évêque diocésain (c. 157) qui pourvoit à

cette fonction (cf. c. 145). Celle-ci est en principe décrite dans un statut diocésain des équipes

pastorales. En d’autres termes, elle est prévue par le droit particulier qui précise entre autres la

mission institutionnelle de ces équipes, leur composition, les conditions d’accès à cette

fonction, les qualités requises, la nomination des membres, les conditions d’exercice, la

cessation de la fonction. Nous sommes ici sur le plan législatif d’un droit particulier préalable

à la nomination à un poste.

29. Mais bien souvent – c’est le cas dans beaucoup de diocèses français en particulier – il

n’y a pas de législation particulière préalable : c’est alors sur le plan purement administratif

que s’opère la nomination des membres à cet office. Dans ce cas, c’est le décret qui, à la fois,

constitue cet office et l’attribue, comme l’envisage le canon 145 § 2. En France, outre la

nomination comme acte administratif, il est question d’une lettre de mission ; ce que dans

d’autres pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas on qualifiera de mission canonique qui

précise concrètement pour l’intéressé(e) nommé(e) à tel office les conditions d’exercice de sa

fonction. Comme nous le verrons plus loin, la lettre de mission est un facteur essentiel non

seulement de légitimité, mais aussi de collaboration fructueuse avec le curé et les autres

membres de l’équipe pastorale.

30. En résumé, les membres – clercs ou laïcs – d’une équipe pastorale sont titulaires d’une

fonction ecclésiale (un office, officium, au sens du c. 145), ou à défaut d’une charge ecclésiale

(lat. munus)21

. À cet effet, ils ont dû faire preuve d’idonéité au jugement de l’autorité

compétente et ils ont été appelés à cette charge selon les usages et le droit particulier du

diocèse. En principe, ce sera l’évêque diocésain – ce qui induit qu’il s’agira bien souvent d’un

office – ou, à défaut le curé concerné. En bref, pour les clercs comme pour les laïcs, on ne se

fait pas ministre de l’Église ; on est fait ministre de celle-ci et établi à son service. On la sert ;

on ne se sert pas. Il n’y a pas d’autoproclamés au service de l’Église. Personnellement, je suis

très sensible à la distinction au sein de l’équipe pastorale entre le curé et les autres membres

de l’équipe du fait même de la diversité des conditions canoniques des uns et des autres et de

leurs attributions respectives.

2. Conditions d’une collaboration fructueuse au sein de l’équipe pastorale

31. Comme annoncé au début, mon propos n’a aucune prétention à l’exhaustivité. Je vais

me situer aussi bien sur le plan du droit canonique que sur le plan de la théologie pratique qui

fera référence à d’autres disciplines, notamment à des notions de psycho-sociologie. Je

reviendrai tout d’abord sur le concept d’équipe pastorale pour bien en préciser la mission

institutionnelle. Car c’est en fonction de celle-ci que les membres sont choisis et appelés. Je

traiterai alors du profil attendu de ceux-ci en fonction de leur participation à l’exercice de la

charge pastorale. J’aborderai la question de la lettre de mission, notamment comme garantie

de légitimité. Et je terminerai par quelques considérations sur l’articulation des ministères.

21

La question de savoir si les membres d’équipes pastorales exercent une fonction (lat. officium) ou une

« simple » charge (lat. munus) n’est pas une question oiseuse : elle est éminemment pertinente quant à la

protection juridique de leur ministère, la garantie de leurs droits, la reconnaissance ecclésiale, etc. C’est pourquoi

il importe de l’examiner avec attention dans chaque diocèse concerné par ces équipes.

9

Le concept d’équipe pastorale et sa finalité institutionnelle

32. La condition primordiale pour une bonne collaboration est de bien saisir la finalité

institutionnelle d’une équipe pastorale. Quelle est sa fonction ? Il importe en effet que ceux et

celles susceptibles d’en faire partie sachent dans quoi ils s’engagent. Souvent la collaboration

entre des personnes est d’emblée brouillée parce qu’elles ne savent pas au juste dans quoi ils

« tombent ». Il y a une différence entre un engagement dans une équipe pastorale, un Conseil

pastoral, un comité organisateur d’un événement, un groupe de parole, etc.

33. Sans entrer ici dans des considérations techniques, je m’en tiens à dire que l’équipe

pastorale dont il est question est celle qui se dégage des perspectives de collaboration

envisagées par le canon 519 in fine quand il parle « d’autres prêtres ou diacres [qui]

collaborent avec lui [le curé] et des fidèles laïcs lui apportent leur aide, selon le droit ». Cela

n’exclut pas que, par analogie, ce qui est exposé ici ne soit appliqué à l’équipe pastorale

d’après la formule du canon 517 § 2. Ce n’est pas ici le lieu de discuter cette formule

d’exception pour la prise en charge pastorale d’une (nouvelle) paroisse (ou d’Unité

pastorale)22

.

34. Sous le bénéfice de cette remarque, je décrirais volontiers l’équipe pastorale en ces

termes : « L’équipe pastorale est un organe de direction qui est, avec le curé, garant de la

communion ecclésiale. Elle participe, sous sa responsabilité, à l’exercice de la charge

pastorale. Elle assure l’animation globale de l’Unité pastorale et la coordination des

communautés qui la composent ».

35. J’insiste : il s’agit d’une instance de direction. Il est donc question de « diriger » en

conformité avec le droit23

. Il s’agit bel et bien d’un pouvoir légitime, celui que le droit – ou à

défaut l’évêque diocésain – attribue au curé et à ses collaborateurs en équipe. Le pouvoir

gagne ici à être compris comme un « pouvoir faire » légitime, une habilitation (lat. potestas,

plus qu’un imperium !).

36. En vertu même de la finalité institutionnelle d’une équipe pastorale, il revient au curé

et aux autres membres d’enraciner dans la foi les communautés, de les établir dans la

communion entre elles, avec le diocèse et l’Église toute entière, de promouvoir leur

témoignage dans leur environnement respectif et de les ouvrir sans cesse à un authentique

sens missionnaire. On peut dire que, dans le respect des charismes et des ministères de chacun

en son sein, l’équipe pastorale participe à la charge pastorale du curé, restant sauf la

22

Cf. A. BORRAS, « L’équipe pastorale de paroisse, une exclusivité du c. 517 ? », dans A. WEIß & ST. IHLI (éd.),

Flexibilitas iuris canonici. Festschrift für Richard Puza zum 60. Geburtstag, Peter Lang, coll. « Adnotationes in

Ius canonicum » n° 28, 2003, p. 223-240. Écrite pour un public germanophone, cette étude part des pratiques

française et québécoise pour montrer notamment comment la Wirkungsgeschichte du c. 517 a induit des

pratiques de conduite pastorale partagée. Elle montre, arguments à l’appui, que la justification canonique

éventuelle du collaborative ministry se trouve ailleurs, en l’occurrence au c. 519. 23

N’ayons pas peur de ce mot : les milieux catholiques – souvent tentés par l’angélisme – ont un a priori négatif

sur le « pouvoir », comme si celui-ci était de soi mauvais ou pervers, alors qu’il s’agit d’une réalité humaine

indispensable à la (sur)vie des collectivités, que celles-ci en ont besoin pour évoluer, prospérer, etc. La question

est précisément d’humaniser le pouvoir, c’est-à-dire qu’il soit exercé de façon humanisante pour édifier, faire

grandir les êtres humains, autant les détenteurs que les destinataires. Dans cette humanisation du pouvoir, le droit

joue un rôle majeur de régulation de la violence et met des limites à son exercice. Il en établit la légitimité dans

l’Église comme dans n’importe quelle collectivité humaine. S’il est question d’humanisation du pouvoir, en

régime chrétien on n’oubliera pas qu’il doit de ce fait être « évangélisé » ; le Christ nous interpelle sur la finalité

du pouvoir, celle de servir la collectivité – et non pas de se servir (cf. Mc 10,45). Dans l’Église, on accepte un

ministère – une charge ou un office – pour servir, et non pas pour se servir. On lira les réflexions

particulièrement stimulantes de J.-Y. BAZIOU, « À la recherche d’un art d’exercer l’autorité », Prêtres diocésains

nº 1403 (mars-avril 2003), p. 103-117. Métaphoriquement parlant, être pasteur c’est pourvoir à la nourriture et à

la sécurité du troupeau ; le pasteur rend un service vital pour le troupeau. C’est un service de sollicitude, de soin

– cura en latin, épiscopè en grec – c’est toujours un service pour le bien des autres (cf. p. 105-106).

10

singularité de celui-ci24

. La charge pastorale est confiée au curé qui en est le titulaire

(« pasteur propre ») et aux autres membres qui y participent ; elle est donc reçue par tous et

chacun selon son office ou sa lettre de mission. En tout cas, nul n’en est le propriétaire. Tous

y participent mais à des titres divers. Il ne s’agit pas de « partager la charge pastorale », mais

de « participer à son exercice »25

.

37. Une fois établie la finalité institutionnelle de l’équipe pastorale, nous pouvons alors

mieux en saisir la singularité en comparaison avec d’autres instances de la (nouvelle) paroisse

(ou de l’Unité pastorale). Dans une réalité paroissiale multicampanaire, l’équipe pastorale est

l’instance de direction pour l’ensemble des communautés locales concernées ; avec le curé,

elle est garante de leur unité et de leur témoignage évangélique.

38. Quand sur le plan des communautés locales, il existe des équipes-relais, celles-ci

accomplissent en leur sein une triple mission en tant qu’instance de proximité ; il leur revient

de rendre proche l’Évangile parmi les gens, de jouer un rôle de relais ecclésial en assurant

localement la présence de l’Église (dans sa triple fonction d’annonce, de célébration et de

service), de faire le lien avec le curé et les autres communautés locales. La plupart du temps,

les personnes de ces relais sont désignées par les communautés locales, avec l’accord du curé.

Alors que l’équipe pastorale signifie que le curé et ses collaborateurs sont donnés aux

communautés auxquelles ils sont envoyés, les équipes-relais expriment la vitalité des

communautés locales et la volonté des fidèles de se prendre en charge pour faire Église en ce

lieu. Quant au Conseil pastoral (cf. c. 536), il s’agit d’un organe qui donne corps à la

synodalité ecclésiale. Dans ce lieu de concertation, tous ensemble, fidèles, pasteurs et autres

ministres, se mettent à l’écoute de la Parole de Dieu pour discerner sa volonté et promouvoir

le tonus évangélique de la (nouvelle) paroisse (ou de l’Unité pastorale) ; les paroissiens

concernés ne viennent pas là pour donner des conseils, mais pour tenir conseil (all. sich

beraten) 26

.

39. En résumé, alors que l’équipe pastorale procède de l’initiative de l’évêque diocésain,

l’équipe-relais résulte de l’implication des paroissiens sur le terrain et le Conseil pastoral

permet la concertation des fidèles et communautés27

. Avec ces trois instances s’opère

l’articulation de trois principes ecclésiologiques : le principe hiérarchique par l’équipe

pastorale (en référence au curé bien que celui-ci et ses membres demeurent à l’écoute des

fidèles et exerce son ministère en interaction avec les communautés), le principe

communautaire par les équipes-relais (bien que les communautés locales concernées soient en

lien avec le curé et en communion avec toute l’Église) et le principe synodal par le Conseil

pastoral (bien que dans l’obéissance à la Parole de Dieu et à l’écoute des pasteurs). Nul doute

qu’une claire distinction institutionnelle entre ces instances – équipe pastorale, équipe-relais

et Conseil pastoral – aidera le curé et l’équipe pastorale dans l’accomplissement de leur

mission.

24

J’applique volontiers mutatis mutandis à l’équipe ce que Mgr A. Rouet dit du ministère des prêtres : engendrer

à la foi (paternité spirituelle), rassembler l’Église de Dieu par le Christ dans l’Esprit (communion ecclésiale) et

nourrir en elle, par la mission, l’inquiétude de l’universel (ouverture missionnaire). Cf. Mgr A. ROUET (e.a.), Un

nouveau visage d’Église. L’expérience des communautés locales à Poitiers, Paris, Bayard, 2005, p. 55-56. 25

Cf. A. BORRAS , « Considérations canoniques sur le “partage” de la charge pastorale », NRT 134 (2012), p.

424-440. 26

Cf. A. BORRAS, « Le Conseil paroissial : la paroisse qui tient conseil ... », Prêtres diocésains n°1275 (1989),

p. 373-379 ; « Petite apologie du Conseil pastoral de paroisse », NRT 114 (1992), p. 371-390, 558-576. 27

Je permets de renvoyer à mes études sur ces questions : A. BORRAS, « Conseil paroissial et équipe pastorale :

deux réalités interchangeables ? », La Foi et le Temps 21 (1991), p. 22-50 ; « Équipes, Conseils et ministère

presbytéral dans la nouvelle donne paroissiale : vers une meilleure lisibilité institutionnelle ? », Prêtres

diocésains n° 1403 (mars-avril 2003), p. 157-184.

11

Le profil des membres en fonction d’un travail en équipe

40. C’est en fonction de ce groupe à tâches bien particulier qu’est l’équipe pastorale en

tant qu’organe de direction qu’il faut établir le profil des membres qui en font partie. Le curé

et les autres membres de l’équipe sont appelés à diriger et habilités à cet effet. Certes, la

direction d’une communauté ecclésiale ne concerne ni une administration, ni une entreprise,

ni un régiment, mais le peuple de Dieu en ce lieu. Tous doivent être conscients que celui qui

« dirige » l’Église – qui la conduit ou la gouverne – est Dieu par le Christ dans l’Esprit. Cette

Église est de Dieu, c’est-à-dire qu’elle n’est ni leur propriété, ni a fortiori leur monopole. Les

ministres de l’Église ne sont tout au plus que des « intendants », voire des « ambassadeurs »

(cf. 1 Co 5,20). D’où l’exigence pour les membres de l’équipe pastorale ainsi que pour le

curé, de respecter la (nouvelle) paroisse (ou l’Unité pastorale), de promouvoir les charismes et

ministères dans leur diversité, de discerner, d’encourager et de retenir ce qui est bon (cf. LG

12b in fine, AA 3d, PO 9b ; cf. 1 Th 5,12.19-21).

41. Quant au processus de prise de décision sous-jacent à la direction pastorale, c’est

l’ensemble de l’équipe, curé y compris, qui élabore les décisions qui s’imposent et, en vertu

de son ministère presbytéral, le curé les cautionne ou garantit avec autorité en les inscrivant

dans la communion de toute l’Église. J’applique ici cette distinction élémentaire entre le law-

making et le law-taking. Tous élaborent la décision qui est prise en définitive par le curé.

42. La singularité de la direction ecclésiale détermine les qualités requises pour les

membres de l’équipe. Outre ce qui est habituellement requis pour un office, à savoir être dans

la communion de l’Église (cf. c. 149 § 1), il faut souhaiter que les membres soient confirmés,

qu’ils satisfassent aux dispositions de l’Église concernant leur état de vie, qu’ils aient suivi

une formation selon les exigences du diocèse, qu’ils soient disposés à poursuivre une

formation continuée.

43. À ces conditions s’ajoutent d’autres critères d’idonéité. Je cite principalement les

qualités suivantes : une connaissance suffisante du terrain, une capacité relationnelle apte à

écouter et à respecter autrui, une aptitude au travail en équipe, une capacité à accepter les

différences et à dépasser les tensions inévitables dans le travail en commun, une loyauté

institutionnelle, une ouverture suffisante à d’autres niveaux de la vie ecclésiale (doyenné et

diocèse). Le travail en équipe est exigeant du fait qu’il mobilise ces qualités et bien d’autres.

Dans les pratiques de nos diocèses, on se contente d’une conception minimaliste de l’équipe

par peur, sans doute, de ne pas pouvoir trouver les personnes pour en faire partie.

44. Le travail en équipe pastorale ne se limite pas simplement à une simple

communication d’informations à un responsable, ni de l’apport de chacun à celui-ci. Du point

de vue du curé, celui-ci ne peut se limiter à une délégation descendante d’attributions et de

compétences ; du point des autres membres, ils ne doivent pas se comporter en simples

exécutants, même hautement compétents. Il ne suffit pas de coordonner l’apport de chacun.

La coordination du travail en équipe est nécessaire mais elle n’est pas suffisante pour

atteindre une collaboration qui intègre le travail conjoint de tous et de chacun.

45. Je suis partisan à cet égard d’une conception que d’aucuns qualifieront de maximaliste

de l’équipe qui requiert un apprentissage de la séquence « contribution de chacun +

coordination du tout + collaboration de tous ». C’est un idéal auquel il faut tendre par un

apprentissage résolu, patient et réfléchi. Au fur et à mesure où on progresse dans cette voie, il

est requis du curé et des autres membres de l’équipe de « faire corps », « faire mouche »,

« faire sens » et « faire face »28

.

28

Je m’inspire ici des réflexions de mon collègue Etienne Bocquet, sdb, consultant et formateur, chargé de cours

à la faculté de Psychologie et de Sciences de l’Éducation de l’UCL. Il parle d’un « sentir ensemble »

indispensable pour assurer la cohésion au sein de l’équipe et parvenir à une collaboration de tous. Cette cohésion

dépend de la décision de chacun, de la connivence entre tous et de la résonance émotionnelle de la mission

12

46. « Faire corps ». Une équipe, c’est d’abord un « groupe », pas un agrégat. Réunis par

un but commun ou une même mission, ses membres apprennent à se respecter, à s’estimer

dans leurs talents et qualités respectives, à se comprendre et à s’entendre, à s’accepter dans

leurs différences, pour réaliser la tâche qui est la leur – avec la grâce de Dieu, mais celle-ci

n’agit pas sans nous ! Ce qui prime, c’est de réaliser cette tâche commune dans la confiance

mutuelle et la loyauté institutionnelle. Sans cohésion entre les membres, il n’y aura aucune

cohérence dans l’action. Cette intégration suppose pour le moins qu’on se donne le temps

pour créer cet esprit d’équipe. On mesure à ce propos l’importance de la fréquence et de la

régularité des réunions.

47. « Faire mouche ». Si la cohésion entre les membres est une condition nécessaire pour

faire équipe, elle n’est pas suffisante. Une équipe a toujours une raison d’être, un « but

social », une finalité institutionnelle, en l’occurrence la direction pastorale. Elle a même

besoin de savoir où elle va et à quoi elle sert ! L’équipe pastorale a dès lors des objectifs à

atteindre, peut-être même une vision, c’est-à-dire des perspectives à long terme qui inspirent

et traversent la poursuite de ces objectifs. Les membres de l’équipe se doivent donc de

s’accorder sur ces objectifs et cette vision. À terme, ils ne pourront « faire corps » que s’ils

veulent « faire mouche ».

48. « Faire sens ». Il ne suffit cependant pas de poursuivre, ni même d’atteindre les

objectifs fixés. Les membres de l’équipe sont des personnes libres et raisonnables qui ont

accepté loyalement une mission ou se sont donnés résolument des objectifs, il leur revient dès

lors d’évaluer leur travail et la poursuite de leur(s) objectif(s) en fonction de la vision –

perspective inspiratrice à long terme –compte tenu des circonstances, des difficultés, des

avancées, de l’engagement de tous et de chacun, etc. Le travail en équipe mobilise chez les

membres, curé y compris, une capacité réflexive de se réapproprier personnellement et

collectivement ce qui est décidé, entrepris, mis en œuvre. Il s’agit de « faire sens », de voir où

cela les mène en appréciant leur travail sous le regard de Dieu et en opérant les discernements

nécessaires grâce à l’Esprit.

49. « Faire face ». En vertu de la responsabilité conjointe et à la fois différenciée de prise

en charge pastorale, le curé et les autres membres de l’équipe doivent être capables de rendre

compte des décisions prises. Il y a ici l’exigence impérative d’une loyauté institutionnelle à

l’égard de l’équipe certes pour ce qui lui revient d’assumer, mais aussi plus largement à

l’égard du diocèse et de toute l’Église dès lors que les membres, curé y compris, ont en

principe reçu leur mission de l’évêque diocésain et que leur diocèse s’inscrit dans la

communion de toute l’Église29

. Il arrive que les membres se trouvent parfois entre le marteau

et l’enclume à la suite d’interpellation par des acteurs de terrain, ou même de propos agressifs

de certains paroissiens, etc. La loyauté institutionnelle ne signifie pas qu’ils se dépouillent de

tout sens critique, mais celui-ci ne doit pas être exercé de façon indiscriminée. La

responsabilité conjointe et différenciée requiert aussi une bonne gestion des conflits au sein de

l’équipe. Elle exige une véritable déontologie pour favoriser le travail commun, accréditer

l’action conjointe, honorer la mission reçue et, au bout du compte, respecter les fidèles qui

attendent de leurs responsables discernement, courage, engagement et encouragement pour

« faire Église » en ce lieu.

50. Les exigences de fonctionnement décrites à l’instant et le profil des membres qu’elles

requièrent offrent un témoignage d’Église où s’allient la générosité et les compétences de

chacun, la collaboration de tous et l’engagement au service d’une cause commune. Rien de

commune. Cf. S. BERGER, « Appel à l’équipe », La Libre Belgique – La Libre Entreprise, 12 février 2005, cf.

www.lalibre.be/economie/entreprise-emploi/.../appel-a-l-equipe.html. 29

Cf. A. BORRAS, « Esquisse d’une déontologie du ministère ecclésial », dans L.-L. CHRISTIANS (dir.), La

déontologie des ministères ecclésiaux, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Droit canonique », 2007, p. 21-56, ici p. 37-38.

13

plus parlant en Église que la coopération de tous, omnes cuncti conspirantes in unum30

. On ne

comprend en effet que ce que l’on voit : si l’on perçoit que malgré la diversité, voire les

différences, des personnes travaillent ensemble, on sera en mesure d’apprécier la force de

l’Évangile capable de les réunir, de les inspirer et de les dynamiser. L’enjeu ecclésiologique

est immense. Le travail en équipe est un véritable laboratoire ecclésial.

51. En résumé, il revient au droit particulier diocésain de prévoir un statut des équipes

pastorales en paroisse. Cette législation devra avoir un peu d’ambition pour offrir une vision

maximaliste de ce type d’équipes. Les personnes appelées à en devenir membre pourront ainsi

mesurer l’importance de cette instance en paroisse pour promouvoir un des grands acquis du

dernier concile, à savoir une Église plus participative qui repose non seulement sur la

coresponsabilité de tous mais aussi sur la collaboration ministérielle de quelques-uns.

La lettre de mission, garantie de légitimité.

52. Ma conviction est que la lettre de mission contribue à légitimer les diacres et les

membres laïcs de l’équipe pastorale, les fonctions de curé ou de vicaire étant suffisamment

déterminées par le droit. La notion de « légitimité » a plusieurs connotations. Dans le champ

juridique, la légitimité est la qualité de ce qui est légitime au sens légal, c’est-à-dire

juridiquement fondé, sanctionné par la loi ou reconnu par le droit.31

. La légitimité, c’est

ensuite ce qui est conforme à l’équité et à la justice ; la notion est ici synonyme de ce qui est

juste et, par voie de conséquence, justifié ; on songe à un salaire légitime ou encore à la

légitime défense. En sociologie, est légitime la qualité de ce qui est accepté et reconnu par les

membres d’un groupe ou d’une société 32

.

53. Bref, est légitime ce qui est légal, juste ou reçu par une collectivité. Dans cette

perspective, la lettre de mission serait susceptible de garantir l’acte légal posé pour attribuer

une charge ou un office, à savoir la nomination des membres de l’équipe en tant qu’acte

administratif (cf. cc. 37 et 48) ; elle assurerait la justesse de cet acte et dès lors l’équité et,

enfin, elle en favoriserait l’acceptation par les intéressés et la réception de leur ministère par

la communauté.

54. Les sociologues d’inspiration weberienne distinguent au moins trois modes de

légitimité : la fonction, la compétence et l’expérience33

. Le premier mode découle du

30

Je reprends cette expression aux Pères de Vatican II dans l’introduction du chapitre relatif aux laïcs dans la

Constitution dogmatique sur l’Église : « les pasteurs sacrés savent bien l’importance de la contribution des laïcs

au bien de l’Église entière. Ils savent qu’ils n’ont pas été eux-mêmes institués par le Christ pour assumer à eux

seuls tout l’ensemble de la mission salutaire de l’Église à l’égard du monde, leur tâche magnifique consistant à

comprendre leur mission de pasteurs à l’égard des fidèles et à reconnaître les ministères et les grâces (lat.

ministrationes et charismata) propres à ceux-ci, de telle sorte que tout le monde à sa façon et dans l’unité

apporte son concours à l’œuvre commune (lat. omnes cuncti conspirantes in unum » (LG 30). 31

En droit constitutionnel, par exemple, est légitime ce qui est conforme aux aspirations des gouvernés et

emporte de ce fait leur assentiment ; on parlera de légitimité démocratique Cf. S. GOYARD-FABRE, art.

« Légitimité », dans D. ALLAND & S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Quadrige/Lamy-

PUF, coll. « Dicos poche », 2003, p. 929-933. 32

Cf. O. IHL, « Légitimité et légitimation », dans A. AKOUN et P. ANSART (dir.), Dictionnaire de sociologie,

Paris, Le Robert, Seuil, coll. « Dictionnaires », 1999, p. 305-306. 33

Le premier mode de légitimité vient d’« en haut », en vertu de la fonction assignée – l’autorité de l’institution

représentée ; c’est le « charisme de fonction » qui s’appuie sur des règles impersonnelles de type bureaucratique

et assure la pérennité de l’institution par-delà les individualités. Le deuxième mode, c’est la légitimité en vertu

de la compétence – le professionnalisme, y compris chez les bénévoles. Quant au troisième mode, c’est la

légitimité qui vient d’« en bas » en vertu de l’expérience accumulée, d’un engagement, d’un vécu. Les enquêtes

sociologiques récentes sur les « nouveaux ministères » étayent cette distinction. C. BERAUD, Prêtres, diacres,

laïcs. Révolution silencieuse dans le catholicisme français. Préface de Danièle Hervieu-Léger, Paris, PUF, coll.

« Le lien social », 2007, en particulier p. 155-167.

14

« charisme de fonction » du fait de la légitimité que l’institution attribue à la fonction. Dans

notre domaine, la légitimité de fonction tient principalement au rite mis en œuvre pour

l’attribuer, en particulier l’ordination sacramentelle34

. Les ministres ordonnés jouissent

d’emblée d’une légitimité qui tient principalement à l’investiture sacramentelle dans le

ministère par « la grâce de leur ordination ». Les deux autres modes de légitimité – la

compétence et l’expérience – ont à voir avec les savoirs, les savoir-être et les savoir-faire qui

sont des acquis dans le chef de l’intéressé qui légitiment aux yeux de tiers l’exercice d’une

autorité ou d’un pouvoir, en l’occurrence un ministère.

55. La légitimité des ministres de l’Église est diverse selon ce qui la fonde : (le charisme

de) la fonction, la compétence ou l’expérience. Les laïcs membres d’une équipe pastorale

jouiront plutôt d’une légitimité liée à la compétence, parfois sur celle de la légitimité

expérientielle. Les clercs se situeront en revanche sur le registre de la légitimité de fonction. À

mon sens, la pratique des lettres de mission peut contribuer, d’une part, à atténuer ce que

d’aucuns considèrent comme un décalage, voire une asymétrie – indépassable en théologie

catholique, entre ministres ordonnés et les autres fidèles (cf. c. 207 § 1) – et, d’autre part, elle

peut favoriser une reconnaissance des ministres et une réception de leur ministère.

56. Dans la pratique canonique ou administrative des diocèses, la lettre de mission

accompagne le décret de nomination. Parfois elle se confond à lui au point que même des

responsables diocésains, voire des chanceliers, la considèrent comme l’acte principal du point

de vue canonique. Il importe cependant de ne pas confondre le décret de nomination et la

lettre de mission vu la triple finalité de celle-ci.

57. La lettre de mission a d’abord une finalité d’explicitation du décret de nomination qui

est bref, sinon laconique dans la mesure où il signifie principalement l’affectation de la

personne à un poste. Elle explicite la mission confiée, en l’occurrence une participation à

l’exercice de la charge pastorale, sous l’autorité du curé, et les attributions principales

inhérentes à la fonction confiée35

. Cette première finalité de la lettre de mission en fait un

document de type juridique ou canonique par la détermination du statut de chacun, avec ses

obligations, droits, compétences, facultés et autres prérogatives. Mais, par ce biais, la lettre de

mission acquiert une portée organisationnelle. C’est la deuxième finalité de la lettre de

mission qui organise concrètement la mise en œuvre de la fonction ou de la charge confiée. La

lettre de mission se trouve dès lors à la charnière entre la dimension institutionnelle du droit

ecclésial et la dimension organisationnelle de la vie de l’Église.

58. La troisième finalité de la lettre de mission est sa fonction d’investiture, certes d’ordre

administratif en raison de son caractère officiel et de sa nature publique. Elle notifie pour les

tiers la mission confiée. À ce titre, il contribue non seulement à la publicité de son affectation,

fonction déjà remplie par le décret de nomination, mais à la communication de la mission

confiée et, dès lors, à sa reconnaissance. C’est sous cet angle, que la lettre de mission est

susceptible de garantir la légitimité du ministère. C’est pourquoi il est souhaitable qu’elle soit

34

L’ordination joue le rôle de ce qu’un anthropologue comme Arnold van Gennep appelait un « rite de

passage » et que le sociologue Pierre Bourdieu préférait nommer « rite d’institution ». Cf. P. BOURDIEU, « Les

rites comme acte d’institution », dans Actes de la recherche en sciences sociales 43 (1982), p. 58, cité par C.

BÉRAUD, « Les femmes et les diacres », dans B. DUMONS et D. MOULINET (éd.), Le diaconat permanent.

Relectures et perspectives, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Théologies », 2007, p. 177. 35

Comme explicitation du décret de nomination, la lettre de mission est de la compétence de l’évêque diocésain

même si, dans les faits, son élaboration aura lieu avec l’intéressé, son curé et les autres membres de l’équipe. De

concert avec les autres membres, le curé précisera les tâches et les attributions. La lettre veillera aussi à leur

régulation, notamment par un cadre de concertation avec l’intéressé et les autres membres de l’équipe, ainsi que

par des temps d’évaluation. Vu sa nature à la fois institutionnelle et organisationnelle, la lettre de mission est

d’un genre littéraire qui relève autant d’un dispositif juridique que d’un protocole de travail.

15

lue lors de la cérémonie d’accueil dans la (nouvelle) paroisse (ou l’Unité pastorale) au sein et

au service de laquelle la personne est affectée.

Quelques considérations sur l’articulation des ministères

59. Malgré la diversité des appellations et des pratiques, les équipes pastorales promues

dans nos diocèses sont un lieu de mise en œuvre de la diversité des ministères et de leur

articulation. Cette « pluriministérialité »36

est forcément un phénomène complexe aussi bien

par la pluralité des ministères qu’elle déploie, que par les approches différentes dont elle peut

faire l’objet. Les différents ministères forment système entre eux ; l’examen de leur

articulation relève de plusieurs registres et met en œuvre une variété de paramètres.

60. Adopter une perspective systémique pour traiter l’articulation des ministères, c’est

prendre en considération le tout dans lequel leur diversité s’inscrit, à savoir l’Église – dans

son ensemble ou sur le plan du diocèse –, la compréhension de sa mission dans son

environnement propre et dans une société déterminée, les images et représentations en cours

ainsi que leur incidence dans les pratiques et les discours, etc.

61. À cet effet, je retiens la grille d’analyse de J. Ardoino que F.-X. Amherdt a adoptée

pour réfléchir sur le ministère des prêtres37

. Ces auteurs nous rappellent que chaque institution

comporte plusieurs éléments agencés entre eux ; c’est le cas d’une équipe pastorale. Ces

éléments constituent comme des paramètres d’appréciation du ministère dans ses relations à la

communauté, aux autres ministères, à la mission. Beaucoup de dysfonctionnements et en

définitive beaucoup de conflits sont dus à la confusion des paramètres et à la négation de la

complexité des faits sociaux : le ministère est, dans sa mise en œuvre, un fait social où se

croisent et se rencontrent des personnes qui sont à la fois des sujets croyants, des acteurs

pastoraux et des partenaires ecclésiaux38

. Ces personnes déploient leurs initiatives, leurs

activités ou leurs projets sur différents registres en interaction entre eux.

62. Pour ma part, je relève au moins huit registres (ou paramètres d’appréciation) en

interaction mutuelle sur lesquels se joue concrètement l’articulation des ministères propres à

chacun au sein de l’équipe en fonction de son statut ecclésial et autre, etc.

63. Le paramètre « idéologique » ou le registre doctrinal concerne dans notre domaine la

théologie partagée par les membres de l’équipe ou appelée à devenir la référence pour la

réflexion sur leurs pratiques. Laurent Villemin parle à ce propos de « coefficient

36

Je reprends ce néologisme à J. DORÉ & M. VIDAL [dir.], Des Ministres pour l’Église, Paris, Bayard Éditions

/Centurion – Fleurus-Mame – Éd. du Cerf, coll. « Documents d’Église », 2001. 37

J. ARDOINO, Propos actuels sur l’éducation, t. 2, Paris, Éd. Gauthier-Villars, 1965, p. 51sq. ouvrage réédité en

un volume aux éditions de l’Harmattan, Paris, 2004. Cette grille d’analyse est reprise par François-Xavier

Amherdt qui la met en œuvre pour étudier le ministère des prêtres : F.-X. AMHERDT, « Toute demande est une

demande d’amour », Prêtres diocésains n° 1425 (2005), p. 443-460, en l’occurrence p. 457-458. Je m’inspire de

ce dernier pour la description des différents paramètres auxquels j’ai cependant ajouté celui des modes de

légitimité : A. BORRAS, « L’articulation des ministères : de la théologie à la lettre de mission », Esprit & Vie 179

(2007), p. 1-14. Dans une approche similaire relative au ministère des diacres, Laurent Villemin parle, quant à

lui, de coefficients « à prendre en compte pour toute approche d’une situation pastorale et donc de collaboration

ministérielle » ; il en dénombre cinq qui jouent également dans une perspective systémique : le coefficient

sociétal ; le coefficient institutionnel, le coefficient situationnel ; le coefficient ecclésiologique et enfin le

coefficient personnel. Cf. L. VILLEMIN, « Les diacres. Partenaires dans la mission de l’Église », Documents-

Épiscopat, n° 5/2008, p. 17-19. 38

D. VILLEPELLET, « Apprendre la différence et le partenariat », LMD 215 (1998), p. 111-124. L’auteur étudie

les conditions d’un apprentissage réussi à partir de cette triple approche : le sujet croyant est celui qui dépasse

son moi tout-puissant et s’éveille à lui-même comme acteur de sa propre vie ; s’il est engagé dans la pastorale, il

devient un acteur pastoral entré dans un « corps de métier et une culture de l’action » sans cesser de se

distinguer du sujet au risque de ne plus être rien en dehors de son rôle social ; le sujet croyant est enfin acteur

pastoral dans un partenariat ecclésial, c’est-à-dire dans la communauté ecclésiale.

16

ecclésiologique » : « sont ainsi désignés, écrit mon collègue de Paris, les conceptions et les

choix théologiques en matière ecclésiale des responsables ecclésiaux, des personnes de

références, des fidèles, voire des autres personnes » 39

.

64. Ce paramètre est important : il permet de fonder les pratiques ministérielles et leur

cohérence d’autant plus s’il est partagé par les membres de l’équipe qui se l’approprient,

notamment par la relecture de leur fonctionnement en équipe. À mon sens, il est souvent

majoré. D’aucuns attendent en effet qu’une « bonne théologie » permette l’articulation

pratique des différents ministères, principalement ceux des ministres ordonnés et les

« autres », ceux que les laïcs se voient confier40

. Dans ce contexte, on attend d’une « bonne

théologie » qu’elle vienne comme magiquement résoudre sur le terrain les problèmes de

relations et les conflits de pouvoir ou apaiser les appréhensions et anxiétés. Ce paramètre ne

résout donc pas tout car on peut s’entendre théologiquement et pourtant ne pas parvenir à

s’accorder ensemble. Et cela parce que, forcément, d’autres paramètres aussi importants que

la théologie entrent en ligne de compte.

65. Il y a un deuxième paramètre qui ne laisse pas insensible les canonistes. C’est celui du

droit canonique qui régule chaque office ou charge et par les lettres de mission qui favorise

une bonne articulation des tâches dévolues à chaque membre de l’équipe pastorale. Ce

paramètre « institutionnel » est celui du cadre juridique dans lequel on évolue, précisant les

relations, droits et devoirs, compétences et autres attributions. La référence au droit de

l’Église, le respect des dispositions canoniques du Code et du droit diocésain, la teneur des

lettres de mission sont des facteurs importants dans l’agencement des offices ou charges des

uns et des autres. Le cadre institutionnel canonique concerne les relations entre les individus

et avec les institutions, leurs conduites sociales, bref leur comportement ecclésial en vue de

sauvegarder la justice certes, mais aussi la communion ecclésiale. Ce paramètre est important

non seulement parce qu’il domestique la violence inhérente à toute collectivité, surtout en cas

de conflit, mais parce qu’il vise la promotion d’un bel ordre ecclésial, celui des charismes

dans leur diversité et leur complémentarité41

.

66. Le troisième paramètre est le paramètre « groupal ». Il concerne le groupe comme tel,

avec ses composantes propres qui le constitue, notamment son histoire, sa culture propre, son

esprit, etc 42

. Il concerne les relations entre les personnes en son sein, en tant que les membres

de l’équipe pastorale sont appelés et envoyés pour être des partenaires dans l’action pastorale.

Ceux-ci ne sont pas que des partenaires, ils sont tout autant – et d’abord et avant tout – des

croyants et des acteurs, tous et chacun impliqués dans une équipe avec le projet qu’il lui

39

L. VILLEMIN, « Les diacres. Partenaires dans la mission de l’Église », p. 18. 40

Il est illusoire sur le plan des faits et donc dans la pratique des ministères de penser que seule une « bonne »

théologie apportera la résolution des problèmes. Face à la requête, sinon l’exigence d’une théologie unique du

ministère (presbytéral), Laurent Villemin a critiqué cette même illusion, dans des termes que je reprends

volontiers pour le propos qui est le mien : « (il s’agit de) dénoncer une illusoire recherche de “la” théologie du

ministère presbytéral qui pourrait rendre compte de toutes les situations d’exercice de ce ministère » (L.

VILLEMIN, « Église et ministère des prêtres », Jeunes et Vocations 109 [2003], p. 57). 41

Le droit canonique contribue à objectiver les rapports ecclésiaux en termes d’obligations, de droits et de

compétences. En posant des limites, notamment à la violence et aux abus de pouvoir, le droit canonique garantit

l’objet et les finalités des institutions dans l’Église et prévoit les moyens à la poursuite de sa mission. Il entend

protéger l’adhésion des croyants, l’annonce de l’Évangile qu’elle présuppose et l’incorporation ecclésiale qu’elle

implique. Il prétend protéger tous les acteurs de la vie ecclésiale. La dimension canonique comprend un

dispositif (l’aspect législatif ou la création du droit) et sa mise en œuvre (l’aspect administratif ou l’application

du droit). 42

Est à rapprocher de ce paramètre ce que Laurent Villemin qualifie de « coefficient situationnel ». Celui-ci

« invite à prendre en compte la particularité, voire la singularité de toute situation pastorale concrète, à savoir

l’histoire d’un lieu ou d’un groupe, les mentalités des habitants, les moyens concrets à sa disposition » (L.

VILLEMIN, « Les diacres. Partenaires dans la mission de l’Église », p. 18 ; c’est moi qui souligne).

17

revient d’élaborer et réaliser. Autrement dit, une équipe n’est pas une autre ; malgré la

commune mission institutionnelle de toutes les équipes pastorales dans un diocèse, chacune

est singulière tout simplement parce que le groupe est unique. Ce paramètre se remarque

quand le groupe est modifié par l’arrivée ou le départ d’un ou plusieurs membres. À chaque

fois, il s’agit de retrouver ou de rétablir l’équilibre pour s’entendre.

67. Il y a ensuite le paramètre « individuel ». Il est tout à fait décisif : ce registre de

l’individu concerne la capacité de chacun d’être lui-même avec sa propre personnalité, de se

situer singulièrement – de dire « je » – et d’interagir avec les autres membres de l’équipe dans

le respect mutuel. On peut immédiatement ajouter à ce quatrième paramètre ce que nous

pourrions appeler le paramètre « pulsionnel » ou, pour mieux dire, « émotionnel » : on peut y

voir ce qui concerne les humeurs, les états d’âme, le non-dit, le ressentiment, etc. De toute

évidence, ce registre est intrinsèquement lié au précédent ; c’est pourquoi Laurent Villemin

les présente tous deux conjointement sous la qualification de « coefficient personnel ». Ce

double registre individuel et émotionnel doit être absolument pris en compte dans les

situations de mutations ecclésiales et de changements pastoraux du fait qu’elles génèrent peur,

insécurité, raidissement, etc. Ce registre n’est pas sans incidence dans la mesure où les

intéressés n’établissent pas purement et simplement des échanges conceptuels mais

interagissent sur le plan émotionnel.

68. Ce cinquième registre n’est pas sans incidence sur l’équipe pastorale et le travail en

cours dans la mesure où les intéressés n’établissent pas purement et simplement des échanges

conceptuels mais interagissent sur le plan émotionnel. Il est d’autant plus important de le

prendre en compte que, dans les milieux ecclésiastiques, ce registre est sous-estimé au profit

des échanges rationnels, discursifs et théoriques. Les membres de l’équipe sont faits « de

chair et de sang ». Nous ne devons jamais l’oublier.

69. Le sixième paramètre est le paramètre « organisationnel » par lequel les choses se

mettent en place, s’agencent concrètement, s’organisent. Ce registre joue toujours un rôle,

implicitement ou explicitement, et quel que soit le degré d’organisation. Un déficit

d’organisation ne pourra que rendre plus laborieux, voire franchement difficile la

collaboration entre les acteurs concernés. Des réunions sans ordre du jour, sans prise de notes,

sans procès-verbal ou rapport ou une équipe sans agenda, sans régularité dans ses réunions ou

encore sans suivi entre elles est littéralement sans avenir. Elle n’est pas crédible parce que les

membres ne s’y engagent pas de façon conséquente.

70. Vient ensuite le paramètre des modes de légitimité déjà évoqués précédemment : (le

charisme de) la fonction (l’investiture sacramentelle), la compétence et l’expérience. Les laïcs

en pastorale s’inscriront plus facilement sur le registre d’une légitimité liée à la compétence,

parfois sur celle de la légitimité expérientielle. Les clercs se situeront sur le registre de la

légitimité de fonction. Le mode de légitimité a une incidence sur la réception des ministères,

leur reconnaissance et leur crédibilité au sein de la communauté. Le mode de légitimité peut

être un facteur de concurrence, voire de rivalité entre les membres de l’équipe pastorale.

71. Il y a enfin un dernier paramètre, c’est celui de la spiritualité de chacun des membres

concernés et, le cas échéant, la sensibilité spirituelle partagée entre eux, à savoir la référence

aux Écritures, les courants spirituels, les grandes figures de la foi, les récits fondateurs, etc.

sur lesquels toute leur action pastorale s’appuie. Ce paramètre spirituel n’est pas sans lien

avec le devenir chrétien de chacun, sa croissance spirituelle et l’approfondissement de son

engagement au service de l’Église.

72. Ces différents registres sont non seulement toujours présents dans une équipe

pastorale, ils sont surtout en interaction mutuelle. Ce rapide exposé doit nous rendre attentifs à

la singularité de chaque équipe, à la complexité des situations, aux difficultés en question

notamment sur le plan relationnel et sur celui de la collaboration au sein de l’équipe pastorale

18

entre ministres concernés ou avec les autres fidèles. Il nous rend attentifs aux conflits

inévitables qui peuvent surgir de ce fait avec les communautés, les autres chargés de mission

et le cas échéant avec l’autorité diocésaine. La prise au sérieux de ces huit registres doit aider

à décoder la réalité concrète des équipes, à examiner la ou les raisons de leur

dysfonctionnements, à relativiser avec distance et surtout avec humour les inévitables

difficultés qu’elles rencontrent dans l’exercice de leur ministère au service de la (nouvelle)

paroisse (ou de l’Unité pastorale).

*

* *

73. Je l’avais annoncé : vu les limites imposées à mon propos, il eut été vain d’être

exhaustif en matière de conditions favorables à une collaboration fructueuse. Puissions-nous

espérer que nos équipes soient des « ensembles qui font corps » (cf. Ps 121,3) au grand

bonheur des paroissiens, des membres de l’équipe, curé y compris, et en définitive des

personnes auprès desquelles il revient aux uns et autres de faire part de la Bonne Nouvelle de

l’Évangile.

Alphonse BORRAS, vicaire général du diocèse de Liège

Professeur de droit canonique à l’Université catholique de Louvain (UCL)

et chargé d’enseignement à l’Institut catholique de Paris (ICP)