protection subsidiaire remy 2010

Upload: celine-remy

Post on 20-Jul-2015

194 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

La nouvelle forme de protection internationale, adoptée par l'Union européenne, est destinée à certains demandeurs d'asile à qui l'État n'accorde pas le statut de réfugié. Après quatre ans d’application en Belgique, quels constats tirer ? La protection subsidiaire sert-elle d'outil de dumping social pour réfugiés ou permet-elle d'élargir le droit d'asile ? (mémoire en journalisme, octobre 2010)http://celineremy.wordpress.com/2010/12/05/protection-subsidiaire-un-sous-asile/

TRANSCRIPT

HAUTE ECOLE GALILE INSTITUT DES HAUTES TUDES EN COMMUNICATIONS SOCIALES

LA PROTECTION SUBSIDIAIRE EN BELGIQUE

Approches juridique, statistique et journalistique

Travail prsent dans le cadre du Mmoire de fin d'tudes pour l'obtention du titre de Master en Presse et Information spcialises par Cline REMY Promoteur : Jorge MAGASICH

Bruxelles, octobre 2010

Dit onderzoek naar subsidiaire bescherming, afgewerkte in oktober, 2010, mengt juridische, statistische en journalistieke benaderingen, om een volledig en menselijk overzicht te geven van deze nieuwe vorm van internationale bescherming, die in werking getreden is in Belgi over oktober tiende, 2006. Vijf narratieven van geweigerde en begunstigden vreemdelingen worden er voorgesteld en geanalyseerd. Cette tude de la protection subsidiaire, acheve d'crire en octobre 2010, mle les approches juridique, statistique et journalistique afin de donner un aperu complet et humain de cette nouvelle forme de protection internationale, entre en vigueur en Belgique le 10 octobre 2006. Cinq rcits de vcu de dbouts et bnficiaires y sont prsents et analyss. This study into subsidiary protection, whose writing was completed in October 2010, combines juridical, statistical and journalistic approaches as to give a complete and human picture of this new form of international protection, which has become effective on October 10, 2006. Five dismissed asylum-seekers and grantees first-hand accounts are herein presented and analysed.

Mes remerciements vont :

mon promoteur Jorge Magasich pour ses conseils et son aide active, Vronique Laurent, responsable de la communication extrieure du Petit-Chteau, Ins du CRER, Selma Benkhelifa, avocate ProgressLawyer, Alioune et Martin, anciens demandeurs d'asile, pour les contacts qu'ils m'ont permis de prendre, Cathy Harris, responsable du centre de documentation du CBAI et Nathalie Caprioli, responsable de rdaction de l'Agenda interculturel, Hlne Crokart, avocate au barreau de Bruxelles, Nurten Kosova, assistante sociale au MRAX et An Maes, responsable du service juridique du CBAR, pour les clairages qu'elles m'ont apports, mes parents pour avoir remplac mon programme de reconnaissance optique de caractre quand il tait dfaillant, pour leur relecture et pour leur soutien indfectible, Matteo pour son soutien et ses conseils toujours judicieux ainsi que pour la ralisation des graphiques, Patricia pour sa relecture attentive, Dawoud , Christian , Dedi et Dborah qui ont accept de me livrer leur tmoignage, et Vronique Druant pour m'avoir aiguille sur le sujet dans un bar kitsch l'effigie d'Elvis Presley, en novembre 2009.

1

INTRODUCTIONL'objectif de ce travail est de dresser un portrait de l'application de la protection subsidiaire, une forme d'asile subordonne au statut de rfugi, prs de quatre ans aprs son introduction dans le droit belge. Expliquer mes raisons pour le choix de ce sujet (celui de l'asile en gnral) serait me perdre en considrations sur l'origine de ma sensibilit aux droits humains et aux migrations. Cependant, un livre m'a peut-tre amene, il y a deux ans, choisir la voie des rcits de demandeurs d'asile. Il s'agit du livre de Nadira Lazreg Exils, 45 rcits de demandeurs d'asile, qui livre le vcu brut de ceux qui arrivent chez nous pour fuir des violations de leurs droits fondamentaux. Le message de ce livre pourrait se rsumer ainsi : les candidats rfugis sont aussi des tres humains. Un second ouvrage marquant ft celui de Koen Vidal, journaliste au Morgen, qui prsente dans Ces rfugis aux portes de l'Europe les effets de la lutte contre l'immigration illgale sur les migrants qui, s'ils ne rentrent souvent pas dans la dfinition du rfugi qui pourra tre reconnu par les pays europens, fuient bien pour leur grande majorit des situations invivables dans leur pays d'origine. L aussi, l'auteur livre le rsultat d'une rencontre avec des migrants lambda et donne lire leur rcit de galre .

Intrt d'une tude sur la protection subsidiaireLe droit d'asile est le droit qu'a tout individu une protection internationale face des violations de ses droits fondamentaux. Depuis prs de quinze ans, ce droit est en crise. C'est du moins le constat de Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au Centre d'tudes et de recherches internationales :La parcimonie avec laquelle [l'asile] est aujourd'hui accord interroge les droits de l'Homme, tandis que les nouveaux profils de rfugis peinent entrer dans les catgories de la Convention de Genve de 1951, qui dfinit le statut de rfugi. (WIHTOL DE WENDEN, 2009, 12-13)

Depuis 2008, le nombre de rfugis et de dplacs dans le monde est la hausse : les conflits rcents sont en cause, notamment ceux en Somalie et en Irak. La mondialisation et la facilitation des changes internationaux participent galement laccroissement des flux migratoires. Cet tat de fait devrait samplifier au cours du sicle avec les dtriorations climatiques et conomiques ainsi que les conflits qu'ils ne manqueront pas de dclencher. Outre l'explosion des conflits et la mondialisation des migrations, une des raisons de la crise du droit l'asile rside dans la politique restrictive en matire d'accs au territoire et dans la lutte contre l'immigration clandestine. Ces politiques limitent l'accs pour les demandeurs

2

d'asile la protection internationale1, et entranent en outre le phnomne des fausses demandes . L'asile est en effet devenu, depuis la fermeture des frontires en 1973, une des rares portes d'accs lgales au continent2. Ce phnomne de fausses demandes influe sur la procdure d'asile, qui semble aujourd'hui avoir pour fonction principale de dbusquer les demandes frauduleuses3, au risque de dbouter des demandeurs lgitimes. Le statut de rfugi implique des obligations envers ses bnficiaires (ils ont peu prs les mmes droits et devoirs que les citoyens) qui peuvent tre considres comme trs lourdes, poussant les tats adopter des politiques d'accueil dissuasives et des politiques d'asile restrictives (WIHTOL DE WENDEN, 2009, 13 & TREMEL, 12/05/10). Dans l'Union europenne, en 2009, 75% des dcisions rendues par les tats membres de l'Union dboutaient les demandeurs4 (EUROSTAT). L'ensemble de ces situations ont fait apparatre le besoin d'une adaptation du droit d'asile. Les causes de l'exil se sont en effet diversifies depuis l'adoption de la Convention de Genve et, si la notion de la protection existe depuis des temps immmoriaux (...), le contexte daujourdhui est particulirement complexe et pose de nouveaux dfis . (UNHCR, 2005, 4) La protection subsidiaire est un nouveau statut qui fait voluer le droit d'asile. Elle s'adresse aux demandeurs d'asile qui ne rentrent pas dans les critres de Genve mais risquent bel et bien certaines violations de leurs droits fondamentaux. La question que nous posons est : la1 Un exemple frappant de ceci est la diminution drastique du nombre de demandes d'asile en Italie entre 2008 et 2009 suite la pratique des respingimenti , les repoussements en mer, qui ont commenc en mai 2009 avec le soutien de la Libye. Alors que les demandes d'asile en France ont augment de 20% en une anne et qu'au niveau europen on remarque une certaine stabilit dans les chiffres des demandes, les demandes en Italie ont chut de prs de 45% entre 2008 et 2009, prouvant par l-mme que les illgaux repousss comptaient de potentiels rfugis reconnatre. (UNHCR.IT) 2 La lutte contre l'immigration clandestine peut en outre avoir de lourdes consquences sur la scurit des migrants, dont les routes se complexifient au fur et mesure que les contrles et barrires se dveloppent. Nous vous renvoyons vers la carte Miroirs obscurs des politiques migratoires europennes , ralise par Migreuop, qui montre les morts d'trangers aux frontires de l'Union europenne. La version actualise publie par le Monde diplomatique est reproduite en annexe, p.51. 3 puisque l'indigence, la misre, la famine et l'absence de perspectives ne font pas partie des critres pour l'octroi de la protection internationale 4 La politique et le droit de lasile belge sont fortement conditionns par le processus dintgration europenne. (...) Un des objectifs [de lUnion europenne] est ltablissement dun espace europen de libert, de scurit et de justice. Dans ce contexte, les tats parties se sont engags, dune part, faire respecter aux frontires extrieures de lUE dont ils sont responsables les conditions daccs cet espace et, dautre part, prendre des mesures relatives lasile, en vue dtablir un rgime dasile europen commun, conformes la Convention de Genve du 28 juillet 1951 relative au statut des rfugis et aux autres traits pertinents. Paralllement, les tats membres dveloppent une politique de lutte contre limmigration illgale dont les objectifs savrent, parfois, difficilement conciliables avec une politique daccueil des demandeurs dasile et de protection des rfugis (JOUANT, 01/05). Aussi, divers accords europens visent communautariser les politiques dimmigration et dasile, comme linstauration dun visa unique (projet qui jusqu aujourdhui na pu aboutir), la sanction des compagnies ariennes en cas de transport dimmigrants clandestins ou encore la mise en place dun fichier europen des trangers contrls par la police (TREMEL, 12/05/10).

3

nouvelle protection remplit-elle bien son rle, qui est d'largir le droit d'asile, ou tout le moins d'en garantir l'effectivit? Plusieurs droits sont en jeu : le droit dasile que doit lgalement accorder un tat toute personne fuyant les perscutions, la protection laquelle a thoriquement droit temporairement toute personne fuyant un conflit arm et, enfin, les droits fondamentaux que doit thoriquement garantir l'tat toutes les personnes se trouvant sur son territoire, que ces personnes soient prsentes lgalement ou non, expulsables ou non (en vertu des traits internationaux qui interdisent les refoulements dans certaines situations). (AIBF, 01/09)

Dmarche adopteAfin de dresser le portrait de cette nouvelle protection, des approches la fois thoriques et pratiques seront adoptes : juridique, statistique, et enfin journalistique, par l'analyse de rencontres menes avec les premiers concerns par la protection subsidiaire : des bnficiaires et des demandeurs dbouts. Un premier chapitre est consacr la protection subsidiaire telle qu'elle apparat dans la thorie. Aprs avoir prsent la loi, nous nous pencherons sur les critres d'octroi de la protection subsidiaire et sur l'interprtation qu'en fait le Commissariat gnral aux rfugis et aux apatrides. Nous exposerons ensuite les critres d'irrecevabilit et d'exclusion puis les droits ouverts par l'obtention du statut de protection subsidiaire, et les comparerons rapidement ceux des rfugis reconnus. Enfin, nous dtaillerons les critres pour le retrait et l'abrogation qui peuvent avoir lieu aprs l'obtention du statut. Un second chapitre traitera de la protection subsidiaire telle qu'elle apparat dans la pratique. Nous exposerons les chiffres des dcisions concernant la protection subsidiaire, et tenterons d'en tirer des conclusions quant l'impact de cette protection sur le droit l'asile. Nous observerons ensuite les interviews et/ou les dcisions relatives cinq personnes, de diffrentes nationalits, des stades divers de la procdure. Ces cinq cas rencontrs permettront de donner la problmatique un visage humain, et illustreront certains carts constats entre la thorie et la pratique. La conclusion tire de tout ceci est prsente sous la forme d'un article, publi dans le numro d'octobre de l'Agenda interculturel, un mensuel qui traite des migrations et de l'interculturalit en mlant des approches scientifiques et de terrain. Nous verrons qu'en substance, la protection subsidiaire constitue une avance en termes de droits mais que son impact reste d'ampleur trs limite et qu'elle n'offre pas les mmes garanties que le statut de rfugi.

4

CHAPITRE 1 : DANS LA LOILe paysage politique et juridique de l'asile est complexe et changeant. L'asile, longtemps incorpor dans la comptence de l'Intrieur, a toujours t gr dans le mme portefeuille que l'immigration, dont la gestion a gard une tendance utilitariste, lie aux besoins, notamment en main duvre, du pays d'accueil , et restrictive, tentant de juguler les flots d'trangers . Aujourd'hui, la politique de migration et d'asile est une comptence qui revient divers ministres : depuis novembre 2009, Jolle Milquet (cdH) est la ministre charge de la Politique de migration et d'asile ; son adjoint en la matire, Melchior Wathelet (cdH), est galement secrtaire d'Etat la Politique de migration et d'asile. Pour assurer la cohrence de cette politique, le Premier ministre (le CD&V Yves Leterme) est charg de la Coordination de la Politique de migration et d'asile, avec encore M. Wathelet pour adjoint. Les dcisions d'octroi ou de refus de la protection internationale par la Belgique (sur base des normes internationales, europennes et belges) sont prises par une instance politiquement indpendante, le Commissariat gnral aux rfugis et aux apatrides. L'Office des trangers a galement un rle, bien que rduit, en matire d'asile. Ce service fdral est le dlgu de la ministre de l'Intrieur (Annemie Turtelboom, Open-VLD), mais il est nanmoins du ressort de la Politique de migration et d'asile. Jolle Milquet et Melchior Wathelet exercent ainsi leur tutelle sur la direction gnrale de l'Office. La loi belge qui rgit l'asile a subit de nombreuses et frquentes modifications. La loi du 15 dcembre 1980, dite loi "trangers" ou encore loi organique , aura t modifie au total plus de trente reprises, ce qui donne une moyenne d'une fois par an (FAUX, 01/09/08).La partie de la loi organique relative aux rfugis (art. 48 57) est celle qui a fait lobjet du plus grand nombre de modifications : elle reprsente peu prs un tiers de la loi. Lobjectif avou de toutes les modifications, depuis 1987, est de limiter le nombre de demandeurs dasile et, en consquence, les possibilits daccs la procdure. En vingt ans, le nombre de demandeurs dasile a plus que dcupl (...). Cette volution a eu des consquences sur la notion de rfugi, que lon tend restreindre et en mme temps complter par dautres formes de protection, et sur la procdure, qui est devenue trs complexe. (CARLIER-REA, 2001, 21-22)

En 2006, une nime rforme de la procdure d'asile a lieu. Le 15 septembre 2006, la loi modifiant la loi du 15 dcembre 1980 sur l'accs au territoire, le sjour, l'tablissement et l'loignement des trangers est donc entre en vigueur, accompagne d'autres outils lgislatifs. La rforme vise trois objectifs : la transposition de directives europennes en droit belge5, la simplification de la procdure dasile (et un5 La loi transpose trois directives europennes : la directive regroupement familial (2003/86/CE, du 22

5

raccourcissement de sa dure) et la rsorption de larrir devant le Conseil d'tat. Plusieurs grandes modifications ont ainsi t apportes la procdure d'asile : lintroduction dune demande de protection subsidiaire qui accompagne automatiquement la demande d'asile constitue la principale innovation. La procdure de recevabilit a t supprime et le rle de l'Office des trangers (OE) en matire d'asile a t rduit l'enregistrement des demandes (principalement). Le Conseil du contentieux des trangers (CCE), juridiction administrative de recours, a t cr pour remplacer la Commission permanente de recours des Rfugis, et le Conseil d'tat est devenu une juridiction de cassation. (MI-IS, 2 & BERNARD, 03/08) L'ensemble de la rforme est entr en vigueur le 1er juin 2007. Un schma de la nouvelle procdure est reproduit en p.53.

1. Introduction de la protection subsidiaire en droit belgeLa protection subsidiaire a t introduite en Belgique par une directive europenne sur l'asile. Il s'agit de la directive dite Qualification 6, qui dfinit des normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers pour pouvoir prtendre une protection internationale7. La protection subsidiaire est entre en application le 10 octobre 2006, date limite pour la transposition de la directive europenne. La nouvelle forme de protection donne un statut aux demandeurs d'asile qui ne rentrent pas dans les critres pour l'octroi du statut de rfugi mais risquent, en cas de retour dans leur pays d'origine, de subir certaines atteintes graves qui seront explicites plus loin.Jusqu'ici, la Belgique tait encore un des pays de lUnion europenne 8 o il nexistait pas de mcanisme structurel permettant doctroyer une protection internationale une personne qui ncessitait une protection (parce que sa vie tait menace) mais qui ne remplissait pas les conditions de la dfinition de rfugi parce quelle ne pouvait pas rattacher les

septembre 2003), la directive sur la dlivrance d'un titre de sjour aux victimes de la traite (2004/81/CE, du 29 avril 2004) et la directive dite Qualification (2004/83/CE, du 29 avril 2004). 6 directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prtendre au statut de rfugi ou les personnes qui, pour dautres raisons, ont besoin dune protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts 7 Soulignons que la porte de cette protection a connu une premire limitation importante lors du processus dadoption au sein du Conseil europen. En effet, la Commission europenne a d revoir sa copie la baisse plusieures reprises afin de correspondre la volont des Etats membres, moins ambitieux et gnreux quelle. Ainsi, au terme de ce processus lgislatif, la protection subsidiaire ne permet plus de protger les personnes "simplement" victimes de violations systmatiques ou gnralises des droits de l'Homme. (...) Nous regrettons que les Etats membres n'aient pas adopt la dfinition propose initialement par la Commission qui visait aussi, dans certaines conditions, des violations graves des droits individuels, "une menace contre sa vie, sa scurit ou sa libert en raison dune violence non cible lie un conflit arm ou de violations systmatiques ou gnralises des droits de lHomme" . (BULTEZ, 03/08) 8 avec l'Irlande et le Royaume Uni

6

perscutions quelle avait subies lun des cinq motifs de la Convention9. (BULTEZ, 03/08)

Ce nouveau statut reprsente donc une grande avance du droit d'asile en Belgique. Plus prcisment, l'instauration du statut de protection subsidiaire constitue une avance majeure en termes de droits pour les personnes ne rentrant pas dans les conditions pour l'octroi de l'asile classique qui risquent de subir des traitements contraires larticle 2 ou 3 de la Convention europenne des droits de lHomme (visant respectivement la peine de mort et les traitements inhumains ou dgradants) ou dont le pays d'origine est en proie une violence gnralise (guerre civile, conflit arm, etc.). Auparavant, ces personnes ne pouvaient bnficier, en guise de protection, que de clauses humanitaires ou de clauses de non-retour10. Ils pouvaient galement demander une rgularisation11 sur base de larticle 9, alina 3 de la loi trangers (remplac aujourd'hui par les articles 9 bis, qui rgit les autorisations de sjour pour circonstances exceptionnelles12, et 9 ter, c'est--dire la rgularisation pour motifs mdicaux13) (ORUBA, 01/09/07). Mais, en l'absence de rel statut lgal, ces trangers demeuraient dans une situation prcaire puisque les clauses [de non-retour] navaient dautre consquence que la non-excution dune mesure dloignement qui, par ailleurs, ntait nullement garantie. (...) Ces personnes ne bnficiaient donc ni dun titre de sjour, ni dun accs au march du travail, ni de droits sociaux, ni dun titre de voyage. Elles vivaient dans une clandestinit lgalement organise. (BULTEZ, 03/08). Ces inloignables , comme ils taient appels dans le milieu du droit des trangers, avaient uniquement droit une aide sociale provisoire et restaient constamment sur la sellette.

9 Lexemple le plus flagrant tant les rfugis de guerre qui ne parvenaient pas toujours tablir qu'ils avaient subi des perscutions parce qu'ils appartenaient telle ethnie, religion, parti politique etc. Souvent, ils fuyaient une situation o les violences taient infliges de manire indistincte. Ce fut notamment le cas au Sierra Leone (BULTEZ, 03/08). 10 En 2006, les clauses de non-retour sappliquaient des personnes venant de Cte dIvoire, dIrak (pas le Nord de lIrak), du Soudan (uniquement du Darfour), de la Serbie Montngro (Kosovo) et drythre. Quant aux clauses humanitaires, elles sappliquaient lAngola (certaines rgions et certains groupes vulnrables), au Liberia (pour certaines catgories), aux Palestiniens des Territoires occups, la Birmanie, au Sri Lanka (ORUBA, 01/09/07) 11 L'article 9 de la loi trangers prvoit qu' un tranger qui souhaite sjourner plus de trois mois en Belgique, doit y tre autoris par le ministre ou l'Office des trangers (SAROLEA, 2008, 35). 12 Le demandeur doit dmontrer quil existe des circonstances exceptionnelles rendant impossible ou trs difficile un retour mme temporaire vers son pays dorigine. Les circonstances particulires sont : la procdure dasile draisonnablement longue, l'ancrage local durable en Belgique et certaines circonstances humanitaires qui pourraient constituer une violation des traits internationaux relatifs aux droits de lenfant ou aux droits de lhomme (entre autres le fait d'tre lauteur dun enfant belge, ou celui d'tre apatride et ne pas avoir dautre pays daccueil que la Belgique) (SAROLEA, 2008, 37-45). 13 quand il est admis que ltranger de droit commun souffre d'une maladie telle qu'elle entrane un risque rel pour sa vie ou son intgrit physique ou un risque rel de traitement inhumain ou dgradant lorsqu'il n'existe aucun traitement adquat dans son pays d'origine (SAROLEA, 2008, 46-49)

7

La protection subsidiaire change donc la donne. La possibilit d'octroyer cette protection subsidiaire est aujourd'hui systmatiquement examine pour toute demande d'asile laquelle il ne peut tre rpondu par l'octroi du statut de rfugi, c'est--dire en deuxime lieu : le statut de rfugi, pilier du systme de l'asile, reste prioritaire. La question de l'octroi des deux statuts est examine par les mmes instances : le Commissariat gnral aux rfugis et aux apatrides (CGRA) et le Conseil du contentieux des trangers (CCE), en cas de recours lencontre dune dcision du CGRA.

2. Critres d'octroi de la protection subsidiaireLa dfinition de la protection subsidiaire dans la loi belge est similaire, sans tre identique, celle de la directive europenne Qualification. Le nouvel article 48/4 statue : 1er. Le statut de protection subsidiaire est accord l'tranger qui ne peut tre considr comme un rfugi, et qui ne peut pas bnficier de l'article 9 ter, et l'gard duquel il y a de srieux motifs de croire que, s'il tait renvoy dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa rsidence habituelle, il encourrait un risque rel de subir les atteintes graves viss au paragraphe 2, et qui ne peut pas ou, compte tenu de ce risque, n'est pas dispos se prvaloir de la protection de ce pays et ce, pour autant qu'il ne soit pas concern par les clauses d'exclusion vises l'article 55/4. 2. Sont considres comme atteintes graves : a) la peine de mort ou l'excution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dgradants du demandeur dans son pays d'origine14 ; ou c) les menaces graves contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit arm interne ou international. (cit dans SAROLEA, 2008, 230)

Le lgislateur installe donc, la suite de la directive europenne, une distinction de traitement selon que le demandeur fasse valoir une perscution (statut de rfugi) ou une atteinte grave (protection subsidiaire). Avec la protection subsidiaire, le mobile pour lequel la violence risque d'tre commise n'est plus pris en compte, seul compte le fait luimme. (BULTEZ, 03/08)14 Certains lments de la protection subsidiaire visaient rpondre la situation des inloignables en vertu du principe de non-refoulement du droit international. Le point b) de la loi belge sur la protection subsidiaire dcoule en effet de l'article 3 de la Convention europenne des droits de l'Homme ( laquelle la Belgique et tous les tats membres de l'UE sont parties) interdisant qu'on fasse subir aux tres humains la torture [ou] des peines ou traitements inhumains ou dgradants (CEDH, 2). Le point a), en revanche, dcoule de l'interdiction des excutions arbitraires de l'article 2 de cette Convention ( La mort ne peut tre inflige quiconque intentionnellement, sauf en excution d'une sentence capitale prononce par un tribunal au cas o le dlit est puni de cette peine par la loi [CEDH, 2]), dont la jurisprudence n'implique pas, comme c'est le cas pour l'article 3, l'interdiction du refoulement vers un pays o le demandeur risquerait la peine de mort.

8

Comment ces termes sont-ils interprts par les instances d'asile? tant donn le nombre de conflits dans le monde (v. ce propos l'annexe 1.2 en page 49) et de zones o les droits humains sont systmatiquement bafous, on aurait t en droit de penser que cette nouvelle forme de protection ferait exploser le niveau absolu de reconnaissances de protection internationale. Pourtant, les autorits ont annonc ds avant son entre en vigueur que la protection subsidiaire concernerait un nombre limit de personnes (BULTEZ, 03/08). Ceci dcoule de la volont de maintenir la primaut de la Convention de Genve sur toute autre forme de protection internationale15 : le but de la mise en place de la protection subsidiaire est en effet dlargir et non pas daffaiblir le rgime de protection existant. Toutefois,S'il faut assurer l'effectivit de la Convention de Genve, il n'y a pas lieu d'interprter strictement les nouveaux concepts de protection subsidiaire, d'autant que leur contenu est inspir de dispositions visant garantir les droits de l'homme et les liberts fondamentales. Le HCR appelle en tous cas une interprtation large de cette nouvelle forme de protection16. (DOYEN, 07-09/06)

Dtaillons l'interprtation que fait le CGRA de l'article 48/4. 2.1. L'analyse du Commissariat gnral aux rfugis et aux apatrides Pour l'examen des demandes d'asile, le CGRA retient de l'article sur la protection subsidiaire les points suivants : pas de motifs mdicaux (article 9 ter de la loi sur les trangers) ; motifs srieux ; risque rel ; atteintes graves. (CGRA 2009a, 59) 2.1.1 Maladie grave : pas de protection subsidiaire, mais rgularisation mdicale Le premier point observ par le CGRA ( pas de motifs mdicaux ) a trait l'article 15 b) de la directive Qualification, qui prvoit l'octroi de la protection subsidiaire en cas de risque de traitements inhumains ou dgradants (une des trois atteintes graves vises par la directive et reprises par la loi belge). Les maladies graves qui ne sont pas traitables correctement dans le pays d'origine du demandeur rentrent normalement dans ces traitements dgradants . Mais la Belgique possdait dj un mcanisme destin ces situations, soit la rgularisation mdicale (en application de l'article 9 ter, dont il a dj t fait mention en page 7), dont l'octroi revient l'Office des trangers (dlgu du ministre de l'Intrieur). Le lgislateur15 Une prcaution bien utile tant donn la situation prcdant l'adoption de la directive europenne : le droit compar rvle que les tats membres de lUnion europenne qui ont adopt un statut de protection subsidiaire dans leur lgislation nationale ont, en mme temps, procd une interprtation restrictive de la Convention de Genve et accord le statut de rfugi un nombre dcroissant de demandeurs dasile (Daphn Bouteillet-Paquet, "Protection subsidiaire : progrs ou recul du droit d'asile en Europe? Une analyse critique de la lgislation des tats membres de l'Union europenne", La protection subsidiaire des rfugis dans l'Union europenne : un complment la Convention de Genve?, Rseau Odysseus, ULB, 2002, p.153 et ss.) (BULTEZ, 03/08). V. pour quelques chiffres l'annexe 3.9, p. 59. 16 Communiqu de presse de l'UNHCR, Genve, le 9 octobre 2006

9

belge a donc dcid de garder ce systme et dexclure les motifs mdicaux de la procdure et du statut de protection subsidiaire (BULTEZ, 03/08). Ceci prive les personnes vivant une telle situation mdicale de voir leur demande de permis de sjour traite par une instance indpendante, puisqu'elles passent par la procdure de rgularisation (OE) et non d'asile (CGRA et CCE). Elles ne peuvent en tout cas pas invoquer un risque de traitements inhumains ou dgradants lis leur tat de sant pour solliciter la protection subsidiaire (si c'est possible, elles peuvent bien entendu la solliciter sur base dautres raisons) (GELEYN b). L'adquation de cette option ne laisse pas d'interroger au vu des trs longs dlais de traitement des demandes via cette procdure [de rgularisation] actuellement17 [et] de la prcarit de la situation du demandeur, dpourvu, durant l'examen de sa demande, de tout titre de sjour (DOYEN, 07-09/06). Les conditions du demandeur d'asile et du candidat la rgularisation ne sont en effet pas gales.Malgr le fait que tant larticle 9 ter que larticle 48/4 concernent les demandes de protection internationale, le droit une aide matrielle ou sociale est organis de manire diffrente pour ces deux catgories. Les personnes ayant introduit une demande sur la base de lart. 48/4 sont en ralit des demandeurs dasile qui bnficient des droits sociaux qui en dcoulent et ont donc droit une aide matrielle ds le dbut de leur procdure dasile. Les personnes qui ont introduit une demande sur la base de lart. 9 ter peuvent faire appel uniquement laide mdicale durgence tant que leur demande na pas t juge recevable. (CECLR 2010, 48)

La procdure de rgularisation comprend en effet toujours une premire phase d'examen de la recevabilit. Quand la demande est juge recevable, le candidat la rgularisation accde l'aide sociale, mais cet examen en recevabilit peut parfois durer plus d'une anne. En attendant, le candidat la rgularisation demeure sans titre de sjour (avec les droits qu'il procure, notamment en termes d'aide mdicale). Lingalit subsiste [donc] entre ces deux catgories sur le plan du droit une aide matrielle ou sociale. (CECLR 2010, 48) 2.1.2 Existence du risque Concernant les deuxime et troisime points retenus par le CGRA pour l'examen de l'octroi de la protection subsidiaire ( motifs srieux et risque rel ), l'valuation du risque implique, pour le CGRA, l'examen de trois aspects : le caractre actuel, rel et personnel du risque (BULTEZ, 03/08). Le caractre actuel est vrifi avec l'aide du centre de documentation et de recherche du CGRA (le Cedoca18). Des critiques ont t formules l'gard de cet organe et de ses17 en termes d'annes... 18 Compos d'une quipe de chercheurs et d'une bibliothque, le centre de documentation et de recherche du CGRA a pour tche de soutenir les agents traitants dans l'examen des demandes d'asile en leur

10

mthodes, entre autres concernant l'valuation de la situation scuritaire de Kaboul19. Le caractre rel de la menace est souvent ramen la crdibilit du rcit du demandeur, sa cohrence, son articulation. L'examen de ce point a souvent fait l'objet de critiques, tant donn la grande prcision des questions poses cet effet au demandeur (v. les rencontres prsentes au second chapitre dans la pratique , p.25). Dans la procdure d'asile, la charge de la preuve incombe au demandeur dasile, qui doit parvenir dmontrer quil rpond aux critres pour (soit tre reconnu rfugi, soit) se voir octroyer la protection subsidiaire (GELEYN a) (v. pour exemple la lettre de dcision du CGRA reproduite en annexe 4.2.2 ; l'extrait vis se trouve p.75). Le Conseil du contentieux considre cependant que :si ltablissement des faits et lexamen de crdibilit constitue une tape ncessaire lexamen du besoin de protection, il faut viter que cette tape nocculte la question en elle-mme. Si un doute existe sur la ralit de certains faits ou la sincrit du demandeur, lnonc de ce doute ne dispense pas de sinterroger in fine sur lexistence dune crainte dtre perscut qui pourrait tre tablie suffisance nonobstant ce doute, par les lments de la cause qui sont, par ailleurs, tenus tablis pour certains. (cit dans GELEYN a)

Ce conseil est suivi par le CGRA dans les cas de violence aveugle en cas de conflit arm : mme si un doute subsiste quant la crdibilit du demandeur, la protection subsidiaire peut tre accorde au demandeur dont l'origine et la qualit de civil sont considres comme certaines, si tant est qu'il est tabli qu'il existe, dans sa rgion d'origine, un risque rel de menaces graves contre la vie ou la personne des civils en raison d'une violence aveugle dans le cadre d'un conflit arm interne ou international. Un exemple de ce type de dcision peut tre consult en annexe 4.6 (l'extrait concern se trouve p.90). Les instances d'asile recherchent galement l'existence d'alternatives de protection pour le demandeur, qui annulerait l'obligation pour l'tat de lui offrir une protection. Il s'agit d'examiner si le demandeur a transit par un pays sr o il aurait pu demander protection ou s'il pourrait obtenir l' asile interne 20, c'est--dire une protection efficace de la part des autorits de son pays dorigine ou d'organisation internationales prsentes sur place. Est galement examine la question de savoir si le demandeur pourrait retourner vivre dans unefournissant des informations sur les pays d'origine des demandeurs d'asile, sous la forme de rapports gnraux ou de rponses des questions spcifiques. Ils font pour cela appel un large rseau de correspondants internationaux. l'instar des agents traitants, les chercheurs du Cedoca sont chacun spcialiss dans une rgion gographique. (CGRA 2009a, 39) 19 Un extrait d'une argumentation ce sujet se trouve en page 37. 20 Les notions de pays srs et d'asile interne, sans tre ncessairement contraires la Convention de Genve, sont dnonces par certains militants comme des outils servant restreindre le droit d'asile ; elles sont tout le moins la gense du processus actuellement qualifi d externalisation de lasile (dont l'ide pourrait se rsumer par vous n'tes pas obligs de venir en Europe pour exercer votre droit l'asile, restez sur votre continent ). (JOUANT, 01/05 & WIHTOL DE WENDEN, 2009, 13)

11

autre partie de son pays o il naurait plus de raison de craindre de subir des atteintes graves pouvant justifier loctroi de la protection subsidiaire. (...) Larticle 48/5, 3 de la loi prvoit [en effet] quil n'y a pas lieu d'accorder la protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucun risque rel de subir des atteintes graves et qu'on peut raisonnablement attendre du demandeur qu'il reste dans cette partie du pays . (GELEYN b). Cette prcaution s'applique aux deux statuts de protection internationale (statut de rfugi et protection subsidiaire) (SAROLEA, 2008, 244). Enfin, le caractre personnel mrite quelques prcisions. La directive europenne Qualification prcisait dans son article 15 que les menaces graves contre la vie ou la personne dun civil en raison dune violence aveugle ou en cas de conflit arm interne ou international devaient tre individuelles. Le lgislateur belge, par contre, s'est montr plus gnreux et na pas insr cette exigence de menaces individuelles comme condition doctroi de la protection subsidiaire (GELEYN b). L'examen ne pourra ainsi pas conduire exiger que le demandeur ait t personnellement vis par lauteur de la menace dans le cadre des conflits (BULTEZ, 03/08). Toutefois, selon les travaux prparatoires la rforme de la procdure, mme si les motifs de cette crainte ne sont pas spcifiques une personne donne, chaque demandeur doit dmontrer qu'il est confront une situation dans laquelle la crainte pour sa personne ou sa vie est vidente (DOYEN, 07-09/06). 2.1.3 Atteinte grave Il reste dcider si la situation vcue par le demandeur correspond une des atteintes vises par la loi. Il s'agit l d'une tape critique, la dfinition de ces atteintes graves et le degr partir duquel une menace peut tre considre comme telle n'tant pas explicits en termes quantitatifs, fixes et univoques. Le cas est particulirement frappant pour le troisime type d'atteinte, la violence aveugle en cas de conflit arm . Dans ce cas de figure, il ne suffit pas dtablir que lon vient dun pays o rgne une situation de conflit arm pour que les instances dasile considrent quil y a risque d'atteinte grave. Selon l'expos des motifs, les demandeurs doivent toujours tablir que leur vie ou leur personne est menace en raison dune violence aveugle rsultant dune situation de conflit arm interne ou international (BULTEZ, 03/08) (c'est nous qui soulignons). Cela signifie que l'examen restera bien individuel pour cette catgorie21 et que l'on diffrenciera en fonction du degr de dangerosit des zones d'origine des demandeurs. Plus prcisment, cette troisime catgorie datteinte grave est constitue de quatre lments cumulatifs : 1. la menace grave contre la vie ou la personne, 2. d'un civil, 3. en raison d'une21 le caractre indivuduel des menaces n'ayant pas t repris comme condition par le lgislateur belge, comme nous l'avons expliqu dans les lignes qui prcdent

12

violence aveugle, 4. en cas de conflit arm interne ou international (BULTEZ, 03/08). Il faut souligner qu'en transposant la directive europenne, le lgislateur belge a laiss tomber le ou qui figurait entre la violence aveugle et le conflit arm22, transformant ces deux lments en conditions cumulatives, en contravention avec le droit europen (qui permet d'largir mais pas de restreindre la porte de la protection). Les quatre lments de dfinition prcits sont sujets interprtation. La violence aveugle est sans doute l'lment le plus problmatique et n'a pas fait l'objet d'un travail jurisprudentiel tendu (BULTEZ, 03/08) (v. galement l'argumentation autour de la violence aveugle Kaboul, en p. 37). De mme, l'interprtation des lments les plus clairs (ici la notion de civil ) peut s'avrer problmatique : par exemple, le CGRA refuse dexaminer le besoin de protection subsidiaire lorsquil ne peut pas valuer le statut de "civil" du demandeur en raison du manque de crdibilit de son rcit23 (BULTEZ, 03/08). Ou encore, un collaborateur des rebelles qui se trouve en dehors de la zone de conflit interne est considr comme un combattant pour le CGRA alors que ce nest pas le cas en droit humanitaire. Cette interprtation de la notion de civil du CGRA a cependant de fortes chances d'tre corrige par le CCE, qui semble plus soucieux des conventions internationales, lesquelles priment sur le droit interne :En cas de doute sur la qualit de civil dune personne, celle-ci doit tre considre comme civile et ceci par analogie larticle 50 du premier Protocole additionnel la Convention de Genve de 1949. Si le Commissaire gnral aux rfugis et aux apatrides juge ensuite quune personne nest pas un civil, il lui appartient de le dmontrer. (CCE, 83)

Dans les faits, il faut soulever que la jurisprudence des instances belges est encore largement insuffisante pour pouvoir tirer des conclusions. En effet, nous constatons un dfaut de motivation dtaille des dcisions de refus de la protection subsidiaire et les instances dasile ne motivent pas les dcisions de reconnaissance de statut (BULTEZ, 03/08), une situation qui reste partiellement d'actualit en 2010 (pour des exemples de lettre de motivation de refus et d'octroi, v. les annexes 4.2.2, 4.5.1 et 4.6). Il existe de plus des critres d'exclusion qui peuvent priver les demandeurs du bnfice du statut de la protection subsidiaire.

22 Le point c) de l'article de la directive Qualification sur la protection subsidiaire parle de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne dun civil en raison dune violence aveugle ou en cas de conflit arm (art. 15, C). 23 CGRA 03-19639, 06-10598, 06-14745

13

3. Les critres d'irrecevabilit et d'exclusionAvant de dvelopper les critres d'exclusion spcifiques la protection subsidiaire, il faut mentionner un premier filtre en amont. La procdure d'asile prvoit que les demandes multiples (seconde ou troisime demande, suite un refus de reconnaissance) puissent tre cartes avant de passer devant le CGRA. L'Office des trangers, qui enregistre la nouvelle demande, peut en effet refuser la demande s'il estime que le candidat rfugi ne fournit pas de nouveaux lments l'appui de sa demande. Le demandeur dasile reoit dans ce cas une annexe 13 quater (dcision de refus de prise en considration), contre laquelle il est possible dintroduire un recours en annulation devant le CCE, ventuellement assorti dune demande de suspension (GELEYN a). L'Office des trangers a galement dans ses comptences la dtermination de l'tat responsable de la demande d'asile en vertu du rglement europen Dublin II , qui institue une solidarit entre tats membres sur la rponse faite aux demandeurs et fixe que les demandes d'asile sont examines par un seul tat. Cela signifie qu'avant de transmettre le dossier au CGRA, l'Office vrifie que le demandeur n'a pas pos de demande dans un autre tat membre24. Si c'est le cas, l'OE envoie une demande de reprise au pays concern et remet au demandeur une annexe 26 quater (dcision de refus de sjour avec ordre de quitter le territoire) ou 25 quater (dcision de refus d'accs au territoire), selon que la demande est introduite la frontire ou l'intrieur du pays. Le demandeur peut introduire contre ces dcisions un recours en annulation (dans les 30 jours de la notification), mais ce recours n'est pas suspensif25 et ne lui donne plus droit l'aide matrielle (FEDASIL, 4). Dans ces cas de figure, il arrive que l'OE dcide du maintien de l'tranger, c'est--dire de sa dtention jusqu' son expulsion ou son transfert vers l'tat responsable de sa demande. L'article 55/4 de la loi sur les trangers prvoit des clauses d'exclusion pour le statut de protection subsidiaire pratiquement identiques, mais plus larges, celles prvues pour le statut de rfugi, bases sur la Convention de Genve. Prcisons en premier lieu qu' il convient dinterprter restrictivement les cas dexclusion et [que] la charge de la preuve incombe l'tat soulevant la cause dexclusion. (GELEYN b) Nous comparerons les critres d'exclusion de la protection susbidiaire ceux du statut de rfugi, rglement par la Convention de Genve. La Convention exclut du statut de rfugi : les personnes bnficiant dj dune protection ou dune assistance de la part des Nations Unies ; les personnes qui ne sont pas considres comme requrant une protection internationale ; les personnes que lon considre ne pas devoir bnficier dune protection24 Il se base pour cela sur la base de donnes Eurodac, cr en janvier 2003, qui centralise les empreintes digitales de tous les demandeurs d'asile de l'Union europenne. 25 seul le recours de plein contentieux est suspensif

14

internationale parce quil y a des raisons srieuses de penser quelles ont commis : soit un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre lhumanit, soit un crime grave de droit commun en dehors du pays daccueil avant dy tre admises comme rfugies, soit des actes contraires aux buts et principes des Nations Unies26 (BULTEZ, 03/08). La directive europenne Qualification s'est montre plus dure pour la protection subsidiaire. Isabelle Doyen, juriste et directrice de l'Association pour le Droit des trangers, regrette en effet que la loi ait repris telles quelles les causes dexclusion de la directive, qui apparaissent plus svres que celles prvues pour le rfugi par (...) la Convention de Genve. Tel est particulirement le cas pour le point c) o la Convention de Genve, beaucoup plus restrictive, ne permet lexclusion que pour les personnes dont on a de srieuses raisons de penser "quelles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays daccueil avant d'y tre admises comme rfugis" (DOYEN, 07-09/06). L'article 55/4 de la loi belge sur les trangers (concernant les clauses d'exclusion et de cessation pour la protection subsidiaire) vise en effet la personne qui a commis un crime grave , quel quil soit et sans gard pour le lieu ou le moment de l'acte (BULTEZ, 03/08). Il n'est pas tenu compte non plus d'un ventuel jugement ni de l'accomplissement d'une peine s'y rapportant.Rappelons que la protection subsidiaire protge ltranger contre des atteintes graves aux droits fondamentaux et interdites de faon absolue par des instruments internationaux tels que larticle 3 CEDH. Il est normal de sassurer que les personnes qui ont commis des crimes graves de droit commun nabusent pas de linstitution de lasile afin dviter dtre tenues juridiquement responsables de leurs actes. Mais ce nest pas le cas lorsque le crime grave est commis dans le pays dasile, pourvu dun systme pnal et judiciaire capable de poursuivre et de sanctionner. (BULTEZ, 03/08)

La Belgique a encore apport un largissement ces restrictions. Dans les critres d'exclusion des deux statuts (rfugi et protection subsidiaire), le lgislateur belge a ajout que ceux-ci s'appliquent aux personnes qui sont les instigatrices des crimes ou des actes prcits, ou qui y participent de quelque autre manire (SAROLEA, 2008, 291). Ceci tend considrablement le champ d'application de ce critre d'exclusion et contrevient la Convention de Genve27 : en effet, si la Convention de Genve permet ses signataires de se26 Vu les consquences ngatives de l'application des articles 1 C) et 1 F) [l'article 1 C) couvre les cas o la protection de la Convention de 1951 n'est plus ncessaire et l'article 1 F) concerne l'exclusion de certains rfugis de la protection en raison de leur conduite dans des circonstances bien dfinies], ces deux articles doivent tre interprts de faon restrictive. Dans l'application de l'article 1 F) b) concernant les personnes qui ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y tre admises comme rfugies, le HCR a toujours soulign l'importance de trouver un quilibre entre la nature du crime prsum commis par le demandeur d'asile et le degr de perscution qu'il craint de subir. (UNHCR a) 27 Il convient (...) de rappeler que les motifs d'exclusion sont numrs de manire exhaustive dans la Convention [de Genve] de 1951. Si ceux-ci sont susceptibles d'interprtation, ils ne peuvent tre tendus

15

montrer plus gnreux que le minimum qu'elle fixe, il est exclut en principe d'en retrancher des parties et d'offrir des garanties moindres. Le statut de protection subsidiaire n'est pas li la Convention de Genve, mais l'largissement tous les participants s'applique aussi ce statut. Cela ne contrevient aucunement au droit international, ni au droit europen, puisque la directive Qualification prvoit elle aussi, en son article 17, 2, que l'exclusion de la protection subsidiaire est applicable aux personnes qui incitent ou participent aux crimes ou actes susmentionns (SAROLEA, 2008, 293) (c'est nous qui soulignons). Enfin, il faut souligner que ladoption du statut de protection subsidiaire na pas eu pour consquence la fin des clauses de non-reconduite. En effet, en cas de retrait du statut pour des motifs dexclusion, le Commissaire gnral donne, dans le cadre de sa dcision, un avis quant la conformit dune mesure dloignement de lintress vers son pays d'origine l'article 3 de la CEDH (DOYEN, 07-09/06). Certaines personnes rentrant dans les critres d'exclusion se retrouvent donc nouveau dans la position d'inloignables, par exemple parce qu'elles sont menaces de peine de mort, et que rien n'a toutefois t prvu en droit belge pour ces personnes. Elles vont donc se retrouver comme [auparavant] dans une sorte de clandestinit tolre . (BULTEZ, 03/08)

4. Les droits ouverts par le statut de protection subsidiaire Le statut de sjour octroy aux bnficiaires reconnus de la protection subsidiaire (...) se distingue fondamentalement de celui du rfugi (DOYEN, 07-09/06). En effet, le rfugi reconnu obtient directement un certificat d'inscription au registre des trangers (CIRE), c'est-dire un permis de sjour, dure illimite. Quand le statut de protection subsidiaire est reconnu au demandeur, par contre, celui-ci obtient le sjour limit, renouvelable chaque anne. Le bnficiaire reoit ainsi, les cinq premires annes suivant l'introduction de la demande d'asile, un CIRE d'une dure de validit d'un an28, prorogeable et renouvelable tant que les conditions ayant prsid son octroi ne sont pas remises en question par le CGRA. A lexpiration de la priode de cinq ans, ltranger auquel ce statut a t reconnu est admis au sjour pour une dure illimite. (MI-IS, 3)

en l'absence d'un accord de tous les tats parties ladite Convention. Or, les termes "tel est galement le cas des personnes qui sont les instigatrices des crimes ou des actes numrs l'article 1 F de la Convention de Genve, ou qui y participent de quelque autre manire", de l'article 55/2 de la loi, ne sont pas repris dans ladite Convention. (SAROLEA, 2008, 286) 28 Le rsident de longue dure "admis" ou "autoris" sjourner est inscrit au registre des trangers par ladministration communale du lieu de sa rsidence et on lui remet un certificat dinscription au registre des trangers ou une carte A en version lectronique. (CARLIER-REA, 2001, 18-19)

16

Ds la reconnaissance du statut de protection subsidiaire par le CGRA ou le CCE, le bnficiaire n'a plus droit l'aide matrielle fournie dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile mais peut revendiquer le bnfice d'une aide sociale ou d'un revenu d'intgration. Comme les rfugis, les bnficiaires de la protection subsidiaire peuvent transmettre leur statut leurs enfants et demander le regroupement familial (s'ils remplissent les conditions de logement et de revenus ncessaires) (FEDASIL, 18). D'autres dispositions de la directive Qualification29 sont la dlivrance d'un titre de voyage aux bnficiaires se trouvant dans l'impossibilit d'obtenir un passeport national, l'accs l'emploi, l'ducation, aux soins de sant. (DOYEN, 07-09/06). Toutefois, pendant le sjour limit, les bnficiaires de la protection subsidiaire doivent demander un permis C , c'est--dire un permis de travail30 ; ils bnficient ensuite de la dispense de permis de travail comme c'est automatiquement le cas pour les rfugis reconnus (PEF, 2 & TREMEL, 12/05/10). Concernant les titres de voyage (obligatoires mme pour voyager au sein de l'UE), les bnficiaires de la protection subsidiaire n'y ont droit qu'une fois qu'ils ont atteint le statut illimit. Les droits accessibles tous les trangers en situation rgulire (comme le droit de vote aux communales au bout de cinq ans de rsidence en Belgique31, la naturalisation et le droit d'tablissement32 au bout de cinq ans de sjour illimit) sont bien entendu galement accessibles aux bnficiaires de la protection subsidiaire. En ce qui concerne la naturalisation cependant, les conditions diffrent pour les rfugis : ceux-ci peuvent demander tre naturaliss au bout de deux annes de sjour lgal, tandis que les bnficiaires de la protection subsidiaire doivent avoir leur rsidence prinsipale en belgique depuis plus de trois ans avant de pouvoir le demander. Obtenir la nationalit belge prsente une scurit juridique accrue :Les rfugis acquirent trs souvent la nationalit belge du fait bien sr de la procdure facilite qui leur est offerte, mais aussi certainement afin de (re)trouver la protection dun statut leur assurant de pouvoir rester lgalement en Belgique et/ou de ne pas risquer dtre renvoys vers leur pays dorigine et/ou de pouvoir rentrer

29 qui, outre les conditions d'octroi du statut de rfugi et de la protection subsidiaire, dfinit aussi les droits qui y sont attachs 30 L'arrt royal du 9 juin 1999 (modifi aprs la rforme de 2006) relatif l'occupation des travailleurs trangers prvoit l'octroi du permis C aux personnes bnficiant de la protection subsidiaire. (DOYEN, 0709/06) 31 introduit par la rvision de l'article 8 de la Constitution qui avait t impose par l'tablissement d'une citoyennet europenne (prvue par le Trait de Maastricht et octroyant le droit de vote et d'ligibilit aux ressortissants des tats membres aux lections locales) 32 Ltranger qui bnficie dun sjour dure illimite depuis cinq ans peut, en principe, bnficier de ltablissement. Dans ce cas, il lui est dlivr une carte didentit dtranger (C.I.) valable cinq ans et renouvelable. Ltranger qui bnficie de ltablissement est mieux protg contre lloignement du territoire que ltranger qui ne bnficie que du sjour. Alors que ltranger tabli ne peut faire lobjet que dun arrt royal dexpulsion en cas datteinte grave lordre public, ltranger sjournant peut, en principe, faire lobjet dun arrt ministriel de renvoi pour atteinte (simple) lordre public. (CARLIER-REA, 2001, 18-19)

17

temporairement dans leur pays dorigine avec lassurance de disposer dune possibilit de retour en Belgique. (CECLR 2009, 86)

La Belgique semble vouloir emprunter la voie du durcissement des conditions daccs la nationalit et de lextension du champ dapplication de la dchance de nationalit. Un avant-projet de loi cet effet a en tout cas t approuv. (Le Soir, 4-5/04/10)

5. Les critres de retrait et d'abrogationUne fois le statut octroy, il peut encore, dans les dix premires annes, tre retir moyennant des conditions relativement strictes, et dont la preuve est la charge des instances d'asile. Le CGRA a donc galement dans ses fonctions la dcision de retrait et dabrogation (cessation) du statut de rfugi ou de la protection subsidiaire. (GELEYN a) Le ministre de l'Intrieur et son dlgu, l'Office des trangers bnficient galement, outre le droit d'injonction33, du droit de faire examiner par le CGRA le retrait du statut octroy antrieurement.En application de larticle 49/2 4, le Ministre ou son dlgu peut, au cours du sjour limit de l'tranger, demander au Commissaire gnral aux rfugis et aux apatrides d'abroger ou de retirer le statut de protection subsidiaire accord l'tranger, conformment l'article 57/6, 4 ou 6 ainsi que pendant les dix premires annes, conformment l'article 57/6, 7. Le Commissaire gnral aux rfugis et aux apatrides rend dans ce cas une dcision motive dans un dlai de soixante jours ouvrables. (OE, 174)

Pour quels motifs le statut peut-il tre enlev au bnficiaire? Le CGRA ( qui la dcision revient toujours) peut dcider du retrait ou de l'abrogation de la protection subsidiaire dans les cas prvus larticle 57/634. Ces mesures peuvent ainsi tre prises durant le sjour limit du bnficiaire (soit les cinq premires annes du sjour dater de l'introduction de la demande), l'gard d'une personne pour qui la protection subsidiaire ne se justifie plus sur base des articles 55/2 et 55/4 de la loi (il s'agit alors d'une abrogation) ou d'une personne qui aurait d tre exclue sur base des articles 55/2 et 55/4 de la loi (retrait). Les articles 55/2 et /4 concernent les cas dexclusion mentionns au point 3 : crime contre l'humanit, crime grave, agissements contraires aux principes de l'ONU. La protection subsidiaire peut aussi tre retire, dans les dix premires annes de sjour du33 qui lui permet de demander au CGRA d'examiner certaines demandes prioritairement (dans les quinze jours) s'il existe selon lui un doute quant aux motifs de ces demandes (par exemple sil y a un afflux subit et inexplicable de demandeurs dasile venant dune certaine rgion, qui laisse supposer quun rseau de trafic dtres humains a t mis sur pied ) (OE, 174) 34 plus prcisment, les numros 4, 6 et 7 de l'alina 1er de l'article 57/6 de la loi trangers

18

bnficiaire, l'gard d'une personne bnficiant de la protection subsidiaire et qui la protection a t reconnue sur base de faits quelle a prsents de manire altre ou quelle a dissimuls, de fausses dclarations ou de documents faux ou falsifis qui ont t dterminants dans loctroi de cette protection ou de ltranger dont le comportement personnel dmontre ultrieurement labsence de crainte de perscution dans son chef (par exemple en cas de retour volontaire dans le pays d'origine, pour une longue dure et sans raison valable) (GELEYN b & SAROLEA, 2008, 299). Larticle 55/5 de la loi prvoit galement que le statut de protection subsidiaire qui est accord un tranger cesse lorsque les circonstances qui ont justifi l'octroi de cette protection cessent d'exister ou ont volu dans une mesure telle que cette protection n'est plus ncessaire. Il convient cet gard d'examiner si le changement de circonstances qui ont conduit l'octroi du statut de protection subsidiaire est suffisamment significatif et non provisoire pour carter tout risque rel d'atteintes graves (GELEYN b). Durant le sjour limit du bnficiaire, le ministre peut ainsi demander au Commissaire gnral de retirer le statut octroy sur base de l'volution de la situation au pays d'origine (BERNARD, 03/08). Cela aurait par exemple pu tre le cas pour les Ivoiriens, qui ont obtenu la protection subsidiaire ds son introduction en droit belge (ils faisaient alors partie de la catgorie des inloignables), tant donn l'apaisement de la situation en Cte d'Ivoire (v. ce sujet le cas de Dedi, en p.33). Cela ne s'est pourtant pas produit et les bnficiaires ont gard leur statut. An Maes, responsable du service juridique du Comit Belge d'Aide aux Rfugis, explique que :De toute vidence, bien que la protection subsidiaire sur base de larticle 48/4 2, c de la Loi des Etrangers ne soit plus accorde aux Ivoiriens, elle n'est pas retire ceux qui l'avaient obtenue l'poque. () Il faut faire une distinction entre le statut de sjour, li la protection subsidiaire, qui est en effet renouvelable chaque anne (comptence de lOE), et les statuts protection subsidiaire qui ont un effet acquis tant que le CGRA ne les a ni retirs ni abrogs. (...) De plus, ce n'est parce que telle catgorie de demandeurs cesserait de se voir octroyer le statut de protection subsidiaire que les conditions seraient ipso facto runies pour commencer abroger des statuts prcdemment octroys. Les conditions mises l'abrogation d'un statut de protection sont en effet relativement exigeantes (art. 55/5 de la Loi des trangers) () Ce que l'OE peut faire (selon lart. 49/2 4 de la Loi des trangers), c'est ventuellement de demander officiellement au CGRA de rexaminer la validit d'un statut de protection subsidiaire, ce qui oblige le CGRA se prononcer nouveau et officiellement dans les 60 jours. Mais aprs vrification auprs du CGRA, l'OE na jamais soumis pareille demande au CGRA. (MAES, 31/05/10)

Cet article concernant l'actualit du risque aprs l'obtention de la protection n'a pas son 19

quivalent pour le statut de rfugi. Ceci dnote la filiation entre la protection subsidiaire et la protection temporaire, un mcanisme europen en cas d'afflux massif de demandeurs venant d'une mme rgion.

6. ConclusionOn peut conclure de ce chapitre que de nombreuses conditions prsident l'octroi de la protection subsidiaire qui, bien qu'elles soit la plupart du temps ncessaires et lgitimes, en rduisent forcment le champ d'application. Il faut bien dire qu'en face de l'objectif de base affich par la Commission europenne en 1998, qui tait d'offrir une protection aux victimes de violations systmatiques ou gnralises des droits fondamentaux (BULTEZ, 03/08), le rsultat semble bien ple. Lors de lentre en vigueur de la directive europenne [Qualification], en octobre [2006], le HCR rappelait dailleurs aux 27 que cette directive ne contient "que des normes minimales". Il leur recommandait vivement "doffrir des normes de protection plus leves". Ce message nest apparemment pas pass en Belgique (DEGRYSE, 01/09/07). Pire, certains lments de la loi belge outrepassent le droit europen ou international en affaiblissant la porte de la protection. Sophie Bultez, juriste au CIRE, juge regrettable que le lgislateur belge nait pas utilis davantage de la possibilit qui lui tait donne de prvoir des conditions plus favorables celles prvues par la directive afin dlargir la porte de cette nouvelle protection ou de faciliter son octroi. Il sest mme montr moins favorable en excluant les personnes invoquant une situation de maladie grave de la procdure doctroi de la protection subsidiaire. Il semble que le processus lgislatif ait t principalement guid par la volont de ne pas se montrer plus gnreux que les Etats voisins et par la crainte dtre envahis par les personnes qui abusent de la procdure dasile. Cependant, les droits accords au bnficiaire de la nouvelle protection ne diffrent pas fondamentalement de ceux accords au rfugi reconnu ; mais ceci uniquement tant que l'article 55/5 (retrait du statut li la rvaluation de l'actualit du risque) ne sera pas appliqu (comme c'est actuellement le cas en Belgique). Le systme du sjour limit offre en effet une couverture juridique moins efficace au bnficiaire de la protection subsidiaire.

20

CHAPITRE 2 : DANS LA PRATIQUE1. ChiffresNous tenterons ici de donner une vision globale de l'ampleur de la nouvelle protection subsidiaire en Belgique. Les lignes qui suivent sont crites partir des statistiques d'asile du CGRA de 2004 septembre 2010 (CGRA 2006 ; CGRA 2007 ; CGRA 2008 ; CGRA 2009b ; CGRA 2010a & CGRA 2010b). Nous avons choisi de ne prsenter que les chiffres des dcisions en premire instance (c'est-dire les dcisions du CGRA). En effet, une comparaison des taux de reconnaissance d'anne en anne serait malaise, dans la mesure o l'instance charge du recours a chang entre l'entre en application de la protection subsidiaire (octobre 2006) et aujourd'hui (la Commission permanente de recours des rfugis a t remplace par le Conseil du contentieux des trangers partir du 1er juin 2007)35.

1.1. Octrois et retraits de la protection subsidiaireConcrtement, sur les 9.635 dcisions prises entre janvier et septembre 2010 (inclus), le CGRA a reconnu 504 statuts de protection subsidiaire. Ceux-ci venaient, pour 282 d'entre eux, d'Irak, 164 d'Afghanistan, 22 de Somalie, 7 de Guine, 5 du Soudan et 5 d'rythre, 4 de Palestine, 4 du Congo RD. 8 taient de nationalit indtermine. Dans l'ensemble des refus en 2010, il y a eu 21 exclusions du statut de la protection subsidiaire, dont 15 excluaient galement le demandeur du statut de rfugi. Les six autres (excluant le demandeur uniquement de la protection subsidiaire) dcoulaient donc plus que probablement du critre d'exclusion auteur d'un crime grave (sans autre circonstance) que nous avons voqu en page 15. Quant aux retraits et abrogations du statut de protection subsidiaire, 2010 a jusqu' prsent compt un retrait (le CGRA n'en a pas prcis la cause) et une abrogation36. Il y a eu 12 retraits, pour fraude37, en 2009. Sur le total des dcisions prises par le CGRA en 2010, 5,2% octroyaient la protection35 Le CCE n'a ainsi derrire lui que deux annes judiciaires compltes et est toujours en phase de consolidation. Les dtails de ses dcisions ne sont disponibles que depuis cette anne (pour ses dcisions 2008-2009). De plus, les chiffres de ses dcisions ne sont pas dlivrs sur base mensuelle comme le fait le CGRA (ce qui nous permet d'avoir les chiffres des dcisions en premire instance des neuf premiers mois de 2010). Pour information, les dcisions de plein contentieux du CCE pour l'anne 2008-2009 se chiffrent 5.224, dont 119 octroyaient la protection subsidiaire (2,3% des dcisions) (CCE, 58). Le taux d'octroi de la protection subsidiaire en recours est donc, jusqu' prsent, plus bas qu'en premire instance, comme nous allons le voir dans les lignes qui suivent. 36 le statut ne se justifie plus . V. p.18. 37 Le statut peut tre retir la personne bnficiant de la protection subsidiaire et qui la protection a t reconnue sur base de faits quelle a prsents de manire altre ou quelle a dissimuls, de fausses dclarations ou de documents faux ou falsifis qui ont t dterminants dans loctroi de cette protection . (SAROLEA, 2008, 297)

21

subsidiaire (contre 15,2% qui reconnaissaient le statut de rfugi)38. Cela reprsente 25,5% des rponses positives 2010 (le reste octroie le statut de rfugi). Pour comparaison, dans l'ensemble de l'Union europenne ( 27), en 2009, les 29.915 octrois de protection subsidiaire reprsentaient 9,4% des dcisions rendues, et une proportion nettement plus importante des reconnaissances de protection internationale : prs de 38% (EUROSTAT) (v. les graphiques en annexes 3.9 et 3.10, p.59). Depuis son introduction et jusqu' septembre 2010 inclus, la protection subsidiaire a t octroye en Belgique 1.419 personnes. Ceci reprsente toujours moins que les 1.889 rfugis reconnus pendant l'anne 2009. Depuis 2008, 14 statuts de protection ont t retirs, tous pour fraude, face 69 statuts de rfugi (galement pour fraude), soit un peu plus du quadruple. Si l'on fait la moyenne des chiffres de 2008 et 2010, le statut de rfugi est accord approximativement quatre fois plus que la protection subsidiaire, ce qui donne une rpartition des statuts similaire dans les octrois et dans les retraits. On peut donc se permettre de penser que les bnficiaires de la protection subsidiaire ne sont pas plus exposs aux retraits que les rfugis reconnus. On ne compte par ailleurs pas de retrait sur base de l'article 55/539.

1.2. volution de la protection subsidiaire et analyseLe point prsent montre l'volution de la protection subsidiaire, mais s'intresse surtout aux variations du total des dcisions d'asile en premire instance depuis l'introduction de la nouvelle protection en octobre 2006. Nous tenterons d'en tirer une conclusion sur son impact sur la protection internationale : la protection subsidiaire est-elle privilgie au dtriment du statut de rfugi, cens rester prioritaire et offrant plus de garanties juridiques (c'est--dire risque-t-elle de rduire le droit d'asile)40, ou permet-elle d'tendre le champ de la38 Ce rapport des dcisions d'octroi sur le total des dcisions est trs lgrement fauss : en effet, l'ensemble des dcisions que peut prendre le CGRA ne se limite pas aux rponses ngatives ou positives (octroi du statut de rfugi ou de la protection subsidiaire) faites aux demandes d'asile. Les dcisions de retrait et d'abrogation en font galement partie. Pourtant elles ne concernent pas des demandes d'asile, mais bien des statuts obtenus auparavant. Or l'intrt d'un rapport des dcisions positives sur le total des dcisions est de dterminer le taux de rponses positives faites aux demandes d'asile. Cependant, le biais que ces dcisions de retrait et d'abrogation entrane n'est pas fondamental et n'empche pas de se faire un ordre d'ide. 39 lorsque les circonstances qui ont justifi l'octroi de [la protection subsidiaire] cessent d'exister ou ont volu dans une mesure telle que cette protection n'est plus ncessaire (GELEYN b) 40 Rappelons que ceci constituait une crainte des associations de dfense des droits des trangers avant l'introduction de la protection en 2006 (v. ORUBA, 01/09/07 & BULTEZ, 03/08). Une tude de droits compar de 2002 remarquait d'ailleurs que les tats membres de lUnion europenne qui ont adopt un statut de protection subsidiaire dans leur lgislation nationale ont, en mme temps, procd une interprtation restrictive de la Convention de Genve et accord le statut de rfugi un nombre dcroissant de demandeurs dasile (BULTEZ, 03/08). La part importante que prend la protection subsidiaire dans les reconnaissances de l'ensemble de l'UE permet de penser que cette situation perdure, mme si la directive Qualification de 2004 a confirm la primaut du statut Genve (statut de rfugi).

22

protection offerte par l'tat plus de personnes? Pour une meilleure visualisation, nous avons ralis des graphiques partir des chiffres dlivrs par le CGRA, que vous pouvez trouver en annexes 3.4, 3.5 et 3.6 ( partir de la page 55). Pour l'analyse de ces chiffres, nous nous sommes bass sur les rapports statistiques et dmographiques 2008 et 2009 tudiant les migrations et les populations issues de l'immigration en Belgique, publis par le Centre pour l'galit des Chances et la Lutte contre le Racisme (CECLR) (CECLR 2009, 59-87 & CECLR 2010, 34-40). Comme on peut le voir dans nos graphiques, les octrois de la protection subsidiaire augmentent chaque anne, mais la croissance de cette courbe est assez faible partir de 2008, o la protection subsidiaire semble relativement installe un demi-millier d'octrois par an et 5% du total des dcisions. Par contre, on constate une baisse significative, entre 2005 et 2010, du total des reconnaissances (les deux statuts confondus). Nous attirons particulirement votre attention sur le graphique 3.5, qui prsente les pourcentages de diffrentes dcisions sur le total des dcisions prises chaque anne ; celui-ci ne prend en effet pas en compte les fluctuations du nombre de demandes et de dcisions. On voit sur ce graphique que le taux de reconnaissance du statut de rfugi entame une chute qui semble se confirmer malgr un lger regain en 2008. Le taux des reconnaissances globales (les deux statuts confondus) suit la mme courbe descendante, lgrement amortie par la protection subsidiaire. C'est en effet le grand constat tirer de ces chiffres : la protection subsidiaire n'a pas eu pour effet d'largir la protection internationale (en faisant grimper la courbe des taux d'octroi) : le niveau de 2005 n'est en effet dpass que de 0,1% en 2008 (et cette reprise passagre est surtout le fait du staut de rfugi, qui augmente momentanment). Toutes les autres annes, on est en-dessous. Cette chute n'est bien entendu pas mettre sur le dos de la nouvelle protection, mais on peut dire en tout cas que celle-ci n'y change pas grand-chose. La protection subsidiaire est en effet d'ampleur trs modeste compare au nombre d'octrois de statut de rfugi. Ce dernier lment est bien entendu plutt positif : le statut de Genve reste prioritaire. Cependant, les donnes de l'anne 2010 (graphique 3.6) poussent se demander si la part de 20% de protection subsidiaire dans les octrois ne pourrait pas encore augmenter. Pour revenir aux mouvements du taux de reconnaissances globales, notons que celui-ci est le rsultat de plusieurs facteurs. Le CECLR explique principalement les fluctuations des taux d'octroi par l'arrive de certaines populations41, auxquelles on reconnat plus ou moins l'un41 Par exemple, Aprs une lgre croissance de 2000 2003, le nombre de reconnaissances a fortement cr en 2004 et 2005, principalement cause de laugmentation du nombre de protections internationales octroyes des rfugis russes dorigine tchtchne (...). La rduction du nombre de reconnaissances octroyes aux Russes a fait chuter les dcisions positives en 2006. (CECLR 2010, 37-38)

23

ou l'autre statut42. Le volume total des demandes d'asile a galement tendance faire baisser le taux de reconnaissance43, et nous sommes prcisment dans une priode de regain (relatif) en termes de demandes (v. annexes 3.7 et 3.2). Le CECLR rsume ainsi les deux analyses principales qui s'opposent concernant la diminution du taux de reconnaissance depuis 2005 et 2008 :Pour les uns, il sexplique par une augmentation du nombre de demandes infondes due aux conditions daccueil favorables en Belgique et parasites par certains. Pour les autres, il sexplique par une plus grande rigueur dans lapplication des critres de reconnaissance ou par un dcouragement gnralis des demandes (fondes comme infondes). Encore une fois, lvolution du nombre de demandes nest pas due qu un seul facteur (le dveloppement de crises politiques majeures dans certaines parties du globe ou laccroissement immodr des demandes infondes). La stabilit du nombre de reconnaissances nest pas due la seule stabilit du nombre de demandes fondes, puisque la situation internationale gnre des flux que lon doit considrer comme indniablement une fuite devant des crises majeures. Cette stabilit des reconnaissances doit donc tre due, pour partie soit une volution vers plus de rigueur de procdure dexamen, soit au dcouragement dun certain nombre de demandeurs (ayant des raisons fondes ou non fondes de demander lasile). Si certains demandeurs profitent de la crise gnrale du systme dasile, ils accompagnent des personnes fuyant des crises qui nont rien dconomique. (CECLR 2009, 70-72)

La protection subsidiaire est un des facteurs de l'volution du taux global d'octroi. L'augmentation des reconnaissances en 200744 est en effet lie lapparition de la protection subsidiaire :En 2007, le nombre de dcisions positives est finalement nouveau la hausse avec plus ou moins 2.600 dcisions positives [2.122 sans les recours]. Malgr les 42 Certains avocats et militants des droits des trangers nhsitent pas affirmer que les taux dadmission et leur rpartition selon lorigine du demandeur relvent de politiques pr-tablies et de quotas. De mme, certaines populations bnficieraient dun taux dadmission plus important en recours (VAN DER PLANCKE, 27/04/09 ; v. aussi le rcit d'un ex-demandeur d'asile en p.70). Indiffremment la nationalit, la constance relative des dcisions positives (v. l'annexe 3.8) permet en tout cas de se poser des questions. 43 Le CECLR explique ainsi que de 1996 2003, le nombre de reconnaissances est rest globalement stable (entre 1000 et 2000) malgr laugmentation du nombre de demandes entre 1998 et 2000. Durant la mme priode, la suite de laugmentation trs nette du nombre de demandes, cest surtout le nombre de dcisions ngatives qui a cr avant de progressivement diminuer jusqu 2004 (CECLR 2008, 68). V. le graphique 3.8 en p.58. Un des effets de ceci mrite une attention : pour certaines nationalits comme les Congolais et les Iraniens (qui sont parmi les plus nombreuses parmi les demandeurs), alors mme que la situation nvolue que lentement dune anne lautre, les taux de reconnaissance seffondrent lorsque le nombre global des demandes augmente. Dans le cas des Congolais, lvolution est particulirement intressante suivre, car, contrairement aux Iraniens, 1999 et 2000 ne voient pas augmenter le nombre de demandeurs dasile en provenance de la R.D.C. Ainsi, les Congolais (les exemples pourraient tre multiplis) sont pnaliss par laugmentation du nombre de demandeurs dautres nationalits (qui peuvent tre infonds) alors mme que leur nombre est stable et que la situation dans leur pays ne se renverse pas. Par ailleurs, lorsque le nombre de demandes diminue, les taux de reconnaissance r-augmentent, mais des niveaux bien infrieurs la priode ayant prcd la crise. (CECLR 2009, 72). 44 L'augmentation de 2008, en revanche, suit surtout celle du statut de rfugi, de trs courte dure.

24

apparences, cette reprise est davantage le rsultat de la rforme de la procdure dasile que dune relle augmentation des dcisions positives. En effet, elle rsulte de lapparition de dcisions doctroi dune protection subsidiaire en 2006 (les premires dcisions doctroi de ce type de protection datent doctobre 2006). De ce fait, on a connu temporairement la fin de lanne 2006 et au dbut de lanne 2007 un fort effet de rattrapage qui explique la croissance des dcisions positives en 2007. (CECLR 2009, 74)

Malheureusement, cet effet d'accroissement de la protection internationale ne s'est pas poursuivi : la protection subsidiaire n'est pas parvenue largir le droit d'asile.

1.3 ConclusionOn voit que la protection subsidiaire est d'ampleur trs modeste (surtout si l'on compare avec le nombre de demandes), malgr son augmentation continue. Son impact sur la protection internationale n'est pas bien fameux : au mieux, elle en amortit la chute. Face un statut de rfugi en baisse constante45, la protection subsidiaire fait en Belgique figure de rustine , offrant une protection de rechange un faible nombre des laisss pour compte de Genve. L'avenir dira si elle finira par prendre tout le champ laiss par un asile en dclin, voire mme si elle ne sert pas justifier ce recul. C'est la situation qui se dessine dans le reste de l'Union europenne, o de nombreux pays privilgient fortement la protection subsidiaire au statut de rfugi. Rien ne prouve que sans la seconde option que constitue la protection subsidiaire, les taux de reconnaissance du statut de rfugi de ces pays seraient suprieurs. Mais le fait est que la protection subsidiaire semble sur le point de supplanter ce qui devrait rester le pilier du droit d'asile. Quant la situation en Belgique, la nouvelle protection n'empche en tout cas pas la protection internationale de s'amenuiser.

2. Vcu : 5 cas rencontrsAfin de prsenter la ralit vcue de la protection subsidiaire, nous avons rencontr cinq dbouts ou bnficiaires de celle-ci. Ils rentrent tous, du moins leurs propres yeux et si l'on admet la vracit de leur rcit, dans le deuxime ou le troisime type d'atteintes graves vises par la protection subsidiaire. Il s'agit donc, soit de personnes craignant la torture ou des traitements inhumains ou dgradants du fait de pratiques policires abusives, daccusations arbitraires ou de la situation sanitaire du pays, soit de personnes craignant pour leur vie ou leur personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit arm . Nous n'avons pas rencontr de dbout ou de bnficiaire rentrant dans le premier type d'atteintes graves : la peine de mort ou l'excution. Les personnes rentrant dans ce premier cas sont en effet moins45 nous vous renvoyons aux graphiques 3.7 et 3.5 ; on constate en effet que, pass le creux des annes 19982003 (qui rpond un afflux indit des demandes, comme on peut le voir sur le graphique 3.1), le taux d'octroi du statut de rfugi plonge partir de 2005. La perte d'importance du statut de rfugi est plus frappante encore en chiffres absolus (v. graphique 3.4).

25

nombreuses car elles se voient rarement refuser le statut de rfugi (auquel la protection subsidiaire est subordonne). Une des personnes que nous avons rencontres reprsente le cas des demandeurs rentrant dans les critres pour la rgularisation mdicale (sur base de l'article 9 ter), carts de ce fait de la protection subsidiaire. Les dboires de cette jeune femme ne sont pas gnralisables tous les 9 ter , mais illustrent les failles du systme de protection belge : la rgularisation lui ayant t refuse, cette jeune femme sans papiers n'a ainsi droit qu' l'aide mdicale urgente. Le dernier de nos interlocuteurs reprsente pour sa part une population dfinie pour laquelle le CGRA a fix qu'il n'y avait pas de risques d'atteintes graves (en raison d'une violence aveugle), malgr que sa rgion d'origine soit en guerre. Ces cinq exemples permettront de nous reprsenter ce que signifie, dans la vie des premiers concerns, la protection subsidiaire : comment elle est vcue, ce qu'elle reprsente, comment elle est comprise. Ces entretiens soulveront en outre des points o la pratique s'loigne de la thorie.

2.1 DawoudDawoud (il s'agit d'un prnom d'emprunt) est un Afghan de l'ethnie Hazara. Il a 22 ans et est arriv en Belgique il y a quatre ans, pour chapper la violence qui rgne dans sa rgion d'origine, le Sud de l'Afghanistan, zone hautement dangereuse du pays (v. en annexe 1.3, p.50). Son rcit complet se trouve aux pages 60 64 en annexe. Il a introduit trois demandes d'asile avant de se voir accorder la protection subsidiaire, en recours. Son cas correspond au point c) de l'article concernant la protection subsidiaire, soit les menaces graves contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit arm interne ou international . La premire constatation que l'on peut tirer de la situation de Dawoud est que l'octroi de la protection subsidiaire sur base du point c) (qui ne demande pas d'tre vis directement, comme c'est le cas des deux autres points46), n'est pas automatique, mme pour un demandeur dont l'origine (d'une zone dclare en proie une violence aveugle) est certaine. L'origine de Dawoud n'tait en effet pas sujette caution, et ce encore moins partir de sa seconde demande, o il a apport sa carte d'identit, et lors de la troisime, o il a fait valoir comme lment nouveau un passeport qu'il venait de demander cette fin au gouvernement afghan. La clause de non-retour est pourtant de mise pour les Afghans de la rgion dont vient Dawoud47.46 mme si le demandeur doit prouver l'impact de cette violence arbitraire sur sa propre vie ou sa personne 47 mais pas pour toutes les rgions d'Afghanistan : des Afghans continuent en effet d'tre expulss vers leur pays d'origine. Lors d'une petite manifestation rclamant le gel des expulsions des Afghans ainsi qu'une application plus souple de la protection subsidiaire, en fvrier 2010, le porte-parole de la CRER (Coordination contre les Rafles, les Expulsions et pour la Rgularisation) Oscar Flors dclarait : En Italie,

26

La raison des refus adresss Dawoud serait ses contradictions d'une dclaration l'autre. Cela s'explique, selon le jeune homme, par le biais introduit par la traduction depuis sa langue natale, le dari. Pourtant, partir de sa deuxime demande, Dawoud savait parler le franais, au moins des rudiments, mais il tait face des interrogateurs nerlandophones et avait donc toujours besoin de son traducteur, un Pachtoun, ethnie avec laquelle les Hazaras ont de frquents conflits. J'ai signal le problme lors de ma deuxime demande, nous dit-il, mais on m'a rpondu que je n'avais pas le choix : c'tait cet interprte-l ou rien. Mais dans un cas comme une demande d'asile, nos petites incomprhensions avaient de grandes consquences. Les demandes afghanes, par dcision de l'Office des trangers, sont en fait toujours traites par le CGRA en nerlandais. Une premire chose est que le choix de cet interprte par le CGRA pose question, tant donn les conflits ethniques, linguistiques et religieux qui dchirent l'Afghanistan et les nombreux dialectes qui s'y parlent. Une seconde est l'incohrence entre les dcisions du service Dispatching de Fedasil (qui dsigne un centre d'accueil aux demandeurs) et celles de l'Office des trangers (qui, lors de l'enregistrement de la demande, dcide de la langue de la procdure, franais ou nerlandais) : la demande de Dawoud a t traite en nerlandais, mais celui-ci a t envoy Namur. Or, la procdure ne trouvant pas d'issue favorable, Dawoud est rest, de demande en demande, plusieurs annes en Wallonie et y a appris le franais. Et pourtant, ses seconde et troisime demandes ont continu tre traites du ct nerlandophone, l'Office des trangers refusant de changer la langue de la procdure pour Dawoud, malgr ses requtes (informelles). Je trouve ce systme absurde, se lamente le jeune homme : j'ai justement appris la langue d'ici pour pouvoir parler moi-mme, pour viter l'interprte, puisque mes dclarations taient dformes par sa traduction. Et ce n'est pas moi qui ai choisi entre le ct francophone et nerlandophone . Lors de sa troisime demande, Dawoud a cependant parl en franais au moment du dpt de sa demande l'OE et lors de l'audition au CGRA. Le CGRA a toutefois tenu compte des dclarations prcdentes de Dawoud dans son examen, alors que c'tait justement pour corriger ses dernires dclarations que Dawoud s'exprimait cette fois lui-mme. Il a fallu un recours pour que la crdibilit du jeune homme soit admise et son besoin de protection rencontr. Le CCE, responsable des recours, estime en effet que, pour ce qui concerne le point c) de la protection subsidiaire, le manque de crdibilit individuelle ne reprsente pas85% des Afghans bnficient de la protection subsidiaire contre 17% en Belgique. La protection subsidiaire est restreinte en Belgique en raison de son interprtation. On dfend aux Belges de se rendre en Afghanistan mais on expulse des Afghans. C'est absurde . Le secrtaire d'Etat la Politique de migration et d'asile Melchior Wathelet se dfendait en expliquant que ces personnes avaient fait l'objet d'une dcision des instances d'asile prise au cas par cas, et ajoutait : on ne renvoie un Afghan dans son pays que si on obtient la garantie que sa vie ne sera pas menace . (BELGA b)

27

ncessairement un obstacle loctroi dune protection sur la base de [larticle 48/4, 2 c, de la loi sur les trangers, qui vise les cas de conflit arm], pour autant que lorigine du demandeur soit certaine, et bien entendu, que la situation dans sa rgion dorigine corresponde une violence aveugle en cas de conflit arm interne ou international (CCE, 82). Une deuxime constatation gnrale est donc que le facteur dclarations contradictoires , donc l'apprciation de la crdibilit, joue un rle trs important, mme pour le point c) de la protection subsidiaire. La crdibilit du demandeur n'est de plus pas apprcie avec la prcaution qui s'impose en cas de traduction : il n'est en effet pas trs compliqu d'imaginer qu'une traduction puisse introduire un biais dans les dclarations d'un demandeur. Cela laisse penser que le CGRA se base sur des dtails et agit de manire trop stricte lors de la dcision de l'octroi ou du refus de la protection subsidiaire (ceci s'applique videment au statut de rfugi aussi). On peut constater aussi en lisant le rcit de Dawoud (et ceci s'applique d'autres de nos interlocuteurs) qu'il y a une comprhension lacunaire de la procdure parmi les demandeurs, premires personnes concernes par celle-ci. Les confusions entre les diffrentes instances sont frquentes dans le rcit du demandeur, et on peut imaginer que cela soit plus difficile encore pour une personne qui n'est pas en Belgique depuis aussi longtemps et ne parle ni le franais ni le nerlandais. Certaines questions qu'il se pose ouvertement lors de l'entretien touchent des points qui ont un impact important sur sa situation : il pense par exemple que lOffice va vrifier chaque fois la situation l-bas en Afghanistan, quand jirai faire renouveler ma carte . En fait, l'Office des trangers peut demander au CGRA de rexaminer la situation d'un pays ou d'une rgion, mais c'est bien le CGRA qui procde cet examen et qui dcide de laisser ou de retirer le statut. L'OE dlivre les titres de sjour, mais il serait impensable qu'il ne les dlivre pas pour une personne reconnue au statut de protection subsidiaire. Le r-examen par le CGRA n'est pas non plus automatiquement opr, chaque anne, pour chaque demandeur. De fait, aucune abrogation du statut de protection subsidiaire sur base de larticle 55/548 n'a eu lieu ce jour (MAES, 31/05/10). Les chiffres des abrogations de ce statut et leurs causes, bien qu'ils soient disponibles sur le site du CGRA, ne sont pas connus des demandeurs d'asile et nouveaux bnficiaires, et aucun effort ne semble tre fait pour diffuser cette information au public des nouveaux bnficiaires.

48 qui prvoit que le statut de protection subsidiaire qui est accord un tranger cesse lorsque les circonstances qui ont justifi l'octroi de cette protection cessent d'exister ou ont volu dans une mesure telle que cette protection n'est plus ncessaire

28

Enfin, Dawoud dclare qu'il aurait prfr obtenir le statut de rfugi, bien qu'il semble avoir trs bien compris qu'il ne rentre pas dans les critres pour se rclamer du statut de rfugi, mme pour des perscutions lies son appartenance un groupe social. Le jeune homme regrette en effet de ne pas obtenir le sjour illimit directement, et ce d'autant plus qu'il est en sjour rgulier (la demande d'asile donnant droit un sjour limit renouvelable le temps de la procdure) depuis quatre ans. Ses trois premires annes ne seront en effet pas prises en compte dans le dlai de cinq ans dater de l'introduction de la demande : le compte dmarre en effet au dpt de la demande qui a vu le statut de protection subsidiaire accord. Cependant, Dawoud accepte aussi l'ide d'un retrait de son statut en cas d'volution miraculeuse de la situation en Afghanistan : il prfre vivre chez lui. Mais il craint d'tre expuls alors que la situation qui l'a pouss fuir n'est pas rsolue. Il se tient au courant des expulsions d'Afghans et affirme qu'un dbout renvoy en Afghanistan serait depuis son retour tomb dans les mains des talibans . Il pense cependant, raison, qu'il y a peu de chances que le CGRA lui retire la protection subsidiaire. Pour terminer, on peut constater que le CGRA ne fait pas systmatiquement usage de la notion d' asile interne 49 pour dbouter des demandeurs de la protection subsidiaire pour les cas de conflits arms qui ne sont pas rpandus dans tout le pays. De nombreux ressortissants d'autres rgions d'Afghanistan que le Sud ne sont en effet pas reconnus comme subissant une violence aveugle (v. le cas des Kaboulis p.36). Nous vous renvoyons cependant la p.90, annexe 4.6, o l'on peut constater que la protection est accorde, entre autres, parce qu'il est admis qu'il n'existe pas de relle alternative de fuite interne .

2.2 ChristianChristian (prnom d'emprunt) est un Camerounais de 32 ans, arriv en Belgique il y a un peu plus de cinq ans. Son rcit complet se trouve aux pages 64 71 en annexe. Christian a quitt son pays suite la dcouverte malheureuse d'une affaire de fraude au march public : quand la justice camerounaise a commenc s'intresser de prs une facture anormale venant de l'entreprise o Christian travaillait, son patron lui a fait porter la responsabilit. Le jeune employ a refus de se laisser faire. C'est alors qu'il a t apprhend par les forces de l'ordre qui l'ont maintenu sans mandat pendant deux nuits et l'ont rou de coups en lui faisant comprendre qu'il devait se tenir carreau sur cette affaire. Rvolt, Christian a voulu porter plainte contre son patron auprs d'un service public qui s'occupe de l'emploi. Son interlocutrice lui a fait comprendre qu'il avait affaire une personne autrement plus influente dans l'ombre de son patron, apparemment un ministre, qui s'octroyait lui49 larticle 48/5, 3 de la loi prvoit quil n'y a pas lieu d'accorder la protection internationale lo