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GEISTELGroupe dEtude International sur les Stratgies Territoriales et lEconomie Locale

Prospective territoriale et dveloppement durableLa place de la prospective dans llaboration des politiques locales et rgionales de dveloppement durable en accompagnement de projets de territoires fonds sur une pratique de gouvernance participative, interactive et partage. Application aux aires urbaines mtropolitaines de Lille et de Marseille.

Rapport de synthse Guy Loinger(Version dfinitive V finale 4 au 28/6/07)

Etude du Geistel pour le PUCA et la D4E/SRP (Titre officiel de ltude : pratique de la prospective et praxologie du dveloppement durable territorialis : vers la notion de gouvernance territoriale globale, stratgique, intgre, participative et interactive). March procdure adapte nCO 04000009-F04-03 du 14 juin 2004 dans le cadre de lappel projet politiques territoriales et dveloppement durable , axe n2 : les mcanismes de mise en uvre dans larticulation spatiale, sectorielle et temporelles des politiques publiques, avec le soutien de la Rgion Nord-Pas-de-Calais, de la ville de Lille et de la Rgion Provence Alpes Cte dAzur.

Sige du GEISTEL : 58 rue Daguerre, 75014 Paris. Tl : 01 45 65 09 98, Fax : 01 45 65 97 02. E mail : geistel @wanadoo.fr

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Sommaire Rsum...5

-1ere partie. Problmatique du dveloppement durable sous langle des logiques temporelles et des dynamiques spatiales, et la place de la prospective comme apport spcifique. ..7-Introduction gnrale. Le dveloppement durable comme principe dthique7 -Chapitre 1. La recherche dans le domaine du long terme. Les travaux situs au croisement de la prospective et du dveloppement durable...17 -Chapitre 2. Prospective et dveloppement durable. Points de convergence, points de divergence..21 -Chapitre 3. La forme territorialise du dveloppement durable. De quoi parle-t-on ? ..27 -Chapitre 4 Lapport de la prospective dans les problmatiques du dveloppement durable territorialis......33 -Chapitre 5. La question des temps longs rtrospectifs en analyse spatio-territoriale41 -Chapitre 6. La place de la prospective dans les tudes de dveloppement durable territorialiss. Cas de la France...47 -1.Les Agendas 21 du point de vue de la prospective...47 -2.Deux cas dtudes vcus de lintrieur . Gironde et Finistre....51 -3. Le cas de laire urbaine de Toulouse58 -Chapitre 7. Prospective et dveloppement durable en Europe. ...70 Le cas du Pays de Galles 67 Le cas de Cambridge......76

-2me partie. Les expriences de terrain. Les agglomrations lilloises et marseillaises.......78 -Chapitre 1.Prospective et dveloppement durable dans le cadre de la mtropole lilloise78 1. Prospective et dveloppement durable en rgion NPDC.78 2. Prospective et dveloppement durable lchelle de lagglomration lilloise .83 3. Une exprience de prospective participative dans le contexte de la mise en uvre oprationnelle des principes du dveloppement durable dans le cadre de la ville de Lille ...96-Chapitre 2. Une exprience de prospective entre techniciens de laire urbaine dAixMarseille centre sur la problmatique du dveloppement durable territorialis107 2.1. Analyses.107 1.Le Dveloppement durable territorial en rgion PACA. 107 2.Donnes de bases sur les logiques de polarisation mtropolitaine ..108 3. Donnes de bases sur les dynamiques urbaines de la rgion urbaine dAix-Marseille ..112 4. Elments danalyse sur les modes de vie dans le contexte des pratiques sociales en milieu urbain priphrique. .115 3

5 Mobilit et organisation urbaine .118 6. Lurbanisme commercial comme facteur structurant du priurbain..119 7.Lagriculture priurbaine . 119 2.2. La construction des scnarios. 122 1. Rsum des tendances.123 2.Les profils des scnarios124 3. Les scnarios Scnario 1. Lindiffrence/soumission aux logiques de non durabilit126 Scnario 2. Adaptation raisonne aux contraintes durbanisation dans le contexte dun processus de mtropolisation amlior...128 Scnario 3. Attnuation des facteurs structurels ngatifs, ou la mtropolisation viable et vivable 131 Scnario 4. Matrise ? dilatation /dpolarisation ou la mtropolisation sans mtropole 133 2.3. Quelles conclusions tirer de ces quatre scnarios ?135 Conclusion de la seconde partie. Commentaires croiss sur Lille et Marseille..144 -Annexe bibliographique. 149

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Rsum Prospective territoriale et dveloppement durable. La place de la prospective dans llaboration des politiques locales et rgionales de dveloppement durable en accompagnement de projets de territoires fonds sur une pratique de gouvernance participative, interactive et partage. Application la question des espaces priurbains mtropolitains. Les cas de Lille et de Marseille La place de la prospective dans la conception, llaboration et la mise en oeuvre de politiques territoriales, rgionales et locales fort marquage de dveloppement durable est tudie autour de deux cls dentres majeures: 1) La connaissance des processus territorialiss dans la longue dure historique et leur projection travers des hypothses sur les futurs possibles, 2) Lexpression collective des enjeux actuels et en devenir, et le rle de la prospective stratgique comme appui mthodologique et domaine dexpertise pour la mise en uvre de politiques territoriales globales, stratgiques, intgres et interactives, articulant troitement les niveaux fonctionnels, conomiques, sociaux et culturels aux diffrentes chelles spatiales allant du global plantaire au niveau local. (Axes principaux : 2 et 3 de lappel projet des politiques territorialises du dveloppement durable). Ltude est applique un champ thmatique, la question des dynamiques priurbaines dans le cadre des espaces urbains mtropolitains. Les deux cas tudis sont les aires urbaines de Lille et de Marseille. La premire partie reprend la question de larticulation de la prospective comme mthode de construction des reprsentations du long terme et de production dun cadre pour llaboration de stratgies publiques fonde sur le dveloppement durable comme vision et comme finalit de laction collective. Elle montre le paradoxe selon lequel le dveloppement durable est une approche de la ralit fortement marque par la prise en considration des logiques temporelles de long terme, sur les risques affrents ces logiques et par des comportements proactifs clairement affichs, alors que la pratique de la prospective comme mthode et instrument pour penser le long terme en mettant en vidence la diversit des trajectoires du possible et du souhaitable nest que peu dveloppe, comme si le fait de penser dveloppement durable suffisait pour produire un discours pratique et stratgique susceptible daller dans cette direction. Dans de nombreuses tudes, notamment dans le cadre de la rdaction des Agendas 21, on saute ltape de lanticipationrflexion, pour passer directement aux constats et la stratgie. Le risque est alors que faute davoir valu correctement les facteurs qui empchent la pense du dveloppement durable de peser sur la ralit, on les sous-estime, on nanalyse pas suffisamment les conditions requises pour faire correspondre les intentions avec une ralit transforme. La prospective, comme outil de connaissance du fait de son caractre systmique, de gouvernance car fortement oriente vers le dbat public, et de laction du fait de son imbrication avec la pense stratgique, devrait tre davantage sollicite. Cette partie se termine par la prsentation de quelques expriences situes en Grande-Bretagne, (Pays de Galle et Cambridge notamment) qui devraient nous faire penser que lactivit de prospective, que lon dsigne par la notion de visioning , est bien davantage entre dans les murs dans les pays anglo-saxons (Etats-Unis compris ) que dans nos contres, souvent frileuses ds lors quil sagit de dbattre collectivement des conditions pour parvenir une forme urbaine compatible avec lesprit du dveloppement durable. Dans cette tude nous avons appliqu les mthodes de prospective la question des dynamiques urbaines et priurbaines des mtropoles, dabord en analysant les volutions des espaces urbains de frange entre les villes centres et les espaces ruraux puis en montrant leur importance croissante, comme rvlateur des mutations globales des espaces urbains en cours. Dans une seconde partie nous avons appliqu les mthodes de prospective participative en mettant en place les conditions pratiques dune activit de prospective, en nous associant un groupe dj constitu dans le cas de Lille, dont la mission est de faire des propositions la mairie de Lille pour conomiser les flux (eau, nergie, matire, transport.), et en crant de toute pice un groupe de travail multi acteur dans le cas de Marseille, sans finalit institutionnelle prcise, mais en se posant la question de savoir comment le dveloppement durable est susceptible dinteragir avec les processus lourds luvre, en montrant quil existe une pluralit de logiques et stratgies du dveloppement durable possible, une palette des possibles, et pas un discours du durable, ce qui ouvre la voie un certain ralisme et une plus juste apprciation des implications de cette vision sur les conditions objectives et subjectives pour aller effectivement dans cette direction.GEISTEL : 58 rue Daguerre, 75014 Paris. Tl : 01 45 65 09 98, Fax : 01 45 65 97 02.E mail : geistel @wanadoo.fr

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Premire partie. Problmatique du dveloppement durable sous langle des logiques temporelles et des dynamiques spatiales, et la place de la prospective comme apport spcifiqueIntroduction gnrale. Le dveloppement durable comme principe thique et politique. La dfinition du dveloppement durable provient dun rapport des Nations Unis de 1987, labor par la Commission Mondiale pour lEnvironnement et le Dveloppement. Le rapport lui-mme sintitule Our commun world , Notre monde commun (ou : notre monde tous ). La dfinition, bien que trs connue, mrite dtre rappele en introduction de ce texte : Un dveloppement durable est un dveloppement qui rpond aux besoins du prsent sans compromettre la capacit des gnrations futures de rpondre aux leurs . Quelques remarques au sujet de cette dfinition-programme. Dfinition vague et gnrale (Emmanuelle TORRE, in Dveloppement durable et territoire qui renvoie plusieurs objectifs, le dveloppement conomique (principe defficacit conomique), non remis en question, sinon dans ses modalits, du moins dans ses finalits, la prservation des ressources naturelles de base, notamment en tant que ressources non ou faiblement reproductibles, lquit sociale dans ses dimensions intergnrationnelle et internationale, notamment entre pays du Nord et du Sud. La dfinition du dveloppement durable correspond une recherche en covolution (E.TORRE) des systmes conomiques, sociaux et cologiques, ou en compatibilit entre ces trois systmes, partir dune hypothse de base qui repose sur le constat dune divergence structurelle entre ces trois systmes ou logiques. Divergence qui risque long terme de crer les conditions dune rupture globale : lconomique qui doit faire face des cots de fonctionnement croissants du fait de lpuisement des ressources naturelles non renouvelables, les cosystmes qui sappauvrissent et se drgulent, la socit doit faire face un phnomne ontologique majeur, savoir la perte relative ou absolue des conditions mmes qui lui permettent de se renouveler, et de se reproduire dune gnration lautre. Le contexte gnral de lexpression de ce principe gnral repose sur une prise de conscience selon laquelle, comme le dveloppe Edgar Morin dans Terre Patrie, la Nature nest plus une ralit en soi qui impose ses lois lHomme, elle est devenue, aprs trois ou quatre sicles dimmense dveloppement des sciences et des techniques dans le champ de lconomie et de la socit, une ralit produite, voire soumise au bon vouloir de lHomme. La Nature nest plus une ralit premire sur et dans laquelle lHomme existe et tente de sadapter, elle est une ralit humanise. LHomme devient de ce fait co-responsable de la nature : la terre est le jardin de lHomme. Sil la nglige, ou la dtruit, ou dilapide ses trsors, il ne pourra que sen prendre lui. La boulimie de lHomme face la Nature, sa tendance, au non du Progrs ou du Dveloppement, la presser comme un vulgaire citron finit par se retourner contre lui-mme. La Terre spuise, ses mcanismes dauto-rgulation finissent par se bloquer ou saltrer, les cots de son entretien, ou des tentatives de restauration en tant que capital naturel, longtemps considrs comme nul par dfinition (la terre comme don du ciel 7

des premiers conomistes classiques) deviennent prohibitifs, voire impossibles. La science et la technique, longtemps destines aider lhomme dans sa recherche en matrise de ses propres aspirations au bien-tre, doivent sorienter vers la cration de ressources de substitution et tenter de rduire ou de limiter les processus de dgradation voire de dvitalisation de la ressource naturelle de base, le jardin plantaire . Le message de la premier Ministre norvgienne la tribune des Nations-Unis, Madame Bruntland de 1987, soit il y a maintenant vingt ans, reste non seulement dactualit, mais prend des allures de signe prcurseur face la dgradation manifeste de la situation cosystmique de la plante, que le film rcent dAl Gore : Une question qui drange traduit parfaitement. Il exige des rponses plus fermes et doit prendre la forme dune injonction moins respectueuse des formes : Le dveloppement durable devient une exigence radicale si lon ne veut pas laisser nos enfants (que dirions nous de nos petits enfants) une Terre malade, la drive, sorte de bateau ivre dans le Cosmos. Il nest pas indiffrent de noter que cette vision a t propose la face du monde du haut dune tribune qui reprsente en quelque sorte lagora de monde, la scne politique majeure du monde. Cela signifie que cette ide (Bertrand Zuindeau) est avant tout un concept politique. Ce nest pas un concept qui reposerait sur une thorisation abstraite de la ralit. Cest lexpression dune vision critique du mouvement du monde qui implique tout dabord dengager un vaste programme de recherche sur le plan scientifique, afin de comprendre ce qui se passe, et ensuite de tenter de trouver des solutions pratiques pour rduire, dans la mesure du possible, les effets ngatifs du processus de dgradation global engag, ce que lon dsigne par la notion dadaptation (rapport de lONERC , Observatoire National des Effets du Rchauffement Plantaire), sur la base des travaux du GIEC-IPCC (Groupe dExpert Intergouvernemental sur lEvolution du Climat), voire pour rduire la source les causes des processus de dgradation cosystmique, ce dont la notion dattnuation rend compte. Ces deux notions apparaissent comme lexpression dune voie moyenne entre deux bornes, lune que nous pourrions dsigner par la notion dindiffrence, au sens dune indiffrence fondamentale face aux volutions globales de la relation Homme-Nature, et lautre extrmit, la notion de matrise, c'est--dire de matrise de la dynamique dvolution de lcosystme plantaire. Cet encadrement des deux notions intermdiaires par celles que nous indiquons ici a pour but de situer la problmatique des rponses (aux questions) par rapport la nature des enjeux. Que se passerait-il si nous ne faisions rien, autrement dit, si laction consciente, volontaire, donc politique, nentrait pas en interaction avec les processus hommenature actuels (homme tant entendu ici au sens des pratiques sociales, ou socio-conomiques spontanes ), et que se passerait-il si laction consciente venait si puissamment contrecarrer les dynamiques actuelles de lhumaine condition que, au terme dun certain processus temporel, la relation Honne-Nature pouvait retrouver lquilibre antrieur, bien que dans une forme historique probablement diffrente. Ce que nous disons ici a pour objectif de situer la problmatique de la recherche en interaction volontaire avec lcosystme plantaire dans le cadre plus large allant de labandon de toute vision ou intention durable sa matrise complte, bien quimprobable. Il convient dajouter que ce qui vaut pour le niveau global ne vaut pas exactement dans les mmes termes pour le niveau infra-global, mais nous reviendrons sur cette question.

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Dans cette problmatique de la durabilit, les mots ont un sens, quil convient danalyser avec soin. Nous reprenons ici quelques ides et observations du milieu de la recherche dans ce domaine. Nous nous appuyons notamment sur louvrage collectif dirig par Bertrand ZUINDEAU, Dveloppement durable et territoires, 2000, et sur des travaux de jeunes chercheurs, notamment Franois Bertrand, suite une thse de Doctorat de lUniversit de Tours Planification et dveloppement durable : vers de nouvelles pratiques damnagement rgional , 2004 et une thse prsente par Aurlien BOUREAUD lEcole Nationale Suprieure des Mines de Saint-Etienne en 2005, Le dveloppement durable : penser le changement ou changer le pansement . Il convient davoir lesprit que la notion de dveloppement durable rfre au champ des principes politiques. Si lon voulait faire une comparaison, on pourrait lassimiler aux articles de la dclaration des droits de lhomme et du citoyen. Do une ambigut : ce nest pas un concept scientifique, cest un concept politique. Le fait quil repose sur une prise de conscience lie lobservation dun certain nombre de phnomnes, comme le rchauffement plantaire, donc sur un substrat scientifique, ne doit pas faire illusion : ce nest pas le cur du concept. Le cur de cette ide repose sur le constat selon lequel, faute dune orientation diffrente du mode de relation de lHomme la Nature, la plante, donc lhumanit, court vers son propre anantissement. Dailleurs, la forme grammaticale de la dfinition du dveloppement durable en tmoigne. Cest le dveloppement qui permet de.. . Un dveloppement qui engage vers.. Une direction est donne, un chemin, un sens. Nous sommes bien en prsence dune logique normative. Cest la raison pour laquelle ce principe politique est nonc la tribune dune institution internationale, et non pas exprim la tribune dun colloque scientifique. Mais cela a des implications. Cest la question des compromis. Si Madame BRUNTLAND avait dit : arrtons le dveloppement conomique, car que le dveloppement conomique mne le monde limpasse , la vision en faveur dune orientation diffrente naurait sans doute pas vu le jour. On nous dit seulement : allons vers un dveloppement diffrent qui ne sacrifie pas les intrts des gnrations suivantes sur lautel des intrts de la gnration actuelle . Le principe mme du dveloppement nest pas mis en cause. On ne se demande pas si le dveloppement, dans sa nature mme, nest pas incompatible avec la prise en considration des enjeux du futur. On aurait pu, pourtant se poser la question. Car le dveloppement, dans sa forme dominante, et elle ltait dj ce moment l, bien que son expression se situe en 1987, soit deux ans avant la chute du Mur de Berlin, est la forme du dveloppement base sur un principe de base, qui est lefficacit conomique. Or lefficacit conomique repose sur un principe de rentabilit du capital investi, donc sur une optimisation de lusage de ses composantes, c'est--dire le capital, le travail, le capital technologique et le capital naturel. Autrement dit, lintensification du travail humain, le progrs technique et lusage rationnel des ressources naturelles. Le premier facteur renvoie une logique dorganisation de la ressource humaine. Faire en sorte quelle soit la plus efficace et la plus rentable possible. Une augmentation de la capacit transformer les dcouvertes en innovations. Et une instrumentation de la nature afin quelle soit la plus rentable possible du point de vue du capital. Il est clair que cette logique est par dfinition incompatible avec une logique de durabilit de la relation homme-nature, non pas dun point de vue moral, mais dun point de vue pratique : lintensification du travail nest pas hors champ dune certaine problmatique de lexploitation de lhomme par lhomme, qui demeure tout fait dactualit (en particulier dans les pays mergents et le tiers-monde) et lefficacit conomique applique aux ressources naturelles renvoie deux questions : lintrt du court terme contre le long terme, et mon intrt contre lintrt des autres .

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Comme disait KEYNES, dans le long terme nous serons tous morts : le systme marchand, dans sa logique dominante, est fondamentalement indiffrent au long terme, parce que le long terme na pas de valeur conomique. Cest la raison pour laquelle il y a une contradiction fondamentale et irrductible entre le dveloppement conomique et lquilibre des cosystmes. Or, le long terme est une sorte de pot de terre contre le pot de fer des intrts du court terme. Ainsi, si lon sen tient la recherche dune certaine cohrence pistmologique, le dveloppement durable est un concept non tenable, non valide, qui consiste vouloir construire une vision base sur deux logiques dont lune est la ngation structurelle de lautre, et vice versa. Mais, face un systme dominant fond sur la prfrence du court terme sur le long terme, et sur un hdonisme de limmdiat qui marginalise par dfinition non seulement les utilits de demain, mais les conditions de survie de lespace, on est tent de chercher le substrat de rationalit qui peut fonder en valeur ce qui ne peut ltre en raison . Cest ce niveau quintervient le troisime facteur : le progrs technique. Ce facteur-acteur nous dit : certes nous dtruisons consciencieusement un capital naturel produit par lhistoire naturelle et humaine de la plante, mais ce nest pas grave, car le gnie de lhomme crera un capital naturel de substitution rendu possible par le progrs technique. La preuve : daprs Malthus, la progression arithmtique de la productivit des terres devait aboutir une impasse devant le progression gomtrique des effectifs de la population. Or tout cela nest pas arriv, bien au contraire, les 6,5 milliards dhabitants actuels de la plante vivent mieux que le milliard dhabitants de lpoque de MALTHUS . La technologie est ainsi considre comme la variable dajustement de la non rationalit long terme du systme dominant. Ce qui permet de maintenir lexigence de rationalit court terme, qui est manifestement auto destructrice de la substance du capital naturel. Ainsi, loptimisme fondamental doubl dun certain cynisme du mode de production dominant nest pas remis en cause par la dfinition du dveloppement durable. Au sens propre du terme, cette dfinition dont on a vu quelle nest pas rationnelle, car elle est fonde sur la contradiction entre le principe defficacit conomique et le principe de soutenabilit de loecoumne plantaire, retrouve une rationalit au deuxime degr, une mta-rationalit grce au progrs technique, appel au secours dune logique insoutenable . Mais le progrs technique est-il bien la roue de secours dune possible rsolution des contraires entre lconomique et lcologique plantaire ? Cest faire beaucoup de crdit la technologie, dautant que lon pense pouvoir dire que le progrs technique a davantage uvr dans le sens de la rationalit conomique que dans celle de la rationalit cologique dans le sicle antrieur notamment. Comment croire que subitement le progrs technique se mettrait tourner pour lautre camp , celui de la nature, alors que jusqu prsent il a surtout dmontr une capacit ttue instrumentaliser la nature, sinon la dtruire ? Do la position, non dnue de logique, sinon de bon sens, de ceux qui dfendent la thse de la dcroissance , base sur la remise en cause radicale du systme conomique dominant. Ainsi, la dfinition du dveloppement durable apparat comme un oximore, le rassemblement en une formule de deux logiques contradictoires, dont on ne peut sortir que par un certain nombre de pirouettes, comme le progrs technique, ou une remise en question radicale de la notion mme de dveloppement. En fait il fait trouver ailleurs la rponse la question du sens profond de cette vision. Car, ce qui, en logique pure, est une sorte dabsurdit, sur le plan des logiques institutionnelles voire politique, car il faut toujours revenir au fait que ce concept est une cration du champ institutionnel a porte idologique, est une sorte de coup de gnie. 10

Nous reprenons ici la paraphrase de la dfinition par Bertrand ZUINDEAU. La durabilit est la qualit dune construction humaine, conomique, et plus largement sociale, propre assurer, dans le temps et dans lespace, une exigence dquit . Du coup, la contrainte de rationalit conomique est en quelque sorte transcende, mtamorphose vers une finalit qui est fonde sur le principe dquit, et dquit intergnrationnelle, ce qui reprsente une exigence supplmentaire. Car, comme les gnrations venir nont pas de portes parole, sinon notre conscience, il est difficile, voire impossible dattribuer une valeur, y compris conomique, aux intrts des gnrations suivantes. En fait, la variable thique devient la norme en lieu et place de la variable conomique. Cest donc une sorte de rvolution copernicienne qui nous est propose l, et sans le dire, une forme de dpassement du systme dominant. Les vingt ans qui se sont couls depuis cet nonc non fait que renforcer la valeur messianique de la formule, dans la mesure o le systme qui sest impos dans les annes quatre-vingt dix est, dune certaine faon, la quintessence de ce que lon pourrait appeler le principe de non durabilit. Que ce systme prsente des signes de faiblesses et que larticulation entre la dgradation de la plante dsigne clairement le responsable sinon le coupable ne lempche pas, non seulement de se prenniser, mais aussi de se diffuser. Le pot de terre du dveloppement durable contre le pot de fer de la globalisation marchande est la ralit du monde actuel et sans doute pour longtemps. Mais, de crises en crises, rien ninterdit de penser que la direction du monde prendra un autre chemin. Bertrand ZUINDEAU introduit une autre notion, celle de durabilit pure oppose la durabilit largie. La durabilit pure dsigne une forme minimale de durabilit garantissant la prservation dans le temps et dans lespace des socits humaines: la durabilit largie complte la prcdente en instaurant le respect de diffrentes normes constitutives de la valeur dquit . Plutt que durabilit pure, nous prfrons le terme de durabilit simple oppose la notion de durabilit largie . Ce terme de simple fait rfrence la notion de reproduction simple des conomistes classiques, oppose la reproduction largie, qui est lessence du dveloppement. Il y a donc, de ce fait, deux formes de dveloppement durable, la premire qui vise prvenir les risques de non retour ou dirrversibilit sur des facteurs objectifs, la seconde introduire en plus une dimension humaine, qui dbouche sur une autre socit. Mais on ne voit pas comment la prvention des effets dirrversibilits serait possible sans une prise de conscience collective, qui ressort du fait socital. Ainsi, le moins dpend du plus . Ce qui veut dire que la forme de dveloppement durable dite simple, dont on pourrait penser quelle puisse tre atteinte par de simples mesures techniques ou rglementaires, a peu de chance de se raliser sans une transformation de la socit qui intgrerait dans son fonctionnement ordinaire le principe dquit, et dquit intergnrationnelle. Ainsi, la forme simple du dveloppement durable dpend en fait de lexistence dun processus qui aille en direction dune forme largie ou approfondie du dveloppement durable. Est-ce impossible ? Cela nest pas certain. Lhumanit avance par sauts ou par bonds, et non pas de faon linaire. La prise de conscience des impasses du systme actuel peut entraner un processus qui dbouche sur une vision largie des choses, rendant possible alors la reproduction simple (ou basique) du systme. Dans toute la construction du paradigme du dveloppement durable, le point focal est la question du temps long. Ce point est central: cest par la conscience des effets du systme long terme que lon peut esprer changer le systme court terme. Do un mcanisme itratif entre des temps longs hypothtiques ou virtuels et les temps courts des phnomnes vcus. 11

Entre les deux, il y a la notion de choix stratgique: que faire demain pour que ce que nous voyons aujourdhui et que nous entrevoyons pour aprs demain permette dviter que ce que nous craignons ne se ralise effectivement. La prospective nest rien dautre que linstrument de cette rflexion sur des risques temporalits diffrentielles. Il nest donc tout simplement pas possible de travailler autour de la problmatique du dveloppement durable sans passer par une activit de prospective, par la case, si lon peut dire, de la prospective. Le fait (nous reviendrons plus tard sur cette question) que lusage de la prospective soit relativement limit en tant quactivit effective dans ce domaine, cre un sorte de no brige entre la finalit ou le sens et les rponses apportes, avec pour consquence une fragilit des dispositifs de construction des stratgies. La question de lespace. La notion despace nintervient pas directement dans la dfinition du dveloppement durable, ni mme dans sa conceptualisation. Selon Bertrand ZUINDEAU : la durabilit est principalement vue suivant la dimension temporelle . Le dveloppement durable fait parti de ces concepts gnriques ou principes fondamentaux qui ne mettent pas directement en avant la question de lespace, sinon au sens plantaire du terme. Ce nest pas pour autant une variable dajustement. Car cest bien dune possible gnralisation dun systme conomique face un certain nombre de contraintes (conomiques, sociales, cologiques) que traite la problmatique de la durabilit. Or, de ce point de vue, espace et temps sont deux variables largement complmentaires : la gnralisation spatiale dun systme non durable limitera plus encore la durabilit du systme en question que le temps . Il ajoute cette remarque pertinente : gnralement, lespace est apprhend comme une caractristique neutre, et non comme une variable influenant les formes de durabilit. Nous pensons, quand nous, que le changement dchelle implique galement un changement de forme, que lintroduction de la dimension territoriale transforme des rgles de porte universelle en rgles particulires . Limplication du spatial dans la durabilit globale prsente plusieurs facettes. En effet, le global, qui est le cadre fondateur du concept de dveloppement notre monde tous , prend des formes particulires quand on descend les chelles. Le champ du territorial est la sphre du spcifique par opposition au gnrique dune vision plantaire. Donc, quand on quitte la posture du commandeur, qui sied la tribune des Nations Unies, pour descendre au niveau plus trivial de la ralit des habitants de la Terre, on dcouvre autre chose, une autre dimension, celle de linfinie varit des situations, clairement vues dans llaboration du concept mme. Ce qui introduit la notion de variabilit des formes de dveloppement durable associes la variabilit des situations quil convient de transformer. Pour quelle raison lapport du territorial est-il indispensable la mise en uvre de cette problmatique ? B. ZUINDEAU indique plusieurs axes de lgitimation de prise en considration : -Le principe dagrgation : sans remettre en cause le rle moteur du haut (le global) vers le bas (les situations concrtes), lapproche par la base rfre une conception davantage dynamique dune construction progressive du dveloppement durable du bas vers le haut : on parlera dun effet dexemplarit, les expriences et le cas chant leurs rsultats bnfiques incitant dautres collectivits mettre en uvre des actions similaires et remplissant alors peu peu la carte du dveloppement durable . 12

-Le principe dengagement : le local dtient une partie des cls de la rponse aux problmes poss par la mise en uvre effective des logiques de non durabilit. En effet, nous dit B.ZUINDEAU, la rpartition des comptences au sein des Etats confre aux collectivits des pouvoirs importants, bien que dans des degrs divers selon la nature de leur constitution, sur des questions fondamentales, comme lurbanisme, les plans de dveloppement et damnagement. -Le principe de sensibilisation : la proximit du citoyen se rvle tre sinon une condition ncessaire, en tous les cas un gage defficacit quant la mise en uvre daction dinformation et de formation relative la promotion de cette approche innovante : dveloppement durable et subsidiarit paraissent fortement lis. On pourrait ajouter que les citoyens entrent dans le champ de la gouvernance active et que, de ce point de vue, ils ne sont pas uniquement lexpression dune catgorie de gens forms et informs, mais actifs, qui peuvent peser sur la dynamique de la durabilit en jouant le rle daiguillon. Car, ds lors que la durabilit sinscrit dans lordre des principes thiques et des valeurs, rien ne dit que les citoyens doivent tre considrs comme de simples rceptacles dune vision qui tomberait den haut. Ils peuvent, tout aussi bien pousser les acteurs et les politiques dans une direction qui ne leur convient pas ou quils trouveraient secondaires leur got (cf la dmarche de Nicolas HULOT sur la charte de lcologie vis--vis des candidats la prsidentielle franaise de 2007). -Le principe dexprimentation : avec le dveloppement durable, les socits contemporaines, longtemps berces au doux son du Progrs comme rponse tous les maux, toutes les dtresses et tous les dysfonctionnements possibles, et dun progrs qui serait en quelque sorte donn au monde, dcouvrent quelles peuvent et quelles doivent inventer des dispositifs nouveaux, des rponses non prdtermines, non programmes. Elles sont amenes exprimenter des propositions, des ides, des innovations sur la base des pratiques sociales des uns et des autres, penser leur relation au monde autrement. -Le principe dquit intergnrationnel : on ne voit pas comment la recherche en retour de lien social par la communication entre les gnrations pourrait se faire ailleurs quau niveau local, pour une raison simple : si les actifs sont de plus en plus mobiles mentalement (conomie cognitive) et spatialement ( la mobilit des personnes et des marchandises), plus on descend et plus on monte dans les ges, et plus le local est lespace de rfrence, quon le veuille ou non : un enfant construit sa relation au monde travers les objets, les formes et les sens de la proximit, et les personnes ges, qui ont dj le monde leur disposition travers limage tlvisuelle, ont besoin de se rattacher des espaces connus et vcus qui leur donnent une scurit et une srnit. Or, lintergnrationnel daujourdhui, cest une question quatre niveaux dge : les enfants, les parents, les grands-parents et, de plus en plus souvent, les petits-enfants qui ont le temps de connatre pendant quelques annes leurs aeuls. -Le principe de contrainte : les composantes dune socit locale nvoluent jamais aux mmes rythmes. Il y a des composantes qui avancent plus vite que dautres. Leffet dentranement joue un rle important, mais ne suffit pas. Il faut exercer un contrle, une surveillance voire une coveillance. La collectivit comme son instrument lgal, soit la collectivit, soit le reprsentant lgal de la puissance publique, peuvent imposer des rgles de comportement et daction qui encadrent le jeu du non durable entre les bornes du durable. Car il ne faut pas se leurrer : les logiques du non durable sont fortes, dominantes : seule une action collective de tous les instants peut entraner la socit dans un chemin dvolution diffrent. Cela tant, il ne faut pas sous estimer les limites du champ territorial comme levier de ralisation dune politique de dveloppement durable.

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A cet gard, B. ZUINDEAU pose avec raison la question du dedans-dehors : le dveloppement durable interne ( un territoire donn) et le dveloppement durable externe ( un territoire donn). Le dveloppement durable, en tant que catgorie gnrique, na aucune chance de se dployer dans un contexte global de non durabilit sur un territoire en particulier, sil nest pas port, propag, diffus au niveau le plus large allant de la plante au local. Ce qui met au premier plan la question des interdpendances scalaires, les interdpendances entre les types dchelles et entre les types doprateurs aux diffrentes chelles. Un territoire ne peut rien sans les autres territoires et cela pour plusieurs raisons : -la mondialisation, comme son non lindique, fait fi des limites territoriales : elle est transterritoriale ou plutt mta territoriale. De mme que les syndicats de travailleurs viennent de mettre en place une structure mondiale de coopration afin de contrecarrer au niveau global les ruses des acteurs de la mondialisation pour profiter localement davantages comparatifs dans le cadre dune stratgie globale de maximisation des avantages comparatifs, de mme les territoires sont amens cooprer afin de maximiser les avantages comparatifs de la durabilit conomique et sociale dans lintrt de tous les territoires, et de chaque territoire, et de chaque acteur des territoires, notamment les acteurs conomiques. Autrement dit : sans rgles communes appliques dans tous les territoires, simultanment, on ne voit pas comment certains acteurs ne diront pas : vous mimposez un dsavantage concurrentiel, donc vous contredisez le principe de libert dentreprendre . Donc, la mondialisation conomique implique une mondialisation procdurale du dveloppement durable -les mutations de la biosphre sont globales : le nuage de Tchernobyl ne sest pas arrt aux frontires administratives de la France, nen dplaise aux autorits de lpoque, qui avaient oubli que le vent souffle o il veut .. Les rponses locales, par exemple travers les plans climats, impliquent une coordination au niveau global faute de quoi ils risquent de napparatre que comme des popes coteuses et sans lendemain, qui profiteront toujours ceux qui ne feront rien mais qui en tireront les bnfices pour eux-mmes (stratgie du passager clandestin). -Le global, cest la scne politique largie du local : sans cette scne citoyenne, les initiatives locales risquent de se perdre dans les sables : le global est ncessaire pour capitaliser les initiatives du local. -Question qui pose celle de linterdpendance entre les chelles et des intermdiations entre les niveaux de pertinence de laction : cest probablement l la cl de la mise en uvre efficace des politiques de dveloppement durable, avec un niveau focal, lespace rgional, qui doit tre de plus en plus considr comme le niveau stratgique dinterpntration des logiques descendantes et des logiques ascendantes. Ce qui pose invitablement, dans un pays de tradition centralisatrice comme la France, la question du pouvoir de coordination entre lensemble des politiques publiques du niveau supra par rapport aux instances locales, ce qui va impliquer sans doute, tt ou tard, et peut-tre pour bientt, une nouvelle refonte des institutions de la Rpublique. Ainsi, au moins sur ce plan l, une boucle intressante est susceptible de se produire : ne dans les institutions internationales, le concept politique de dveloppement durable tend produire des effets dimplication au niveau de la gouvernance institutionnelle dans un pays comme la France : pour avancer dans la mise en uvre du dveloppement durable, il faut gouverner autrement, instaurer une gouvernance cooprative et participative au lieu et place des gouvernances verticales, sectorialises et hirarchiques, remontante autant que descendante, dont ltage intermdiaire, ltage rgional est le niveau central, car la croise de toutes les logiques latrales des diffrents niveaux de pertinence territoriales infra-nationales et transnationales.

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Le Dveloppement durable comme projet dthique socitale. Le Dveloppement Durable est devenu un rfrentiel incontournable de laction collective. Il nest tout simplement plus possible denvisager des politiques publiques qui nintgreraient pas une dimension durable, au sens de lentrecroisement de lconomique avec le socital et la prise en considration des cosystmes dans les stratgies collectives. De plus, la dimension temporelle du dveloppement durable, au sens de la longue dure intergnrationnelle est au coeur de cette problmatique, prcisment une poque marque par lomniprsence des temporalits courtes, notamment dans le champ conomique. La rfrence, et parfois linjonction la durabilit dans llaboration des politiques publiques, est un phnomne nouveau et majeur dans le champ des ides, et au del, dans lunivers de la pense normative. A une poque fortement marque par la marginalisation, lobsolescence, voire labandon des systmes de normes culturelles hrits des pratiques sociales antrieures, et de la relation homme/ nature traditionnelle, et qui prend aujourdhui la forme dun profond malaise de socit, dont le dbat autour de la notion de perte des valeurs tmoigne, la question du dveloppement durable reprsente en fait le retour une exigence dthique sociale. Une socit ne peut exister uniquement travers lide que son seul et unique rfrent serait largent, la valeur marchande produite, le produit intrieur brut. Une socit qui a lil riv sur des tableaux de bord conomiques, et dans lconomique, sur son cur, savoir le CAC 40, et le taux de change du Dollar, est une socit qui, dune certaine manire, perd le nord , au sens de la perte des valeurs fondamentales qui reprsentent le substrat dune relation acceptable des hommes entre eux, et des hommes par rapport la nature, ou ce qui en fait tat. Aussi, le prodigieux succs de la notion de dveloppement durable interpelle autant que le fait que le dveloppement actuel est tout sauf du dveloppement durable. Il y a en tendance un dcalage croissant entre la ralit et ce qui fait de plus en plus office de substitut une thique sociale, civile ou morale, savoir le dveloppement durable. Dans cette panne des valeurs , le dveloppement durable permet de se donner des points de repres, des limites. Jusquou la socit peut aller dans sa prtention artificialiser la nature, devenir le matre des horloges de la nature, instrumentaliser la plante Terre, -qui est de plus en plus rduite ntre quun simple intrant de lconomie-, jusqu intgrer son modle de reprsentation de la figure du progrs les diffrentes plantes du systme solaire, commencer par la Lune et Mars, appeles tomber les unes aprs les autres dans lespace conomique de la valorisation marchande ? Ainsi, le dveloppement durable correspond la redcouverte de lide que toute socit doit conformer ses pratiques un systme de valeurs pour exister et se lgitimer. Lthique comme ligne de conduite sociale alternative la logique envahissante et de plus en plus hgmonique de la marchandise, se constitue autour de la notion de dveloppement durable. Il sagit au fond dun ensemble cohrent de normes, de conduites et de pratiques sociales qui simposent dans la conscience collective. Et comme toute norme, elle permet de mesurer lcart qui existe entre la ralit et ce rfrent, do sa valeur et sa charge valuative potentielle. Cependant, cette affirmation de principe, qui pose de moins en moins de problme au sens de son acceptabilit socitale et politique, pose par contre de nombreux problmes ds lors que lon entend passer au concret, la mise en oeuvre, lapplication des principes dans lunivers de laction collective. Et il sagit plus encore de la question de savoir de quoi on parle propos du dveloppement durable. A mesure que la notion de dveloppement durable simpose, au point denvahir les espaces publicitaires sur le mode : venez remplir votre caddy dans nos grandes surface, vous allez faire le plein de dveloppement durable , il apparat ncessaire de pousser beaucoup plus loin la question de llaboration du systme normatif et thique constitutif de la notion de dveloppement durable, ce que lon dsigne par la notion de dveloppement durable fort , par opposition dun dveloppement durable faible . 15

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Chapitre 1. La recherche dans le domaine du long terme. Lestravaux situs au croisement de la prospective et du dveloppement durableNous avons une rfrence dans ce domaine, louvrage dirig par Laurent MERMETt : prospective de lenvironnement, quelles recherches, quelles ressources, quelles mthodes, publi la Documentation Franaise par le Ministre de lEcologie et du dveloppement durable en 2004. Cette ouvrage, qui reprend les travaux de lquipe RGTE (Recherche en Gestion sur les Territoires et lEnvironnement, UMR ENGREF/EHESS) tente une problmatisation du couple prospective/environnement (mais lenvironnement, ce nest pas le dveloppement durable), autour de quatre grandes thmatiques : 1) La prospective dans le domaine de la recherche environnementale : un ensemble de dfis relever 2) La mthode des scnarios 3) Modlisation et prospective environnementale 4) Mthodes procdurales pour la collaboration entre chercheurs et ou experts 5) La prospective participative Louvrage repose sur une analyse de 30 ouvrages, ou articles publis dans des revues Comit de lecture. Voici quelques remarques au sujet de ces analyses bibliographiques. Il est intressant davoir pris la prcaution de problmatiser ces synthses bibliographiques, car elle donnent entendre un double point de vue, celui des auteurs des ouvrages, mais galement celui des auteurs de louvrage de synthse. La problmatique des auteurs de louvrage est tourne vers larticulation entre lapproche mthodologique, donc proche du volet prospective stricto sensu et les enjeux de fond, donc proche du volet environnementaliste, ce qui est une bonne hypothse de travail. Un autre intrt de louvrage, cest quil se dmarque assez clairement de lapproche dite de la prospective stratgique, qui est celle qui a t porte aux fonts baptismaux par la mouvance de Michel Godet, et que Laurent MERMET dfinit comme prenant la forme dune prestation de service global un destinataire qui souhaite alimenter ses dcisions par une rflexion de prospective , ou encore une approche de prospective intgre , et qui est clairement finalise sur la dcision stratgique. Or, nous dit Laurent MERMET : dans le contexte qui est le ntre -dvelopper la prospective au sein des recherches sur lenvironnement- elle se heurte cependant des limites importantes. Le contexte de prestation de services intgrs pour un client nest plus adapt. Le caractre opratoire de la boite outil ne suffit plus ici compenser son caractre trop sommaire au regard des outils dont disposent les scientifiques pour apprhender les dynamiques de systmes naturels ou sociaux sur lesquels ils travaillent . Le point de vue, on pourrait dire, langle de vue de Laurent MERMET est en fait radicalement diffrent de celui de Michel Godet, ce qui est intressant en soi. Il revient dire : la prospective telle quelle est dveloppe dans ce quil est convenu dappeler lcole franaise de prospective , et qui est finalise sur la rponse des prestataires de services publics ou privs, ne permet pas de rpondre aux enjeux et aux attentes qui sont celles des chercheurs de la sphre environnementaliste, dune part par ce que loutil ou les outils- de travail propos( s) dans la bote outils est ou sont assez sommaires par rapport ceux dont auraient besoin les chercheurs, et ceux qui sont effectivement utiliss par eux, ensuite parce que la finalit nest pas du tout la mme.

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Dans le cas des prestataires, ou des acteurs publics, la question est la suivante : aidez-nous construire une stratgie daction au moyen de loutil de prospective, alors que les chercheurs, par dfinition, ne disent pas ce quil faut faire, mais quelles sont les consquences qui pourraient rsulter de processus engags sur la biosphre. Et effectivement, dans cette optique, loutillage mthodologique ne peut pas tre le mme, car il ne sagit pas daccoucher un acte dcisionnel, mais, tout simplement, de comprendre la ralit. Une ralit extrmement complexe, du fait des interactions homme-nature, qui fait lobjet de nombreux travaux de recherche, et qui a gnr ses propres outils danalyse, et notamment, de simulation. Cest donc sur une autre plante que naviguent ceux qui veulent mieux comprendre les volutions de la biosphre dans le contexte actuel, et donner une reprsentation des processus en cours sur la longue dure, passe, prsente et future. Si lon reprend notre propos du paragraphe prcdent sur les diffrences entre la prospective comme forme, et le dveloppement durable comme finalit, nous pourrions dire ceci : -Le dveloppement durable est une vision des choses, une politique si lon veut, ce que nest pas la connaissance du domaine environnemental. On ne demande pas un chercheur en climatologie sil prfre venir son travail en vlo, pieds ou en voiture. Lenvironnement est un domaine de la recherche, point. -La prospective dite stratgique dbouche, par dfinition, sur la construction de stratgie, mais la prospective telle que nous lavons prsente plus haut, si elle conduit vers laction, ne peut elle seule produire de laction. Elle donne un cadre propice llaboration de stratgies, mais elle nest pas auto suffisante. Un peu comme un vhicule en tat de marche larrt. Rien ne permet de dire, si un conducteur se met au volant, dans quelle direction il a lintention daller. Pour cela, il faut ajouter un autre facteur, qui est celui du sens, de la motivation, et donc celui de la dcision : je prends ma voiture pour aller ici ou l. Nous sommes donc en face de quatre termes : la prospective comme outil et mthode hors de toute intention finalise, la prospective dit stratgique, qui, bien que neutre du point de vue des finalits, est si fortement oriente vers laction quelle a tendance les intgrer dans sa dmarche mme, au point dailleurs que lon ne sait plus trs bien si le prospectiviste est un mthodologue ou un expert en laboration dun discours dcisionnel, lenvironnement comme champ de la connaissance, et le dveloppement durable, qui est une philosophie de laction, et qui propose un chemin de dveloppement trs spcifique. La question est de savoir comment croiser ces quatre termes, notamment : Le lien entre la prospective comme pur et simple outil, par rapport la recherche environnementaliste : est-ce que la prospective peut tre utile ou non cette discipline. ? Est-ce que derrire lapparente complexit des modles environnementalistes, qui reposent sur des outils de simulation mathmatiques extrmement sophistiqus, on ne retrouve pas les approches prvisionnistes classiques que lon connat bien dans le domaine dmographique par exemple, et qui sont rgulirement infirms par la ralit. Cest ainsi que dans un congrs scientifique de dmographes, organis au Caire il y a quelques annes, la communaut scientifique a du faire amende honorable, et reconnatre que les prvisions dominantes lpoque, qui prvoyaient pour 2050 autour de 10 milliards dhabitant dans le monde, devaient tre revues la baisse, autour de 8 milliards.

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Tout simplement, car les chercheurs avaient sous-valu la porte de la transition dmographique qui a lieu dans les pays en voie de dveloppement du fait du passage en masse des populations du monde rural au monde urbain, qui se traduit pas un rgime dmographique compltement diffrent. Autrement dit, les chercheurs se sont tromps car ils nont pas intgrs leur reprsentation la question sociologique, et le changement des comportements qui rsultent du passage de la campagne la ville, c'est--dire, dun mode de production un autre mode de production. Nous voulons dire ce sujet que si, sous couvert de scientificit, les chercheurs refoulent dans leurs marges la prospective, qui est un art du dbat sur la formulation des hypothses danticipation, la plus importante production dite scientifique du savoir peut aboutir des conclusions totalement errones. On retombe sur la question de la valeur scientifique du champ prvisionniste, et lon sait que des erreurs monumentales sont parfois faites par des chercheurs de grande renomme, tout simplement par ce quils ont travaill toutes chose gales par ailleurs dans un monde dans lequel linteraction entre les facteurs est le facteur principal pour apprhender la ralit. Cela revient dire que la vraie valeur scientifique, dans tous les domaines dans lesquels linteraction homme/nature est forte, repose sur deux angles de vues complmentaires, dune part les thories de la complexit, et dautre part, la prospective comme modalit de discussion des hypothses que nous donne une connaissance complexe de la ralit. Mais alors, le paradoxe, cest que les mthodes dveloppes par Michel GODET et quelques autres, ne sont peut-tre pas si inintressantes que cela, car si lon regarde de prs le corpus central de la mthodologie de la bote outils nous avons, pour lessentiel des mthodes de formes qui aident les populations , quils sagissent de dcideurs ou de chercheurs, construire une reprsentation active et critique de la ralit. Aussi, le croisement, mthodes de la prospective pure et simple, sans le rajout, totalement inutile de la notion de stratgie, est de nature proposer des modes de penses indits, et sans doute, dun point de vue pistmologique, intressants pour produire des ides pertinentes. Tout cela reviendrait dire que Michel GODET et ses collgues ont mis la main sur un continent pistmologique de premire grandeur, mais que du fait dune fixation sur la question de la dcision et de laction, cette dcouverte est occulte, et considre par les chercheurs, ou des chercheurs, comme du bruit de fond dnu de valeur scientifique. En ceci, ils font la preuve que dans la recherche, ce qui compte, ce nest pas dabord lactivit de recherche, mais la mthode de lactivit de recherche. A cet gard, la prospective, ds lors quelle est dtache de cet piphnomne encombrant qui est celui de laction et de la stratgie, et quelle se dfinit clairement comme une mthode de la pense, et rien que cela, mrite plus quun simple coup de chapeau pour passer ensuite aux choses srieuses, c'est--dire les modles de prvisions. Un autre croisement est alors rendu ncessaire, qui est le croisement entre lenvironnement comme champ dexploration et de recherche, et le dveloppement durable : on voit bien que lenvironnement comme champ de recherche ne peut aboutir autre chose qu la production de connaissances, ce qui est dj pas mal, et que la question du passage de la connaissance laction est pose.

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Le dveloppement durable, c'est--dire soutenable, serait-il lexpression dune finalit, dune vision, qui permettrait, en donnant un sens la valeur de lenvironnement, de permettre sa prise en charge dans lexpression des dsirs, des besoins fondamentaux de la socit, et donc, de lui permettre de lui donner les moyens dtre protg, valoris, reconnu sa juste valeur, parmi dautres valeur, comme la solidarit, le lien intergnrationnel.. Mais alors, pour revenir louvrage dirig par Laurent MERMET, on peut se demander sil na pas rat sa cible, en se mettant (frileusement ?) derrire la porte du laboratoire Environnement, alors que la bonne porte est celle du couplage entre prospective et dveloppement durable, autrement plus fconde, mais plus risque. Ce qui fait que la rcolte opre par Laurent MERMET est finalement assez maigre, mme si lintention tait bonne, dautant quil donne beaucoup de place, finalement , aux mthodes de la prospective dveloppes dans les bons manuels de prospective stratgiques. En fait, sur les 30 fiches de lecture prsentes dans cette synthse bibliographique, on se rend compte que seulement 13 dentre elles portent sur le croisement prospective/environnement, et en fait beaucoup moins si on prend le terme de prospective au sens fort, et donc troit du terme, car de nombreuses fiches, concernant ce croisement, portent en ralit sur le croisement approche prvisionniste/ environnement Finalement, on est tent de dire que, dans cette synthse bibliographique, langle dapproche, qui est domin par le couple jeux de simulation prvisionniste/ environnement, ne permet pas de donner un clairage satisfaisant sur cet autre couple que reprsente le lien entre prospective et dveloppement durable. Cela dit, la pense avance de pas en pas, de sorte que lon trouve intressant que ce travail ait t ralis, ne serait-ce que pour construire une autre problmatique, qui est celle que nous proposons dexplorer dans cette tude, mais sur un champ dapplication particulier, qui est le champ territorial.

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Chapitre 2 Prospective et dveloppement durable. Points de convergences, points de divergencesEntre la prospective et le dveloppement durable, il existe des liens importants, ncessaires. Cependant, il sagit de deux approches fondamentalement diffrentes, sur lesquelles il convient de revenir.

-.1) Les points de convergencesEntre la prospective et le dveloppement durable, on peut noter un point commun fondamental, qui est celui dune culture commune du temps : dans les deux univers, on sintresse au temps, au sens de temporalit, et de temporalits spcifiques, savoir le long terme, les horizons lointains : lintrt central du dveloppement durable pour la question de lintergnrationnel, des gnrations futurs, de lavenir long terme de la plante, rencontre la question du long terme du point de vue de la prospective stratgique. Dans les deux univers, le rle des anticipations, et ce quil serait possible dappeler une culture de lanticipation, est trs prsent. Ce sont deux domaines qui accueillent le futur, qui ne cherchent pas senfermer dans les calculs court terme, ou dans une vision qui occulterait les enjeux de demain. Il y a , de ce point de vue , une sorte de cousinage entre les deux univers, qui les rapprochent par rapport des cultures qui auraient tendance occulter les tendances long terme, ou viter de se poser les consquence long terme de dcisions prises aujourdhui. On peut dire, cet gard, que le principe de prcaution, qui fait couler beaucoup dencre ces temps-ci, propos de la Charte pour lEnvironnement, tmoigne de la prise de conscience des enjeux long terme, et du sens des responsabilit qui doit en dcouler, au sens ou, la gnration actuelle ne doit pas uniquement agir en fonction des ses propres intrts, mais aussi en fonction des gnrations venir, c'est--dire des hommes et des femmes qui ne sont pas encore parmi nous, et donc, qui ne peuvent pas se dfendre, notamment par rapport la question du lien Homme-Nature, qui est un lien fondateur de lexistence humaine. Il y a, de ce point de vue, une sorte de cousinage entre les deux univers, qui les rapproche par rapport des cultures qui auraient tendance occulter les tendances long terme, ou viter de se poser les consquences long terme de dcisions prises aujourdhui. 1) Les thories de la complexit comme socle commun majeur entre dveloppement durable et prospective La notion dinterface est au coeur de la problmatique du dveloppement durable. Pierre GONOD, dans un texte intitul : Matires (re) penser le dveloppement durable et dautres dveloppements , prfac par le Directeur de la recherche de lINRA, Michel SEBILLOTTE (juillet 2003), dans la srie Bilan et prospective, dveloppe cette notion. Le dveloppement durable est une pense de linterface entre les systmes, et dune interface forte. A la fois entre les champs des trois sphres de base de la notion de DD, mais galement et surtout en terme darticulation entre ces notions du point de vue des logiques sociales, des systmes institutionnels et politiques, et des systmes organisationnels. En fait, il apparat que la notion de dveloppement durable est la forme pratique, au sens de praxis, de la pense complexe : le dveloppement durable, cest la mise en pratique de la pense complexe.

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La monte en puissance de la notion de Dveloppement durable est la traduction pratique et oprationnelle, mais parfois non consciente, dune aspiration lmergence de la pense complexe dans les socits dveloppes. Cette notion de pense complexe renvoie la notion dinteraction entre les facteurs, lide que chaque domaine fonctionnel doit tre pens par rapport dautres champs fonctionnels, et lide selon laquelle toute action dans un domaine produit des effets dans dautres domaines ou sphres. Laspiration latente est celle dune critique des penses et des pratiques spcialises , segmentes. Or, y regarder de prs, le monde tel quil fonctionne actuellement est un monde dans lequel tous les facteurs, tous les processus sont de fait relis, interagissent les uns avec les autres, alors quils ne sont pas penss dans leurs interrelations. La ralit est complexe, et de plus en plus complexifiante, alors que la pense, et laction qui rsulte de la pense, est en quelque sorte dcale par rapport la ralit. Rapprocher la capacit penser la complexit de la capacit de transformer le monde et agir sur le monde est un enjeu cach majeur, lune des attentes implicites du dveloppement durable. Dans un domaine qui nous est familier, celui de la gouvernance publique, on peroit aisment cette exigence de la pense complexe, travers la liaison entre lunivers de laction publique sous lautorit des lus, des pratiques sociales des citoyens et des processus socioprofessionnels de ce quil est convenu dappeler les acteurs . Mais comme plusieurs chercheurs lon bien montr (Roberto CAMAGNI), analyse reprise par Jacques THEYS dans son article lamnagement du territoire lpreuve du dveloppement durable , dans regard sur lactualit, la France et le dveloppement durable, Documentation Franaise ; n302, juin 2004, la problmatique du dveloppement durable nimplique pas uniquement de juxtaposer les trois piliers de la dfinition, conomie, socit, environnement, ou de se contenter dune vague logique de compromis entre les trois termes, elle implique de repositionner chacun des trois termes de lquation en fonction des deux autres, de faon faire voluer les prsupposs de chacun dentre eux par rapport aux autres. Cest donc plus quun compromis diplomatique entre des logiques ou des forces en prsences qui est vis, mais une vritable relecture des fondements de chacun des trois termes qui est en jeu. Et, compte tenu de la place respective des trois ples dans la dynamique des systmes, savoir une vritable hgmonie, ou une domination forte de la variable conomique par rapport aux deux autres, qui sont rduites au rle de variables dpendantes, la question pose est celle de la remise en cause de la premire, dune part dans ses implications sociales, et dautre part dans ses implications environnementales et co-systmiques. Cela nous amne la question pose par lassociation ATTAC dans louvrage : le dveloppement a-t-il un avenir , 2004, Editions Mille et une nuits, savoir le dveloppement conomique a-t-il une avenir, alors mme que dans les formes actuelles dominantes il dtruit long terme les conditions mmes du dveloppement, notamment ses conditions cologiques, tout en chouant dans la rponse aux attentes sociales du dveloppement. Cest donc, non seulement la question du lien en soi entre les trois sphres qui est pose, mais plus largement le dplacement du tripode vers une autre configuration, une autre organisation interne, et une autre finalit gnrale . Ce faisant, on est trs vite amen dpasser le cadre initial de la dfinition du dveloppement durable. On ne peut se contenter de parler dun dveloppement qui rpond aux aspirations de la gnration actuelle sans sacrifier celle des gnrations venir, car la forme du dveloppement dans sa forme actuelle qui est susceptible de rpondre aux aspirations de la gnration actuelle est en fait antinomique avec la proccupation visant ne pas sacrifier celles des gnrations venir. Il suffit de prendre un exemple. Lobjectif visant rduire, lhorizon 2010, les missions de gaz de 8% par rapport leur niveau de 1990 est, de lavis de nombreux spcialistes, trs insuffisant pour parvenir une stabilisation de la 22

situation. On estime quil faudrait les diminuer de 30%, lchelle du globe, et de 80% dans les pays industrialiss, si lon veut viter un bouleversement du systme climatique. Or, il est acquis que malgr ladhsion tardive de la Russie au protocole de Kyoto, lobjectif des 8% ne sera pas atteint en 2010. On pourrait tenir, ce que font dailleurs les reprsentants amricains, les propos suivants : respecter le protocole risque dentraner des surcots conomiques trs importants, prjudiciables en terme de concurrence, et qui pourraient entraner des consquences sociales non acceptables du fait des pertes demplois qui en rsulteraient . Ce qui est une faon de retourner largument du lien entre les trois sphres pour justifier le statu quo, ce qui nous amne un second point qui est la question du temps. Le temps du court terme contre le temps du long terme. - 2) Une sensibilit commune autour de la question des temps longs Satisfaire les besoins de la gnration actuelle sans sacrifier les aspirations des gnrations futures . Cette dfinition du dveloppement durable est plus quune dfinition, cest une maxime, comme celle qui consiste dire : ne fait pas autrui ce que tu ne souhaiterais pas quil te fasse. Mais, penser aux gnrations futurs est moins vident quil ne parat, ne serait-ce que parce quil est difficile de se mettre la place de quelque chose qui nexiste pas, ou pas encore. Cette ide de penser non seulement en fonction de critres actuels, mais aussi par rapport aux descendants est toutefois un ide au fond assez simple, celle de la transmission dun patrimoine, non pas individuel, mais collectif. Cest peut-tre cela qui est nouveau. Lide dun patrimoine collectif quil convient de transmettre aux gnrations suivantes. On peut se demander pourquoi cette ide est une ide nouvelle. Probablement parce quil existe une prise de conscience selon laquelle cette transmission ne va pas de soi, ou ne va plus de soi. Jusqu une priode historique rcente, disons le 19 me sicle, la transmission dun patrimoine sentendait comme la transmission du patrimoine individuel, celui des individus et celui des familles, mais pas dun patrimoine collectif. La nature tait considre comme une sorte de bien infini, dans laquelle on pouvait puiser, que lon pouvait transformer, et que lon avait le devoir de transformer, non seulement pour se protger contre elle, et contre les dangers quelle reprsentait, mais aussi, dans une vision progressiste du monde, pour assurer une matrise, un pouvoir croissant de lHomme sur la nature : le progrs avait un sens dmiurgique, qui tait celui dasservir la nature aux aspirations de lHomme. Or, les progrs fulgurants qui rsultent de plusieurs sicles daccumulation des savoirs et de la connaissance sur les mcanismes de fonctionnement de la nature ont permis de crer un monde ct du monde, celui de la technique, de la science, de la modernit. A la limite, le monde de la modernit remplace le monde de la nature, se substitue elle. Et la marginalisation, dune certaine manire, de la nature, cre un risque, une inquitude, celle de perdre la nature, de ne plus savoir ce que cela signifie, et une angoisse imperceptible, qui est celle du retournement de la nature contre les auteurs de sa mtamorphose, ou de sa d-naturation. Un ouvrage de rfrence dans ce domaine, est celui dEdgar Morin, Terre-Patrie, que lon pourrait traduire par terre-jardin. La nature, si elle nest pas cultive comme un jardin , mais un jardin un peu particulier, un jardin plantaire, risque de devenir une machine folle que lHomme deviendrait incapable de contrler, de matriser, de dominer. Ainsi simposerait la limite dun programme celle de lHomme comme matre des horloges, matre de la nature, qui, comme le rappelle Luc Ferry dans un texte intitul le progrs en est-il un ? publi dans un ouvrage collectif, les nouveaux utopistes du dveloppement durable , Editions Autrement, 2002, a t en quelque 23

sorte inaugur au XVII me sicle avec lidologie rationalisante des Lumires . Nous sommes donc, de ce point de vue, arrivs un point central, un noeud de la dynamique historique du systme, et probablement un tournant majeur de lhistoire de lhumanit, dont la notion de dveloppement durable serait le signe, ou le symptme. Mais si la question du temps devient un enjeu central, cest que lquilibre conomique, et la survie mme du systme conomique dpend troitement de sa capacit jouer le court terme contre le long terme, c'est--dire , justement, satisfaire ses propres contraintes de rentabilit au dtriment des quilibres long terme. Les enjeux du court terme, voire du trs court terme deviennent un ennemi du long terme, le facteur principal mme de limpossibilit des enjeux du long terme se faire reconnatre, exister, et ne pas tre sacrifie. Le court terme comme univers de pratique dtruit lunivers du long terme comme lment fondateur du bien commun. Le mode de fonctionnement de lconomie, et par voie de consquence, de la socit, dans ses dynamiques court-termistes est un facteur contradictoire, voire antagonique, avec la possibilit dun rquilibrage du systme sur le long terme, comme un mur, qui empcherait daccder ce qui est derrire celui-ci, une nature non sacrifie, un quilibre homme nature retrouv. Mais il est vident, contrario, que limmense mrite du paradigme du dveloppement durable, quil serait plus juste dappeler le dveloppement soutenable, cest dattirer lattention sur les consquences long terme des pratiques actuelles, cela prs quil ne sagit pas forcment du trs long terme, mais peut-tre bien dun moyen terme, voire, sur certains symptmes, dun court/moyen terme. C'est--dire que, derrire le terme un peu vague des gnrations suivantes, se profile probablement la question de la gnration suivante, celle qui merge actuellement et qui devra grer au terme dune priode de temps finalement assez courte, une dcennie, les consquences des formes dorganisation actuelles du systme conomique : la boucle qui, de courts termes en courts termes nous mne au long terme, semble se rtrcir, se rduire, nous projetant vers un autre court terme, celui des grands quilibres naturels et de la relation hommenature. Mais, si une prise de conscience a lieu, autrement dit, si la socit, pour reprendre la triade conomie, socit, environnement, se rveille , et elle ne peut que se rveiller quand le prix du baril de ptrole dpasse les 55 dollars, voire, risque datteindre rapidement le court des 60 dollars, alors, on peut esprer que la dialectique conomie-socit produise une nouvelle trajectoire, un nouveau chemin de dveloppement. Comme le titre justement ces jours-ci un article du Courrier International au sujet de la ratification des Russes, ratification trs charge en sous-entendus stratgiques (N728, du 14/20 octobre 2006, du protocole de Kyoto sur le changement climatique, il tait temps .

-2) Points de divergenceIl y a une diffrence fondamentale entre lunivers de la prospective et celui du dveloppement durable. La prospective est une mthode, le dveloppement durable est une vision du monde ou des choses. La prospective, du moins la prospective srieuse ne dit pas, et ne dit jamais ce quil faut faire. Elle dit simplement, relevez la tte au dessus du guidon, intressez-vous lavenir, car cest autour de la question de lavenir que se joue le devenir du prsent, le prsent, non pas statique, mais dynamique, le prsent considr comme lantichambre du futur, le chantier du futur. Mais la prospective sinterdit de dire ce quil faut faire pour que le futur peru devienne le futur rel. Ce quil faut faire nest pas la tche des spcialistes en prospective, cest la tche de ceux pour qui lon fait de la prospective, c'est--dire ceux quil est convenu dappeler les acteurs . La prospective donne un cadre, une forme, elle dit que la prospective est un bon outil pour construire le prsent, non seulement en fonction de ce qui se passe linstant t, mais 24

galement en fonction de ce qui pourrait se passer si tel ou tel vnement survenait. Mais la prospective ne sait pas remplir elle-mme la bote dans laquelle on exprime les souhaitables, et dans laquelle on se demande comment relier la question du souhaitable un horizon donn la ralit actuelle, celle que lon veut en consquence faire voluer dans la direction ncessaire pour parvenir au but souhait. En dautres termes, la prospective est une mthode, ce nest pas une philosophie, sinon pour dire que cest une philosophie qui est dans le temps, qui ne cherche pas passer ct du temps. Mais pour lessentiel, la prospective est muette sur la question centrale de savoir ce quil faut faire. Si lon veut une analogie, la prospective serait un peu comme une arme sous la direction dun gouvernement. En tant quarme, elle reprsente une force, un outil. Mais cest un outil dont la finalit est extrieure elle-mme. Ce nest pas un gnral darme qui dit quil faut faire la guerre ou ne pas la faire. Cest le gouvernement, lEtat, et en France le prsident de la rpublique, qui dit sil faut faire ou ne pas faire la guerre, en tant que chef des armes. On ne demande pas au chef dEtat dtre un technicien de la chose militaire. On lui demande, au nom de la Rpublique, de donner la ligne, de la partager avec le Parlement, et de faire passer le message aux militaires, c'est--dire aux techniciens de lart de la guerre. Si lon revient au jeu de comparaison entre la prospective et le dveloppement durable, la prospective serait comme une arme, un outil pour produire un potentiel de rflexion stratgique, mais le contenu de ce potentiel de rflexion, cest aux acteurs qui sont habilits produire les finalits de les exprimer. Le dveloppement durable, cest justement cette philosophie qui peut nous aider produire un contenu, une finalit, poser les jalons dune vision du futur, et dune vision norme du futur, dune vision au sens dune thique et dune morale. Si ce sont les prospectivistes qui font ce travail, la prospective est en danger, car elle devient en fait une fonction politique, ce quelle ne doit pas tre. La prospective donne si lon veut un mode demploi pour penser le futur, elle laisse aux philosophes, aux acteurs et aux citoyens le soin de dfinir la substance que lon veut donner au futur, et aux moyens que lon se donne pour y parvenir. Cela permet de bien saisir les places de chacun, les rles des uns et des autres. Mais il est clair que le dveloppement durable nest quune expression possible des futurs dsirs. Le dveloppement non durable est aussi le rsultat dune pense, cest aussi une philosophie de laction. Mais, comme toute pense dont lobjet est la logique du march, sa pense du futur se limite ce quil faut faire pour instrumentaliser les hommes et la nature pour parvenir gagner de largent, faire des bnfices et profiter de cet argent. Cest aussi une pense, mais une pense muette si lon veut, qui investit lunivers de laction, sans trop se proccuper de savoir pourquoi on change et pourquoi on produit des marchandises et des services. Mais, il est clair que nous restons dans le mme univers, celui des finalits, ce que nest pas la prospective. Conclusion : un socle commun sur le plan de la faon dapprhender les problmes autour des thories de la complexit et lanalyse des systmes, une forte relation aux temps longs, mais une approche sans finalit politique en prospective, alors que la polis au sens grec du terme est omniprsente en dveloppement durable. Cependant, il y a des passerelles entre les deux domaines sur ce plan en terme procdural, car, en prospective, on donne la plus grande importance au dbat public, ou du moins au caractre collectif du dbat sur le futur. Ainsi, les liens implicites entre les deux univers sont nombreux. Reste une diffrence de fond : le dveloppement durable repose essentiellement sur une dmarche pragmatique alors que la prospective vocation structurer les reprsentations du futur de faon rigoureuse, ou aussi rigoureuse que possible.

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Chapitre 3. La forme territorialise du dveloppement durable. De quoi parle-t-on ?1) Revenir sur le dveloppement durable : il ne sagit pas dun concept fonctionnel, mais dun concept organisationnel des dynamiques des territoires Le dveloppement durable ne correspond pas un discours directement opratoire de la pratique des organisations des systmes. Cest la raison pour laquelle le concept vhicule une image de flou, qui fait difficilement lobjet dune instrumentalisation pratique et oprationnelle. Le dveloppement durable est avant tout une vision des choses et du monde. Sa traduction en principes opratoires ne va jamais de soi et implique de se demander comment construire un discours opratoire du dveloppement durable. Comme le dit Jacques THEYS, (Le dveloppement durable, ville et territoire, n13 Janvier 2000, innover et dcloisonner pour anticiper les ruptures), le dveloppement durable se prte difficilement toute forme de rationalisation priori. On ne peut attendre de la science ou des experts quils fournissent sur ce thme le prt--porter quon leur demande . Et il ajoute : ne sommes-nous pas en train dassister la construction dun nouveau mythe rationnel, sans lequel il ne peut y avoir daction collective organise ? Cela signifie quil serait erron de vouloir tout prix rduire la notion de dveloppement durable son expression rationnelle, traduite par des indicateurs. De mme que lon ne fait pas lvaluation du bonheur, de mme on ne pourra sans doute jamais mettre en quation le dveloppement durable. Il y a l un obstacle pistmologique quil est sage de reconnatre priori .

2) Les nouvelles formes de laction collective remettent en question la notion de choix stratgiques clairement affichs et intangibles. Dans le discours classique, on conoit une politique, puis ensuite on la met en uvre, et on se donne (ventuellement) les moyens danalyser ses impacts, son efficacit et son efficience. Mais dans le contexte actuel, lactivit collective est le plus souvent elle-mme inscrite dans une logique floue. Comme le dit J.G PADIOLEAU, cit dans un article de Vronique HESPEL dans la revue Pouvoirs Locaux, les territoires de lvaluation, n57, II, 2003, on passe dun modle de laction publique de type balistique (jenvoie et je regarde l ou a tombe) un modle coopratif : les dcisions publiques sont fondamentalement ambigus et instables. Elles se mettent en place au fur et mesure que les urgences apparaissent. Ainsi, nous sommes en face dun problme difficile, celui de jugements porter sur les politiques floues dans leur conceptualisation et floues dans les conditions de leur mise en oeuvre. Vouloir forcer les choses , en se dotant dune batterie dindicateurs est toujours possible, mais cela risque de jouer le rle dune valuation sur, non seulement une ralit insaisissable, mais aussi sur une apprciation de lactivit dacteurs publics, qui naviguent vue , sans se donner des points dentres et de sortie clairement affiches. A cet gard, le domaine territorial est particulirement intressant, parce quil joue le rle de test et si lon peut dire, de validation des principes du dveloppement durable. En effet, le champ 27

territorial, par sa nature, ne peut se contenter de positions de principe, de doctrines, didologies. La territorialit implique des solutions tangibles des problmes concrets. Les collectivits ne sont pas contre lapplication des principes, mais veulent savoir o elles vont quand elles affichent des politiques de durabilits. Quel contenu mettre derrire les mots, quelles sont les remises en questions implicites sous-jacentes, notamment dans le champ de la gouvernance, de la cration de nouvelles politiques publiques et de la co-construction des projets de territoires? Quelles implications dans la prise en compte des risques et du principe de prcaution? Est ce que le dveloppement durable ne vhicule pas une idologie du refus (non dit) dagir, et de renforcement des facteurs dinertie, car, force de multiplier les critres dapplication du principe de prcaution dans tous les domaines, notamment environnementaux, de nombreux acteurs pourraient baisser les bras, se sentir ligots, et se trouver dans la situation dtre incapables de proposer leurs concitoyens des rponses des enjeux importants comme le dveloppement conomique, la politique du logement, lamnagement urbain. On peut la limite concevoir une sorte de quasi-rbellion contre un affichage trop fort du dveloppement durable, considr pour certains acteurs comme une faon perverse de mettre les btons dans les roues des dcideurs locaux, pourtant pleins de bonne volont. On peroit une forte tendance vouloir ruser avec le dveloppement durable, ladmettre, puisquil est maintenant devenu pratiquement impossible de le refuser de faon frontale, tout en trouvant des parades sa mise en uvre effective. Lexemple du dbat sur le thme de la ville compacte, ou du retour la ville, et la construction des stratgies alternatives la dispersion urbaine priphrique, est significatif: faire de lamnagement urbain durable, oui, mais condition de ne pas toucher la sacro-sainte automobile Programmer de nouveaux axes de TGV en site propre, oui, mais la condition de relancer les programmes autoroutiers Ne pas remettre en cause les principes de la solidarit sociale urbaine, mais compenser le refus dimplanter des HLM supplmentaires dans certains quartiers aiss par une prquation financire, ce qui est une manire dacheter laffichage de la sgrgation sociale locale. De mme, la remise en cause des DTA (pourtant cres lpoque du Ministre Pasqua), et le retour un certain laisser-faire dans les processus durbanisation priphrique... Est-ce que lon ne va pas vers des formes de dveloppement durable locales plusieurs vitesses? Certaines collectivits, certains territoires pourraient faire du dveloppement durable haute densit, avec la reconnaissance dune forte identit socitale locale, dune cologie politique clairement affiche, des principes de gouvernance fortement orients vers une subsidiarit active et participative, et un mcanisme participatif botton-up accentu, un dveloppement conomique conditionn par le respect et lintgration de normes durables, tant du point de vue de la qualit architecturale et urbanistique des espaces de travail, de lergonomie des conditions de travail, et des produits tourns galement vers des logiques dinnovation conomes en intrants fortement consommateurs en ressources non renouvelables En revanche, dautres collectivits, sous couvert daffichage durable, feront tout le contraire dune politique locale de durabilit, avec une certaine propension aller dans le sens des aspirations composites et contradictoires des classes moyennes, qui, bien souvent, sintressent ces questions, pour autant quelles ne les touchent pas personnellement, dont les comportements NIMBY (not in my back yeard) en sont le signe tangible.

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Ainsi, on irait vers des situations trs contrastes localement, et cela divers niveaux dchelle allant du micro-local aux grands espaces inter-rgionaux. Mais alors, quelle serait la cohrence densemble de ces territoires en patwchork de durable et de non durable? Est-ce que cette question ne repose pas la question de lavenir de lamnagement du territoire dans un pays comme la France, et la question de savoir comment rendre compatible des options long terme sur des territoires dont le critre premier de pertinence serait les cosystmes territorialiss (par exemple les bassins versants) avec les aspirations la diversit des pratiques socitales des pays dvelopps? Retenons tout le moins cette ide centrale : il existe un tropisme marqu entre la philosophie du dveloppement durable et les territoires, au sens de territorialit, comme si les territoires taient lexpression dun terrain daction privilgi de cette notion. Pour quelle raison ? Peut-tre parce quil existe un lien assez fort, mais implicite seulement, entre la notion du global-local des militants du dveloppement durable et la ralit des phnomnes de socit en milieu local, caractrise par le fait quau niveau local tous les facteurs senchevtrent, et le fait que spontanment le local est un segment complexe du tout global. Autrement dit, ce tropisme reposerait sur une sorte de pente naturelle allant dans le sens du lien entre lidologie du dveloppement durable et la ralit substantielle du local, pourtant entrav par les pratiques damnagement dominantes, travers les logiques de compartimentage et de zonage fonctionnel des espaces, autant que par les enjeux conomiques et leur traduction en processus localiss de spcialisation des espaces. Ainsi la notion de dveloppement durable territorialis servirait de support la recherche dun retour la reconnaissance du caractre complexe, au sens de la notion de complexit, de la relation socit/ nature/espace/territoire.

3) La question dune problmatique spatiale durable. La question est de savoir comment dterminer les lignes de forces possibles dun nouveau modle dorganisation de lespace au sein mme du systme politico-conomique dominant, qui viserait le transformer chemin faisant grce un nombre infini de petites modifications, sur les marges du systme, dans une logique de percolation et non pas de rupture, en vue den inflchir la course de faon plus ou moins radicale, travers le temps long des processus sociopolitiques. Les deux postulats sous-jacents cette dfinition sont les suivants: primo, il est possible de modifier la ralit par des modifications partielles et graduelles qui ne la remettent pas en cause de faon frontale, et secondo, les territoires reprsentent un bon levier pour raliser cette transformation par petites touches itratives entre la reconnaissance de nouvelles pratiques sociales et lappui de la collectivit ces nouvelles pratiques par des politiques cohrentes avec celles-ci. Il y aurait de ce point de vue, non pas un modle spatial mais plusieurs modles, mais avec un substrat commun dont le socle consiste poser lide que lespace est un bien rare, quil faut lutiliser avec parcimonie, que les territoires sont le produit dune histoire longue, celle de linteraction homme-nature sur la trs longue dure historique, et que ce legs de lhumanit mrite quon ne le dtruise pas, tout le moins que lon ait un droit de regard sur la transmission de ce patrimoine quest lespace produit et humanis au cours des sicles. A partir de l, quatre variantes seraient possibles, qui pourraient chacune faire lobjet de la construction dindicateurs pertinents conformes leur objet.

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-1) Un modle de dveloppement durable quantitatif mais pas qualitatif, ce que lon pourrait appeler le modle de Singapour. Dans cette ville, si vous laissez traner un papier par terre vous pouvez aller en prison. Cest le modle de la qualit totale ou du zro dfaut environnemental, mais qui est par ailleurs compltement intgr la logique la plus capitalistique qui soit, la plus intgre aux logiques de la globalisation. Indicateur-type : les indicateurs HQE , Haute Qualit Environnementale. -2) Un modle de dveloppement durable quantitatif et qualitatif, mais sans changement de la logique du systme dominant. Une amlioration terme du cadre de vie et des conditions de vie, mais sans passerelles possibles avec lmergence dun autre processus global dorganisation de la socit, que lon pourrait dfinir par le modle progressiste du dveloppement durable localis. Indicateur-type: indicateurs du mieux tre environnemental. -3) Un modle de dveloppement durable quantitatif et qualitatif avec changement de la nature du systme social, mais sans changement de la nature du systme conomique et de lorganisation gnrale de la socit. Cest un modle prudent , de type social dmocrate avanc, mais qui ne touche pas au socle du systme, et qui, dune certaine faon, lui permet de rebondir en sajustant au contexte critique. Indicateur-type : indicateurs du dveloppement humain des Nations Unis -4) Un modle de dveloppement durable quantitatif et quantitatif avec changement de la nature du systme social et avec un changement de la nature du systme conomique et organisationnel, mais selon des formes qui sont polysmiques, susceptibles de sadapter aussi bien au modle dominant qua un modle alternatif. Indicateur-type :Indicateurs du dveloppement humain des Nations-Unis coupls des indicateurs portant sur les processus de production, sur lchange des produits et des services, non pas sur le seul territoire considr, mais sur la relation entre un territoire et dautres territoires avec lesquels ce territoire est en relation, sur la proprit sociale des capitaux et sur la capacit de lorganisation politique rpondre aux aspirations de la gnration actuelle en augmentant le potentiel de rponse aux aspirations des gnrations futurs, et non pas, comme lindique la dfinition trs restrictive, la dfinition officielle du dveloppement durable que lon doit madame BRUNTLAND, dans son rapport aux Nations Unies de 1988, sans sacrifier celles des gnrations futures . Ainsi, pour prendre lexemple de lurbanisation priphrique, face la logique de la terre brle actuelle, qui se traduit par lurbanisation plus ou moins sauvage des zones rurales situes sur les marges des espaces urbains agglomrs, on peroit bien quil y a plusieurs rponses alternatives possibles. Elles vont du refus de la croissance priphrique sans contrle un modle dans lequel la voiture ne serait pas interdite,- ce qui serait lexpression dune logique autoritaire peu compatible avec lesprit du dveloppement durable-, mais dans lequel, lusage de lautomobile deviendrait inutile et superflue pour les usages courants et quotidiens. Mais un tel modle de dveloppement pose une autre question, que lon naborde en gnral pas, savoir que si le nombre de km/homme/an passe, disons, de 15.000 km 5.000 km, la dure dusage dune automobile type va passer, disons, de cinq ans dix ans, ce qui veut dire que, toutes choses gales par ailleurs, le nombre dautomobiles produites sur une anne pour rpondre la demande effective va baisser de x%, peut-tre de 20 30%. Donc, et l encore, toute chose gale par ailleurs, lemploi va chuter dautant. La vraie question est alors de se demander, du point de vue dune logique socitale globale durable, comment les travailleurs dont lemploi sera supprim au nom dune politique damnagement urbain durable, vont pouvoir gagner leur vie, 30

et ne pas se retrouver au chmage. Cette question, il nest pas ncessaire de se la poser tant que lon raisonne en logique de dveloppement durable enferme ou cantonne un champ partiel, ou une vision partielle, mais elle devient invitable dans une approche complexe, c'est-dire exprime en terme dinteraction entre les systmes. Or la rponse