promotion immobilière et recours contentieux · 2020. 5. 8. · bancaire et la commercialisation...

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DOSSIER TECHNIQUE I AVRIL 2020 Promotion immobilière et recours contentieux : Les recours contre les permis de construire sont fréquents. Certains d’entre eux sont abusifs. Les évolutions récentes du droit visent à protéger les promoteurs immobiliers et leurs projets de ces recours abusifs. Une série de règles permettent ainsi de limiter les possibilités de recours, ou, lorsque ceux-ci sont en cours, de protéger les intérêts du promoteur. I Les recours contentieux, un frein à la construction de logements ? I Les conditions du recours : les délais, l’intérêt à poursuivre I Actions et marge de manoeuvre du promoteur : agir face aux recours

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  • D O S S I E R T E C H N I Q U E I A V R I L 2 0 2 0

    Promotion immobilière

    et recours contentieux :

    Les recours contre les permisde construire sont fréquents.Certains d’entre eux sont abusifs. Les évolutions récentes du droit visent à protéger les promoteurs immobiliers et leurs projets de ces recours abusifs. Une série de règles permettent ainsi de limiter les possibilités de recours, ou, lorsque ceux-ci sont en cours, de protéger les intérêts du promoteur.

    I Les recours contentieux, un frein à la construction de logements ?

    I Les conditions du recours : les délais, l’intérêt à poursuivre

    I Actions et marge de manoeuvre du promoteur : agir face aux recours

  • Les recours contentieux,Un frein à la construction de logements ?

    Vers un encadrement toujours plus fort des contentieux

    A l’heure où la construction de logement, est un objectif majeur des politiques publiques, notamment en Ile-de-France qui doit construire 70.000 logements chaque année pour remédier à la crise du logement, les recours contentieux contre les permis de construire sont encore nombreux et sont un des freins empêchant d’atteindre ces objectifs. Selon la Fédération des promoteurs immobiliers, 30 000 logements seraient aujourd’hui bloqués par des recours. C’est un vrai problème pour l’Etat, qui vise les limiter lorsqu’ils sont abusifs.

    Une immense majorité des permis de construire déposés ne sont pas attaqués : entre 1,2 et 1,6% des permis délivrés font l’objet d’un recours, comme le note le rapport Maugüé1. Parmi les 6 000 contentieux annuels, la moitié correspond à des constructions individuelles et entre un quart et un tiers à des logements collectifs. Ce sont surtout eux qui impactent les promoteurs.

    Si certains recours sont justifiés, certains permis sont attaqués alors même que les permis de construire sont conformes aux différents documents d’urbanisme. Dans ces cas, on peut parler de recours abusifs : les requérants poursuivent pour retarder des projets ou pour négocier des contreparties financières.

    Ces recours abusifs veulent remettre en question ces projet.

    Des délais de jugement allongés, des opérations menacées

    Les recours peuvent mettre en péril les projets envisagés. En cause : les délais longs de traitement des recours par les différents tribunaux, qui se confrontent au mode de financement des projets immobiliers. Ainsi, en 2013, « le délai moyen de jugement des recours contre les permis de construire s’était stabilisé à 23 mois en première instance, il était de 16 à 18 mois en appel et de 14 mois en cassation » comme le note le rapport Mauguë 2018. Ainsi, un projet de construction peut fréquemment accuser un retard de 5 ans, du fait d’un recours.

    Dès lors, « l’origine (des) difficultés (rencontrées par les promoteurs immobiliers) tient en grande partie au mode de réalisation des opérations, par le biais de la vente en l’état futur d’achèvement - le recours à un financement bancaire et la commercialisation des logements avant leur réalisation s’accommodent mal d’un risque contentieux, tant les banquiers que les notaires attendant que le permis soit définitif avant de financer la construction et de passer les actes permettant la vente des biens immobiliers à usage d’habitation »2.

    Ainsi, comme l’exprime le rapport Mauguë « les recours retardent, voire rendent impossibles les opérations ; ces recours ont un impact sur le coût des constructions ».

    Bien conscients que les recours, lorsqu’ils sont abusifs, ajoutent à la crise du logement, le législateur n’a eu de cesse de vouloir encadrer le droit au recours, pour limiter les abus.

    Ainsi, il y a eu pas moins de huit réformes du droit des contentieux en urbanisme depuis 1994. Gouvernements de droite, comme de gauche se sont en effet saisis de ce problème et ont tenté d’y apporter des réponses. Toutes vont dans le même sens, celui d’une limitation du droit au recours.

    Les premières lois vont tenter ainsi de limiter l’insécurité juridique ou la multiplicité des recours contre un même permis de construire (Loi Bosson de 1994 et loi SRU en 2000). Les lois suivantes vont tenter de restreindre l’intérêt à agir, notamment celui des associations (loi ENL en 2006), ou le délai de recours qui débute à la date de l’affichage du permis de construire et dure deux mois (décret de 2007).

    En 2013, de nouveaux apports sont réalisés. Est introduit la possibilité de condamner à des dommages et intérêts pour recours abusifs, ainsi que l’élargissement des

    possibilités de régularisation du permis en cours d’instance : un permis peut ainsi être modifié pendant le temps du recours pour lever les doutes sur sa conformité avec les documents d’urbanisme existants.

    La loi Macron de 2015 va tacher de sécuriser les promoteurs en limitant la possibilité d’imposer une démolition si le permis de construire est effectivement annulé par le juge. Les promoteurs sont ainsi théoriquement encouragés à construire en cas de recours.

    Ainsi, les différentes réformes successives ont tenté de limiter la possibilité de réaliser des recours contre des permis de construire et à l’encadrer de manière à limiter les recours abusifs, mais également afin de sécuriser les promoteurs immobiliers. Contester des permis est donc de plus en plus compliquée. La loi va dans le sens d’une plus grande protection des déposants de permis de construire pour éviter les recours abusifs, tout comme la jurisprudence. La loi ELAN (évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), adoptée en octobre 2018 va également dans ce sens, comme nous allons désormais le voir.

    1- Le rapport Maugüé « Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace Rapport au ministre de la cohésion des territoires » a été réalisé par le groupe de travail présidé par Christine Maugüé, conseillère d’Etat en janvier 2018

    2 - Comme le note l’exposé des motifs relatif à l’article 29 du projet de « loi Macron » du 10 décembre 2014

    “”

    1,4%des permis

    de construirefont l’objet

    d’un recours

    “”

    1 permis sur 300

    est annulé (à cause d’un recours)

  • Les conditions du recours :Les délais, l’intérêt à poursuivre

    « Un recours n’est pas forcément une mauvaise chose. Il peut nous permettre d’améliorer le permis initial. Et, même lorsqu’il est abusif, nous avons à Projim de nombreuses solutions. En amont, pour s’en prémunir (assurances, achat du terrain), et en aval, pour en tirer partie (en attaquant le porteur du recours, ou bien, simplement

    parce qu’en rallongeant les délais de vente, nous retirons du projet des marges plus importantes). Un recours, c’est souvent une évolution favorable pour Projim ! »

    Bertrand Jacquelot, président de Projim

    Un particulier ou une association peut réaliser différents types de recours : le recours gracieux et le recours contentieux. Le représentant de l’État, le préfet, peut également formuler un recours, c’est le retrait administratif - ce qui est très rare.

    Fig 2 : Les différents recours contentieux et leurs recours contentieux

    Chaque année, il y a

    6 000recours contre

    des permis de construire,

    dont 1/3 pour des

    logements collectifs

    ”“0,35%des permis

    dans le collectif sont attaqués

    Un recours peut être engagé à plusieurs conditions :

    1/ L’intérêt à agir

    Il faut que le requérant ait un « intérêt à agir ». Trois principaux critères permettant d’en juger :

    • la qualité du requérant : ce peuvent être des associations, un tiers ayant un intérêt à agir, des collectivités territo-riales…

    • la temporalité de la requête par rapport au dépôt de l’auto-risation : l’intérêt à agir doit exister au moment du dépôt du permis de construire et non pas au moment de la plainte.

    • la preuve d’un intérêt à agir pour les tiers : depuis la loi ELAN, le plaignant doit prouver que les travaux projetés sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien.

    L’intérêt à agir limite donc les possibilités de recours aux seules personnes concernées réellement, et limite les actions opportunistes, mais la procédure demeure longue, et même risquée pour celui qui tente un recours, les promoteurs, en cas de recours abusifs, pouvant demander des dommages et intérêts.

    2/ Le respect des délais :

    Dans un délai de deux mois à partir de l’affichage du permis de construire, le porteur de projet, un recours peut

    être réalisé. Le recours n’est pas adressé au promoteur, mais à la mairie, qui délivre le permis de construire. C’est la décision de construire de la mairie qui est attaquée.

    3/ Des doutes réels sur la légalité du permis de construire

    La demande doit reposer sur des motifs légaux, et pas sur des motifs subjectifs. Il faut que le permis de construire enfreigne le droit de l’urbanisme, ou le document d’urbanisme communal, afin de pouvoir poursuivre.

    Le recours peut-être, dans un premier temps, gracieux. Dans ce cas, le requérant et le titulaire du permis peuvent entamer des négociations à l’amiable. Pour le promoteur, avoir un recours est intéressant car il a intérêt à éviter les contestations pour voir son projet aboutir. L’alerter sur d’éventuelles irrégularités lui permettra de changer son permis de construire et de le sécuriser. Cette négociation à l’amiable présente donc des avantages pour toutes les parties. Si le recours gracieux n’aboutit pas, le requérant peut toujours porter un recours contentieux, devant le tri-bunal administratif.

    Le recours contentieux est à déposer au tribunal administratif. La mairie et le dépositaire du permis de construire doivent être informés du recours. C’est alors la mairie qui doit défendre, devant le tribunal, le permis de construire.

  • Actions et marge de manoeuvre du promoteurAgir en cas de recours

    Face aux recours, le promoteur n’est pas démuni. Il peut s’en prémunir, en amont, ou en éviter les effets négatifs bloquants, en aval, surtout lorsqu’il est dans son bon droit, et qu’il sait le permis de construire déposé légal ! Attaquer un permis de construire permet seulement retarder un projet.

    Se prémunir des recours

    Les promoteurs peuvent se prémunir des conséquences négatives des recours. Ils peuvent notamment limiter une partie des pertes financières occasionnées. Trois actions majeures sont alors possibles.

    Associer le vendeur sur la durée

    Les promesses de vente de terrain ont souvent une durée limitée, et le temps de traitement d’un recours peut en dépasser la durée de validité de la promesse de vente, rendant celle-ci caduque. Mais le promoteur peut associer le vendeur du terrain lors de la promesse de vente et contractualiser une clause permettant de la prolonger en cas de recours. Cette clause contractuelle permet d’éviter l’abandon d’un projet, notamment si le promoteur sait qu’il risque de faire l’objet d’un recours par des riverains.

    Présenter le projet au riverain

    Pour s’assurer d’avoir les meilleurs rapports possibles avec les riverains du projet de construction, et ainsi désamorcer d’éventuels conflits, le promoteur peut présenter son projet, en réunion publique organisée sur demande de la mairie, ou bien de manière informelle auprès des voisins. Cela permet de rassurer les habitants et éventuellement de négocier des points de blocage en amont, sans aller jusqu’à un recours.

    S’assurer contre les recours

    Enfin, certaines assurances assurent les promoteurs contre les recours. Elles lui garantissent alors de pouvoir construire, même si le recours n’est pas purgé.

    En cas de recours

    Réaliser un permis modificatif

    En cas de recours, le promoteur peut agir. Si certains éléments du recours sont fondés, il peut réaliser un permis modificatif, permettant de lever les points de doute et de s’assurer de la légalité de son projet. Le promoteur n’a aucun intérêt à réaliser des constructions basées sur un permis de construire illégal, et préférera toujours s’assurer de la légalité de ses constructions.

    Construire en cas de recours

    Mais, si malgré toutes ces précautions, un recours est mené contre le permis de construire, le promoteur n’est pas nécessairement bloqué, notamment s’il n’a aucun doute sur la légalité de son permis, ou s’il est assuré.

    Si le recours va bloquer les capacités du promoteur à emprunter et à avoir accès à des ressources financières , il ne bloque pas nécessairement la construction : le promoteur peut ainsi décider de construire en utilisant ses fonds propres, sans emprunter.

    Ainsi, si le permis est obtenu et attaqué sur des détails, le risque annulation du permis est limité. Le promoteur peut donc construire, même si le recours est en cours de jugement. D’autant que les risques de voir la réalisation démolie, même en cas d’annulation du permis de construire sont très limités.

    Le promoteur peut être gagnant en cas de recours

    Demander des dommages et intérêts

    Les jurisprudences commencent à être en faveur des promoteurs, qui peuvent demander des dommages et intérêts sur les pertes éventuelles dans le cas de recours abusifs. Ainsi, récemment, le tribunal administratif de Lyon a condamné à 87 000€ de dommages et intérêts un requérant pour une requête jugée abusive (Tribunal Administratif de Lyon 17 novembre 2015 req. n° 1303301). Les dommages et intérêts reposent sur le calcul des bénéfices que l’opération aurait généré, le risque pour le requérant est ainsi conséquent car les montants peuvent être élevés.

    L’augmentation des prix de l’immobilier : le promoteur gagnant en cas de recours

    Au-delà, un recours peut même faire gagner de l’argent au promoteur, les prix de l’immobilier continuant à croître pendant la période où il ne construit pas. Ainsi, le prix de son terrain restant constant, tout comme ses coûts de construction, les marges liées à la vente des logements augmentent.

    Un promoteur n’a aucun intérêt à faire un permis qui pourrait être annulé ! Il met tout en oeuvre pour s’assurer que son permis est conforme au droit de l’urbanisme. En revanche, en cas de recours, les promoteurs, aidés par les évolutions récentes

    du droit de l’urbanisme, disposent d’outils pour continuer à construire.

    Auteurs : Fonticelli Claire, Docteur en sciences du paysage - Jacquelot Bertrand, Directeur Général de ProjimImpression : ARIA Repro

    www.projim.com

    Fig 3 : L’évolution des prix immobiliers neufs en France (source : JDN)