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PROFESSION INFIRMIERE

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YOLANDE COHEN

Profession infirmière

Une histoire des soinsdans les hôpitaux du Québec

LES PRESSES DE L'UNIVERSITE DE MONTREAL

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À Marcel Fournier

Je remercie sincèrement Nadia Fahmy Eidqui a bien voulu me faire l'amitié de relire le manuscrit.

Données de catalogage avant publication (Canada)

Cohen, YolandeProfession infirmière: une histoire des soins dans les hôpitaux du Québec

Comprend des réf. bibliogr.

ISBN 1-7606-1764-5

1. Soins infirmiers - Québec (Province) - Histoire.2. Infirmières - Québec (Province) - Associations - Histoire.3. Soins infirmiers - Pratique - Québec (Province) - Histoire.4. Collaboration infirmière-médecin - Québec (Province) - Histoire.5. Infirmières - Québec (Province) - Biographies.I. Titre.

RT6.Q8c63 2ooo 6Io.73'o97I4 C00-940566-6

Les Presses de l'Université de Montréal remercient le ministère duPatrimoine canadien du soutien qui leur est accordé dans le cadre duProgramme d'aide au développement de l'industrie de l'édition.

Les Presses de l'Université de Montréal remercient également le Con-seil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprisesculturelles du Québec (SODEC).

Dépôt légal: 2e trimestre 2000Bibliothèque nationale du Québec© Les Presses de l'Université de Montréal, 2000

IMPRIMÉ AU CANADA

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Introduction

1 OLYVALENTE, encore presque exclusivement exer-cée par des femmes et incomplètement intégrée à la médecine, laprofession d'infirmière pratiquée au Québec a connu une histoirecomplexe, qui déborde largement les revendications syndicales ou lesréformes législatives. Et si la reconnaissance professionnelle est dé-sormais acquise, les avantages qui en découlent généralement ne lesont pas toujours.

Considéré dans une perspective historique, le «virage ambula-toire» amorcé ces dernières années, apparaît comme un retour dubalancier. Après un mouvement en faveur de l'institutionnalisationdes soins infirmiers dans les années 1930 qui fera quasiment dispa-raître les services privés d'infirmières, aujourd'hui, près de la moitiédes 67 ooo infirmières du Québec — dont plus de 30 ooo travaillentà temps partiel — exercent leur métier à l'extérieur des hôpitaux1.

Affectées par des réformes principalement motivées par des impé-ratifs économiques, les infirmières ont néanmoins choisi de participerà la reconstruction du réseau de la santé, ce que l'Ordre des infirmiè-

I . Grand reportage de Carole BEAULIEU, L'actualité, 15 juin 1997, vol. 22,n° 10, p. 14-34.

P

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res et infirmiers du Québec (OIIQ) appelle le «virage clientèle». Or,si la terminologie peut sembler nouvelle, l'histoire mouvementée etpassionnante des infirmières au Québec témoigne de cette tensionconstante entre les impératifs professionnels et ceux créées par lesliens privilégiés avec les patients. Le rappel, par un récent congrès del'OIIQ, des pouvoirs réconfortants des infirmières dans « une sociétéen mal de sollicitude » indique bien les priorités mises dans l'aspecthumain des soins. En fait, une histoire des soins infirmiers doit avoirpour but d'illustrer les différentes influences qui ont marqué cetteprofession.

Or, cette histoire, déjà largement défrichée grâce aux préoccupa-tions de la recherche féministe, a déjà produit des résultats et desinterprétations fort pertinentes. Certes, elle s'est construite sur desolides bases. L'interprétation traditionnelle, qui a privilégié une ap-proche évolutive du métier à la profession, a fait une large place à lalutte des pionnières pour obtenir le titre d'infirmière enregistrée etaccéder au statut de profession à part entière2. L'issue de cette lutteest cependant loin de faire l'unanimité et favorise l'émergence denouvelles analyses3.

Ainsi en est-il de l'approche qui considère les soins infirmiers entermes d'organisation du travail, de prolétarisation du travail infir-mier, de rationalisation de l'industrie des soins. Dans cette perspec-tive, et à l'inverse de la précédente qui fait de l'histoire du nursingune longue conquête vers plus d'autonomie pour arriver graduelle-ment à l'obtention du statut professionnel, les infirmières verraientleurs conditions de travail se dégrader, de la relative autonomie du

2. Édouard DESJARDINS, Suzanne GIROUX et Eileen FLANAGAN, Histoire de laprofession infirmière au Québec, Montréal, AIPQ, 1970, 270 p.

3. Amitai ETZION (dir.), The Semi-Professions and Their Organization, NewYork, 1969. Voir dans une perspective féministe, Jo-Anne ASHLEY,Hospitals, Paternalism and the Role of the Nurse, New York, 1976. Voiraussi Mary KINNEAR, Subordination, Professional Women, 1870-1970,Montréal, McGill-Queen's University Press, 1995. Celia DAVIES préfèresituer historiquement cette bataille et la réduire à une bataille pour laprofessionnalisation ou à une idéologie professionnelle, « ProfessionalizingStratégies as Time and Culture-Bound: American and British Nursing, CircaI893» in LAGEMANN (dir.), Nursing History: New Perspectives, NewPossibilities, New York, Columbia University, Teachers' Collège Press,I983.

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travailleur indépendant avant la Seconde Guerre mondiale au tra-vailleur salarié et syndiqué, encadré de façon rigide par une hiérar-chie stricte et des règlements draconiens. Ce type d'analyse, plusmatérialiste, explique bien l'évolution du travail infirmier et sa syndi-calisation. Il laisse toutefois dans l'ombre un élément central, le faitque ce soit majoritairement des femmes qui effectuent ce travail.C'est à cette question qu'une pléthore de travaux s'intéressent, pourmontrer l'incidence des rapports de genre dans la définition destâches et des savoirs infirmiers. Les plus récentes synthèses considè-rent la catégorie de genre comme aussi importante que celle de pro-fession pour analyser l'évolution du nursing au Canada4.

Genre, travail et ethnicité

L'apparition au tournant du siècle d'un métier directement lié àl'identité de genre féminin ne manque pas de surprendre. À un mo-ment où les interdits frappent le travail des femmes d'un opprobresans pareil, se constitue une niche accommodant parfaitement letravail des femmes, qui devient aussi, on l'a abondamment soulignéensuite, un ghetto d'emploi féminin, soumis à des règles et à unediscipline particulières. Certes, on le sait, les femmes occupent déjàdes emplois salariés dans certains secteurs sous-qualifiés, comme letravail domestique, l'emploi dans les industries textiles, et dans laconfection. Le métier d'infirmière, comme d'ailleurs celui d'institu-trice, présente la particularité de s'adresser à des jeunes filles, issuesde familles aisées, et pouvant devenir, du moins telle en est l'ambi-tion initiale, une véritable carrière.

Toutefois, contrairement aux carrières en éducation, d'abord mas-culines et qui se sont féminisées avec l'accession partielle des femmesà l'éducation supérieure5, le métier d'infirmière se modèle sur desvaleurs exclusivement féminines. Pour que se réalise ce projet, il nesuffit pas que des visionnaires telles que Florence Nightingale en

4. Alice BAUMGART et Jenniece LARSEN (dir.), Canadian Nursing Faces theFuture : Development and Change, St. Louis, 1988 ; Janet KERR et JannettaMACPHAIL, Canadian Nursing: Issues and Perspectives, St. Louis, 1991.

5. N. THIVIERGE et M. TREMBLAY, « Féminisation des sciences de l'administra-tion et insertion des diplômées dans la carrière », in Nicole THIVIERGE (dir.),Savoir et développement: pour une histoire de l'UQAR, Rimouski,GRIDEQ/UQAR, 1994, p. 191-224.

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fassent la promotion, il faut encore que certaines conditions soientréunies. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer latransformation d'une activité charitable en un véritable corps demétier revendiquant sa place dans les professions de la santé dans lespays occidentaux.

La présence d'un large mouvement philanthropique qui fait lapromotion d'idéaux de charité et de dévouement féminins expliqueen partie l'apparition du nursing au tournant du siècle. L'orientationd'une profession réservée aux femmes suggère un processus deprofessionnalisation incomplet. D'autres arguments sont apportés àl'appui de cette analyse.

Les dames patronnesses recrutées dans le mouvement philanthro-pique ont imposé le modèle médical au nursing6. Les contraintes del'idéologie professionnelle ont ainsi entravé le développement d'unesolidarité féministe, soudant artificiellement les infirmières auxvaleurs diffusées par les classes moyennes aisées auxquelles les pion-nières de la réforme des soins infirmiers appartenaient. Mais c'estaussi cette idéologie qui a permis aux infirmières de se construire uneplace dans le système de santé. D'autres interprétations renforcentcette analyse en y ajoutant la variable confessionnelle et ethnolin-guistique.

Au Canada, le travail infirmier est différent selon les originesconfessionnelles, régionales, sexuelles et ethniques de celles et ceuxqui l'exercent7. Le rôle de l'Église catholique au Québec apparaîtcomme l'élément qui retarde l'introduction de la science et de lamodernisation. Cette impression mérite d'être nuancée8. On a égale-

6. Susan M. REVERBY, Order to Care : The Dilemma of American Nursing,I850-1945, Cambridge History of Medicine, 1987, 286 p. voir aussi MerynSTUART in DODD et GORHAM, Caring and Curing: Historical Perspectiveson Women and Healing in Canada, Ottawa, University of Ottawa Press,1994.

7. Kathryn MCPHERSON, Bedside Matters : The Transformation of CanadianNursing, 1900-1990, Toronto, Oxford University Press, 1996.

8. Les travaux de Goulet, Fournier, Gingras, Keel, Laurin et Juteau nuancentchacun à leur façon cette idée, en précisant les rapports entre science, reli-gion et genre. Marcel FOURNIER, Yves GINGRAS et Othmar KEEL, Science etmédecine au Québec : perspectives socio-historiques, Québec, IQRC, I987 ;Denis GOULET, Histoire de la Faculté de médecine de l'Université de Mont-

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ment montré une profession en proie à des contraintes importantesoù les conditions de travail et le mode de recrutement ont conduit lesinfirmières à se doter de modes pluriels de représentation (syndicats,amicales, corporations...). Ces ambivalences ne peuvent s'expliquerpar le seul fait que l'on a ici affaire à une profession fortementidentifiée au genre féminin9. D'autres professions, qui furent d'abordmasculines, ont été tiraillées par des contraintes similaires. Ce quisuggère l'intérêt de multiplier les angles d'approche pour mieuxcerner cette histoire: aux catégories de genre qu'il faut scruter, ajou-tons l'analyse du rôle de l'État, observons la détermination des asso-ciations volontaires et professionnelles, la participation des médecins,le rôle des institutions hospitalières et de leurs directions (souventreligieuses).

Les infirmières dans les statistiques

Les infirmières apparaissent dans les statistiques canadiennes pour lapremière fois dans le recensement de 1911: elles y sont identifiéescomme aides familiales. Leur nombre connaît une importante pro-gression à partir de 192,1, date à laquelle presque toutes les provincesont accordé l'enregistrement et la reconnaissance professionnelle.

De 463 en 1911, les infirmières sont 3142, dix ans plus tard et72.2,4 en 1951. C'est donc une carrière qui n'est pas affectée par laCrise ou la guerre. C'est également un métier qui concentre à Mon-tréal une bonne moitié de ses effectifs. Notons par ailleurs que c'estun métier où dominent les femmes âgées de 25 ans et plus, avant1911. Cette structure par âge restera prépondérante (51% d'entreelles ayant 35 ans et plus en 1951), ce qui ne manque pas d'étonner,compte tenu de la propension plus grande des jeunes femmes àoccuper des emplois rémunérés. Il faudra bien sûr tenir compte dustatut civil des infirmières pour expliquer ce phénomène: se main-tiennent dans cette carrière des femmes à 93,8% célibataires en 1941et encore à 86,75% en 1951.

réal, 1843-1993, Montréal, VLB, 1993; Danielle JUTEAU et Nicole LAURIN,Un métier et une vocation : le travail des religieuses au Québec de 1901 à1971, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1996.

9. Comme le suggère Mary KINNEAR, op. cit.

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Le fort taux de célibat reste une donnée majeure du statut d'infir-mière avant la Seconde Guerre mondiale. Avec la valorisation qu'ellegagne dans les années 192,0, la profession d'infirmière semble avoirsuivi la trajectoire voulue par les pionnières. Ce qui expliquerait enpartie l'engouement des femmes pour ce type de profession durantune période où le travail salarié féminin est en déclin. Et ce, même sicette profession n'est ouverte qu'à un nombre très restreint de fem-mes, surtout âgées de 3 5 ans et plus, et pour la plupart célibataires(moins de i% de la population active féminine). Les exclusions,grands marqueurs de la distinction voulue par les pionnières, serontnombreuses : la moralité, la couleur de la peau, l'origine sociale, lapratique religieuse, la langue parlée, etc. Pour être infirmière, il fautêtre une femme, mais toutes les femmes ne peuvent devenir infirmiè-res. Il sera intéressant de voir comment ces critères de sélection sontmis en place et comment les modèles auxquels ils réfèrent sont trans-formés au cours de la période étudiée.

Le second grand changement que révèlent les chiffres se situe ausein même de la profession: il s'agit de la répartition entre les infir-mières employées dans les hôpitaux, celles en service privé et cellesen santé publique. La proportion s'inverse en 10 ans et passe de 60%pour les infirmières en service privé en 1930 (6370), à 31% en 1943(6387), tandis que l'emploi des infirmières dans les hôpitaux aug-mente considérablement; il passe de 14% en santé publique en 1930(1521) et 2,5% en hôpital (2,639) à 69% en 1943 (13 959). Ceschiffres indiquent bien la tendance lourde du travail infirmier, eninstitution, qui s'accentue après la Seconde Guerre mondiale10.

Ces chiffres suggèrent aussi d'autres pistes de recherche : les débatsautour de la professionnalisation des infirmières ont lieu alors queles soins infirmiers sont majoritairement privés, souvent dispensés àdomicile et s'apparentant encore à des services domestiques indiffé-renciés. Ces débats ont-ils suscité l'émergence de soins spécialisés etd'un corps d'infirmières compétentes ? En outre, une fois reconnu lestatut d'infirmière enregistrée, plusieurs sous-catégories d'infirmièrescontinuent d'œuvrer au sein de la profession et rendent la lecture desstatistiques encore plus difficile : graduées et non-graduées, infirmiè-

10. Ces chiffres sont repris par K. McPHERSON du Rapport Weir, op. cit. Voiraussi KINNEAR, op. cit., p. 181.

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res en service privé et infirmières dans les hôpitaux ou en servicepublic, religieuses et laïques, etc.

Une histoire multiforme

L'étude que nous proposons est construite autour d'une identité so-ciale de genre. À l'inverse de la naturalisation, par exemple, le métierd'infirmière vise à socialiser les femmes en tant que telles11. Onassiste alors à une surdétermination du féminin, source et objet desavoirs, qui donne aux femmes une position exclusive pour occuperle poste de soignante. Toutefois, très vite, les qualités dites intrinsè-ques de toutes les femmes ne suffisent plus pour être infirmière : s'yajoutent des caractéristiques nouvelles, telles que la vocation, la mis-sion, la moralité, la discipline, la charité... et plus tard la science, desconnaissances sur l'organisation du travail, une éducation formellespécialisée, etc. Ainsi aux stéréotypes féminins existants, eux-mêmesconstruits, viennent se greffer d'autres caractéristiques considéréescomme typiquement féminines.

Mis en contexte, ce processus est également révélateur d'autresparadoxes. D'abord on transgresse l'interdit du travail féminin, aumoment même où il est strictement réglementé (lois limitant le tra-vail des femmes et des enfants, par exemple). Ensuite, le métierd'infirmière apparaît comme répondant à une demande sociale,qu'elle soit formulée par les médecins, qui cherchent une assistantedocile, par l'Église qui vise à élargir son emprise sociale, ou par ceque l'on a appelé la croissance de la demande de soins. Mais lademande sociale et les progrès de la science et de la médecine ne fontque décrire un processus sans vraiment l'expliquer. Qui demandeplus de soins et pour quoi faire ? Pourquoi des soins dans les hôpi-taux et pas des soins à domicile ? Pourquoi une telle répartition destâches entre médecins et infirmières, en fonction de l'identité degenre et de la valorisation du savoir formel par rapport au savoir-faire? Il s'agira ici de mieux évaluer le rôle des hommes et desfemmes dans l'ouverture d'un espace de travail féminin, en le met-tant aussi en rapport avec l'extension des sphères d'intervention de

ii. Colette GUILLAUMIN, Sexe, race et pratique du pouvoir: l'idée de nature,Paris, Cité-femmes, 1992,; Mathieu JACQUES (dir.), La mémoire dans laculture, Sainte-Foy, Presses de l'Université Laval, 1995.

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l'État en matière d'assistance sociale. Certaines associations volontai-res, corporations et institutions se font les vecteurs d'une demanded'intervention plus grande de l'État dans des secteurs qu'elles jugentnévralgiques, telles que la protection de l'enfance, la maternité, oul'hygiène.

Histoire des identités de genre, histoire des savoirs féminins et desmodalités de leur transmission, histoire de l'éducation, histoire de lasanté publique, histoire du travail, histoire des pratiques sociales,l'histoire des infirmières est tout cela à la fois12. Elle se présentecomme une quête active de reconnaissance sociale, par les femmes etpour les femmes, qui ne défie pas sciemment le consensus social surla définition des rôles sexuels. Nous chercherons à comprendre cequi a conduit aux différentes transformations de la profession enfaisant valoir les raisons intrinsèques et externes aux changements.

La chronologie

Une première périodisation est ainsi suggérée : les balbutiementsd'une profession de 1880 à 1920; la professionnalisation de 192,0 à1946; la division entre travail et profession de 1946 à nos jours.C'est à partir de cette périodisation que nous avons établi la struc-ture générale de cet ouvrage, divisé en trois grandes parties chronolo-giques, elles-mêmes subdivisées en chapitres thématiques13.

L'histoire des infirmières au Québec s'est donc constituée en troisgrands moments : le premier est celui de l'émergence d'une demandede soins (demande sociale mais aussi demande de main-d'œuvre spé-cialisée dans les hôpitaux), à laquelle on commence par répondre defaçon très éclatée et selon les institutions (chaque hôpital devient un

12. Voir entre autres : Susan REVERBY, op. cit. ; Barbara MELOSH, ThePhysician's Hand: Work, Culture and Conflict in American Nursing, Phila-delphie, Temple University Press, 1982,; Ellen CONDLIFFE-LAGEMANN (dir.),op. cit. ; Celia DAVIES (dir.), Rewriting Nursing History, Totowa, NJ, CrownHelm London, 1980; Carol GILLIGAN, In a Différent Voice: PsychologicalTheory and Women's Development, Cambridge, Mass., Harvard UniversityPress, 1982,; Luc BOLTANSKI, Prime éducation et morale de classe, Paris,Mouton, 1982; Jacques COMMAILLE, Les stratégies des femmes, La Décou-verte, Paris, 1993 ; Pierre BOURDIEU, Le sens pratique, Éditions de Minuit,Paris, 1980.

13. Cette périodisation recoupe sensiblement celle des soins infirmiers dansd'autres régions du globe, même si son interprétation reste problématique.

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microcosme où ces tensions se font jour). Un corps spécialisé d'infir-mières naît avec la réforme des soins dans les années 1880.

L'industrialisation et l'urbanisation fournissent le contexte généralde cette histoire dont la trame est tissée par de nombreux autresfacteurs qu'il s'agit de mettre en lumière. En fait la question qui sepose, au-delà de l'appréciation du changement, c'est comment celui-ci est rendu possible et quels en sont les acteurs principaux.

De telles questions réordonnent l'enquête autour d'éléments à lafois plus conjoncturels et plus profonds. Ainsi, alors même que sedéploie un discours libéral, qui laisse aux agences privées (surtoutreligieuses) les responsabilités de la santé et des soins, différentesassociations revendiquent et obtiennent une intervention ponctuellede l'État dans des secteurs reconnus comme névralgiques. Ainsi, lacoalition en faveur de la défense des mères et des enfants réussit àfaire admettre la protection de l'enfance comme une urgence natio-nale, première brèche ouverte dans le non-interventionisme libéral, àl'origine de l'État-providence canadien14. Il s'agira de comprendre lerôle des groupes de pression dans la définition de ce qui relève dubien public, et de leur demande de prise en charge collective deprérogatives jusque-là confinées au domaine privé.

La revendication en faveur d'une réforme des soins sera égalementdécisive dans le déploiement de la santé publique, dans lequel seretrouveront une armée d'infirmières, anciennes gardes en serviceprivé recyclées en entrepreneurs indépendantes et infirmières hygié-nistes. Là s'arrête toutefois l'influence de groupes extérieurs au mi-lieu de la santé, relayés par les groupes professionnels durant lesannées qui suivent la Première Guerre mondiale. À partir de cetteépoque, les soins ne seront plus jamais pareils, bien que l'idéologieprofessionnelle connaisse aussi ses premières grandes victoires. Eneffet, à partir de 1913, toutes les provinces canadiennes se dotentd'une loi sur l'enregistrement des infirmières. Au cours de cette

14. JOY, PARR, Childhood and Family in Canadian History, Toronto,McClelland and Stewart, 1982; R. L. SCHNELL, «A Children Bureau ForCanada: The Origins of The Canadian Council on Child Welfare, 1913-192.1» in Allan MOSCOVITCH et Jim ALBERT, The Benevolent State: TheGrowth of Welfare in Canada, Toronto, Garamond Press, 1987, p. 95-110;MITCHINSON, WENDY, « Early Women's Organizations and Social Reform:Prélude to thé Welfare State », ibid., p. 77-92,.

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seconde période, les volontés de professionnalisation du métier sefont jour partout, surtout dans les écoles de formation, censées uni-formiser la pratique, tandis que le nombre d'infirmières en serviceprivé ne cesse d'augmenter. Tout se passe comme si les exigencesprofessionnelles faisaient office de critères de sélection stricts pourcontingenter l'accès à la profession et à l'emploi dans les institutionspubliques. Une manière de les contourner pour nombre d'infirmièresdans les régions du Québec est de continuer une pratique privée,puisque l'enregistrement n'est pas obligatoire pour exercer. Mais laLoi de l'assistance publique (192,1) et la volonté de rendre certainsservices publics, contiennent en germe la fin d'une façon de faire quilaissait une grande marge d'autonomie à ce genre de professionnelsindépendants.

La seconde période est marquée par l'intégration du système desanté à l'État. Alors que les associations canadiennes-anglaises préco-nisent l'enregistrement comme meilleur moyen de reconnaissance, lescanadiennes-françaises tentent de concilier mission apostolique etcarrière professionnelle. Cette double revendication aboutit en 1946à leur rassemblement au sein d'une corporation aux objectifs com-muns et à une structure semblable à celle des médecins.

À ces réglementations s'ajoutent la subdivision de la profession enplusieurs catégories et l'exaspération des conflits confessionnels quiconduiront à la seconde grande transformation des soins, celle dusalariat et de la syndicalisation des infirmières. La spécialisation ac-crue de la pratique médicale et l'émergence des infirmières auxiliairesdans nombre d'hôpitaux aboutissent à la définition de paramètresplus axés sur le travail que sur la profession, pour caractériser lemétier d'infirmière. C'est d'ailleurs à ce moment-là que la mixitéapparaît comme le moyen d'éliminer une trop grande identificationde la profession au genre féminin et sa subordination au corps médi-cal. Les amendements contenus dans la loi de 1943 intègrent préci-sément l'ensemble de ces dimensions.

Enfin, l'explosion des divergences de classe plutôt que d'ethnieaboutissent à la constitution de plusieurs catégories d'infirmières quitenteront de prendre le contrôle sur les autres intervenantes, auxiliai-res, préposés, etc. Cette troisième période, qui va de 1946 à 1970, estégalement marquée par l'explosion de mouvements féministes etnationalistes qui mettent les revendications salariales et identitairesau premier plan.

Extrait de la publication

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Introduction 17

On le voit, ces différentes étapes marquent l'histoire de la profes-sion comme autant de couches de sédimentation qui se superposentet finissent par en faire un ensemble complexe et contradictoire. Àchaque période correspondent des façons de faire, une logique dessoins et des cohortes de soignantes particulières. C'est à cet ensemblecomplexe et mouvant que nous allons consacrer l'essentiel de notreanalyse, que nous devons compléter par l'étude de facteurs exogènes,tels que les institutions hospitalières, les conditions de travail enpratique privée. Les hôpitaux occupent une place centrale dans cettehistoire: l'environnement hospitalier est déterminant dans la façondont se construisent les pratiques infirmières. La grande diversitéd'institutions et leur tranformation au cours de cette période favorisel'approche qualitative. Les cinq hôpitaux analysés en profondeur,PHôtel-Dieu de Montréal, l'hôpital Notre-Dame, le Montréal Gene-ral Hospital, l'hôpital Sainte-Justine et le Sherbrooke Hospital, offrentune variété de situations. Ils sont situés dans différentes régions duQuébec, sont administrés par des ordres religieux ou par des laïques,sont rattachés à des universités francophones ou anglophones, sontla propriété de communautés religieuses ou gérés par des conseilsd'administration, et ils sont parmi les premiers à s'être dotés d'écolesd'infirmières. Bien que chacun d'entre eux soit unique, ils n'en cons-tituent pas moins des modèles pour les autres hôpitaux du pays.Ainsi l'Hôtel-Dieu de Montréal, second hôpital fondé en Nouvelle-France, est une institution catholique propriété des hospitalières deSaint-Joseph. Comme les Hôtels-Dieu à Chicoutimi, à Lévis, à Qué-bec et à Trois-Rivières, il met sur pied une école qui s'inscrit dans lapremière vague d'écoles d'infirmières de la province, dès les annéesiS^o15. À l'Hôtel-Dieu de Montréal, les étudiantes laïques sontadmises très tôt, contrairement à ce qui se passe en région, où leuradmission se fera bien plus tard.

Le Montréal General Hospital est le premier hôpital anglo-protestant d'envergure au Québec et au Canada, qui s'est doté d'uneaffiliation universitaire très vite ainsi que d'une école d'infirmièresétablie sur des principes de Nightingale. Il sera le modèle suivi par lesautres hôpitaux anglophones du Québec. Les hôpitaux Sainte-

15. Denis GOULET et André PARADIS, Trois siècles d'histoire médicale au Qué-bec. Chronologie des institutions et des pratiques (16)9-1939), Montréal,VLB, i99z.

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i8 Profession infirmière

Justine, Notre-Dame et de Sherbrooke font partie d'une secondevague d'institutions, créées au début du xxe siècle et tournées tantvers la science que vers la charité. Notre-Dame et Sainte-Justine fontpartie de ce petit groupe d'hôpitaux catholiques dirigés par des laï-ques. Ainsi, Notre-Dame sera une des premières institutions catholi-ques au Québec à être gérée par les sœurs de la Charité, par unconseil d'administration et par un bureau médical. Sainte-Justine,administrée par les Filles de la Sagesse et par un conseil laïque,présente la particularité d'incorporer travail bénévole et travail ré-munéré, entièrement géré par des femmes, pour les soins des femmeset des enfants, à l'instar de ce qui se fait au Children's Hospital.Enfin, le Sherbrooke Hospital représente une autre variété d'hôpital,celle d'un petit hôpital régional, dont on retrouve l'équivalent dansd'autres localités, qui a l'ambition d'être un grand hôpital régionalpour les anglo-protestants.

Outre les hôpitaux, dont une grande partie du fonctionnementinterne est assurée par des infirmières (gestion, soins infirmiers, en-seignement), nous avons également porté notre attention sur tous lesautres lieux d'intervention des infirmières, afin de rendre compte del'ensemble du champ de leur intervention.

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i Les soinscomme mission

ENTRÉES SUR LE CORPS ET SON ENTRETIEN de

la naissance à la mort, les pratiques soignantes d'avant l'ère chré-tienne sont exercées selon les régions par des experts, hommes oufemmes, qui connaissent les plantes médicinales. On a pu par contreétablir une division assez stricte du travail entre, d'une part, lesguérisseuses, nourrices, sages-femmes, capables d'aider les autresfemmes à donner la vie et à perpétuer la communauté, et d'autrepart, les barbiers, embaumeurs, rebouteux, guerriers et médecins quiréparent, cautérisent, incisent les corps blessés1. Entre les deux, cha-mans, prêtres et sorciers s'occupent des âmes et de leur rédemption.L'avènement du christianisme transforme durablement cette configu-ration, en conférant aux prêtres le pouvoir sur les corps. Dès lors, àmoins d'être religieuses, les femmes sont évincées de ces fonctions etdénoncées comme sorcières si elles s'avisent de les exercer.

Cette transformation majeure dans l'histoire des soins tradition-nels, qui fait de l'entretien et des soins du corps un enjeu de pouvoir,mérite qu'on s'y arrête. Dès le IIe siècle, dans les diaconats, monas-tères et abbayes, des petits groupes de femmes se consacrent au soin

i. Marie Françoise COLLIÈRE, L'univers de la profession infirmière, Paris, Pres-ses de Lutèce, 1991.

C

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2,o Profession infirmière

des pauvres, en faisant vœu de chasteté ou, comme pour les bégui-nes, en restant dans le siècle. Certaines congrégations hospitalières,comme les Augustines de PHôtel-Dieu de Paris, marqueront de l'em-preinte de l'enfermement et du cloître leur conception des soins. Il seproduit alors une rupture entre les soins de voisinage, prodigués pardes femmes et des hommes du peuple, et les soins prodigués eninstitution par des religieuses. Si d'autres ordres échappent à la règledu cloître, comme les Filles de la Charité, plus proches des pauvresdans les dispensaires, les écoles ou les ouvroirs, la finalité spirituelledes soins s'avère prioritaire durant la période qui va du xive au débutdu xvme siècle. On veut ainsi valoriser celles qui oublient leur proprecorps pour dispenser les soins aux malades dont on attend, enéchange, une certaine reconnaissance. Ce pouvoir sur les corps seraparticulièrement significatif en situation coloniale.

L'œuvre humanitaire et hospitalière est une des missions sacréesdes communautés religieuses qui arrivaient avec les premiers colonsen Nouvelle-France. Les Sœurs de la Miséricorde, les premières às'établir en 1639, sont bientôt suivies de plusieurs autres, notammentles Sœurs de la Charité de Montréal, communément appelées SœursGrises, les Sœurs de Sainte-Anne, les Sœurs de la Providence et lesSœurs de la Congrégation Notre-Dame. Ces communautés fondentles premières missions médicales et introduisent un apprentissageformel des aspirantes infirmières, sur un modèle qui sera repris parles Sœurs de Saint-Joseph de la Flèche à Montréal. Si l'on en croit lesrelations de Marie de l'Incarnation, les sœurs sont des lettrées quipossèdent les ressources nécessaires (accès à des livres spécialisés et àun réseau de relations influentes) pour exercer leur ministère avecune grande efficacité2. Comparées aux nurses et aux sages-femmesdes colonies anglo-protestantes avoisinantes, elles bénéficient d'unereconnaissance et d'une situation enviables, tant par leurs savoirsque par le système de soins qu'elles réussissent à établir.

Les valeurs qui ont marqué les soins en milieu franco-catholiquerelèvent tant de la mission dictée au départ par les seigneurs et leursépouses que des pratiques établies dans la colonie pour s'y installeret survivre. Fer de lance du mouvement de colonisation, les installa-tions hospitalières érigées en Nouvelle-France sont aussi des entrepri-

z. Natalie Ann ZEMON DAVIS, Juive, catholique, protestante: trois femmes enmarge au XVIIe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1997.

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Les soins comme mission 2.1

ses téméraires marquées du sceau de l'espoir de convertir les sauva-ges en les soignant... Essentiellement le fait de dames de la hautesociété, préoccupées par la santé des leurs et de celles des colons, lessoins infirmiers sont entourés ici d'une aura de prestige, contraire-ment à la tradition anglaise, où le travail infirmier est effectué pardes femmes à tout faire. Même s'il est difficile de connaître lesinfluences réciproques entre pratiques autochtones et pratiques im-portées, et de mesurer les changements qui en ont résulté (taux deguérison, par exemple), les soins connaissent en Nouvelle-France unessor et une reconnaissance remarquables.

L'étude d'un des premiers hôpitaux du Canada permet d'analyserce qu'il advient dans la pratique de cette mission au cours des siècles.On distinguera trois grandes étapes dans le processus de réforme dessoins: la mission colonisatrice, la mission charitable et la missionféminine. Toutes trois ont pour dénominateur commun de réaliser lamission de rédemption issue de la tradition catholique. Nous verronsensuite ce que cette triple mission signifie concrètement pour lesfemmes qui en font leur métier.

Une triple mission apostolique

Jeanne Mance établit PHôtel-Dieu de Ville-Marie en 1642, rue Saint-Paul; pour l'aider à diriger, administrer et soigner, elle a quelquesservantes et un médecin chirurgien, Jean Poupée. En 1644, unedonation lui permet d'emménager dans des locaux un peu plus vas-tes et de s'adjoindre, en 1659, trois religieuses hospitalières de Saint-Joseph (Judith Moreau de Brisolles, Catherine Macé et MarieMaillet). Chargée de la gestion de l'hôpital tant que Jeanne Manceen demeure l'administratrice, la congrégation des Sœurs de Saint-Joseph3 a été fondée en 1636 dans le but «d'exercer auprès desmalades toutes les œuvres de Miséricorde, tant spirituelles que tem-porelles, sans autre but que celui du pur amour de Dieu et de laparfaite charité du prochain4 ». En 1669, quatre ans avant la mort de

3. Voir Robert LAHAISE, «L'Hôtel-Dieu du Vieux-Montréal», dans L'Hôtel-Dieu de Montréal 1642-1973 (en collaboration), Montréal, HurtubiseHMH, 1973 ; S. A., Hôtel-Dieu, le plus ancien hôpital de Montréal, Mon-tréal, 1973 ; Sœur Jeanne BERNIER, « L'hôpital de Jeanne Mance à Ville-Marie, son évolution à travers les siècles», thèse (1955), Montréal, Écoled'administration hospitalière, 1957.

4. AHDM, S.A., «Notice historique: Hôtel-Dieu de Montréal», I9Z9.

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Table des matières

Introduction 7

1 Les soins comme mission 19Une triple mission apostolique 21Les femmes à l'Hôtel-Dieu de Montréal 30

2 Les soins comme organisation 41Des soins au féminin 42Surintendantes et infirmières 53Surintendantes et «business manager» 67

3 Les soins comme profession 81La Registered Nurse 83Des infirmières diplômées 93

4 Les soins infirmiers à l'hôpital Notre-Dame 103La direction des Sœurs Grises 106La direction des soins infirmiers 116La direction de l'école d'infirmières 121Le départ des Sœurs Grises 128

5 Les soins comme service public 133L'expulsion des communautés religieuses 135Hygiénistes à la Ville de Montréal 144Les unités sanitaires de comté 157

6 La laïcisation du discours sur les soins 163La conception apostolique et scientifique 164La conception laïque et professionnelle 169Une concurrence impossible 179

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7 Les soins spécialisés à l'hôpital Sainte-Justine 183Le bénévolat féminin 184Bénévolat et professionnalisme 194Les revendications syndicales des infirmières 203

8 La contre-offensive des associations confessionnelles 209L'Association Jeanne-Mance

de l'Hôtel-Dieu de Montréal 210Les associations catholiques d'infirmières de Québec 215Une alliance impossible 221Les pressions de l'épiscopat 226

9 L'infirmière comme femme professionnelle 231La Loi des infirmières de 1947 234Les infirmières et les auxiliaires 241Une nouvelle identité professionnelle f 249

10 Les nouvelles normes de soins 255Des savoir-faire féminins aux savoirs infirmiers 256La formation universitaire 267Le système d'enseignement 278Les revendications salariales et la tentation syndicale 283

Conclusion 293

Liste des sigles 303

Bibliographie et sources 305

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