productivité agricole : des motifs d’inquiétude (i) …...la productivité agricole et mettra en...

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FARM - Note n° 7 - Juillet 2013 N° 7 - Juillet 2013 Mathilde Douillet et Pierre Girard, FARM Sera-t-on capable de nourrir correctement, à long terme, tous les habitants de notre planète ? Environ 870 millions de personnes, soit 12 % de la population mondiale proportion qui monte à 27 % en Afrique subsaharienne - sont aujourd’hui sous-alimentées (FAO 2012a). Or les experts prévoient un fort accroissement de la demande en raison de l’expansion démographique et de l’évolution des régimes alimentaires, liée à la progression des niveaux de vie et à l’urbanisation. Ces inquiétudes sont accentuées par plusieurs facteurs, dont la prise de conscience de la raréfaction des ressources (notamment la terre, l’eau et les énergies fossiles), les effets négatifs du changement climatique sur la production agricole, les dommages causés à la santé humaine et aux écosystèmes par les excès de l’agriculture intensive, ainsi que la montée en puissance des biocarburants. La forte hausse et l’amplification de la volatilité des prix de la plupart des produits agricoles depuis le milieu des années 2000 avivent encore les craintes, même si certains doutent que cette hausse soit durable (Westhoff 2013). Face à ces appréhensions, de nombreuses initiatives politiques misent sur la croissance de la production et de la productivité agricoles. Ainsi, le Plan d’action du G20 sur la volatilité des prix alimentaires et sur l’agriculture, rendu public en juin 2011, souligne « la nécessité d’augmenter la production agricole et la productivité dans une approche durable ». Lancée en 2012, l’initiative « Faim zéro » du secrétaire des Nations unies, Ban Ki-moon, retient l’objectif de « 100 % d’augmentation de la productivité et des revenus des petits exploitants » comme l’un des cinq piliers pour éradiquer la faim dans le monde. Or, si la nécessité d’accroître la production agricole en respectant davantage l’environnement fait pratiquement consensus, en revanche, l’impératif d’améliorer la productivité agricole est moins évident. De quoi parle-t-on exactement ? L’augmentation de la production agricole résulte de la combinaison de deux éléments : la quantité de facteurs de production (terre, capital, travail) mobilisée et l’amélioration de l’efficacité avec laquelle ces facteurs sont utilisés, grâce au progrès technique et organisationnel ou suite à une meilleure qualification de la main d’œuvre. La productivité mesure le second élément, c’est-à-dire l’efficacité du processus de production. Une hausse de la productivité peut, en théorie, accroître à la fois le revenu des producteurs et le pouvoir d’achat des consommateurs, grâce à la baisse des coûts de production unitaires. Elle stimule la production et la consommation et constitue, de ce fait, un moteur majeur de la croissance économique et de la progression du niveau de vie à moyen terme. Augmenter la productivité agricole est un enjeu Productivité agricole : des motifs d’inquiétude ? (I) Les concepts Pour renforcer la sécurité alimentaire mondiale et augmenter les revenus et l’emploi dans les pays en développement, la plupart des experts et des décideurs politiques appellent à accroître, de manière durable, la production et la productivité de l’agriculture. La nécessité d’augmenter la production fait quasiment consensus. Mais quelles sont exactement les raisons qui incitent à améliorer la productivité agricole ? Les inquiétudes exprimées à son égard (ralentissement de la croissance des rendements, impact négatif sur l’environnement ou encore réduction du nombre d’exploitations) sont-elles justifiées ? Compte tenu de l’ampleur du sujet, FARM a décidé d’y consacrer deux numéros de Notes. Le premier (Notes no 7) explore le concept de productivité agricole, ses déterminants et ses limites. Le second (Notes no 8) examinera les principales préoccupations liées à la productivité agricole et mettra en perspective les débats qu’elle suscite.

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FARM - Note n° 7 - Juillet 2013

N° 7 - Juillet 2013

Mathilde Douillet et Pierre Girard, FARM

Sera-t-on capable de nourrir correctement, à long

terme, tous les habitants de notre planète ? Environ

870 millions de personnes, soit 12 % de la population

mondiale – proportion qui monte à 27 % en Afrique

subsaharienne - sont aujourd’hui sous-alimentées

(FAO 2012a). Or les experts prévoient un fort

accroissement de la demande en raison de

l’expansion démographique et de l’évolution des

régimes alimentaires, liée à la progression des

niveaux de vie et à l’urbanisation. Ces inquiétudes

sont accentuées par plusieurs facteurs, dont la prise

de conscience de la raréfaction des ressources

(notamment la terre, l’eau et les énergies fossiles), les

effets négatifs du changement climatique sur la

production agricole, les dommages causés à la santé

humaine et aux écosystèmes par les excès de

l’agriculture intensive, ainsi que la montée en

puissance des biocarburants. La forte hausse et

l’amplification de la volatilité des prix de la plupart

des produits agricoles depuis le milieu des années

2000 avivent encore les craintes, même si certains

doutent que cette hausse soit durable (Westhoff

2013).

Face à ces appréhensions, de nombreuses initiatives

politiques misent sur la croissance de la production et

de la productivité agricoles. Ainsi, le Plan d’action du

G20 sur la volatilité des prix alimentaires et sur

l’agriculture, rendu public en juin 2011, souligne « la

nécessité d’augmenter la production agricole et la

productivité dans une approche durable ». Lancée en

2012, l’initiative « Faim zéro » du secrétaire des

Nations unies, Ban Ki-moon, retient l’objectif de

« 100 % d’augmentation de la productivité et des

revenus des petits exploitants » comme l’un des cinq

piliers pour éradiquer la faim dans le monde. Or, si la

nécessité d’accroître la production agricole en

respectant davantage l’environnement fait

pratiquement consensus, en revanche, l’impératif

d’améliorer la productivité agricole est moins

évident. De quoi parle-t-on exactement ?

L’augmentation de la production agricole résulte de

la combinaison de deux éléments : la quantité de

facteurs de production (terre, capital, travail)

mobilisée et l’amélioration de l’efficacité avec

laquelle ces facteurs sont utilisés, grâce au progrès

technique et organisationnel ou suite à une meilleure

qualification de la main d’œuvre. La productivité

mesure le second élément, c’est-à-dire l’efficacité du

processus de production.

Une hausse de la productivité peut, en théorie,

accroître à la fois le revenu des producteurs et le

pouvoir d’achat des consommateurs, grâce à la baisse

des coûts de production unitaires. Elle stimule la

production et la consommation et constitue, de ce

fait, un moteur majeur de la croissance économique

et de la progression du niveau de vie à moyen terme.

Augmenter la productivité agricole est un enjeu

Productivité agricole : des motifs d’inquiétude ?

(I) Les concepts

Pour renforcer la sécurité alimentaire mondiale et augmenter les revenus et l’emploi dans les pays en

développement, la plupart des experts et des décideurs politiques appellent à accroître, de manière durable, la

production et la productivité de l’agriculture. La nécessité d’augmenter la production fait quasiment consensus.

Mais quelles sont exactement les raisons qui incitent à améliorer la productivité agricole ? Les inquiétudes

exprimées à son égard (ralentissement de la croissance des rendements, impact négatif sur l’environnement ou

encore réduction du nombre d’exploitations) sont-elles justifiées ? Compte tenu de l’ampleur du sujet, FARM a

décidé d’y consacrer deux numéros de Notes. Le premier (Notes no 7) explore le concept de productivité

agricole, ses déterminants et ses limites. Le second (Notes no 8) examinera les principales préoccupations liées à

la productivité agricole et mettra en perspective les débats qu’elle suscite.

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FARM - Note n° 7 - Juillet 2013

crucial pour beaucoup de pays en développement, où

un grand nombre d’actifs travaillent dans

l’agriculture et où l’alimentation absorbe une part

élevée du revenu des ménages. Dans ces conditions,

on comprend que les observations suggérant un

ralentissement de la croissance des rendements dans

le monde, ou du moins dans les pays développés,

suscitent un certain alarmisme dans l’opinion et chez

les responsables politiques. D’autant que,

parallèlement, dans une perspective de

développement durable, beaucoup d’experts doutent

de la possibilité de concilier l’augmentation de la

productivité agricole, telle qu’elle a été réalisée

jusqu’à présent, avec la conservation des ressources

et de la biodiversité, voire avec la qualité de la vie

humaine.

Ces craintes sont-elles justifiées ? Accroître la

productivité agricole est-il un objectif politique

pertinent et susceptible de répondre aux défis du

développement et de la sécurité alimentaire ? Compte

tenu de l’ampleur du sujet, FARM a décidé d’y

consacrer deux numéros de Notes. Le premier,

Notes no 7, explore le concept de productivité

agricole, ses déterminants et ses limites. Le second

numéro, Notes no 8, analysera les principales

préoccupations liées à la productivité agricole et

fournira, sinon des éléments de réponse, du moins

une mise en perspective des débats qu’elle suscite.

Des définitions multiples

La production agricole dépend du contexte

pédoclimatique, mais aussi des technologies

disponibles (variétés de semences végétales et races

d’animaux, engrais, pesticides, équipements…), des

pratiques agricoles (préparation du sol, mode de

conduite des cultures et des troupeaux…) et des

politiques publiques qui affectent directement ou

indirectement l’activité des agriculteurs, par leur

orientation économique générale (taux d’intérêt, taux

de change des monnaies, mesures commerciales…)

ou spécifiquement agricole (soutien des prix et des

revenus, aides à la gestion des risques et des

crises…). La productivité agricole mesure donc

l’efficacité de l’utilisation des facteurs de production

(terre, capital, travail) dans un milieu agro-

écologique et un contexte politique et socio-

économique donnés.

Il existe plusieurs indicateurs de productivité. La

productivité totale des facteurs reflète l’efficacité de

l’utilisation de l’ensemble des facteurs de production,

considérés globalement. La productivité de la terre et

du travail agricole sont les deux indicateurs de

productivité partielle les plus utilisés, même si l’on

peut aussi calculer la productivité des consommations

intermédiaires ou du capital investi en agriculture.

La productivité totale des facteurs

Concept fondamental en économie, la productivité

totale des facteurs (PTF) est égale à la production

totale divisée par la quantité totale de facteurs de

production mobilisée. En agriculture, les facteurs de

production comprennent la terre, le travail, le capital

« physique » (infrastructures, machines agricoles,

etc.) et les intrants (eau, semences, engrais, produits

phytosanitaires, etc.). Peut s’ajouter à cette liste le

capital « humain » (éducation, santé).

Si les experts s’intéressent tant à la PTF, outre le fait

qu’elle constitue l’indicateur le plus pertinent de

l’efficacité de la production agricole, c’est parce

qu’elle est devenue, au niveau mondial, le moteur

principal de la croissance de la production agricole.

Depuis les années 1990, en effet, la hausse de la

production agricole s’explique davantage par la

progression de la PTF que par l’augmentation de la

quantité de facteurs de production, selon les analyses

de Fuglie, Wang et Ball (2012) (figure 1).

Sur le plan méthodologique, l’agrégation des données

de production pour différents types de produits

agricoles et différents facteurs de production rend

nécessaire le choix d’une unité de mesure commune.

Le recours à une unité de volume n’est possible que

si l’on s’intéresse à une même famille de produits

(par exemple les céréales ou les engrais), ce qui ne

permet pas d’additionner l’ensemble des productions

et des facteurs de production. C’est pourquoi Fuglie,

Wang et Ball (2012), comme la majorité des

chercheurs, raisonnent en termes monétaires.

L’agrégation des données repose alors sur un indice

de prix pour la production agricole et un indice de

coût pour les facteurs de production. Pour chaque

produit agricole, Fuglie et al (2012) utilisent un prix

Figure 1. Taux de croissance annuel de la production agricole

et de la productivité (%)

Source : Keith O. Fuglie, Sun Ling Wang and V. Eldon Ball (2012)

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FARM - Note n° 7 - Juillet 2013

de référence international calculé à partir du prix

observé sur le marché domestique, modulé par le

taux de change en parité de pouvoir d’achat (afin de

tenir compte des différences de niveau de vie entre

pays) et la part de ce produit dans la production

agricole totale du pays considéré. Pour chaque

facteur de production, l’indice de coût est calculé, de

même, à partir d’un prix de référence international et

de la part du facteur de production dans le coût total

de production. Enfin, pour étudier les évolutions

quantitatives de la productivité, il faut s’affranchir

des variations de prix et raisonner pour cela à prix

constants.

Le calcul de la PTF est donc délicat. Nous verrons

par la suite que les méthodes employées comportent

plusieurs limites qui, d’un point de vue pratique,

rendent ce concept difficile à manier.

La productivité de la terre

La productivité de la terre est dite partielle car elle

considère l’évolution de la production agricole à

l’aune du changement d’utilisation d’un seul facteur,

en l’occurrence le foncier.

Elle se calcule en divisant la production agricole par

la quantité de terre exploitée (en général, une surface

exprimée en hectares). La production agricole utilisée

pour le calcul inclut généralement la production de

l’ensemble des cultures réalisées sur une même

parcelle au cours d’une année. Ce point est important,

car les agriculteurs, dans les pays tropicaux, font

souvent, en une année, plusieurs récoltes sur la même

parcelle. Il faut donc bien différencier la productivité

de la terre du rendement de la terre, qui mesure la

production d’une seule culture au cours d’un seul

cycle de production.

Pourtant, beaucoup d’auteurs emploient à tort le

terme de « productivité » comme synonyme de

« rendement ». Cette confusion tient sans doute au

fait que l’augmentation des rendements a été le

moteur de la croissance de la production alimentaire

mondiale durant les cinquante dernières années

(IFPRI 2013).

La productivité de la terre peut être évaluée en

exprimant la production agricole en valeur monétaire.

Cela n’est pas sans poser problème, surtout si l’on

veut faire des comparaisons internationales et

pluriannuelles. Une alternative originale consiste à

prendre comme unité commune la calorie

(Agrimonde 2010). Toutes les productions végétales

destinées à l’alimentation des hommes et des

animaux sont alors converties en calories.

On obtient ainsi un tableau global de la production,

mais aussi des échanges et de la consommation des

biomasses alimentaires. Selon Dorin (2012), la

quantité de calories végétales alimentaires produite

par hectare cultivé dans le monde, sur la période

2005-2007, varie en moyenne de 1 à 4 selon les

régions : elle atteint 7 700 kcal/ha/jour en Océanie et

29 800 kcal/ha/jour en Asie.

La productivité de la terre, mesurée en calories

végétales par hectare cultivé, n’est pas forcément

moins élevée dans les pays en développement que

dans les pays développés. Elle est légèrement plus

forte en Asie qu’en Europe. En Amérique latine, elle

est à peine inférieure à celle de l’Amérique du Nord.

Le continent africain est à la traîne, mais il produit en

moyenne plus de calories végétales par hectare

cultivé que l’ex-Union soviétique et l’Océanie.

La productivité du travail

La productivité du travail est un autre indicateur de

productivité partielle, calculé en divisant la

production par la quantité de travail utilisée. Celle-ci

est exprimée généralement en nombre d’actifs ou en

nombre d’heures travaillées.

Les écarts de productivité du travail agricole dans le

monde sont beaucoup plus élevés que les écarts de

productivité de la terre. Là réside la principale

différence entre pays développés et pays en

développement. Si l’on considère les cultures

alimentaires, sur la période 2005-2007, un actif

agricole produisait en moyenne 12 200 kcal végétales

par jour en Afrique subsaharienne contre près de

1,8 million kcal végétales par jour en Amérique du

Nord, soit un ratio de 1 à 146 (Dorin 2012).

Les différences de productivité du travail agricole

reflètent les écarts existant à la fois entre la surface

cultivée par actif agricole, qui varie de 1 à 165 entre

l’Asie et l’Océanie, et la production moyenne par

hectare cultivé, qui oscille, comme on l’a vu, de 1 à 4

entre l’Océanie et l’Asie (en équivalent calories

végétales). Les niveaux beaucoup plus élevés de

surface cultivée par actif agricole dans les pays

développés sont la conséquence de leur mode de

peuplement (Amérique du Nord, Océanie) et de leur

histoire économique, marquée depuis plus de deux

siècles par un transfert massif de population active de

l’agriculture vers l’industrie et les services.

La hausse de la production par actif agricole a joué

un rôle majeur dans l’augmentation de la production

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FARM - Note n° 7 - Juillet 2013

agricole mondiale. En effet, d’après les données de la

FAO, même si la population agricole active continue

de progresser à l’échelle mondiale (+ 0,1 % par an en

moyenne depuis 10 ans), elle croît à un rythme très

inférieur à celui de la production (+ 2,5 % par an). De

plus, le nombre d’actifs agricoles ne cesse de

diminuer en proportion de la population mondiale. En

1980, chaque agriculteur devait nourrir en moyenne

une personne ; aujourd’hui, il en alimente presque

trois.

Des indicateurs avec différentes portées

explicatives

La productivité totale des facteurs est sans conteste

l’indicateur le mieux adapté pour évaluer l’efficacité

globale du processus de production. Elle seule

informe sur la part de la croissance de la production

imputable aux innovations, c’est-à-dire au progrès

technique et organisationnel, et à l’amélioration de la

qualification de la main d’œuvre.

Les productivités partielles sont d’une portée limitée.

Ainsi, sur la base des seules données d’augmentation

du rendement du riz dans la vallée du fleuve Sénégal,

il n’est pas possible de distinguer dans quelle mesure

celle-ci résulte de l’intensification de la culture (plus

d’intrants, d’équipements agricoles ou de travail par

hectare), de changements technologiques (comme

l’emploi d’engrais de meilleure qualité ou de variétés

de semences mieux adaptées au milieu) ou

d’innovations organisationnelles (comme

l’application plus précise des engrais ou une gestion

plus fine de l’irrigation).

De même, une hausse de la productivité du travail

agricole ne renseigne en rien sur ses causes :

progression des rendements, augmentation de la

surface cultivée par actif, meilleur savoir-faire de la

main d’œuvre ou encore accroissement du capital de

l’exploitation, sous la forme de machines et

d’équipements. Il existe d’ailleurs une forte

corrélation entre le stock de capital par actif agricole

et la productivité du travail agricole (FAO 2012b).

Pour ces raisons, les productivités partielles sont

parfois appelées « productivités apparentes », car

elles englobent toute une série d’effets et ne peuvent

pas isoler l’impact de l’efficacité d’utilisation du

facteur considéré. Seule la PTF mesure cette

efficacité, pour l’ensemble des facteurs de production

combinés.

Il reste que pour des raisons pratiques, dues aux

difficultés d’évaluation de la PTF, les productivités

de la terre et du travail sont souvent les indicateurs

les plus utilisés pour comparer le niveau de

productivité de différentes agricultures.

Les principaux déterminants de

l’évolution de la productivité agricole

L’analyse économique des causes de la croissance

agricole distingue la part due à l’évolution des

volumes de ressources mobilisés pour produire (terre,

eau, intrants, travail, capital), de la part due à

l’amélioration de l’efficacité d’utilisation de ces

ressources dans le processus de production

Figure 2 : Les sources de la croissance agricole et les leviers d’amélioration de la productivité

1. Le PIB (produit intérieur brut) agricole est la valeur ajoutée du secteur agricole. 2. Les termes de l’échange sont égaux au ratio entre l’indice des prix et des services agricoles et l’indice des prix et des services non agricoles. Ainsi,

si les prix agricoles progressent plus vite que l’inflation, le PIB agricole augmentera même si le volume de la production agricole reste stable.

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FARM - Note n° 7 - Juillet 2013

(productivité totale des facteurs) (figure 2). Selon

Fuglie et Rada (2013), on peut jouer sur plusieurs

leviers pour accroître la PTF : la recherche et la

vulgarisation, la formation en milieu rural, la qualité

des ressources, les infrastructures et les institutions. Il

est utile d’examiner la situation actuelle dans une

perspective historique pour bien comprendre les

principaux déterminants de la productivité agricole.

L’innovation, source majeure d’augmentation de

la productivité

Selon la théorie économique, la productivité

(partielle ou totale) des facteurs croît essentiellement

grâce à des innovations techniques et

organisationnelles (Mounier 1992). Pour que ces

innovations aient des effets sur la productivité,

encore faut-il qu’elles soient adoptées à grande

échelle par les agriculteurs, ce qui dépend des

moyens alloués pour leur diffusion (via des services

d’appui-conseil public ou privé, des groupements de

producteurs ou des firmes), de l’intérêt que les

agriculteurs ont à les adopter et de leur capacité à les

mettre en œuvre (niveau d’éducation, moyens

financiers, aides publiques, etc.).

L’innovation peut être le fruit des paysans eux-

mêmes (innovation endogène) ou des institutions de

recherche-développement (innovation externe).

Toutes les agricultures du monde ont intégré une

combinaison d’innovations endogènes et externes.

Dans le cas de l’Europe, particulièrement bien

documenté, celles-ci se sont traduites par des sauts de

productivité considérables, caractérisant des

« révolutions agricoles ». La première révolution

agricole prend son essor à la fin du 18ème siècle, en

Angleterre, avec l’introduction des cultures

fourragères, plus productives que les pâturages,

permettant une intensification de l’élevage, c'est-à-

dire une augmentation de la production de lait et de

viande par hectare, ainsi qu’une mise en culture des

jachères. La deuxième révolution agricole démarre à

la fin du 19ème siècle, grâce aux innovations

techniques conçues avec l’appui de la recherche-

développement (mécanisation, sélection de races

animales et de semences végétales plus performantes)

et avec un recours croissant à des intrants chimiques

(engrais minéraux, produits de traitement contre les

adventices, les ravageurs et les parasites). Enfin, la

« Révolution verte » marque l’extension de ce

modèle aux pays en développement, à partir des

années 1960 (Roudart et Mazoyer 2007). D’autres

auteurs englobent la Révolution verte dans la

deuxième révolution agricole et distinguent une

troisième révolution, fondée sur le développement

des biotechnologies associées à de nouvelles

pratiques de travail du sol, telles que les techniques

culturales simplifiées (Regnault et al. 2012).

La sélection variétale, facteur clé de la croissance

des rendements

C’est l’augmentation des rendements des cultures qui

est responsable, pour une grande part, de la hausse de

la productivité de la terre à l’échelle mondiale. Cette

hausse est liée à la focalisation de la recherche

publique et privée, depuis le début du 20ème siècle,

sur la sélection de semences végétales et de races

animales à haut potentiel de production. Ainsi, depuis

les années 1950, la recherche agricole a privilégié, en

France, des variétés homogènes et stables,

susceptibles d’être cultivées sur des aires très

étendues tout en gardant un rendement élevé, dans le

but de constituer des marchés suffisamment larges

qui soient à la fois plus profitables pour les

sélectionneurs et plus simples à piloter pour l’État

(Bonneuil et Thomas 2012). C’est le modèle qualifié

aujourd’hui de « productiviste » (dans le sens où la

production est donnée comme objectif premier) et

« conventionnel » (dans le sens où ce modèle est

dominant par rapport aux autres).

Le travail de sélection génétique a permis aux

agriculteurs de s’abstraire de la diversité des

conditions locales de culture. Le recours aux intrants

de synthèse et éventuellement à l’irrigation était

indispensable pour exprimer pleinement le potentiel

de rendement variétal, suivant un itinéraire technique

unique ou très simplifié. En retour, cette

uniformisation des systèmes de cultures a favorisé le

développement de la mécanisation. Ayant fait leur

preuve pour l’augmentation de la production agricole

dans les pays développés, ces « paquets

techniques » (semences/intrants) ont été peu à peu

fournis aux agriculteurs dans d’autres pays par les

distributeurs, les agences de développement et

certaines organisations non gouvernementales. Leur

diffusion a rencontré des succès inégaux selon les

espèces cultivées et les contextes naturels et socio-

économiques. Au final, seuls quelques millions

d’agriculteurs ont été touchés par cette révolution

agricole, mais la production agricole, en Asie et en

Amérique latine, a fortement progressé.

Aujourd’hui, ce modèle de croissance de l’agriculture

est remis en cause en raison des risques qu’il pose

pour la santé humaine et l’environnement, de sa

consommation d’énergies fossiles et de ce que

certains considèrent comme une dépendance

excessive des agriculteurs à l’égard des intrants

externes. De nombreuses alternatives voient le jour,

visant non plus à gommer les spécificités des terroirs

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FARM - Note n° 7 - Juillet 2013

et des écosystèmes, comme cela a été fait jusqu’à

présent, mais à en tirer parti pour augmenter

durablement la production agricole. Ces alternatives

reposent sur des innovations techniques et

organisationnelles conçues à partir d’une

compréhension plus fine des milieux vivants et

impliquant une réorientation plus ou moins marquée

des objectifs de sélection génétique (Griffon 2011 et

2013). L’efficacité et la viabilité économique des

approches agro-écologiques sont sujettes à

discussion, d’autant que ces approches sont diverses

et ne sont pas forcément en rupture radicale avec les

méthodes d’intensification conventionnelle, comme

le montre la diffusion de l’agriculture de

conservation, stimulée, aux Etats-Unis et en

Amérique latine, par l’adoption des plantes

génétiquement modifiées. Le débat est vif en ce qui

concerne les pays en développement, en particulier

certains pays d’Afrique subsaharienne où les voies

d’intensification conventionnelle sont loin d’avoir été

complètement explorées. L’élaboration de références

technico-économiques fiables est l’un des enjeux de

l’impulsion donnée par le gouvernement français à

l’agro-écologie (Ministère de l’Agriculture 2012).

La mécanisation, vecteur de l’augmentation de la

productivité du travail

A l’échelle mondiale, la productivité du travail

agricole a augmenté du fait de la croissance des

rendements des cultures, mais aussi grâce à la hausse

de la surface exploitée par agriculteur, liée à la

motorisation et la mécanisation (Roudart et Mazoyer

2007). Celles-ci permettent en effet à un actif

agricole de cultiver des surfaces de plus en plus

grandes. La progression de la mécanisation a

entraîné, dans la céréaliculture européenne, des sauts

successifs de productivité du travail (figure 3).

La figure 3 illustre également les niveaux très

hétérogènes de productivité du travail qui coexistent

aujourd’hui dans le monde, selon le degré

d’équipement et le système de culture. Le contraste

est frappant entre le paysan africain cultivant des

céréales manuellement et les agriculteurs européens,

argentins, américains ou australiens équipés de

tracteurs très puissants et qui exploitent jusqu’à

plusieurs centaines d’hectares par actif. Dans les

régions les plus favorisées, sur la base de

200 hectares par actif et d’un rendement moyen de

10 tonnes par hectare, la productivité brute peut

atteindre 2 000 tonnes de céréales par actif (Mazoyer

2011). En culture manuelle, en revanche, la surface

par actif dépasse rarement 1 hectare et le rendement,

1 tonne par hectare, soit une productivité brute de 1

tonne par actif. Ainsi, dans ces cas extrêmes, l’écart

de productivité peut être de 1 à 2 000.

Il est clair que l’extension de la surface cultivée par

actif n’est pas possible ou souhaitable dans tous les

contextes, ce qui pose la question des trajectoires

socialement acceptables d’évolution de l’agriculture

dans les pays en développement, notamment en

Afrique subsaharienne, caractérisée par une forte

expansion démographique (voir Notes no 8). La

question se pose également dans certains pays

développés, où la poursuite de la baisse des emplois

agricoles est remise en cause au nom des fonctions

non marchandes de l’agriculture, comme

l’occupation du territoire (Butault et

Réquillart 2012), ou en raison de

l’engouement pour les circuits courts,

connectant citadins et producteurs.

Le rôle prépondérant des politiques

publiques et de la recherche

On observe aujourd’hui de très grandes

disparités entre les productivités agricoles

dans le monde. Elles sont déterminées en

premier lieu par la variété des conditions

pédoclimatiques et les différences de

disponibilité et de qualité des ressources

naturelles. Selon Petit (2011), un facteur

explicatif de la faible hausse des rendements

en Afrique subsaharienne est l’abondance

relative de la terre et du travail. Celle-ci a

incité les paysans de cette région à accroître

la surface cultivée totale et à recourir à des

pratiques culturales et des technologies

employant beaucoup de main d’œuvre,

Source : d’après Roudart et Mazoyer (2007)

Figure 3. Evolution de la productivité du travail en culture céréalière

au XXème siècle en Europe

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FARM - Note n° 7 - Juillet 2013

plutôt qu’à intensifier les cultures. Néanmoins,

depuis le début des années 1960, la productivité de

la terre, exprimée en calories végétales produites par

hectare cultivé, a augmenté en Afrique

subsaharienne, alors que la surface cultivée par actif

a diminué, en raison de l’expansion démographique

(Dorin et al. 2013).

Les politiques publiques jouent également un rôle

prépondérant. D’abord, de par leur orientation

économique générale : dans beaucoup de pays

pauvres, en particulier africains, les gouvernements

ont longtemps pénalisé l’agriculture par des taux de

change surévalués, une forte protection douanière

sur les produits industriels, des taxes sur

l’exportation de produits agricoles et une faible part

des dépenses publiques dédiée à l’agriculture, signe

manifeste d’un « parti pris » urbain (Banque

mondiale 2008). Ces orientations ont sans doute

sensiblement freiné l’augmentation de la production

et de la productivité de l’agriculture dans les pays

concernés.

L’impact de la politique commerciale est

controversé. Selon les organisations internationales,

la libéralisation des échanges peut stimuler la

croissance de la productivité (Interagency Report

2012). Mais beaucoup d’experts et de responsables

politiques soulignent les risques liés à l’ouverture

des marchés des pays pauvres aux exportations

agricoles des pays développés, vu les énormes écarts

de productivité du travail indiqués plus haut

(Dufumier 2009). Cet argument justifie, sous

certaines conditions, le maintien voire le

renforcement des protections à l’importation sur les

produits agricoles dans les pays les moins avancés,

voire dans les pays émergents comme l’Inde qui

comprennent un grand nombre de paysans pauvres.

Les politiques agricoles ont des effets divers, selon

leur contenu. Elles peuvent influer sur la taille des

exploitations, via par exemple le contrôle des

structures et le statut du fermage pratiqués en

France. Surtout, elles sont susceptibles de favoriser

l’adoption par les agriculteurs des innovations issues

de la recherche, en contribuant à stabiliser les prix

et/ou les revenus agricoles et en créant ainsi un cadre

propice aux investissements. La stabilisation des

revenus agricoles peut également provenir de

partenariats public-privé en matière de gestion des

risques, comme c’est le cas pour l’assurance récolte,

particulièrement développée en Espagne, aux Etats-

Unis et en Inde, et à un moindre degré au Brésil

(Perrin-Janet 2013), mais encore embryonnaire en

Afrique subsaharienne.

Le soutien public à la recherche-développement

(R&D) fait l’objet, parmi les experts, d’une attention

particulière. On constate un quasi-consensus (voir

par exemple Alston et al. 2010) sur l’existence d’un

lien positif entre les investissements dans la R&D et

l’augmentation de la productivité agricole, même s’il

faut en général beaucoup de temps avant que la

recherche ait un impact sur la productivité. Fuglie et

al. (2011) ont mis en évidence, pour les Etats-Unis,

une forte corrélation statistique entre les dépenses de

R&D et la croissance de la productivité agricole.

Cette focalisation sur le rôle de la recherche ne doit

pas faire oublier que le manque d’accès au crédit et

l’inadéquation des infrastructures de marché,

notamment, limitent considérablement l’intérêt et la

capacité des agriculteurs à adopter de nouvelles

techniques et des modes de gestion plus performants.

L’investissement public dans les dispositifs d’appui-

conseil, d’éducation et de formation professionnelle

est peut-être encore plus déterminant pour

l’amélioration de la productivité agricole.

Malheureusement, en Afrique de l’Ouest, à cause du

désengagement des Etats survenu dans les années

1980 et 1990, les organisations de producteurs

doivent souvent compter uniquement sur leurs

propres moyens pour mettre en place des dispositifs

de conseil aux exploitations agricoles (Girard 2013).

Les limites des indicateurs de

productivité

Les indicateurs de productivité agricole sont

multiples et complémentaires. Cependant, en raison

de leurs limites conceptuelles et méthodologiques,

ils ne permettent pas de comprendre, à eux seuls,

l’évolution des systèmes agraires. Par ailleurs, si la

formation des gains de productivité est une question

majeure, leur répartition entre les différents agents

économiques est également très importante, bien

qu’elle soit beaucoup moins étudiée.

Des limites méthodologiques

Une faible disponibilité et fiabilité des données

Le manque de disponibilité et de fiabilité des

données est un véritable problème. Il n’existe que

quelques bases de données agricoles disposant de

séries temporelles pour la plupart des pays :

principalement celles des Nations unies (UNstats,

FAOstat) et du département américain de

l’Agriculture (USDA). Leurs informations

proviennent des services statistiques nationaux et

sont plus ou moins sûres selon les pays. Fuglie et

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8

FARM - Note n° 7 - Juillet 2013

Rada (2012) montrent ainsi que les données

disponibles pour le Nigeria, selon lesquelles la

population agricole aurait fortement diminué et ne

constituerait plus que 28 % des actifs en 2008, sont

peu réalistes. Le chiffre réel est probablement plus

proche de 40 %. Le Nigeria étant de loin le pays le

plus peuplé d’Afrique, une erreur sur cette variable

conduit à surestimer l’augmentation de la

productivité moyenne du travail pour l’ensemble de

la région. De plus, dans de nombreux pays, il y a peu

de statistiques sur les intrants (pesticides, semences,

énergie) et sur les capitaux utilisés en agriculture.

Enfin, la classification des types de terre de la FAO

(pâturages permanents, terres arables, etc.) regroupe

des sols de qualité très hétérogène selon les pays, ce

qui peut conduire à des biais considérables dans les

comparaisons de productivité de la terre.

La difficulté d’obtenir des données comparables

conduit la plupart des chercheurs à raisonner sur les

taux de croissance des différentes productivités,

plutôt que sur leur valeur absolue. Le taux de

croissance de la PTF est calculé comme la différence

entre le taux de croissance de la production agricole

et le taux de croissance de l’utilisation des facteurs

de production. Comme on manque de statistiques

exhaustives pour les facteurs de production, le calcul

de la PTF est au final une approximation. Les

estimations les plus abouties à l’heure actuelle sont

celles de Fuglie, Wang et Ball (2012).

Les difficultés d’agrégation des données

L’agrégation des données pour le calcul de la PTF se

heurte à la rigidité dans le temps des indices utilisés :

indices de prix pour les productions agricoles,

indices de coût pour les facteurs de production, et ce

par manque d’informations. Néanmoins, Fuglie et al

(2012), en faisant certaines hypothèses, actualisent la

répartition des coûts des facteurs de production pour

chaque période de dix ans.

Comme on l’a vu plus haut, d’autres auteurs

(Agrimonde 2010, Dorin 2012) ont constitué une

base de données alternative, dans laquelle la

production, la consommation et les échanges de

biomasses alimentaires sont exprimés en calories.

Cela leur permet de comparer les productivités de la

terre et du travail entre pays, mais pas de calculer la

PTF. Ces deux méthodes ayant chacune leurs

avantages et leurs limites, l’intérêt est de les utiliser

de manière complémentaire pour croiser les

analyses.

Dans tous les cas, les données moyennes, nationales

ou régionales, masquent la pluralité des situations

existant à l’échelle des exploitations agricoles.

Ainsi, les principales limites méthodologiques à

l’évaluation de la productivité agricole tiennent à la

disponibilité et la fiabilité des informations. La

plupart des chercheurs emploient les mêmes

données, faute d’alternative, mais certains les

corrigent et les complètent sur la base d’autres

travaux. C’est pourquoi, plutôt que de partir des

chiffres bruts, nous exploitons ici au maximum les

données issues des recherches de Fuglie, Wang et

Ball (2012), d’Agrimonde (2010) et de Dorin (2012).

Des limites conceptuelles

Un raisonnement en produit brut plutôt qu’en

valeur ajoutée

La PTF, telle que définie par Fuglie et al. (2012), ne

prend en compte que la valeur de la production

agricole, sans intégrer les coûts de production, sauf

au dénominateur. Pour avoir une idée plus juste de

l’efficacité économique de la production, il serait

plus approprié de raisonner en termes de valeur

ajoutée, égale à la différence entre la valeur de la

production et celle des coûts de production (charges

variables pour la valeur ajoutée brute, charges

variables et consommation de capital fixe pour la

valeur ajoutée nette).

L’approche par la valeur ajoutée permet ainsi

d’expliquer pourquoi les agriculteurs ne cherchent

pas nécessairement à maximiser la productivité et

ont intérêt à viser un niveau de rendement inférieur

au rendement potentiel, si ce niveau correspond à

l’optimum économique. L’optimum économique

diffère de l’optimum agronomique quand les prix à

la production diminuent ou quand les coûts de

production augmentent, comme on l’observe depuis

quelques années avec le renchérissement de

l’énergie et des engrais. Une autre raison peut être

l’imposition d’une limitation des rendements par un

cahier des charges, pour améliorer la qualité de la

production, comme c’est le cas pour les vins

d’appellation en Europe. Par ailleurs, pour se

protéger contre les aléas climatiques ou

économiques, les agriculteurs sont souvent enclins à

diversifier leurs productions, quitte à avoir un

produit brut global moins élevé, pour stabiliser leur

valeur ajoutée. Ils doivent en effet arbitrer entre le

niveau et la stabilité de leur revenu.

Certains auteurs (Dufumier 2004) font de la valeur

ajoutée par actif un synonyme de la productivité du

travail. Plus proche du concept de revenu, cet

indicateur permet en outre de mieux appréhender le

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FARM - Note n° 7 - Juillet 2013

rôle des coûts d’opportunité des différents facteurs

de production (la terre et le travail notamment) dans

les décisions de production des agriculteurs.

Il est intéressant de constater que l’éventail de la

valeur ajoutée par actif agricole dans le monde est

moins large que celui de la production agricole par

actif. Cela est dû au fait que la production agricole

connaît en moyenne des rendements décroissants,

car les coûts par unité produite augmentent à partir

d’un certain seuil. Selon la Banque mondiale, les

écarts de valeur ajoutée sont de l’ordre de 1 à 100

entre les pays à faible revenu, où elle est

généralement inférieure à 500 $ par an, et les pays à

revenu élevé, où elle peut dépasser 50 000 $ par an

(WDI 2012).

Les moyennes nationales masquent les grands écarts

de valeur ajoutée susceptibles d’exister, au sein de

chaque pays, selon les différents types

d’exploitations agricoles et les zones agro-

écologiques. Il est important de garder à l’esprit,

quand on interprète les données, qu’en fonction

d’une multitude de facteurs, de nature technique,

économique ou politique, les agriculteurs peuvent

obtenir, pour une même culture, un revenu très

différent, même s’ils ont un rendement identique.

L’absence de prise en compte de la durabilité

Les débats sur la productivité agricole mettent

souvent en avant le fait que les indicateurs classiques

ne prennent pas en compte la durabilité

environnementale des pratiques des agriculteurs. Il

faut aussi souligner que ces indicateurs n’intègrent

pas d’autres éléments indispensables pour évaluer la

durabilité des pratiques, comme leur viabilité

économique (y-a-t-il un marché pour les produits, est

-il rémunérateur ?) et leur acceptabilité sociale (les

conditions de travail sont-elles décentes et

attractives ?). Or ces éléments font également partie

des contraintes à l’adoption de pratiques agricoles

plus respectueuses de l’environnement (Dugué et al.

2012).

Ces limites paraissent évidentes quand on revient à

la définition des indicateurs de productivité, puisque

ceux-ci masquent la diversité des systèmes de

production et des contextes agro-écologiques. En

tant que tels, ils ne reflètent ni les externalités liées

au processus de production, qu’elles soient négatives

(pollution des eaux, perte de biodiversité…) ou

positives (stockage de carbone dans les sols,

contribution au paysage, emplois…), ni les attributs

qualitatifs de la production (composition

nutritionnelle, certification « bio » ou

« équitable »…) ou des facteurs de production (par

exemple la pénibilité du travail).

Pour cela, d’autres indicateurs doivent être

développés (OCDE 2012). En ce qui concerne

l’environnement, il est possible d’élaborer des

indicateurs liés aux ressources naturelles, comme la

productivité de l’eau (Troy, 2012), ou à la

biodiversité, avec un suivi de l’évolution de la flore

et de la faune, par exemple les populations

d’oiseaux. Mais la validité de tels indicateurs est

discutable, compte tenu de la diversité des critères de

durabilité environnementale selon les contextes. Il

existe des indicateurs plus universels, tels ceux

dédiés à l’évaluation de l’empreinte carbone des

produits agricoles, mais leur calcul requiert une

connaissance exhaustive des conditions de

production. Or, des données précises et comparables

entre pays font souvent défaut.

Une autre voie consiste à intégrer les biens

environnementaux dans le calcul même de la

productivité, en élargissant le concept de

productivité totale des facteurs à celui de

« productivité totale des ressources » (Gollop and

Swinand 2001). Des chercheurs ont exploré cette

voie en quantifiant l’impact de l’érosion des sols en

Australie (Nanere et al. 2007) et les conséquences de

la contamination des eaux par les pesticides sur la

santé humaine et la vie aquatique aux Etats-Unis

(Ball et al. 2004). Cette approche est stimulante, car

elle oblige à revenir aux fondamentaux de la théorie

économique, mais ardue. Il est difficile de trouver un

consensus sur l’évaluation monétaire des bienfaits et

des nuisances des pratiques agricoles et surtout sur

les prix attribuables aux ressources naturelles,

considérées comme des biens publics non

marchands.

Tant que les décideurs ne disposeront pas d’outils

adéquats pour raisonner de manière conjointe la

productivité et la durabilité des pratiques agricoles,

le risque existe d’opposer ces deux notions, alors que

le lien qui les unit est complexe et requiert une

analyse détaillée. Les termes de ce débat seront

présentés et discutés dans la Notes no 8.

Un indicateur incomplet de la productivité des

filières

Indépendamment de la recherche d’une meilleure

efficacité de la production par l’augmentation de la

productivité agricole, il existe de grandes marges de

manœuvre pour réduire les pertes et les gaspillages

tout au long de la filière agroalimentaire. On estime

en effet qu’environ 1,3 milliard de tonnes de

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FARM - Note n° 7 - Juillet 2013

nourriture, soit environ un tiers du volume total

produit dans le monde, n’atteint pas le

consommateur final (FAO 2011). Il s’agit

principalement de pertes aux stades de la production,

du stockage et de la transformation dans les pays en

développement, et de gaspillages aux niveaux de la

distribution et des ménages dans les pays

développés. Une utilisation plus efficiente de la

production agricole permettrait en outre

d’économiser des ressources, de limiter les

pollutions liées aux déchets et de réduire les

émissions de gaz à effet de serre.

Un indicateur de productivité portant sur l’ensemble

de la filière (par exemple, la quantité consommée par

le consommateur final divisée par la somme des

facteurs de production mobilisés sur la totalité de la

chaîne alimentaire) serait utile. Si cette idée est

séduisante, elle se heurte en pratique au manque de

disponibilité et de fiabilité des données. En outre,

d’autres indicateurs, environnementaux et socio-

économiques, devraient être mis au point pour

appréhender la durabilité globale des filières

agroalimentaires. .

Une question trop négligée : la répartition des

gains de productivité

L’augmentation de la productivité agricole est un

déterminant essentiel du revenu des agriculteurs et

du pouvoir d’achat des consommateurs, notamment

dans les pays en développement. Mais la répartition

des gains de productivité tout au long de la filière

agroalimentaire est également une question majeure,

car elle conditionne dans quelle mesure les différents

agents économiques bénéficient in fine de ces gains.

Ainsi, en France, le secteur agricole a enregistré une

forte croissance de la productivité entre 1979 et

2005, mais seul un tiers de ces gains a servi à mieux

rémunérer les facteurs de production employés en

agriculture (Butault 2008). Les deux tiers des gains

de productivité ont été transmis vers l’aval

(industries agroalimentaires, commerce, restauration,

ménages) et aux clients étrangers (exportation), sous

la forme d’une diminution des prix agricoles. Les

aides directes versées aux agriculteurs dans le cadre

de la politique agricole commune ont compensé une

partie de la diminution des prix. L’augmentation du

revenu agricole liée à la hausse de la productivité

résulte donc, en dernière analyse, non seulement des

progrès technique et organisationnel réalisés dans ce

secteur, mais aussi de la politique agricole et du

« pouvoir de marché » des agriculteurs face aux

opérateurs d’aval. Ce pouvoir dépend lui-même de la

capacité des agriculteurs à regrouper l’offre, via des

groupements de producteurs ou des coopératives, et

de la politique de concurrence appliquée par l’Etat

dans la filière agroalimentaire, qui restreint plus ou

moins fortement, selon les pays, la concentration et

donc le pouvoir de marché des acteurs.

La méthode des « comptes de surplus » souvent

utilisée par les chercheurs français permet à la fois

d’estimer la formation des gains de productivité dans

la filière agroalimentaire – d’une manière différente

de la méthode employée par les chercheurs anglo-

saxons, qui se réfèrent plus volontiers à la PTF - et

leur répartition. Elle a été appliquée à l’Inde (Dorin

et al. 2001) et pourrait utilement être étendue à

d’autres pays en développement, car la question de

la répartition des gains de productivité est

relativement peu étudiée. Là encore, le manque de

statistiques fiables est malheureusement un facteur

limitant.

Conclusion

L’augmentation de la productivité est un moteur

essentiel de la croissance économique et de la hausse

du niveau de vie à moyen terme. Elle est devenue,

dans le secteur agricole, le premier facteur explicatif

de la croissance de la production. Il est donc

compréhensible qu’elle retienne autant l’attention

des experts et des décideurs politiques.

Cependant, le terme de productivité recouvre

différentes notions et concepts qu’il convient de

manier avec rigueur dans les débats sur la capacité

des agriculteurs à nourrir le monde. Productivité

totale des facteurs, productivité de la terre,

productivité du travail : tous ces indicateurs ont leur

utilité pour analyser la situation de l’agriculture dans

une région ou un pays donnés. Cependant, comme

tous les indicateurs, ils sont réducteurs, présentent

certaines limites méthodologiques et conceptuelles et

ne peuvent constituer à eux seuls des objectifs

politiques, indépendants des contextes agro-

écologique et socio-économique des pays concernés.

Or, il existe d’énormes disparités régionales dans les

niveaux de productivité de la terre et plus encore

dans les niveaux de productivité du travail agricole,

en raison notamment des grandes différences dans la

surface cultivée par actif agricole selon l’histoire et

le degré de développement des pays.

Les innovations technique et organisationnelle sont

les principaux déterminants de la productivité

agricole. Les politiques publiques jouent un rôle

prépondérant dans leur adoption et leur diffusion

auprès des agriculteurs. Ce rôle se traduit à plusieurs

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FARM - Note n° 7 - Juillet 2013

niveaux : dans les orientations générales des

politiques économiques et commerciales, dans les

mesures de politique agricole visant à stabiliser les

revenus des producteurs contre les aléas de

production et de marché et dans le soutien public à la

recherche agricole. La nécessité d’un accroissement

de l’effort de recherche est souvent mise en avant, à

juste titre, mais elle ne doit pas occulter le caractère

crucial des dispositifs d’appui-conseil et de

formation des agriculteurs, trop souvent délaissés

dans les pays pauvres.

La hausse des prix des céréales depuis le milieu des

années 2000 et leur flambée épisodique ont ravivé

les inquiétudes malthusiennes sur l’aptitude de nos

sociétés à éradiquer la faim. Après l’exploration,

dans la présente publication, du concept de

productivité agricole, le prochain numéro de Notes

examinera dans quelle mesure ces inquiétudes sont

justifiées et précisera lesquelles devraient réellement

attirer l’attention des décideurs.

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Contact : [email protected]

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FARM - Note n° 7 - Juillet 2013

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Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde

fait le point sur des sujets d’actualité ou des thèmes de recherche, pour nourrir la réflexion et

susciter le débat. Les analyses et les conclusions des auteurs ne reflètent pas nécessairement la position institu-

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