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406-407 France : 12 Étranger : 16 Les Prévert Mémoire arménienne Sen no Rikyu, maître de thé Printemps 2021

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406-407France : 12 €

Étranger : 16 €

Les PrévertMémoire arménienne

Sen no Rikyu, maître de thé

Printemps 2021

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Jean A. Gili a décrit ici il y a peu(n° 399-400, février 2020) la car-rière de Mauro Bolognini et l’impor-tance du cinéaste. Mais il n’a peut-être assez insisté sur l’injustice de lamajorité de la critique à son égard aulong de cette carrière. Car s’il existeun réalisateur italien peu considéré,c’est bien lui. Certes, la rétrospec-tive offerte par la Cinémathèquefrançaise en novembre 2019 a réjouises amateurs, confrontés pour la pre-mière fois à la vision globale d’uneœuvre découverte, pour les plusanciens d’entre nous, au fil de la sor-tie de films, et pas toujours dansl’ordre chronologique (la preuve : larévélation en 2019 d’un inédit de1977, Gran bollito). Maisauparavant ? La critique spécialisée,depuis le début des années soixante,avait fait son travail, mais sansenthousiasme débordant : La nottebrava/Les Garçons (1959), La gior-nata balorda/Ça s’est passé à Rome,(1960) avaient été vus comme uneextension italienne de notre Nou-velle Vague, La Viaccia (1961), bienque salué pour sa splendeur visuelle,avait, pour beaucoup, réveillé lesfantômes du calligraphisme. Agos-tino (1962), malgré le renom d’Al-berto Moravia, n’était pas sorti, Lacorruzione/La Corruption (1963) avaitattendu trois ans avant d’être pré-senté, etc.

Alors que les grands réalisateursitaliens, Fellini, Visconti, De Sica,étaient identifiables par leur griffe,Bolognini échappait à la grille delecture : était-ce le même cinéastequi transfigurait la Rome nocturne,

recréait l’étouffoir d’une société sici-lienne à la sexualité archaïque (Ilbell’Antonio/Le Bel Antonio, 1960),ou offrait un portrait exaltant d’unefemme libre au XVIIIe siècle (Made-moiselle de Maupin, 1966) ? Qui,classé comme « esthète », se mêlait,avec Metello (1970), de retracer lesluttes des ouvriers du bâtiment dansla Florence de 1900 ? De cette diffi-culté à être commodément réperto-rié résultait une évidence – passer siaisément d’un genre à l’autre, mélo-drame, film social, drame politiqueou mondain, n’est pas signe d’unauteur.

La preuve : aucune monographiene lui avait été encore consacrée etl’ouvrage de Michel Sportisse est lepremier à ouvrir la brèche. Le livreest court, publié dans la même col-lection que sa précédente étude surEttore Scola1 et l’auteur en précised’entrée (p. 12) la modestie et « leslimites éditoriales fixées ». Peut-être modeste par sa taille, 150 pagesde texte, mais pas par son acuité et lafinesse de son approche. Sportisse neperd pas de temps ni d’espace endigressions ou délayages : si l’étuden’est pas exhaustive – il choisit den’aborder précisément qu’une ving-taine de titres -, elle est extrême-ment fouillée et accompagnée d’unappareil de notes érudites, centtrente-huit exactement, qui occu-pent plus de vingt pages.2 Et lestitres examinés ne sont pas forcé-ment les plus connus : quatre pagessur Imputazione di omicidio per uno stu-dente/Chronique d’un homicide (1972),ou huit pages sur Libera, amore mio/

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RES Michel Sportisse, Mauro Bolognini, une histoire italienne, coll. Sprezzatura,

Lyon, éd. Le Clos Jouve, 2020, 160 p., 24 €

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Liberté, mon amour (1975), magni-fique film que les fans de ClaudiaCardinale chérissent. Mais il nes’agit pas pour l’auteur d’insister surles aspects les moins traités pourprouver qu’il maîtrise son sujet dansles coins. Ses choix sont justifiés : s’ilest demeuré lointain (on ne l’adécouvert qu’en 2009, en DVD),Chronique… est un film aussi puis-samment inscrit dans son époqueque ses contemporains policiers desannées 1970. Quant à Libera…, c’estle seul film clairement politique deBolognini, portrait d’une insoumiseà travers les années du fascisme etqui vaut qu’on s’y arrête longue-ment.

Avec raison, sont regroupés lesfilms partageant une tonalité ana-logue : du début des années 60 - LesGarçons et Ça s’est passé à Rome, tousdeux scénarisés par Pasolini (qu’on

peut considérer comme plus prochesde son univers d’écrivain que sespropres films) - aux drames bour-geois du milieu des années 70 - Fattidi gente perbene/La Grande Bourgeoiseet Per le antiche scale/Vertiges -, via lediptyque « social » qui ouvre ladécennie 70, Metello et Bubu/Bubu deMontparnasse.3 Sportisse nous livreune analyse fouillée, appuyée surune connaissance de la littératureitalienne qui lui permet de juger lamanière dont Bolognini et ses diversscénaristes (dont Vasco Pratolini)ont adapté Alberto Moravia (Agos-tino), Italo Svevo (Senilita) ou Vita-liano Brancati (Le Bel Antonio)) pourles plus célèbres, ou les inconnus deslecteurs français tels Mario Pratesi(La Viaccia), Mario Tobino (LaGrande Bourgeoise) et Gaetano CarloChelli (Vertiges). Car si la critique aprivilégié les qualités esthétiques du

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Claudia Cardinale, Marcello Mastroianni, Il bell’Antonio (Mauro Bolognini, 1960)

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RES réalisateur, au point de le réduire à

un metteur en images, on sait,depuis l’entretien que Gili avaitinséré dans son ouvrage deréférence,4 que celui-ci avait tra-vaillé au scénario de la plupart d’en-tre eux et que ses options de mise enscène étaient raisonnées – onn’adapte pas Svevo comme Théo-phile Gautier ou Dumas fils.5

Bolognini fut, bien plus que d’au-tres grands cinéastes parmi sescontemporains (De Sica excepté), unremarquable directeur d’acteurs etplus précisément d’actrices, du duoRossana Schiaffino-Elsa Martinellides Garçons au duo Laura Antonelli–Monica Guerritore de La Véni-tienne/La Venexiana (1986). ClaudiaCardinale (quatre titres), CatherineSpaak, Gina Lollobrigida, OttaviaPiccolo, Valentina Cortese, IsabelleCorey, Lea Massari, c’est toute uneguirlande d’interprètes fémininesqu’il a utilisées de façon superbe – eten avoir dressé la liste (cinquante-sept noms qui font rêver, p. 125-126) est une idée qu’on souhaiteraitvoir appliquée plus souvent.6

L’hommage de la Cinémathèqueaura-t-il apporté à Bolognini uneremise en perspective correspondantà sa véritable dimension ? On aime-rait en être certain. On attend deséditions en DVD de films encorepeu accessibles ou inconnus, et queles programmes des chaînes ducâble, Ciné+ ou OCS, explorent sonœuvre de façon plus large (quatretitres proposés ces sept dernièresannées). En attendant, les amateurstrouveront leur compte dans ce livreet les néophytes une excellenteintroduction au voyage.

1. La Rome d’Ettore Scola, éd. Le Clos Jouve(cf. JC n° 399-400)

2. Des notes qui sont parfois de véritablesdéveloppements parallèles : ainsi, la note137, à propos d’Agostino (1962), non abordéailleurs,

3. Pour nous, les deux plus grands films ducinéaste. Sportisse a raison de soulignerqu’« avec plus de succès que Visconti, car son goûtest infiniment plus sûr et plus subtil, Bologninis’est employé à tirer les conséquences esthétiques etmorales du calligraphisme des années 40. » (p.73)

4. Le Cinéma italien, entretiens, coll. 10/18 n°1278, UGE, 1978

5. Respectivement, Mademoiselle de Maupin(1966) et La Dame aux camélias (1981) –même si Sportisse montre (p. 114) commentBolognini s’est plutôt inspiré de la véritablehéroïne, Alphonsine Plessis, que du person-nage de la pièce de Dumas fils.

6. À défaut d’un index des noms cités – maison sait que les éditeurs renâclent devanttoutes ces pages inutiles…

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Si Mauro Bolognini a eu des pro-blèmes de reconnaissance critique,il n’en a jamais été de même avecBertrand Blier. Une fois passé le capdes deux premiers films, l’un,Hitler… connais pas (1963), ignoré,l’autre, Si j’étais un espion (1967), àpeine regardé, chacun des suivants,à partir des Valseuses (1974), a été unévénement. Événement pas toujoursbien accueilli, mais dont plusieursont marqué leur époque. Et trèsrapidement, le réalisateur a échappéà l’étiquette de « fils de » pour sefaire un prénom et une place bienparticulière dans le cinéma natio-nal, au moins trois décenniesdurant. Celle d’un troublemaker (lefrançais « trouble-fête » ne corres-pond pas), un créateur de films-our-sins laissant peu d’occasions d’êtreempoignés sans désagrément. Uncinéma dérangeant, jamais consen-suel, abordant à rebrousse-poil dessujets tout sauf ronronnants et quipourtant trouvaient le public –jusqu’au moment où le public n’aplus suivi (question de générations -à 20 ans, on peut vibrer devant LesValseuses, pas devant Les Côtelettes).

Le plus curieux, c’est qu’unauteur aussi certifié, avec une œuvreaussi pleine et propice au décryp-tage n’ait pas éveillé plus d’ana-lyses : le seul ouvrage d’ensemble,dû à Gaston Haustrate, dans l’excel-lente collection de chez Edilig, datede 1988 ; Blier avait déjà un bilande haut niveau, mais il n’avait pasencore signé Trop belle pour toi(1989), la trilogie Anouk Grimberg(1991-1996) et Les Acteurs (2000) –

ni même Le Bruit des glaçons (2010),qui est un concentré de sa manière.C’est-à-dire la moitié de son œuvre.Puisqu’on peut raisonnablementpenser qu’elle est achevée, la récep-tion publique de Convoi exceptionnel(2019), faisant de ce dernier filmson ultime, il était temps d’y reve-nir.

Vincent Roussel définit dèsl’abord son propos : « À l’heure d’uncertain révisionnisme idéologique, ils’agit de se replonger dans son œuvreafin de mesurer sa singularité et de voirde quelle manière elle témoigne des évo-lutions des mœurs et des mentalités de lasociété française. » On écrirait plutôt« révisionnisme idéologique certain »,mais quant au reste, c’est évident :plus qu’aucune autre, la filmogra-phie de Blier est un miroir, inversé,prémonitoire, décalé, des annéesqu’elle a traversées. Non que l’au-teur ait cherché à rendre compte deson époque ; la réalité qu’il inventedans Calmos ou Merci la vie n’a quepeu à voir avec le réel, mais elle estautrement forte, et c’est là son inté-rêt.

L’auteur1 ne fait pas partie desadmirateurs « canal historique » deBlier : il avoue qu’il l’a découvertpresque à mi-course, avec La Femmede mon pote (1983), à la télévision,qui ne lui a pas laissé un « souvenirimpérissable » et on le comprend.L’éblouissement est venu avec Tropbelle pour toi, vu en salle, et on lecomprend également. Nous nesommes pas dans l’hagiographiemais dans une approche à la pre-mière personne – Blier et moi -,

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Vincent Roussel, Bertrand Blier, cruelle beauté, Paris, Marest, 2020, 352 p., 19 €

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qui, tout en affirmant l’importancedu cinéaste et ses éclairs, reconnaîtses faiblesses ponctuelles ou ses pro-vocations parfois faciles. Rousseldécrit deux itinéraires, celui du réa-lisateur et le sien, au fil des troisdécennies durant lesquelles sesfilms l’ont accompagné. Décenniessocialement décisives par les problé-matiques qui les ont traversées,comme il les énumère : « la libéra-tion sexuelle, le féminisme, les villesnouvelles, l’homosexualité, les annéesSida, la banlieue, la prostitution, lamaladie, l’émancipation de l’individu etson rapport conflictuel au groupe. »Sans qu’il se soit agi d’un cahier descharges à observer pour prendredate, simplement d’un sentimentprofond de l’état d’une société à uninstant donné et de ses non-dits, cestabous que Blier a su prendre à brasle corps dans des films qui ont faitdate.

Qui ont fait date parce qu’ilsdéfonçaient les parapets du bongoût, de la bienséance et du sociale-ment correct, à une époque, désor-mais disparue, où c’était encore pos-sible. Aucun producteur n’engage-rait aujourd’hui dix euros pour faireLes Valseuses, Calmos, Préparez vosmouchoirs ou Beau-père, de crainte depasser pour masculiniste, misogyne,pédophile ou incestueux et d’êtrelynché par les rézosocios.2 Les filmsde Blier ont fait leur temps, danstous les sens du terme.

Roussel les reprend un à un, enleur consacrant l’espace que chacunmérite – trois cents pages pour unevingtaine de films, l’analyse estfouillée -, en les replaçant dans leurcontexte et l’évolution de leurauteur – son regard sur ses person-

nages féminins dans Un, deux, trois,soleil n’est plus celui de Calmos -, enexaminant les différences avec leroman (Les Valseuses, Beau-père) ou lapièce (Les Côtelettes) originels.Travail exemplaire, d’une lisibilitéreposante, qui ne se contente pasdes idées colportées et ne tente pasde nous faire prendre des vessiespour des lanternes (Combien tum’aimes ? n’est pas Buffet froid etConvoi exceptionnel n’est pas Tenue desoirée). On pouvait craindre quel’auteur, une fois achevé l’examendes films et passant à celui des« Thèmes et obsessions », ne soitamené à répéter en gros ce qu’ilavait déjà énoncé dans le détail. Iln’en est rien, et ses chapitres « Fuirle cauchemar français » et« Hommes-femmes : mode d’em-ploi », par exemple, apportent unéclairage plus large, tout à fait per-tinent.

Blier sort intact, ni grandi niamoindri, de cette relecture. Maisavec sa dimension exacte, celle d’unfranc-tireur qui a réussi, tout encultivant son sens de la marge, àtoucher ses cibles sans se compro-mettre. À la fois isolé et public, etqui, quand le public s’est détourné,n’est pas revenu en arrière : de Buffetfroid, ce chef-d’œuvre, au Bruit desglaçons, la trajectoire ne s‘est pasinfléchie.

Question : après un livre aussipersonnel, Vincent Roussel est-ilcapable d’aborder, avec le mêmesouffle et la même précision, unautre cinéaste qui aurait été uncompagnon de route de ses quarantedernières années ? Après un exerciceaussi profitable, on le souhaite.

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Quelques ouvrages importantsont été reçus qui, malgré le confine-ment, n’ont pu être lus ni doncchroniqués à temps avant le bou-clage. Avant d’en rendre compte defaçon détaillée dans le prochainnuméro, nous pouvons, par ordrealphabétique des auteurs, en livrerla liste en toute confiance – les lec-teurs mécontents nous écriront …

Vincent Amiel & José Mourre,Histoire vagabonde du cinéma, Paris,Vendémiaire, 2020, 616 p., 29 €

Mireille Calle-Gruber & AnaïsFrantz (dir.), Assia Djebar, Lemanuscrit inachevé, coll. Archives,Paris, Presses de la SorbonneNouvelle, 2021, 240 p. 29, 90 €

Agnès Devictor & Jean-MichelFrodon, Abbas Kiarostami, L’œuvreouverte, Paris, Gallimard, 2021, 304p., 29 €

Germaine Dulac, Écrits sur leCinéma, textes réunis et présentés

par Prosper Hillairet, avec une nou-velle préface, 2e édition, Paris, éd.Paris Expérimental, 2020, 336 p.,25 €

Prosper Hillairet, Passages duCinéma, texte établi par MélanieForret & Arthur Côme, Paris, éd.Paris Expérimental, 432 p., 23 €

Yannick Mouren, Prendre ausérieux la comédie, Paris, CNRS édi-tions, 2020, 232 p., 24 €

Notons que l’ouvrage collectifdirigé par Mireille Calle-Gruber &Anaïs Frantz reproduit un article deJean Delmas, publié dans le n° 116(février 1979) de Jeune Cinéma, ainsique son entretien avec Assia Djebar.Enfin, le recueil de ProsperHillairet rassemble, parmi biend’autres, les textes qu’il a écritspour Jeune Cinéma depuis le n° 319-320 (automne 2008). Lectures prio-ritaires !

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P.S. : Chez le même éditeurMarest, on recommande la lecturedu livre (essai-reportage-entre-tien ?) Le Dormeur de Daniel DaSilva (2020, 128 p., 14 €), passion-nante recréation du tournage d’uncourt métrage (1974) de PascalAubier à partir du poème deRimbaud. Les amateurs anciens yretrouveront la verve du réalisateurde Valparaiso, Valparaiso (1970) etdu Soldat et les trois sœurs (1972), lesautres découvriront un cinéaste que

l’on regrette de n’avoir pas encoreabordé.

Lucien Logette

1. On le connaissait pour La Brigandine, lesdessous d’une collection, préface de Jean-PierreBouyxou, Artus Films, 2017, somme éru-dite indispensable aux amateurs de curiosa.

2. Notons que Blier n’a pas toujours étébien traité par la critique. Ainsi que le rap-pelle Roussel, il n’a trouvé grâce ni auprèsde Serge Daney ni auprès de Jean-MichelFrodon (certains diront que c’est rassurant)et Jean Domarchi le considérait comme unnazi…

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