presse Écrite: lire les dessins de presse€¦ · agir École primaire, collège et lycée extrait...

École primaireCollègeLycée

A G I R

P R E S S E É C R I T E : L I R E L E S D E S S I N S D E P R E S S E

A G I R

École primaire, collège et lycéeExtrait de : Le guide de la presse écrite,

collection pratiques à partager,

Scéren-CRDP Toulouse, 2008

ISBN : 978-2-86565-400-0

Sous la direction de

Jean-Philippe Marcy et Roger Cussol

Édith Bourzes, professeur certifié de sciences

médico-sociales

Roger Cussol, professeur agrégé de lettres modernes

Angelo Lorusso, conseiller principal d'éducation

Jean-Philippe Marcy, professeur d'histoire-géographie

Frédéric Puchaczewski, professeur agrégé

de lettres modernes

Danielle Seichan, professeur d'histoire-géographie

Marie-Hélène Sicre, documentaliste

p R e s s e é c R I t e : l I R e l e s d e s s I n s d e p R e s s e

Directeur de publication Jean-Marc Merriaux Directrice de l’édition transmédia et de la pédagogieMichèle Briziou Directeur artistiqueSamuel Baluret Coordination éditoriale et secrétariat de rédactionCatherine Juston-Coumat, Canopé académie de Toulouse Propriété intellectuelleJean-François Spelle, Canopé académie de Toulouse Mise en pagesJean-Marc Maillet, Canopé académie de ToulouseConception graphiqueDES SIGNES studio Muchir et DescloudsCrédits première de couvertureCrayon © allnow1 - Fotolia.comCaricature © Sergey Nivens - Fotolia.comJourneaux © mitrija - Fotolia.comDessinateur © Myst - Fotolia.com

ISSN : en coursISBN : 978-2-86565-489-5© Canopé-CNDP-2015(établissement public à caractère administratif)Téléport 1 @ 4 - BP 8015886961 Futuroscope Cedex

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L.122-4 et L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction inté-grale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite ».Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris) constitueraient donc une contrefaçon sanction-née par les articles 425 et suivants du Code pénal.

SOMMAIRE

Éditorial

pour LIRE LES deSSINS DE PRESSE :

ÉTAT DES LIEUX

L'ironie

Le paradoxe

La comparaison

L'anachronisme

La métaphore

PISTES DE LECTURE

L'observation

L'interprétation

L'analyse iconographique

Les classements typologiques

Zoom : un dessin de Plantu

pour aller plus loin

Comment sont traités les sujets sensibles ?

Quel rôle jouent l'angle et le style ?

Qu'apporte la paraphrase d'icônes très connues ?

Pourquoi déranger, inquiéter, provoquer... ?

Quel est l'objet du discours de l'image ?

Qu'exprime la caricature ?

repères

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éditorial

Lorsque l’actualité brûlante nous impose l’urgence d’une réponse éducative, il convient de rappeler que des publica-tions à vocation pédagogique existent, permettant de construire une distance critique, essentielle à la compréhen-sion du réel par les propos et les images qui le re-présentent dans la presse; essentielle aussi pour la compréhension de ce qui nous inquiète quand ces propos et ces images interrogent nos représentations.

Édité, depuis 2008, par le CRDP/Canopé Académie de Toulouse, dans la collection Pratiques à partager, le Guide de la presse1

écrite a pour objectif, hors de tout tsunami émotionnel, d’ac-compagner la démarche didactique d’enseignants voulant s’impliquer dans l’éducation aux médias d’information et s’auto-former à la lecture de la presse écrite ; une presse écrite qui possède un incomparable potentiel :

- comme vrai genre discursif- comme vecteur de connaissances- comme lieu encore possible d’une éthique- comme digne expression du politique.

L’un des chapitres de ce guide est consacré à la lecture des images de presse. C’est la partie qui s’intéresse aux dessins de presse que nous publions ici à part. Les enseignants peuvent se saisir de tous les éléments constitutifs de ce dos-sier. Les dessins peuvent être projetés ou imprimés unique-ment dans un cadre pédagogique, en classe, avec les élèves.

Nous n’avons pas actualisé les exemples qui y sont traités : ils sont déjà volontairement décalés dans le temps, car sinon aucune analyse lucide ne pourrait se dégager des réactions purement émotionnelles liées à des événements en cours. Et puis, c’est la méthode qui importe et qui peut être transposée : il s’agit en effet pour l’enseignant, en particulier dans son domaine disciplinaire, de pouvoir accompagner efficacement ses élèves dans l’apprentissage ou la réappropriation de la lecture des dessins de presse afin de leur donner ou de leur rendre tout leur vrai sens. Non seulement c’est un enjeu de savoir et de culture, mais aussi et surtout une question vitale pour la démocratie : rien n’est pire qu’un message jugé

1 Sous la direction de Jean-Philippe Marcy et Roger Cussol, Le guide de la presse écrite, collection pratiques à partager, Scéren-CRDP Toulouse, ISBN : 978-2-86565-400-0, 2008

blessant parce qu’on n’a pas les moyens de le comprendre, parce qu’on n’a pas su le lire. Il faut en effet pouvoir comprendre qu’il peut se présenter comme une création ima-ginaire, une interprétation d’une information, l’expression d’une opinion, un trait d’humour ou d’ironie, etc., et qu’il peut induire des réactions fortes tout en respectant les lois sur la liberté de la presse et les principes déontologiques fondamentaux.

Voilà pourquoi nous avons voulu mettre à la disposition de tous, de la façon la plus directement accessible, ces quelques pages.

Quant à l’ensemble du Guide de la presse écrite, il permet une approche pédagogique cohérente de tous les aspects de la lecture des journaux sous toutes leurs formes.

Partant d’un état des lieux du système médiatique (économie de l’information, données sur les groupes de presse, les lecto-rats, la diversification des supports, les sources et leur traite-ment) ce guide aborde ensuite la presse comme discours. Il donne alors les moyens d'interroger les valeurs de la presse d’information en proposant des pistes méthodologiques appli-quées à de grands sujets d'actualité et à des événements qui ont marqué l'histoire récente.

Conçu comme un outil pratique et synthétique, ce guide est en même temps une mine de documents, sur lesquels il s’appuie aussi bien en tant que supports pédagogiques qu’en tant qu’objets d’étude : dépêches, articles issus de quotidiens ou de magazines, presse gratuite ou en ligne, photos, dessins, infographies, etc. On y trouve des synthèses, des éclairages croisés, des repères terminologiques, des « zooms » sur des faits et des notions, ainsi que des pistes pédagogiques et des activités pluridisciplinaires permettant d'aborder tous les enjeux de l’information.

Jean-Philippe Marcy, Roger CussolLe 12/01/ 2015

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GuIDE DE LA PREssE ÉCRITE

POUR LIRE LES DESSINS DE PRESSE: ÉTAT DES LIEUX

Le dessin de presse représente sans doute la forme la plus poétique et la plus politique de l’image

d’actualité (poiêsis = créer par l’imagination ; politikos = qui concerne les citoyens).

Aussi est-il souvent abordé sous l’angle de la rhétorique. Par exemple, dans ces dessins de Cabu,

tirés de « Ma Ve République » :

L'IRONIE

1983 :

Une perception très critique de l’effet des sondages politiques...

Comment attirer l’attention sur quelque chose ? En le montrant par antiphrase : l’opposition

entre le texte et le dessin est une manière très fréquente d’ironiser. L’ironie n’est pas forcément

comique !

© Cabu/Charlie hebdo

LE PARADOxE

1996 :

Tchernobyl, 10 ans après : y a-t-il eu une prise de conscience des dangers du nucléaire, dans le

monde ?

Le paradoxe, c’est la mise en image surprenante d’une anti-idée reçue : il s’agit de faire réagir le

lecteur en dérangeant le « bon sens » consensuel, ici la fraternité comme la conçoit un idéalisme

bienpensant (« Si tous les gars du monde... »).

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LA COMPARAIsON

1994 :

Le Rwanda, la Bosnie : une actualité très inquiétante. Par comparaison, les comportements des

Français et les

« catastrophes nationales » (crues torrentielles) sont dérisoires.

La mise en parallèle texte/dessin est féroce.


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L'ANAChRONIsME

1989 :

Le Bicentenaire de la Révolution Française vu par Cabu.

Il s’agit d’amuser le lecteur, en jouant sur la rencontre de clichés historiques et de stéréotypes

actuels, que le lecteur doit bien sûr pouvoir d’abord reconnaître.


LA MÉTAPhORE

1961 :

Cabu a 23 ans et dessine depuis 6 ans. Il vient à peine de rentrer d’Algérie, « devenu antimilita-

riste pour la vie ».

La transposition métaphorique lui permet d’exprimer ce point de vue, évidement très polémique.

Travailler sur ce genre de dessin permet d’ouvrir ensuite la réflexion sous une forme

argumentative.


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pistes de lecture

ON TROuVE AuJOuRD’huI DE NOMbREux DOCuMENTs POuR uNE APPROChE PÉDAGOGIQuE DEs DEssINs DE PREssE (ANDRÉ

bAuR, DANIEL sALLEs, JEAN-bERNARD sChNEIDER...). LEs PRINCIPALEs PIsTEs PROPOsÉEs sONT :

L'ObsERVATION

Quel sujet, quels thèmes le dessin traite-t-il ? Quelles connaissances (savoir historique, géogra-

phique, culture générale) demande-t-il, le plus souvent de façon implicite ?

L'INTERPRÉTATION

L’interprétation selon une approche sémiologique : que voyons-nous, qu’observons-nous ?

Et que comprenons-nous, qu’en pensons-nous ? Il s’agit de relever des indices (dénotés et conno-

tés) pour construire du sens.

L'ANALysE ICONOGRAPhIQuE

Étude du graphisme (lignes, points forts, assemblage des plans, repérage des codes iconiques par

exemple dans l’expression des mouvements, la graphie des onomatopées), analyse des rapports

texte/image (bulles, encadrés, légendes, titraille et maquettage de la page).

LEs CLAssEMENTs TyPOLOGIQuEs

— genres : dessin d’humour, dessin d’actualité, caricature, gag, etc. ;

— fonctions : illustrative, éditoriale, satirique, etc. ;

— variétés de comique : burlesque, bouffon, absurde, dérision, humour, etc. ;

— codes culturels et symboles : personnages-types, décors, vêtements, accessoires, etc. ;

— figures de rhétorique : essentiellement de substitution et de construction.

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ZOOM : uN DEssIN DE PLANTu

Voici un dessin de Plantu paru dans Le Monde du 21/22 avril 2002, c’est-à-dire dans une situation

bien particulière. En effet, le journal paraissant le soir, la rédaction ne pouvait pas connaître dans

la journée du dimanche le résultat-choc du premier tour de ces présidentielles : les journalistes et

le dessinateur n’ont rien à annoncer. Plantu traite alors un « marronnier » : l’abstention.

Quelles sont donc les particularités de ce dessin (typologie, analyse iconographique) et quel peut

en être le sens (interprétation) ?

L'abstention, dessin de © Plantu

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D’abord, ce dessin a une double fonction : éditoriale et satirique. Bien sûr, il s’agit d’illustrer un

élément du sommaire : « seize candidats, du jamais vu ». Mais c’est aussitôt pour faire une galerie

de caricatures – d’ailleurs très réussies – : les candidats deviennent des marionnettes et, comme

au guignol (traits stylisés, grosse tête et petit corps, bras levés, accessoires significatifs, comique

de répétition) ils s’agitent, en vain puisqu’ils sont « bords cadre ». Là où le dessinateur exprime

une idée éditoriale, c’est dans l’expression de cette impuissance des hommes politiques et sur-

tout dans l’intuition que l’abstention va bouleverser les prévisions des sondages : nombreux sont

les électeurs qui, en effet, se diront le 22 avril « je culpabilise à mort ».

Ensuite, il est intéressant de voir comment Plantu prend visuellement au pied de la lettre l’ex-

pression « aller à la pêche » et s’en sert pour introduire dans son dessin une foule de clichés gra-

phiques : temps printanier et pique-nique, drapeau tricolore et panneaux électoraux, poissons

moqueurs, tenue et posture des « Français moyens ». Il s’agit presque d’un exercice de style sur le

thème.

Enfin, il faut bien sûr mettre en relation ce dessin et le gros titre de la « une » : « La France vote, la

France intrigue ». Plantu joue sur le contrepoint ironique : sa France ne vote pas ! Et le double sens

du verbe « intriguer » (exciter la curiosité/se livrer à des machinations) est évidemment traduit

par les deux dessins en un : dans le cadre, le comportement étrange des électeurs et, bord cadre,

l’affolement des politiques dont les stratégies électorales risquent d’échouer.

© Le Monde du 21, 22 avril 2002

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pour aller plus loin

ON PEuT AussI s’INTÉREssER Aux DEssINs D’ACTuALITÉ sOus D’AuTREs ANGLEs, PEuT-êTRE MOINs fAMILIERs.

COMMENT TRAITER LEs suJETs sENsIbLEs ?

Irak constitution, dessin de © Olivier

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Iran-Irak, dessin de © Chappatte dans The International herald Tribune - www.globecartoon.com

Dans ces dessins, ce qui ressort, c’est l’humour noir et l’implicite, sous forme d’allusions et de

jeux de mots visuels : déclinaisons graphiques de l’idée de « quadrature du cercle » s’agissant de

la rédaction d’une Constitution pour l’Irak (avec une allusion à Da Vinci Code) ; jeu sur les mots «

bourbier » irakien (avec une allusion au Vietnam). Cela n’a pas pour but de faire passer la pilule

sur un sujet sensible et facilement polémique : il s’agit plutôt d’attirer l’attention du lecteur et de

l’amener à considérer l’information d’un autre oeil. En ouvrant ainsi des angles, les dessinateurs

supposent qu’ils s’adressent à un lecteur intelligent et cultivé, capable d’une certaine distancia-

tion critique ; ils s’appuient sur sa maturité critique et ses capacités de réflexion.

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QuEL RôLE JOuENT L'ANGLE ET LE sTyLE ?

Muraille de Chine, dessin de © Chappatte dans The International herald Tribune www.globecartoon.com

Annulation de la dette, dessin de © blouch

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Dans ces deux dessins, le sujet est similaire (la mondialisation de l’économie de marché), mais la

forme et le contenu du discours sont sensiblement différents parce que l’approche de l’informa-

tion n’est pas du même ordre :

– chez Chappatte, pirouette humoristique plutôt triviale pour évoquer cependant un sujet sen-

sible dans le domaine du commerce mondial ; chez Blouch, petite fable politique, pleine de sous-

entendus idéologiques, sur le cynisme des nations riches ;

– chez Chappatte, gag visuel qui reprend le cliché de la Grande Muraille et connote notre vision

stéréotypée d’une attitude multiséculaire que nous prêtons a priori aux Chinois ;

chez Blouch, paraphrase d’une vignette de BD (fondée sur notre connaissance des codes de la BD :

parabole animalière, phylactères, style graphique), qui joue donc sur un décalage pour induire

une réflexion critique.

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Qu'APPORTE LA PARAPhRAsE D'ICôNEs TRès CONNuEs ?

"Cyclone Katrina, La Nouvelle-Orléans", dessin de © Wiaz 2005, Le Nouvel Observateur

La photo de Joe Rosenthal sur Iwo-Jima est la plus reproduite par les États-Unis et elle est connue

dans le monde entier ; elle fait aussi irrésistiblement penser à une sculpture (qui figure d’ailleurs

au cimetière d’Arlington). En somme elle a toutes les caractéristiques d’une figure emblématique

avec une forte charge symbolique. C’est pourquoi l’une des photos du 11 septembre évoque cette

image pour glorifier de nouveaux héros.

Ces images cultes, chargées à la fois d’émotion et d’histoire fonctionnent comme des repères, des

signaux. En les paraphrasant à son tour un dessinateur de presse va, lui, pouvoir reconstruire l’icône à sa façon : un drapeau déchiré, des soldats à moitié engloutis qui cherchent à s’accrocher

à la hampe (il en manque déjà deux : la main tendue est-elle celle de l’un d’eux en train de se

noyer ?), un décor de désolation : Wiaz retourne le sens des symboles pour interroger le cliché et

la légendaire capacité des Américains à surmonter les épreuves. Ce type de renversement de sens

est propre au dessin de presse qui assume ainsi un rôle de commentaire et une posture de distan-ciation critique.

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POuRQuOI DÉRANGER, INQuIÉTER, PROVOQuER... ?

L’ironie comme moyen d’interroger l’actualité est, comme nous l’avons vu, une composante de

base du dessin de presse. Mais cela peut aller bien plus loin et toucher à la provocation cynique, à

la mise en question brutale de codes culturels établis, à la volonté d’inquiéter le lecteur dans ses

routines de pensée.

1. Dessin de © Wozniak, Le Canard enchaîné du 18 août 2004, p.8

2. Dessin de © Willem

1

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Dans le dessin de Wozniak on peut ainsi mettre l’accent sur un rapprochement incongru radicale-

ment choquant : la prétendue aptitude physique innée des Africains pour le sport et la danse,

d’un côté, et de l’autre le spectre d’un génocide au Burundi en 2004 (152 réfugiés tutsis sont assas-

sinés à Gatumba le 13 août). Comment le lecteur reçoit-il cela ? Le dessinateur veut le faire réagir ;

mais dans quel sens va-t-il réagir : la compassion, le réflexe raciste, la prise de conscience, la

révolte, etc. ?

De la même façon, le dessin de Willem est une violente attaque contre l’idéologie de la libération

des peuples par la guerre (ici les femmes en Afghanistan). Mais, à travers la parodie des clichés et

des slogans de la publicité occidentale des années 1960, l’humour noir sur lequel s’appuie cette

image révèle-t-il ou masque-t-il aux yeux du lecteur la profondeur du conflit de cultures et de

représentations du monde qui est ici en jeu ?

Enfin, comment est gérée, dans ces deux dessins, la question de l’autocensure ?

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QuEL EsT L'ObJET Du DIsCOuRs DE L'IMAGE ?

Plus qu’ailleurs dans l’image d’actualité, le dessin de presse apparaît comme un discours capable,

de façon souvent condensée et percutante, de traverser le visible pour donner du sens au réel.

Dès lors, il questionne, révèle, interpelle, dénonce en soulignant les marques textuelles et gra-

phiques de son énonciation. Le raccourci, le parallèle, la stylisation du dessin sont des procédés

courants pour faire apparaître ce qui ne serait pas directement perceptible dans le quotidien,

mais qui en constituerait l’essence, du point du vue du dessinateur. Ainsi peut-on utiliser par

exemple, dans le domaine des langues, cet aspect du dessin de presse pour aborder des questions

de civilisation.

Dans ce dessin d’Ascensi, on peut observer un discours de l’image qui interroge nos représenta-

tions :

– individuelles : que traduisent la taille de l’image, la posture corporelle, l’expression du visage

(très différentes dans ces trois images), de la perception personnelle que nous pouvons avoir de

chacun de ces personnages ? Le dessin dit à l’évidence : nous ne pouvons pas avoir la même rela-

tion avec autrui selon qu’il semble plutôt débonnaire ou plutôt menaçant ;

– collectives : comment, en montrant la métamorphose de la tenue des policiers, le dessin fait-il

apparaître de façon flagrante l’évolution d’une société ? Son objet n’est bien sûr pas l’étude du

costume, mais la mise en évidence de ce que l’évolution « technique » de l’uniforme ou de la

tenue montre du changement radical de la fonction même des « forces de l’ordre ».

Policiers, 1982, 1992, 2002, dessin de © Ascensi

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Qu'ExPRIME LA CARICATuRE ?

En France, la caricature de presse a une longue histoire, assez souvent marquée par la provoca-

tion et le scandale, parce qu’elle est liée à l’Histoire et qu’elle a constamment révélé le degré de

liberté de la presse, c’est-à-dire l’état de la démocratie. Dans son Histoire de la caricature et du des-

sin humoristique en France, Michel Ragon écrit :

« Qu’est-ce que la caricature ? Le mot vient de l’italien “caricare“ qui signifie charger, exagérer. La caricature est en général cruelle, souvent triviale et elle cultive les analogies. Lorsque le maître Hokusai représente des négociants sous forme de rats, c’est de la caricature. »

C’est exactement ce que fait Morchoisne quand il caricature par exemple François Mitterrand :

Danger caricatures !, Éditions du Rocher, 2007 © Morchoisne

La caricature est bien une spécificité du dessin de presse : la figuration stylisée de quelques traits

distinctifs d’un visage change d’un dessinateur à l’autre et exprime un point de vue personnel, un

jugement politique, une ligne éditoriale, etc. On peut alors scruter des signes distinctifs : Jacques

Chirac a-t-il « vraiment » un tel nez ? Qu’est-ce qui rend son personnage plutôt sympathique

(Placide) ou plutôt inquiétant (Pinter) ? Que signifie le petit drapeau chez Plantu ?

Non au cumul des mandats, dessin de © Plantu

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On peut aussi aborder la question des limites : le portraitcharge ou la satire sont des formes de

liberté d’expression et de publication, et donc les premières cibles de la censure, directe ou dégui-

sée. Mais aussi, dans un État de droit, en particulier dans la presse et à propos du Chef de l’État, il

s’agit de ne pas faire tout et n’importe quoi. On a donc avec les caricatures des supports intéres-

sants pour faire repérer les garde-fous : par exemple, on peut, en partant du corpus ci-dessus,

demander où se situent les limites du respect de la personne et de la fonction, jusqu’où peut aller

l’impertinence, où est la démarcation entre la satire – même grotesque – et l’insulte, que faut-il

pour qu’il y ait injure ou diffamation ?

1. Jacques Chirac, Airbus 380, dessin de © Placide - www.leplacide.com

2. Jacques Chirac, 4 mains, dessin de © Pinter

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repères

Le dessin de presse a pour principaux traits :

– d’être une image inventée de toutes pièces, maîtrisée dans sa construction ;

– d’être déjà une lecture de l’actualité : le dessin projette des images sur les images d’actualité

(reprise de clichés, utilisation de symboles) ; il commente l’actualité (surdétermination du sens

par le clin d’oeil visuel ou le texte, démarcation en apportant un « grain de sel ») ; il joue sur les

codes iconiques et culturels supposés connus du lecteur ; il commente parfois l’actualité, selon

un point de vue manifestement subjectif, à chaud ;

– d’être l’expression d’une opinion : dans la presse écrite française, cette valeur d’engagement est

historique. Dans un environnement d’information qui tend aujourd’hui au consensus, le dessin

de presse perpétue une posture critique, une forme de liberté de pensée, un esprit d’imperti-

nence, une capacité d’indignation et des choix de parti pris. Il cherche par exemple parfois à mon-

trer le dessous des cartes dans certaines rubriques (sport, économie, politique, etc.) ; il peut, à

propos des faits divers ou des catastrophes, susciter une réflexion plus approfondie par-delà les

images-chocs.

Le dessin de presse peut être l’objet de préjugés et de malentendus :

– sa réputation de facilité, d’immédiateté vient de l’universalité des clichés qu’il consomme ; on

peut aussi heureusement y trouver, pour peu qu’on s’y attarde, de l’originalité et des effets de

surprise ;

– « c’est pour rire », dit-on ; mais le dessin de presse exclut rarement, derrière l’humour, la gravité

et la profondeur d’une lecture à double sens ;

– on pense souvent que le talent du dessinateur peut faire tout passer ; mais comme tout journa-

liste, il doit respecter la loi de 1881 sur la liberté de la presse et les codes déontologiques de la

profession (Charte des journalistes, 1918 ; Déclaration de Munich, 1971).

presse Écrite: lire les dessins de presse€¦ · agir École primaire, collège et lycée extrait...

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