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PRENDRE EN COMPTE LA SUBJECTIVITÉ DES JOUEURS DE RUGBY POUR OPTIMISER L'INTERVENTION Alain Mouchet et Daniel Bouthier De Boeck Supérieur | Staps 2006/2 - no 72 pages 93 à 106 ISSN 0247-106X Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-staps-2006-2-page-93.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Mouchet Alain et Bouthier Daniel, « Prendre en compte la subjectivité des joueurs de rugby pour optimiser l'intervention », Staps, 2006/2 no 72, p. 93-106. DOI : 10.3917/sta.072.106 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_reims - - 193.50.215.87 - 20/09/2012 12h04. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_reims - - 193.50.215.87 - 20/09/2012 12h04. © De Boeck Supérieur

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PRENDRE EN COMPTE LA SUBJECTIVITÉ DES JOUEURS DE RUGBYPOUR OPTIMISER L'INTERVENTION Alain Mouchet et Daniel Bouthier De Boeck Supérieur | Staps 2006/2 - no 72pages 93 à 106

ISSN 0247-106X

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-staps-2006-2-page-93.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Mouchet Alain et Bouthier Daniel, « Prendre en compte la subjectivité des joueurs de rugby pour optimiser

l'intervention »,

Staps, 2006/2 no 72, p. 93-106. DOI : 10.3917/sta.072.106

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Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.

© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Prendre en compte la subjectivitédes joueurs de rugby

pour optimiser l’intervention

Alain MOUCHET, Maître de Conférences, Université Paris XII

Division STAPSGEDIAPS et Cellule Recherche

Rugby de la FFR

Daniel BOUTHIER, Professeur des Universités, IUFM d’Aquitaine

160, avenue de Verdun – BP 152F-33705 Mérignac Cedex

IDEES-VSTII Université Bordeaux 2et Cellule Recherche Rugby de la FFR

Correspondance : Alain MouchetUniversité Paris XII, Division STAPS

80, avenue du Général de GaulleF-94009 Créteil CédexFax : 01 45 17 44 03

[email protected]

RÉSUMÉ : Nous présentons les principaux résultats d’une recher-che relative à l’organisation de l’activité décisionnelle des joueursexperts, ainsi que leurs incidences pour l’intervention. Nous

mettons en avant plusieurs aspects concernant l’organisation de l’activité décisionnelle : les rapports dif-férenciés et subjectifs entretenus par les joueurs avec les éléments en partie partagés par l’équipe ; unemobilisation singulière et subjective des différentes sources d’influence ; une flexibilité dans la naturedes décisions ; une ouverture et réduction attentionnelle, source de créativité. Nous considérons que laprise en compte des logiques singulières et subjectives des joueurs est nécessaire pour optimiser l’inter-vention sur les conduites décisionnelles. Elle contribue notamment à la création d’une identité collec-tive, en facilitant la co-construction d’un référentiel pour partie commun. L’aide à la verbalisation deces logiques propres constitue un outil de formation intéressant, qui favorise également l’explicitationdes facteurs de réussite ou des sources d’erreur. Ainsi, il semble possible d’organiser un transfert réflexifancré sur le vécu subjectif des joueurs en match. Ce dispositif de formation a pour vocation de s’inscriredans une articulation avec l’ensemble des moyens d’optimisation de la performance, et repose sur unecollaboration entre les entraîneurs, les joueurs et l’intervenant chercheur.MOTS-CLÉS : subjectivité, rugby, décision, co-construction du référentiel commun, verbalisation.

ABSTRACT: To take into consideration rugby players’ subjectivity to optimize interventionWe present the major results of a study about the elite players’ decision-making process, and also theconsequences for intervention. We underline many points about the decision-making activity: players’different and subjective relations to shared elements of the team; personal and subjective using of thedifferent sources of influence; the flexibility in the nature of decisions; the attention dynamics, factor ofcreativity. We consider that intervention on decision-making activity needs to take in order peculiar andsubjective logics of the players. It will participate to the creation of a collective identity within facilitatethe co construction of a common repository. The verbalization of these players’ own logic constitute aninteresting tool for training. It also helps the explicitation of the success factors or the errors causes. Soit seems possible to organize a reflexive transfer which is based on the subjective life of the players ingame. This forming organization is likely to be articulated with all methods of the performance optimi-zation. It leads on collaboration between coaches, players and researcher.KEY WORDS: subjectivity, rugby, decision making, common repository co-construction, verbalization.

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1. INTRODUCTION

Nous présentons les principaux résultatsd’une recherche relative à la caractérisation del’activité décisionnelle des joueurs experts enmatch, ainsi que leurs incidences en matièred’intervention. Cet article participe aux débats,dans les sciences cognitives, entre les courantsqui proposent différents modèles explicatifs desconduites de décision. En effet, la perspectivecognitiviste a été valorisée dans de nombreuxtravaux sur les décisions en sports collectifs(Bouthier, 2000 ; Dracon, 2001 ; Baker, Côté& Abernethy, 2003). Ils attribuent un rôle déci-sif à la rationalité consciente et notamment à laplanification préalable dans la prise de décision.Or ce rôle semble devoir être minoré, card’autres déterminants sont invoqués pour éclai-rer les prises de décision, comme la subjectivitédes individus ou les circonstances locales (Rix,2002 ; Mouchet, 2003).

De plus, cet article prend du sens au niveauempirique si l’on se réfère à une évolution ré-cente du rugby professionnel en France. Le re-nouvellement fréquent et important des groupesde joueurs au sein des clubs induit pour les en-traîneurs une difficulté à gérer l’hétérogénéitédes formations initiales et des conceptions enmatière de jeu. Cette difficulté est accentuée auregard de la nécessité d’obtenir des résultats im-médiats. Si une tendance existe, consistant à im-poser le point de vue de l’entraîneur via le projetde jeu, il peut aussi être intéressant de mieuxcerner et d’exploiter la subjectivité des joueurs.

Nous faisons l’hypothèse que la prise encompte des logiques singulières et subjectivesdes joueurs est nécessaire pour optimiser l’inter-vention sur les conduites décisionnelles. Elle con-tribue notamment à la création d’une identitécollective, en facilitant la co-construction d’un ré-férentiel pour partie commun.

Nous tentons dès lors dans cet article de met-tre en avant des éléments caractéristiques de la lo-gique propre des joueurs, qui n’est pas forcémentque rationnelle mais plutôt complexe, singulièreet subjective. Ceci nous conduit ensuite à pré-senter des pistes renouvelées pour l’interven-tion, à travers l’organisation d’un dispositif deformation susceptible d’accompagner les procé-dures d’entraînement.

2. DES DÉCISIONS COMPLEXES,SINGULIÈRES ET SUBJECTIVES

Nous tentons d’appréhender la complexitépar une approche systémique (Le Moigne, 1999),en étudiant la décision à travers les relationsentre le joueur et les données de contexte, localet général (Mouchet, 2003). Nous utilisons l’ar-ticulation de différents paradigmes scientifiquesqui offrent un éclairage particulier sur les con-duites décisionnelles (Mouchet, 2005a).

La perspective de l’énaction (Varela, 1996) estintéressante pour expliquer le caractère adaptatifdes décisions au contexte local. Dans ce cadre, lesdécisions tactiques émergent du couplage struc-turel entre le sujet et son environnement local,tel qu’il le reconstruit au fil de ses actions. Ellesémergent donc en situation, au fil des opportu-nités que le joueur rencontre ou qu’il contribueà créer. De plus, nous considérons que l’activitédécisionnelle a une spécificité contextuelle, etnous rejoignons en cela la tradition ethnométho-dologique de l’action située (Suchman, 1987), etles propositions de la cognition située (Kirshner& Whitson, 1997) et distribuée (Hutchins, 1995).La décision constitue ainsi un accomplissementpratique, situé dans un contexte singulier car lescirconstances ne sont jamais identiques (score,fatigue, joueurs en présence, buts personnels...).La figure 1 ci-dessous illustre ces propos.

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Figure 1. Caractère adaptatif des décisions tactiques en situation de match

Notons que cette décision tactique est éga-lement située socialement et culturellement.Elle est en effet imprégnée d’un arrière-plandécisionnel comprenant des aspects indivi-duels et collectifs, relatifs par exemple au pro-jet de jeu de l’équipe et aux stratégies d’avant-match, ainsi qu’aux conceptions, valeurs, expé-riences partagées... Cette multiplicité des cou-ches d’influence imprègne les décisions encours, selon une logique singulière, commenous tentons de le formaliser dans la figure 2ci-dessous.

Cette articulation des éclairages scientifi-ques permet de relativiser un excès de rationa-lité dans l’étude des phénomènes décisionnelsen situation de match. Nous rejoignons à cetégard Sève, Saury, Theureau et Durand (2002)sur la non-pertinence du modèle du Système deTraitement de l’Information (Schmidt, 1975)comme hypothèse explicative unique des con-duites décisionnelles chez les experts. Nousopérons ainsi une prise de distance par rapportà la conception de l’activité seulement commeplan strictement exécuté.

Figure 2. Formalisation de l’activité décisionnelle des joueurs de rugby en match

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D’autre part, il nous semble surtout intéres-sant d’opérer un changement de posture pourappréhender la subjectivité des acteurs, au senspsycho-phénoménologique de la propre logi-que du sujet, inhérente à son expérience tellequ’elle lui apparaît (Vermersch, 2002). Nous va-lorisons dans cette optique la description duvécu par un point de vue en première personneà partir d’un acte réfléchissant. Ce dernier est unacte de création du vécu pré-réfléchi au plan duréfléchi ; ou encore de la conscience directe ouconscience en acte, à l’élaboration de la conscien-ce réfléchie qui concerne les savoirs conceptua-lisés et autorise la verbalisation (Vermersch,2001). Il permet à l’homme de prendre connais-sance de son expérience subjective, de découvriraprès coup une partie de sa propre activité. Deplus, la dynamique attentionnelle au sens psy-cho-phénoménologique de modulation de laconscience (Vermersch, 2001), nous semble ré-vélatrice de l’organisation des décisions du su-jet. Elle permet d’envisager la construction de lasituation du point de vue du sujet, à travers lesindices signifiants pour lui, tel que cela apparaîtdans la figure 1. Elle permet aussi de caractéri-ser les rapports subjectifs entretenus par lejoueur à l’arrière-plan décisionnel (fig. 2).

3. MÉTISSAGE DE MÉTHODES

Les situations étudiées sont des séquencesde jeu extraites d’un match de Championnatd’Élite 1 ou de Coupe d’Europe, la compétitionservant de verre grossissant pour étudier les rap-ports entre cognition et action en situation réelle(Sève et al., 2002). L’objet d’étude concerne lesindices significatifs pour les sujets, et les critèresde prises de décisions tactiques, lors des phases demouvement général, dans lesquelles les joueurset le ballon sont en mouvement (Deleplace, 1979).Précisons que nous nous intéressons aux situa-tions où le joueur est en réussite, c’est-à-dire desséquences efficaces qui engendrent un déséquili-bre dans le rapport de force et permettent d’as-surer la continuité du jeu.

Le métissage de méthodes consiste à investi-guer les actions, les conceptions, et les verbalisa-tions sur l’action des joueurs d’Élite 1, à traversl’articulation de trois outils qui permettent decerner les facettes publiques et privées de l’acti-vité décisionnelle. Nous combinons ainsi :– une analyse vidéo informatique d’uneséquence de jeu efficace (Mouchet, Uhlrich& Bouthier, 2005) ;– un entretien semi-directif (Weill-Barais,1997) de quinze minutes permettant d’identifierles conceptions individuelles et les éléments re-latifs à la formation des joueurs. Le même typed’entretien est également effectué avec les en-traîneurs pour comparer les conceptions ;– un bref rappel stimulé (Gilbert & Trudel,2001) suivi d’un entretien d’explicitation(Vermersch, 1994) qui permet d’explorer lesmoments cruciaux préalablement repérés par lejoueur lui-même sur la vidéo, et d’accéder à l’im-plicite avec notamment les prises d’information(Mouchet, 2003).

Les trois moments de l’entretien que nousqualifions de composite s’enchaînent, l’entretiend’explicitation (EDE) étant le plus long. Cet en-tretien composite est effectué après le match.Nous présentons ailleurs une description pluscomplète des modalités de recueil et de traite-ment des données (Mouchet, accepté ; Mouchet,Vermersch & Bouthier, soumis).

Le point de vue en première personne(Vermersch, 2002) auquel nous accordons la plusgrande importance, n’est donc pas autonome desautres points de vue. Leur combinaison permetde constituer un réseau de données et d’opérerune triangulation (Gilbert & Trudel, 2004), quinous semble apporter de la rigueur et du sens auregard de nos préoccupations de recherche.

Nous disposons de onze entretiens effectuésdans leur intégralité, avec un échantillon quicomprend cinq avants et six trois quarts, encouvrant l’ensemble des postes souhaités. Cepanel a servi de support, grâce aux entretienssemi-dirigés, à l’élaboration d’une fiche cible desynthèse (annexe 1), susceptible de documen-

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ter les aspects plus ou moins partagés au seinde l’équipe en matière de conception sur le jeude mouvement, et d’intégration du projet de jeuinstauré en début de saison par les entraîneurs.Parmi ces onze entretiens, nous avons fait sixétudes de cas, procédé majoritairement utilisédans les recherches qualitatives en sport (Culver,Gilbert & Trudel, 2003). Il s’agit ainsi d’effec-tuer les entretiens composites dans leur intégra-lité et la triangulation des données.

4. RÉSULTATS

4.1. Bilan des conceptions des joueurset entraîneurs sur le jeu de mouvement

4.1.1. Les bases d’un projet commun

La fiche cible est présentée en annexe 1, avecles éléments les plus partagés au centre car ils sontcités par neuf à onze joueurs, et les plus dispara-tes en périphérie, cités par un ou deux joueurs.L’examen des résultats permet de souligner unetendance forte concernant la volonté de prati-quer un jeu de mouvement, et l’identificationd’un modèle de référence relatif à l’école toulou-saine. Ce modèle concerne l’équipe, les joueurs,un match ou action de référence, représentatifsdu jeu de mouvement. Ces aspects ne sont pas re-transcrits dans la fiche présentée qui est simplifiéedans cet article. Nous repérons aussi l’existencede quelques points d’ancrage sur les conditionsd’efficacité à mettre en œuvre : la vision du jeu,le jeu debout, la polyvalence de rôles et la répar-tition des joueurs sur le terrain ; la conservationdu ballon et la richesse du bagage technique ; lanécessité d’une bonne condition physique. En-fin, le seul élément partagé par l’ensemble desjoueurs en ce qui concerne les repères communs,concerne le replacement par zones après les pha-ses statiques, manifestement une des prioritésdéfinies par les entraîneurs en ce début de saisonsur le plan de l’organisation collective. Même sinous ne pouvons pas présenter ici la fiche cibledes entraîneurs (Mouchet, 2003), signalons que

la plupart des aspects partagés par les joueursdans les autres catégories que celle des repèrescommuns, le sont également par les trois entraî-neurs. Cela constitue donc un noyau dur desavoirs pratiques sur lesquels le groupe peuts’appuyer pour construire son jeu.

4.1.2. Expression des singularités et rapports différenciés au projet collectif

Tout d’abord, nous pouvons remarquer ladiversité des points de vue en ce qui concerne lesconditions d’efficacité à mettre en œuvre, au-delàdu noyau dur partagé indiqué ci-dessus. Cettediversité apparaît à travers la grande dispersiondes items dans les différentes couches de la fichecible des joueurs. Cela laisse notamment entre-voir la nécessité de faire un travail approfondiavec les nouveaux arrivants sur ce plan, car leursréponses se situent en périphérie.

D’autre part, il est indéniable de constater laquasi-absence, sur le plan conceptuel, d’unedéfinition commune du jeu de mouvement, endehors de sa caractérisation comme jeu de pas-ses. Nous voyons là un obstacle à la mise enœuvre rapide et efficace de ce dernier.

Par conséquent, nous considérons pouvoirpointer à travers cette comparaison des points devue entre joueurs et entraîneurs, un décalageentre les attentes du staff et leur appropriationpar les joueurs. Ce décalage porte principale-ment sur le manque d’intégration des repèrescommuns définis dans le projet de jeu, commela codification du jeu sur relances après blocage,ou la liberté accordée aux joueurs après des lan-cements de jeu millimétré.

Ces données témoignent bien d’une appro-priation différenciée et subjective des élémentsqui sont présentés comme des références com-munes par les entraîneurs. Cela soulève deuxquestions relatives d’une part au mode d’élabo-ration du projet de jeu et du référentiel commun,et d’autre part aux stratégies de diffusion. Nousreviendrons sur ce point dans la discussion.

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4.2. Mobilisation personnelle des sources d’influence

Nous avons pu mettre en avant la mobilisationsingulière et subjective des différentes sourcesd’influence, à travers l’expression d’une logiqueintrinsèque (Vermersch, 2002). Cette logiques’exprime selon les sujets, par une mobilisationplus ou moins forte de certains aspects de l’ar-rière-plan décisionnel : croyances sur les parte-naires et adversaires (« je suis sûr que Damien vaaller à droite car il sent le jeu », « ils montent tropvite... c’est des Gallois ! ») ; repères communs,expériences antérieures dans cette catégorie desituations ; habitudes et préférences du joueur(« j’aime bien tenter ce type de relance... j’aimeprendre des risques »).

Ces éléments d’arrière-plan peuvent ainsiimprégner les décisions en acte qui émergent dela co-détermination des actions du joueur et desa situation, sur un fond de sédimentation. Ilssont également susceptibles d’être mobilisés entant que référent potentiel lors des décisions detype délibératoire. Nous parlons dans ce cas dechoix tactiques, qui s’opèrent alors sur une miseen rapport réfléchie d’un ensemble de donnéesrelatives à l’instant vécu et au passé. Enfin, l’ar-rière-plan peut devenir prégnant et passer chezcertains sujets au premier plan. Ainsi, un talon-neur puissant met en œuvre sur un coup francrapidement joué, une décision de nature straté-gique qui semble presque conditionnée par sespréférences pour le défi physique (« personnel-lement moi j’aime bien défier la défense, c’estmon truc »), ainsi qu’une mentalité prédisposéeau combat (« j’ai envie tout le temps de passer laligne dans ma tête »).

D’autre part, nous avons aussi repéré chezcertains joueurs des tendances préférentiellesdans l’utilisation de ces modes décisionnels, ap-paremment liées aux exigences inhérentes auxpostes occupés, et aux caractéristiques indivi-duelles comme l’expression personnalisée dupoids relatif des composantes de l’action sportive(Bouthier, 1993). Nous rejoignons sur ce point

Clot et Faïta (2000) à propos de l’identification destyles décisionnels.

4.3. Flexibilité dans la nature des décisions

Une autre caractéristique chez ces joueursd’Élite 1, est bien la faculté à utiliser, en coursd’action, la palette des possibles en ce qui concer-ne le degré de conscience, en référence aux pro-positions de Vemersch (2001) sur la consciencedirecte et la conscience réfléchie. Les sujets té-moignent tous dans leurs décisions d’une flexi-bilité entre les décisions en acte et les décisionsréfléchies, voire des formes mixtes, en fonctiondes circonstances particulières liées au rapportd’opposition.

Nous remarquons en règle générale que laconscience réfléchie est prédominante dans lesmoments de moindre pression temporelle et phy-sique, où le joueur est non porteur de ballon,juste avant d’entrer en possession de ce dernier,ou bien lorsque le porteur de ballon est éloignédes premiers défenseurs ; mais également en casde problème ou de blocage, entraînant unebouffée de conscience réfléchie. Les sujets déve-loppent alors une activité réflexive de type dé-libératoire, susceptible de limiter l’incertitudeen définissant un espace des possibles, et quis’apparente à un choix entre des alternatives.Les cascades décisionnelles préétablies selon unelogique externe, notamment par les entraîneurs,sont disponibles en arrière-plan et constituent unréférent possible. C’est le cas pour un sujet quicourt en étant placé en soutien intérieur du por-teur de ballon et qui envisage trois éventualitésconcernant le porteur de ballon, en les associantà trois actions possibles de sa part : « s’il va au solil faut que j’aille étayer, s’il fait la passe extérieuril faut que je me place pour aider à l’extérieur,s’il me fait la passe je dois accélérer ». Toutefois,nous avons mis en évidence deux éléments im-portants. Premièrement, ce choix est rarementuniquement rationnel, au sens de l’applicationstricte de ces heuristiques. Il est souvent teinté dela subjectivité du joueur qui reconstruit ces cas-cades selon un processus vivant, en fonction des

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circonstances qui lui apparaissent, et de sa logiquepropre. Deuxièmement, au-delà de l’exempleprécédent, il est difficile de parler d’algorithmesau sens classique avec l’association d’une condi-tion et d’une action. Nous rejoignons plutôt lespropositions de Bouthier (2000) sur l’existencede paliers décisionnels, qui n’enferment pas lesujet dans une seule alternative, mais envisagentune possibilité englobante, ouverte, qui est en-suite spécifiée au regard d’indices significatifsqui s’imposent au sujet ; cela autorise une adap-tation relative aux circonstances.

De plus, nous avons montré comment laconscience directe est très forte, notammentdans les moments de pression temporelle im-portante, en particulier dans la zone cruciale derencontre entre l’attaque et la défense. La déci-sion émerge alors d’une co-détermination entreun indice significatif et les actions du sujet,s’apparentant davantage à des concepts prag-matiques (Pastré, 1999). Toute la subjectivitéimprègne alors ces décisions en acte qui émer-gent au fil des actions du joueur qui construitson monde.

4.4. Ouverture et réduction attentionnelle : source de créativité

Une constante apparaît dans l’organisationefficace des actions des joueurs dans les instantsdécisifs en zone cruciale : une ouverture atten-tionnelle optimale et une grande disponibilité.Nous pensons que le développement de cetteouverture attentionnelle semble constituer uneclé pour la bascule provisoire d’une stratégievers la tactique, en fonction d’une opportunitéà saisir dans l’évolution du rapport de force etqui est associée immédiatement à une focalisa-tion de l’attention. L’ouverture attentionnelle etla flexibilité des décisions constituent des facteursde réussite dans l’optique d’une articulation fineentre stratégie et tactique, source d’efficacitédans le rugby de haut niveau (Mouchet, 2005b ;Mouchet, Gréhaigne & Bouthier, soumis). Cettecompétence experte s’exprime sous deux for-mes développées ci-dessous.

D’une part à travers une articulation fine etimmédiate des cadrages attentionnels, correspon-dant aux différents plans d’opposition (Mouchet,2003). Ainsi, l’anticipation sur les aspects globauxde la situation comme l’état du rapport de forcesur le plan collectif partiel, est conservée sur unmode d’actualité moins prégnant, et permet lafocalisation provisoire sur un aspect, comme ungeste à effectuer, un défenseur proche à appré-hender...

Cette compétence experte s’exprime d’autrepart avec un changement de mode d’attentionau sein du plan homme contre homme. Le pas-sage d’un mode d’attention distribué à un modefocal et réciproquement, témoigne ainsi de cettealternance entre ouverture et réduction atten-tionnelle. Il peut être imposé par le surgissementd’un indice qui captive l’attention du sujet ; c’estle cas par exemple de l’apparition soudaine d’undéfenseur qui veut intercepter le ballon. Maiscette variation du mode d’attention peut aussiêtre volontaire. C’est par exemple le cas lorsd’une passe effectuée à un partenaire, ou d’unefixation d’un défenseur éloigné vers lequel lesujet court, avec réduction progressive du champd’attention dans ce cas.

5. DISCUSSION :PROPOSITIONS POUR L’INTERVENTION

Nous visons notamment à mobiliser la ver-balisation comme outil de développement descompétences (Schön, 1998 ; Perrenoud, 2001),à travers l’organisation d’un dispositif de forma-tion des joueurs susceptible d’accompagnerl’ensemble des procédures d’entraînement.

5.1. Co-construction du référentiel commun : vers le partage des subjectivités

Nous présentons ci-dessous trois pistes quinous paraissent intéressantes dans une optiquede développement de l’activité collective, parune gestion fine de l’intersubjectivité en matièrede décisions. Nous voyons dans ce dispositif unenjeu important concernant l’optimisation de la

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co-construction du référentiel commun, par lacompréhension mutuelle et le partage des sub-jectivités.

5.1.1. Identification et implication des leaders de jeu à partir de la fiche cible

Le référentiel commun s’appuie sur la mo-bilisation de savoirs partagés qui tentent de dé-finir l’identité collective. Ces savoirs sont élaborésdans le projet de jeu sous forme de priorités dansl’orientation du jeu, l’organisation collective desactions, le rôle des joueurs... Ce noyau de savoirspartagés peut évoluer lentement au cours de lasaison, et s’actualise dans les stratégies d’avant-match en offrant aux joueurs des repères com-muns adaptés aux circonstances de la rencontre,et enrichis des expériences collectives dans lesmatchs précédents. Nous considérons que cesrepères constituent le référentiel commun dé-claratif et fonctionnel, au sens où ils sont suscep-tibles d’orienter et de coordonner les décisionsdes joueurs en cours d’action. Afin de favoriserleur construction déclarative, préalable et con-jointe, nous estimons qu’il est intéressant d’as-socier quelques joueurs clés aux entraîneurs,afin d’intégrer au moins partiellement la diver-sité des points de vue inhérents aux conceptionsindividuelles et aux expériences antérieures.Cette implication de quelques joueurs clés n’estpas forcément sollicitée par toutes les équipes àl’heure actuelle ; toutefois cette organisation exis-te au niveau international ou national. C’est le casavec l’équipe de Nouvelle-Zélande où certainsjoueurs sont associés aux préparations et aux bi-lans des matchs, ou de la saison.

Nous estimons que cette responsabilisationdes joueurs porte ses fruits sur le terrain lorsqu’ils’agit de changer de stratégie en cours de ren-contre, en fonction du rapport de force notam-ment. Nous sommes toutefois conscients quecette implication des joueurs clés est aussi uncompromis avec la nécessaire autorité des entraî-neurs. Demeure alors la question du choix per-tinent des joueurs concernés. Différents moyenssont utilisés actuellement pour identifier et im-pliquer les leaders de combat et les leaders de jeu.

Nous pensons que la fiche cible peut être utiliséeà cet effet, car elle permet de repérer les leadersde jeu potentiels, c’est-à-dire les plus représenta-tifs de l’équipe en termes de conceptions, et ceuxqui semblent le plus en congruence avec les en-traîneurs. La codification utilisée permet en effetd’identifier les joueurs sur la cible, en leur attri-buant une barrette de couleur ; chaque item estainsi personnalisé (Mouchet, 2003).

5.1.2. Évaluation ponctuelle de l’appropriation théorique des repères communs

Il peut être intéressant d’effectuer quelquesévaluations sur l’appropriation théorique du pro-jet de jeu et des repères communs. Nous pensonsnotamment à l’issue de cycles de travail sur dif-férents thèmes comme la défense, les lancementsde jeu en attaque... Les entretiens semi-dirigés etla fiche cible permettent alors de fournir aux en-traîneurs un retour rapide et clair sur les élé-ments intégrés par les joueurs, les aspectspartagés mais aussi les éventuelles zones d’om-bre sur lesquelles il est nécessaire de revenir. Lerepérage des joueurs évoqué plus haut permetainsi d’envisager un travail personnalisé avec cer-tains. Or nous y voyons un enjeu important auregard de la diversité des profils des joueurs quicomposent chaque saison l’effectif. Chaix (2004)note ainsi que les clubs professionnels françaiscomprennent 30 à 40 % d’étrangers. De nom-breuses équipes renouvellent entre un tiers et lamoitié de l’effectif chaque saison, en intégrantces étrangers, ainsi que d’autres joueurs mutés,et quelques jeunes issus du centre de formation.

Notons que cette appropriation théorique de-vrait être comparée à la production effective dujeu, par exemple à travers le scénario du matchqui est un outil d’observation du déroulement dela rencontre (Mouchet et al., 2005).

5.1.3. Découvrir les repères communs construits dans l’action

Nous avons mis en avant dans les résultatsque ce référentiel commun est ensuite recons-truit en permanence en situation, en accord avecles travaux d’ergonomie cognitive qui mettent

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en avant son caractère transitoire et opératoire(Bencheckroun & Weill-Fassina, 2000). Il estdonc à l’interface entre le projet collectif élaboréen dehors de l’action et la décision individuelle,ou de manière plus générale entre l’expériencepartagée et le vécu subjectif. C’est bien la mobi-lisation de l’arrière-plan décisionnel, et la combi-naison des indices significatifs construits in situ,qui contribuent à l’émergence des repères enpartie communs. Ces derniers sont nécessairesà la coordination des décisions individuelles ouencore la co-décision en reprenant les proposi-tions de la cognition distribuée (Hutchins, 1995).Il n’y a pas contradiction entre l’élaborationpréalable et conjointe du référentiel communet sa reconstruction en situation de façon éphé-mère et circonstanciée.

Il est alors intéressant pour les entraîneursde tenter de faire émerger a posteriori les logiquesintrinsèques des joueurs dans l’action. À cettefin, nous envisageons tout d’abord une exploi-tation différente des EDE par rapport à ce quenous avons effectué. Nous pourrions ainsi arti-culer le traitement de deux ou trois EDE menésindividuellement tel que nous l’avons évoqué ci-dessus, concernant des joueurs impliqués dansla même séquence et ciblés sur des instants dé-cisifs. Cela permettrait a posteriori de mettre enévidence les indices signifiants mobilisés par lesjoueurs dans la même action, avec des élémentspartagés ou des différences. La caractérisationdes modes de fonctionnement des partenairespeut contribuer à mettre au jour et comprendreles logiques propres, et notamment les sourcesd’errance ou d’erreur dans des situations inef-ficaces, ou au contraire les facteurs de réussite(Faingold, 2002). L’intérêt de cette mise au jourest qu’elle repose sur le point de vue des joueursconcernés, auquel il est opportun de comparerle point de vue extérieur de l’entraîneur.

La deuxième piste qui nous semble inté-ressante à exploiter est l’organisation d’uneautoconfrontation croisée (Clot & Faïta, 2000).L’objectif de l’intervenant est d’organiser descellules d’analyse de pratique, associant quel-

ques joueurs impliqués dans une situation dejeu présentée sur vidéo, et un entraîneur. Latâche consiste à élucider pour les autres et poursoi-même les questions qui surgissent dans ledéroulement des séquences de jeu présentéessur vidéo ; il est opportun de présenter un mon-tage de plusieurs séquences issues du mêmematch ou de plusieurs matchs. Cela pose tout demême le problème de trouver des séquences im-pliquant les mêmes joueurs, afin d’éviter defonctionner en trop grand groupe. De plus, il estimportant d’associer l’entraîneur à la sélectiondes séquences, afin d’inscrire le dispositif dans lespriorités de l’équipe à un moment de la saison.

Le rôle de l’intervenant consiste alors à régu-ler la discussion, organiser les échanges entre lesjoueurs qui étaient impliqués dans la situation etl’entraîneur qui était sur le bord du terrain, avecdes points de vue qui peuvent être différents.L’objectif n’est pas uniquement d’analyser les ac-tions et décisions des joueurs en termes d’écartpar rapport à ce qui pourrait être considérécomme une norme. Il s’agit bien de tenter de dé-couvrir les croyances, les savoirs mobilisés, afin derenouveler cette expérience collective qui s’appa-rente au genre de l’équipe, tout en facilitantl’identification des styles individuels (Clot & Faïta,2000). Nous voyons dans ce procédé un usagedifférent de la vidéo classiquement utilisée pourfaire les bilans de match ; il est susceptible d’en-richir en retour l’efficacité des actions.

5.2. Analyse de pratique avec des entretiens d’explicitation individuels

Le premier temps de la démarche consiste àmener individuellement des entretiens compo-sites tels que nous les avons présentés plus haut.Si l’entretien semi-directif ne sera pas utile sys-tématiquement après la première rencontre, lacomparaison des traces de l’activité sur la vidéoet des données obtenues en EDE sera maintenueà chaque fois, comme source de validité interneet externe. Il est opportun d’interviewer desjoueurs volontaires pour ces entretiens, qui s’in-vestiraient délibérément dans un suivi durant la

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saison de rugby. Ce volontariat nous paraît né-cessaire pour garantir une implication réelle etauthentique dans la succession des entretiens.Deux exploitations sont alors possibles :– soit un processus de comparaison de lasituation ressource et de la situation problème(Faingold, 2002), afin d’étudier les logiquesintrinsèques du sujet dans les deux cas, et decerner les éventuelles différences, pour identi-fier les facteurs de réussite. L’analyse des échecss’avère également pertinente pour repérer pardéfaut certaines facettes des compétences. Cetteinvestigation peut aider le sujet à mieux com-prendre les situations d’échec ou de blocage, endéplaçant le centre d’intérêt de la description dusavoir responsable de la performance efficace,vers l’analyse critique des stratégies et de la for-mulation du problème qui se trouvent souventà la base des échecs ;– soit une comparaison des situations du mêmetype où le joueur est en réussite, afin de mettredavantage en valeur les régularités dans l’orga-nisation des décisions du sujet.

CONCLUSION

La caractérisation de l’activité des joueurs enmatch permet de souligner l’importance de lafacette subjective, que ce soit dans la dynamiqueattentionnelle ou dans les prises de décision. Lesdonnées obtenues en valorisant le point de vuedes joueurs mettent en évidence l’existence depoints communs entre ces sujets qui pratiquentà un même niveau de compétition, mais aussi delogiques propres, non assimilables à des logi-ques rationnelles du jeu. Il semble alors oppor-tun de prendre en compte cette subjectivité dansune démarche d’intervention qui tente d’optimi-ser tous les facteurs de la performance. D’où laproposition d’utiliser la verbalisation sur les con-ceptions et sur le vécu de l’action, comme moyencomplémentaire de développement des compé-tences. Il s’agit notamment de valoriser untransfert réflexif, en accord avec Schön (1998) etPerrenoud (2001), mais qui soit ancré surl’expérience subjective.

Ces pistes nous paraissent également intéres-santes à explorer pour tenter de mieux caracté-riser les compétences en acte afin d’envisager descontenus de formation correspondant à la situa-tion de référence, dans une optique de didactiqueprofessionnelle (Pastré, 2002). Elles permet-traient aussi d’utiliser au mieux les plages derécupération ou les périodes de blessures desjoueurs de rugby. L’augmentation quantitativedes entraînements n’est sans doute pas la seulevoie à explorer dans ce sport collectif de combat.Ce projet d’organisation du dispositif de forma-tion soulève la question du statut de la personnequi interviendrait pour organiser les entretiens,en collaboration avec les entraîneurs et lesjoueurs. Le rôle de cet intervenant serait eneffet d’effectuer une activité de conseil des pro-fessionnels, et cela constitue un secteur de com-pétence qui n’existe pas à l’heure actuelle ausein des staffs techniques.

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ZUSAMMENFASSUNG : Respekt der Subjektivität von Rugbyspielern zur Optimierung des Trainings

Wir präsentieren die Hauptresultate einer Untersuchung zur Organisation der Entscheidungsfindungvon qualifizierten Spielern sowie ihre Bedeutung für das Training. Wir betonen mehrere Aspekte derOrganisation Entscheidungsfindung: differenzierte und subjektive Beziehungen, die die Spieler mit Ele-menten haben, die teilweise von der Mannschaft geteilt werden; eine einzigartige und subjektive Mobi-lisierung der verschiedenen Einflussfaktoren; eine Öffnung und Reduktion der Aufmerksamkeit alsQuelle von Kreativität. Wir denken, dass es notwendig ist, spezifische und subjektive Logiken der Spielerzu berücksichtigen, um die Intervention bezüglich der Entscheidungshandlungen zu optimieren. DieseBerücksichtigung trägt besonders zur Schaffung einer kollektiven Identität bei, indem sie die gemein-same Konstruktion eines teilweise gemeinsamen Bezugspunktes erleichtert. Die Hilfe zur Verbalisie-rung dieser eigenen Logiken stellt ein interessantes Werkzeug der Ausbildung dar, das hilft, Faktorendes Erfolgs und auch Quellen von Irrtümern zu erklären. Es scheint also möglich zu sein, einen reflexi-ven Transfer zu organisieren, der auf dem subjektiven Wettkampferleben der Spieler basiert. Diese Aus-bildungshilfe hat zum Ziel, sich in die Gesamtheit der Maßnahmen zur Optimierung der Leistungeinzureihen und basiert auf einer Kollaboration zwischen Trainern, Spielern und Wissenschaftlern. SCHLAGWÖRTER : Subjektivität, Rugby, Entscheidung, gemeinsame Konstruktion eines gemeinsamen Bezugspunktes,

Verbalisierung.

RIASSUNTO : Prendere in considerazione la soggettività dei giocatori di rugby per ottimizzarel’interventoPresentiamo i principali risultati di una ricerca relativa all’organizzazione dell’attività decisionale deigiocatori esperti, così come le loro incidenze per l’intervento. Mettiamo avanti parecchi aspetti riguar-danti l’organizzazione dell’attività decisionale: i rapporti differenziati e soggettivi mantenuti dai gioca-tori con gli elementi in parte condivisi dalla squadra; una mobilizzazione singolare e soggettiva delledifferenti fonti d’influenza; una flessibilità nella natura delle decisioni; un’apertura e riduzione atten-tiva, fonte di creatività.Consideriamo che la presa in considerazione delle logiche singolari e soggettive dei giocatori sia neces-saria per ottimizzare l’intervento sulle condotte decisionali. Essa contribuisce soprattutto alla creazionedi un’identità collettiva, facilitando la co-costruzione di un referenziale comune. L’aiuto alla verbalizza-zione di queste logiche proprie costituisce uno strumento di formazione interessante, che favorisceugualmente l’esplicitazione di fattori di riuscita o delle fonti d’errore. Così, sembra possibile organizzareun transfert riflessivo ancorato sul vissuto soggettivo dei giocatori nel match. Questo dispositivo di for-mazione ha per vocazione di inscriversi in un’articolazione con l’insieme dei mezzi d’ottimizzazione dellaperformance, e riposa su una collaborazione tra gli allenatori, i giocatori e l’intervenente ricercatore.PAROLE CHIAVE : co-costruzione del referenziale commune, decisione, rugby, soggettività, verbalizzazione.

RESUMEN : Tomar en cuenta la subjetividad de los jugadores de rugby en la optimización de laintervención.Presentamos los principales resultados de una investigación relativa a la organización de la actividaddecisional de los jugadores experimentados como también sus incidencias en la intervención. Diversosaspectos concernientes a la organización de la actividad decisional como son los resultados diferenciadosy subjetivos que mantienen los jugadores, la movilización singular y subjetiva de las diferentes fuentesde influencias, una flexibilidad en la naturaleza de las decisiones, una abertura y reducción atencional,fuente de creatividad. Consideramos que la toma de decisiones de lógicas singulares y subjetivas de losjugadores son necesarias para optimizar la intervención en las conductas decisionales. Ellas contribuyen

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notamente a la creación de una identidad colectiva facilitando la co-construcción de un referencialcomún. La ayuda de la verbalización de estas propias lógicas constituyen una herramienta de formacióninteresante que igualmente favorece los resultados o las fuentes de error. Es posible organizar una trans-ferencia reflexiva en la experiencia subjetiva de los jugadores durante el partido. Este dispositivo de for-mación tiene por vocación de inscribirse en una articulación con el conjunto de medios de optimizacióndel rendimiento. Este reposa sobre una colaboración entre los entrenadores, jugadores y la participa-ción del investigador.PALABRAS CLAVES : subjetividad, rugby, decisión, co-construcción del referencial común, verbalización.

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