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POURQUOI LES CROYANCES N'INTÉRESSENT-ELLES LES ANTHROPOLOGUES QU'AU-DELÀ DE DEUX CENTS KILOMÈTRES ? Pierre Lagrange De Boeck Supérieur | Politix 2012/4 - n° 100 pages 201 à 220 ISSN 0295-2319 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-politix-2012-4-page-201.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Lagrange Pierre, « Pourquoi les croyances n'intéressent-elles les anthropologues qu'au-delà de deux cents kilomètres ? », Politix, 2012/4 n° 100, p. 201-220. DOI : 10.3917/pox.100.0201 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of North Carolina - - 152.2.176.242 - 01/05/2013 13h11. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of North Carolina - - 152.2.176.242 - 01/05/2013 13h11. © De Boeck Supérieur

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POURQUOI LES CROYANCES N'INTÉRESSENT-ELLES LESANTHROPOLOGUES QU'AU-DELÀ DE DEUX CENTS KILOMÈTRES ? Pierre Lagrange De Boeck Supérieur | Politix 2012/4 - n° 100pages 201 à 220

ISSN 0295-2319

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-politix-2012-4-page-201.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Lagrange Pierre, « Pourquoi les croyances n'intéressent-elles les anthropologues qu'au-delà de deux cents

kilomètres ? »,

Politix, 2012/4 n° 100, p. 201-220. DOI : 10.3917/pox.100.0201

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Volume 25 - n°100/2012, p. 201-220 DOI: 10.3917/pox.100.0201

Pourquoi les croyances n’intéressent-elles les

anthropologues qu’au-delà de deux cents kilomètres ?

Pierre Lagrange

Résumé – Pourquoi les études anthropologiques privilégient-elles les croyances lointaines (comme les revenants médiévaux ou le chamanisme amérindien) et ignorent-elles souvent les croyances nées au sein de notre culture scientifique (comme l’astrologie ou l’ufologie), sinon pour les dénoncer ? Cet article montre que le refus d’étudier les croyances proches tient dans un autre refus (ou une incapacité), celui d’étudier les pratiques scientifiques, par crainte de tomber dans le relativisme. Il montre aussi que cer-tains travaux qui ont proposé de prendre des croyances au sérieux l’ont fait au prix d’une critique des sciences responsables de la marginalisation de ces croyances, ce qui revenait à adopter à nouveau un ton critique. Il montre aussi que les travaux qui ont proposé une approche capable d’étudier sciences et croyances dans les mêmes termes ont souvent évité de mettre trop en avant les sciences. La pratique scientifique apparaît donc comme une tâche aveugle, particulièrement pour l’anthropologie française.

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En sociologie, la croyance, c’est un peu comme les Indiens dans les wes-terns : une bonne croyance est une croyance morte – ou suffisamment lointaine dans l’espace ou dans le temps pour que la science n’ait rien

à craindre d’une éventuelle comparaison 1. On veut bien goûter à la différence culturelle, mais à la condition qu’elle perturbe le moins possible notre vision du monde ! Pendant des décennies, les ethnologues ont étudié des systèmes de pensée exotiques, mais c’était après les avoir dépouillés : ces gens ne pensaient pas comme nous et ils étaient incapables d’appliquer correctement les lois de la causalité. Bref, les « primitifs » étaient dans l’erreur sur à peu près tout. On pou-vait donc faire mine de considérer avec respect leurs cosmologies complexes, ce respect ne dupait personne. Tout au plus admettait-on que, parfois, par hasard, certains sorciers ou magiciens aient pu tomber sur de vrais faits, mais qu’il fal-lait les désensabler de leurs croyances irrationnelles. Tel rituel chamanique avait recours à une plante dans laquelle les pharmacologues découvraient un prin-cipe actif : à charge pour l’ethnologue d’« expliquer » les rituels que le scienti-fique jugeait superflus.

Pourtant, depuis quelques décennies – comme dans les westerns précisé-ment –, on nous assure régulièrement que tout cela est fini. Il est beaucoup question de « prendre les croyances au sérieux 2 », c’est-à-dire de cesser d’en rendre compte en les réduisant à leurs conditions de production, mais en consi-dérant leurs contenus avec le même respect qu’on mettrait à considérer une explication scientifique. Assistons-nous donc à un tournant ? Pas si vite. Dans ce texte, nous essaierons, à travers quelques exemples, de comprendre pourquoi l’éloignement évoqué à l’instant est si nécessaire aux chercheurs. Nous nous demanderons surtout si les études qui ont, de l’avis général, rompu avec cette quête de l’exotisme en « prenant la croyance au sérieux 3 » y sont réellement parvenues. Enfin, nous discuterons les conditions à remplir pour étudier toutes les croyances, qu’elles soient anciennes/lointaines ou actuelles/proches.

Jamais à moins de deux cents kilomètres

Commençons donc par nous demander pourquoi nous allons systématique-ment chercher des croyances aussi loin au point d’ignorer celles qui existent près de nous. Prenons l’exemple de deux croyances aux contenus identiques, les pishtakos boliviens étudiés par l’anthropologue Nathan Wachtel 4 et les rumeurs de vols d’organes 5 étudiés par la sociologue Véronique Campion-Vincent.

1. Je tiens à remercier Annie Collovald, Yannick Barthe, Cyril Lemieux, Dominique Linhardt et Catherine Rémy pour leurs remarques sur une version précédente de ce texte, ainsi que Gil Bartholeyns avec qui j’ai discuté certains arguments développés ici.2. Boureau (A.), « La croyance comme compétence », Critique, 529-530, 1991.3. Boureau (A.), « La croyance comme compétence », art. cit.4. Wachtel (N.), Dieux et vampires. Retour à Chipaya, Paris, Seuil, 1992.5. Campion-Vincent (V.), La légende des vols d’organes, Paris, Les Belles Lettres, 1997.

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Pishtakos et rumeurs de vols d’organes

Dans un livre intitulé Dieux et vampires. Retour à Chipaya, N. Wachtel décrit avec émotion son retour dans un village des Andes où il a conduit de nom-breuses études de terrain des années auparavant 6. Il décrit les changements survenus pendant les seize années où il a été absent, ses retrouvailles avec ses informateurs. Quelques chapitres plus loin, une fois réinstallé dans la région qu’il a déjà étudiée, N. Wachtel évoque des « histoires de vampires ». Il décrit, notamment, une rumeur qui se serait répandue « au matin du 30 novembre 1988 » :

« Des gringos armés de mitraillettes se sont introduits dans une école, où ils ont enlevé des enfants afin d’arracher leurs yeux, qu’ils vendent ensuite à l’étranger [c’est moi qui souligne]. Des centaines de mères de famille, affolées, se préci-pitent aussitôt vers les établissements scolaires pour en retirer leurs enfants en pleurs. Les bruits les plus horribles s’amplifient au cours des jours suivants : des gringos vêtus de blouses blanches, et toujours armés de mitraillettes, sil-lonneraient les rues de la ville et voiture, en quête d’enfants : à l’intérieur du véhicule sont aménagées des installations médicales permettant d’extraire les yeux (ainsi, selon certaines versions, que le cœur ou les reins), dont l’expor-tation doit répondre aux besoins de greffes d’organes, et régler de la sorte, à nouveau, “la dette extérieure”. On aurait trouvé, au coin de telle ou telle rue, le visage recouvert d’un pansement, des enfants abandonnés par ces médecins “arracheurs d’yeux” : ceux-ci ont même glissé dans une de leurs poches une enveloppe contenant une certaine quantité de dollars en paiement du prélève-ment effectué. La fureur collective suscite, en conséquence, plusieurs tentatives de lynchages dont sont menacés, entre autres, trois jeunes touristes français 7. »

L’ethnologue évoque les démentis opposés à la rumeur par les autorités : « Les articles sceptiques ou ironiques parus dans la presse, le démenti solen-nel du ministre de la Santé à la télévision, loin d’apaiser la population, ne font qu’exacerber le sentiment de terreur : quelle crédibilité peut-on accorder aux assurances d’un ministre face au témoignage d’une voisine affolée 8 ? » Le récit de N. Wachtel illustre le respect, la sympathie, presque l’empathie, dont il fait preuve à l’égard de ses informateurs, de leur culture et de leur vision du monde.

Intéressons-nous maintenant à un autre travail, réalisé par la sociologue V. Campion-Vincent. Depuis des années, un peu partout sur la planète, des personnes se seraient réveillées avec une cicatrice sur le côté, parfois un peu d’argent dans une poche, avant de découvrir qu’on leur avait « prélevé » un rein. Ces trafics ont suscité de très nombreux articles de presse. Dans certaines villes de Colombie, on enlèverait des enfants pour leur prélever des organes

6. Wachtel (N.), Le Retour des ancêtres, Paris, Gallimard, 1990 et Dieux et vampires…, op. cit.7. Ibid., p. 109-110.8. Ibid., p. 110.

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– rein, cornée – sans leur consentement avant de les relâcher dans la nature. Ces organes seraient destinés à réaliser des greffes sur de riches patients aux États-Unis. En 1993, la télévision diffuse un documentaire de la journaliste Marie-Monique Robin qui révèle cet odieux trafic d’organes. Une nouvelle version de ce documentaire, intitulé Les Voleurs d’yeux, obtient en 1995 le prestigieux Prix Albert Londres. Mais dès 1992, V. Campion-Vincent avait publié dans les Cahiers internationaux de sociologie une étude intitulée « Bébés en pièces détachés : une nouvelle “légende” latino-américaine 9 ». « Cet article, annonce le résumé, étudie l’émergence et la diffusion de la rumeur affirmant que des enfants sont enlevés en Amérique latine, puis tués pour le commerce des greffes d’organes dans les pays riches (États-Unis, Europe, Israël). Il décrit son évolution de 1987 à 1989 et analyse les deux séries de causes qui la rendent plausible. Causes liées aux disfonctionnements sociaux qu’entraîne la grande pauvreté du Tiers-monde : adoptions d’enfants à l’étranger et vente d’organes. Cette “histoire” est mode-lée par les thèmes anxiogènes de la culture de masse occidentale. » En 1997, la sociologue publie un livre, La Légende des vols d’organes 10. Elle y explique que l’enquête de M.-M. Robin est un tissu de rumeurs. Les faits n’en sont pas, ils reposent sur des informations non vérifiées qui renvoient à des thèmes qui circulent depuis des années. Elle inscrit la rumeur dans la longue durée en la comparant notamment aux histoires de kidnapping d’enfants à Paris en 1750 étudiés par Arlette Farge et Jacques Revel 11. Pour elle, ces histoires expriment non pas la réalité au premier degré, mais la perception des relations entre leur pays et les pays riches. Ces rumeurs symbolisent la sujétion aux pays riches.

Entre l’enquête de N. Wachtel et celle de V. Campion-Vincent, on passe d’un village reculé à des histoires mettant en cause des cliniques, des méde-cins, des histoires, nous précise la sociologue qui « ont fait l’objet d’enquêtes qui ont débouché sur des démentis 12 ». Calme face aux croyances exotiques, le chercheur engage un débat lorsqu’il a affaire à des croyances qui heurtent sa conception de la réalité. Selon qu’on étudie les histoires de pishtakos dans un village isolé ou en relation avec d’autres histoires médiatisées mettant en cause le système médical occidental, tout change. Nous ne sommes plus dans le cas d’un folklore local, mais face à des histoires qui mettent en cause la méde-cine occidentale, des commissions d’enquêtes de l’ONU, les services d’infor-mations américains, etc. Impossible pour la sociologue de demeurer à bonne distance. Elle se retrouve rapidement prise dans une controverse qui l’oppose notamment à la journaliste auteure du documentaire. Mais en fait il s’agit de

9. Campion-Vincent (V.), « Bébés en pièces détachés : une nouvelle “légende” latino-américaine », Cahiers internationaux de sociologie, 93, 1992.10. Campion-Vincent (V.), La Légende des vols d’organes, op. cit.11. Farge (A.), Revel (J.), Logiques de la foule. L’affaire des enlèvements d’enfants, Paris, 1750, Paris, Hachette, 1988.12. Campion-Vincent (V.), La Légende des vols d’organes, op. cit., p. 164.

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la même histoire (V. Campion-Vincent cite d’ailleurs les pishtakos et les tra-vaux de N. Wachtel). La question de la distance est donc toute relative. Derrière cette idée d’éloignement, temporel ou géographique, c’est le nombre de liens qu’une histoire donnée entretient avec notre propre conception de la réalité qui importe. La distance n’est donc pas fixée à l’avance ; selon la façon dont il aborde son sujet et dont il le connecte ou pas au savoir scientifique, le chercheur peut faire varier cette distance.

Les rires et gesticulations des ethnologues

La réaction au manque d’exotisme peut se manifester de différentes façons. Dans le livre remarquable qu’elle a consacré aux apparitions de la Vierge en Italie et en ex-Yougoslavie, Élisabeth Claverie rapporte les étranges et systématiques « gesticulations » des collègues avec lesquels elle évoquait son travail à chacun de ses retours de terrain. Elle décrit notamment un dîner en compagnie d’un égyptologue, dîner au cours duquel, par sous-entendus et clins d’œil, ce dernier voulait s’assurer que l’ethnologue ne prenait pas la Vierge au sérieux. Elle note : « [L’égyptologue] pouvait parler à loisir d’Isis et d’Osiris, du Livre des morts ou des rituels accompagnant la crue du Nil, sans avoir à rendre manifeste, au moyen d’une gesticulation conventionnelle, qu’il n’y “croyait pas”. Il pouvait sans dif-ficultés adopter par rapport à son objet la position de neutralité axiologique, cette sorte de morale du détachement qui occupe une position centrale dans la morale professionnelle des chercheurs en sciences sociales, et qui fait partie, à ce titre, des préceptes de base que tout bon professeur se doit d’enseigner aux étu-diants de première année : “Vous êtes là pour comprendre et décrire, non pour juger” 13. » « Mais apparemment, poursuit-elle, dans mon cas, les choses ne se présentaient pas sous un jour si facile. Comme si, depuis la vulgate des sciences sociales, certains domaines d’objectivité ne pouvaient devenir des objets de recherche qu’à la condition d’être immédiatement saisis sur le mode critique 14. »

É. Claverie n’est pas la seule à avoir noté un changement d’attitude chez ses collègues. Dans un article publié dans L’Homme en 2001, Wiktor Stoczkowski raconte comment, au cours d’une table ronde réunissant des ethnologues, il a pu voir ces derniers s’« imposer le devoir de respect envers les cultures diffé-rentes de la nôtre » à l’écoute de plusieurs exposés jusqu’au moment où, écrit-il, « on en vint à la description de quelques innocentes pratiques de bourgeois parisiens adeptes du spiritisme 15 ». « Cette fois-ci, poursuit-il, la communi-cation provoqua des réactions différentes : de francs sourires illuminaient les faces de l’assistance et quelques bruyants éclats de rire se firent entendre dans la salle. » Voilà donc l’un des « marqueurs » dont nous avons besoin pour com-prendre où s’arrête le domaine d’enquête des sciences sociales : les rires et les

13. Claverie (É.), Les guerres de la Vierge. Une anthropologie des apparitions, Paris, Gallimard, 2003, p. 351.14. Ibid., p. 351.15. Stoczkowski (W.), « Rires d’ethnologues », L’Homme, 160, 2001.

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gesticulations des collègues. Si les croyances qui provoquent rires, gesticulations et finalement agacement des chercheurs en sciences sociales sont intéressantes, c’est parce que le rapprochement avec les savoirs scientifiques permet de rendre visible notre incapacité à remplir le programme de l’anthropologie, c’est-à-dire à étudier l’ensemble des discours et pratiques, qu’il s’agisse de croyances ou de sciences. Apparemment, les vols d’organes, le spiritisme ou la Vierge, ce n’est pas comme la magie Zandé, le chamanisme achuar 16, ou les dieux égyptiens. Et le risque est grand de se faire traiter de sorcier 17, de métapsychiste 18 ou d’ufo-logue 19 par des collègues saisis de gesticulations.

Prendre la croyance au sérieux

Ce sont les sujets qui provoquent rires et gesticulations, les sujets que les chercheurs laissent systématiquement de côté, qui représentent un réel enjeu lorsqu’il s’agit d’aborder la question de la croyance. Car prétendre traiter avec neutralité, affirmer prendre au sérieux des croyances qui ne nous concernent en rien revient à oublier, comme le notait Pascal Boyer dans un article publié en 1986 20, que c’est pourtant la question qui compte aux yeux des acteurs étudiés.

Jeanne Favret-Saada a-t-elle vraiment pris les sorts au sérieux ?

Lorsqu’il est question de croyances opposées à nos sciences, c’est bien entendu surtout au livre de Jeanne Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts, que l’on pense aussitôt. Ce livre a eu un écho retentissant sur l’étude des croyances

16. Si on consulte Les Lances du crépuscule (Paris, Plon, 1994), le beau livre de Philippe Descola sur son ethnographie des Amérindiens Achuar, on constate qu’il consacre de longs chapitres à décrire et analyser la conception pour le moins « paranormale » des rêves des Achuars ainsi que leur conception du chamanisme, chapitres où il s’abstient de juger leur conception de la réalité. Par contre, lorsqu’au début de l’ouvrage il évoque des rumeurs qu’il a croisées au cours de son voyage à la rencontre de ces mêmes Achuars, rumeurs qui reprenaient des thèmes de von Däniken (notamment à propos d’une grotte remplie de technologies lais-sées il y a des lustres par les extraterrestres civilisateurs), le ton qu’il adopte est très différent. Tout d’un coup, il ne voit plus rien à analyser, il ne voit qu’un fatras de croyances insensées. Y aurait-il donc un découpage à effectuer entre des croyances nobles et d’autres vulgaires selon le niveau de l’Amazone où l’on se trouve ?17. Dans Les Mots, la mort, les sorts (Paris, Gallimard, 1977, p. 39, n. 16), J. Favret-Saada raconte comment elle a été traitée de « sorcière du CNRS » par le journaliste – très rationaliste, il avait aussi sévi sur la question des ovnis – Gérard Bonnot, de L’Express.18. Cf. Charuty (G.), « Le retour des métapsychistes », L’Homme, 158-159, 2001. J’admets volontiers qu’on puisse discuter les explications proposées par Bertrand Méheust dans ses publications sur le magnétisme animal (voir notamment sa thèse : Somnambulisme et médiumnité, 2 vol., Paris, Seuil, 1998). Mais peut-on admettre que Giordana Charuty le traite de métapsychiste alors que, dans le même temps, elle ne trouve rien à reprocher aux très nombreuses analyses rationalistes des croyances ? La critique doit être formulée de façon symétrique. Et les quelques publications « ethno-métapsychistes » de B. Méheust me semblent ouvrir des perspectives bien plus intéressantes que les innombrables « analyses » réductrices des croyances. Voir la réponse de B. Méheust aux critiques de G. Charuty : Mancini (S.), Méheust (B.), « La réponse des “métapsy-chistes” », L’Homme, 161, 2002.19. J’ai ainsi récolté le qualificatif d’ufologue (rappelons qu’un ufologue est quelqu’un qui étudie les ovnis, de UFO, Unidentified Flying Object) de la part d’un sociologue spécialisé dans l’étude des « croyances fanatiques ».20. Boyer (F.), « Tradition et vérité », L’Homme, 97-98, 1986.

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« populaires », en raison de la force des propos de son auteure et par le sujet choisi : les sorts en Mayenne qui provoquaient régulièrement l’étonnement mêlé d’effroi des journalistes parisiens face à la persistance d’une sorte de moyen âge aux portes de nos villes 21. S’il est une étude qui a révolutionné les sciences sociales, et qui a poussé toute une génération de chercheurs à prendre la croyance au sérieux, c’est bien celle-là. Lorsqu’on parle d’étudier autrement les croyances, impossible de ne pas citer ce livre qui a représenté pour beaucoup un formidable renouveau (avant de devenir un classique qui figure obligatoi-rement dans les bibliographies, qu’on l’ait lu ou pas). Qui, parmi ses lecteurs a oublié la force de ses premières pages, la raclée qu’elle met aux psychiatres dans l’annexe intitulée « L’aune de la vérité » ? Un vent de révolution soufflait sur les sciences sociales. Pour beaucoup de lecteurs, cette étude invitait à ces-ser de partager les croyances et le savoir, pour traiter les deux dans les mêmes termes. Pourtant, peut-on affirmer que ce livre a véritablement fait évoluer le cadre d’analyse des croyances ? A-t-il vraiment conduit à prendre les croyances au sérieux ? Pour être plus précis, la question qui se pose à propos de ce tra-vail est la suivante : a-t-il inauguré ce qu’on appelle aujourd’hui la sociologie symétrique (c’est-à-dire une analyse qui est capable de traiter n’importe quel discours/pratique dans les mêmes termes, qu’il s’agisse d’une « croyance » ou d’un énoncé scientifique) ou bien s’est-il contenté de modifier le regard posé sur les croyances parce que les savoirs auxquels on les comparait avaient changé de statut ? Authentique pur malt ou effet Canada Dry ?

Ces deux approches n’ont, en effet, rien de comparable. Dans le premier cas, on prend la croyance au sérieux parce qu’on inclut la science dans la liste des choses à analyser et qu’on invente un registre d’analyse qui exclut toute réduction des croyances (ou des sciences) à leurs conditions de production. L’anthropologue fait évoluer le cadre d’analyse en incluant les sciences et donc en élaborant des explications non réductionnistes (car les sciences seraient les premières à en faire les frais). Dans le deuxième cas, on se contente d’étendre le discours sociologique critique à certains savoirs qui étaient jusque-là considé-rés comme scientifiques, mais qui ont été déchus de ce piédestal, ce qui a pour conséquence de faire apparaître les croyances auxquels ils s’opposaient sous un jour plus favorable, mais ne modifie pas fondamentalement l’approche ou le cadre d’analyse, et surtout ne fait que repousser le moment où l’on inclura enfin les « vrais » savoirs scientifiques dans l’analyse. Il s’agit simplement de faire varier la frontière entre « le vrai » et « le faux », entre ce qui est scientifique (et qui reste hors de l’analyse) et ce qui n’est pas scientifique (et qui mérite donc d’être analysé) 22.

21. Un moyen âge caricatural évidemment ; rien à voir avec le moyen âge de Jacques Le Goff. Cf. Le Goff (J.), « Les vieux habits du Moyen Âge » [courrier], Le Monde, 20 novembre 1993, p. 2. 22. Pour une discussion de ce qui distingue la sociologie critique et la sociologie symétrique, cf. le texte qui a longtemps circulé sous forme de tapuscrit de M. Callon et B. Latour, « Pour une sociologie relativement exacte ». Cf. aussi Boltanski (L.), « Sociologie critique et sociologie de la critique », Politix, 10-11, 1990.

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Soyons encore plus précis. En sociologie, de façon classique, on distingue ce qui relève de l’idéologie, de la croyance, des conventions collectives, du consen-sus – bref de ce que les hommes croient bon de croire pourrions-nous dire – et ce qui relève de la nature, du cosmos extérieur à la société, que la démarche scien-tifique permet d’appréhender, mais sur lequel la sociologie n’a rien à dire. Dans une telle représentation, la médecine, par exemple, a longtemps été rangée du côté de la science, de la description de la nature humaine. La médecine relevait de l’étude de la part naturelle, biologique de l’homme. Des décennies d’efforts pour constituer la médecine en science objective sont là pour en témoigner 23. Les médecins savent parfaitement que des facteurs non biologiques sont aussi à l’œuvre, mais le principe de la médecine et de la pharmacie scientifiques est tout de même d’établir des diagnostics qui soient valables pour tous les malades et d’agir sur la partie biologique de la personne sans devoir être prisonnier de l’histoire personnelle de chaque malade. Avec comme résultat de rejeter toute pratique médicale hétérodoxe – les médecines parallèles, les sorts, etc. – dans les croyances. Dans un tel contexte, où se situe l’étude de J. Favret-Saada ? Qu’est-ce qui a motivé le débat que ce livre a soulevé ? L’invention d’une ethnologie où les sciences étaient traitées comme les (et non assimilées à des) croyances, ou bien un léger déplacement de la frontière entre le vrai et le faux qui faisait bas-culer certaines sciences du côté de la croyance et forçait du même coup à réviser le discours sur les autres croyances ?

Le prix à payer pour parler autrement des croyances : l’idéologie scientifique

Le travail de J. Favret-Saada paraît dans un contexte dominé par les analyses de chercheurs comme Michel Foucault (avec lequel elle a travaillé 24) ou, sur les sciences, Georges Canguilhem, qui sont allés débusquer l’idéologie cachée dans certains savoirs scientifiques. Comme le montre François Dosse, si M. Foucault décide d’étudier la folie et la psychiatrie, c’est parce qu’« au XVIIIe siècle […], le rationalisme affirme sa prétention à délimiter ses objets et écarte la folie, ren-voyée du côté de l’erreur, du négatif, du rêve trompeur, dans la définition de nouvelles règles de la méthode telle que Descartes les définit. La folie, exclue du territoire rationnel, naît alors comme figure à part, négative. Elle devient même le lieu décisif du partage entre le monde de la raison et de la déraison, prenant le relais de l’ancien partage entre le Bien et le Mal 25. »

23. Marks (H.), La Médecine des preuves. Histoire et anthropologie des essais cliniques (1900‑1990), Le Plessis-Robinson, Institut Synthelabo, 1999.24. Foucault (M.), Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur, et mon frère… Un cas de parricide au XIXe siècle, Paris, Gallimard-Julliard, 1973. M. Foucault a réalisé ce travail en compagnie d’une équipe à laquelle J. Favret-Saada appartenait. On lui doit, en compagnie de Jean-Pierre Peter, la rédaction de la première note (p. 243-264).25. Dosse (F.), Histoire du structuralisme, Paris, La Découverte, 1991, p. 192-193.

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Folie et croyance, même combat. Une des questions qui préoccupaient beau-coup les chercheurs alors était, au-delà du simple partage entre erreur et vérité, celle de la détection d’idéologies camouflées en sciences – comme le lyssen-kisme –, des domaines qu’on avait fait passer pour scientifiques et qui se révélaient fortement, ou totalement, idéologiques. C’est dans un tel contexte qu’intervient M. Foucault, fortement inspiré par l’épistémologie forgée par G. Canguilhem (« une de ses fidélités les plus absolues », selon Pierre Bourdieu 26). Il le dit lui-même :

« Quand j’ai fait mes études, vers les années 1950-1955, l’un des grands pro-blèmes qui se posaient était celui du statut politique de la science et des fonc-tions idéologiques qu’elle pouvait véhiculer. Ce n’était pas exactement le problème Lyssenko qui dominait, mais je crois qu’autour de cette vilaine affaire qui est restée si longtemps enfouie et soigneusement cachée, tout un tas de questions intéressantes ont été agitées. Deux mots vont les résumer toutes : pouvoir et savoir. Je crois que j’ai écrit L’Histoire de la folie un peu sur l’horizon de ces questions 27. »

Faut-il donc admettre, à la suite de l’affaire Lyssenko, que certaines sciences génèrent plus de pouvoir que de savoir ? La suite de la réponse de Foucault mérite d’être citée : le problème n’est pas d’imaginer une sociologie qui serait capable de traiter l’ensemble des énoncés sur l’état du monde, sur la réalité, qu’il s’agisse de sorcellerie ou de science physique – car Foucault ne voit pas com-ment il pourrait « expliquer » la pratique scientifique –, mais de se demander simplement si le partage qu’on a établi entre ce qui est science et ce qui ne l’est pas n’inclut pas quelques sciences qui seraient davantage en relation avec les questions de sociétés et de pouvoir qu’avec le seul savoir. Il écrit :

« Il s’agissait pour moi de dire ceci : si on pose à une science comme la physique théorique ou comme la chimie organique le problème de ses rapports avec les structures politiques et économiques de la société, est-ce qu’on ne pose pas un problème trop compliqué ? Est-ce qu’on ne place pas trop haut la barre de l’explication possible ? Si, en revanche, on prend un savoir comme la psychia-trie, est-ce que la question ne sera pas beaucoup plus facile à résoudre, parce que le profil épistémologique de la psychiatrie est bas et parce que la pratique psychiatrique est liée à toute une série d’institutions, d’exigences économiques immédiates, d’urgences politiques de régulations sociales ? Est-ce que dans le cas d’une science aussi douteuse que la psychiatrie, on ne pourrait pas saisir de façon plus certaine l’enchevêtrement des effets de pouvoir et de savoir ? C’est cette même question que j’ai voulu, dans La Naissance de la clinique, poser à propos de la médecine : elle a certainement une structure scientifique beaucoup

26. Bourdieu (P.), « Le Plaisir de savoir », Le Monde, 27 juin 1984, p. 1. M. Foucault a rédigé l’introduction de l’édition anglaise de Le Normal et le pathologique. Cf. « Introduction par Michel Foucault », in Foucault (M.), Dits et écrits, t. 2 : 1976‑1988, Paris, Gallimard, 2001, p. 429-442.27. Foucault (M.), Ibid., p. 140-141.

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plus forte que la psychiatrie, mais elle est aussi engagée très profondément dans les structures sociales. Ce qui m’a alors un peu dérouté, c’est le fait que cette question que je me posais n’a pas du tout intéressé ceux à qui je la posais. Ils ont considéré que c’était un problème qui était politiquement sans importance et épistémologiquement sans noblesse 28. »

M. Foucault fait glisser le statut de la médecine et de la psychiatrie. Avant lui, on pensait qu’il s’agissait de sciences et que, comme toutes les sciences, elles ne pouvaient être expliquées sociologiquement, c’est-à-dire en rapportant leur action à des facteurs politiques, économiques, de pouvoir et plus généralement à leurs conditions de production. Mais, pour M. Foucault, si ces sciences ne peuvent être réduites à de simples idéologies comme le lyssenkisme, il n’en reste pas moins que l’élaboration de leur savoir est bien plus lié à des questions de pouvoir, de régulation de la société, comme il le dit, qu’à la simple production de connaissance 29. Il note lui-même que ces questions qu’il pose à la médecine, il ne peut pas les poser à des sciences plus « dures » comme la physique. M. Fou-cault ne rompt pas avec la tradition qui exclut les sciences (les vraies, physique, chimie) de l’analyse sociologique puisqu’on ne peut leur poser les questions qu’on peut poser à la psychiatrie. Et s’il ne rompt pas avec cette tradition, c’est parce que ses analyses se situent toujours dans un cadre critique 30, tout comme le cadre dans lequel se situe la sociologie des croyances. M. Foucault n’invente pas une sociologie symétrique comme la sociologie des sciences pratiquée par M. Callon et B. Latour 31 – qui ne cherche pas à réduire les faits scientifiques à leur contexte, mais qui montre comment ces faits scientifiques constituent

28. Ibid., p. 141.29. P. Bourdieu n’hésite pas à écrire, quant à lui, dans un article dédié à la mémoire de Foucault (art. cité) que médecine et psychiatrie comptent parmi les savoirs « les plus contaminés par l’idéologie ».30. Dans un entretien, M. Foucault définit ainsi sa « pensée fondamentalement critique » : « Je dirais : c’est une tentative de dévoiler le plus possible, c’est-à-dire le plus profondément et généralement, tous les effets de dogmatisme liés au savoir et tous les effets de savoir liés au dogmatisme », in Dits et écrits, t. 1 : 1954‑1975, Paris, Gallimard, 2001, p. 1683-1684.31. La plupart des critiques adressées aux analyses de M. Callon et B. Latour partent de l’idée que leur approche consiste à étendre la démarche de la sociologie critique à l’ensemble des sciences, c’est-à-dire qu’elle consisterait à procéder à un réductionnisme sociologique. La phrase fameuse de B. Latour : « La science, c’est la politique continuée par d’autres moyens » (Les microbes : guerre et paix suivi de Irréductions, Paris, Métailié, 1984, p. 257) sera souvent interprétée dans ce sens. B. Latour savait sans doute qu’en écrivant une telle phrase il allait mettre la pagaille, mais si on prend la peine de lire ses explications et non de le lire à travers M. Foucault ou P. Bourdieu, il a raison, la science c’est vraiment de la politique mais par d’autres moyens. Beaucoup l’ont lu à travers la sociologie de P. Bourdieu ou de la philosophie de M. Foucault, à com-mencer par P. Bourdieu lui-même dans un de ses derniers livres. Effrayé par ce qu’il croyait avoir engendré (puisqu’il s’attribue l’invention de la sociologie des sciences), il adresse des critiques aux science studies et surtout à B. Latour, en distinguant les bonnes science studies, celles dont il pense être à l’origine avec son article sur « Le champ scientifique » (Actes de la recherche en sciences sociales, 2-3, 1976), des mauvaises, celles de B. Latour, qui pousseraient l’exercice critique trop loin et réduirait toutes les sciences (c’est-à-dire éga-lement celles qui n’entretiennent aucun lien avec l’idéologie) à des « constructions sociales ». Ses critiques se comprennent – si on se borne à sa définition de la sociologie des sciences, une sociologie critique qui porte sur les sciences teintées d’idéologie comme la psychiatrie ou la médecine. Mais évidemment les science studies (du moins celles de Callon-Latour, car il y a plusieurs courants dans ce domaine également) sont

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l’« explication sociale » qui manque, qui permet précisément d’expliquer les caractéristiques nouvelles du lien social. Il fait glisser la médecine du « mau-vais » côté de la frontière entre science et « non-science ». Il est désormais pos-sible d’expliquer la médecine à l’aide des explications sociologiques réductrices classiques.

Le travail réalisé par J. Favret-Saada se situe dans ce contexte. Lorsqu’on lit Les Mots, la mort, les sorts, et surtout Corps pour corps 32, composé d’extraits de son journal de terrain, on est surpris par les nombreuses prises de position cri-tiques face aux experts locaux, notamment psychiatres, et face à la psychiatrie en général. « J’ai montré à plusieurs reprises dans ce livre qu’il n’existait pas de discours scientifique sur la sorcellerie, mais seulement une idéologie savante qui prenait avantage de la sorcellerie pour cantonner un paysan imaginaire dans la place du crédule. Le discours psychiatrique ne fait nullement exception à cet égard 33. » Un peu plus loin, elle ajoute : « La production théorique en psychia-trie, dès lors qu’elle porte sur la sorcellerie, peut paraître singulièrement défi-ciente à des chercheurs formés dans d’autres disciplines. Elle n’en a pas moins une importance considérable, du fait que son application conduit à fonder des décisions de justice : le psychiatre est fréquemment appelé à juger de l’état men-tal d’un ensorcelé, et il le fait en s’aidant des références savantes que lui propose sa discipline 34. » Cette mise en cause de la psychiatrie permet de reconsidérer le cas de certaines « croyances populaires » dans le classement desquelles la méde-cine et la psychiatrie avaient joué un grand rôle (notamment les sorts, souvent renvoyés à des psychiatres comme Georges Heuyer 35). Le problème posé par ces croyances peut dès lors être reposé en des termes neufs.

Il devient possible de parler à nouveau de vérité pour ce qu’on qualifiait jusque-là de croyances populaires. Si on parle de vérité pour la médecine, il n’y a pas de raison de ne pas parler aussi de vérité pour les « croyances populaires » qui s’y opposent. Mais cela veut-il dire que J. Favret-Saada voit dans les sorts une réalité au même titre que la réalité du physicien ? Non, car les sciences comme la physique sont maintenues loin de toute analyse. J. Favret-Saada nous explique que jamais elle n’a pu établir l’existence des fameux jeteurs de sorts. Le

tout autre chose qu’une extension de la sociologie critique aux sciences dures. Sur le livre de P. Bourdieu, cf. Mialet (H.) « The “Righteous Wrath” of Pierre Bourdieu », Social Studies of Science, 4, 2003.32. Favret-Saada (J.), Contreras (J.), Corps pour corps. Enquête sur la sorcellerie dans le Bocage, Paris, Galli-mard, 1981.33. Favret-Saada (J.), Les Morts, la mort, les sorts, op. cit., p. 310.34. Ibidem, p. 311.35. Ibidem, Annexe IV, « L’aune de vérité », p. 310-325. Geoges Heuyer interviendra également dans le débat sur les soucoupes volantes à l’automne 1954 (Heuyer (G.), « Note sur les psychoses collectives », Académie nationale de Médecine, séance du 16 novembre 1954). Malheureusement, lorsqu’on passe des analyses des sorts faites par J. Favret-Saada, qui insiste justement sur le rôle d’Heuyer, aux analyses d’autres sociologues sur les soucoupes, on constate que ces derniers se contentent de reprendre et de prolonger le discours du psychiatre !

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sorcier n’est que le résultat du discours produit par les acteurs. Il n’est pas pré-sent comme la particule du physicien, mais juste comme un écho produit par les pratiques des ensorcelés. Le sociologue des sciences ne voit pourtant pas plus de quark ou de courbure de l’univers que l’ethnologue ne débusque de sorciers. Quand je me penche sur les débats sur les ovnis, je ne vois jamais de soucoupe. En étudiant les théories du complot, je ne croise jamais les Men in Black et les autres agents du complot. J. Favret-Saada oppose donc une définition pour le moins opaque de la réalité (que veut dire qu’il n’y a pas de jeteur de sort ? De quelle réalité s’agit-il ? Qui a déjà vu – de ses yeux vu – un fait scientifique ? La question a-t-elle seulement un sens ?) à la description de la réalité construite par les acteurs. Mais au nom de quoi peut-elle opposer cette réalité dans laquelle il n’y aurait pas de jeteur de sorts à la réalité des acteurs qui serait malgré tout prise au sérieux ? Prendre au sérieux les acteurs, ce n’est pas évacuer la figure du sorcier, mais c’est précisément nous montrer comment elle existe (ce qu’elle fait bien entendu, mais en croyant traiter une réalité de seconde zone). Ce n’est pas tout. Pour J. Favret-Saada, dans les sorts, la parole n’est pas une informa-tion mais un acte ; on n’y parle pas pour informer, mais pour agir. Elle note comment, au début de son travail, elle cherchait des informations alors que ses informateurs potentiels cherchaient eux quelqu’un qui accepte de venir occuper la position de désorceleur. Et elle oppose ces deux paroles, celle qui fait circuler une information et celle qui veut agir pour mettre un terme à la succession du malheur. Opposition étonnante lorsqu’on constate que, dans le propre monde d’où vient J. Favret-Saada, la parole n’est pas moins acte qu’elle le prétend. En effet, dans une note de bas de page, elle révèle qu’un journaliste de L’Express l’a qualifiée de « sorcière du CNRS ». Information ou action ? On voit bien que la distance que J. Favret-Saada voit entre le bocage formé par les exploitations agricoles en Mayenne et le bocage formé par les rédactions et les bureaux scien-tifiques parisiens est faible. Dans les deux univers, on y utilise la parole comme action, ici pour tuer, là pour contester son statut de chercheur. J. Favret-Saada n’a remis en question les partages entre croyance et savoir construits par les folkloristes et les journalistes que pour mieux avancer son propre partage entre parole-information et parole-acte.

Ce livre révolutionnaire ne l’était finalement pas tant que cela. Loin d’avoir rompu avec la sociologie réductrice, des analyses comme celle de J. Favret-Saada se sont contentées de déplacer la frontière entre science et idéologie, entre science et croyance. Les savants qu’elle met en cause n’incarnent pas le savoir, la science. Ils sont plus proches de Bouvard et Pécuchet. J. Favret-Saada n’oppose pas les sorts au savoir scientifique, mais juste les sorts à une psychiatrie gor-gée d’idéologie. Elle ne prend pas les sorts au sérieux parce qu’elle aurait traité de façon symétrique et ces sorts et le savoir scientifique, mais parce que, dans la tradition qui est la sienne, il existe du côté des sciences, deux univers, celui du savoir et celui de l’idéologie scientifique, les psychiatres se trouvant du côté de cette idéologie. Dans le contexte d’une sociologie qui oppose la science aux

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croyances, égratigner certaines sciences comme la psychiatrie représente une véritable révolution. Mais par rapport au projet d’une sociologie symétrique, capable de traiter l’ensemble des énoncés, fussent-ils scientifiques, avec les mêmes outils d’analyse, la révolution est toute relative. C’est reculer pour mieux sauter. Car, quel que soit le degré de « foucaldisme » que l’on pourra injecter, il y aura toujours, comme dans les villages gaulois des aventures d’Astérix, un noyau de sciences qui résistera à l’envahisseur sociologue, parce que la sociolo-gie reste invariablement l’étude des seuls faits sociaux, de la seule société 36.

Les problèmes soulevés par la sociologie des croyances demeurent donc intacts. Même quand la sociologie s’aventure sur des terrains au plus proche des sciences, c’est quasiment toujours après avoir fait varier le curseur de scien-tificité de façon à faire passer certaines sciences du côté des « constructions sociales ». Dès lors, les sociologues qui se contentent d’étudier les croyances lointaines n’encourent guère de contestation. Et on comprend mieux pourquoi ils résistent à l’idée d’étudier les croyances proches : même les sociologues révo-lutionnaires n’ont guère remis en question la sociologie des croyances. Il y a toujours d’un côté une sociologie pour les croyances et une sociologie (ou plu-tôt une épistémologie) pour les sciences.

La symétrie furtive

Comment la Vierge existe-t-elle ?

Mais alors, cette sociologie capable de traiter les croyances et les sciences dans un même cadre d’analyse, existe-t-elle ou bien n’est-elle qu’un mythe ? Évi-demment, les sociologues fins connaisseurs des rares niches (tels que le Centre de sociologie de l’innovation ou le Groupe de sociologie politique et morale) où se pratique l’analyse symétrique répondront qu’il existe effectivement de telles exceptions, des études qui prennent les croyances au sérieux, qui les étu-dient comme elles étudieraient la réalité du physicien. Cette sociologie, qui ne se contente plus d’étudier des sciences auxquelles elle aurait réussi à trouver un peu d’idéologie, mais qui étudie aussi les sciences garanties « sans idéologie » (ces sciences que Foucault évacuait dans la citation donnée plus haut), ainsi que n’importe quel énoncé, ufologique comme scientifique, cette sociologie existe réellement. Et si cette sociologie symétrique existe, c’est parce que ses auteurs ont compris un petit détail qui avait échappé aux sociologues critiques : la dif-férence entre la science et la croyance ne tient pas dans le fait que les croyances seraient sous l’emprise des facteurs sociaux alors que les sciences, elles, auraient su se préserver de cette mauvaise influence. Car la caractéristique des « vraies sciences » est d’avoir lié toujours plus leurs intérêts à ceux du reste de la société

36. Pour une explication de ce qui distingue la sociologie du social de la sociologie des « associations », cf. Latour (B.), Changer de société – Refaire de la sociologie, Paris, La Découverte, 2006.

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et d’avoir su étendre cette dernière jusqu’à y inclure des êtres qui n’en faisaient pas partie jusqu’ici : étoiles, microbes, molécules, particules, etc., ces êtres dont nous ne pouvons plus nous passer. Pour étudier les sciences, il faut donc réaliser exactement le mouvement inverse de celui de M. Foucault, de P. Bourdieu, etc. Inutile de chercher si les sciences sont coupables de liens avec le pouvoir, mais chercher comment, en introduisant au sein de la société toute une foule d’êtres qui n’en faisaient pas partie jusque-là – étoiles, microbes, particules, etc. – la science reconstruit d’une autre façon des notions comme celles de lien social, de pouvoir, de société : une société qui n’est plus faite seulement d’humains qui croient inventer des dieux, des fous, des extraterrestres, mais une société compo-sée d’humains, de « non-humains », de « sur-humains », d’« extra-humains », bref d’une authentique pluralité d’êtres et de mondes. La sociologie non cri-tique ne vise donc pas à prolonger le mouvement inauguré par M. Foucault en montrant que les sciences sont moins scientifiques qu’on ne l’avait cru, mais au contraire à montrer que plus elles sont scientifiques, plus elles sont égale‑ment sociales, mais d’un social enrichi par les associations avec la multitude de non-humains qui parcourent notre société. Elle vise à montrer d’où vient leur scientificité : d’une autre façon de construire la société en y mêlant tous ces êtres évoqués plus haut. La scientificité n’a rien à voir avec une quelconque supério-rité de la pensée scientifique sur le sens commun, mais avec une autre façon d’organiser le travail scientifique, une autre façon de participer à la vie de la cité, de reconstituer la société. Et par contrecoup, la sociologie ne peut plus mainte-nir son discours critique sur les croyances. Si la science est une autre façon de recomposer la société, si la différence n’est plus entre les formes de pensée, du coup les croyances, les religions, les magies, les parasciences, que l’on décrivait volontiers jusqu’ici comme les seuls savoirs marqués par l’influence des facteurs sociaux, ne sont peut-être plus aussi irrationnelles et obscurantistes qu’on l’a cru. Ne vaut-il pas mieux remplacer le mépris affiché à l’égard des croyances par une véritable description de leur façon de produire le social en y mêlant non pas des êtres « naturels », mais des êtres « surnaturels », ou « paranormaux » ?

Dès lors des travaux comme celui d’É. Claverie sur les apparitions de la Vierge cité plus haut 37 introduisent effectivement une réelle nouveauté par rapport aux analyses des « croyances » qui ont été proposées jusqu’ici. Ils ouvrent des perspectives neuves sur la pluralité des mondes, non pas simplement la plura-lité de perceptions, mais réellement la pluralité de réalités construites de façons différentes. On me permettra cependant une toute petite critique sur ces tra-vaux remarquables. En effet, il y a une différence de nature entre ces études et celles qui sont simplement une extension des études critiques – comme le travail de J. Favret-Saada. Mais, pour les sociologues qui ne sont pas frottés de sociologie symétrique, la différence est sans doute loin d’être évidente. Com-ment distinguer entre les explications données par É. Claverie de la Vierge,

37. Claverie (É.), Les guerres de la Vierge…, op. cit.

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explications qui sont de même type que celles qui pourraient servir pour les constructions de la physique, et les explications données dans de nombreuses autres études sur des croyances qui n’entendent expliquer que les croyances, et qui maintiennent donc par-devers elles le partage entre croyances et sciences ? En effet, si les apparitions de la Vierge suscitent autant de gesticulations de la part de certains collègues, c’est parce qu’elles se manifestent au sein de notre société et nous obligent à prendre parti pour ou contre leur réalité, c’est-à-dire à établir une comparaison avec le savoir scientifique.

É. Claverie consacre des dizaines de pages à détailler le régime de vérité mis en place par la théologie et comment la Gospa (la Vierge) parvient à s’en accommoder. Ces pages sont indispensables, mais il manque pour beaucoup de lecteurs au moins deux niveaux d’analyse dans ce travail. Un niveau qui établit la symétrie entre le régime de vérité du scientifique et celui du théologien et un niveau qui établit la symétrie entre le discours scientifique et celui des pèle-rins et de leurs preuves. En effet, la plupart du temps, lorsque nous évoquons la réalité des apparitions de la Vierge, c’est en pensant à la preuve scientifique (une preuve scientifique certes un peu confuse, où se télescopent des régimes de preuve différents, le régime de la preuve juridique, lié à la validité des témoi-gnages, celui des « rationalistes » qui interviennent dans ces débats comme porte-parole de la Raison scientifique). Ce n’est pas un hasard si on colle des électrodes sur la tête des voyants (l’un des théologiens spécialistes des appari-tions de Megjurgorge, René Laurentin, a fait réaliser l’exercice) et si on ne parle plus que de datation au Carbone 14 pour le suaire de Turin (quand ce n’est pas d’expertise géologique des chronologies de la Genèse). C’est peut-être ridicule du point de vue de la théologie, mais si aujourd’hui on vient assurer à quelqu’un que sa vision est réelle du point de vue théologique, il aura tendance à penser qu’on se moque de lui, car lui veut que les faits soient acceptés comme le sont les faits produits par le physicien. Il n’y a plus grand monde pour revendiquer une réalité théologique. Même quand les acteurs passent leur temps à construire d’autres régimes d’existence, c’est par rapport à celui du physicien qu’ils veulent être pris en considération. Certains des acteurs cités par É. Claverie ont consa-cré plus de temps à discuter les apparitions par rapport à des régimes de preuves juridiques ou scientifiques (par exemple le parapsychologue Louis Bélanger et le théologien Ivo Sivric qu’elle cite) que par rapport à la théologie. Beaucoup de lecteurs qui n’ont pas saisi que le travail d’É. Claverie est vraiment symétrique (notamment entre la théologie et la science) seront rassurés de la voir détailler le régime d’existence de la théologie. Ouf, on a échappé au pire ! Elle ne risquera pas l’accusation de relativisme qu’on lui aurait adressé si elle avait évoqué un sujet comme les ovnis ou les phénomènes parapsychologiques 38.

38. En 1990, alors étudiant, je publiais mon premier article sur les ufologues dans la revue Terrain. Je reçus un courrier très en colère d’un vieil ufologue, Alfred Nahon, avec qui j’avais eu plusieurs entretiens pour

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Construction ou construction sociale de la réalité ?

Comment distinguer une analyse sociologique non réductrice d’une analyse réductrice si on ne confronte pas, dans le même cadre, les « croyances » qu’elles traitent avec la réalité incontestable du physicien ? Prenons, par exemple, la façon dont l’historien Jean-Claude Schmitt 39 analyse la question des revenants médiévaux. L’analyse de la construction sociale des revenants que l’historien propose est intéressante, mais pas pour les raisons mêmes que leur auteur ima-gine. Les outils qu’il mobilise pour décrire la production de ces revenants – qui permet de faire « la part de l’expérience individuelle et sociale et celle de sa réélaboration littéraire, doctrinaire, idéologique 40 » – pourraient tout aussi bien permettre de décrire la production des quarks ou des neutrinos (non pas que les quarks ou les neutrinos sont construits de la même façon que les reve-nants, mais parce qu’ils sont construits selon les mêmes principes généraux : témoignages, représentations, médiations, etc.), parce que le travail de « rééla-boration littéraire » n’est pas moins important pour ces faits scientifiques 41. Si Schmitt décrit la construction de ces croyances, c’est précisément pour montrer ce qui distingue la construction d’une croyance de la réalité, et notamment de la réalité scientifique. Sa description de la façon dont les personnages comme Jean Gobi 42 « construisent » la figure du revenant est destinée à démontrer que « les morts n’ont pas d’autre existence que celle que les vivants imaginent pour eux 43 » (la formule revient au moins six fois dans l’ouvrage 44). Et s’il insiste sur ce point, c’est en raison de la résurgence actuelle des revenants dans le cadre du spiritisme, de la parapsychologie ou des NDE (Near Death Experiences), et non en raison de débats sur les critères théologiques de la présence des morts.

C’est là que le bât blesse. Pour la plupart des sociologues, des historiens, des ethnologues, les explications de la façon dont les croyances sont produites tiennent précisément parce qu’elles décrivent, selon eux, une réalité socialement construite, une pseudo-réalité sans rapport avec la réalité du physicien. Décrire

comprendre les faits décrits dans mon texte. Nahon me reprochait de qualifier les ovnis de « construction », un terme qui signifiait pour lui à l’évidence que j’introduisais une distinction entre les ovnis, « construits », et les faits scientifiques, « non construits ». Or précisément, il s’agissait pour moi d’être symétrique en parlant de construction et non de « construction sociale ». Mais comme l’article ne décrivait que le travail des ufolo-gues et pas celui des scientifiques, la symétrie n’était évidente que pour quelques collègues déjà au courant.39. Schmitt (J.-C.) Les Revenants. Les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris, Gallimard, 1994.40. Gobi (J.), Dialogue avec un fantôme, dossier établi, traduit et présenté par Marie-Anne Polo de Beaulieu, préface de Claude Schmitt, Paris, Les Belles Lettres, 1994.41. Cf. par exemple Latour (B.), La Clé de Berlin et autres leçons d’un amateur de science, Paris, La Décou-verte, 1993. Et notamment les deux chapitres intitulés : « Le travail de l’image ou l’intelligence scientifique redistribuée » (p. 145-170) et « Le “pédofil” de Boa Vista – montage photo-philosophique » (p. 171-225). Cf. aussi la note intitulée « The more manipulations, the better… » sur son site : http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/P-158-WOOLGAR-IMAGE.pdf.42. Gobi (J.), Dialogue avec un fantôme, op cit.43. Schmitt (J.-C.) Les Revenants…, op. cit., p. 13.44. Ibid., p. 13, 21, 23 (deux fois), 251 et 254.

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la construction sociale des faits s’inscrit dans une démarche critique, qui vise à distinguer la production des croyances de la réalité décrite par les sciences dures. Pour les historiens et sociologues héritiers de cette tradition critique, cette réa-lité du physicien n’est pas construite. La description de la réalité construite des revenants n’est pas la description d’une réalité, mais la description critique de ce qu’il ne faut surtout pas confondre avec la réalité, de ce qu’il ne faut surtout pas faire, de ces infâmes bricolages dont la science aurait permis de nous affranchir. Pour beaucoup de lecteurs à qui on décrit seulement la construction théolo-gique de la Vierge, sans l’accompagner d’une mise en symétrie entre régime de vérité théologique et scientifique, comment soupçonner la différence entre cette analyse et celle de J.-C. Schmitt pour qui les revenants « n’ont pas d’autre existence que celle que les vivants imaginent pour eux 45 ». Comment distin-guer la réalité des apparitions de la réalité des sorts décrite par J. Favret-Saada ? Comment, en dehors de toute comparaison avec la réalité produite par le phy-sicien, dire si on parle de la réalité ou de la « réalité » ?

Par conséquent, tant que ces études qui souhaitent rompre avec la tradition critique ne décriront pas, dans le même cadre, la réalité des « croyants » et celle du physicien, leur nouveauté n’apparaîtra pas clairement ou elle pourra conti-nuer à être mise entre parenthèses pour maintenir la paix au sein des sciences sociales. On ne va pas s’étriper pour si peu ! Mais justement ce n’est pas « si peu ». Si la description de la réalité construite par les visionnaires de la Vierge obéit aux mêmes types de principes que la réalité construite par les physiciens, alors il faut admettre que ces études non critiques sur les croyances et les science studies mettent une sacrée pagaille dans les sciences sociales. Il a fallu qu’Isabelle Stengers écrive un autre livre, La Vierge et le neutrino 46, pour faire émerger une partie de la nouveauté radicale du travail d’É. Claverie, pour que le caractère symétrique de son analyse puisse apparaître. Combien d’ethnologues lecteurs du livre d’É. Claverie prendront la peine de lire celui d’I. Stengers ?

Certaines études parues ces dernières années ouvrent donc l’analyse sociolo-gique vers la description d’une pluralité de mondes. Pourtant, ces études tout à fait remarquables continuent d’emprunter aux autres études, non symétriques, les mêmes codes impliquant une mise à distance entre « croyances » et faits scientifiques. Elles continuent de ne surtout pas connecter les objets qu’elles décrivent aux objets construits par les scientifiques. Comme s’il fallait faire la révolution, mais surtout ne pas faire de bruit. Car c’est bien une révolution que les science studies et leur extension aux « croyances » devraient provoquer dans les sciences sociales. Qui croit sincèrement que les collègues vont saisir les implications des sciences studies – dont l’écho lointain évoque pour eux tout au

45. Ibid., p. 13.46. Stengers (I.), La Vierge et le neutrino. Les scientifiques dans la tourmente, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2006.

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plus une vague rumeur – et celles de la « nouvelle » sociologie des croyances (dont, à l’exception de quelques propos étranges, ils peuvent parfaitement inté-grer les explications dans les analyses classiques sur les faits « construits socia-lement ») si on ne leur met pas les points sur les i ? Qui croit sincèrement qu’en lisant le mot « construction, » ils vont aller s’imaginer qu’il s’agit d’une notion différente de l’expression « construction sociale » utilisée depuis toujours pour décrire ces constructions qui n’avaient précisément rien à voir avec la réalité « décrite » par le physicien 47 ? C’est en confrontant vraiment, dans le cadre de la même analyse, les mondes produits par les physiciens et ceux produits par les visionnaires de la Vierge, par les Islandais en contact avec leurs ancêtres, etc., que l’on pourra comprendre que la sociologie a réalisé sa révolution coperni-cienne (ou plutôt brunienne 48), que la pluralité des mondes est enfin également admise en sciences sociales, et pas en attendant que les collègues, qui ont toutes les raisons pour que les choses ne changent pas, veuillent bien admettre qu’elles ont pourtant changé.

*

La sociologie des croyances est décidemment dans de beaux draps ! Alors que la majorité des sociologues de la croyance font comme si rien n’avait changé depuis les pères fondateurs de la discipline et continuent de privilégier des croyances lointaines, exotiques, il est question, ici et là, de révolutions quelque peu paradoxales. D’un côté, certaines études laissent penser qu’enfin les eth-nologues prennent la croyance au sérieux. Mais à y regarder de plus près, on se demande en quoi elles diffèrent de la « bonne vieille » sociologie critique, puisqu’elles ne touchent qu’aux sciences qui sont entre-temps descendues de leur piédestal. D’un autre côté, il existe quelques études qui abordent les croyances de façon véritablement neuve, mais qui donnent l’impression de tout faire pour que cela ne se sache surtout pas, en accumulant notamment les signes qui permettent aux collègues d’y voir des études classiques sur les croyances, c’est-à-dire sans y voir autre chose que des croyances.

Pourquoi donc les croyances qui provoquent rires et gesticulations, ces croyances qui obligent à traiter en même temps les savoirs et pratiques scienti-fiques, sont-elles quasi systématiquement laissées de côté ? Parce que cela nous obligerait à reconnaître que, selon les situations, nous mettons en œuvre deux sociologies, ou plutôt que dès que nous passons des croyances aux sciences, nous cessons d’être sociologues pour nous transformer en « croyants » dépour-vus du moindre recul. Dès qu’il s’agit des sciences, nous ne voyons plus rien à décrire, plus rien à comprendre. Nous sommes tellement habitués à des

47. Sur les problèmes soulevés par la notion de construction sociale, cf. l’article de C. Lemieux dans ce numéro.48. Bruno (G.), De l’infini, de l’univers et des mondes, Paris, Les Belles Lettres, 1995.

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explications sociologiques réductrices, critiques, des croyances, que la simple idée de traiter les sciences de la même façon nous paralyse. Le savoir et la pra-tique scientifiques finissent par constituer une véritable tâche aveugle : la plu-part des chercheurs en sciences sociales n’imaginent même pas qu’il puisse y avoir là un objet d’étude. Bien sûr, lorsque ce qu’on tenait pour scientifique bascule dans le domaine de l’erreur, de la croyance, les sociologues et les histo-riens se disputent alors les restes. Mais l’idée que les sciences actuelles, vraies, celles qui nous fournissent notre cadre de réalité, puissent concerner la socio-logie, cette idée est non seulement rejetée, elle n’est souvent même pas perçue comme une des questions à poser. Pour beaucoup de sociologues, nous sommes même au-delà de toute controverse : la question elle-même d’une sociologie des pratiques scientifiques et des croyances est une question impossible. C’est pourtant là, dans ces questions dont on n’envisage même pas qu’elles puissent être posées, que réside la capacité à réaliser véritablement le programme de la sociologie, la possibilité même d’une anthropologie.

Pendant cela, les acteurs… Finalement, les choses ont-elles vraiment changé ? Oui, bien sûr, elles ont changé 49. Mais elles ont surtout changé ailleurs. La preuve : il suffit de parcourir quelques dizaines de kilomètres le long du cours de l’Amazone pour passer d’informateurs qui évoquent de « vraies » croyances sur les rêves et le chamanisme à des informateurs qui diffusent des « rumeurs infondées » sur des bases secrètes d’extraterrestres 50. Il n’y a que les chercheurs en sciences sociales pour croire qu’un fossé sépare ces deux types de discours/pratiques/savoirs, et qu’un fossé tout aussi grand sépare les apparitions de la Vierge de la détection des neutrinos. Pendant ce temps, les acteurs continuent de « tout mélanger » comme toujours et parlent d’esprits puis, l’instant d’après, d’extraterrestres. Sans voir que cela agace prodigieusement les ethnologues qui ont fait des milliers de kilomètres pour se retrouver – les maladies tropicales en moins – dans le même genre de discussions qu’ils auraient pu avoir avec leurs voisins 51.

49. Pour quelques exemples d’analyses sociologiques qui confrontent, de façon symétrique, les savoirs scien-tifiques et les croyances populaires, cf. Callon (M.), Lascoumes (P.), Barthe (Y.), Agir dans un monde incer‑tain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001. Le livre traite dans les mêmes termes les lanceurs d’alerte et les experts scientifiques, les associations de malades et les laboratoires de la Big Science. Cf. aussi les travaux d’Élisabeth Rémy sur les rumeurs et les risques technologiques, notamment : « Comment saisir la rumeur », Ethnologie française, 4, 1993 ; « Comment dépasser l’alternative risque réel, risque perçu », Annales des Mines, 5, 1997 ; « Apprivoiser la technique. Un débat public autour d’une ligne à haute tension », Politix, 31, 1995. Dans le premier article, É. Rémy traite la façon dont la rumeur produit un fait et la façon dont les naturalistes produisent de leur côté leurs faits. Le résultat est qu’on n’était plus sûr de quel côté se trouvait la rumeur tant la construction du savoir sur certains animaux semblait finalement peu assurée (mais bien sûr le but n’était pas la critique du savoir scientifique, juste sa description). Cf. également Brohm (J.-M.), Anthropologie de l’étrange, Paris, Syllepse, 2010, qui affronte la question non pas des croyances mais des phénomènes paranormaux.50. Descola (Ph.), Les Lances du crépuscule, op. cit.51. Au printemps 2011, j’ai eu une intéressante discussion avec un jeune Amérindien de Californie qui était le petit ami d’une de mes étudiantes françaises. Il vivait non loin du Mont Shasta, une montagne qui

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m’intéresse parce qu’elle est l’objet de diverses « croyances » ufologiques (elle abriterait des bases d’ex-traterrestres et des descendants des habitants de la Lémurie perdue ; cf. Eberhart (G. M.), UFOs and the Extraterrestrial Contact Movement. A Bibliography, Volume Two: The Extraterrestrial Contact Movement, Metuchen (NJ)-London, The Scarecrow Press, 1986). Le jeune Amérindien me parlait tour à tour d’esprits et d’extraterrestres. Comme, par un vieux réflexe d’ethnologue « sérieux », je lui demandais comment il distinguait les deux, il me répondit que c’était la même chose. Et il avait avec lui un des livres (Thomas (E. E.), Brotherhood of Mt. Shasta, Santa Monica, De Vorss, 1946, rééd. Santa Monica, Tranquilitu Twelve, 1974) publiés par une des nombreuses sectes new age californienne à propos de mystères du Mont Shasta. Impos-sible de distinguer entre de vraies croyances traditionnelles et de fausses croyances soucoupiques.

Pierre lagrange est chercheur associé au LAHIC (Laboratoire d’anthropologie et d’histoire de l’institution de la culture) et enseigne à l’École supérieure d’Art d’Avi-gnon. Son travail porte sur la sociologie des sciences et des croyances à partir d’études de controverses actuelles (notamment sur les « parasciences »). Il a dirigé un numéro

de la revue Ethnologie française sur ce sujet et est l’auteur, entre autres, de La guerre des mondes a-t-elle eu lieu ? (Robert Laffont, 2005) à propos de la prétendue panique déclenchée en 1938 par l’émission d’Orson Welles annonçant une invasion martienne.

[email protected]

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