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Pourquoi Hollande s'obstine - Challenges 367, 28 novembre 2013.

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Pourquoi Hollande s’obstine

Serge Raffy — Ghislaine Ottenheimer — Airy Routier

Challenges no 367 du 28 novembre 2013.

Toujours aussi insaisissable, il déstabilise tous ceux qui l’exhortent, dans latempête, à quitter son costume de « président normal ». Mais en dépit desJacqueries et de la sinistrose générale, l’homme ne semble pas prêt a menercette révolution intime.

COMMENT un président qui bat tous les records d’impopularité de la cinquièmeRépublique peut-il dégager une telle placidité ? Comment peut-il, face à

des indicateurs économiques aussi dégradés, poursuivre la même politique sansrien modifier ? Sans émettre le moindre doute ? Car François Hollande ne va rienchanger. Ni dissoudre, ni remanier, ni changer de cap. En chargeant Jean-MarcAyrault de plancher sur une « remise à plat » du système fiscal, il lui renouvelle saconfiance, pour quelques mois. Une façon habile de reprendre un peu d’oxygène,de gagner du temps, mais en espérant quoi ? De quel bois est donc fait cethomme ? Les visiteurs du soir que François Hollande reçoit ces derniers tempsse posent tous la question. Tous sortent de son bureau de l’Élysée subjugués etatterrés. Les jacqueries bretonnes, le ras-le-bol fiscal, la fronde sur la réforme desrythmes scolaires, le blues des députés socialistes, la sinistrose générale, la Franceau bord de la crise de nerfs ? Il répond « Du calme, du calme. . . Gardez votresang-froid » et semble dire : « Quand on a les pieds dans les sables mouvants, ilne faut plus bouger. »

Flou assumé

François le stoïque est une énigme. Ceux qui sont passés lui délivrer leur « so-lution pour rebondir » n’en finissent pas de tenter d’élucider le mystère et de jouerles psys. L’homme avec lequel ils ont discuté est un « trou noir », un homme quiabsorbe tout avec une bonhomie de chanoine et qui vous laisse pantois, hébétéset perplexes comme devant un puits insondable. « Mitterrand jouait le sphinx, tra-vaillant son personnage mystérieux, délivrant ses oracles avec parcimonie, raconte

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un proche du président. François Hollande, lui, ne joue pas. Durant ses trenteannées de vie politique, il a appris à se préserver, donc à ne jamais laisser voirquelle position il veut prendre. D’où, parfois, cette sensation de flou chez ceuxqui ne le connaissent pas. »

Le flou. . . Ce mot, lancé par Martine Aubry pendant la campagne de la pri-maire socialiste, à l’automne 2011, il le revendiquait presque. C’est, dit-il en petitcomité, ce qui l’a fait gagner. Pourquoi changer ? « En fait, François Hollandeest tellement épris de sa propre liberté de manœuvre qu’il laisse peu de prise àses ennemis, mais aussi à ses amis, précise Bruno Le Roux, patron des députéssocialistes, un de ses plus fidèles compagnons de route. Qui peut se targuer, dansson entourage, de peser sur ses choix politiques ? Personne. Ce président n’a nigourou ni sherpa. » En d’autres termes, ce président se dissimule derrière son sou-rire patelin pour ne jamais « être pris dans les phares ».

Résultat : les Français ne savent toujours pas qui il est. Ce quant-à-soi politiquelui coûte cher. Ils ne sont qu’un sur cinq à lui accorder aujourd’hui leur confiance.La cote d’alerte est largement atteinte. Irréversible ? Le désamour du pays à sonégard n’est pas définitif, tempère Robert Ebguy, sociologue au Centre de commu-nication avancée (CCA). Il est lié à cette posture fuyante. François Hollande offreune surface lisse, sans aspérités, délivrant des leçons d’économie illisibles. Or lesFrançais n’ont pas besoin d’un expert-comptable, mais d’un coach qui les motivepour affronter la crise. » Comment apprécier un homme qui vous file entre lesdoigts ? La seule fois où il est sorti de cette tactique du camouflage, c’est pendantle discours du Bourget, raconte un de ses conseillers. Il a parlé de sa famille, delui-même, de son rapport à l’argent. Il s’est découvert, au sens strict du terme.Ce fut le seul, moment fort de la campagne, le grand tournant. Depuis, plus rien.Ou seulement de la gestion, encore de la gestion. . . » Alors reviennent les éter-nelles critiques : « Hollande le petit mécano », « l’homme de la boîte à outils »,« François le bricoleur ». Ou encore les surnoms de ses amis socialistes devenusses ministres : Flamby (Montebourg), Fraise des bois (Fabius). Ou de NicolasSarkozy : la Savonnette.

Nécessaire prise de risque

François l’insaisissable écoute les récriminations sur son incapacité à sortirde ce personnage tellement normal qu’il en devient falot, pour ne pas dire fai-blard. À ses très proches, il répond qu’il n’a pas l’intention de se déguiser en« roitelet républicain ». Sa gouvernance à la scandinave du pays est un fiasco ? LaVe République est une monarchie en trompe-l’œil, il lui faut assumer ce rôle de« roi républicain » ? Rien dans la nature de cet homme ne le pousse à porter cecostume défraîchi.

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Et pourtant, il faudra bien qu’il assume. Comment devenir enfin le père de lanation et sortir de cette séquence infernale ? Il faut lancer la saison Hollande 2.Comment ? La télévision est l’arme fatale de l’homme politique du XXIe siècle, ilest grand temps qu’il s’adapte à ce média et qu’il donne de lui-même. « C’est peut-être la seule question qui compte aujourd’hui, dit Frank Tapiro, ancien conseilleren communication de Sarkozy. Le petit écran, sur les chaînes ou sur internet, est lelieu où se construit un personnage historique. On ne peut pas échapper aujourd’huiau storytelling. De Gaulle n’avait pas besoin de construire sa légende. FrançoisMitterrand a façonné la sienne, sous la houlette de Jacques Pilhan, en personnageterrien, attaché aux valeurs profondes du pays. Même chose pour Jacques Chiracou Nicolas Sarkozy. Ce dernier était l’homme qui allait réveiller la France. EtFrançois Hollande, juste l’homme normal ? »

Pour retrouver un brin d’affection auprès de la France profonde, le présidentdoit s’exposer, prendre des risques. Lorsqu’il a recruté Claude Sérillon, l’ex-présentateur du 20-heures d’Antenne 2, tout le monde pensait qu’il avait comprisla leçon. À tort. « Il n’a pas écouté Sérillon plus que les autres, murmure unconseiller du Château. Il n’aime pas vraiment l’exercice télé, car il se retrouveseul face à lui-même. »

Le président normal n’aimerait donc pas les miroirs, ou bien serait-il atteintd’une maladie inguérissable, la pudeur ? Sans doute les deux. « Pendant des an-nées, je lui répétais qu’il fallait qu’il apprenne à ne plus se perdre dans les autres,raconte Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, l’un des rares proches en quiil a une confiance absolue. Il courait les réunions militantes, les meetings, les asso-ciations de quartier, sans s’occuper de la chose la plus importante : lui. » D’abordprendre soin de lui et se regarder dans une glace. Avant de remanier le gouver-nement, il devrait donc se remanier lui-même ? Ses vrais amis lui suggèrent cetteoption avec délicatesse. De toute urgence.

« Ego immense mais invisible »

Le problème, ce n’est pas seulement une gouvernance chaotique et peu li-sible, mais son rapport glacial à la télévision. Sortir enfin du bois, monter surles planches, donner de lui-même. « Peut-être ne s’aime-t-il pas assez, à la dif-férence de son prédécesseur ? » souligne un ami industriel. Un président qui nes’aime pas ? « En fait, il a un ego immense mais invisible, comme en immersion »,précise un autre de ses amis. « On a envie de lui dire raconte-nous une histoire,change de peau », dit un autre. L’homme qui voulait enchanter le rêve françaisdéchante. Il est dos au mur et doit changer de partition. Mais peut-il jouer à contre-emploi ? Depuis sa plus tendre enfance, ce président patelin a choisi l’esquive pouréchapper d’abord à l’autorité d’un père rugueux, puis aux châtiments corporels

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des Frères des écoles chrétiennes de Rouen, et, plus tard, à la férocité d’un mondepolitique qui l’a longtemps méprisé.

Nouveau scénario

Cette tactique l’a sauvé maintes fois, alors pourquoi tout bouleverser pour unesimple courbe de sondage, certes désastreuse ? Pourquoi hausserait-il le ton oujouerait-il les pères fouettards ? Farouche défenseur de la méritocratie républi-caine, il croit en l’autorité si elle est acceptée et jamais imposée. « Ces valeurssont très nobles, souligne Robert Zarader, ancien conseiller en communicationde Hollande pendant la campagne présidentielle. Mais elles n’exonèrent pas dutravail de mise en spectacle de l’action, politique, au sens de la chanson de geste.Nos troubadours d’aujourd’hui, les médias, ont besoin d’images fortes. Encorefaut-il leur en proposer. »

Quelles images de lui-même le président veut-il dérouler dans le nouveau scé-nario qu’il s’apprête à écrire ? Fini, François le débonnaire. Ira-t-il jusqu’à dé-voiler la face dure de sa personnalité ? Celle qu’il dissimule derrière ce sourired’enfant de chœur qui ressemble parfois à une grimace tellement il est usé ? VictorHugo, lorsqu’on lui demandait qui était son héros dans son roman philosophique,L’Homme qui rit, répondait : « Comme moi, on lui a mis au cœur un cloaque decolère et de douleur, et sur la face un masque de contentement. . . » Quand doncFrançois Hollande ôtera-t-il le masque ? Et si la comédie avait assez duré ? S’ils’énervait un peu ? n’y a pas de grands hommes sans grandes colères.

Pierre RAFFY.

Flottements au Château

À l’Élysée, conseillers et visiteurs se heurtent à l’impassibilité du présidentpeu soucieux de communication.

« L’Élysée est en apesanteur », s’inquiète un député socialiste déçu. Il fait par-tie de ceux qui, dès le printemps, ont plaidé pour un gouvernement resserré, pluscombatif, incarnant un sursaut. Mais rien. Le président n’a pas donné suite. Aucontraire, il a conforté son Premier ministre. Pourquoi ? Mystère. Pourtant, quandcet élu a rencontré les conseillers du chef de l’État, ils semblaient d’accord surle diagnostic : la nécessité d’aller plus loin sur les questions européennes, sur lespolitiques de l’emploi, du logement, le besoin d’un discours plus mobilisateur.

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L’un d’entre eux a même concédé, dépité : « On a trente ans de retard, on fait unepolitique des années 1980 ! »

Lors de l’affaire Leonarda, tous les conseillers s’étaient prononcés contrel’idée de proposer à l’adolescente de poursuivre sa scolarité en France. Leprésident en a décidé autrement. Alors les conseillers font le gros dos. Certainscherchent à partir discrètement de ce théâtre d’ombres où le décision making nerépond à aucune règle, si ce n’est au fait du prince. Toute suggestion se heurteà l’impavidité de François Hollande. Et, en dépit des difficultés, impossible dele faire bouger de sa ligne : poursuivre le redressement des finances publiques,améliorer la compétitivité, sans déchirer la société. Personne n’a de prise.« Si vous voulez le faire changer d’avis, soyez plus ferme avec le président,plus courageux », a lancé un jour Claude Sérillon à un élu venu déverser sesrécriminations. Un membre de l’équipe présidentielle confie : « Ce n’est pas uncheval de dressage à qui l’on fait faire des figures, le président a un vécu, uncaractère. » En plus, l’homme est secret. Sur son agenda, de nombreuses plagessont barrées : « privé ». Qui voit-il ? Mystère.

Pour déminer les multiples critiques émises en haut lieu, un proche conseillerdu chef de l’Etat lance : « L’Élysée est une machine à fantasmes. » Et de mo-quer les visiteurs du soir, les amis politiques qui défilent pour satisfaire leur ego.Oui, le président est parfaitement au courant de la situation, répète-ton à l’Élysée.Non, il n’est pas dans le déni. Simplement, pour lui, cela n’a rien d’étonnant.« La désindustrialisation, le chômage, les problèmes de logement, tout cela existe,commente le conseiller. La cote de popularité de l’exécutif est correllée avec lechômage et la croissance ! Et comme en plus on demande aux Français un groseffort fiscal, ils ne sont pas contenus. Personne n’aime payer des impôts ! » Maisla communication est calamiteuse ! Pas le moindre storytelling « Nicolas Sarkozyn’a pas arrêté de raconter des histoires, et il a été rejeté ! » Le conseiller finit parconcéder : « Oui, il manque parfois le paquet-cadeau avec un joli noeud rose, mais,franchement, ce n’est pas central. . . » Et de pourfendre le monstre médiatique quien demande toujours plus et n’est jamais rassasié. L’important c’est le fond : leCICE, l’ANI, la réforme de la formation professionnelle. . . Mais alors, justement,sur le fond : les erreurs à répétition en matière de fiscalité ? L’inquiétude des in-vestisseurs ? « Il ne faudrait pas oublier que nous sommes socialistes. »

En réalité, toute la stratégie du chef de l’État est indexée sur des paramètrespolitiques. La droite ne profite pas de son impopularité, le PS pourrait conserverses grandes villes aux municipales, et ne fera pas forcément pire qu’en 2009 auxeuropéennes. . . Autant d’indices qui l’encouragent à résister. Le plus longtempspossible, avant de reprendre la main pour préparer 2017.

Ghislaine OTTENHEIMER.

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Encombrante première dame

Valérie Trierweiler. L’idée de faire revenir la jeune Leonarda en France sanssa famille, c’est elle. Bien qu’elle s’en défende.

L’influence de Valérie Trierweiler, réelle, agace les conseillers. Petit à petit,à coups d’actions caritatives et d’opérations médiatiques, Valérie Trierweilers’installe dans le quinquennat. Et tente de reconquérir l’opinion après sa premièrebourde : son tweet de soutien à l’adversaire de Ségolène Royal lors des législativesde 2012. Un geste qui a révélé son caractère impétueux et maladivement jalouxautant que les ambiguïtés de François Hollande, qui s’est contenté de dire que« les affaires privées se règlent dans la sphère privée ». Mais quelle est l’influenceréelle de la première dame ? Bien qu’elle s’en défende, c’est bien elle qui apoussé le président de la République à intervenir à la télévision pour proposerà Leonarda, expulsée selon des critères objectifs, de revenir en France sans safamille. En ne mesurant pas le risque de voir la jeune Rom lui renvoyer en directsa proposition dans la figure. « En cristallisant un sentiment diffus, celui de sonincapacité à prendre des décisions claires et courageuses, cet épisode a été aussiravageur pour Hollande que l’avait été pour Sarkozy la tentative de placer son filsà la tête de l’établissement public de la Défense », affirme un proche du chef del’État, fort agacé par « la Dame de pique », titre d’un livre que lui ont consacréNadia Le Brun et Alain Bourmaud, dans lequel ils rappellent que ses ancienscollègues de Paris Match la qualifiaient de « vindicative jusqu’à la violence ».À l’Élysée, on constate que « l’influence de Valérie sur le président s’accroîtà mesure que les difficultés s’accumulent ». En charge de la communication,l’ancien journaliste Claude Sérillon voit la plupart de ses décisions contrecarréespar la compagne du président et par le photographe Stéphane Ruet, un ancienpaparazzi qu’elle a fait nommer à l’Élysée.

En choisissant des compagnes au caractère impétueux, en se laissant dominerpar elles tout en refusant de s’engager jusqu’à les épouser, François Hollandedessine en creux la complexité de son personnage.

Airy ROUTIER.

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