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Pour un humanisme numérique Milad Doueihi ISBN : 978-2-02100089-4 29,95 $ NOUVEAUTÉ D’OCTOBRE 2011 Comment penser l’avenir de nos sociétés numériques avec les outils de nos traditions humanistes ? Comment créer un humanisme numérique qui aurait intégré les exigences de nouveaux supports que rien ne permet de fixer dans l’espace ni de stabiliser dans le temps ? Sans doute faut-il porter un regard critique, sans nostalgie, sur les pratiques émergentes pour comprendre la dynamique entre les contraintes technologiques et les usages sociaux et politiques du numérique ? Cet essai propose une interprétation des nouvelles compétences, techniques et culturelles, de notre avenir virtuel. Réédition simultanée en Points Essais de La Grande Conversion numérique. Spécialiste du numérique, historien des religions dans l’Occident moderne, Milad Doueihi est titulaire, depuis 2010, de la Chaire de recherche sur les cultures numériques à l’Université Laval. Traduit en plusieurs langues, il est l’auteur de quatre livres au Seuil dans la même collection : Histoire perverse du cœur humain (1996), Le Paradis terrestre. Mythes et philosophies (2006), La Grande Conversion numérique (2008), Solitude de l’incomparable. Augustin et Spinoza (2009). Pour en savoir plus, voir une vidéo avec Milad Doueihi sur France Culture. Milad Doueihi est disponible pour des entrevues. Renseignements sur le livre : Gabrielle Cauchy, attachée de presse / responsable du secteur ESSAIS (514) 336-3941 poste 229 / [email protected]

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Pour un humanisme

numérique

Milad Doueihi

ISBN : 978-2-02100089-4 – 29,95 $

NOUVEAUTÉ D’OCTOBRE 2011

Comment penser l’avenir de nos sociétés numériques avec les

outils de nos traditions humanistes ? Comment créer un

humanisme numérique qui aurait intégré les exigences de

nouveaux supports que rien ne permet de fixer dans l’espace ni

de stabiliser dans le temps ? Sans doute faut-il porter un regard

critique, sans nostalgie, sur les pratiques émergentes pour

comprendre la dynamique entre les contraintes technologiques

et les usages sociaux et politiques du numérique ? Cet essai

propose une interprétation des nouvelles compétences,

techniques et culturelles, de notre avenir virtuel. Réédition

simultanée en Points Essais de La Grande Conversion numérique.

Spécialiste du numérique, historien des religions dans l’Occident moderne, Milad

Doueihi est titulaire, depuis 2010, de la Chaire de recherche sur les cultures numériques

à l’Université Laval. Traduit en plusieurs langues, il est l’auteur de quatre livres au Seuil

dans la même collection : Histoire perverse du cœur humain (1996), Le Paradis terrestre.

Mythes et philosophies (2006), La Grande Conversion numérique (2008), Solitude de

l’incomparable. Augustin et Spinoza (2009).

Pour en savoir plus, voir une vidéo avec Milad Doueihi sur France Culture.

Milad Doueihi est disponible pour des entrevues.

Renseignements sur le livre :

Gabrielle Cauchy, attachée de presse / responsable du secteur ESSAIS

(514) 336-3941 poste 229 / [email protected]

Lʹesthète du numérique Point de vue |  | 07.10.11 | 13h39   •  Mis à jour le 07.10.11 | 16h13 

par Milad Doueihi, historien 

Dans sa carrière, Steve Jobs aura tout connu : les débuts hésitants des innovateurs de lʹinformatique  personnelle,  les  premiers  succès  du  Lisa  et  du Macintosh,  puis  une sorte de traversée du désert lors de son départ de la compagnie quʹil avait fondée avec Steve Wozniak et, finalement,  le couronnement du retour en patron dʹApple avec  la série de produits qui ont  transformé en plus grande société  informatique au monde lʹentreprise  de Cupertino.  Le  succès  financier  nʹest  ici  que  le  signe  le  plus  visible dʹune influence déterminante qui a profondément métamorphosé notre culture. 

Sa mort marque le début de la fin dʹune époque, celle de la première génération de nerds qui auront changé  le monde par  leur vision dʹune  informatique personnelle, accessible au plus grand nombre. Parmi ces pionniers, Steve Jobs occupe une place à part. Par sa détermination,  sa  passion,  et  surtout  par  ses  choix.  Ces  choix,  parfois  justement contestés,  le plus souvent  imités, forment un héritage considérable qui a contribué à  la mutation de lʹindustrie informatique en une industrie culturelle insoupçonnée. 

Steve  Jobs  sʹest  toujours  démarqué  de  ses  collègues  (on  pense  ici  à  Bill  Gates  et  à Lawrence Ellison) par sa conviction que lʹélégance en informatique nʹest ni accessoire ni superflue. Bien  au  contraire,  le  style  (ou  le  ʺgoûtʺ, pour  traduire  littéralement  le  taste quʹil utilisait souvent en discutant de  la spécificité de sa démarche) est aussi important que la puissance dʹune machine destinée à un usage personnel. Le choix esthétique est le fil conducteur de la carrière de Steve Jobs. 

Après  une  visite  devenue mythique  à  Xerox  PARC  en  1979,  il  décide  dʹadopter  les interfaces  graphiques  pour  ses  ordinateurs.  Lʹindustrialisation  de  ces  interfaces  a contribué  largement  à  la  naissance  de  la  culture  numérique.  Par  ses  métaphores familières,  elle  a  popularisé  lʹapparence  dʹune  simplicité  qui,  en  séduisant  les utilisateurs, a rendu possible une expansion du champ de lʹinformatique vers toutes les activités  : calcul, certes, mais également  traitement de  texte, manipulation des  images, etc. 

Après  son départ dʹApple,  il  achète Pixar  et  fonde NeXT. Nous  sommes  à  la  fin des années 1980. Cette dernière entreprise, souvent considérée comme un échec commercial, a néanmoins  joué un rôle crucial dans la carrière de Jobs et dans lʹhistoire de la culture numérique. NeXTStep est un système construit sur la base de la variante BSD (Berkeley System Distribution) dʹUNIX, mais avec une interface graphique plus raffinée. Cʹétait le premier système conçu à la fois comme serveur et comme machine personnelle. 

Ainsi  le Cube NeXT  était  un  ordinateur  déjà  prêt  pour  le  réseau. On  nʹest  donc  pas surpris  de  voir  Tim  Berners‐Lee  proposer  et  développer,  dans  le  sillage  de  ses innovations, son WorldWideWeb, le premier navigateur de ce qui deviendra le Web sur un NeXT. Et que cʹest ce même NeXTStep qui est devenu le OS X qui anime aujourdʹhui les machines Apple. NeXTStep est paradigmatique de la méthode Steve Jobs : une fusion inédite  entre  des  composantes  du  système  issu  du  logiciel  libre  et  des  éléments dʹinterfaces graphiques, le tout contrôlé par une volonté dʹoffrir à lʹutilisateur à la fois un système très performant et un environnement élégant et ordonné. 

Ce métissage entre  le  logiciel  libre et  le contrôle caractérise également  la manière dont Apple  a modifié  le  paysage  de  la  vente  de musique  en  ligne  avec  lʹintroduction  des premiers  iPod et de  iTunes. A une époque où  la gestion des droits numériques  faisait rage après le choc Napster, iTunes a permis un usage et un partage plus ouvert que ce qui était voulu par  lʹindustrie musicale. En proposant un prix unique et en permettant aux  utilisateurs  de  distribuer  un  fichier  sur  cinq  ordinateurs,  Steve  Jobs  a montré  la viabilité  dʹun modèle  économique  plus  flexible  et  plus  ouvert  aux  réalités  de  lʹusage quotidien des internautes. 

Cette  relative ouverture, malheureusement, a été entravée par  la nécessité de  toujours passer par lʹordinateur, caractéristique qui survit jusquʹà nos jours avec les iPhone et les iPad. Steve Jobs nʹa jamais adhéré à lʹesprit du logiciel libre et de lʹopen source et dans la pratique, il a même imposé le modèle dʹune boutique unique qui est devenue une rivale dʹAmazon. Dans ce contexte, il a incarné une nouvelle tendance : celle de sʹopposer aux industries culturelles (producteurs de cinéma, éditeurs), tout en essayant dʹimposer son propre monopole. Le modèle  économique des boutiques Apple  (iTunes, App Store  et iBook) est désormais lʹarchétype dʹune économie culturelle du numérique. 

Une des contributions  les plus  importantes de Steve  Jobs est sans nul doute une autre hybridation,  plus  radicale  et  plus  importante. Cʹest  celle  du mobile  et du  tactile. Les premiers  iPod  avaient  transformé  lʹexpérience  de  lʹécoute  musicale.  Mais  avec lʹintroduction de  lʹiPhone puis de  lʹiPad,  cʹest notre quotidien qui a  été  réinventé. Par lʹintroduction  du  tactile,  cʹest  en  effet  la  culture  de  lʹécran  qui  sʹest  radicalement transformée.  Au  regard  lecteur  sʹassocient  désormais  le  toucher  et  la  manipulation tactile. Modifier une image avec ses doigts instaure une nouvelle ère dans nos rapports avec  lʹimage.  Les  fonctions  lecteur  et  spectateur  sont  ainsi  soumises  à  de  nouvelles possibilités qui permettent, à travers le corps, de concrétiser désirs et volontés. 

Le  toucher,  dans  ce  contexte,  signifie  le  passage  vers  un  nouveau  réseau  qui  a  ses origines  dans  les  gestes,  car  le  corps  est  devenu  lʹinterface  première  de  toutes  nos communications. La communication et  le savoir, comme  lʹespace de  leur production et de  leur  réception,  sont  désormais  soumis  aux  contraintes  et  aux  promesses  de  cette nouvelle réalité numérique. 

Pour lʹesthète du numérique, la plus grande influence de Steve Jobs aura été ce retour du corps  dans  notre  quotidien  numérique,  retour  qui  a  transformé  notre  habitus  en modifiant lʹespace du travail, lʹespace publique et lʹespace intime. Un retour qui signifie aussi  lʹémergence  de  la  nouvelle  culture  numérique.  Si  cette  dernière  est  née  dʹune culture du bureau et de la chaise, elle sʹest transformée depuis lʹiPhone, en partie grâce à Steve Jobs, en une culture ambulante. Cette mutation en est encore à sa petite enfance, et cʹest en grande partie lʹhéritage que nous a légué ce visionnaire. 

Pour  Steve  Jobs,  le  décor  avait  toujours  raison.  Il  fut  le  premier  à  pressentir  que  le numérique nʹétait ni une simple technique de calcul ni un outil réservé exclusivement au travail, mais bien une activité humaine à part  entière, un  espace que  les hommes,  les femmes et les enfants habitent, traversent et, quʹà ce titre, ils façonnent à leur gré. 

Cʹest  lʹun des premiers architectes de cet espace humain émergent que  la communauté numérique vient de perdre. 

 Lʹauteur est titulaire de la chaire de recherche sur les cultures numériques à lʹuniversité Laval (Québec). Il a récemment publié Pour un humanisme numérique (Seuil) et La Grande Conversion numérique, suivi de Rêveries dʹun promeneur numérique (Points).   

 

Le numérique : une nouvelle manière de faire société ?  [lundi 24 octobre 2011] 

 POUR UN HUMANISME NUMÉRIQUE  Milad Doueihi  Éditeur : SEUIL Résumé  :  Avec  ʺPour  un  humanisme  numériqueʺ,  Milad  Doueihi poursuit son exploration des cultures numériques entamée en 2008 avec ʺLa grande conversion numériqueʺ.   

Philippe AIGRAIN 

Lʹapproche  de  Milad  Doueihi  est  dʹune  profonde 

originalité,  puisquʹil  aborde  lʹunivers  numérique  avec 

une boîte à outils que lui seul peut réunir. Historien des 

religions,  il  identifie dans  les  cultures numériques, des 

pratiques  de  soi,  des  règles  de  civilité  et  des 

affrontements sur des sujets dont lʹimportance ne semble 

compréhensible quʹaux adeptes dʹétranges doctrines. Tous aspects qui lui font affirmer  

que les cultures numériques jouent dans nos sociétés des rôles semblables à ceux quʹont 

joué ou que jouent encore les religions dans dʹautres contextes. Historien et connaisseur 

de  lʹoutillage  des  pratiques  lettrées,  de  lʹantiquité  à  lʹâge  classique,  il  analyse  les 

pratiques  numériques  et  leurs  outils  à  cette  lumière.  Enfin,  praticien  et  expert  de 

lʹinformatique et dʹinternet, il feint de les aborder comme des territoires inconnus, notant 

tout  ce  qui  sʹy  présente  à  la  perception  et  à  lʹanalyse. Cela  nous  donne  un  livre  où 

lʹauteur peut analyser  les  liens  ʺdʹamitiéʺ sur Facebook en  les comparant aux définitions 

que  donnent  de  lʹamitié  Aristote,  Cicéron  et  Francis  Bacon,  et  le  rôle  essentiel  des 

dispositifs narratifs et de la mémorisation universelle dans les cultures numériques à la 

lumière dʹauteurs de science‐fiction comme Philip K. Dick et Frank Herbert. 

Muni  de  cet  outillage  éclectique,  Milad  Doueihi  poursuit  de  front  un  double 

programme,  dʹanthropologie  sociale  et  de  philosophie  politique  du  numérique.  La 

lecture de Pour un humanisme numérique est  limpide, mais  le  lecteur pourra cependant 

être désarçonné par la coexistence de ces deux points de vue sur un même objet. Ainsi, 

lorsquʹil  analyse  les  liens  interpersonnels  sur  les  réseaux  sociaux  de  type  Facebook, 

lʹauteur  accepte  tout  dʹabord  le  mot  choisi  par  lʹopérateur  pour  désigner  ces  liens 

(lʹamitié) comme un simple fait dont il va tenter de cerner la substance. Une philosophe 

comme Barbara Cassin, analysant  les slogans de Google    adopte dʹemblée un point de 

vue  critique,  bien  compréhensible  éthiquement,  mais  qui  va  la  dispenser  dans  une 

certaine mesure  dʹétudier  la matérialité  technique  du  service  et  surtout  les  pratiques 

effectives des usagers du moteur de  recherche. A  lʹopposé, Milad Doueihi  commence 

par une observation  au plus près des mots  (choisis par  lʹopérateur du  service)  et des 

pratiques  des  usagers.  Il  ne  cherche même  pas,  comme  dʹautres  chercheurs  qui  ont 

étudié  le même objet (le sociologue Fred Pailler, par exemple), à construire un concept 

plus abstrait pour désigner lʹensemble des relations entre personnes sur différents types 

de  réseaux  sociaux  (contacts  professionnels,  élèves  ou  étudiants  dʹune  même 

promotion). Il va donc décrire ce quʹil appelle ʺ la matérialité de lʹamitié ʺ numérique, les 

règles  qui  la  régissent,  les  actions  qui  la  constituent  (inviter  ou  ʺ  liker  ʺ,  cʹest  à  dire 

presser  le  bouton  I  like  à propos dʹun  contenu  ou dʹun profil),  le  rôle  quʹy  jouent  les 

images, notamment les avatars qui y figurent lʹidentité. 

Cette  approche  au  plus  près  du  concret  conduit  inévitablement  à  une  certaine 

naturalisation des objets étudiés, mais elle nʹest pas constitutive dʹune complaisance. Car 

lʹoutillage  philosophique  et  lʹapproche  des  humanités  prennent  le  relais.  Doueihi 

souligne  par  exemple  ce  qui  sépare  lʹamitié  chez  Aristote,  ancrée  dans  le  choix 

individuel, ouvrant une fenêtre sur un espace qui reste privé (lʹami étant celui avec qui 

on partage du privé)  et  lʹamitié qui  se déploie dans un  réseau  social,  constitutive par 

nature dʹune  sphère publique  et  collective. Et Doueihi de nous offrir  cette  analyse  :  ʺ 

Ainsi  la  dimension  collective  lʹemporte  sur  le  choix  individuel. Mais  est‐ce  vraiment 

légitime dans le cadre dʹun réseau social ? Est‐ce même désirable de céder un tel pouvoir 

à une plate‐forme ? On voit ainsi les limites dʹun modèle communautaire à sens unique. 

Le bien commun, dans une interprétation restreinte, semble sʹimposer au‐delà des désirs 

et de  la volonté des  individus.  ʺ Cʹest par ce  type de procédé, soulignant dʹabord une 

différence puis lui assignant une valeur au regard de ce que peut être une société civile 

numérique qui vaut la peine dʹêtre construite, que sʹamorce le second volet du travail de 

Milad Doueihi, lʹesquisse du programme dʹun humanisme numérique. 

Cʹest  lorsquʹil  étude  ce  quʹil  appelle  les  cultures  anthologiques  et  ontologiques,  les 

pratiques  individuelles  et  collectives  de  constitution  et  dʹorganisation  de  recueils  de 

fragments, de collections choisies (de textes ou dʹautres médias), dʹannotations critiques 

et de classements que lʹauteur pousse le plus loin ce programme. Ces pratiques sont au 

cœur des activités numériques, elles sont  lʹun de  leurs produits  (voir  les collections de 

photographies sur un thème au sein des sites de partages de photos, ou  les recueils de 

citations  et  références  rendues possibles par des  outils  comme Zotero). Ces pratiques 

sont souvent considérées comme illustrant le papillonnage décervelant ou lʹérosion des 

savoirs‐faire  et  de  lʹérudition.  Or  Milad  Doueihi,  sur  fond  de  sa  connaissance  des 

pratiques des humanités de la Renaissance et de lʹère classique – des commonplace books  

au  Dictionnaire  critique  de  Bayle  –  nous  décrit  au  contraire  comment  et  à  quelles 

conditions elles peuvent être constitutives de nouveau savoir‐lire, savoir‐écrire et savoir‐

raconter.  

Le programme de lʹhumanisme numérique reste un work  in progress, version provisoire 

dʹune élaboration qui ne peut se développer que par une appropriation collective. Il est 

dʹores  et déjà  intéressant dʹobserver  les  courants  qui  se  croisent dans  les  groupes  où 

Milad Doueihi  fait  école,  dans  cette  sphère  des  cultures  numériques  qui  lui  vaut  la 

création  dʹune  chaire  spécialisée  à  lʹuniversité  de  Laval. On  y  croise  des  sociologues 

privilégiant  lʹobservation,  des  historiens  de  pratiques  lettrées  et  des  intellectuels 

constructeurs et defenseurs politiques des nouveaux biens communs. Comme le conclut 

lʹauteur  lui‐même  :  ʺLʹespace hybride de  la  culture numérique  constitue une nouvelle 

manière  de  faire  société.  Lʹhumanisme  numérique  est  une  manière  de  penser  cette 

nouvelle réalitéʺ  

Titre du livre : Pour un humanisme numérique  

Auteur : Milad Doueihi  

Éditeur : Seuil 

Collection : La librairie du XXI° sièvle  

Date de publication : 01/09/11 

N° ISBN : 2021000893 

 

1 ~ ~II ~I ~IIIII~I~ 2 701100 844591

Hebdomadaire '3: 01 42 441616 T.M.: 70783 L.M.: N.C.

MERCREDI 28 SEPTEMBRE 2011

Homo • numerlcus

Le numérique nous engage dans un nouvel âge de l'humanité.

Claude Lévi-Strauss identifiait trois humanismes dans l'histoire occidentale: l'humanisme aristocratique de la Renaissance redécouvrant l~!ntiquité classique, l'humanismR bourgeois de l'époque moderne découvrant les ~ultures exotiques, et l'humanisme démocratique du XX, siècle, lié à l'anthropologie. Pour l'historien Milad Doueihi, nous entrons aujourd'hui danç un quatrième âge: ~elui de l'humanisme numérique. En nwdifiant les notions de territoire et d'habitat, la culture numérique invente un nouveau paradigme. Elle incarne "le triomphe de l'espace hybride, du passage continuel entre le réel et le virtuel, entre le concret et l'imaginaire". Cette nouvelle hybridation touche autant à la . fragmentation des savoirs qu'à leur anthologisation, mais dialogue aussi avec les discours "transhumanistes". Tout en rappelant que IR droit à l'oubli reste lafaille de la culture numérique, Milad Doueihi salue cette extension inédite de l'humaniçme définre par le.~ notions clés d'échange, de partage, de circulation et de visibilité. Nous serions ainsi devenus des flâneurs dans des espaces hybrides, à l'inuJge de "l'homme variable" de Philip K. Dick, prophète du monde numérique. On retrouve cette dimension quasi messianique de la culture numérique dans l'essai d'Eric Sadin, La Société de l'anticipation, avec ses réflexions sur le "web précognitif' ou "l'expérience computérisée" ... "Humaniste" ou non, la culture numérique opère un tournant anthropologique décisif par la reconfiguration de notre rapport au temps, à l'espace et aux autres.

Milad Doueihi, Pour un h1lD1llDÏ8me numérique (Seuil, La Librairie du XXI' s~le), 192 pages, 19€ Eric Sadin, La Société de l'anticipation (Inculte , ElSais), 208 pages, 16€

LES INROCKUPTIBLES

14 septembre 2011

Pour un humanisme numérique

Les humanités numériques (ou Digital Humanities) sont devenues un axe majeur de recherche en

sciences sociales et humaines, au point de compter parmi l'une de leurs nouvelles disciplines. En quoi

existe-t-il un « humanisme numérique » s’interroge Milad Doueihi dans un bel essai de la collection

« La librairie du XXIe siècle », à paraître demain aux éditions du Seuil (181 p., 19 €).

Titulaire de la chaire de recherche sur les cultures numériques à l’Université de Laval (Québec), et

déjà auteur dans la même collection de La grande conversion numérique en 2008 (réédition « Points

essais » 2011), ce spécialiste du religieux dans l’Occident moderne avance que « l’humanisme

numérique est le résultat d’une convergence entre notre héritage culturel complexe et une technique

devenue un lieu de sociabilité sans précédent, [...] l’affirmation que la technique actuelle, dans sa

dimension globale, est une culture, dans le sens où elle met en place un nouveau contexte, à l’échelle

mondiale, et parce que le numérique, malgré une forte composante technique qu’il faut toujours

interroger et sans cesse surveiller (car elle est l’agent d’une volonté économique), est devenu une

civilisation qui se distingue par la manière dont elle modifie nos regards sur les objets, les relations et

les valeurs, et qui se caractérise par les nouvelles perspectives qu’elle introduit dans le champ de

l’activité humaine ». Ce qu’observe Milad Doueihi, c’est « le retour du mythe au cœur même de la

culture numérique ». Et cela n’a rien de surprenant : « dès ses origines, explique l’auteur, cette

technique devenue culture a été animée par un souci de l’intelligent et de l’humain, de l’intelligent

comme expression de l’humain. Le calcul s’est très vite transformé en lieu de sociabilité, et l’humain

s’est du coup en partie numérisé. Même les jeux se sont transformés en une occasion de produire des

récits et des textes essentiellement mythologiques ». Pour preuve de cet humanisme numérique,

l’amitié sur laquelle s’érigent et se développent les réseaux sociaux et la sociabilité numérique, et à

laquelle Milad Doueihi consacre de longues pages. Une amitié et ses codes eux-mêmes retravaillés par

l’expérience numérique, mais bien réels aussi.

Vincent Duclert

 

La nouvelle fracture numérique 

| 06.12.10 | 14h03  •  Mis à jour le 06.12.10 | 14h03  

Lʹaffaire WikiLeaks  suscite  tant de  réactions  contradictoires quʹelle  sʹest  transformée  en quelques jours  en  symptôme puissant de notre  rapport  avec  la  culture numérique. Un  symptôme qui, par lʹintensité, voire, dans certains cas, la violence des points de vue quʹil autorise, invite au recul. Sans vouloir en rien minimiser la pertinence des discussions engagées autour de la transparence et de la démocratie  à  lʹère  du  numérique,  ni  non  plus  ignorer  les  enjeux  politiques  du  débat,  il  est néanmoins important de faire ressortir les enjeux culturels de cet épisode. 

Soulignons dʹabord un malaise, une nostalgie  exprimés par  la grande majorité des politiques qui sonnent  la  fin dʹune diplomatie  efficace  parce  que  secrète  et  qui  annoncent  une  nouvelle  ère  de soupçon  portée  par  la  libre  circulation  des  documents  classés  ʺsecret  dʹEtatʺ. Curieusement,  ces mêmes politiques, aux Etats‐Unis, en Grande‐Bretagne et ailleurs en Europe, ont réagi passivement aux  fuites  et  aux  pertes  de  données  confidentielles  touchant  des milliers  et  souvent même  des millions de  leurs  concitoyens. Alors  que, pour  lʹinstant,  la majorité des documents de WiliLeaks semble confirmer des choses connues, même si parfois elles nʹétaient pas confirmées officiellement. On retrouve ainsi, mais dʹune manière inédite, le partage entre deux morales : la morale de lʹEtat et ses secrets, et celle du  ʺnouveau citoyenʺ à  la  fois exposé aux périls de  la  fragilité de ses données numériques et en même temps conforté par son accès à la culture du réseau. 

Si,  comme on  lʹa  souvent dit,  le numérique  fragilise  les  intermédiaires,  il  est  curieux de noter  en passant que cette  crise de WikiLeaks privilégie  la presse écrite  la plus classique, une des grandes victimes de la conversion numérique. Sʹagit‐il simplement de permettre une mise en contexte de ces documents permettant une meilleure appréciation de leur apport ? Ou bien dʹun geste provocateur, une invitation à franchir le seuil et se lancer dans lʹexpérience du pouvoir de cette nouvelle culture ? 

Car  le  numérique  est  une  culture  dans  la mesure  où  il modifie  notre  regard  sur  les  objets,  les institutions et les pratiques. Et il le fait en transformant le citoyen en un lecteur autorisé et un auteur avisé. De gouvernants et gouvernés, séparés par  leur accès aux arcanes du pouvoir et aux secrets des  décisions  politiques,  on  est  passé  aujourdʹhui  à  une  époque  hybride,  plus  complexe,  dans laquelle le citoyen a des moyens dʹaction jusquʹici inédits. 

Le numérique ne modifie pas seulement les pratiques professionnelles mais aussi celles qui relèvent de lʹintime. WikiLeaks nous met devant cette nouvelle réalité qui est une scène dʹun double conflit : un  conflit  dʹautorités  et  un  conflit  de  légitimités.  Pourquoi  ?  En  premier  lieu,  parce  que  le numérique,  dans  sa  dimension  culturelle,  nʹest  pas  à  confondre  avec  lʹinformatique.  Si lʹinformatique désigne une  technicité  inévitable,  le numérique consacre  la compétence des usages populaires de la technique. Pour reprendre lʹidée de Pascal, la différence entre les deux correspond à celle qui distingue lʹesprit de géométrie de lʹesprit de finesse. Et dans lʹesprit de finesse, ʺles principes sont dans lʹusage commun, et devant les yeux de tout le monde... Il nʹest question que dʹavoir bonne vue, mais il faut lʹavoir bonneʺ. Le débat aujourdʹhui est bien celui de qui va décider de cette ʺbonne vueʺ dont parle Pascal. Est‐ce le modèle hérité de nos pratiques anciennes ou bien faut‐il imaginer et inventer 

des modèles  inédits  capables dʹassumer  le  nouveau dispositif public mis  en place par  la  culture numérique ? 

Les  termes mêmes des débats révèlent  les obstacles à surmonter. Car même  les pratiques  les plus protégées,  comme  celles  de  la  diplomatie,  avec  leur  support  complexe  et  leurs  protocoles,  sont aujourdʹhui confrontées aux réalités et aux contraintes de  lʹenvironnement numérique. Il a suffi de lʹaction dʹun individu, qui a su copier les données secrètes sur des CD, et leur publication, pour nous révéler la nécessité de tirer les leçons de la confrontation entre des usages normaux et ʺnaturelsʺ, au sein de lʹenvironnement numérique, et des coutumes liées à lʹexercice dʹun rôle politique. 

La  fragilisation  de  la  diplomatie  classique  implique  aussi  une  déstabilisation  de  lʹespace  public traditionnel et sa soumission aux pressions suscitées par le modèle de la circulation de lʹinformation et de ses interprétations dans lʹenvironnement numérique. La culture numérique modifie la nature même des objets de notre savoir comme celui de lʹespace censé les accueillir et les faire circuler. 

Bref, le numérique interroge nos objets premiers, ceux du savoir, comme du politique et du social. Il le  fait par un double  jeu  : dʹune part,  il semble sʹapproprier ces objets culturels  tout en  les  faisant circuler  dans  un  nouveau  contexte  et  surtout  en modifiant  leurs  propriétés,  et,  dʹautre  part,  en introduisant de nouveaux objets inédits. Ce double rapport explique, en partie, à la fois la familiarité rassurante du monde numérique, mais aussi sa dimension parfois aliénante. 

Le numérique représente le triomphe de lʹhybridation étendu aux objets et aux pratiques. Mais cette hybridation voile le fait que lʹobjet numérique est tout autre : il appartient à un nouveau paradigme dans lequel lʹapparence nʹest quʹun leurre et parfois même un piège, et où tout, ou presque tout, est convertible. Cette convertibilité généralisée touche à la personne et à ses représentations, à lʹidentité collective,  et  évidemment  à  la politique. Dʹoù  le  rôle  essentiel, dans  le  cadre de  lʹenvironnement numérique  et  de  ses  négociations  avec  lʹhéritage  des  objets  classiques,  des  formats  et  de lʹinteropérabilité. 

Les  formats,  en  évolution  continue,  représentent,  du  point  de  vue  de  la  technique,  les  assises générales de  lʹidentité dans  la culture numérique, et  lʹinteropérabilité,  la  liberté dʹexpression et de circulation. 

Les  modèles  classiques,  sʹils  ne  sʹadaptent  pas,  ne  sont  plus  capables  de  survivre  de  manière autonome à lʹâge du numérique, même sʹil sʹagit de la diplomatie des Etats‐Unis. 

Une des leçons de cette débâcle diplomatique inciterait à revisiter les théories de la public diplomacy et du soft power en grande vogue aux Etats‐Unis. Dans lʹun comme dans lʹautre cas, Internet joue un rôle  important  dans  les  stratégies  de  communication  publique.  Les  réseaux  sociaux,  les  sites contributifs  et participatifs  sont  tous utilisés  avant de  faire  avancer des  intérêts  et des politiques spécifiques. Mais pourquoi accepter que ces outils soient réservés à un usage à sens unique puisque leur  principe  consiste  en  premier  lieu  à  substituer des  échanges  horizontaux  et  égalitaires  à des structures hiérarchiques ? 

Si la diplomatie est lʹart du réalisme, il faut quʹelle se modernise au‐delà du simple usage des outils informatiques  en prenant  en  compte  les  réalités des usages  associées  à  ces outils. Plus  encore,  si lʹune des idées‐clés de la public diplomacy consiste à communiquer directement avec les populations 

des pays divers,  comment  légitimer  les  écarts  entre  la  réputation  construite dans  le monde de  la sociabilité  numérique  et  les  choix  souvent  en  contradiction  avec  cette  image  qui  émane  des documents secrets et décisifs ? 

Est‐ce possible dʹaccepter un  tel  écart dans  lʹâge dʹune globalisation de  lʹaccès  sans pareil  et  sans précédent ? Ou bien faut‐il réserver une place à part pour la politique des grands pays, à lʹabri des contraintes et des tribulations de lʹespace public réinventé par le numérique ? 

Le citoyen est aujourdʹhui surtout un auteur qui est sans cesse en train de  lire et de comparer des informations et des savoirs populaires, naguère marginaux, et des discours officiels et autorisés. La confrontation de ces deux sources est au coeur de notre spécificité moderne, grâce en grande partie au numérique. 

Dans un texte célèbre, Max Weber a distingué le savant de lʹhomme politique en fonction de leurs éthiques. Dʹune part, une éthique de  la  conviction et, de  lʹautre, une éthique de  la  responsabilité. Cette  éthique du politique, habitée  telle quʹelle  est par une volonté dʹaméliorer  la  société  tout  en accédant au pouvoir, procède, ou devrait procéder, dʹune véritable connaissance de la société quʹelle cherche à gouverner. 

Il  semble  quʹavec  la  culture  numérique,  la  politique  doit  imaginer  une  nouvelle  éthique  et  une nouvelle manière de faire, plus appropriées à la sociabilité émergente. Lʹaffaire WikiLeaks nʹest que lʹindication,  certes  significative, dʹune possible  fracture numérique en  train de  sʹinstaller  entre  les politiques et les citoyens et que seule une véritable prise en compte des réalités et des potentiels de lʹenvironnement numérique peut éviter. 

La diplomatie est lʹart de la dissimulation, des subterfuges, mais aussi de la finesse. Il faut désormais quʹelle sʹadapte aux nouvelles conduites sociales induites par les pratiques numériques. 

Milad Doueihi, historien (Le grand débat)  Article paru dans lʹédition du 07.12.10  

SEUILGRANDE CONVERSION NUMÉRIQUE (LA)

DOUEIHI, MILAD

Collection : Librairie du XXIe siècle

ISBN-13 / EAN: 9782020964906

Format : Broché

Pages : 288

Prix : 34,95 $

Paru le 18 février 2008

« Je commencerai par une confession. Je ne suis pas informaticien, ni technologue. Je ne suis pas non plus juriste, spécialisé dans la propriété intellectuelle et les subtilités du copyright. Je me considère comme un numéricien par accident, un simple utilisateur d’ordinateur qui a suivi les changements de l’environnement numérique au cours des vingt dernières années.» C’est sur ces mots que s’ouvre le livre de Milad Doueihi, qui initie ses lecteurs à la grande conversion numérique. Avec déjà un milliard d’usagers, le numérique a une histoire qui se fabrique au jour le jour. Puissance globale, cet assemblage de technologies fragilise les spécificités nationales et locales en suscitant de nouvelles réalités, en politique comme en économie. En modifiant notre identité, nos représentations, nos choix, quels avenirs le numérique peut-il induire ? Qu’en sera-t-il du savoir historique, de nos bibliothèques ? Ni utopie ni fausse prophétie, le numérique est la vulgate moderne. Avec ses faiblesses, ses aveuglements, ses richesses et ses promesses, le numérique est une culture pour tous.

AUTEUR(S)

Historien du religieux dans l’Occident moderne, Milad Doueihi est fellow à l’université de Glasgow, a été invité à faire des conférences dans des universités aux États-Unis et en Europe, notament à l’EHESS à Paris. Outre ses études savantes, il a publié dans la même collection Une histoire perverse du cœur humain (1996) et Le Paradis terrestre. Mythes et philosophies (2006). En 2009 paraîtra Solitude de l’incomparable. Augustin et Spinoza. La Grâce et l’Élection.

Service de presse (pour le Canada seulement) : Gabrielle Cauchy, attachée de presse 514 336-3941 poste 229 / [email protected]

NB : Tous les prix indiqués sont sujets à changements sans préavis.

[Banc d'essais]

16 septembre 2008

La grande conversion numérique

Platon n'a jamais vu une image, Kant n'a jamais vu un film, pas plus que Marx

d'ailleurs. Que diraient tous ces penseurs des mutations que nous observons tous les

jours à la suite de l'introduction des technologies numériques dans tous les secteurs de

nos vies ? Penseraient-ils que quelque chose d'essentiel est détruit, par exemple le texte,

ou le lien humain de la parole, ou penseraient-ils au contraire que cette mutation comme

toutes les précédentes est riche d'un avenir insoupçonné ?

Voici les questions et la réflexion que propose Milad Doueihi dans un livre (et non sur

un site Internet) lu par Georges Leroux.

Milad Doueihi, La grande conversion numérique, Les Éditions du Seuil, 2008.

Traduit de l'anglais par Paul Chemla.

http://www.radio-canada.ca/radio/vousEtesIci/dossiers.asp?idDossier=105956

« On en apprend beaucoup dans ce livre là, je le recommande à tout le monde » –

George Leroux, Radio-Canada / Vous êtes ici