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Pour un humanisme
numérique
Milad Doueihi
ISBN : 978-2-02100089-4 – 29,95 $
NOUVEAUTÉ D’OCTOBRE 2011
Comment penser l’avenir de nos sociétés numériques avec les
outils de nos traditions humanistes ? Comment créer un
humanisme numérique qui aurait intégré les exigences de
nouveaux supports que rien ne permet de fixer dans l’espace ni
de stabiliser dans le temps ? Sans doute faut-il porter un regard
critique, sans nostalgie, sur les pratiques émergentes pour
comprendre la dynamique entre les contraintes technologiques
et les usages sociaux et politiques du numérique ? Cet essai
propose une interprétation des nouvelles compétences,
techniques et culturelles, de notre avenir virtuel. Réédition
simultanée en Points Essais de La Grande Conversion numérique.
Spécialiste du numérique, historien des religions dans l’Occident moderne, Milad
Doueihi est titulaire, depuis 2010, de la Chaire de recherche sur les cultures numériques
à l’Université Laval. Traduit en plusieurs langues, il est l’auteur de quatre livres au Seuil
dans la même collection : Histoire perverse du cœur humain (1996), Le Paradis terrestre.
Mythes et philosophies (2006), La Grande Conversion numérique (2008), Solitude de
l’incomparable. Augustin et Spinoza (2009).
Pour en savoir plus, voir une vidéo avec Milad Doueihi sur France Culture.
Milad Doueihi est disponible pour des entrevues.
Renseignements sur le livre :
Gabrielle Cauchy, attachée de presse / responsable du secteur ESSAIS
(514) 336-3941 poste 229 / [email protected]

Lʹesthète du numérique Point de vue | | 07.10.11 | 13h39 • Mis à jour le 07.10.11 | 16h13
par Milad Doueihi, historien
Dans sa carrière, Steve Jobs aura tout connu : les débuts hésitants des innovateurs de lʹinformatique personnelle, les premiers succès du Lisa et du Macintosh, puis une sorte de traversée du désert lors de son départ de la compagnie quʹil avait fondée avec Steve Wozniak et, finalement, le couronnement du retour en patron dʹApple avec la série de produits qui ont transformé en plus grande société informatique au monde lʹentreprise de Cupertino. Le succès financier nʹest ici que le signe le plus visible dʹune influence déterminante qui a profondément métamorphosé notre culture.
Sa mort marque le début de la fin dʹune époque, celle de la première génération de nerds qui auront changé le monde par leur vision dʹune informatique personnelle, accessible au plus grand nombre. Parmi ces pionniers, Steve Jobs occupe une place à part. Par sa détermination, sa passion, et surtout par ses choix. Ces choix, parfois justement contestés, le plus souvent imités, forment un héritage considérable qui a contribué à la mutation de lʹindustrie informatique en une industrie culturelle insoupçonnée.
Steve Jobs sʹest toujours démarqué de ses collègues (on pense ici à Bill Gates et à Lawrence Ellison) par sa conviction que lʹélégance en informatique nʹest ni accessoire ni superflue. Bien au contraire, le style (ou le ʺgoûtʺ, pour traduire littéralement le taste quʹil utilisait souvent en discutant de la spécificité de sa démarche) est aussi important que la puissance dʹune machine destinée à un usage personnel. Le choix esthétique est le fil conducteur de la carrière de Steve Jobs.
Après une visite devenue mythique à Xerox PARC en 1979, il décide dʹadopter les interfaces graphiques pour ses ordinateurs. Lʹindustrialisation de ces interfaces a contribué largement à la naissance de la culture numérique. Par ses métaphores familières, elle a popularisé lʹapparence dʹune simplicité qui, en séduisant les utilisateurs, a rendu possible une expansion du champ de lʹinformatique vers toutes les activités : calcul, certes, mais également traitement de texte, manipulation des images, etc.

Après son départ dʹApple, il achète Pixar et fonde NeXT. Nous sommes à la fin des années 1980. Cette dernière entreprise, souvent considérée comme un échec commercial, a néanmoins joué un rôle crucial dans la carrière de Jobs et dans lʹhistoire de la culture numérique. NeXTStep est un système construit sur la base de la variante BSD (Berkeley System Distribution) dʹUNIX, mais avec une interface graphique plus raffinée. Cʹétait le premier système conçu à la fois comme serveur et comme machine personnelle.
Ainsi le Cube NeXT était un ordinateur déjà prêt pour le réseau. On nʹest donc pas surpris de voir Tim Berners‐Lee proposer et développer, dans le sillage de ses innovations, son WorldWideWeb, le premier navigateur de ce qui deviendra le Web sur un NeXT. Et que cʹest ce même NeXTStep qui est devenu le OS X qui anime aujourdʹhui les machines Apple. NeXTStep est paradigmatique de la méthode Steve Jobs : une fusion inédite entre des composantes du système issu du logiciel libre et des éléments dʹinterfaces graphiques, le tout contrôlé par une volonté dʹoffrir à lʹutilisateur à la fois un système très performant et un environnement élégant et ordonné.
Ce métissage entre le logiciel libre et le contrôle caractérise également la manière dont Apple a modifié le paysage de la vente de musique en ligne avec lʹintroduction des premiers iPod et de iTunes. A une époque où la gestion des droits numériques faisait rage après le choc Napster, iTunes a permis un usage et un partage plus ouvert que ce qui était voulu par lʹindustrie musicale. En proposant un prix unique et en permettant aux utilisateurs de distribuer un fichier sur cinq ordinateurs, Steve Jobs a montré la viabilité dʹun modèle économique plus flexible et plus ouvert aux réalités de lʹusage quotidien des internautes.
Cette relative ouverture, malheureusement, a été entravée par la nécessité de toujours passer par lʹordinateur, caractéristique qui survit jusquʹà nos jours avec les iPhone et les iPad. Steve Jobs nʹa jamais adhéré à lʹesprit du logiciel libre et de lʹopen source et dans la pratique, il a même imposé le modèle dʹune boutique unique qui est devenue une rivale dʹAmazon. Dans ce contexte, il a incarné une nouvelle tendance : celle de sʹopposer aux industries culturelles (producteurs de cinéma, éditeurs), tout en essayant dʹimposer son propre monopole. Le modèle économique des boutiques Apple (iTunes, App Store et iBook) est désormais lʹarchétype dʹune économie culturelle du numérique.
Une des contributions les plus importantes de Steve Jobs est sans nul doute une autre hybridation, plus radicale et plus importante. Cʹest celle du mobile et du tactile. Les premiers iPod avaient transformé lʹexpérience de lʹécoute musicale. Mais avec lʹintroduction de lʹiPhone puis de lʹiPad, cʹest notre quotidien qui a été réinventé. Par lʹintroduction du tactile, cʹest en effet la culture de lʹécran qui sʹest radicalement transformée. Au regard lecteur sʹassocient désormais le toucher et la manipulation tactile. Modifier une image avec ses doigts instaure une nouvelle ère dans nos rapports avec lʹimage. Les fonctions lecteur et spectateur sont ainsi soumises à de nouvelles possibilités qui permettent, à travers le corps, de concrétiser désirs et volontés.

Le toucher, dans ce contexte, signifie le passage vers un nouveau réseau qui a ses origines dans les gestes, car le corps est devenu lʹinterface première de toutes nos communications. La communication et le savoir, comme lʹespace de leur production et de leur réception, sont désormais soumis aux contraintes et aux promesses de cette nouvelle réalité numérique.
Pour lʹesthète du numérique, la plus grande influence de Steve Jobs aura été ce retour du corps dans notre quotidien numérique, retour qui a transformé notre habitus en modifiant lʹespace du travail, lʹespace publique et lʹespace intime. Un retour qui signifie aussi lʹémergence de la nouvelle culture numérique. Si cette dernière est née dʹune culture du bureau et de la chaise, elle sʹest transformée depuis lʹiPhone, en partie grâce à Steve Jobs, en une culture ambulante. Cette mutation en est encore à sa petite enfance, et cʹest en grande partie lʹhéritage que nous a légué ce visionnaire.
Pour Steve Jobs, le décor avait toujours raison. Il fut le premier à pressentir que le numérique nʹétait ni une simple technique de calcul ni un outil réservé exclusivement au travail, mais bien une activité humaine à part entière, un espace que les hommes, les femmes et les enfants habitent, traversent et, quʹà ce titre, ils façonnent à leur gré.
Cʹest lʹun des premiers architectes de cet espace humain émergent que la communauté numérique vient de perdre.
Lʹauteur est titulaire de la chaire de recherche sur les cultures numériques à lʹuniversité Laval (Québec). Il a récemment publié Pour un humanisme numérique (Seuil) et La Grande Conversion numérique, suivi de Rêveries dʹun promeneur numérique (Points).

Le numérique : une nouvelle manière de faire société ? [lundi 24 octobre 2011]
POUR UN HUMANISME NUMÉRIQUE Milad Doueihi Éditeur : SEUIL Résumé : Avec ʺPour un humanisme numériqueʺ, Milad Doueihi poursuit son exploration des cultures numériques entamée en 2008 avec ʺLa grande conversion numériqueʺ.
Philippe AIGRAIN
Lʹapproche de Milad Doueihi est dʹune profonde
originalité, puisquʹil aborde lʹunivers numérique avec
une boîte à outils que lui seul peut réunir. Historien des
religions, il identifie dans les cultures numériques, des
pratiques de soi, des règles de civilité et des
affrontements sur des sujets dont lʹimportance ne semble
compréhensible quʹaux adeptes dʹétranges doctrines. Tous aspects qui lui font affirmer
que les cultures numériques jouent dans nos sociétés des rôles semblables à ceux quʹont
joué ou que jouent encore les religions dans dʹautres contextes. Historien et connaisseur
de lʹoutillage des pratiques lettrées, de lʹantiquité à lʹâge classique, il analyse les
pratiques numériques et leurs outils à cette lumière. Enfin, praticien et expert de
lʹinformatique et dʹinternet, il feint de les aborder comme des territoires inconnus, notant
tout ce qui sʹy présente à la perception et à lʹanalyse. Cela nous donne un livre où
lʹauteur peut analyser les liens ʺdʹamitiéʺ sur Facebook en les comparant aux définitions
que donnent de lʹamitié Aristote, Cicéron et Francis Bacon, et le rôle essentiel des
dispositifs narratifs et de la mémorisation universelle dans les cultures numériques à la
lumière dʹauteurs de science‐fiction comme Philip K. Dick et Frank Herbert.
Muni de cet outillage éclectique, Milad Doueihi poursuit de front un double
programme, dʹanthropologie sociale et de philosophie politique du numérique. La
lecture de Pour un humanisme numérique est limpide, mais le lecteur pourra cependant

être désarçonné par la coexistence de ces deux points de vue sur un même objet. Ainsi,
lorsquʹil analyse les liens interpersonnels sur les réseaux sociaux de type Facebook,
lʹauteur accepte tout dʹabord le mot choisi par lʹopérateur pour désigner ces liens
(lʹamitié) comme un simple fait dont il va tenter de cerner la substance. Une philosophe
comme Barbara Cassin, analysant les slogans de Google adopte dʹemblée un point de
vue critique, bien compréhensible éthiquement, mais qui va la dispenser dans une
certaine mesure dʹétudier la matérialité technique du service et surtout les pratiques
effectives des usagers du moteur de recherche. A lʹopposé, Milad Doueihi commence
par une observation au plus près des mots (choisis par lʹopérateur du service) et des
pratiques des usagers. Il ne cherche même pas, comme dʹautres chercheurs qui ont
étudié le même objet (le sociologue Fred Pailler, par exemple), à construire un concept
plus abstrait pour désigner lʹensemble des relations entre personnes sur différents types
de réseaux sociaux (contacts professionnels, élèves ou étudiants dʹune même
promotion). Il va donc décrire ce quʹil appelle ʺ la matérialité de lʹamitié ʺ numérique, les
règles qui la régissent, les actions qui la constituent (inviter ou ʺ liker ʺ, cʹest à dire
presser le bouton I like à propos dʹun contenu ou dʹun profil), le rôle quʹy jouent les
images, notamment les avatars qui y figurent lʹidentité.
Cette approche au plus près du concret conduit inévitablement à une certaine
naturalisation des objets étudiés, mais elle nʹest pas constitutive dʹune complaisance. Car
lʹoutillage philosophique et lʹapproche des humanités prennent le relais. Doueihi
souligne par exemple ce qui sépare lʹamitié chez Aristote, ancrée dans le choix
individuel, ouvrant une fenêtre sur un espace qui reste privé (lʹami étant celui avec qui
on partage du privé) et lʹamitié qui se déploie dans un réseau social, constitutive par
nature dʹune sphère publique et collective. Et Doueihi de nous offrir cette analyse : ʺ
Ainsi la dimension collective lʹemporte sur le choix individuel. Mais est‐ce vraiment
légitime dans le cadre dʹun réseau social ? Est‐ce même désirable de céder un tel pouvoir
à une plate‐forme ? On voit ainsi les limites dʹun modèle communautaire à sens unique.
Le bien commun, dans une interprétation restreinte, semble sʹimposer au‐delà des désirs
et de la volonté des individus. ʺ Cʹest par ce type de procédé, soulignant dʹabord une
différence puis lui assignant une valeur au regard de ce que peut être une société civile
numérique qui vaut la peine dʹêtre construite, que sʹamorce le second volet du travail de
Milad Doueihi, lʹesquisse du programme dʹun humanisme numérique.

Cʹest lorsquʹil étude ce quʹil appelle les cultures anthologiques et ontologiques, les
pratiques individuelles et collectives de constitution et dʹorganisation de recueils de
fragments, de collections choisies (de textes ou dʹautres médias), dʹannotations critiques
et de classements que lʹauteur pousse le plus loin ce programme. Ces pratiques sont au
cœur des activités numériques, elles sont lʹun de leurs produits (voir les collections de
photographies sur un thème au sein des sites de partages de photos, ou les recueils de
citations et références rendues possibles par des outils comme Zotero). Ces pratiques
sont souvent considérées comme illustrant le papillonnage décervelant ou lʹérosion des
savoirs‐faire et de lʹérudition. Or Milad Doueihi, sur fond de sa connaissance des
pratiques des humanités de la Renaissance et de lʹère classique – des commonplace books
au Dictionnaire critique de Bayle – nous décrit au contraire comment et à quelles
conditions elles peuvent être constitutives de nouveau savoir‐lire, savoir‐écrire et savoir‐
raconter.
Le programme de lʹhumanisme numérique reste un work in progress, version provisoire
dʹune élaboration qui ne peut se développer que par une appropriation collective. Il est
dʹores et déjà intéressant dʹobserver les courants qui se croisent dans les groupes où
Milad Doueihi fait école, dans cette sphère des cultures numériques qui lui vaut la
création dʹune chaire spécialisée à lʹuniversité de Laval. On y croise des sociologues
privilégiant lʹobservation, des historiens de pratiques lettrées et des intellectuels
constructeurs et defenseurs politiques des nouveaux biens communs. Comme le conclut
lʹauteur lui‐même : ʺLʹespace hybride de la culture numérique constitue une nouvelle
manière de faire société. Lʹhumanisme numérique est une manière de penser cette
nouvelle réalitéʺ
Titre du livre : Pour un humanisme numérique
Auteur : Milad Doueihi
Éditeur : Seuil
Collection : La librairie du XXI° sièvle
Date de publication : 01/09/11
N° ISBN : 2021000893

1 ~ ~II ~I ~IIIII~I~ 2 701100 844591
Hebdomadaire '3: 01 42 441616 T.M.: 70783 L.M.: N.C.
MERCREDI 28 SEPTEMBRE 2011
Homo • numerlcus
Le numérique nous engage dans un nouvel âge de l'humanité.
Claude Lévi-Strauss identifiait trois humanismes dans l'histoire occidentale: l'humanisme aristocratique de la Renaissance redécouvrant l~!ntiquité classique, l'humanismR bourgeois de l'époque moderne découvrant les ~ultures exotiques, et l'humanisme démocratique du XX, siècle, lié à l'anthropologie. Pour l'historien Milad Doueihi, nous entrons aujourd'hui danç un quatrième âge: ~elui de l'humanisme numérique. En nwdifiant les notions de territoire et d'habitat, la culture numérique invente un nouveau paradigme. Elle incarne "le triomphe de l'espace hybride, du passage continuel entre le réel et le virtuel, entre le concret et l'imaginaire". Cette nouvelle hybridation touche autant à la . fragmentation des savoirs qu'à leur anthologisation, mais dialogue aussi avec les discours "transhumanistes". Tout en rappelant que IR droit à l'oubli reste lafaille de la culture numérique, Milad Doueihi salue cette extension inédite de l'humaniçme définre par le.~ notions clés d'échange, de partage, de circulation et de visibilité. Nous serions ainsi devenus des flâneurs dans des espaces hybrides, à l'inuJge de "l'homme variable" de Philip K. Dick, prophète du monde numérique. On retrouve cette dimension quasi messianique de la culture numérique dans l'essai d'Eric Sadin, La Société de l'anticipation, avec ses réflexions sur le "web précognitif' ou "l'expérience computérisée" ... "Humaniste" ou non, la culture numérique opère un tournant anthropologique décisif par la reconfiguration de notre rapport au temps, à l'espace et aux autres.
Milad Doueihi, Pour un h1lD1llDÏ8me numérique (Seuil, La Librairie du XXI' s~le), 192 pages, 19€ Eric Sadin, La Société de l'anticipation (Inculte , ElSais), 208 pages, 16€
LES INROCKUPTIBLES

14 septembre 2011
Pour un humanisme numérique
Les humanités numériques (ou Digital Humanities) sont devenues un axe majeur de recherche en
sciences sociales et humaines, au point de compter parmi l'une de leurs nouvelles disciplines. En quoi
existe-t-il un « humanisme numérique » s’interroge Milad Doueihi dans un bel essai de la collection
« La librairie du XXIe siècle », à paraître demain aux éditions du Seuil (181 p., 19 €).
Titulaire de la chaire de recherche sur les cultures numériques à l’Université de Laval (Québec), et
déjà auteur dans la même collection de La grande conversion numérique en 2008 (réédition « Points
essais » 2011), ce spécialiste du religieux dans l’Occident moderne avance que « l’humanisme
numérique est le résultat d’une convergence entre notre héritage culturel complexe et une technique
devenue un lieu de sociabilité sans précédent, [...] l’affirmation que la technique actuelle, dans sa
dimension globale, est une culture, dans le sens où elle met en place un nouveau contexte, à l’échelle
mondiale, et parce que le numérique, malgré une forte composante technique qu’il faut toujours
interroger et sans cesse surveiller (car elle est l’agent d’une volonté économique), est devenu une
civilisation qui se distingue par la manière dont elle modifie nos regards sur les objets, les relations et
les valeurs, et qui se caractérise par les nouvelles perspectives qu’elle introduit dans le champ de
l’activité humaine ». Ce qu’observe Milad Doueihi, c’est « le retour du mythe au cœur même de la
culture numérique ». Et cela n’a rien de surprenant : « dès ses origines, explique l’auteur, cette
technique devenue culture a été animée par un souci de l’intelligent et de l’humain, de l’intelligent
comme expression de l’humain. Le calcul s’est très vite transformé en lieu de sociabilité, et l’humain
s’est du coup en partie numérisé. Même les jeux se sont transformés en une occasion de produire des
récits et des textes essentiellement mythologiques ». Pour preuve de cet humanisme numérique,
l’amitié sur laquelle s’érigent et se développent les réseaux sociaux et la sociabilité numérique, et à
laquelle Milad Doueihi consacre de longues pages. Une amitié et ses codes eux-mêmes retravaillés par
l’expérience numérique, mais bien réels aussi.
Vincent Duclert

La nouvelle fracture numérique
| 06.12.10 | 14h03 • Mis à jour le 06.12.10 | 14h03
Lʹaffaire WikiLeaks suscite tant de réactions contradictoires quʹelle sʹest transformée en quelques jours en symptôme puissant de notre rapport avec la culture numérique. Un symptôme qui, par lʹintensité, voire, dans certains cas, la violence des points de vue quʹil autorise, invite au recul. Sans vouloir en rien minimiser la pertinence des discussions engagées autour de la transparence et de la démocratie à lʹère du numérique, ni non plus ignorer les enjeux politiques du débat, il est néanmoins important de faire ressortir les enjeux culturels de cet épisode.
Soulignons dʹabord un malaise, une nostalgie exprimés par la grande majorité des politiques qui sonnent la fin dʹune diplomatie efficace parce que secrète et qui annoncent une nouvelle ère de soupçon portée par la libre circulation des documents classés ʺsecret dʹEtatʺ. Curieusement, ces mêmes politiques, aux Etats‐Unis, en Grande‐Bretagne et ailleurs en Europe, ont réagi passivement aux fuites et aux pertes de données confidentielles touchant des milliers et souvent même des millions de leurs concitoyens. Alors que, pour lʹinstant, la majorité des documents de WiliLeaks semble confirmer des choses connues, même si parfois elles nʹétaient pas confirmées officiellement. On retrouve ainsi, mais dʹune manière inédite, le partage entre deux morales : la morale de lʹEtat et ses secrets, et celle du ʺnouveau citoyenʺ à la fois exposé aux périls de la fragilité de ses données numériques et en même temps conforté par son accès à la culture du réseau.
Si, comme on lʹa souvent dit, le numérique fragilise les intermédiaires, il est curieux de noter en passant que cette crise de WikiLeaks privilégie la presse écrite la plus classique, une des grandes victimes de la conversion numérique. Sʹagit‐il simplement de permettre une mise en contexte de ces documents permettant une meilleure appréciation de leur apport ? Ou bien dʹun geste provocateur, une invitation à franchir le seuil et se lancer dans lʹexpérience du pouvoir de cette nouvelle culture ?
Car le numérique est une culture dans la mesure où il modifie notre regard sur les objets, les institutions et les pratiques. Et il le fait en transformant le citoyen en un lecteur autorisé et un auteur avisé. De gouvernants et gouvernés, séparés par leur accès aux arcanes du pouvoir et aux secrets des décisions politiques, on est passé aujourdʹhui à une époque hybride, plus complexe, dans laquelle le citoyen a des moyens dʹaction jusquʹici inédits.
Le numérique ne modifie pas seulement les pratiques professionnelles mais aussi celles qui relèvent de lʹintime. WikiLeaks nous met devant cette nouvelle réalité qui est une scène dʹun double conflit : un conflit dʹautorités et un conflit de légitimités. Pourquoi ? En premier lieu, parce que le numérique, dans sa dimension culturelle, nʹest pas à confondre avec lʹinformatique. Si lʹinformatique désigne une technicité inévitable, le numérique consacre la compétence des usages populaires de la technique. Pour reprendre lʹidée de Pascal, la différence entre les deux correspond à celle qui distingue lʹesprit de géométrie de lʹesprit de finesse. Et dans lʹesprit de finesse, ʺles principes sont dans lʹusage commun, et devant les yeux de tout le monde... Il nʹest question que dʹavoir bonne vue, mais il faut lʹavoir bonneʺ. Le débat aujourdʹhui est bien celui de qui va décider de cette ʺbonne vueʺ dont parle Pascal. Est‐ce le modèle hérité de nos pratiques anciennes ou bien faut‐il imaginer et inventer

des modèles inédits capables dʹassumer le nouveau dispositif public mis en place par la culture numérique ?
Les termes mêmes des débats révèlent les obstacles à surmonter. Car même les pratiques les plus protégées, comme celles de la diplomatie, avec leur support complexe et leurs protocoles, sont aujourdʹhui confrontées aux réalités et aux contraintes de lʹenvironnement numérique. Il a suffi de lʹaction dʹun individu, qui a su copier les données secrètes sur des CD, et leur publication, pour nous révéler la nécessité de tirer les leçons de la confrontation entre des usages normaux et ʺnaturelsʺ, au sein de lʹenvironnement numérique, et des coutumes liées à lʹexercice dʹun rôle politique.
La fragilisation de la diplomatie classique implique aussi une déstabilisation de lʹespace public traditionnel et sa soumission aux pressions suscitées par le modèle de la circulation de lʹinformation et de ses interprétations dans lʹenvironnement numérique. La culture numérique modifie la nature même des objets de notre savoir comme celui de lʹespace censé les accueillir et les faire circuler.
Bref, le numérique interroge nos objets premiers, ceux du savoir, comme du politique et du social. Il le fait par un double jeu : dʹune part, il semble sʹapproprier ces objets culturels tout en les faisant circuler dans un nouveau contexte et surtout en modifiant leurs propriétés, et, dʹautre part, en introduisant de nouveaux objets inédits. Ce double rapport explique, en partie, à la fois la familiarité rassurante du monde numérique, mais aussi sa dimension parfois aliénante.
Le numérique représente le triomphe de lʹhybridation étendu aux objets et aux pratiques. Mais cette hybridation voile le fait que lʹobjet numérique est tout autre : il appartient à un nouveau paradigme dans lequel lʹapparence nʹest quʹun leurre et parfois même un piège, et où tout, ou presque tout, est convertible. Cette convertibilité généralisée touche à la personne et à ses représentations, à lʹidentité collective, et évidemment à la politique. Dʹoù le rôle essentiel, dans le cadre de lʹenvironnement numérique et de ses négociations avec lʹhéritage des objets classiques, des formats et de lʹinteropérabilité.
Les formats, en évolution continue, représentent, du point de vue de la technique, les assises générales de lʹidentité dans la culture numérique, et lʹinteropérabilité, la liberté dʹexpression et de circulation.
Les modèles classiques, sʹils ne sʹadaptent pas, ne sont plus capables de survivre de manière autonome à lʹâge du numérique, même sʹil sʹagit de la diplomatie des Etats‐Unis.
Une des leçons de cette débâcle diplomatique inciterait à revisiter les théories de la public diplomacy et du soft power en grande vogue aux Etats‐Unis. Dans lʹun comme dans lʹautre cas, Internet joue un rôle important dans les stratégies de communication publique. Les réseaux sociaux, les sites contributifs et participatifs sont tous utilisés avant de faire avancer des intérêts et des politiques spécifiques. Mais pourquoi accepter que ces outils soient réservés à un usage à sens unique puisque leur principe consiste en premier lieu à substituer des échanges horizontaux et égalitaires à des structures hiérarchiques ?
Si la diplomatie est lʹart du réalisme, il faut quʹelle se modernise au‐delà du simple usage des outils informatiques en prenant en compte les réalités des usages associées à ces outils. Plus encore, si lʹune des idées‐clés de la public diplomacy consiste à communiquer directement avec les populations

des pays divers, comment légitimer les écarts entre la réputation construite dans le monde de la sociabilité numérique et les choix souvent en contradiction avec cette image qui émane des documents secrets et décisifs ?
Est‐ce possible dʹaccepter un tel écart dans lʹâge dʹune globalisation de lʹaccès sans pareil et sans précédent ? Ou bien faut‐il réserver une place à part pour la politique des grands pays, à lʹabri des contraintes et des tribulations de lʹespace public réinventé par le numérique ?
Le citoyen est aujourdʹhui surtout un auteur qui est sans cesse en train de lire et de comparer des informations et des savoirs populaires, naguère marginaux, et des discours officiels et autorisés. La confrontation de ces deux sources est au coeur de notre spécificité moderne, grâce en grande partie au numérique.
Dans un texte célèbre, Max Weber a distingué le savant de lʹhomme politique en fonction de leurs éthiques. Dʹune part, une éthique de la conviction et, de lʹautre, une éthique de la responsabilité. Cette éthique du politique, habitée telle quʹelle est par une volonté dʹaméliorer la société tout en accédant au pouvoir, procède, ou devrait procéder, dʹune véritable connaissance de la société quʹelle cherche à gouverner.
Il semble quʹavec la culture numérique, la politique doit imaginer une nouvelle éthique et une nouvelle manière de faire, plus appropriées à la sociabilité émergente. Lʹaffaire WikiLeaks nʹest que lʹindication, certes significative, dʹune possible fracture numérique en train de sʹinstaller entre les politiques et les citoyens et que seule une véritable prise en compte des réalités et des potentiels de lʹenvironnement numérique peut éviter.
La diplomatie est lʹart de la dissimulation, des subterfuges, mais aussi de la finesse. Il faut désormais quʹelle sʹadapte aux nouvelles conduites sociales induites par les pratiques numériques.
Milad Doueihi, historien (Le grand débat) Article paru dans lʹédition du 07.12.10

SEUILGRANDE CONVERSION NUMÉRIQUE (LA)
DOUEIHI, MILAD
Collection : Librairie du XXIe siècle
ISBN-13 / EAN: 9782020964906
Format : Broché
Pages : 288
Prix : 34,95 $
Paru le 18 février 2008
« Je commencerai par une confession. Je ne suis pas informaticien, ni technologue. Je ne suis pas non plus juriste, spécialisé dans la propriété intellectuelle et les subtilités du copyright. Je me considère comme un numéricien par accident, un simple utilisateur d’ordinateur qui a suivi les changements de l’environnement numérique au cours des vingt dernières années.» C’est sur ces mots que s’ouvre le livre de Milad Doueihi, qui initie ses lecteurs à la grande conversion numérique. Avec déjà un milliard d’usagers, le numérique a une histoire qui se fabrique au jour le jour. Puissance globale, cet assemblage de technologies fragilise les spécificités nationales et locales en suscitant de nouvelles réalités, en politique comme en économie. En modifiant notre identité, nos représentations, nos choix, quels avenirs le numérique peut-il induire ? Qu’en sera-t-il du savoir historique, de nos bibliothèques ? Ni utopie ni fausse prophétie, le numérique est la vulgate moderne. Avec ses faiblesses, ses aveuglements, ses richesses et ses promesses, le numérique est une culture pour tous.
AUTEUR(S)
Historien du religieux dans l’Occident moderne, Milad Doueihi est fellow à l’université de Glasgow, a été invité à faire des conférences dans des universités aux États-Unis et en Europe, notament à l’EHESS à Paris. Outre ses études savantes, il a publié dans la même collection Une histoire perverse du cœur humain (1996) et Le Paradis terrestre. Mythes et philosophies (2006). En 2009 paraîtra Solitude de l’incomparable. Augustin et Spinoza. La Grâce et l’Élection.
Service de presse (pour le Canada seulement) : Gabrielle Cauchy, attachée de presse 514 336-3941 poste 229 / [email protected]
NB : Tous les prix indiqués sont sujets à changements sans préavis.

[Banc d'essais]
16 septembre 2008
La grande conversion numérique
Platon n'a jamais vu une image, Kant n'a jamais vu un film, pas plus que Marx
d'ailleurs. Que diraient tous ces penseurs des mutations que nous observons tous les
jours à la suite de l'introduction des technologies numériques dans tous les secteurs de
nos vies ? Penseraient-ils que quelque chose d'essentiel est détruit, par exemple le texte,
ou le lien humain de la parole, ou penseraient-ils au contraire que cette mutation comme
toutes les précédentes est riche d'un avenir insoupçonné ?
Voici les questions et la réflexion que propose Milad Doueihi dans un livre (et non sur
un site Internet) lu par Georges Leroux.
Milad Doueihi, La grande conversion numérique, Les Éditions du Seuil, 2008.
Traduit de l'anglais par Paul Chemla.
http://www.radio-canada.ca/radio/vousEtesIci/dossiers.asp?idDossier=105956
« On en apprend beaucoup dans ce livre là, je le recommande à tout le monde » –
George Leroux, Radio-Canada / Vous êtes ici




