· poudre aux yeux acte p re m ier premier tableau (salle à manger chez mme d ’angefol,...
TRANSCRIPT
Antoinette M ORTIER
andre aux Yeux
Comédie en 4 actes et 5 tab leaux
P ERSONNAGES
RAFLETOUT,financier ;
MAU RICE VIRTON . petit commis ;
DES BRU Y ! RES , al ias P ALSOU,élégant v iveur ;
D’
ESCROVILLE,ami de Mme Rafletout;
BAURER,ami de Rafiet0 ut;
LAF0 1,créancier ;
DEP ROIE,usurier ;
LE P ! RE DOU !,créancier
JOSEPH valet;
Mme RAFLETOUT‘
M lle CLAIRE RAFLETO UT ;
MAR IE,femme de chambre
JOSÉP HINE , cuisiniere ,
Poudre aux Yeux
ACTE P REM IER
PREMIER TABLEAU
(Salle à manger chez Mme D’
Angefol , mondaine . )
U RSU LE (dressant la tab le) . D écidément
, je n’
aimerais pas que Madame
reçoive tous les j ours du monde à dîner .Encore s i ce n ’était que M . et M me Bañetout et leur fil le
,qui sont touj ours très
généreux , pensez donc , 2 0 francs de pour
boire ! Mai s paraît que ce soi r i l y a deux
extras . Ah ! que j e voudrais déj à les vo i r !Madame me dit que se sont deux Mess ieurs de la haute noblesse ayant équipage . Nous verrons leur pou rbo ire , ce
n ’
est vraiment que par là que l ’on peutj uger les gens vraiment chics .
M me D’
AN GEFOL . Voyons U rsule,un
peu plus d'
empressement j e vous prie .
Mon dieu,j ’entends sonner . Ce sont
peut — être déj à des invités .
U RSULE . N ’ayez crainte,Madame
,
tout est fini et Madame sera sat isfaite de
moi ( Ursule sort. Entrentdes Bruy ères
etd’
Escrovil le. )URSULE . Madame étant encore à sa
toi lette,vous p r ie d ’at tendre unmoment .
D’
E S CROVILLE . Mon cher , MUeBañetout n’est pas une beauté
,mai s i l y a la
dot. I l s ’agit de b ien condui re ta barque ,tu sa is
,l e père est financier et très
fin . Ce qu ’ i l recherche avant tout c'
est
un gendre capable , un gendre qui pourrai t l ’aider dans ses nombreuses añaires.
DES BRUYERES . Ce qui m’
effraye ,
c ’est qu ’
il n’
aille aux informations .
D’
E S CROVI LLE . Quant à ça , mon
cher,so i s tranquil le ; j e su i s , depui s deux
ans,l ’ami servant de M me Rafiet0 ut, et tu
comprends que ce que je lu i di rai sur to i ,el le l e cro ira
,et son mari aussi . U ne
femme de quarante-cinq ans ne croit e11e
pas tout ce que lui d it celui qu i l ’entourede so ins .
DES BRU YERE S . Oh ! j ’en suis b ienheureux ; mais !
D’
E S CROVI LLE . Voyons,voyons , tu
ne vas pas,perdre ton aplomb de mon
daim, j e suppose . D’
abord i l faut absolu
ment en finir, ta posi ti on est par troppéri l leuse . j e comprends que ce n 'estque dans ce cas l à qu ’on songe à se
marier .
DES BRU YERES . S'
il n ’y avait pas ce
satané Deproie, qui ne me connait que
sous l e nom de P alsou,
car pour le
monde élégant j e sui s touj ours desB ruyères
,et qu i ne veut plus ri en me
prêter ; mon tai lleur me refuse auss i de
m‘hab iller; et la pension de mon cheval et
le garage de ma vo iture , pas encore payés .
S’i l s ont patienté si longtemps
,c 'est parce
qu ’ i l s s’
imag inent que mon écurie decourse est à moi . Ah ! s ’ i l s savaient que j e
ne suis que l ’homme de pai ll e d ’un boo !
ma! er . Quant à mon g room ,j e ne sais
pas o! i l s e nourrit, mais j e ne l’ai p lus
payé depuis un an .
Navrant,nav rant ! avoi r 2 5 ans
,ê tre
élégant,beau garçon , gentleman -rider
,
posséder une écuri e de course,et devoi r
se marier avec la fi l l e d ’un financier qui
s ’est enr i chi . Encore s i la fi l l e étai t j ol i e,
mais la ide me dis — tu .
D’
E SCROV1 LLE . Oh ! pas laide ; ne te
figure pas une ho rreur ; tout b onnement ,passable
,enfin une vraie femme à mari er .
DES BRU YERES . Mais voi s-tu,l a vie
fâinéante me lasse ; i l est b ien vrai que l eplus court chemin pour amasser quelquebien
,c ’est encore de travai l ler Mais
notre malheur,à nous autres
,nobles sans
éeus, est de n’être bons à rien . Tu doi s
b ien comprendre qu ’un homme comme
moi,vrai Don j uan ,
ne peut être soldat ,ni commis . Le monde , la soci été n
’ont pascréé d 'emplo i pour nous . Notre seulrefuge est encore la finance ; aussi j e vois
qu’avec M . Rafletout,j e ferai des affai res .
A nous deux , nous remuerons certes le
monde financier ? -É s-tu bien sûr qu ’ i l
donnera i50 mille francs de dot à sa fi lle ?
D’
ESCROVILLE . Mais,mon cher
, Ose
rais — tu en douter Quand l’on vo it
M me Rafietout à toutes l es premièresreprésentationsdu P arc etde la M onnaie,
quelle élégance ! au po int qu’on donne” la
descript ion de ses toi lettes dans l ’Eventail .
Oh ! tout annonce l’
opulence . Un valetde — pied
,une cuis ini ère , une femme de
Chambre . Ils sont très b ien , très b ien .
DES BRU YERES . Ca promet , c’est la
Splendeur bourgeoi se . Tu sais , hier so ir
j ’ai gagné au Joc! ey Club , de quoi faire
les choses,suffisamment b ien
,pour la
corbei l l e
D’
ESCROVILLE . D i s -mo i,à combien
s’élèvent en touttes dette
‘
s'
?
DES BRUYERES . Oh ! mon cher,une
bagatel le . Quarante mi l le francs pourl ’ instal lati on de ma garçonnière, cinq
mille francs pour mon attelage,deux
mille francs chez mon chapel i er,dix mi l le
francs de bij oux que m ’a procuré l ’usurier Chagelmann ,
quatre mill e francs chez
mon tai l leur et une trentaine de mil le
francs à l 'usurier Deproie. Environ une
centaine de mi lle francs. il me restera
donc après la noce cinquante mil le francs ,j uste de quoi lancer une affaire financière .
D’
ESCROVILLE . Tu sais que tu doisbien te préparer ; car Rafietout est trèsfin
,il te questionnera sur ta fortune .
DES BRUYERES . N’oubl ies pas de
dire j’
ai2 0 hectares en Campine quivalent dix mille francs
,hypothéqués du
double , mais cela peut se mettre en
actions , pour en extraire n’ importe quoi .
Par exemple Société anonyme des Con
cessionsminières des Bruy ères en Cam
pine. Quel beau titre,ne trouves— tu pas ,
pour une affaire financière . Etpui s vo istu
,j ’ai envie de deveni r un homme pol i
t ique .
D’
E S CROVILLE . Mon cher,j e te cro i s
assez hab ile pour cela .
DES BRUYERES . Mais j e vais d ’abordcommencer par être j ournal i ste financier .
D’ESCROVILLE . Toi, tu ne sa is pas
écri re deux l ignes .
DES BR UYERES . Oh ! ça , i l y a desj ournal istes financiers qui écrivent etd ’autres qui rempli ssent des j ournaux
avec des coupures,et voi s — tu
,j e serai de
ces derniers . Avo ir son nom i mprimé en
tête d ’un j ournal , cela pose
M DES BRUYERES
Directeur du Tremb lementF inancier
L ’on me d i sa i t l ’autre j our que dans
certaines sociétés,l ’on ne donnait qu 'au—x
journauxn’
écrivantj amais ; ceux-ci n ’étantpas dangereux , parce que dans la financei l se passe souvent des choses qu i nepeuvent pas être écrites . Fai re fortune
avec mon journal , je ne le pourrai j amaisj e ne me sens pas assez de talent pour
inspi rer la peur . Tu sai s qu ’en finance on
est très craintif à cause du tas de l ing esale qu 'on a dans des peti ts co ins , et qu
’onne peut que d ifficilement blanchir . N éan
moins, je connais parfaitement notre
époque ; en dinant , en j ouant, et en faisantdes det tes
,j ’ai fai t mon éducation et
tu verras que le lendemain de mon ma
riage j’aurai un ai r grave . Et puis , j e
deviendrai soc1al -évolutîonniste . Vois — tu ,
c ’est à l a mode . Le part i du j our s ’appelle
social , sans doute parce qu’ i l est i nsocial ;
chez nous,i l faut to uj ours prend re
l ’envers du mot pour en trouver la vrai e
significati on .
D'
E SCROVILLE . Entre nous,tu pas
seras,certes
,pour avo i r de l ’espri t au
près des g ens qui ne parlent pas ; mai sj e me demande ce que tu feras
,car i l
faut un peu de savo i r
M me D’
AN GEFOL .— Bonj our
,Messieurs
,
mi l le excuses de vous avo i r fai t attendre .
T i ens,vo i là M . ,
M me et Mel le Rafletout,
et M . Virton ,mon protégé . M . d
’
Escro
vi lle et M . des Bruyères , j e vous prése nte
M .
,Mme etMelle Rafietout.
DES BRUYERES . Tiens,mais ce peti t
j eune homme , pas mal du tout, me semblefaire des yeux doux à l ’héritière .
D'
E S CROVILLE . A l ’héritage,mais on
l ’a refusé,pour to i ; il est orphel in et pro
tégé de l a maîtresse de la maison ,on le
d i t po sséder une t rentaine de mill e francs .
DES BRUYERES . Une bagatel le,mai s
voyons, ne lui déplai sons pas . (M ”e Claire
se débarrasse de ses fourrures. )DES BRUYERES ( la lorg nant) d
’
Escro
ville. Pas mal,du tout . S urtou t bien
mise et l 'ai r d istinguée , enfin tel l e mère,
tell e fi l le .
URSULE , Madame est servi e .
RAFLETO UT . Voyez-vous Messieurs,
j ’ai peut— être été trop sévère,pour ce
j eune homme ; figurez-vous qu ’ i l ose avoi rdes vues sur ma fi l le ; c
’est ma femme qui
m ’a dit cela . M ais avec 3 0 mill e francs , et
un pet it commis à francs .
DES BRUYERES . Certes,on ne va pas
très lo in,avec cela .
RAFLETOU T . On ne fai t que végéter .
Et puis i l avait déj à mis ma femme
de son part i . Je vous demande un peu !Oser s ’attaquer à la fi l le d'
un financier
qui connaî t l es affai res !DES BRUYERES . Oh ! mais vous n ’êtes
pas homme,j e pense
,à donner votre fi l le
,
ri che,spirituelle et élég ante , au premier
venu .
RAFLETOU T . Voyons,Clai re
,ce Mon
sieur adore la musique .
DBS BRUYERES . EtM . d’
Escroville
m'
a tantvanté la superbe vo ix,de Made
moisel le. (Claire se lève etva aupiano ;
des Bruyères l’
accompag ne et tourne
lesp ag es. )DES BRUYERES . Mademoisel le
,toutes
mes fél ici tations ; quel le superbe vo ix ,une vraie a rt is te ; j e suis pour vous pleind ’admi ration .
RAFLETOU T . N ’est — ce pas,Monsieur ,
quel le j oli e voix et quel talent .
DES BRUYERES . Autant de talentqueM onsieurson père en a à faire des
—
affaires .
Un de mes amis me d isait dernièrement
que, vous en avez fai t d’énormes depuis
huit ans .
RAFLETÔUT . O ui, j
'
en ai fait de trèsbel les
,mais à l ’aveni r
,j e promets de
mettre mon gendre pouf la moitié dansmes futures affai res
,lesquelles seront
encore p lus bril lantes ; mais avant tout
promettez-m 0 i , tous, que le j our dumariage de ma fil le
,vous y assi sterez ;
PREM IE R ACTE
DEU! IEME TABLEAU
(Un salon Louis ! Vor, chez Rafletout)
J OSEPH (tenantlep lumeau en action) .Il a beau pouvoir bien nager ce pauvre
M . Rafletout, mai s j e cro is qu ’ i l s e noiera .
O h ! s ’ i l n ’y avait pas les profits , cela i l yen‘ a touj ours chez les maîtres embarras
sés,j e cro i s qu ’
il serai t temps de se faire
mettre à l a porte ,
°
M afs voi là,i l me
doit une année de gag es . Et pui s , il
y a encore ce propri étaire qui est capable
de nous chasser tous ,Le si nge lu i
do it déj à six mo is etdepuis troi s moi s l e
mobi l ier est sais i e t inscrit p ièce à p 1 ece .
Ce beau mobi l ier qui vaut certes b ienvingt mil le francs . Ce qui est le plusgênant
,c ’est que j e sui s forcé de payer
tout ce que j ’achète .
MARIE . D i tes , Monsi eur j oseph ,
cela va -t- i l encore durer longtemp s
]OSEPHINE . J’
aidéj à servi dans b iendes mai sons bourgeoises , mais j e n
'en aiencore j amais rencontré une comme cel le
c i . S i cela devait cont inuer , j e l ai sseraisplutôtlà les fourneaux et me présenterais
à un théâtre pour j ouer la comédie .
J OSEPH . Tu a raison, j osephine ,
nous ne faisons pas autre chose ic i toutela j ournée .
M ARIE . Etmoi donc qui do it ouvri rla porte . Quand i l se présente un créan
cier i l fauttouj ours prendre un ai r comme
si l on tombai t de la lune . Comment ,M onsieur , vous ne savez pas Monsieurest en voyage pour une bel le affaire , i l a
découvert une mine de charbon de terre .
Ah ! ah ! tant mieux. Q uand revient-il ?Nous ne le savons pas .
]OSÉ P HINE . N’
avez — vous pas remar
qué que Madame et Mademoisel le ont
b ien du chagrinMARIE . Moi
,quand on me demande
Monsieur est i l l à ? j e d is touj ours non
bons bou rgeois vi s-à —vi s de leurs dom es
MARIE . Oh ! moi,j e ne m ’
en i ra i pasd
'
ici , Cela m ’amuse de trop et j e veux
savo i r comment cela va finir . j e tourmentel ’amoureux de Mademoisell e
,le petitpro
tég é de M me D’
Ang efol , qu’el le épousera
sans doute , car ces dames ont commandédes robes et des chapeaux . Tantôt , l
’on
est déj à venu avec des cartons,mais i l s
n ’ont ri en voulu l ivrer,sans argent!
J OSEPHINE . S’
il y a un mariage envue , nous aurons tous des gratifications,restons donc j usqu ’au lendemain du mariege .
J OSEPH . Croyez — vous que ce soit à cepeti t j eune homme
,commis à 1 50 francs
,
que Monsieur mariera sa fi lle ? A llonsdonc !MARIE . Mais i ls s
'
adorent! Madamequi sort souvent le soir sans sa fi l le , ne sedoute pas de cette intrigue . Le pet i t
commis vi ent dès que Mademoisel le es t
Seule . O h ? mais , ils sont b ien sages , cartrès souvent j
'
entre à l’
improviste , et j e
les dérange et j e les écoute . Pui s Made
moiselle,comme toutes les demoisel les
pas j ol ies , l’
éprouve ,afin d 'être b ien sûre
d ’être aimée pour el le -même . Le peti t ladistrai t
,en l isant des romans , tandis que
Mademoi sel le travail le à sa broderie et
cela dure , depuis deux ou tro is mo is . E t
tu sais,ce que Mademoisel le di t l e soi r à
sa mère ? Maman,M . Virton est venu
pour te voi r,et j e l ’ai reçu .
J OSEPHINE . Ce que moi , j’aimerai s
à savoi r,c’est ce que se di sent les bour
g eois en se fai sant l a cou r .
MARIE . Oh ! un tas de bêtises ! I l s
ne parlent que de l ’ i déalJ OSEPH . U n gal imatias
,quoi !
MARIE . Moi,j ’a i
,un j our
,lu une
lettre d ’amour,on ne parl a i t là dedans
que de mon angeJ OSEPHINE . Oh ! mon ange !MARI E . Ah
,quand on vous prend l a
tai l le en disant mon ange cela doit
être genti l,et puis mon âme est rempl ie
d ’amour ; vos regards m’ont guér i de la
maladie du doute
J OSEPHINE . Est— ce que l ’amour ba ragouine comme cela ? Tenez
,moi
,j ’ai
,un
j our,reçu une lettre d ’un j ol i j eune
homme,un étudiant j e la sais par cœur
(parlant) Femme charmante ça vaut
bien un cher ange,
accordez—moi un
rendez-vous etc ’étai t signé CharlesO SEP H . Et que vous a - t - i l racontéO SÉ P H IN E . j e ne l
’ai j amai s revu ; i laura sans doute su qui j ‘étais et la bêteaura rougi de mon tabli er .
J OSEPH . Moi , j’ai une grande nou
vel le à vous annoncer . L’
épicier d’en
face vient de me dire que , hier , i l est venuchez lui deux chics j eunes gens en dog
car ; l e groom a dit à sa femme,qu’un
de ces Me ssieurs al lait épouser M ademoi
sel le . Et Monsieur avait donné l e matincent francs à l ’épicier.
MARIE et ] O S É P H IN E . Cent francsJ OSEPH . Oui
,oui
,cent francs
,don
nés en argent pour que l ’épicier dise à
ces Messi eurs et au groom que le singeest s i r iche
,qu ’ i l ne connaît pas même
les l imites de sa fortune .
J OSEPHINE . S eraient -ce ces deuxMessieurs avec des gants j aunes
,à beaux
g il ets . Leur cheval avai t des fleurs là
( el le montre son oreille) . I l étai t tenu par
un groom . Et ce beau j eune homme qui
a tout cela et même des diamants à sac ravate oh il s brillaient j usqu ’au
trottoi r d‘
en face épouserai t Mademoi
sel le Al lons,c ’est une farce .
MARIE . Mademoisel le qui n ’est pasj ol i e
,une figure d’
héritière,sans héritage .
A l lons donc
JOSÉ P H INE . Mais vous oubl iez que
Mademoisel le chan—te bi en ; quelquefoi s
j e l’écoute et j e me dis ah ! que je
voudrais savoi r chanter comme el le
J O SEPH . Mais vous ne connai ssez
pas Mons ieur,comme moi
,qui suis chez
lu i depuis sep t ans et qu i le voi t , depuis
la cri se,aux prises avec ses créanciers . j e
l e cro is capable de tout,même de deveni r
mil l ionnaire . Vous n ’avez j ama is lu les
j ournaux financiers , vous autres . Tous lesans
,c ’étai t du nouveau des soc i étés du
bois en pavés,des pavés fi lés en so ie
,
enfin j usqu ’au blanchissage électrique
mis en action . C ’est du beau . Et pui s ,
sa caisse,i l a beau la remp l i r , el le esttou
j ours vide,j e ne sais vraiment pas par o!
elle est trouée . Tenez , un j our i l s ecouche triste
,abattu
,l e lendemain i l se
révei lle riche car i l t ravai lle à effrayer .
j e le vo is chiffre r, calculer,fai re des
prospectus d 'émissions,qui sont de vrai s
pièges à loups , pour les act ionnai res .
Mais i l a beau lancer des affaires,i l a tou
j ours des créanciers,et i l l es promène et
i l l es retourne . Ah ! que de fo is j e les ai
vus arrivant,l e menaçant de le fai re
mettre en prison . Eh bien ! i l l eur parleetils sortent l es mei lleurs amis du monde .
I l s débutent par des cri s de paon , etterminent par des cher M . Rafietout
Faut pas demander s ’ i l est fort,quand
on peut maintenir pai sibles des usurierscomme ce D epr0 ie .
MARIE . Un tigre qui se nourri t de
bil lets de banque .
J O SEPH . Ce pauvre père Doux .
JOS ÉP H IN E . Ah ! oui ce pauvre
homme,j ’ai touj ours envi e de luidonner
un bovri l,mais chut ! j ’entends Madame .
J O SEPH . E coutez , soyons b ien g en
t i ls. Nous saurons quelque chose dumariage .
M me RAFLETO UT . Avez —vous déj à
vu Monsieur ?M ARIE . Madame ne m ’a seulement
pas sonnée,pour se lever .
Mme RAFLETOU T . En ne trouvant
pas Monsieur dans sa chambre,j ’ai été
prise d’
inquiétude. Joseph ,aveZ-vous déj à
vu Monsieur ?
J O SEPH . J’
aivu Monsieur en discuss ion avec son propriétaire .
M me RAFLETO UT . Merci .MARIE . Madame est sans doute
peinée de ce qu ’on n’ai t pas voulu l ivrer
les commandes ?J OSEPHINE . Madame sait -el le que les
fournisseurs ne veulentM me RAFLETOUT . Oui
,j e sais .
J OSEP H . Ce sont les usuriers qui sontl a cause de tout le mal . Le j our que j e
connaîtrai un tour à leur j ouer,j e ne
le manquerai pas .
M me RAFLETOU T . Le meil leur serai.
de les payer !J OSEP H . D ieu ! qu ’ i l s serai ent éton
nés .
MARIE . Et i l s ne sauraient plus que
faire de leur temps . Pensez -donc,ne plus
devo i r se promener aux environs de la
Bourse .
M me RAFLETOU T . S ivous saviez l ’ inquiétude que me causen t les affaires de
mon mari . J ’espère bien que nous pourrons comp te r sur vous ; car nous aurons
beso in de votre discrét ion .
TOUS . Ah ! Madame .
Mme RAFLETO UT . Vous savez que
M onsieura beaucoup de ressources , beau
coup d ’ idées . S uivez donc bien ses instruot ions .
MARIE . Oh ! Madame,J oséphine et
moi,nous passer i ons dans le feu pour
vous ! Je l e d isais encore tantôt , que nousavions de bons maîtres qui
,certes
,dans
leur prospéri té futu re,se souviendraient
de la manière dont nous les aid ions dansleurs débo ires .
J OSEPH . Etmoi j e disais que j e ser
virai s Monsieur , tant que j’au rai s de quo i
vivre et j ’espère que dès que Monsieur
aura réellement une bonne affaire i l nousen fera profiter .
1 9
Mme RAFLETOU T . Oh ! certainement,
vous serez récompensé, Joseph ,
car vousaurez une bonne place dans sa premièreentrepri se sol ide . Mais surtout vei llez à
ce qu 'on ne s’
aperçoive point de notregêne momentanée
,car i l se présente un
parti pour M l le Claire .
MARIE . Certes,Mademoisel le méri te
b ien d ’être heureuse ; el le est s i bonne , s iinstru ite
,s i élégante
,s i b ien élevée .
J OSEPHINE . E tquel le j ol i e voix en
core plus p i re qu ’un z’
oiseau .
J OSEPH . Auss i est — ce un crime que
d ’enlever à une j eune fi l le tous ses moyens
pour p lai re,en lu i refusant ses to il ettes .
Marie,vous vous y serez sans doute mal
prise . S i Ma dame veut me di re le nomdu futur
,j ’ i ra i v i te chez tous ces gens et
leur di rai que j e puis envoyer chez eux ce
Mons ieur . (Interrog eant. ) Monsieur !?
M me RAFLETOU T . des Bruyères .
J OSEPH . M . des Bruyères , pour lacorbei ll e
,et vous verrez s ’ i l s refuseront.
MARIE . Mais pourquo i Madame nem ‘a — b ell e pas parl é de ce mariag e ? Sij
‘
avais su cela, j
’
aurai°—tout obtenu , carl ’ idée de J oseph est excel lente .
Mme RAFLETOU T . Oh ! i l s ne perdrontpas un centime .
M . RAFLETO U T (entrant, à sa f emme) .
20
J OSEPH INE . Monsieur ? mais lesfournisseurs ?M . RAFLETOU T . Comment
,vous osez
ine parler des fourni sseurs l e j our des
fiançai lles de ma fil le !J OSEPHINE . I l s ne veulent plus ri en
l ivrer .
M . RAFLETOU T . A l lez alors chezleurs concurrents à qui vous donnerez macl ientèle et vous verrez qu ' i l s vous don
nerontdes étrennes .
J OSEP HINE . E t comment vai s -j epayer ceux que j e quitte ?M . RAP LETO UT . Cela les regarde !
Ne vous tourmentez pas pour cela .
(A p art. ) Je me doutai s b ien que cettefi l l e devaitavoir des économies . ( P arlant. )J oséphine
,ne savez —vous donc pas qu ’ac
tuellement l e crédi t est toute la richesse
des gouvernements mes fournisseursoseraient- i l s donc meconnaître les lo i s deleur pays ? S
’
i l s ne me laissaient pas tranqui l le
,i l s seraient inconstitutionnel s . Ne
me brisez donc pas la tête pour des gens
en insurrection contre l e principe vi tal de
tous les Etats . ! Montrez-mo i ce que vous
êtes, une vraie grande cuis ini ère . Et
,s i l e
lendemain du mariage de ma fil l e,Ma
dame,en comptant avec vous, se trouve
vous devoi r,j e réponds de tout , moi . Al lez ,
22
j e vous ferai gagner du 1 0 p . c . tous les s ix
moi s . Que la Caisse d‘
Ep arg ne en fasse
autantJ OSEPHINE . E l l e ne donne que 2 p . c .
par an .
M . RAFLETO UT . Comment vous mettez votre argent en des mains étrangè res
,
al o rs qu ’i ci votre petit magot ne vous
quitterait pas
J OSEPHINE ( triomphante) . I O p . c .
tous les s ix mois ! M adame. ) Quantau second service
,Madame n ’a qu a me
donne r des Ordres . (Ellesort; M adame et
M onsieur seuls. )M . RAP LETO UT (reg ardant partir Jo
séphine) , Comment tu ne sais pas quecette fi l le a I
,OOO francs à la Caisse
d'
Eparg ne,qu ’
el l e nous a volés Aussipour l e dîner , nous pourrons être tranquil les .
M me RAFLETO UT . Oh Monsieur,
j usqu ’o ! descendez —vous
M . RAFLETOU T . Mais j e vous admire
vous ; vous qui avez une existence que
tout le monde envie,qui allez tous les
j ours dans l e monde avec 'notre ami d’Es
crovi lle .
M me'RAFLETO UT . M ai s c’est vous qu iavez voulu qu ’ i l m'
accompagnât.
M . RAFLETOU T . Naturel lement ; on
ne peut pas être aux affaires et à safemme . Enfin , vous faites l
’
élégante etla belle !
M me RAFLETOU T . Vous me l ’avez
o rdonné .
M . RAFLETO UT . Oui , parce qu’ i l le
faut ; la femme d’un financier est une en
seigne pour lui . Quant au théâ tre,vous
exhibez une nouvelle to i lette ou une nouvel le parure
,l e publ ic se dit Les
M ines du Gog oland vont bien ,ou les
Bois reconstitués de l’
Anzazone sont en
hausse,car M me Rafietout est d ’une ele
gance. D i eu veuil le seulement que lesactionnai res de ma nouvelle affai re des
M ines de cuivre de Verap lus so ientadmises à la cote de la Bourse
,et vous
aurez votre équipag e .
M me RAFLETOU T . Me croyez-vous doncindifférente à vos continuel s tourments ?
M . RAFLETOU T . Je vous en pri e , ne
jugez pas l es moyens dont j e me sers .
Pas plus tard que tantôt , j e vous surpre
nais parlant à vos domestiques avec douceu r
,alors qu ’ i l fal lai t commander brie
vement comme un capitaine de gardecivi que .
M me RAFLETOU T . Commander quand
on ne sai t pas payer ?M . RAFLETO U T . Mais on paye d ’au
dace . Car n ’allez pas croi re à l 'affection ,
vous ne connaîtriez pas notre époque ;les domestiques ne s ’attachent plus à
leurs maîtres mais ayez leur argent , i l s
vous seront devoués. ( I l tire unepiècedecent sous de sa p oche. ) Et puis voi cil ’honneur moderne . S i vous avez pu fai refortune en vendant du p lâtre pour du
sucre,sans poursu ites j udiciai res , mais
vous devenez sénateur,et même m ini stre
,
etparfo is même baron . Enfin , que trouvez -vous d e déshonorant à devo ir ? Est- i ld ’
ai l leurs un seul empire , un seulroyaume
,une seul e vi l le qui n ’ai t pas ses
dettes ? La vie , Madame , est un perpé
tuel emprunt . Et n'
emprunte pas quiveut . En somme
,ne sui s -j e pas supérieu r
à mes créancier s ? J’ai leur argent , ils
attendent le m ien . Un homme qui ne
doi t vraiment rien,personne ne pense à
lu i , tandis que mes créanc iers s ’ interessent à moi .M me RAFLET OU T . Un peu trop
,mais
emprunter etne pouvo ir rendre . Enfin,j e
n ’ose vous d ire ce que j ’en pense . J’
en a ipeur !
M . RAFLETO U T . Oh ! un hommefaible se serai t déj à suicidé . Eh bien ne
blâmez donc pas les ruses que j’
emploie
pour g arder ma place à la Bourse , et en
25
fai sant cro ire à ma g rande puissance
financière . Aussi , est-ce vous qui devezm ’aider à cacher notre gêne sous lesdehors du plus grand luxe ! S oyez bientranquil le
,plus d ’un financier fai t bi en
pis que moi .
M me RAFLETOU T . Mais pourvu que,
dans votre détresse,votre honneur so it
touj ours sauf.M . RAFLETOU T . Pourquoi
,Madame
,
vous attri ster sur l e sort de mes créan
ciers . N’
avons—n0 us donc pas dû , leurargent à leur avid ité ? S péculateurs et
act ionnaires se valent,il s veulent tous
deux être ri ches . Et ne pensez-vous pas
que tous mes actionnai res croi ent encore
t irer quelque chose de moi .Mme RAFLETO UT . Pas tous ne m ’
ef
fray—ent,mais ce Deproie ,
il est intraitable ;l ’un ou l ’autre j our
,i l va vous forcer à
déposer votre bilan , ou i l i ra porter ses
doléances au Torpil leur Financier , quimènera campagne contre vous et vosaffaires .
M . RAFLETOU T . Tant que j’
existerai,
j amais ! Car voyez-vous , l es mines d’or ne
sont plus au Transvaal,mais à la Bourse
et,j e veux y rester j usqu ’à ce que j ’aie
t rouvé mon fi l on .
26
DEU ! IEME ACTE
TROISIEME TABLEAU
(Bureau de Rafletout. Celui -ci assis devant sonbureau ; il litles journaux financiers. )
DE P RO IE . Quel bonh eur de vousrencontre r . Auss i faut —il s ’y prendre . Lematin on trouve la porte ouverte et l es
gardiens absents . (M adame,inquiète,
entrantpar une p orte de droite. M on
sieur luifaitsig ne de se tranquil lz‘
ser .)M . RAFLETO U T . Comment des gar
diens? S erious—nous par hasard des bête scurieuses . Vous êtes impayabl e .
DEP RO IE . Non,Monsieur
,j e sui s
touj ou rs impayé , et ne saurai s plus me
contenter de paroles .
M . RAFLETOU T , Vous faudrait- i l desactions ; j
’en ai des tas avous donner en
payement ; si vous les dés irez ,j e suis tout
d isposé !
DE P RO IE . Assez de p laisanteri es, je
veux en finir .
M me RAFLETOU T . Oh ! Monsieur ,moi j e vous offre .
DEP ROIE . Tiens , bonj our M adame ,enchanté de vous voir !
M . RAFLETOU T . Les femmes n ’en
tendent presque rien aux affai res , et ma
femme a tort de se mêler de notre conversation . Ma chère
,ce Monsieur
,vient me
demander l e rem boursement de sa créance
capital,i ntérêts et frais
,car vous ne
m ’avez pas épargné,nous qui faisi ons
j adis tant de bonnes affaires ensemble .
DE P RO IE . D os affai res O ! tout n’éta i t
pas bénéfice .
M . RAFLETOU T . S i les affaires ne
donnaient que des bénéfices,l e monde
entier en ferait . Et le méri te alo rs,o!
serait—il ? (A .Wadame. ) Tu vois , ce Mon
sieur me poursuit comme un l ièvre .
— (A
Deproie. ) A l lons , al lons , c‘
onvenez -em,
vous vous êtes mal conduit . Un autre quemoi se vengerai t rudement , e t vous ferait
perdre une grosse somme .
DE P RO IE . En ne me payant pas,
mais vous me payerez demain ou j e vousfai s poursuivre .
M . RAP LETOU T . Oh ! i l ne s’
agitnullement de ce que j e vous dois
,mais
b ien de cap itaux p lus considérables . Ce
que cela m’a étonné de vous savoir
engagé dans cette affai re - là , vous , un
homme d’
un coup d ’œi l s i sûr ; mais
n’
avons-nous pas tous nos moments d ’erreur ! ( A saf emme. ) Tu ne le cro i ra 1 5 pas ,
28
encore de retenir Dep roie, et le suitj us
qu’
à la porte. )M me RAFLELOU T . Que c ’est prodi
g ieux !
M . RAFLETOU T . Je ne sais mêmeplus l e reteni r .
M me RAFLETOU T . Est—ce seulementv rai ce que vous lu i avez dit là ?M . RAFLETOU T . Non
,mais j e vai s
ar ranger celà avec Baurer ; i l faut qu’ i l
annonce ce so ir dans son j ournal,qu 'un
éboulement s ’est produit dans les M inesdu Gog oland,
une entreprise douteuse,
mais qui est d evenue bonne . Baurer
organisera en Bourse la panique . Et s ’ i l
réu ss it à faire tomber l ’affaire,nous ra
chetons tout à bas prix . Mais voyons,
causons un peu de notre grande a ffai re
l e mariage de notre fi l le .
M me RAFLETOU T . S i vous m ’
aviez
prise pour votre cai ssier , nous aurions
actuel lement deux cent mil le francs .
M . RAFLETO U T . A l lons donc et
pourquoi fai re ? Pour nous enfouir en
province . Al o rs vous n ’auri ez pas connu
d’
Escrov ille , qui vous plaî t tant et qui va
nous débarrass er de notre Clai re . Ah l a
pauvre en fant,elle n ’est pas j ol i e ,
M me RAFLETOU T . Les hommes sen
sés pensent que la beauté passe .
3 0
M . RAFLETOU T . Mais i l y en a de
plus sensés qui disent que la laideur reste .
Ce qui m ' inquiète c ’est la p assion subite
de ce j eune homme . J ’aimerais beaucoupconnaître ce qui l ’a charmé dans ma fi lle .
M me RAFLETOU T . Clai re est trè s
distinguée,el le a une vo ix dél icieuse ,
elle est mus'
cienne,très aimable et sur
tout très instruite .
M . RAFLETOU T . A l lez la chercher ,car i l faut l ’i nviter à p rendre M . des
B ruyè res au sérieux . (M adame sort. )A cette époque
,bien marier une fi l le ,
j eune et bel le,est déj à un problème assez
diffici le à résoudre,mais marier une fi l le
de médiocre beauté , qui n’apporte pour
toute dot que sa vertu,n ’est-cc pas une
œuvre d iabol ique ; d’Escrov ille doi t avo i r
beaucoup d ’
affection pour ma femme
qu ’ i l se cro i t obl ig é de marier C laire avantag eusement. Quant à M . des Bruyères
,
rien qu ’à l e voi r à cheval au Bois,l ’en
semble de son équipage,son atti tude aux
courses O ! i l est entouré d ’un monde elegant
,le père l e p lus exigeant serait sati s
fait . J’
ai été déj euner chez lu i,superbe
appartement dans le haut de la vi l le,bel le
argenter i e à ses armes,ce n’était pas de
l'
emprunté . Mais vo ilà,i l est las des
succès de femmes . Pui s d'
Escroville ne
3 1
m ’a-t— ii pas dit qu ’ i l avai t été ravi de la
j ol i e voix de Claire , qu’ i l a entendue chez
M me d’
Angefol . Enfin , ma fi l l e fai t unsuperbe mariage . Quant à lu i ? Oh ! lui !
(EntrentM adame etM ”6 Claire. )Mme RAP LETOU T Clai re
,votre père et
moi avons à vous parl er au suj et de votremariage . Le parti qui se présente est vrai
ment superbe . Comme le dîner de fian
çailles a l ieu ce so ir , j e vous engageraià être très charmante pour M . des Bruyères ; d
’abord,en digne mère
,j e n’ai ri en
épargné pour votre to il ette,laquelle est
ravissante .
CLAIRE . Mais,mon père
,j e ne me
sens aucune affection pour ce monsieur .M . Vi r ton
,n ’est -il pas venu vous causer ?
M . RAP LETOU T . Commen t ! encore
ce peti t commis ? Votre mère m ’a parlé
de cette peti te intrigue ; vous l ’aimez
donc bien ?
CLAIRE . Oui,papa .
M . RAFLETOU T . ! tes -vous aimée ?
Mme RAFLETO UT . Vous aime—t—il ?
CLAIRE . Oui,maman .
M . RAFLETOU T . O ui, papa ; oui .
maman . Pourquo i pas , nanan,dada
Quand les fi l les sont maj eures , el les vou
parlent encore comme si el les sortaién
de nourrice !
Mm? RAFLETOU T . M ai s quelles preu
ves avez -vous d’être aimée .
CLAIRE . La preuve,c ’est qu
’ i l veut
m’
épouser.
M me RAFLETOU T . Quand l ’avez—vousdonc vu ?CLAIRE . L e soi r , quand vous étiez
sortie .
M me RAFLETOU T . Je vous croyaisplus sérieuse et plus rai sonnable que de
songer à un trop j eune homme qui nepeut apprécier toutes vos qual i tés et tousvos charmes .
M . RAFLETOU T . D ’abord,mademoi
sel le,apprenez ceci ! c
’est qu’
un peti t
emp loyé à dix—huit cents francs ne sai t pasaimer et ne peut pas aimer
,car i l n ’en a
pas l e temps,i l ne peut songer qu ’à son
travail et à son aveni r . L’
amour n ’est quepour les oisifs
, les propri étaires , l es mi l
lionnaires,les gens à équipages ceux-l à
seuls savent et peuvent aimer . Je medemande ce que vous feriez le ‘ lendemain de vos noces
,s i j e consentais
à vous marier à ce peti t Virton . Je suis
certain que vous n ’y avez même pas-0 ngé !
CLAIRE . Certainement,mon père .
M me RAFLETOU T . Le croi rait—ou ?M . RAFLETOUT (â madame) . Lais
33
sous l a causer . (A Claire. ) Pa r l es , mafi lle
,j e t’-écoute .
CLAIRE . Nous nous aimerons .M . RAFLETOU T . Mais l ’amour ne
vous enverra pas des coupons de rente aubout de ses flèches .
CLAIRE . Oh mon père,noushabi
terons un peti t appartement dans la -banl ieue
,j e m ’
occuperai du ménage avec
plai s i r en songeant que c ’est pour lui i lne s’
apercevra même pas de notre gêne .
Ensuite , j e gagnerai bien un peu avecma broderi e. Et puis , l
’amour nous ferapasser agréablement les j ours di ffici les .
Maurice est ambitieux et tu verras qu ’ i l
arrivera,il a tant de volonté que j e l e vois
encore un j our deveni r ministre .
M . RAP LETOU T . Oh ! auj ourd ’hui,l es
j eunes gens au sorti r du col lège se voienttous , grand poète , grand S aistu ce qu ’
il deviendra ton Maurice ? Père
d 'un tas d ’enfants qui te pl ongeront dans
une misère no i re . Tu croi s que l ’amourest le seul bonheur dans le mar iage ; tu t etrompes comme ces tas d ’aut res qui mettent leur faute sur l e compte du hasard et
qu i s’en prennent de leur malheur à lasoci été
,qu ’ i ls boul eversent . Bah ! Bah !
ne songes p lus a certe amourette qui n ’a
même rien de sérieux
34
CLAIRE . Comment r ien de sérieux,
mon père ? Mais de par t et d ’autre nous
sacrifierons tout pour notre amour .
Mme RAFLETOU T . Comment Claire,
tu ne sacrifierais même pas cet amourpour sauver ton pè re
,pour lu i lai sser cet
honneur que les famil les do ivent garder
intact !M . RAFLETOU T . Mais malheureuse
enfant , et tes romans O ! l’
on prêche l edévouement , à quoi vous servent— i l s alors ?
Avez -vous seulement pa rl é à v otre Mauri ce de votre bel le existence
,dans un
quarti er de la b anl ieue,avec un j ardin
sur le rebord de la fenêtre et de la charcuterie à manger le so ir ? Je su i s sûre qu
’ i lnous cro it ri ches .
CLAIRE . Oh ! i l n ’a j amai s été question
,entre nous
,d ’argent .
M . RAFLETOU T M adane) . Cettefois-ci
,j e l ’ai . (A C laire. ) Vous al lez à
l ’ instant lui écrire de venir me causer .
CLAIRE Oh ! monpère
M . RAFLETOU T . Ce so i r,M . des
Bruyères vient dîner ici,l e jeune homme
vous recherche,voi là donc votre preten
dant.Vous ne deviendrez pas M meVirton,
mais b ien M me des Bruyères , au l i eud 'al ler habiter en banl ieue
,vous habi
terez une j ol ie maison en vi l le , Vous avez
suffisamment d’instructio
‘
n pour j ouer unrôl e bri l lant en V l lle . Vous dev i endrezpeut— être la femme d ’un m ini stre
,et j e
regrette même beaucoup , ma fi l le,de
n ’avoi r pas mieux à vous offri r .
CLAIRE . Mon dieu mon père,ne
rail lez pas mon amour,mais lai ssez—moi
,
j e vous en p r i e,p lutôt accepter le bon
b eur et la pauvreté que la r i chesse et l e
malheur .
M me RAFLETOU T . Claire,l ’espérance
des parents doi t êt re la leçon des enfants .
Ne faisons— nous pas en ce moment unerude épreuve de la vie . Aussi , i l n
’y a pas
de m alheur que la fortune n’
adoucisse .
Ecoutes, ma fi l le,marie -to i richement .
CLAIRE . C ’est vous,ma mère , qui
me dites ces tr istes paroles ? M on père,
ne vous ai-j e pas souvent entendu parlerde gens riches
,sans force contre l e mal
heur , ruinés par leu rs propres vices etplongeant leur fami lle dans la misère .
Dans ce cas,n
’
aurait— il pas mieux valu
marier leur fi l l e à un homme sans fortune
mais capable,par son travail
,sa volonté
d ’en gagner une Je ne doute pas pourcela que M . des Bruyères ne so it pasriche , sp i ri tuel e t plein de tal ent .M . RAFLETOU T . Ma fil le
,vous j uge
36
M RAP LETOU T Oh ! pas un mil l ion
naire .
LAFO I . Vous comp renez ai sémentque ce superbe parti va calmer nombrede vos créanciers . Tenez , moi —même , j
’airep ri s mes pièces et D eproie, que j e v 1 ens
de rencontrer,en a faittout autant .
M . RA FLETOU T . Vous al l i ez doncmefaire poursuivre .
LAFOI . D iable , i l y avait deux ans .
Jamais j e n ’ai pati enté s i longtemps . S ice
futur mariage n’est que de la poudre auxyeux
,j e vous en fais mon comp l iment .
Ah ! mon cher , ce que vous nous avez
promenés , avec des relai s d’espérance .
Ma parole,c’
coup- ci
,vous êtes ingénieux ;
un gend re , cela va vous faire gagner dutemps . A fi l le sans fortune
,r iche mar i .
Vous savez , D eproie ,a gobé la chose !
M . RAFLETOU T . Mon futur gendreest M . des B ruyères , un j eune hommeexcess ivement b ien .
LAFO I . Comment , i l y a un vraij eune homme ?
M . RAFLETO U T . Je vous l e montrerai.
LAFOI . E t combien payez-vous ce
j eune de pai l le ?
M . RAFLETO U T . Al l ons,as sez d ’ inso
lences, bientôt j e serai assez riche pour ne
p lus devo ir souffri r les plaisanteries demes créanciers . Quelle est donc la bonne
affai re que vous venez me proposer .
LAFO I . S i vous voul iez l iquider,
j ’aimerais tout autant cela . Mais voi là,j e
venais vous demander de me donner pourcinq mille francs d ’actions de vos entrep r i ses qui ne donnent p lus de d ividendeset j e vous accorderai un délai de
’
troi smois .
M . RAFLETOU T . Trois mois,c ’est
déj à tout un temps pour un spéculateur .
LAP O I . Voici la lettre par laquel le j evous accorde le sursis .
M . RAP LETO UT . Voulez — vous lesactions roses d ’un chantier russe ensevel isous les neiges
,les actions bleues d ’une
mine de cuivre sans minerais,les actions
j aunes d ’un charbonnag e sous eau, lesactions vertes d ’une sucrerie au ! londy! e
,l es
LAFO I . Oh ! donnez -m 'en de toutesles
M . RAFLETO U T . En voici pour deuxcents m il le francs , que j e vous laisse pourcinq mil le !
LAP O I . Comme nous sommes rondsen a ffa i res ; merci mon ami .M . RAFLETOU T . Etvous al lez placer
mes actions à toute leur valeur ?
39
*L APOI‘
. Naturellement .M . RAP LETOÜT. Ah ! mai s j e com!
prends . Cela va remplacerVOS vieilæfieê;c ’est—à-dire vos crocodi les empai l lés, vos
pel i sse‘s de Zibelines en peau de lapin,
LAFO Î . C ’est evidênt; cela est bientrop vieux .
M . RAFLETOU T . Et des juges nouvent cela trop léger ?Vous êtes un homme,Vous
,vous al lez au moins fairemous‘
ser
mes valeurs, Adieumon ami . (I ls sortent.)
TRO IS IEME ACTE
Q U A TR I ! M E T A BLEA U
(Bureau de Rafietout. )
M . RAFLETOU T (sonnant Josep h) .Etbien ,
J oseph,qu ’a di t mon ami Bau
rer?
J OSEPH . I l va venir .
M . RAFLETOU T . VOUS savez, Jose
‘
ph ,
que j’ai donné Cent francsà l ’épicierd
’
en
face . Je suppose qu’ i l n’a pas encore pu
menti r pour ces cent francs .
J OSEP H . Oh ! Monsieur, je vi ens de
lui fai re cro ire qu’ i l n ’
avai t d i t que la
vérité .
M . RAPLETOU T . Tiens,J oseph ; tu
finiras par deveni r mon secrétaire parti
culier.
J OSEP H . A li ! s ' i l ne fal lai t pas savoi r
bien écrire .
M . RAFLETO UT . Mais i l y a des secré
taires de mini stres qu i é crivent t rès peu .
Allons,vas vite voi r s i Baurer n ’arr i ve pas .
(Josep /i sort. ) Oh ! ce garçon - l à est un
brave serviteur ; d’ai lleurs, de nos j ours
ceux qui sont de parfai ts Servi teurs de
viennent des maîtres . (M arie entrant. )Eh ! bien ,
Marie,quel le nouvel le ?
MARIE . Ah , monsieur s i vous avicâ
vu la t ête des fourni sseurs dès que j e leu raipromis l e paiement .M . RAP LETO U I
‘
. Oui l e sourire dumarchand qui vend bien et cher . (70 5€
phi‘
ne entre. ) Et vous , J oséphine , au=
rons—nous un dél i ci eux dîner ce so ir ?J OSEPH INE . Mons ieu r le mangera ?M . RAFLETO UT . Et l es fourni sseurs?
JO S ÉP H INE . I l s attendront.
M . RAFLETOU T part) . E lle lès
aura payés . (H aut ) Nous arrangerons lè êcomptes demain .
J OSEPH INE . Je suppose b ien que s iM ademoi sel le se marie
,elle penserä àmoî .
M . RAFLETO UT . Comment donc !
Pourquo i pas ?
MARIE . Et à moi aussi , Monsieur ?M . RAFLETOU T . Oh ! toi
, j e te donnerai comme mari un des futurs emp loyésde ma nouvel le société en formation .
Ma i s
MARIE . O li ! Monsieur peut êtretranqui l le .
M . RAP LETOU T . Car j e sais que lalangue d
’une femme de chambre c ’est unvrai feuil leton domestique .
MARIE . Mais,Mons ieur
,nous n ’avons
pas tant de ! de ! ta lent . (E l le sort. )M . RAP LETOU T ( un moment seul) .
Avoi r ses suj ets pour S O I,c ’est tout
comme s i un ministre avai t la presse àl ui . M aintenant
,tout repose sur la dou
teuse amiti é de mon ami Baurer qu i do it
sa fmtune à moi . Tout homme qui aquarante-cinq ans
,ne doi t pas ignorer
que l e monde est peup l é d’
ing rats ! Bau
rer etmoi,nous nous estimons beaucoup .
Moi j e lui do is b ien un peu d ’argent,
mais lui me doi t de la reconnaissance . I ln ’y a pas à en démordre
,pour marie r ma
fi l le,i l me faut abso lument mil le francs .
Je sui s très curieux de savoir ce qu ’ i l va
me répondre quand j e vais les lu i deman
der . Quelle entrepri se que sonder lecœur pour sonder la caisse ; i l n
’y a , j ecroi s
,que les femmes amoureuses qui
ta
soient capables de faire ces tours deforce-l à !
J OSEPH (entre) Monsieur , M . Baurer
ne va pas tarder .
M . RAP LETOU T (écoutant) . Tiens,l e
vo ici . (S urpris. ) Comment , c’est vous
,
père Doux ? (A Joseph . ) Après dix ans deservice
,i l faudrait m i eux savoi r fermer les
p o r tes . Al l ez le guetter et causez avec lu i
j usqu ’à ce que j ’aie congédié ce pauvrediable .
J OSEPH (à p art) . Pauvre,à cause
de lui,encore une de ses vi ctimes ! ( I l
sort) .PERE DOUX .
— Je suis déj à!
venu quinze
foi s depui s d ix j ours,M . Rafietout, et le
grand beso in m ’a contra int de vous atten
dre hier dans la rue par une pluie bat
tante,en me promenant de la Bourse
j usqu ’ ici . L’
on m ’a assuré que vous étiez
en voyage etj 'ai vu que l’
on m ’a di t vrai .
Je me trouve dans une pénible s ituat ion .
Nous avons engagé tout ce qui peut s emettre au Mont —de— P i été .
M . RAP LETOU T . C ’est tout commeici
,nous sommes auss i pauvre l ’un que
l ’autre .
PERE DOUX . Mais vous,Monsi eur
,
vous avez encore de quo i vivre,mais
nous . nous sommes sans pain ! Je ne vous
43
rep roche pas ma ruine , car j e crois quevous aviez la bonne intent ion de nousenrichir . C ’est ma faute
,car en voul ant
doubler notre petite fo rtune j e l ’ai compromise et c ’est ce que ma femme etmes
fil l es ne veulent pas comprendre . Enfin,que voulez -vous , auj ourd
’hu i j e viensvous supp l ier de bien vouloi r me donnerun acompte sur les divi dendes futurs ;vous sauverez ains i l a vie à toute une
fam i l le .
M . RAFLETOU T bas) . Pauvre homme !Quand j e l ’ai vu
,j e ne sai s p lus déjeûner.
(H aut) S oyez raisonnable , j e vais partager avec vous . (Bas. ) Nous avons à
peine cent francs dans l a maison !PERE DOUX . Est— ce poss ible
,vous
que j ’ai connu s i riche . Mes deux fi l lesqui travail lent, gagnent s i peu et , à mon
âge , j e sui s condamné pour la soci été .
Pou rtant si vous pouviez m ’
ob tenir une
peti te p lace,ce serait avec p lai si r que j e
l’
accepterais.
M . RAP LETOU T . Vous êtes inscri t etvous deviendriez l e caissier de ma nouvelle affaire en formati on , et tenez , voilà
so ixante francs .
PERE DOUX . O li ma femme et mesfi lles vous béniront
,Monsieur
,et soyez
tranquil le, j e ne dirai ri en à personne .
BAURER . Oh ! mon ami,j e sui s
franc,j e ne puis p lus ri en te donner . j e
ne t'ai j amai s redemandé ce que j e t ’aiprêté
,et s i j e n ’avais pas pour to i le cœur
p lein de reconnaissance,i l y a longtemps
que le créancier aurait tué l 'ami .
D iable ! tout doi t avoir des l imites dansce monde .
M . RAFLETOU T . L ’amit i e,oui
,mais
non l e malheu r .
BAURER j e te sauverai s de grandcœur et j eteindrais même toutes tes
dettes , s i j’ étais suffisamment riche ; car
j 'admire ton courage ; mais tu dois suc
comber . Tes dernières affaires , quoique
très bien conçues tant de gens s ’y sont
laisser prendre ! se sont toutes effon
drées. Prends garde à toi, tu es devenu
dangereux . Le malheu r pour tol , c'est
que tu ne profites j amais de la vogue mo
mentanée de tes affai res . Le devoir d ’un
ami est de te di re ces choses là . Ecou
tes,quand tu seras tombé
,tu t rouvera s
touj ours du pain chez moi .M . RAFLETO U T . A ins i
,j e suis au ban
de l 'Opinion publique ?BAURER . Ce n ’est pas tout à fait cela ,
tu passes encore actuel lement pour un hon
nête homme , mais la nécessité cro issante
te forceras à recouri r à des
46
M . RAFLETOU T . Oui,j e comprends
,
des moyens qui ne sont pas justifiés parle succès
,comme chez les chanceux . Ah !
ce succès , de quel les infamies se composel e succès ? Eh bien j e vai s te l e dire . Moi ,j e vai s Opérer à la bai sse
,afin de ramasser
à bas pr ix toutes les acti ons des M inesdu Gog oland. Dans mon peti t quotidiend ’auj ourd’hui
, j’
aii nséré une note disant
qu ’un éboulement s ’est produit et que lamine est i rrémédiablement perdue ; j
’en
ai déj à fai t part à M . Deproie ,un de mes
créanci ers,tu l e verras demain en Bourse ;
il est vendeur . Nous ramasserons tout cequi v iendra sur le marché
,et ensuite
nous ferons insérer dans tous les j ournaux
financiers que la nouvelle d ’un éboule
ment est absolument fausse,et pui s nous
ferons mousser les ti tres et réal i seronsune peti te fortune .
BAURER . Oh ! quel génie ! j e te connai s b ien là !
M . RAFLETOU T . A l lons,tu voi s b ien
que j e te rembourserai,puisque mon
succès est proche ; mais hélas ! maintenanti l me faut absolument mil le francs . j emarie ma fi l le et tu te trouves dans unemaison O ! règne 1ndig ence, sous l esapparences de luxe
,tout est usé
, les promesses
,le crédi t et s i j e ne ayais de sui te
47
quelques notes indispensables, ce mariageratera it. Tu comprends qu ’ i l me faut i ci
quelques temps d'
opulence , comme à to i
q uelques mensongères à laBourse . Ecoutes
,Baurer , j
’espère bienque j e ne devra i plus rien te demander
,
j e n ’ai qu ’une fi l le à marier . Et puis,
dois — je tout te dire ? Ma femme et ma fil len ’ont pas de toi lette à mettre ce so i r
BAURER Et s i ta fi l le ne se mariaitpas ; si ce n etait que de l a poudre aux
yeux ? Tu m ’as déj à j oué tant de comédi es .
M . RAFLETOU T . j e dois donner ce
so ir un dîner à mon futur gendre et je
n’
ai même plus mon argente ri e el letu sais bien O ! . j
’espère donc que
tu me prêteras ton service de table et que
tu viendras dîner avec ta femme .
BAURER . Mil le francs,ce n ’est pas
peu de chose . Tout l e monde en a besoin ,
c’
es t à peine si on les a pour so iM . RAFLETO U T . Voyons , cher ami ,
tu sais combien j’aime ma femme et ma
fi l le,ces sentiments sont ma seule conso
lation aumil ieu de mes derniers désastres .
Ces femmes,s i patientes et s i douces , j e
voudrais les vo ir a l’abri des malheurs .
Voi là,mesvraie s souffrances . (I l s
’
essuie
l esyeux . ) Tu as aussi une femme et une
charmante fil le et j e suppose bien que tune voudrais pas un j our les savoi r malheureuses , vieil l i ssant dans le travai l et
l es larmes . Oh cher ami,s i tu savai s
combien dans ces dernie rs temps j ’ai bu
des cal i ces bien amers ! !BAURER . Mais pou rquoi as-tu beso in
de ces mi lle francs ?M . RAFLETO UT . Pou r payer les toi
lettes qui sont commandées et que l ’on vaapporter
,car j ’ai eu l
’
imprudence de
d ire que j e payerais , comptant sur toi .Ensui te , i l faut pour l e dîner des vins ex
quis,le futur ne peut perdre la tête que
comme çà . Nous de vons nous teni r sous
les armes devant M . des Bruyères,car
nous devons passer pour riches . MonDieu ,
unmill i er de francs ne te tueras pas,
to i qui a deux cent mil le francs en banque .
Voyons,fais un chèque sur ta banque ;
c ’est vi te S igné ,
BAURER . Non , non !, Je
M . RAFLETO UT . Oh ! mon D ieu !tout estdit ! ( I l tombe sur un fauteuil . )BAURER . Mais puisque tu as trouvé
un gendre riche .
M . RAFLETOU T ( se levant brusque
ment) Comment ' s i j ’ai trouvé un
gendre ; suis -j e donc tombé s i bas pourque tu doutes de moi Oh ne m
’
insulte
49
pas. Tu verras M . des Bruyères ce Soir .BAURER . j e vais voi r s i j e puis te
les donner . Tiens , et puis s i l e mariage
manque ? j e te les donnerai quand se ferale mariage .
M . RAFLETOU TL Mais i l ne peut sefaire , sans les m il le francs ! Comment ! to i
à qui j e l es a i vu dépenser pour un bibe
lot,pour un peti t tableau
,tu ne les don
nerais pas à ton plus viei l ami , pour une
bonne action . D i s , voyons , donnes —moita parole d ’honneur que tu m
’
enverras
ton servi ce .
BAURER . Oui , le service .
RAFLETOU T . Et l es m ille francs ?
BAURER . j e t’ai d i t que cel a m’étai t
impossible . Tu sais que,depuis huit
mois que dure la crise,nous n 'avons
pas fai t d ’affai res ; i l n’
est presque venuaucun cl ient sérieux en Bourse et i l a
fal lu vivre .
M . RAFLETOU T . A insi tu seras insens ibl e au désespoir d’
un père ? ( I l crie. ) I l
ne me reste plus qu ’à me brûler la cer
vell e . (EntrentM adame etM ”6 C laire) .CLAIRE . Oh ! mon père qu’y a—t-il ?
M me RAFLETOUT . Bonj our MonsieurBaurer , que se passe —t-il entre vous ?M . RAFLETOU T . Oh ! vous m ’atten
drissez . ( I l p rend lesmains de sa fil le et
59
de sa f emme) . Voyons , Baurer , veu x-tutuer toute une famill e ? Cette tend resseme donne la force de m ’
agenouiller. ( I l
faitsemb lantde tomber à g enoux ! .
CLAIRE (arrêtant son p ère) . C ’estmo i qui imp lo re pour lui
,car i l s ’agit
d‘
argent,j e cro i s . Je vous en prie , obl igez
mon pauvre père,i l do i t être dans une
tri ste s i tuation,pour implorer ainsi .
M ine RAFLETOU T ,Monsieur Baurer
,
rendez lu i encore ce service j’
engagerai
ce qui me reste .
BAURER (sortant) . j e vais vouschercher l ’argent
M . RAFLETOU T ( embrassantsa fil le) .
Tu nous as sauvés , car c’est à ton cr i
qu ’ i l a cédé,et non à mes suppl icati ons .
Ah ! ma femme,i l a eu pour plus de
mill e francs de bassesses .
BAURER (entrant avec son domestique,
quip orte deux sacs) . j'avais de la
monnaie d ’argent dans ma vo iture,voici
les mil le francs en deux sacs .
M me RAFLETOU T . Oh ! Monsieur ,quel le bonté comptez sur la reconnaissance d ’une mè re .
BAURER . Aussi,Madame est -ce à
vous et à vo tre fi l le que j e prete,et je
vous prie de s igner le bi l let que M . Bañetout va me fai re .
- M . RAFLETOU T ( écrivant) . Monbon Baurer
,doi s -j e y comprendre les
intérêts ?BAURER . Non
,non
,j e ne veux point
fai re une affaire,j e veux vous être
ag réable .
J OSEPH (annonçant) . M . Virton .
MARIE . Madame,les fourni sseurs
sont là i l s appor tent tout .M me RAFLETOU T ( land le bil let qu
’el le
a sig né d Baurer) . j’
y vai s .
M . RAFLETOU T (a Baurer) . Tu vois
bien qu ’ i l étai t temps . (M adame sort
avec M arie. )BAURER . Eh bien
,j e te la i sse . A
ce soi r . ( l l . Rafletout le reconduit et
f aitsig ne a‘
Virton d’
entrer . )CLAIRE Virton) . Ayez du cou
rage , mon pè re est sans p i ti é pour nous ,parce qu
’un j eune homme riche se présente .
VIRTON . Oh j e tri ompheraiM . RAFLETOU T . Ma fil le cro i t être
aimée par vous . Du moins vous avez
eu le talent de l ’en
VIRTON . Vot re doute m’
offense ,
Monsieur . Pourquoi n’
aimerais-j e pasMademoisel le moi qui
,avec la protection
de M me d’
Angefol , quim’a se rvi de mère ,
ai trouvé en votre fil le la seul e personne
52
CLAIRE . Voyons,mon père
, soyezindulgent pour deux enfants qui s’ai
ment b ien , d’une façon pure etdurable
,
qui est appuyée s ur la connai ssance ducaractère ; enfin
,deux g rands enfants qui
vous aimeront bien . (E lleveutembrasser
sonp ère.
M . RAFLETOU T . A insi vous l ’aimez
malg ré tous les ob stacles , ri en ne vous
découragera . (A safi l le Claire. ) Vas voi rta mère
,j e veuxparler d’affa i res avec
Monsieur . Malg r é toute la pu issance de
l ’ idéal sur la b e auté des femmes , el l e n’
a
malheureusem ent aucune influence sur
les rentes . (M ”e Claire sort. ) Entre -no us,
parlons sérieusement,vous êtes—vous écrit ?
VIRTON . O ui,Monsieur , des lettres
pleines d ’amour .
M . RAFLETOU T (àpart) . Ah ! bah ,
ell e a lu des lettres d’amour . (H aut. )Monsieur , comme vous le d i tes b ien , lesanges ontmille perfe cti ons
,mais il s n ’ont
pas de rentes et Claire est dotée de
parents pauvres, vu que j e su i s sans res
sources et totalement ruiné et , en plus ,nous avons encore des dettes et i l y en a
même de criardes .
VIRTON (bas) . Oh ! quel l e ruse , i l
veut m’
éprouver. (Haut. ) Eh b ien, Mon
, sieur‘
,cela ne m’
effraie pas ; j'ai assez
54
energie et d ’ambiti on pour enr ichi rcel le que j ’aime ; malgré tout j
’
arriverai.
M . RAFLETOU T . Ainsi,ma confi
dence ne vous effraye pas . Attendez . ( I l
sort
VIRTON (seul) . Oh ! i l en a du bondu sens , l e père ; mais pour un garçontimide comme moi
, j e ne croyai s pas que
j ’aurai s pu être s i superbe . Quand unpère riche a une fil l e passable
,i l a par
faitement raison de chercher à savoi rs i el le n ’est pas uniquement mariée poursa dot . Certainement , j e rendrai C lai re
heureuse,j e l 'aimerai comme l ’on doit
aime r sa femme . Claire a une belle âme .
D ’ai ll eurs , ne sont— ce pas l es qual i tés et
non la beauté qui font l es mariages heu
reux ; on en épouse de plus laides, etpuis
la femme qui nous aime sait se fai re j ol i eet charmante .
M . RAFLETOU T (entrant) . VoilàMonsieur Virton
,j e veux être loyal
,tous
mes protêts et j ugements classés par
ordre alphabétique . Au total quatre centtrente mi lle francs de dettes .
VIRTON . Oui,oui, j e vo is, l e total estlà .
M . RAFLETOU T . Un père enchantéde se défaire de sa fil l e vous aurait trompéen vous promettant une dot imag inai re .
On fai t ces tours-l à ! On peut avoir
beaucoup de dettes et néanmoins être unh onnête homme . Voyez — vous c’est cetteperdurante cri se qu i m ’a fai t rater l ’émiss ion que j
’avais préparée et qu i m ’
aurai t,
certes,procuré de nouvelles res sources.
Voyons,vous renoncez à ma fil le n’est-ce
pas ? Car , à quoi b on épouser une pauvrefi lle quand on a que dix—huit cents francs
d'
appointements ; n’est— cc pas ma ri er l e
protêt avec la sai s i e ?VIRTON . A insi , vous croyez que j e
ferai s son malheur ?M . RAFLETOU T . Ah ! ah ! l a voilà
maintenant avec son v rai teint. Dame,
vous mentez avec un tel ap l omb que si
vous étiez min i stre la Chambre vouscro i rai t .
VIRTON . Mais, M onsieur , j
’aime
M 1 1eClai re que voulez-vous qu ’un pauvre
garçon comme moi trouve de mieux .
M . RAFLETOU T . N’
insistons p luslà dessus ; vous me rendrez auj ourd
’huiles lettres que ma fi lle rons a écr ites .
M aintenant, j e vai s appel er C laire (ilsonne) , pour que vous la prépariez à cechangement
,car moi
,voyez -vous
,el le ne
me croi rai t pas,s i j e lui disai s que vous
ne l’a imez plus . ( Il sort. )VIRTON (seul) . En voi l à une aven
ture . P ourrai s-je luidire que j e ne l’
aime
plus aprè s tout ce que j e lu i ai écrit . Moi
qui m ’
étais hab itué à l a voir à t ravers
deux cent mil le francs de do t ; el le ne mesemble p lus être auss 1 si j ol i e , ni avo i r
autant de quali tés . A l l ons , prenons ducourage
,l a voici .
CLAIRE . Voyons,Mauri ce
,que
s ’est— il passé entre vous et mon père,vous
me semblez si fro id,vous ne m ’
aimez
donc p lus ?VIRTON . Oh ! touj ou rs , mais votre
père m ’a dit sa s i tuation qui est affreuse .
I l y a des hommes à qui la pauvreté
donne de l ’énerg i e , mais , moi,j e suis de
ceux qu ’elle anéantit .CLAIRE . Oh ! mais j 'aurai du cou
rag e pour deux , et pui s ma broderi e mefera gagner suffi samment d
’arg ent pour
faire régner l ’aisance dans notr e ménage .
VIRTON (cipart) . I l n ’y a que lesfi l les sans fortune pour nous aimer ains i .
(A Claire. ) Votre pè re m’a demandé de
renonce r à vous j ’essaye et j e sens b ien
que j e ne puis . j e su is certain que j e ne
serai j amai s aimé comme je l e sui s par
vous.
CLAIRE . Oh ! certes,mon D i eu
,
pourquo i vous en parlerai s -je encore
VIRTON . j e ne puis le reconnaîtrequ ’en me sacrifiant.
CLAIRE . A l ors. adieu ! ( Virton sort
et ne se retourne pas. ) Oh ! mon D ieu !
(E l le se reg arde dans la g lace. ) Cetamour n ’a donc été pour moi qu 'un
rêve . Oh ! j e sai s qu ’ i l me manque cet in
comparable privi lège qu ’est l a beauté ;mai s ne l ’avais-je p
'
as remplacé par l a
douceur , la tend resse , l a soumissi on ? Etvoilà tout l ’espoir de la pauvre fi l le desheritée envolé . (E l le s
’
essuie lesyeux . ) Monidole tant caressée vient de se bri ser en
éclats . E tre bel le,pouvo ir charmer
,être
femme, je ne connaîtra i donc jamais ce
bonheur-là ! I l ne m’
aimaitpas ! Oh ! l’ in
grat . A l l ons . oubl ions ce p remier et pur
amour et résignons n ous à deveni rM medes
Bruyères pou r sau ver mon père de la
faill i te . Oubl ions ce beau rêve de l ’amourvertueux et partagé . O h ! mai s j e vai s
tâcher de rester l ibre encore quelque
temps . j'
aidans l e cœur une vo ix qu i me
d i t qu ’ i l m ’aime encore . Après tout ce
qu ’ i l m ’a écri t,j e ne le cro is
”
pas un s i
effronté menteur . Et puis , franchement ,ce M . des B ruyères ne me plaît pas du
tout . D i eu quel supp l ice,que de devoir
se sacrifier pour sauver son père
QUATR I ! ME ACTE
CINQ UI! ME TABLEAU
(Riche salle à manger chez M . Rafletout.
Celui—civoitsafille afi"
alée surune chaise . )
Mme RAFLETO UT . Comment,Clai re
,
tu n’
es pas encore à ta to i lette et ces
Messieurs ne vont pas tarder,
CLAIRE . Voyons,maman
,vous qui
savez combien j 'aime M . Virton ,pour
quoi ne me défendrez-vous pas contre l emalheur
M me RAFLETOU T . Claire , vous savezque votre père
,dans sa s ituation
,a be
soin d ’un gendre fortuné qui,par la suite
,
lu i soit u ti l e pour lancer ses nouvel les
affaires . I l serait u rémédiab lementperdusi ce mariage ne se faisai t pas . M . desBruyères impose
,rien que par son nom .
CLAIRE . Et moi,mère
,ma vie es t
manquée .
J OSEPH (annonçant) . MM . desBruyères et d’
Escroville .
M me RAFLETO UT ( à Josep h) . Faitesl es attendre ici
,j e vai s leur envoyer
Monsieur . (A sa fil le. ) A l lons'
,ma fil l e
,
habillons —nous . (E l les sortent. )
59
J OSEPH (introduisant) . Ces damessont à leur toi lette et prient ces Messi eurs
d ’attend re un instant Monsieur ne va pastarder .
D’
ES OROVILLE . Enfin,ce soir
,mon
cher,tu vas être officiel lement l e fiancé
de M lle Rafletout. Tu sais , au suj etde l adot, ne te laisse pas pincer car l e père estfinaud.
DES BRUYERE S . Voilà la seule chose
qui m ’
embarrasse ; mais , bah ! avec del’
aplomb j’y arriverai
, je me sui s trouvédans de p lus pénib les s i tuati ons que celle
c i . (Josep h introduitVirton; ilssesaluent. )D
’
ES OROVILLE (à des Bruyères) .Voilà le pauvre j eune homme , dont la
femme de chambre m ’a d it qu ’ i l avaitfaitune cour assidue à Mademoisel le pendant
les absences de sa mère .
VIRTON . Messieurs,vous avez l es
privi lèges de la richesse , auss i quand une
jeune fi l le vous p laît vous l ’épousez .
DES BRUYERES . Mai s croyez-moi que
même sans fo rtune j ’aurai s encore desch ances pers onnel lesVIRTON . Ah ! que j e se rai s heureux
si j ’avais vot re fortune,malheureusement
j e n ’ai pour moi,que mon amour pour
Mademoisel le et le malheur d ’avoi r été
éconduit.
60
M . RAFLETO UT . Mais parlons d ’ intérêts maintenant .
DES BRUYERES . j e possède ,pour
toute fortune,la terre des Bruyères
,qui
estdans ma famil le depui s b ientôt deuxcents ans.
M . RAFLETOU T . Auj ourd ‘hui i l vautmi eux avoir des cap i taux .
DES BRUYERES . Cetteterre est exploitable dès que le g ouvernement le per
mettra,etalors el le donnera des produits
énormes nous y établ irons des recherches minières
,ensuite el l e est s ituée à
une l ieue d ’un chemin de fer ; e t puis j e
possède l e mob il i er et l ’arg enterie que
vous me connai ssez .
M . RAFLETOU T . On peut former une
société anonyme des M inesdes Bruyèresen Camp ine. Oh ! i l y a là plus de cinq
mil li onsDES BRUYERES j e l e sai s bien . Mai s ,
j e veux être franc,i l y a pour cinquante
mi ll e francs d’
hypothèques sur cette terre .
M . RAFLETOU T ( luiserrant les mains) .Oh ! cela n ’est r ien
,nous pourrons
explo iter les m ines . Vous êtes le vrai
g endre qu’ i l me faut et vous n ’avez pas
l’
e8prit étroi t des gens de province ; nous
nous entendrons .
DES BRUYERES . Permettez qu a mon
62
tour j e demande quelle sera la dot de
Mademoisel le .
M . RAFLETOU T . Oh ! moi , j e l uidonne tro is cent mill e francs
,dont j e lui
servirai la rente j usqu ’à ce que vous ayiez
trouvé un bon placement . Vous me plaisez
beaucoup et nous allons faire des affai resensemble ; j e voi s que vous êtes ambi
tieux,que vous aimez le luxe , que vous
voulez b r i l ler dans le monde . Oh ! j ’aidev iné tout cela . j e connais trop b ien leshommes et comme j e suis déj à d ’un certain âge , j e vous laisserai l e rôle bri l lant .DES BRUYERES , Oh ! Monsieur , vous
êtes selon mon cœur et s i j ’aurais dûchois i r entre tous les beaux-pères du
monde , c’est à vous que j ’aurais
,certes ,
donné la préférence .
M . RAFLETO UT . Voyez —vous,vous
et ma fille bril lez dans l e monde ayez un
hôtel,des voi tures donnez des dîners et
des fêtes ! M ais tâchez que la part devotre femme soi t inattaquable .
DES BRUYERES . Oui,car s i l ‘on ne
réuss it pas,i l nous faut touj ours du pain
sur la pl anche .
M . RAFLETO UT . Oh ! Oh ! avo i r dupain su r la planche
,c ’est avo ir une mai
SOn luxueusement meublée,des chevaux
à l’
écurie, c’
est avoir une loge à — l a Mon
63
nai e et donner à dîner à quelques futursacti onnaires que l ’on veut rouler .DES BRUYERES . Ah ! M onsieur,œmme
nous nous comprenons quel dommage
de ne point s ’être rencontrés plus t! t.
M . RAFLETO U T . Oui , vraiment .DES BRUYERES ( à d
’
Escrouil le) Maispar lons - lui maintenant de mes dettes .
D’
E S CROVI LLE (à Rafl etout) . Oui ,mon cher ami n
’ose vous le dire i lest trop l oyal et trop honnête homme
pour vous le cacher,mai s il a des dettes .
M . RAFLETOU T . Oh j e comprendscela
,j ’a i aussi été j eune homme voyons,
une bagatell e . . une quarantaine de mil le
francs . ( A part. ) Nous payerons cela en
acti ons des M ines des Bruyères. (A des
Bruyères. ) C’est une misère . (A part. )
Nous évalue rons l ’apport à cent mil le
francs de p lus .
DES BRUYERES . j e sui s sauvé . (Al adameetM ademoisel le entrent. )M . RAFLETOU T . Voici ces dames .
(Salutsd’
usag e. ) Ma fil le est vraiment lafemme qui convient à un futur grand
financier .
CLAIRE (à sa mère) . Oh ! mère ,quel snob
,i l ne me plaît pas du tout .
M . RAFLETOU T (â sa fil le. ) Veux— tute tai re
,nous allons être mi l l ionnaires ;
64
c’estun garçon très intel l igent . A l lons ,soyez très genti l le et séduisante , i l l e faut
absolument,i l s ’ag i t de sauver notre situa
tion .
CLAIRE (à sa mère) . Mon D i eu , quevoulez -vous que j e dise à ce poseur , que
vous me donnez pour mari ? Enfin , mondevoir est d’
ob éir à mon père . I l est
riche et b ien ‘ fait,j e me demande pour
quoi il me recherche . Oh ! j’éclaircirai ce
mystère .
DES BRUYERES (cid'
Escrouil le) . D é
cidément,elle est fière comme toutes les
laides ; i l faut fai re pour ces femmes - l à
plus de bassesses que pour des com
tesses.
M meRAFLETOU T sa fille) . Commeil est bien
,élégant
,beau causeur et sur
tout riche .
CLAIRE . Mai s i l faut que j e sache
si j e puis êt re heureuse en devenant la
femme de ce Monsieur .
MADAM E (à ces messieurs) . Ces messieurs veulent— i l s veni r admi rer le tableau
que nous al lons offr i r à l ’œuvre des
Pet its P i eds D échaussés pour leurtombola annuelle ? (A C laire. ) Nousall ons te lai sser causer quelques instants
avec M . des Bruyè res .
M . RAFLETOU T ( ( i des Bruyères) . E l le
65
est très romanesque , prenez donc le che !
min de la poési e .
CLAIRE . Avec le peu d’
attraits quej e possède
,Monsi eur
,j e ne comprends
pas les motifs de votre recherche ; ah !oui ! s i j 'éta is j ol ie
,mais pour m ’
aimer,i l
faut me connaître plus que vous ne meconnaissez ; voilà la seconde foi s que nousnous rencontrons .
DES BRUYERES . Mademoisel le,voilà
un mois que j e vous aime,depuis notre
rencontre chez M me d’
Ang efol , votre su
perb e voix m’a révélé une bel le âme
CLAIRE . Ainsi,vous m ’
aimez vraiment et ri en ne vous arrêterai t .DES BRUYERES . R ien ! R ien !CLAIRE . S avez -vous que j ’aime un
j eune homme auquel j e ne renonce que
pour sauver mon père de la ruine !DES BRUYERES (ci. part) . D éc idé
ment,el le est très forte pour m eprouver
ainsi . (Haut ) j e vous en prie , M ademoi
sel le,cessez de mettre à l ’épreuve une
pass ion sincère . Votre père et moi noussommes d ‘accord sur toutes les questi ons
d ’
intérêt .CLAIRE . Vous a— t-i1 tout d it le savez
vous ruiné ? I l doit envi ron cinq cent
mil le francs .DES BRUYERES ( bas) . Ruiné ! -Per
66
du I l doit cinq cent mi l le francs
d’
Escroville m’
aurait-il trompé ?CLAIRE . Ah ! All ! Monsieur , j e voi s
que vous ne m’
aimez plus du tout .DES BRUYERES ( àpart) . Quelle com ê
dienne ! (H aut) j e vous aime touj ours e ts i votre père devai t même davantage
,j e
vous épouserais quand même . Vous serezune admi rable femme du monde
,car
vou s j ouez à mervei ll e la comédie .
JOSEP H (ci M ademoisel le) . Mademoiselle
,M . Deproie dés ire causer Mon
s ieur votre père au suj et de M . desBruyères .
CLAIRE (montrant lesappartements. )Monsieur
,père est par là .
DES BRUYERES (â p art) . D iable , Deproie ici , cela va se gâ ter . ( Il se retourneetreg arde les tab leaux . )DEP RO IE . Cette foi s — ci
,j e le t iens .
CLAIRE Deproie) . Vous connaissez donc Monsieur .
D EP RO IE . Comment donc,s i j e l e
connai s , Ne le lâchez pas, j e vai s cher
cher la police .
CLAIRE .
”Pour M . des Bruyères ?
D EP RO IE . M . des Bruyères ? Connaît
pas ce nom , P alsou pour les usuriers , un
g ib ier de l'usure qu i n’
a pas payé sesmeubles .
67
CLAIRE (riant) . Ah ! Ah ! Ah ! Comment
,i l n ’
est pas riche ?
j osEP H ( entrant) Monsieur ne peutvous recevoir ayant un dîner à l ’occasion
des fiançailles de Mademoisel le avec
Monsieur . (M ontrantdes Bruy ères. )D EP RO IE . Avec ce moineau-l à ? Oh !
Oh ! c ’est uni r deux faill ites . j e cours
autour de la Bourse raconter l ’aventure .
Ce qu 'on va se faire une p inte de bonsang . (I l sort. )CLAIRE . A insi
,Monsieur
,vous vous
nommez P alsou et l ’on vous poursuit
pour vos Cet homme a - t- i l d i t lavérité ?DES BRUYERES . j
’
en ai causé à votrepère .
CLAIRE . Et vous m ’épousez pour
ma fo rtune,mais j e suis sans fortune .
M . RAFLETOU T (entrant) . Comment
Monsieur, j oseph vient de me dire que
Deproie lu i a déclaré que vous vous nom
miez P alsou ?DES BRUYERES . Oui
, P alsou des
Bruyères .
CLAIRE (à son p ère! . D eproie estsort i pour le faire arrêter . {Claire sort. )M . RAFLETOU T ( bas) . Mon D ieu
quel l e honte ! Trompé encore une foi s et
cela par l ’ami de ma j eunesse . (H aut. )
M . RAFLETOUT . Oh cette foi s, je
Sui s définitivement perdu !
BAURER . Et D eproie m’a dit que
tous tes créanciers se réunissent ce soi rpour agi r demain contre to i
M . RAFLETO U T . Ains i on voudraitm ’
emb aller pour S aint— G i l les ? A l lonsdîner tiens Baurer
,tu verras que de
main toutes mes dettes seront payées,
ca r j e vais lancer une affaire superbe,j e
trônerai sur des ou je me tueBAURER .
— M erci,mon cher
,j e retourne
chez moi ce dîner me coûte trop cher .
(Baurer sort. )M.RAFLETOU T (seul) . Oh j ’ai déj à
des Bruyères avec lequel j e vais fonder
la Société des recherches minières des
Bruy ères en Campine, et comme lesaffai res mini ères sont en vogue , j e suis
certain de mon succès ; ensuite , j e vaisacheter demain sous un nom quelconque
,
pour deux cent mil le francs d ’actions des
M ines du Gog oland mai s i l fautque j e
les achète avant Baurer,et quand lui
même en demandera,mon gai llard déter
minera la hausse . D ’ai lleurs,j ’écris à
l ’ instant à tous les j ournaux financiers,
pour leur faire contredire la catastrophe,
et leur annoncer qu ’on vient de {d‘
écou
vrir une veine au rif‘
ere d ’une r ichesse
70
incalculable . Et vous verrez . les actions
en un j our s'élever b ien au dessus du
pai r,alors mes deux cent mi lle francs en
vaudront bien si x cent mil le . j e gagneraiquatre cent mi l le francs avec deux centmil le francs. j e paye toutes mes dettes e tles autres cent mi lle francs me permettront de lancer mervei lleusement ma
nouvelle affaire mini ère . j e payerai lar
gement l es j ournaux en faisant pour cinquante mi lle francs de publ ic ité . Car ,sans les j ournaux financiers
,j e su is perdu .
A l lons,al lons
,encore un peu d ’audace .
j oSEP H (entrant) . Monsieur,voi là
M . Lafoi,
M . RAFLETOU T . Tiens,bonj our
,
Lafoi,et les M ines du Gog oland , y a-t— il
eu de la baisse,hier
LAFO I . Enorme,énorme
,c ’est une
panique,tout le monde vend . Deproie et
un tas d ’autres,ont également donné
ordre de vendre à tout prix .
M . RAFLETOU T . Etb ien , s i j e vous
d i sai s que les bruits répandus sont fauxet que l 'affaire est très bonne ; moi , j ev iens de
'
donner ordre de prendre pour
deux cent mi lle francs de titres au plus
bas cours et vous verrez,d ’ i ci une
semaine . ( I l donne une lettre. ) Tenez ,fai tes insérer ceci dans tous les j ournaux
7 1
financiers , achetez d’abord pour votre
compte mais ne le dites à personne .
(Lafoisort. )M me RAFLETOU T (entrant) . Nous
comptions sur le mariage de Claire pour
sauver notre situation et vo i là que tout
est perdu .
M . RAFLETO U T . Mais c ’est v ous la
faute de ce scandale,vous connaissez
d’
Escrovi11e depui s b ientôt deux ans etvous ignorez encore son caractère j evois que vous ne pourrez j amais m etre
uti le . Sivous voulez me rendre un grandservi ce
,allez vous promener avec votre
fil le en victoria,avec domestiques en
culotte de peau,par l ’avenue Louise
,au
Bois et all ez déjeûner à la Laiterie .
Mme RAFLETOU T . I l veut encoreéblouir ses créanciers .
VIRTON ( entrant) . En apprenant lemalheur qui vous arrive
,j e viens vous
pri er d ’accepter les t rente mi l le francs
que j e possède ; avec des acomptes on
arrange souvent bien des choses .
M me RAFLETO U T Oh !mon bon j eune homme
,i l n ’y a que le
malheur qui sert à reconnaître les cœursvraiment attachés .
M . RAFLETOU T . Et bien,Maurice,
vous epouserez ma fil le,mai s j e vous
72
remerci e,j e ne veux pas cet argent et;vous
épouserez Claire avec cent mi l le francs
de dot .VIRTON . Oh merci mon père .
j OSEP H . M . le propriétaire dési re
causer M onsieurpar rapport au payementdu terme .
M . RAFLE'
I‘
OU T . j’
y vais .MARIE (entrant) . Mais
, j oseph ,
dites—nous donc,on parle de fail l i te
,
d ’exécuter et nos gages donc
j osÉ P HINE (entrant) . j e viens d'en
tendre que l’
on va ar rêter Monsieur . j eveux que l ’on compte ma dépense . j
’
en
ai une somme à recevo ir en plus de mes
gages . ( I ls se rang ent au fond. Entrent
M onsieur etLafoi. )M RAFLETOU T . Eh bien ,
les ac
tions duGogoland sont el les en hausse ?
LAFO I . Oh le feu y est,votre com
muniqué a fai t des prodig es .
M . RAFLETOU T .— En avez vous acheté
pour votre compteLAFOL Certainement
,cinq cents .
Deproie en a également pris deux cents ,l e père Doux auss i , et Baurer donc , i l ena b ien pri s mil l e pi èces .
M . RAFLETOU T . j e suis enchantéde savoir mes créanciers dans la combi
naison et j e cro is qu ’ i l m’
en sauront gré .
LAFOI . Oui , vous êtes le ro i deshommes vous n ’avez j amai s fait tant demal qu ’à vos actionnaires . (EntrentD6
p roie, Baurer et le P ère Doux . )M . RAFLETOU
'
I‘
. Mon D i eu viendraient — i ls pour m’
exécuter?
BAURER . Mon cher,j e te fél ic i te .
DEP RO IE . Quel plai si r de te connaître .
LE PERE DOUX . H onorable et serviable .
M . RAFLETOU T . j e vous en prie , ne
riez pas de moi,j e sui s enchanté de
vous voi r tous réunis,mais si vous ne
m’
accordez pas le temps de vous payer,
j e me brûle la cervel l e,là
,devant — vous .
(I l tire un reuoluer . )BAURER . Oh ! vite
,cachez cet arme
là nous sommes tous payés .
TOUS . Oui,nous avons tous des
M ines du Gog oland et vous faisons
quitte de toutes nos c réances .
M . BAURER . E l les ont dépassé l e
pai r .
M . RAFLETO U T . Oh ! mon Dieu ,mes
chers amis,quel le tu ile
,et maintenant je
dis adieu à la spéculation .
BAURER . Mon cher,nous nous reti
rons pour te laisser en fami lle . Quant auxmille francs , j e les donne à Clai re comme
cadeau de noces . (M me etClaire entrent.
M onsieur p leure. )M me RAFLETOUT . Oh , mon ami , j e
suis toute troubl ée de te voi r enfin riche
et sauvé .
CLAIRE . Oh ! papa,et Maurice qui
avait auss i de tes mines ; nous sommesdevenus mill ionnaires .
M meRAFLETOU T . Oh ! cette fois,nous
allons tous habiter la campagne .
M . RAFLETOU T . Ma chère femme,
tout ce que tu voudras ; ti ens , j e tel ’avoue
,j e n ’y pouvais p lus . j e succom
bai s sous tant de fatigues,avoir l ’espri t
touj ou rs tendu . Par moments j e voulaisfuir ou me suicider . Un géant au rait péri .Oh ! pouvoir enfin j ouir du repos ! Après
les fonds publ ics , les fonds de terre ! j e nesuis pas fâché de pouvo ir étudier cette
industrie -l à . A l lons ! A l lons ! Et vi ve la
campagne ! {Rideau !