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Georges.Louis PONtON, Gouverneur de la ~artil1ique (1)

Il était venu parmi nous, à l'heure de notre plus grand désastre.

Pendant quatre ans de démission martiniquaise, ce pays avaittout subi: la famine entretenue, le 'sadisme policier, l'isolementÎlitellectuel à quoi veillait une censure imbécile, l'empoison-nement moral, savamment organisé par le Service d'Informationet de Déformation, l'obscurantisme faisant écho au racismedécliné ou sournois, la volonté bien nette de décapiter, de décé-rébrer notre peuple, de l'humilier, de le faire reculer par degrésinsensibles jusqu'aux sombres jours de l'esclavage et de l'accep-tation animale, un « ordre moral» hypocrite bù crevaient de tempsen temps les œufs pourris du scandale, le petit terrorlsme tra-vaillant à la petite semaine, l'arbitraire, la bêtise, le préjugé,l'ajournement sine die des vraies solutions, des vrais problèmesmartiniquais ... Ajoutez à cela les vieux maux de ce pays: laroutine administrative, l'égoïsme bourgeois, la pusilla nirnitépetile-buurgeoise; un pays de marasme c'est-à-dire où tout sefletrit; l'horizon bas, le plafond bas, l'air raréfié; ce crachin demédiocrité qui ici se dépose sur tout, sentiment et idée, hommeset choses; un pays où tout se rapetisse comme en d'autres tout serouille: cette logique de la petitesse qui racornit les villes,comprime les maisons, écrase les hommes, médiocrise les passions.la parole donnée à l'inimporlant, l'amplificateur proposé à linsi-

gnifiant, un pays de bave facile, tout laid, tout médiocre, leYisage'antillais de la France, plein de verrues ; tout laid, toutmédiocre, saut cette admirable nature qui se dresse aux quatre~in5"'de notre angoisse, sauf ce grand chahut végétal. sauf cetteculbute et ce carrousel orogéniques; tout laid, tout médiocre. sauf

(1) Georges-Louis PONTON est mort à la Martinique le 31 juillet 1944.

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ces quelques jeunes gens qui veulent que cela change; tout laidet médiocre et décevant sauf cet admirable peuple qui comprend,qui attend, qui depuis trois siècles attend son heure, et qui saitqu'elle viendra ...

Alors Georges-Louis PONTON vint à nous avec son agissantebonne volonté ...

De ses qualités je ne veux retenir que deux: un sens humain quifaisait qu'il bousculait les papiers, les règlements, les préjugés dela carrière ou de l'école, pour tout simplement regarder, voir etsentir.

C'est qu'il y avait en lui du poète, cette complicité avec le hardiet l'insolite, cette dimension affecti ve, certa ine manière d'être àJ'aise dans le différent, cette qualité de l'âme très particulière quiIait que l'on comprend sans explication, - comme par flair etsympathie. Et c'est ainsi qu'il avait compris l'Afrique. Poésie del'Afrique « in/inie et insaisissable D. Poésie de terre dépouillée,âpre. Poésie de parfums rares, d'llrbres inconnus. Poésie d'êtresbeaux il sculpter. Poésie de gestes nobles et souples. Poésie d'âmesouvertes pour accueillir le monde ... Et comprenant l'Afrique, ildevait infailliblement nous comprendre; que la Martinique Iletient pas dans le chromo fade forgé par un siècle d'exotisme niaisel de littérature provinciale; que derrière nos agitations vaniteuses,nous jouons sur le mode Arlequin, nerveux et sommaire, un drame:le drame de l'inquiétude, le drame de la transplantation el dutl éra ci 11em en t.

Et puis, Georges-Louis PONTON avait, inné et cultivé, le sensde la grandeur. Gouverner pour lui, n'était pas expédier les affairescourantes, arracher officiellelileut et prudholIllIlesquemenl lespages de l'éphéméride coloniale. Artiste. artisan, il avnit le sensde l'œuvre à faire. Et celte œuvre, il la voulalt ù la mesurs de SOI1

cœur, de son'~prit, de son Huùace, Je me souviens en quels termesil me parlait du (1 Voyage au Congo» de Gide et du réquisitoire

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gidien. Et je me souviens aussi de telle page du «Carnet Voltaïque»où, contre le grand commerce colonial, Georges-Louis PONTON.Gouverneur de Colonies, préconisait des solutions coopérativistesou collectivistes ...

En vérité rien ne l'effrayait. Pas même la jungle martiniquaise.

Très vite, il dépassa le hideux « idéal» de certains :-assurer lareprise des affaires. et puis la rentrée dans l'ornière, et puis,l'étouffement de la révolution martiniquaise en marche. Le Gou-verneur PONTON comprit que la Martinique' avait une lmportanccqui n'était fonction ni de sn superficie ni du nombre deses habitants, ni du nombre de sacs de sucre ou de litres de rhumqu'elle exporte par an; que petite d'étendue, la Martinique avaitune immense importance historique, une immense importancehumaine, une immense valeur d'exemple. !I voulait qu'an procèsde l'Histoire el de la Civilisation, la Martinique témoignât. Et dèslors il conçut son programme: équiper l'ile, l'assainir socialement,l'améliorer techniquement. La promouvoir cüllurellement. Et lalancer dans la bagarre américaine au nom de la France ...

Mai c'était rompre avec l'impudeur politicienne, la sournoiseriecapitaliste et J'indolence el la veulerie. Georges-Louis PONTON,devant les difficultés de toutes parts aCCUll1UVeS,désespéra.

Je le comprends.

Il dut se sentir seu\. Il dut se sentir trahi,

filais ce qu'il ne savait pas et qui eùt pu le soutenir et que nesurent pas suffisamment lui dire ses conseillers, ses amis, c'étaitl'amour que lui parlait le peuple, la confiance qu'en lui avait lepeuple ..•••. ,

C'était qu~~e Lemps en Lemps, parce que--GeOrges-Louis PONTONétait à la tête des affaires, un jeune homme se désenlisait du dégoûtet de l'amertume.

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C'était que,. de temps en temps, sur la croupe d'un morne, unpaysan, machète en main, s'arrêtait, déplissait son front de lapetite vérole de la sueur, secouait sa vieille lassitude et reprenaitle sentier d'un pas plus ferme en songeant qu'il y avait quandmême, loin là-bas, du côté de Fort-de-France, du côté « bureau »,un homme qui, tant qu'il serait là, nous éviterait le scandale dela Héaction triomphante: Georges-Louis PONTON, un pur.

AIMÉ CÉSAIRE.