poèmes d'achille chavêe

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Pour cause déterminée Fils d'un prêtre et de quelle église Enfant de quelle mère aux ferments apaisés Pour jouets j'ai pris les vases sacrés Multipliant les sacrilèges Il est mort sans déséquilibre Tel un enfant fraîchement baptisé Plus près de sa divinité Que de nous et que de lui-même Je sais le chemin du cimetière Je sais parmi d'autres tombeaux Son blanc tombeau de blanches pierres Je m'y recueille sans pleurer Mais quand l'autre sera prise Toi ma vieille maman moi-même Toi dans mes douleurs et dans mon cœur Moi qui ne suis que toi libéré Toi dont je suis la substance révoltée Toi dont je suis le ferment levé Toi dont ma vie est insinuée Toi ma mère d'hérédité Je serai près de toi dans la tombe Pour que tu n'aies pas froid au néant Je serai ton enfant fidèle maman Tu me pardonneras d'avoir souffert en toi Soufflait l'ouragan de la vie Sifflait l'ouragan de révolte Au berceau de ta renaissance Et tu as joint l'inétendue Un vertige spiralisé Dans l'égarement de l'absolu Masochiste de ta beauté Ton destin fut matraqué Au carrousel du point absurde. Tu es l'enfant spirituel Du rameau le plus douloureux De la tribu occidentale

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Page 1: Poèmes d'Achille Chavêe

Pour cause déterminée

Fils d'un prêtre et de quelle église

Enfant de quelle mère aux ferments apaisés

Pour jouets j'ai pris les vases sacrés

Multipliant les sacrilèges

Il est mort sans déséquilibre

Tel un enfant fraîchement baptisé

Plus près de sa divinité

Que de nous et que de lui-même

Je sais le chemin du cimetière

Je sais parmi d'autres tombeaux

Son blanc tombeau de blanches pierres

Je m'y recueille sans pleurer

Mais quand l'autre sera prise

Toi ma vieille maman moi-même

Toi dans mes douleurs et dans mon cœur

Moi qui ne suis que toi libéré

Toi dont je suis la substance révoltée

Toi dont je suis le ferment levé

Toi dont ma vie est insinuée

Toi ma mère d'hérédité

Je serai près de toi dans la tombe

Pour que tu n'aies pas froid au néant

Je serai ton enfant fidèle maman

Tu me pardonneras d'avoir souffert en toi

Soufflait l'ouragan de la vie

Sifflait l'ouragan de révolte

Au berceau de ta renaissance

Et tu as joint l'inétendue

Un vertige spiralisé

Dans l'égarement de l'absolu

Masochiste de ta beauté

Ton destin fut matraqué

Au carrousel du point absurde.

Tu es l'enfant spirituel

Du rameau le plus douloureux

De la tribu occidentale

Page 2: Poèmes d'Achille Chavêe

Tu es l'amant le plus charnel

En la souche voluptueuse

De la tribu orientale

Tu es le saint le plus maudit

En ascendance incestueuse

De la tribu paradoxale.

Décembre 1932

Ridiculement dominicale la cité

Etire de paresse prolétarienne

La maigre grâce de sa pauvreté.

Laid grand maigre fantasque

D'une laideur intransigeante

Je flâne parmi les manuels.

Intrinsèquement je vais

Anonyme et non sans orgueil

D'aimer ainsi mes frères.

Une horreur d'église est là,

Briques deux urinoirs la flanquent,

Encensoirs de logique pure

Moi je suis l'homme d'un clan,

Un café bourgeois m'interpelle

D'outrecuidance involontaire.

O je suis infiniment triste

De je ne sais quelle pitié

De toute révolte dépouillée.

Décembre 1932

Sans doute nous faudra-t-il mounr

Sans un léger espoir

Sans avoir rien reçu

Ni vaincu ni conquis

Sans une ambition

Bêtement pur

Sans un viol sur la conscience

Que Ton tient on ne sait d'où

Page 3: Poèmes d'Achille Chavêe

Le bel orgueil

D'être seul simple lapidaire

A croire par moment

Qu'il demande être connu.

Il n'est cependant pas question

Même si nous pouvions le faire

De démarquer en nous

Le vide et l'absolu.

Après tant d'amour donné

Même si rien d'autre n'est découvert

En notre cœur

Que l'approximatif et déroutant critère

De l'inquiétude innée

Dans le goût du malheur

Même si le pacte indissoluble

Qu'un jour

A dû signer notre enfance confiante

Nous le devons payer

En lourd tribut de logique dirigée

Nous resterons douloureusement fidèles

Aux destinées

Qui ont partie liée

Avec l'âme du monde.

Juin 1934

Le calme qui n'a pas d'armes blanches

Le délire qui en sait trop long

Le désert perché dans les branches

Derrière mon cœur, il y a mon cœur

Il y a d'autres sincérités

Il y a les cent pas perdus

Page 4: Poèmes d'Achille Chavêe

Que je dois réhabiliter

Rivages spontanés des mers mortes

Mourir pour l'amour de l'amour

Il est trop tard pour un rachat.

Juillet 1934

Sous seins privés

Le temps des initiations viendra

aux morsures étonnantes de prophéties

au spasme démesuré de la plus pure angoisse

au souffle de vie à fleur de flamme

femme que je n'ai pas rencontrée

qui suivra mon sillage un hiver

porteuse de cargaisons charnelles

TTes rêves témoigneront de moi

aux cryptes secrètes de ta vie

je sais déjà les corps à corps de mes victoires

la courbe de ton destin sera livrée

au réseau de mes filatures

Tu seras soumise

femme cachée peut-être à portée de fusil

aux replis des désastres gratuits

triste comme une infante désabusée

légère comme une salve désespérée

décisive comme un vent d'orage

ô femme attendue

femme que je n'ai pas rencontrée encore

femme enfant des bagnes de mes désirs

riche de la pépite d'or de mon cœur d'aventurier

brillant dans son désert

d'une magie barbare

Veilleurs d'aurore

Notre ville est l'enfant de tant d'usines de souffrances que nous devons lui pardonner les faux pas les pas

perdus les pas à pas alors que tout est piétiné dans la boue de l'encerclement à perdre haleine

Courir vers quel banlieusard îlot courir vers quel chant des oiseaux guinguette au nom de naturisme

à cracher sur les fleurs

Page 5: Poèmes d'Achille Chavêe

Ni solution ni dilemme

à proximité du silence

Dorment les partenaires de l'oubli dorment les morts depuis longtemps trahis

Seule veille l'équipe aux réflexes impardonnables

Nuit blanche

Le règne végétal

le règne animal

le règne de la terreur

Perte de jeux perte de chance perte à perte de vue

Aucun simulacre à poignarder

aucune vérité à dévêtir aucun

fantôme à dépister

je ne suis environné d'aucun mort regretté

Je suis sans âge

sans mensonge

comme la cuisine aux cuivres d'or

abri des étapes avancées de solitude

Je suis seul avec le couteau le pain et l'eau

Le pied de la lettre

Retour sur l'avenir

ou retour sur soi-même

aucun ne peut mentir

au centre de son ombre

Page 6: Poèmes d'Achille Chavêe

Evadé de partout

des dunes de corsage

des lunes de corsaire

des pièges de chaleur

des chairs aux yeux de plaie

des plaintes de lumière

mangeur des fruits éclatés aux limites des fièvres

des racines d'arcane

des arcades de nuit

buveur des sèves nues

des attentes plénières

ta vie porte en écharpe les bras de ta bonté

le temps des horizons t'écharpe entre ses seins

La fleur au fusil

L'oreille à la puce

petit personnage

tout perdre

nous irons nos quatre volontés

radeau des naufrages

aux quatre angles de longitude

La grande nuit que l'on conquiert

à coups de bocks

de jurons

de peines

videz la coupe

Page 7: Poèmes d'Achille Chavêe

videz-la nom de dieu

videz les lieux

videz le temps

videz la peur de vivre

J'en reviens

je porte mon identité à tout hasard

dans mon ombre dévorée

dans mon ombre dérobée

je n'ai plus ma vertu ancienne

je n'ai pas un mot à dire

je n'ai rien

Crois-moi

je ne suis pas blessé

occupez-vous des autres

c'est une toute petite blessure

que je vais soigner seul

il ne faut pas avertir mon meilleur ami

de la petite blessure

que je vais soigner seul

et qui va se fermer avec la nuit

Mais que faut-il faire

dites-moi

vous qui n'êtes pas la dernière cartouche

Page 8: Poèmes d'Achille Chavêe

Dictée

La libellule est un mammifère

elle se nourrit d'épongés

et de morceaux de bois

La libellule fait l'amour

sur le toit de la trigonométrie

C'est une amie de l'agriculture

Elle dévore les aigles

les poètes pieux

et tous les objets brillants

Souvent elle se suicide

sans mise en scène

sur l'injecteur d'une comtesse

après une crise de mysticisme

Respectez son nid

protégez ses petits

qui jouent à la banque russe

dans les cafés mal famés de la périphérie

En buvant du lait

La négation dialectique de dieu

est l'affirmation de l'homme

La négation dialectique de l'homme

est l'affirmation de la société

Page 9: Poèmes d'Achille Chavêe

La négation dialectique de la société

est l'affirmation de la révolution

La négation dialectique de la révolution

est l'affirmation du mouvement

La négation dialectique du mouvement

est l'affirmation de la réalité

La négation dialectique de la réalité

est l'affirmation de la surréalité

La négation dialectique de la surréalité

est ce qu'il fallait démontrer

Mais qu'attendez-vous donc

Messieurs

pour inventer le fil à couper le beurre

quand moi je vous affirme

que le soleil finira mal

à cor et a cri

Dans tous les coins de la planète

les bobines de fil blanc

se tordent de rire comme

de petites baleines si l'on peut dire cependant

que dans mon tiroir les bobines

de fil rouge s'agitent poussent

Page 10: Poèmes d'Achille Chavêe

des cris lamentables

Elle ont lu le sonnet des

voyelles dans les yeux d'une

femme honnête jouant les

deux orphelines sur un boulevard de porcelaine

Leurs préférences iront toujours

à la belle ilote ivre aux robes

de paille secrète grimpée sur

la nuit solide pour mieux

rencontrer l'amour le bel

aveugle de naissance qui

sculptera dans la mémoire

le corsage au masque de fer

Exergue

J'en appelle à la trahison des miroirs

au verre grossissant de l'oubli

j'en appelle à la fumée sans feu

à l'anneau sans doigt

aux lettres majuscules des citations

pour ne pas mourir sans une injure aux lèvres.

15 octobre 1935

Page 11: Poèmes d'Achille Chavêe

La brigade internationale

à

Jean

Bastien

Mon cœur

veine ou déveine

aura des ailes

dans les montagnes et dans la plaine

des hommes meurent pour la liberté

L'oiseau parle une langue inconnue

il n'a jamais pensé à la chance

mais la chance est pour lui

dans les chansons mêmes de la peur

la vie n'est qu'un signe

pour ceux qui meurent dans la nuit

trahis par la clarté lunaire

par les regards obstinés du soleil

Il y a parfois un homme qui vient d'Albanie

il parle de la liberté comme d'un sein de marbre

il y a des hommes qui viennent des villages perdus

ils parlent de la liberté comme d'une source pure

il y a d'autres hommes qui viennent des montagnes

ils en parlent par signes et par silences durs

il y a les hommes aussi qui viennent

de n'importe où aux comparaisons obscures et justes

il y a des hommes simples les hommes qui boivent

et les hommes qui ne boivent jamais qui

confondent la liberté la mort l'amour le souvenir de

Page 12: Poèmes d'Achille Chavêe

[leur maman l'histoire de leur vie de leur

patrie de leurs amours en mots

très simples et en gestes de neige.

Terre plastique

Terre de nage rouge au sang de vent

prime au crime de pair avec hélas

tournante de soleil et les bergers

boivent les neiges éternelles

fondues aux hanches des montagnes

Trois fois rien pour la plaine exsangue

aux ventouses de candélabres

et les rochers camoufleurs

jettent des pierres de silence

Et moi qui n'ai jamais dit adieu à personne

apprenez que je suis aussi en vous

Celle que je ne reverrai plus jamais est en moi

je ne lui ai pas dit adieu

pour notre dernier regard embué de pleurs

nous avions compris tous les deux

Je verrai toujours son dernier regard

dans l'éternité des hommes

dans l'éternité des mères

Elle a vécu vieille pour moi qui étais son enfant

voilà maintenant que je suis parti loin d'elle

et en elle est morte la vie

Page 13: Poèmes d'Achille Chavêe

Ici voilà son image de sainte dans mon souvenir

Quand je retournerai dans son pays notre pays

j'irai lui dire voilà maman

je suis revenu je suis toujours votre enfant

votre enfant fidèle

qui jamais ne dit adieu à personne

évidence

Comme si l'autre rive n'était pas une femme

comme si l'autre rive n'était pas notre victoire

comme si l'autre rive n'était pas tous les secrets

de la grande pyramide de notre vie

de notre pyramide qui se promène un peu partout

de notre partance qui s'effiloche un peu partout

Voilà un cœur que l'on fixe sur l'avenir

avec quatre punaises cardinales

Je ne déchire pas mes vêtements comme les prophètes

toujours un peu ridicules et vieux

et puis dites-moi ce que nous avons déchiré

et puis dites-moi ce que nous aurions dû jeter dans

[l'abîme

et dites-moi les nécessités cardinales

Nous n'avons pas peur de l'avenir nous n'avons

pas peur de la beauté nous n'avons peur de

rien ni des femmes ni des dieux vantardise

Page 14: Poèmes d'Achille Chavêe

nous n'avons pas peur de nous-mêmes je suis

la pierre que le dernier gamin des rues lance

avec sa fronde de quatre sous lance avec son

cœur de quatre sous et cent millions

[d'amour

Depuis longtemps je veux bien mourir

au hasard qui ne se mouche avec les pieds

l'orgueil comme un immense drapeau rouge sur

[les barricades m'habite et se fait assez grand

pour un amour immense des hommes des

humbles des hommes des hommes

Ce n'est pas

le premier venu qui pourra nous vaincre

l'orgueil d'avoir reconnu mes frères qui m'aideront

[à détruire est en moi pour créer demain l'homme éternel

[l'homme pur

Décrets

LA

QUESTION

DE

CONFIANCE

(1940)

Légende

imprenable légende des anges ivres

Page 15: Poèmes d'Achille Chavêe

jaillis des cataclysmes en gestation

je marche

je tiens entre mes yeux

à la hauteur du monde

une perle d'amour

une perle d'angoisse roucoule dans ma poitrine

[en flammes je pense que je suis un oiseau des grands carnages des pertes irréparables de sang je me

souviens des chants que j'ai pleures lumière impalpable frémissement des lèvres invisibles dans l'urne

d'or des vieux déserts

Aujourd'hui

les hommes restent impuissants au pied du mur qu'ils ont bâti

avec les lourdes pierres de leur cœur

avec le dur ciment de leur faute commune

Pour moi

depuis longtemps déjà

le visage du monde est brûlé

je suis à jamais étranger aux complots de leur vie

je sais simplement que je dois attendre

je sais que les prédictions des fous

vont tomber comme des couperets

que des miracles s'accompliront

pour moi seul si je le commande

je possède la puissance des métamorphoses

la puissance de ceux qui ont joué leur vie

avec le secret espoir de la perdre

qui ont donné leur ombre

au passant inconnu

qui ont tout abandonné

de ce qu'ils devaient abandonner

Page 16: Poèmes d'Achille Chavêe

pour être purs

pour fixer toutes les idoles de matière et de chair

dans leurs prunelles de crainte

je sais que sur un signe de mes plus secrètes pensées

des êtres vont surgir

puissants

vêtus de magie

armés d'ultimatums

doués d'une violence consacrée par des siècles d'attente

d'indestructible révolte

je sais qu'ils vont peupler

le monde

les mondes

demain n'est que trop aisément prévisible

Nous les princes de la folie

inaliénable

croisés de l'impossible

maudits qui n'avons rien renié

de nos premiers serments d'enfance

allons assister au triomphe interdit

de la beauté convulsive

resplendissante de nudité fatale

sourde aux cris désuets de la chair impuissante

chère impitoyable beauté

que nous avons mise en marche

que seuls nous saurions détruire

que seuls nous savons créer

que seuls nous savons nourrir

Page 17: Poèmes d'Achille Chavêe

en donnant à ta faim

tout notre désespoir immémorial et blanc.

La panique rouge

Belle parfaite intangible folie

venge-toi

il faut que tu te venges

imagination d'impériale origine

venge-moi

venge-toi

venge-nous tous

brute qui passes

brise-moi la figure si cela te console

tue-moi parmi ce flot de paroles tranchantes

dont j'use pour dire un peu de vérité

vérité aux miasmes redoutables

qui déjà devrait m'avoir mangé

et qui me laisse ridicule et brisé

entre les doigts d'airain de tous les inconnus

et puis quelle blague que tout cela

mais pourquoi venir nous répéter

que nous sommes prisonniers

nous ne sommes pas prisonniers

nous ne le serons jamais

nous répétons que nous sommes libres

nous sommes libres

nous sommes libres

la belle affaire

Page 18: Poèmes d'Achille Chavêe

hélas

chère pauvreté

ce n'est pas assez d'être pauvre

ce n'est pas assez d'être pur

pour être libre

les hommes qui de très loin nous connaîtront

devront savoir un jour

un jour de délire communicable

vers quelle souffrance nous a conduits

une volonté sauvage

et si dure

et si triste

Comment fuir

par où fuir

comment briser le moule

qui enserre notre visage

au regard cependant impérissable

il faut se justifier

tout justifier

les débris de notre cœur

hypocritement recollés

comme un vase précieux de

Chine

qu'un choc pesant aurait brisé

il faut sauver quelque chose

comme une fleur

comme un poison

comme une île

comme un poignard

Page 19: Poèmes d'Achille Chavêe

Parle

pauvre type

pauvre petit propriétaire de désespoir

de moyenne envergure

tu ne pourras même plus honnêtement posséder

l'orgueil d'un aussi petit désespoir

puisque tous les désastres prédits

puisque tous les anathèmes lancés

s'accomplissent aujourd'hui

il n'y a plus que chansons sanglantes d'engrenage

qui vont tout happer sans te happer

qui vont tout tuer sans t'achever

qui vont tout détruire sans ton suicide

il n'y a plus qu'un rouge irréfutable

aux pervenches de nouveaux printemps

aux ailes éclatantes de diadème bleu

9 septembre 1939

Le poète sérieux

Et qui sait si ce n'est pas moi

qui viens de commettre le crime crime

crapuleux dira la crapule

un crime d'auberge dira l'aubergiste

le crime essentiel dira le déluge

Page 20: Poèmes d'Achille Chavêe

Car je ne suis pas le mauvais poète

qui va et vient comparant son cœur

à la source chaude de sang

à la cathédrale engloutie

à la baraque qu'emporte l'inondation

au désert de contrebande à la frontière de l'inceste

non non et non

qui va et vient comparant son cœur

à la prison sans barreaux

à la chute attristante des feuilles

aux ailes isocèles de l'impénétrable

non non et non

je suis le poète sérieux

au cœur depuis longtemps perdu

Eva - d'ombre et de sang (1946)

Femme ténébreuse

errante de la mauvaise vertu

errante du bien pour le mal

adroite et décidément maladroite

parmi les rideaux de rêve et de soie

parmi les pains de chaleur de chair et de sang

parmi l'homme dépaysé d'être lui-même

femme dangereuse

légèrement inclinée

dans le vent des miracles

légèrement vêtue dans le vent du péché

Page 21: Poèmes d'Achille Chavêe

légèrement perdue dans l'ouragan de vie

femme qui joues

femme qui ris

femme qui pleures

femme qui veux gagner toujours

une chance en plus que le cœur trouvé

dressée à nous ravir

à joindre notre défaillance

à ne jamais nous oublier

à ne jamais nous délivrer

à nous aimer l'éternité de ses mensonges

femme dressée à se livrer

dans l'ombre d'une science exacte

dans la nuit de notre souffrance

dans l'oubli de notre mission

femme impardonnable et pardonnée

voilà que c'est moi le maudit

qui se prend à te reconnaître

à défendre tes cris de malheur

à redramatiser l'aube de ta passion

à pardonner le sang que tu révèles

à s'attendrir sur ton ventre de vie

à t'aimer plus qu'un désert de diamant

ô femme qui jamais ne me pardonneras

Matiere premiere

Mots

Page 22: Poèmes d'Achille Chavêe

mots immortels

de cil de ficelle de poudre de sel et de fleur

humides mauves vermoulus pâles et carnivores

mots de cire rouge et de larmes

de baisers et de flambeaux de

Judas

pointus têtus nerveux obtus ventrus et lourds

mots de la fin mots de la rime

aux accouplements dangereux

aux liaisons faciles

aux maladies incurables

mots lapsus malades de la peste

monumentaux et orgueilleux

aux bijoux de fautes d'orthographe

mots criminels et purs

décapités sur l'échafaud de la censure

mots mes bons camarades d'orgie

des nuits de neige et de plume

mots torturés au lance-flammes

mots à la taille de gazelle

à l'épidermc de velours rouge

aux jambages de french cancan

à la silhouette fuyante de marlou

mots qui portez chapeau melon

cachés dans les pianos et les trompettes de jazz

mots tabourets

qui êtes une injure permanente et gratuite

mots de perdition et de déraillement

de

Babel de carnaval et d'hiéroglyphe

Page 23: Poèmes d'Achille Chavêe

mots qui faites à présent l'amour

stylets de la durée exacte

amulettes et chiffres d'or

maîtres magiques des objets

serpents de la dialectique

mots créateurs brûlants qui nous livrez le monde

croissez multipliez plus cruels et plus forts

Magie - à armand bernier

Sous le portique du château des sèves un cri strident éclate en moi je tiens toujours entre les mains le

revolver d'enfant que je n'ai pas quitté

Rire d'orties l'abbesse de cantharide flagelle sa damnation dans la cellule noire de l'unique saison

Rire d'orties les oiseaux sont méconnaissables ils chantent les temps abolis la forêt flambe en rugissant

bûcher de

Sainte

Vaste horizon de corollaires l'irresponsable forêt flambe tous mes fantômes sont présents ils soupçonnent

la vérité les

oiseaux prennent un prénom ils sont oiseaux de cicatrice

L'air aromatisé devient irrespirable

Dans un éclat de rire sauvage des orties je fuis semer le feu sur d'autres continents

5 août 1940

Tronçons à jean scutenaire

Jeunesse

Page 24: Poèmes d'Achille Chavêe

accumulatrice en toi des cycles de vengeance

pour les partitions de l'histoire

jeunesse aux épaules de fleuve en herbe

aux mains de papier vierge

aux cyclones de pitié rédemptrice et d'amour

aux barricades de hasard

aux cristaux de monogamie

aux désirs obscurs et sains et durs

de violence paradoxale

jeunesse d'idées blanches de baisers d'Equateur

de statue de la statue et de sa négation

de la statue qui est tienne qui est nôtre et qui se perd

dans l'ensablement des civilisations

dans les sables des grèves et des îles désertes

où toujours tu fais l'amour

à ta façon lucide

à ta manière hautaine impitoyable

qui te dévore hélas

comme un serment prêté

au dieu secret de la dialectique

Jeunesse

tu es le sein et l'aile et l'époque

tu es le souffle et l'antre des saisons

tu es la captation des parfums interdits

tu es le vin de l'homme qui consent à mourir

à condition de trouver dieu

Page 25: Poèmes d'Achille Chavêe

de le combattre de le vaincre

d'être identique à lui plus qu'un enfant de mage

Jeunesse aux pieds de cartouche allumée

sur le tonneau de dynamite

sous l'oreiller de la conjuration

dans la cave inoubliable des punitions injustes

aux yeux clos de malheur

d'un malheur qui vibre comme une lyre

Ô jeunesse qui restes le miracle dont je vis

qui restes l'empreinte aux baisers de panthère

dont je garde les stigmates de griffes et de jungle

impératrice des mauvais lieux

tu ne mendies pas la solitude aux narines de peur divine

lu ne mendies pas les caresses d'une mère

d'une sœur ou d'un frère qui te maudissent secrètement

tu respires aisément dans tous les drames

dans le roman épique du bien et du mal

qui de nuit en jour se hérissent de pointes aiguës

de dévorantes morsures de flagellation

de torturantes confessions publiques

de lyriques objurgations secrètes

parfois livrées aux fauves que tu portes en toi

parfois livrées aux grands vents de bonté

jeunesse clandestine et sadique

aux livres de terres ingrates et de monstres

aux cimes de lévitation

aux massacres inévitables

larges ouverts à tes hôpitaux de marbre

Page 26: Poèmes d'Achille Chavêe

jeunesse déchirée d'hérésie et de schisme

d'apostolat d'excommunication

de sobriquets de ruisseaux de miracles

à venger les martyrs à créer le miracle

dans les arènes de

Rome d'Occident et d'ailleurs

intouchable jeunesse

présent je te défendrai toujours

sur les barricades de cœurs que dressent les destins

jeunesse aux serments de lait de mère

aux seins de laine de nids d'oiseaux

aux palais de poissons et de feuilles

aux cariatides de sexe de triade et d'atome

aux blessures de sphynx succombant à ses propres

[questions aux écarlates blessures de méthode et de gouffre

jeunesse aux couronnes d'aventure

aux sarcasmes d'initiations et de dégoûts voraces

aux caducées d'ivrognerie et de vertu éternelle jeunesse inviolable et pure

20 août 1940

Pour mieux aimer à irène hamoir

Dans la beauté menacée

menaçante

il y a place encore pour un duel désespéré

et pour la fuite éperdue d'une gazelle

dans les savanes du rêve

Page 27: Poèmes d'Achille Chavêe

Dans la beauté menacée

menaçante

il y a place toujours pour une femme

prisonnière dans la cloche de cristal

qui sonne son temps d'être perdue

et d'être aimée

chaque fois que ses seins se mettent à luire

comme des cibles de phosphore

Dans la beauté menacée

menaçante

il y a place pour un lit de corail

toujours sanglant sous le baiser de l'œil

et pour un échafaud de papier rouge

il y a place encore

pour les corolles de la solitude

bouquet qui se fane dans un soleil d'arrière-saison

Dans la beauté menacée

menaçante

il y a place pour une statue aux vaincus

refusant de civiliser les vainqueurs

et pour une grande avenue de marbre noir

se perdant dans les sables de l'avenir

Il y a place encore pour un musée

qui n'ouvre que la nuit

avec ses fantômes assermentés qui trichent au poker

et des souris d'hôtel fuyant dans les galeries

en maillot noir

Page 28: Poèmes d'Achille Chavêe

collant comme le vice

Dans la beauté menacée

menaçante

il y a place encore et toujours

pour un décor d'intempéries mentales

comme la pluie rouge d'angoisse

l'orage des prédestinations

pour un trou mutilé

faisant figure de symbole

et pour quelques reproductions légères

dans le goût triomphant du jour

Dans la beauté menacée

menaçante

il y a place pour un alibi d'épave

un cimetière de rire

pour un faux timbre-poste

un vrai clou un nénuphar

il y a place enfin et toujours

pour tous les cataclysmes naturels sexuels et sociaux

qui font un levain de révolte

de la sciure de cadavre

5 septembre 1941

Persistance

Page 29: Poèmes d'Achille Chavêe

Je fus je reste un alibi déchiré

un abîme déchirant

aux trous accessoires de voyance logique

aux hymnes qui absorbent quand on monte

qui dévorent quand on descend

je fus je reste je suis toujours

une corde de la harpe gigantesque

au sexe de pierre philosophale

sécrétant la perle

LIBERTÉ

toujours sainement orgueilleux

comme il convient de l'être

quand on a vécu vaincu l'enfer des hommes

qui n'ont qu'une âme désaffectée

qu'un purgatoire différentiel

qu'un paradis de perdition

Toi mon démon qui me protèges

sauve-moi de la vie et de la mort faciles

aux serments regrettables

sauve l'homme tout court

que notre siècle n'a pas inventé mais recueilli

l'homme précieux aux miracles très simples

à portée des lèvres

l'homme aux leviers de certitude rouge

de racines méticuleuses

de promesses harassantes

l'homme aux matériaux d'éternité concrète

modelant de sa griffe royale

Page 30: Poèmes d'Achille Chavêe

de ses pouces de sculpture

les si bonnes choses évidentes

l'abondance universelle

les bonnes rasades collectives

les beuveries d'étoiles sous le gel

sauve l'homme tout court

qui a des yeux qui a des mains

des oreilles multiples invendables

qui poussent dans les champs de la nuit flagellée

de la nuit crucifiée

sur notre corps de colère

sur notre corps de misère

sur notre corps de lumière

notre corps déchiré écorché de mystère

Ecorces du temps

On discute de coups

d'état de jeunes reines profanées

de sphynx soumis à la question

d'inquiétantes razzias nocturnes

On parle d'ecorcher le temps pour effacer ses tatouages

Se dresse l'inventaire

des espèces charnelles

La mémoire de sang réinvente l'amour

dans la nuit du destin au delta de dentell

Page 31: Poèmes d'Achille Chavêe

La bagarre c'est la bagarre donneurs de sang

buveurs de sang

regardez-vous

embrassez-vous

enivrez-vous

de ces liqueurs délictueuses

qui démentent tous les proverbes

tombant en juste pourriture

au gibet de la liberté

C'est en passant qu'on devient passager

vieil atout déchiré

splcndide

schismatique d'humour

à flanc d'abîme

Mémoire aux ailes de mouette

sur la houle de mes désirs vorace

comme un oiseau des mers à la pêche des souvenirs

élève-toi dans le haut ciel pacifié

de la douleur que m'éclairent les traits

de celle qui fut la reine de mon cœur

élève-toi dans le haut ciel pacifié

de la douleur que m'éclairent les

Page 32: Poèmes d'Achille Chavêe

traits de celle qui fut la reine de mon cœur

En citadelle de chair neuve

en drapeau d'ailes morganatiques

en épée d'insecte violet

un grand amour éventrant l'horizon

dans la mémoire ensevelie

au fond d'un gouffre de latence

sous la valise d'un hibou

pleine de clous et de cailloux

Taillable et corvéable à merci

est la dure échine du temps

du temps perdu

éventré

retrouvé

tandis que l'herbe croît dans l'oreille

des pierres

que s'effilochent les pontificats

que le charme

une fois de plus

vient d'un oiseau secret

qui s'évade de l'anthropomorphe

Sous le grand étendard couleur de vie

une femme aux seins publics

mille fois enceinte

mille fois mère

Page 33: Poèmes d'Achille Chavêe

mille fois pure et délivrée

sur la brèche de l'avenir

sur la neige de notre amour

fait les signaux de confiance

Schemes sadiques (1947)

Chaque rue aboutit dans une femme

qui ressemble à l'aventure

dont le visage se dérobe

sous un masque de velours noir

Chaque rue aboutit dans une

femme qui s'élabore dans nos rêves

et se nourrit de notre sang et s'enivre

de notre angoisse

aboutit dans une femme nue

fatale inconnue attirante

comme un panorama secret

aux frondaisons de lanternes sanglantes

Il neige

et dans le cœur ouvert

les seules traces d'une bête des bois

Vie aux yeux encore avides

Page 34: Poèmes d'Achille Chavêe

sous le drapeau de mes paupières

je ne sais plus où brûle le désir

je n'attends plus que la nuit nue

femme

ou fruit

ou lumière de sang

De neige rouge pour noël arnaud

Doigté de fer

dans le tunnel de vieux velours

qui passe à travers soi

pour joindre l'ancien double d'ombre

doigté de fer

dans la dentelle de la nuit

qui dégage l'anonymat

la valise pleine de neige neuve

stupéfiante de clarté

doigté de fer

dans le corsage des nuages

dans le grand nid circulaire du monde

dans l'avenir

Des salves de métaphores

aux seins rouges

éclatent comme des fûts de minium

Des mots de vieux mots dangereux

aux voyelles ivres de vivre

Page 35: Poèmes d'Achille Chavêe

aux haillons de miracle

teintés du sang de tous les hommes

explosent en gerbes de cris d'espoir

dans la muraille des poitrines

Des mots en quelques points semblables

aux cailloux d'un enfant

dans la fenêtre d'une école

Des stocks entiers de mots brûlants

à casser comme des cailloux

tel un forçat

dans la carrière où le front heurte

les parois de l'inexprimable

alors qu'en haute mer

je vois un marin

jeter

son cher accordéon par-dessus bord

pour mieux entendre la chanson des flots

Mon interlocuteur avait

soixante bras de prophétie

et trente paires de couteaux

Moi

l'imprudent

j'étais seul

avec ma petite ligne de vie

qui tenait modestement dans ma main

Page 36: Poèmes d'Achille Chavêe

Soudain parfois me renverse

dans l'aurore d'été

le bond d'une joie brutale

comme celui d'un fauve sur sa proie

Et je me sens sans défense connue

contre cette étreinte de chaude fourrure

palpitant de l'angoisse tragique d'une blessure à vie

Dans sa robe d'araignée

la

Sainte aux péchés

aux belles rives sexuelles

interdites

la tête prise dans un sac

Sous sa robe d'araignée

le couteau rouge

le serpent bleu

une étoile défigurée

le filigrane des secrets

Et c'est toujours la même femme condamnée

au rapt brut

aux violences simulées

aux meurtrissures d'innocence

c'est elle sous les liens de fleurs

dans la promesse des parfums

dans la cabane des fougères

Page 37: Poèmes d'Achille Chavêe

c'est elle qui se refuse et s'abandonne

nue et parée

contradictoire et résolue

défaillante défaite définitive

déjà conventionnelle

selon la décevante jurisprudence

de l'érotisme

selon l'étrange et punitive loi du souvenir

Ce roman qui n'aurait plus d'intrigue

aux personnages las

d'avoir plus que longtemps vécu

de s'être combattus en vain

avec des armes enchantées

et qui se reconnaissent enfin du même sang

ce roman que l'auteur laisserait à jamais

faute d'avoir encore pour ses héros

assez d'amour et de patience

ce vieux roman inachevé

serait-ce moi

dont le cœur aujourd'hui s'est lourdement fermé

sur des épaves de conscience

Lorsque doucement tombe la neige

sur la seconde

sur l'immobile mémoire

qui ancre ses racines de sang

dans la lignée obscure et profonde des morts

parfois

Page 38: Poèmes d'Achille Chavêe

le simple meurtre d'un oiseau

pose son piège rouge sur l'immaculé

pour que peut-être

au plus lointain des origines

notre cœur louche saignante encore

la première blessure de bonté

pour

Pol

Bury

Bijoux de sang aux doigts de l'ombre

étrcnnes de la nuit

je vis

dans la technique de vivre

au ralenti

parmi les vieux glaçons de feu

que l'éternel éphémère charrie

d'écluses de souffrance en écluses d'angoisse

je vis

au point culminant du silence

où s'unissent pour un baiser

aux lèvres de la mort celles de la naissance

pour

Marcel

Havrenne

Quand l'homme ne sait plus

sur quel pied mental

danser

pour protéger les plantes de son âme

Page 39: Poèmes d'Achille Chavêe

(elle a des pieds son âme)

on dit que subsiste l'humour

qui

métaphysiquement

doit être

un calot de forçat sur le crâne de

Dieu

Alors même qu'il est prisonnier

dans le réseau des habitudes secondaires

qui ne voient plus

qui sont lettres mortes mentales

un simple objet

d'usage quotidien

de matière et de lignes précises

parvient à recouvrer

en s'égarant

la liberté dialectique de la vie

qu'entre son possesseur et lui

engendre astucieuse et morale

l'antique loi de la nécessité

Entre l'étau de l'éternel

et les corsages d'éphémère

éclatent

écarlate équation

tous les complots d'épingles rouges

parmi les flots de rubans sentimentaux

Page 40: Poèmes d'Achille Chavêe

Le destin tout entier le destin

est comme l'immense trajectoire

d'un invisible boomerang

que lancent vers les inconnus

notre désir et notre cœur

et qui revient vers nous pour le grand crépuscule

Ainsi

sans que nous le sachions

c'est selon notre intime loi

que la courbe se clôt dans notre propre mort

pour

André

Lorent

Au désert de cocagne

nu

comme un théorème violé

je suis cet insecte immobile

qui simule la mort

nu

comme une bêche au soleil

cet insecte qui sait

la longueur d'onde éphémère et précise

de la plus haute destinée

Le poncif de la main coupée

jouant du piano mécanique

et puis trois femmes jadis aimées

se dégageant soudain

d'un scénario étrange et compliqué

Page 41: Poèmes d'Achille Chavêe

et qui vers moi s'en viennent

lèvres offertes

et qui m'accordent souriantes et fidèles

le baiser d'un lointain autrefois

De rive en rive crépusculaires

un sexe de proie dramatique

une panoplie de haine dans l'amour

une fontaine de neige en sang

C'est le désir créant ses métaphores

ses images d'ambivalence

qui défriche son éternité

en quête du symbole ultime de la vie

Art poétique

ÉCRITS

SUR

UN

DRAPEAU

QUI

BRÛLE

(1948)

Écrit sur un drapeau qui brûle

le collage des contrastes

le colloque des contraires

union confusion fusion action

l'oiselet dans le vent

Page 42: Poèmes d'Achille Chavêe

le désir dans le rêve

la neige de l'intégrité

le désespoir qui brise sa rapière

L'invisible se proportionne

aux dialectes de nos rêves

J'en parle pour nous

être utile pour mesurer notre puissance

Calvaire calcaire broyer souffrir

la laine de la pensée

les mots copulent

nous nous aimons

indivisibles

les mots sont faits pour obéir

Enfance

En ce temps-là

je portais toute ma force dans mon cœur

C'était l'orgueil

celui du premier prince magnanime

de la première victoire

du drapeau bleu flottant sur la terre du juste

C'était la colère

l'impétueuse

flammes inoubliables

frissons de sang en prismes de pardon

C'était le désir agile

Page 43: Poèmes d'Achille Chavêe

prenant pied dans la découverte

créant les îles de cristal

réinventant la magie blanche

C'était le péché de perle

mon vrai péché

la coupable bonté

l'admirable confusion d'amour

Je portais toute ma force dans mon cœur

sans cuirasse de mensonges

comme un enfant invulnérable

Vivre

Forcément on avance j'avance

drôle ou pas drôle c'est la vie

le mégot de la vie précieuse

à brûler avarement ses lèvres

de sale vie précieuse comme un sein

comme du vin dans un sein

comme une tirade de nain

éternel attouchement de plaies

sur le corps de la bien-aimée

Forcément on avance j'avance

avec ou sans regrets

avec ou sans étoiles

avec ou sans coups de chapeaux

pour crier malgré tout présence

quand le feu se brûle les ongles

Page 44: Poèmes d'Achille Chavêe

quand la nuit s'ouvre pour être nuit

quand le temps crache ses poumons

dans des colères de forçat

quand il faut enfin que l'on arrive à temps

pour témoigner contre les dieux

contre la loi contre les grands

contre soi-même

contre la mendiante nature humaine

qu'il faut pourtant aimer comme le mal

en dialecticien du devenir

Fièvre

Ce malade qui fait de la métempsychose

est un oiseau

tenant au bec

un rameau d'hypothèses

un compas de cristal d'angoisse

Souffrance de par le long fil d'or

qui l'attache à son nom perdu

Souffrance encore et encore

dit-il

lissant ses ailes de diamant noir

souffrance de ne plus savoir

si (je) suis au passé ou au futur humain

Souffrance toujours

dans une chimère lointaine

Page 45: Poèmes d'Achille Chavêe

qu'il a connue

chimiquement nue

sous sa robe violette d'organdi

C'était cela

Était-ce un cri dans un bouquet de lèvres

un monceau de gravats

dans les décombres de la nuit

une arme de précision

entre les mains lumineuses d'angoisse

Était-ce une rive de marbre

le long d'un fleuve de lait pur

une pierre précieuse

entre les doigts de certitude

une statue mutilée achevée éclairée

comme une idole souveraine

Était-ce une blonde colère

une impatience de rubis un sceptre de désir

un couteau de bonté

C'était ça tout cela tous les possibles

c'était notre jeunesse en sang donnée oui donnée

distribuée comme du pain notre jeunesse

d'enfant prodigue

Page 46: Poèmes d'Achille Chavêe

Sommeil

Je dors depuis toujours dans les mêmes poumons

de vieux silence chromatique

où s'engouffre la respiration des astres

je dors depuis toujours dans la même nuit d'hérédité

dans le grand lit de mère en fils

dans cette alcôve aux serrures de pain bleu

aux lourds tapis de loutres volontaires

Je dors depuis toujours dans le même rêve malléable

qui emprisonne la lumière

dans ses perles de sang magique

je dors les yeux ouverts

le corps ouvert

espoir et désespoir confondus

et le désir comme une épée au poing

et le visage défiguré

toujours plus semblable à moi-même

de moins en moins reconnaissable

plus atrocement beau

de tout ce qui corrode et qui est éternel

Futur

La connaissance et le désir

les deux monstres jumeaux

de l'être nu

dont l'ombre est un drapeau futur

Page 47: Poèmes d'Achille Chavêe

sur la plaine des âges

où le vent brise les ardoises

à coups de sifflantes lanières

de l'homme incorruptible

durement ancré dans le réel

par un sexe de fer

par un esprit de feu

par un rêve crucial

qui est une cognée de diamant

dans le front de l'angoisse

d'où s'évade en tremblant la neuve éternité

celle qui n'est qu'amour

aux signes périssables

qui ne possède que l'humain

pour se défendre de la faim

Vœu

L'estuaire du ciel est un apéritif

Giboulées d'éléphants rouges tombez

que la terre perde son teint de suicidée

tombez en robes de moissons

sur les campagnes d'abandon

en caresses germinatoires

dans cette crypte de lumière

où luit orageusement dure

Page 48: Poèmes d'Achille Chavêe

sous trois cents nœuds gordiens d'éclairs

en son écrin de javeline

blonde d'intolérance blonde

une graine de vérité

Au jour la vie

Antan qui veut dire jadis

est un piège de seins fanés

voyageur nain dans le wagon géant

entends tourner le long disque des roues

sur l'aiguille du rail

Danse chante pense ou pleure

au rythme de la matière

selon ta nocturne et profonde nature

et tu verras bientôt dans le disque lunaire

plus belle que

Phryné

une femme faisant l'amour

avec le grand aventurier de marbre noir

Sur la hampe de la mort

il y a un calice d'or où boit l'hirondelle de sel

Le temps est

Temps

Le grand rideau de la mémoire

s'est déchiré

dans le temple du

Seul

Page 49: Poèmes d'Achille Chavêe

Le ver est dans le fruit

le fruit est dans le ventre

le ventre est dans le corps

le corps est dans le temps

le temps est dans l'horloge

l'horloge est dans l'attente

l'attente est une pincée de tapioca

L'univers est un poing fermé

qui laisse couler du sable

dans un gant de cristal

L'univers est un bouchon de liège sur un litre de néant

Sur le tillac du cargo fantôme

un gentleman en habit noir

conduit une brouette de réverbères

Vieillir

devenir vieux

se sentir incapable

de signer

le moindre crime passionnel

Sous un ciel pavé de mauvaises intentions

lorsque tu la pousses du pied

dans l'abîme

reconnais que la terre est ronde

pour

Louis

Page 50: Poèmes d'Achille Chavêe

Van de

Spiegele

Convenons du signal de la révolution :

une femme nue

sélective

tachée de lumière et de sang

tombant

en parachute rouge

sur la place de la républiqu

Un spacieux tombeau d*ardoise

pour tuer l'éternité

le mort

enraciné dans l'esprit de révolte

écrirait à la craie le récit de ses démêlés avec

Dieu

Dans le mauve violacé

pour qui s'éveille dans son ombre

il y a des dentelles de sexe bleu

un viol inscrit dans un labyrinthe fatal

Couleur ô couleur couverte de

blessures tu saignes silencieuse

et des âmes désespérées s'écoulent de tes plaies

tordant en moi leur longue chevelure

O couleur je t'aime et je te bois je

bois ton sang de lumière panique éclairant

Page 51: Poèmes d'Achille Chavêe

ma mémoire d'abîme qui est

source métaphysique de la nuit

Blason d'amour

Ne ferme pas

la porte de cristal

laisse entrer les voyelles de neige

puisque tout est propre à l'horizon

de tes yeux de source pure

de tes yeux de double vue

qui sont un tendre couple de castors

L'ombre est au cran d'arrêt

couteau plongé

dans la racine mère des élégances cardiaques

l'ombre du premier mimétisme

de l'infusion des rêves

de la source enchantée

l'ombre qui est une syllabe de sang

En confiance

en confidences

en étoffe d'été de santé de péché

en robe de tentation

à peine femme et déjà femme

consentante

délivrée

ma grande sœur abandonnée

Page 52: Poèmes d'Achille Chavêe

Trente ans et davantage

et le sang

était une forme de la mémoire

et nous avons gardé notre mémoire

malgré le sang que nous avons perdu

Mais rien ne s'affirmant plus vrai

qu'un baiser bleu donné dans l'ombre

au sachet des questions funestes

répond ton île

dans le noir océan des contingences

éphémérides

Toute initiale du monde

et son secret

et son oiseau

dans la pointe de mon couteau

La nuit la nuit

la lourde nuit silencieuse

la grande nuit

et son pourpre silence

Perle l'impondérable son

que lui consent en s'effeuillant

la rose

le pétale léger qui tombe et qui se pose

sur le marbre secret de notre angoisse mauve

Page 53: Poèmes d'Achille Chavêe

Ma vie tenait à un fil

à ce fil invisible

et capital

de la grande toile d'araignée maternelle

Et brisé fut le fil

par mon vouloir

et par un temps de tempête morale

et ce fut elle qui mourut

maman

(je n'ose y réfléchir)

en lieu et place de mon désespoir

Il y eut divergence dans les souffrances

je devins seul

et crus que la partie resterait inégale

le temps étant toujours au choix

spirale ou vrille

un mensonge de plus aux lèvres du divin

Écrire aux fins de déchirer les apparences

écrire le soudain

l'imprévisible

sur le drapeau de vivre

écrire

amadouant

ou

poignardant toute réalité

Page 54: Poèmes d'Achille Chavêe

écrire encore

pour vaincre

comme une carte égarée et gagnante

se retrouve parfois

dans la manche du désespoir

pour

Albert

Ludé

Les végétaux s'ils pouvaient

s'exprimer seraient avares de paroles

Aujourd'hui je fus un arbre et je le reste

Je me console et je me justifie

pensant

que je suis beau

déjà

comme une table de cuisine

Depuis l'idole d'or à la rose fanée

de la naissance à par delà la mort

dans la feuille et dans la fourmi

dans la racine et dans l'esprit

dans le viol et dans l'abandon

dans l'élégance du pardon

aimant

comme un oiseau qui de tout l'univers

a fait son nid

L'escalade pour une fleur

l'escapade pour une fille

Page 55: Poèmes d'Achille Chavêe

l'estocade pour un peu d'honneur

la ballade des bons garçons

une chanson ailes de vivre

une saison nids de pinsons

une raison temps des cerises

vieux souvenirs vieux horizons

Je viens je suis je vis

de mon écorce noire

du sang de mes colères

du sang de mon amour

de l'oiseau fiancé à sa femelle chaude

des larmes qui s'égouttent du vague fait divers

de l'infirme noyé dans les vagues du soir

du baiser de la nuit

du salut de l'aurore

je vais je viens je vis

au-delà de l'espoir

et chacun peut le voir le savoir et le croire

A pierre fendre - règle du jeu

Avec la somme de ses contradictions

de ses fautes royales

de ses vertus fanées

assumer la charge de son devenir

assurer sa dialectisation

sa fatale indépendance

Page 56: Poèmes d'Achille Chavêe

sa victoire définitive

démontrer que l'homme est perfectible

Elegance

Du fond de la fontaine d'yeux vengeurs

où veille celui du

Caïn fraternel

je regarde le ciel aveugle

dans un monocle de mépris de cristal

au vieux cordon ombilical

d'humour incorrigible et neutre

qui me rattache sans merci

à la très vieille glèbe des hommes obscurs

de source pure

Histoire simple pour andré lorent

Maintenant je suis un grand animal

blessé dans la jungle du temps et

je m'avance comme un tigre vers

Dieu en déniant son existence

Nul ne croit à ma démarche

nul ne sait que je m'avance vers un gouffre

qui dépasse la croyance

que je m'avance vers moi-même

Là-bas une partie de poker continue

là-bas une femme enfante d'un monstre miroitant

Page 57: Poèmes d'Achille Chavêe

et moi je m'avance vers moi-même

à la découverte d'une preuve éblouissante

Ma vie

ainsi qu'un grain de riz

perdu

dans l'empire de la famine

Notre vie ainsi qu'un grain de blé

germant dans le royaume du futur

Cristal de vivre

J'aurais voulu écrire un livre

sur le bonheur de vivre

où la joie

éclatait en explosions successives

où le matin

était l'angoisse heureuse d'être

où le crépuscule du soir

était un apaisant baiser de l'inconnu

j'aurais voulu

être mangé comme un fruit de lumière

être bu comme une tisane de bonté

j'aurais voulu vous présenter

le merveilleux bouquet de roses sans épines

que je n'ai pas trouvé

Du temps que j'étais milliardaire

un éléphant vêtu de noir

Page 58: Poèmes d'Achille Chavêe

près de moi vint s'asseoir

en me disant pardon confrère

Du temps que j'étais souris blanche

je suis sorti de souricière

au jour perdu de ma naissance

mais je n'ai pas gagné au change

Du temps que j'étais hanneton je fus aussi dans la prison

de l'allumette et dans celle des horizons

Du temps trouvé pour être un homme

et pour penser à moi aussi

je n'ai cueilli sur l'arbre que la pomme

pleine des vers de mon souci

à

Edouard

Faucon

O nuit horrible

aurore horrible

soleil horrible

mémoire horrible

ô dérisoire identité

universelle vacherie

Et si le

Jésus-Christ est

Dieu

tant mieux

et mieux vaut lui qu'un autre

crocodile spirituel

Vous le voyez

Page 59: Poèmes d'Achille Chavêe

j'ai quelquefois la connerie de croire

en des instants d'immense lassitude

que je me ferais bien

à sa mâchoire

ainsi qu'un très petit oiseau du

Nil

Fusillez-moi je l'autorise

Et ne pas faire le dresseur de puces intellectuelles

et ne pas oublier lorsque je mange que mon petit chien me regarde

et penser quand je fais l'amour que c'est acte de dieu

et dévorer le monde en affame de vérité

à

Armand

Simon

N'importe quel homme peut bien m'assassiner

au tout premier tournant venu

et je dirai

adieu veaux vaches cochons couvées

très calmement

ainsi que se prononce

le mot dormir

dormir dans la voiture du néant

traînée

par quatre sauterelles sans mémoire

chacun sachant

ce que parler veut dire

Douce maman soyez heureuse auprès de

Dieu

Page 60: Poèmes d'Achille Chavêe

ne pensez plus à moi

je vous en prie

oubliez-moi dans l'inconnu

dans

Pinescamotable aventure de vivre

dans son atrocité

autorisez que s'accomplissent

les derniers pas d'irréparable

à

Paul

Michel

Avoir tiré des dizaines de fois

à boulets rouges sur son âme

son cœur

et progresser

avec l'imprudence du sage

dans les ruines de son propre destin

c'est vivre

c'est modeler dans l'invisible

la matière indissoluble de son noyau

c'est graver

dans la muraille d'ombre

les traits secrets de son dernier visage

Hommes

vous m'entourez de toutes parts

hommes

ma bonne volonté vous cerne

hommes

Page 61: Poèmes d'Achille Chavêe

vous torturez les étendues

les façades de l'incidence

les oripeaux de la saison

les sédiments spirituels

hommes

je suis en vous à votre insu

je suis la belle négation

de vos maîtresses prétendues

hommes je suis toujours en vous

comme un serment de contingence

d'étonnante fidélité

d'aromatique probité

hommes

vous ne pourrez jamais m'atteindre

que dans le sang que je vous donne

à

Albert

Snchelbaut

Un jour viendra sans doute où nous serons

en communication

avec le monde des insectes

avec les termites muets

avec les aveugles fourmis

Qu'est-ce que parler humain veut dire

au fond du gouffre de la pensée !

Et je me vois très bien

buvant un bock

Page 62: Poèmes d'Achille Chavêe

avec un insecte asexué

à la table effrayante de l'éternité

Insecte

je bois à ta santé

à nos bonnes santés interminables

Écrire le poème unique qui a plus d'importance

que d'être né que d'être encore en vie

Écrire le poème unique

intraduisible

de survie

l'ayant porté en soi

humainement

comme a porté

Marie

Entre puce et tigre

La toge de miséricorde drape ma fièvre de conscience

Mais tout éprouve et rien ne prouve

Sous le catafalque du rire gît un cadavre de beauté

à

Noël

Arnaud

Mes lions s'incrustaient dans le sable

j'avais très mal trop mal

la femme nue

que j'aurais pu aimer

étant couverte d'insectes millénaires

Page 63: Poèmes d'Achille Chavêe

Un pauvre type

ainsi que moi perdu

m'avait justement racolé

sous le rouge fanal du désespoir

Un oiseau-mouche est venu boire en notre verre

et ce fut fait

en trois secondes

au comptoir inquiétant du café de la nuit

Qui pourrait bien me dire ce qu'il faut en conclure ?

Couchez-vous à plat ventre

sur votre carrelage

regardez-le

interrogez

vous obtiendrez une réponse

Après cet exercice

allez donc vous laver les mains

le bout du nez

n'oubliez pas

d'épousseter votre conscience

Une mouche me souriait car c'était une fine mouche

Mais de quoi pouvait-elle bien sourire ?

Mais de nous

les hommes j'imagine

Ivre elle se mourait d'avoir bu dans la coupe de l'humain

à

Madame M.

Wilmart

Page 64: Poèmes d'Achille Chavêe

Je ne boirai que du sang de lumière

je ne boirai que du sang de vertu

je ne boirai que le secret du ciel

J'achèverai jusqu'à la lie

la gourde de mon cœur

qui n'appartient qu'à l'inconnu

à

Jean

Cambier

Un cheval avait l'envie incoercible d'aimer un papillon

Nous chercherons

nous découvrirons la formule

Un jour

sur un très simple signe

le cheval et le papillon

viendront habiter ma maison

notre maison sacrée

qui tombe en ruine

Ils parleront ensemble

de tout ce que je ne sais pas encore

Attentive sera mon âme

à

Armand

Simon

Sur la nappe de l'instant

Page 65: Poèmes d'Achille Chavêe

comment survivre

à son propre secret

près de l'icône triste

à

Marcel

Havrenne

L'œuf était dans sa coque et regardait

Julien

Mais un poète qui passait par là

les négligea

et dévora deux pots de fleurs

en tout bien tout honneur

Les hostilités sont ouvertes

La nuit s'impose

Il faut se battre sur tous les fronts

Je reste identique

à la flèche du peau-rouge

de mon enfance

Quant à ma carte de visite

je l'ai perdue

il y a bien longtemps

dans un immense champ de blé

à

Paul

Colinet

J'habitais

je ne sais plus quelle mansarde

Page 66: Poèmes d'Achille Chavêe

de l'humain abandon

Avec une seule larme de ma peine

comme un torrent

j'aurais lavé les pieds du

Christ

Catalogue du seul

Les symboles étaient exsangues

on ne savait que dire

il valait mieux se taire

il avait plu

neigé

des lambeaux de mémoire pourrie

Il nous faut perdre la raison

pour la redécouvrir

intacte

le jour où l'on sait bien

qu'il ne sera valable d'en user

qu'à des fins secondaires

La nuit aux lèvres épaisses et brunes

la nuit à la pointe de seins de

Ténériffe

la nuit de violette

qui mérite un coup de poignard

dans sa merveilleuse poitrine de toujours

la nuit

qui pour moi ne sait jamais mourir

ni s'éveiller absolument nue

Page 67: Poèmes d'Achille Chavêe

la nuit cette fille par instants éperdue

que chevauche mon amour

Ô fille ô nuit

tu te trouves toujours au rendez-vous

avec ton droit congénital

de me faire trébucher dans ton abîme

de me prouver la loi des crépuscules

de me renouveler selon tes longitudes

ô nuit avec ton grand spasme d'impossible

qui me prouve l'Obscur

Il eût fallu ne pas venir

ne pas paraître

ne pas penser

ne pas savoir

ne rien connaître

demeurer pierre parmi les eaux

Il eût fallu surtout ne pas être poète

c'eût été plus rassurant

plus pur

bien mieux acquis définitivement

Le temps est un petit morceau de la mémoire de l'insecte dont je sauve en secret la vie

le temps est ce fameux havane que fume le papillon mourant dans l'aurore incommunicable

le temps est une goutte d'eau dans ce vaste océan de larmes qui finance l'éternité

le temps nous y réfléchissons est notre cœur inhabitable la cage des secondes mortes

La table avait cent mètres de long et nous étions assis mon interlocuteur et moi à chacun de ses bouts

Page 68: Poèmes d'Achille Chavêe

Le service était fait par un ange un bel ange

aux longues ailes de libellule au tablier brodé de pureté

Nous correspondions par télépathie

Il convient que je le précise mon convive était un poète nos aliments étaient à base de bonté

Il y a toujours une très vieille armoire

perdue

et ne contenant rien

sauf cette indélébile odeur

de passé

de ce passé qui pour toujours est effacé

Je m'introduis et je séjourne

un an ou dix mille ans

dans son obscurité secrète et mûre

J'y efface mon nom

j'y suis de minuscule taille

Tout s'abolit

je me nourris de sa poussière

et je me borne à prononcer

les quelques mots magiques

que j'ai pu retenir du temps de mon enfance

Les traces de l'intelligible

Il faut éteindre la lumière pour ne pas injurier l'aurore

Il faut une attention princière pour saluer comme un devin la nuit de sang qui se retire

Il faut une grande misère pour ne plus mesurer le temps

Il convient de demeurer seul pour discerner dans le néant les traces de l'intelligible

Page 69: Poèmes d'Achille Chavêe

Ayant survécu au cancer de très hautes mésalliances

dans les globules du silence se repose mon ombre

mon sang mon sang précieux mon sang spirituel

ayant limé ses dents

sur l'ébène des dissidences

Quatrains pour hélène

à

Hélène

Locoge

Mon cœur était terre d'Arizona

et il y eut en lui d'immenses chevauchées

et des points d'eau précieux

où la liberté venait boire au crépuscule

Notre destin de transparence

la fin méprisant les moyens

l'âme jouant le quitte ou double

l'éternité qui nous adoube

Je fréquente le

Christ dans la lumière blanche

il est si mal noté par les mauvais apôtres

par ses amis ses ennemis par tous les autres

que je n'ose sortir avec lui le dimanche

A bon chagrin bon éléphant

Page 70: Poèmes d'Achille Chavêe

à bon entendeur une larme

de quoi vêtir ce diamant

qui frissonnait dans mon alarme

N'exigez pas de l'analyse ni le pourquoi

ni le comment

quand j'ouvrirai cette valise s'envoleront

seize éléphants

L'enseignement libre

à

Albert

Ludé

ÊTRE

BON

Un éléphant se baladait dans ma cuisine

je lui ai dit très gentiment

tu n'es pas ici chez un marchand

de porcelaine

tu es chez le poète

apprends à te conduire

et il disparut avec délicatesse sagement.

Un éléphant blanc cette fois

chose rare

se baladait dans le corridor

et je lui dis

tu n'es pas chez un énergumène

et voilà qu'il me répond pardon monsieur le poète pardon

Page 71: Poèmes d'Achille Chavêe

J'aurais pu croire

que j'en avais terminé avec les éléphants

et je vais dans ma chambre à coucher

Par principe

je regarde en dessous de mon lit

vous savez bien ce que parler veut dire

j'y trouve encore un éléphant

Je ne me suis pas fâché

je n'ai pas cru à une farce

je lui ai dit

viens dans mon lit mon vieux

viens dormir avec moi

à chaque jour suffit sa peine

je t'accorde le bénéfice du droit d'asile

et je me suis endormi

paisiblement

à

Albert

Ludé

Du temps que j'étais une petite chenille j'allais à l'école à l'université

Sur mon ardoise de complexes

j'écrivais de mauvais poèmes

d'amour et de philanthropie

J'attendais patiemment le moment

où je serais un jour

le papillon de l'invisible

Page 72: Poèmes d'Achille Chavêe

janvier 1957.

Laetare 59

à

Claude

Léonard

J'aurais vendu mon âme à un escargot pour habiter dans sa coquille.

On ressemble toujours par quelque côté à une erreur judiciaire.

Chasse le naturel il revient à vélo.

Damne-toi,

Dieu t'aidera.

Le prix de l'évidence

O

Christ

au plus profond d'une ruelle en ruines

ainsi qu'après un tremblement de terre

au long silence irréversible

dans les savanes de ton cœur

je t'imagine ayant aimé

sans nul espoir

dans ta totale pureté

une petite juive pauvre et laide

aux lèvres d'artifice et de litige

aux seins de voisinage

aux grands yeux de mensonge

une petite juive

orpheline peut-être

gamine de ton

Page 73: Poèmes d'Achille Chavêe

Nazareth

aux yeux immensément noirs comme la nuit

une fillette

plus élégante et maigre

que la tige d'une tulipe de ton cœur

une femme parmi les femmes

qui cependant ne t'a pas reconnu

pauvre petite maladroite

qui se couchait à son insu

puisque tu l'as aimée

que tu l'as désirée

dans la poussière d'or de ton éternité

sous le soleil désabusé de

Galilée

26 février 1960

Le sablier d'absence

à

André

Lorenl

En cette nuit je crus crronément que

Dieu se promenait dans une rue que je pourrais l'y rencontrer

Je sortis de ce café célèbre en vain car je ne vis personne sur les chemins que j'inventai

Il s'en fallut de peu que je m'écroule

au pied de ma propre statue

qui sans un geste se déplace dans mes liens.

16 octobre 1956

Page 74: Poèmes d'Achille Chavêe

à

M.Wilmart

Je rêvais de cette orpheline qui ne cherche pas de parents mais le baiser de l'invisible

à la fille pure qui sait d'intuition primesautière que l'amour est chose divine

à la fillette incomparable

qui toujours peut se mettre nue

sur les falaises inconnues

16 décembre 1956

à

Barthe

Dubail

Le verbe « réussir »

qui faisait rire les microbes

éternuer les mouches

se gratter les oiseaux

et cracher les poissons

et s'éteindre les lucioles

dans un golfe de l'Insulinde.

22 décembre 1956

De vie et mort naturelles L'HEURE

EXACTE

C'était la nuit

l'incomparable

c'était la haute solitude

comme si j'avais été encore

dans le ventre qui m'a créé

m'etreignant dans la totalité

Page 75: Poèmes d'Achille Chavêe

de sa poitrine invulnérable

Septembre 1961

Empreintes

à

Freddy

Plongin

Toujours on marche dans ses pas

que ce soit dans les sables blonds

dans les glorieuses boues dans les cendres

de son destin toujours on marche dans ses pas

Sur ce trajet tracé dans l'invisible point de

chat gris à gauche point d'hirondelle à droite

point de hibou de la minuit point de souris

de la seigneurie pour cet enfant parfait

qui peut-être dans deux mille ans va vous tendre la main

Et toi tu marches dans tes pas

déjà tu concrétises tous les demains

avec tous les hommes de l'univers

portant ton cœur ouvert

portant ta croix brûlante

exhalant le parfum d'une fervente peine

En toi et au-delà de toi

tu déambules dans les pas de tes pas

sous le double signe étonnant

Page 76: Poèmes d'Achille Chavêe

de la présence et de l'absence

dans les nuances d'un phénomène

à prendre et à laisser tomber

dans une faille d'éternité

comme une goutte de lumière

14 décembre 1961

Mission secrète

à

Jean

Voss

La neige la neige les neiges

la neige nue

la neige polluée

la neige rouge

la neige des cicatrices

la neige noire

la neige violette

la neige désabusée

celle des avalanches

et celle des adieux

la neige de la neige

ma neige qui n'est jamais blanche

dans le soutien-gorge mauve

de cette femme désespérée

où se cache le talisman

5 décembre 1961

Page 77: Poèmes d'Achille Chavêe

Mon

à

Jacques

Manon

Et voilà que je crois être u

ne rose des vents et que je suis le

vent et que je suis la rose et

que je suis l'espace

Voilà que je suis aussi ouvert qu'une plaie

qui porte en elle

toutes les infections d'amour

toutes les décoctions d'absence

Mais tuez-moi donc

Redoutez de me voir en liberté

puisque je suis la liberté

aux cartouches de silence noir

puisque je suis un pavé de cette barricade

qui pleure un blasphème de neige

17 décembre 1961

Facture

à

Urbain

Herregots

Qu'il fera bon vivre lorsque nous serons mort

Page 78: Poèmes d'Achille Chavêe

que nous reposerons

dans je ne sais quel trou troué du vieux

Cosmos

bien refroidi

bien étendu

dans la noire volupté de n'être plus

avec la pierre du silence absolu

posée sur notre langue

qu'il ne faudra plus jamais retourner

sept fois dans notre bouche

pour dire ou ne pas dire la vérité acquise

puisque la notion de vérité

n'emportera plus de signification

que tous les dieux auront cessé d'être le verbe

que l'épine plantée jadis dans notre cœur

n'entraînera plus le moindre cri

capable de troubler encore

la préséance du néant

6 janvier 1962

Cérémonial

à

Serge

Vandercam

Quand on meurt il arrive

c'est au centre de son corps

c'est au sein de son âme

Page 79: Poèmes d'Achille Chavêe

c'est au pied de sa statue

dans la poussière armoriée du silence

Lorsque l'on meurt en soi

l'invisible s'en vient

surgit de l'au-delà

prend possession des lieux

dépose quelquefois

une aile de libellule

sur nos lèvres fermées

allume un cierge blanc

dans la chambre muette

du côté de l'aurore inconnue

effeuille une rose nocturne

en prononçant pour chacun des pétales

une lettre de notre nom

que nos parents ces inconnus

ont dénoncé au démon de l'angoisse

6 février 1963 heures

Raison

à

Hélène

Locoge

J'étais venu pour planter ma présence

comme un stylet

dans la poitrine du malheur

j'étais venu

Page 80: Poèmes d'Achille Chavêe

pour parfumer la dentelle des fées

pour capter le regard angoissé d'un ami

pour laver les dents de la métaphysique

pour peigner le silence

sur les épaules de la nuit

pour isoler le grain de sable

et me confondre en lui

et vous restituer aux grandes origines

pour penser longuement à l'âme du futur

à la structure du désir

à l'immanence du secret qui rode la matière

Exhortation

à

Christiane

Bêcher

Croyez-m'en bien mon vieil ami

on a coupé mes ailes

on a brouillé mon ciel

on a miné la terre sous mes pas d'espérance

on a tué mon ange

on a brûlé mon âme

on a drogué mon cœur

on a sali mon rêve

on a déchiré mon beau costume

dans une bagarre d'ivrognes spirituels

Croyez-m'en bien mon cher ami je m'amène chez vous dans un état très lamentable

Page 81: Poèmes d'Achille Chavêe

Voulez-vous bien me recueillir

pour une nuit

le temps de recharger

soigneusement

mes armes

celles de la colère de la révolte et de l'amour

Juillet 1962

Identite

à

André

Breton

Je suis je suis je suis ce que je ne sais pas

un ustensile de comparaisons

pour tamiser les vieux proverbes

à l'heure où l'aube blanche s'écroule en larmes

je suis un vieux péché de gloire morte

posé très délicatement

ainsi qu'une émeraude de naissance

sur la falaise des coïncidences

je suis un acrobate de fortune

qui termine son numéro

dans l'exacte nuance du dérisoire

une guitare qu'une vierge démantèle

dans une crise folle de chasteté

je suis ce qui n'a pas d'importance

qui se confond avec l'image en filigrane

d'une future vérité dès à présent défigurée

Page 82: Poèmes d'Achille Chavêe

je suis un nœud de cette corde

qui traîne dans le champ

que demain vous pourriez découvrir

explorer sur les échasses de l'angoisse

je suis cet argument que l'on emploie

quand on veut se crucifier

la couverture que l'on cherche

pour se coucher frileusement

dans un ultime témoignage

le parfum d'un atome devenu vertueux

l'aile d'un caillou qui cherche son amant

je suis aval de votre damnation

et la source qui naît de l'âme d'un volcan.

Je suis à la rigueur aussi le visage voilé

un tout petit lambeau de

Christ

bien maladroit d'outre-mémoire

ainsi que vous voyez parfois

le cadavre d'un bel insecte

dans une toile d'araignée

dans l'aube violette

en la chapelle des quatre vents

tout au pied de la colline de votre enfance

Je suis un grand seigneur du domaine maudit

le magicien parfait de l'innocence noire

l'enfant déshérité qui n'aurait pas dû naître

Page 83: Poèmes d'Achille Chavêe

l'homme vieux qui lutine une sévère mort

le magistrat secret des hautes hérésies

pour celte époque où

Dieu lissait ses plumes d

le souteneur désabusé qui se suicide

dans son bouge de vérité

la chaîne du forçat dans le mythe d'Antcc

la créance d'un saint sur le sein d'une fée

l'agenda d'un oiseau nourrissant ses petits

la perte blanche et pure d'un grand iconoclaste

l'indésirable perle en la neige perdue

je suis un grand seigneur du domaine des nues

Je suis le grand seigneur d'un orage latent

l'indicible souhait d'une orange d'amour

frappée de par l'éclair éblouissant

je suis le piétinement gris

d'une colonne de fourmis qui s'expatrient

l'argument de

Zenon dans les ruines d'Êlée

le linceul étoile des réincarnations

le souterrain secret fouillant le

Golgotha

le fabricant menu de sarcophages bleus

le croisé du silence en la gnose de feu

le pont-lcvis baissé sur la terre sans maître

le sténographe pur du murmure océan

je suis un grand seigneur au domaine du temps

Je suis un grand seigneur au domaine du rêve le beau cercle vicieux qui devient un cerceau pour l'enfant

Page 84: Poèmes d'Achille Chavêe

dépouillé au cartable d'azur le bagnard endormi qui charme les oiseaux l'anachorète nu aiguisant des

idées pour coudre le manteau de la femme damnée le critère parfait de l'indéterminé comme la plume au

vent égratignant l'été le coucher du soleil sur les seins de

Ninive le corsage échancré de la psychanalyse la côte du

Gabon par un torride été la chandelle de cire près du litre de lait le serment arraché aux lèvres de la fièvre

je suis un grand seigneur au domaine du rêve

Je suis un grand seigneur de l'osmose totale l'incombustible don de la source enchantée la fibre du

bambou qui découvre le ciel la robe de silex abreuvé de patience le cil purifié d'une pauvre

Marie le calligramme d'or de l'aveugle trahi l'échansin du futur pour la gourde du temps je suis le grand

seigneur de l'ivresse d'antan

Je suis le grand seigneur d'une légende nue un gémeau allaité par la reine d'amour le truand de l'adieu

sans esprit de retour

la clepsydre épuisée de mesurer

le temps la coupe de cristal et de hiérarchie par mon souci sur

le marbre brisée

la colonne d'Hercule en habit de clochard

la sentence d'un nain dans

le temple du soir

le crachat d'un apôtre en terre de

Judée

le testament d'un roi qui a donné ses terres

je suis un grand seigneur du sang de l'éphémère

20 janvier 1963

Exploration

à

Walthère

Meurens

Il m'était advenu explorant mes cavernes

Page 85: Poèmes d'Achille Chavêe

de devenir à mon insu

le métaphysique propriétaire

d'une montre au remontoir miraculeux

dont les aiguilles tournaient

de droite à gauche

avec une exemplaire exactitude

tournaient de droite à gauche

contrairement à l'usage établi

contrairement aussi vous l'avez soupçonné

bien naturellement

au sillage insolent du soleil en l'azur

Grâce à cette montre incomparable

je possédais la redoutable faculté

de fréquenter les morts

de jouer un poker avec de vieux fantômes

de visiter les catacombes

de fréquenter les hypogées

de détecter le tombeau des prophètes

de déchiffrer les langues inconnues

de cerner de mon cœur la grande pyramide

de remonter dans leur mémoire

le cours exact de l'Euphrate et du

Nil

bien avant

Ur ou

Babylone

d'imprégner de mon ombre

éternelle l'éternelle poussière

Page 86: Poèmes d'Achille Chavêe

Grâce à cette montre miraculeuse

je possédais l'étrange faculté d'épingler la

seconde présente sur la mémoire

du papillon géant dont l'aile gauche

figurait un cancer dont l'aile droite

un camaïeu illustrait l'immanence du

Christ

23 mai 1963

Juste

à

Freddy

Plongin et

Max

Michotte

II s'agissait d'une clepsydre gigantesque

d'une clepsydre magique

qui sans fatigue aucune

mesurait cent mille ans d'histoire humaine

Il s'agissait d'une clepsydre unique

dont chaque goutte d'eau était conscience

souffrance était

était voyance

dont chaque larme alimentaire était

mille litres de sang humain coagulé

sans parler de celui des oiseaux

des poissons et des mammifères

Il s'agissait d'une clepsydre métaphorique

d'une incroyable soif

Page 87: Poèmes d'Achille Chavêe

que de mon cœur infatigable noria

que de mes mains pensives

manipulant les astres et des désastres

j'avais construite solitaire et puissant

dans l'empire de mon

Sahara

dans l'Atlantide redécouverte

de mes planètes d'horoscope

Il s'agissait d'une clepsydre à l'échelon sacré

que d'une seule pensée accréditée

que d'un seul geste ayant tranché sa main

je pouvais transformer au gré de ma conscience

en fusée métaphysique

à ogive inconditionnelle

susceptible de percer

le misérable rideau mité

de la science du bien et du mal

Et à l'exemple de

Benjamin

Peret le pur

je fis le geste nécessaire

et je pus voir se détachant du ciel

tomber sur la plaine immense du silence

semblable à une fine pluie d'automne

pour la fertilité du grand désert

le cadavre de

Dieu redevenu poussière

29 mai 1963

Page 88: Poèmes d'Achille Chavêe

C'est ainsi

à

Jean

Bastin

Il est certain que quelque chose existe

est

tendant à nous nier

nous dépassant

et qui en nous se réalise

et qui se justifie

dans la naissance d'un poète

et dans sa mort

dans un petit village

au fond de la brousse spirituelle

II est certain que je vous aime

comme un enfant

ayant perdu sa mère à l'âge du secret

que vous auriez recueilli

après une tornade

dans un îlot de la dévastation

que vous auriez recueilli

ainsi qu'une émeraude

tombée du diadème de l'absolu

27 octobre 1963

Adjuge

Page 89: Poèmes d'Achille Chavêe

C'est au café du

Bassin .

à cent pas de chez moi

que je tiens les propos sévères

d'une inhumaine vérité

que j'écris des poèmes criés

sur une table d'infortune

c'est là que je fuis mes fantômes

que je retarde

jusqu'au plus profond de la nuit

le dramatique cri

de ma clé introduite

dans la serrure de la maison qui pleure

Souvent ce sont les éléphants

qui veulent bien communiquer

à mes oreilles attentives

les grands secrets de la savane

ce sont les braves éléphants

à la bonne et fidèle mémoire

ils adorent les anecdotes

ils viennent tout me raconter

et le secret des autres bêtes

et celui des sorciers velus

et celui de la négresse nue

qui s'est dressée sous l'Equateur

criant la nuit dans l'énorme silence :

je suis la femme que les dieux en devenir

ont pénétrée de leur sexe géant

Page 90: Poèmes d'Achille Chavêe

pour que ton cœur soit dans mon cœur

pour que tout s'accomplisse dans la douleur

30 décembre 1961.

L'agenda d'émeraude

à

Edmond

Kinds

Rongé par des insectes singuliers

qui s'en étaient venus

comme de l'au-delà

j'allais sans un effort légèrement

mourir dans le calice d'une rose

à

Michel

Focke

L'anachorète qui mangeait

les rayons de la lune était

maigre comme le clou où nous

avions pendu notre veston de contingences

à

Marcel

Parfondry

Du côté de

Tibériade

si je l'avais connu

j'aurais fait le treizième apôtre

dérobant une orange au jardin de Judée

Page 91: Poèmes d'Achille Chavêe

à

Achille

Bêchet

L'oiseau me regardant de par ma main ouvrit sa cage

Il m'avait dit dans un murmure

tu es le seul complice à portée de mes ailes

J'ai mesuré l'éternité

par le temps même dont il usa

à se perdre dans le feuillage

6 avril 1957

à

Pierre

Alechinsky

Les aphorismes étaient plus nus

que couteaux d'or

tranchant le pain de notre vie

6 mai 1957

à

Jane

Graverol

Un oiseau bleu a dégrafe le corsage de la bien-aimée

11 a donné un léger coup de bec sur chacun de ses seins

J'ai posé mon plus ancien baiser sur les blessures minuscules

19 juillet 1957

à moi-même

Page 92: Poèmes d'Achille Chavêe

Je finirai par faire acte d'amour

avec n'importe quoi

avec des arbres des cactus ou des oiseaux

j'aurai perdu toute inquiétude

et je serai livré à l'univers

à ses espaces paumes ouvertes

comme si j'étais une hirondelle

ou le sexe du vent d'automne

Je serai un graffito d'enfant perdu

sur un vieux mur dans le campo d'Albacété

25 novembre 1957

Je me de de

Je me vermine

je me métaphysique

je me termite

je m'albumine

je me métamorphose

je me métempsychose

me dilapide

je n'en aurai jamais fini

Je me reprends

je me dévore

je me sournoise

je me cloaque et m'analyse

je me de de

je m'altruise

Page 93: Poèmes d'Achille Chavêe

je deviens mon altcr ego

je me cache sous les couvertures

je transpire l'angoisse

je vais crever madame la marquise

Pour bien mourir

Commettre une incartade

deux incartades cent incartades

Les systématiser à notre image

à notre ressemblance

pour notre fin dernière

Se trouver à l'index en soi

d'une manière souveraine

de par son sang spirituel et sain

Payer son minerval humain

réhabiliter la notion de divin

avoir ainsi droit de cité dans l'ombre

Tendre la main aux âmes incurables

mettre de l'ordre un peu

dans l'univers des inclassifiables

Suggérer la vertu comme un

glaive brisé à un prix que très peu

peuvent lui consentir être plébiscité

par de vieux souvenirs

Page 94: Poèmes d'Achille Chavêe

Depuis toujours - Poéme Quand je commence à sentir

un peu le vieux parfum de

Chypre je sais qu'un très

grave danger qu'une catastrophe

de très haute sentence menace

mes origines de sainteté

Et je respire mon parfum

je sens que je vais violer

toutes les vierges interdites

je sens qu'en imagination

j'avance à pas de chat sauvage

vers le sexe secret de la

Vierge

Marie

J'en éprouve profondément le

sentiment définitif que je signe ma damnation

Avant jamais je n'eusse osé le faire

Et voilà que soudain la

Vierge est nue

en moi

dépouillée à jamais

de tout bijou de pacotille

de tout voile inutile

de tout rideau dissimulant mon acte

Page 95: Poèmes d'Achille Chavêe

Et je fais l'amour avec

Elle

au grand jour au grand soleil

devant

Dieu lui-même

au-delà de toute éternité

pour que naissent toujours

de nouveaux

Christs

de nouveaux serments

de roses rouges et noires et bleues

aux pétales de diamants

aux étamines d'étreinte souveraine

pour m'effacer irrévocablement

dans ses entrailles de miséricorde

Le débutant - Poéme Le

Christ pour sa maman comme

dans un nuage était allé chercher

du bon pain blanc chez le boulanger

du village

Il faisait faim à la maison

Joseph pressurait un citron

En s'égarant au jeu dans les ruelles le

Christ perdit du temps de temps il

perdit même son petit argent

Alors il fut acculé comme un mage

Page 96: Poèmes d'Achille Chavêe

à faire son premier miracle

et put rentrer à la maison la tête haute

avec une merveilleuse tarte aux prunes

qu'il avait dérobée

dans le corsage de la lune

Nuages - Poéme Le vent travaille les nuages

dans la grande ignorance sacrée

de tout ce qui pourra en advenir

Et la parole est aux nuages :

et falaise et visage et continent perdu

et colombe de paix survolant les vestiges

et femmes aux croupes voluptueuses

immenses déchirures

incroyable empoignade de formes

enlassement vertigineux de corps

mouvances des désirs

triomphe du péché qui se veut solitaire

appas aux fugitives vérités

au langage furtif

aux certitudes imaginaires

aux lambeaux indécis d'une ancienne patrie

aux sillages opalins en l'océan du rêve

Et toi qui ne crois plus en rien

qui pleures

prenant ombrage de tes pleurs

Page 97: Poèmes d'Achille Chavêe

regarde une dernière fois

avant que de mourir

dans les nuages

le château merveilleux de ton premier amour

A tous les échelons secrets de mes

escapades spirituelles toujours le

même nom

d'André cogne à la vitre de ma destinée

André

Lorent le colonel

André

Breton le mage

André de

Balthazar

André

Tillicu la neige

André

Miguel aux lèvres nues

Je ne pourrai jamais oublier ce prénom quel que soit

mon radeau de misère dans une

hypothétique éternité

Au demeurant - Poéme

Un jour je n'entrerai pas à l'Académie.

L'Evangile selon

Saint

Truc.

Il ne faut jamais ternir sa mauvaise réputation.