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FRANCE-MAROC Revue lnensuelle illustrée SOMMAIRE NUMÉRO 5 Les Arts marOCaInS IS MAI 1917 JOSEPH REIN ACH. De l' Islam dans la gtterre mondiale. Une Exposition des Arts marocains. Le filet brodé marocain L.-J. NACIVET. Liste des monuments Glas sés du Maroc. Les influences possibles du A. LAPRADE Maroc dans l'évolution de l'art français. La vie politique. - Ordre du général Gouraud. Le Maroc en France. - La participation du Maroc à la foire de Lyon. Nos belles pages. PRÉVOST-PARADOL. La presse et le Maroc. Bibliographie. - Echos. LA VIE AU MAROC Les .arts citadins et les arts ruraux dans l'Afrique du Nord. Les babouches. Les métiers d'art au AIaroc. Chef de bureau. LÉON BÈGUE. Sous-chef de bureau à la Rési- dence générale. R. DE LENS Bijou x des Mille et une Nuits CAPITAINE BELHOMME. L es poignards du Sous TRANCHANT DE LUNEL. Introduction. Chef du service des Beaux-Arts du Maroc. JEAN GALOTTI. Inspecteur des arts marocains. RICARD. Inspecteur des arts marocain s' De l'Islam dans la Guerre mondiale « Il faut jouer le tout pour tout! n disait l'autre jour M. Hellferich. De quelles ambitions l'Alle- magne n'est-elle pas tombée? Elle ne les a pas toutes dites, ou elle les a indi- quées seulement d'un mot. Ainsi dans la nuit du 29 juillet 1914, à l'issue du conseil de Potsdam la décision a été prise pour la guerre, quand le chance- lier mande l'ambassadeur anglais et lui offre « une forte enchère pour assurer la neutralité britannique n. Le gouvernement impérial « n'a pour but aucune acquisition territoriale aux frais de la France écrasée n; toutefois, sur interrogation de sir E. Goschen, « il ne peut s'engager au sujet des colonies françaises n. L'Allemagne a-t-elle jeté son dévolu sur toute notre France. africaine, ou, seulement, sur le Maroc? Point de doute en ce qui concerne le Maroc. Et l'on commence à réunir les preuves que, par la suite, quand l'Angleterre est entrée dans la guerre, l'Allemagne a travaillé à soulever une immense révolte de l'Islam, du Maroc à l'Egypte et jusqu'aux Indes musulmanes. On remplirait .une bibliothèque rien qu'avec les documents publics, imprimés, de la propagande alle- mande, papiers incendiaires qui devaient mettre le feu aux poudres. Organisation puissante, pourvue d'un gros budget, avec des agents répandus sur toute la surface de l'Afrique et de l'Asie. La Bibliographie allemande de la guerre (librairie Hinrichs, à Leipzig) compte, parmi ses 30.000 volumes, plusieurs cen- taines de tracts en arabe, turc, persan, hindoustani, pendjabi, bengali, malais, chinois, pour prêcher la révolte des indigènes contre leurs oppresseurs fran- çais, anglais, russes, et même néerlandais, tous chargés également de crimes et d'injustices, et pour célébrer l'invincible protectrice de l'Islam (1). (I) Rapport Louis ;\Iarin, Une mission musulmane en Arabie, p. 68 et suiv.)

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Page 1: Platre 1917

FRANCE-MAROCRevue lnensuelle illustrée

SOMMAIRENUMÉRO 5

Les Arts •marOCaInSIS MAI 1917

JOSEPH REIN ACH. De l' Islam dans la gtterremondiale.

Une Exposition des Artsmarocains.

Le filet brodé marocain L.-J. NACIVET.

Liste des monuments Glas sésdu Maroc.

Les influences possibles du A. LAPRADE

Maroc dans l'évolution del'art français.

La vie politique. - Ordre du général Gouraud.

Le Maroc en France. - La participation du Maroc à

la foire de Lyon.

Nos belles pages. PRÉVOST-PARADOL.

La presse et le Maroc.

Bibliographie. - Echos.

LA VIE A U MAROCLes .arts citadins et les arts

ruraux dans l'Afrique duNord.

Les babouches.

Les métiers d'art au AIaroc.

Chef de bureau.

LÉON BÈGUE.Sous-chef de bureau à la Rési­

dence générale.

R. DE LENS Bijou x des Mille et une Nuits

CAPITAINE BELHOMME. L es poignards du Sous

TRANCHANT DE LUNEL. Introduction.Chef du service des Beaux-Arts

du Maroc.

JEAN GALOTTI.Inspecteur des arts marocains.

P'\i>~~LRICARD.Inspecteur des arts marocain s'

De l'Islam dans la Guerre mondiale« Il faut jouer le tout pour tout! n disait l'autre

jour M. Hellferich. De quelles ambitions l'Alle­magne n'est-elle pas tombée?

Elle ne les a pas toutes dites, ou elle les a indi­quées seulement d'un mot. Ainsi dans la nuit du29 juillet 1914, à l'issue du conseil de Potsdam où ladécision a été prise pour la guerre, quand le chance­lier mande l'ambassadeur anglais et lui offre « uneforte enchère pour assurer la neutralité britannique n.

Le gouvernement impérial « n'a pour but aucuneacquisition territoriale aux frais de la France écrasée n;toutefois, sur interrogation de sir E. Goschen, « il nepeut s'engager au sujet des colonies françaises n.

L'Allemagne a-t-elle jeté son dévolu sur toutenotre France. africaine, ou, seulement, sur le Maroc?Point de doute en ce qui concerne le Maroc. Etl'on commence à réunir les preuves que, par lasuite, quand l'Angleterre est entrée dans la guerre,l'Allemagne a travaillé à soulever une immense

révolte de l'Islam, du Maroc à l'Egypte et jusqu'auxIndes musulmanes.

On remplirait .une bibliothèque rien qu'avec lesdocuments publics, imprimés, de la propagande alle­mande, papiers incendiaires qui devaient mettre lefeu aux poudres. Organisation puissante, pourvued'un gros budget, avec des agents répandus sur toutela surface de l'Afrique et de l'Asie. La Bibliographieallemande de la guerre (librairie Hinrichs, à Leipzig)compte, parmi ses 30.000 volumes, plusieurs cen­taines de tracts en arabe, turc, persan, hindoustani,pendjabi, bengali, malais, chinois, pour prêcher larévolte des indigènes contre leurs oppresseurs fran­çais, anglais, russes, et même néerlandais, touschargés également de crimes et d'injustices, et pourcélébrer l'invincible Germani~, protectrice del'Islam (1).

(I) Rapport Louis ;\Iarin, Une mission musulmane en Arabie, p. 68et suiv.)

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2 DE L'ISLAM DANS LA GUERRE MONDIALE

Cela est, si l'on peut dire, à la fois intelligenl etbête (très allemand). Un occidental, un peu superfi­ciel, comme il y en a quelques-uns, admire ce travailsoigné, si bien fait. Mais toute cette littérature est sigrossière, si naïvement ou si insolemment grossière,que les esprits les plus simples, ceux des peuples lesplus proches encore de la nature, voient le piège ets'en détournent.

« Bien près de passer à l'Islam 11, l'Allemagneinvoque d'abord le devoir religieux contre les chiensde chrétiens de l'Entente. Quelques écrits portentdes signatures arabes, les unes authentiques, depauvres diables soudoyés, les autres vraisemblable­ment apocryphes.

Un Allemand, ayant noté dans l'Ane de Hugo desnoms inconnus aux plus doctes historiens, se ren­seigna un jour auprès du Maître. Hugo, de sa voixgrave et douce: « Ces sophistes, ces grammairiensbyzantins, je les ai inventés. 11 Leçon qui ne fut pasperdue. Sidi Mohammed Es-Sakali Et-Tarbani a été,sans doute, inventé, ainsi que Si Ali Bacha ouldEl Hadji Abd el Kader el Djazaïri, « l'Algérien 11, quisert dans l'armée allemande.

Brochures imprimées tantôt en caractères arabesorientaux, à l'usage de tous les musulmans instruits,tantôt en écriture mograbine que seuls les gens dupeuple savent lire dans l'Afrique du nord. La guerresainte est prêchée sur papier vert, couleur du drapeaudu Prophète. Les titres sentent le bazar oriental desruelles louches de Hambourg ou de Berlin : « Lesperles précieuses )), « Le réveil des endormis ll, « Lesintrigues dévoilées)).

« Guerre sainte made in Germany )), « Djihad)) depublication allemande, écrit l'islamologue néerlandaisSnouck-Hurgrouje. Les vrais musulmans accueille­ront presque partout avec indifférence, avec le beaudédain qui sied si bien à leurs visages graves, le pré­tendu jétoua qu'a rendu, sur l'ordre des Jeunes-Turcsathées, le Cheik-ul-Islam de Constantinople.

~"o

Cependant la situation aurait pu devenir périlleuseau Maroc si le Résident général de la Républiqueavait été un autre que Lyautey.

On connaît son mot profond: « L'armée (auxcolonies, aux pays de protectorat), c'est une organi­tion qui marche. )) Il avait commencé à organiser leMaroc, à donner à ce peuple tourmenté par tant dedésordres sanglants depuis des siècles le goût de lapaix française. La guerre éclate.

L'automatisme administratif aurait trouvé vingttrès bonnes raisons pour ajourner après ia guerre leréveil économique de l'empire chérifien. Lyauteyeut l'intuition qu'il le devait faire coïncider avec la

guerre. Ainsi la France donnera une preuve de forcesaisissante pour les plus simples. Ce n'est point dansla défaite qu'elle se peut occuper à activer sur uneterre lointaine la construction des routes, des voiesferrées, des ports, des écoles, et à tenir une foireéblouissante à Fez. Donc, c'est elle qui a la victoire,et non l'Allemagne. Mâis, d'abord, il avait fallurester au Maroc, alors que l'ordre du repli à la côte,c'était le désastre, et écraser les tentatives derévolte.

On écrira plus tard cette histoire du Maroc, detoute éternité à feu et à sang, qui se pacifie tout àcoup dans le temps où l'Europe est en proie à laguerre la plus sauvagl que le monde ait connue, quienlre dans les longs desseins de notre politique colo­niale et nous fournit des soldats incomparables pourla défense de cette civilisation qui, la veille encore,était l'ennemie. On se rendra compte alors de l'im­mense danger auquel nous avons échappé, et lesItaliens et les Anglais avec nous. Imaginez l'incendiese développant au Maroc et s'étendant, commedans une forêt ou dans une plaine herbue pendantles chaleurs desséchantes de l'été, au reste del'Afrique du nord. Si les premiers feux qui s'allu­mèrent dans la montagne et dans le bled n'avaientpas été éteints à peine le ciel eut-il rougi de leurslueurs, c'en était fait de tout ce qui était en puis­sance dans l'œuvre tout juste ébauchée au Maroc, etcomment arrêter les contre-coups de la retentissantecatastrophe, ou à quel prix?

Il Y a cerLLinement quelque part à l'Office colonialde Berlin, le plan de cette révolte de l'Islam qu'onprenait par les deux bouts: Constantinople vers oùcinglaient le Gœben et le Breslau, assurés de lacomplicité des Jeunes-Turcs, et le Maroc où desfoyers d'insurrection avaient été préparés sur toutela périphérie de notre domaine.

C'est à l'heure même où l'Allemagne proclame lamobilisation générale que se découvrent les pièces deson échiquier au Maroc: Raissouli, Abb-el-Malek,El Hiba, « chef de ceux qui combattent pour la foi ll.

L'ancien sultan, Moulaï Hafid, est tenu en réserve àBarcelone.

Mais ces pièces ont été placées depuis longtemps.La convention du 4 novembre 19II n'a arrêtéaucune des manœuvres en souterrain qui avaientabouli au coup d'Agadir. Le mot d'ordre est derépandre que l'accord franco-allemand n'est qu'unehabileté diplomatique. « Il est combiné d'une manièrerusée, presque trop rusée... La France n'a reçu quel'autorisation de jouer au policier. Quand elle parledu Protectorat, c'est avec un fil à la patte. A chaque

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DE L'ISLAM DANS LA GUERRE MONDIALE 3

S. M, Moulai Youssef, sultan du Maroc.

Cliché du "Bulletin cie l'Afrique Française".

(1) Rapport de l'Intelligence Office de Gibraltar.

La fidélité du Ma­roc, celle des autrespays islamiques, ontété certainementparmi les grands éton­nements de l'Alle­magne. Elle n'atrouvé de concoursutile que chez lesTurcs, trompés ouvendus. par les Jeu­nes-Turcs. Peut-êtren'a-t-on pas aperçuassez clairement quela Turquie poursuit

dans l'Orient musulman une œuvre analogue à cellede la Prusse dans les pays germaniques.

Prusse et Turquie, ce sont deux armée~, selon laformule de Lloyd George, plus que des états. Ellessont parvenues, par la force, à dominer deux races àqui elles sont étrangères, l'allemande et l'arabe. LaPrusse, d'origine slave, - Prusse et Russe sont unmême mot, - la Turquie, d'origine touranienne,ont gardé leur individualité malgré de nombreuxmélanges. La Mittel-Europa est l'ambition de l'une,le Mittel-Asien celle de l'autre.

de zones dans lesquelles, en temps de guerre, tout cequi était alle~and passait sous le commandementeffectif d'un agent, officier de réserve, de terre ou demer, lequel devait avoir tout pouvoir sur ses natio­naux, leurs maisons. de commerce, de navigationet de banque (r). » Chaque agent est considérécomme un soldat en campagne.

Le secteur d'actiondu Maroc et le Centredirecteur de Madridtravaillèrent bien. Aplusieurs reprises, lelourd bélier aigufaillit faire éclater]aporte. Cependant,d'être au service de]' Allemagne, lesméhallas rebelles per­dirent de leur vertu.Elles se trahissaientelles-mêmes. Lesforces morales l'em­portèrent, notrejeune armature ré­sista.

pas, elle ira contre le sens du traité, cela est inévi­table. Une occasion meilleure permettra de découperle reste du Congo ou bien un morceau de la France. »

Ainsi parle un Allemand, Grundler. La lettre a étéproduite en justice.

Active campagne de presse, en liaison avec l'Unionmograbine du Caire. Contrebande, non moins active,d'armes et de muni­tions. Le Bulletin duComité de l'Afriquefrançaise a publiérécemment un récitdes nombreuses ré­volt:es d'EI-Riba.C'est, à l'époque, unmarabout d'une qua­ran taine d'années,d'origine chérifienne,allié à une puissanteconfrérie, intelligent,lettré et dévot, dontles harkas harcelaientnos protégés et, àpeine bousculées parnos colonnes, se re­formaient. Il a étéun instant le sultanreconnu par tout leSud du Maroc. Cesont ses hommesbleus que les fa­briques de Thuringepourvoient de Mau­ser et de \Vinchester,de 6.000.000 de car­touches, et Krupp debatteries légères.

L' Allem and es­pionne comme il res­pire. A l'Atlas, auxrivages de l'Océan, ilrespire à pleinspoumons. Tous nos mouvements sont eples.

Préparée dès le temps de paix à son rôle de guerre,la colonie allemande ne s'étonnera pas de la rapidecatastrophe, la tragédie des douze jours. On diraitvolontiers que les Allemands du Maroc ont été moinssurpris que ceux de la Métropole par l'attaque brus­quée sur la Belgique. Ils déclenchent aussitôt lesbandes mahdistes d'EI-Riba contre nos postes etsoulèvent les Berbères du Zaïani. L'organisation deTanger, en liaison directe avec Algésiras, se met àl'ouvrage.

« Le monde avait été réparti en un certain nombre

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4 DE L'ISLAM DANS LA GUERRE MONDIALE

Ces deux puissances violentes et malfaisantes, dontla guerre est l'industrie nationale, étaient commeprédestinées pour s'entendre. Mais les Allemands ontsuivi la Prusse, les Arabes se détachent des Turcs.Les Jeunes-Turcs, par leur prétention « allemande»à substituer l'idée de race à l'idée de nation reli­gieuse, ont brisé l'unité musulmane.

Notre guerre de libération des peuples se peut-ellelimiter à l'Europe? Nous l'avions étendue à l'Asieavant que l'Amérique, entrant en scène, ait précisénotre programme commun et insisté sur l'idée de

Dessin de Hourtal.

démocratie, ce qui lui était rendu plus aisé par larévolution russe

« De Verdun à la Kaaba », mot magnifiquementévocateur de l'émir Si El Hossein Ben Ali Ben Aouf,grand chérif de La Mecque.

Les musulmans d'Asie et d'Afrique, combattantdans les armées anglaise et russe comme dans lanôtre, mêlant aux nôi:res leur sang héroïque, se sontacquis de grands droits, du Gange à la Volga et dugolfe Persique à l'Atlantique. Des oppressions, quiont été toujours détestables, seraient demain desactes affreux d'ingratitude. Qui a versé avec nousson sang a droit à notre liberté et à toute la justice.Bureaucratiques ou militaires, parlementaires ouélectorales, il faudra briser toutes les résistances, s'ils'en produisait, à une vaste réforme du statut desindigènes musulmans.

Je voudrais voir dès aujourd'hui, auprès du chefde l'Etat et de nos plus grands chefs militaires, unburnous.

Ce monde arabe a ses lieux saints à La Mecque oùtout musulman, qui « est en état de le faire» (Coran)doit accomnlir au moins une fois dans sa vie lepèlerinage.

L'une des inspirations les plus politiques del'Entente a été certainement d'aider à ressusciter auHedjaz, cœur de l'Islam, un royaume arabe. Lalutte engagée entre le Chérifat arabe de La Mecqueet le Khalifat turc de Constantinople (1) est à la foisreligieuse et ethnique. Au mépris brutal du Turc,l'Arabé oppose un mépris intellectuel. L'Arabe estresté profondément coranique. Le Jeune-Turc est unpositiviste dévoyé qui continue à faire les gestesrituels. Il se ressent de ses origines souvent juives ouchrétiennes. Le sens profond de l'Islam lui manque.Il a voulu proscrire de son parlement, de sonReichstag de rue du Caire, l'arabe, la langue du divinprophète et du Coran. La révolte du Hedjaz, d'oùest sortil1e royaume de Hossein, chérif et émir de LaMecque, a pour objet principal « le triomphe de lareligion islamique )). (Manifeste du 25 chabaane 1336,27 juin 1916.) Le « roi des Aràbes » est de la tribudésignée des Koreïchites, il descend de Mahomet etde sa fille Fathma.

Le royaume de Hedjaz a été reconnu officiellementpar la France, l'Angleterre et l'Italie.

Les territoires sacrés étant interdits rigoureu­sement aux infidèles, notre mission fut composéeexclusivement d'officiers et de dignitaires musul­mans. Si Kaddour ben Ghabrit, chef du pro­tocole du sultan du Maroc et chef de la Mission,remit au Chérif une lettre du Président de la Ré­publique. Dépêche du Chérif : « Le pays a faità la mission française l'accueil le plus somptueux. »La mission accomplit ensuite le pèlerinage sacré,fit sept fois le tour de la Kaaba, « la maison deDien )).

Nous sommes, avec le royaume de Hedjaz, douzpeuples de guerre contre l'Austro-Allemagne, le Turcet le Bulgare.

Renan a montré, dans une conférence fameuse (2),pourquoi la civilisation musulmane, autrefois sibrillante, s'est abaissée par la suite. C'est qu'aprèsavoir été la maîtresse scientifique de l'Occidentchrétien pendan t des siècles, elle a sombré, à partir

(1) Le Khalife ne possède pas d'autorité sacerdotale ni dogmatique;il n'est point censé connaître la science des docteurs; ce n'est pas unPape (Voir dans le Correspondant du 10 mars: « Le Khalifat et les reven­dications arabes ", par Jean Pozzi.)

(2) L'Islamisme et la Science.

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DE L'ISLAM DANS LA GUERRE MONDIALE 5

du XIIIe siècle, au moment précis où Averroès arriveen Italie et en France à une célébrité presque égaleà celle d'Aristote, dans la plus grossière des réactions

contre la liberté et la vie. Le Turc peut paraître.Ce sera une grande gloire pour l'Europe latine,

nourrie du lait de la science arabe, ayant reçu de

Dessin de HOllrtal.

Fez.

théologiques.\' La philosophie, l'histoire, les sciencessont abolies,. « l'astronomie n'est tolérée que pour lapartie qm sert à déterminer la direction de la prière» ;c'est le règne absolu du dogme, la lettre du Coran donts'évapore l'esprit subtil comme un parfum et vigou­reux comme le glaive, le fatalisme de la résignation

Bagdad et de Cordoue « le ferment de la traditionantique nécessaire à l'éclosion de son génie », depayer sa dette en affranchissant l'Islam du Turc eten le ramenant aux lumineuses activités d'Averroè;;;,mort au Maroc, dans la tristesse et l'abandon.

JOSEPH REINACH.

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Croquis de A Laprade

UNE EXPOSITION

Cro;uis de A. Laprade.

** *M ais cette Exposition répond à d'autres desseins

encore. Elle veut contribuer à faire connaître en Francece bel empire trop ignoré, et son peuple,' elle veutdonner une idée de ses goûts, de ses mœurs, et des

méthodes souverainement libéralesque nous pratiquons envers lU1:.

Rien ne peut nous en rapprocherdavantage que d'étudier son art, lesformes, les couleurs, les procédéstraditionnels par où s'exprimentses artisans, que ce soient les petitesfilles de Fez brodant à l'aiguille,les potiers tournant l'argile, lesrelieurs martelant la feuille d'or,les plâtriers creusant le plâtre frais,ou les .femmes berbères tissant lestapis sous la tente ... Peut-être une

leur décor familier, où ils peuvent observer strictementles rites de leur religion, où ils trouvent la nourriture,les jeux et les distractions qu'ils aiment, et même uneécole pour se perfectionner dans leur métier. Le généralLyautey, le général Gouraud, le général Henrys, lescolonels Poeymirau et Pellegrin, sont allés leur rendrevisite et leur témoigner ta reconnaissance de la Franceet du Maroc pour leur bravoure et leur loyalisme.

D'autres œuvres ont été créées pour le soldat maro­cain. M. le chef de bataillon M azoyer, commandant ledépôt des troupes marocaines, a fondé à Arles ttn

Foyer du soLdat marocain qui, ouvert le 2 juillet 1916,comptait déjà, au 1 er janvier dernier, plus de30.000 entrées.

Il faut citer encore les envois réguliers de laine, dethé vert, d'épices, etc... , faites aux troupes marocainesdu front, ainsi que les envois de secours aux prison­niers marocains en Allemagne.

Toutes ces œuvres sont centralisées à l'Ojfice duGouvernement Chérifien, à Paris, et c'est à leur béné­fice que la présente exposition est ouverte. Son pro­duit s'ajoutera au produit escompté de la prochaineJournée d'Afrique, pour nous aider à donner plus debien-être et quelques douceurs à ces héroïques enfantsqui savent si bien partager nos souffrances.

.marocainsArtsdes

L'Exposition des Arts marocains qui s'ouvre auPavillon de Marsan sous le patronage du Protectoratde la République Française au Maroc, avec le concoursde l'Union centrale des Arts décoratifs; de la Sociétédes peintres orientalistes français, et de la revueFrance-Maroc, est la première présentation faite aupublic français d'objets provenant des industries d'artmarocaines.

Une exposition d'arts marocains, en pleine guerre ..•Pourquoi?

Ce projet est né d'abord d'une pensée charitable.Le 1\1aroc a donné à la France d'admirables troupes,

si valeureuses, si pleines de jeu et de mordant, qu'ellesont plusieurs jois mérité les honneurs de la citation etque le généralissime leur a adressé de publics éloges.On les a vues en tous les combats les plus rudes donnerle plus magnifique exemple. Le Maroc a ses héros, ila aussi ses blessés, et ceux-là ont droit à une particu­lière tendresse de notre part. Comment ne pas se sou­venir, en effet, que « lorsque les indigènes tombent pournous, sous les plis de leur drapeau glorieux, chaquejois, en tombant, 1:1s épargnent un deuil nouveau auxmères françaises? » Ces enfants adoptifs cependantrisquent d'être plus oubliés que les autres. Eloignésde leur famille, ils n'ont point de foyer où retrouverleurs affections, leurs habitudes, ils ne peuvent goû­ter le réconfort d'une permission de convalescence.

Mme la générale Lyautey a ététouchée de cette situation péni ble ;et par un admirable effort, elle acréé la maison de convalescencede San-Salvadour, dans le Var.Destiné exclusivement aux troitpesmarocaines, l'établissement de San­Salvadour abrz:te, sous un clima

.doux et dans ttn site de beauxombrages, les tirailleurs et les spahisblessés du ]\ifaroc. Ils goûtent làune vie entièrement organisée à lamarocaine, où tout leur rappelle

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UNE EXPOSITION DES ARTS MAROCAINS 7

large et saine politique de protectorat, comme celle quela France applique au Maroc, repose-t-elle, d'abord,sur une compréhension intime de l'art indigène. Ilconvùnt que l'homme d'Etat qui incarne cette politiquesoit un grand artiste, qu'il aime et respecte les modèlesde l'art d'autrefois, les monuments, la physionomie desvilles, et jusqu'aux moindres motifs du plus humbleobjet, où se révèle une sensibilité originale.

Le public verra combien le Protectorat s'est préoc­cupé, à peine né, de préserver l'art indigène, non seule­ment d'arrêter les destructions rapides du climat

auxquelles s'ajoutent la négligence et l'abandon, maisencore et surtout de raviver les traditions. C'est la tâcheà laquelle le remarquable Service des Beaux-Arts duMaroc, sous la direction de M. Tranchant de Lunel,apporte tout son zèle, et dont la présente Exposition,organisée avec tant de goût par M. de la Nézière,adjoint au c'hef de service des Beaux-Arts, M. Koechlin,conservateur du musée des Arts décoratifs, et lI/!. Terrier,directeur de l'Office du Gouvernement Chérifien, donneraune idée au public.

FRANCE-MAROC.

Chef du Service des Beaux-Artsdu Maroc.

M. TRANCHANT DE LUNEL

Tableau d~ M. Gaigneron,

tité, est encore très insuffisante comme qualité et nemarque pas un progrès appréciable sur la productionindigène originale.

Quel est donc le but de cette exposition? Il est,si nons osons dire, moins de montrer au public lesarts marocains, que de permettre à ceux qui s'enoccupent de parler des arts marocains et d'agiterdes idées autour d'eux. Serait-ce inutile? Non certes,puisque nous nous trouvons en présence d'un doubleproblème à résoudre, celui de la renaissance de cesarts, et celui, connexe, de sa commercialisation pos­sible, dont l'importance économique n'échappe àpersonne. Si, pour obtenir ce double résultat, uneffort actif et suivi des spécialistes chargés de ceservice est indispensable, il n'est évidemment pasmoins utile que toutes les compétences, ayant leur

attention attirée sur laquestion, en devisent, endiscutant, et fassent jaillirde ces échanges de vues, laméthode qui peut-être ap­portera la solution.

Nous pensons avoir ainsimon tré clairemen t quecette exposition n'a ni lavaleur, ni la portée d'unétalage de beautés auxyeux du public: elle est àla fois quelque chose demoins,puisque1'onn'yverrapas que des beautés, etquelque chose de plus, puis­que de la contemplationdes laideurs même sorti­ront sans doute les idéesgénératrices pour l'avenirde nouvelles beautés.

Nous avons trouvé au Maroc, à notre arrivée, desmonuments anciens d'un art très pur, comparables,par leurs lignes et leurs détails décora~ifs, aux beauxmorceaux d'architecture arabe déjà connus: cela, il·faut que les Français le sachent, puisque ces richessesentrent dans le patrimoine de la France, et toutmoment est bon pour prendre conscience de tout ceque l'on possède. Par l'image, cette exposition feraconnaître au public quelles nouvelles beautés aacquises et s'efforce de conserver l'esprit français.

En ce qui concerne les arts mineurs et décora Cifs,nous avons trouvé le Maroc en pleine régression:quelques rares pièces anciennes conservées parhasard et retrouvées par nous, nous ont permis denous rendre compte à la fois et de la perfection jadisatteinte et de la décadence où elle a sombré. Entreles tapis anciens, aux tonsharmonieux et fondus, àla trame serrée, et les pro­ductions actuelles, criar­des, lâches et sans goût,entre les poteries' ancien­nes, rappelant les poteriespersanes et les grossièresdécorations de notre épo­que, il y a toute la diffé­rence d'un art parfait etévolué, à un art primitif,avec cette aggravation que1'ordre chronologique enest inversé.

Nous tentons bien deréagir; avec les modèles an­ciens rassemblés à grand'­peine, nous avons essayédes reconstitutions, des co­pies, un rajeunissement dugoût, faussé par des sièclesd'importations européen­nes; mais notre production,presque nulle comme quan- Fez.

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Les Métiers d'Art au Maroc

LA PIERRE

IL ne sera pas question ici de statuaire. Les m u­sulmans qui, en Espagne et en Orient, se sont

souvent affranchis de l'interdiction de dresser desimages projetant une ombre ne paraissent pas l'avoirfait au Maroc.

Ils n'y ont frappé la pierre du marteau que pour lesbesoins de la construction. Ils ne l'ont fait, d'ailleurs.qu'à Rabat et Salé, où des carrières faciles à exploiterleur ont permis de remplacer la brique par une ma­tière plus résistante et plus belle. Mais on peut direque, dans ces deux villes, la porte des Oudaya, Baber Rouah, les portes de Chellah, la porte des Méri­nides de Salé, les principaux minarets, dont celui deHassan, et différents vestiges anciens sont de vraischefs-d'œuvre, d'autant plus précieux qu'ils sont àpeu près les seuls monuments en pierre de toutl'occident musulman.

L'appareil et la sculpture y sont étroitement con­fondus. La pierre appareillée ne sera mise en placeque lorsque sa face apparente aura reçu les coups deciseaux qui feront d'elle une petite partie de la déli­cate résille dont l'édifice achevé semblera paré.

Les éléments décoratifs constituant cette résillerigide sont très variés. II est possible, néanmoins, deles grouper en s'aidant du vocabulaire indigène. IIimporte d'autant plus de le faire au début de cetteétude que les mêmes élémen~s se retrouveront danstoutes les créations de l'art marocain, à l'exceptiondes tapis et des nattes.

D'abord, le groupe des testirs, que MM. Marçais. nomment, dans leur ouvrage sur Tlemcen, entrelacs

géométriques rectilignes. - Une étoile sert de centreau décor. En prolongeant les côtés de chaque branchede l'étoile, selon des règles à peu près fixes, on obtientun enchevêtrement de lignes droites, ayant un peul'aspect d'une section de ruche, et que vulgairementon appelle quelquefois la toile d'araignée du prophète.Pour déterminer un dessin symétrique, l'étoile seraà 6, 8, 12, 16, 24, 32, 56 branches, etc., jusqu'à 100.De là des séries ayant chacune leurs variétés. Il y

aura différentes espèces de testirs, dits testirs hui­tièmes, des espèces de testirs douzièmes, etc., autantque de multiples de 6 et de 8.

Ensuite, le groupe des touriqs, entrelacs florauxcurvilignes. Les variétés en sont à peu près infinies.Mais, outre que ces entrelacs sont généralement com­posés de rinceaux très sobres et de forme très parti­culière (palmette mince à 29 branches dérivée dubyzantin), ce qui leur donne avant tout leur caractèremusulman c'est qu'ils se déroulent selon un sous­tracé formé d'une succession de cercles. Les caractèrescoufiques ou andalous y sont souvent mêlés de ra plusheureuse manière.

Viennent ensuite les arcs. L'arc (qous) est : oudroit (guebbassi) ou bien outrepassé en fer à cheval(chleuhaoui). D'un type ou de ,l'autre, il est tracéd'après des principes rigoureux, simples d'ailleurs, etqui ne permettent qu'un petit nombre de propor­tions. La partie courbe n'est jamais formée que dedeux portions de cercles.

L'intrados de l'arc n'est pas toujours lisse. Généra­lement, au contraire, il est orné de reliefs dont lestypes principaux sont la khersnac, dentelures forméE{splr une succession de petits arcs de cercles, souvenirdes voussoirs concaves de l'époque cordouane et lerakhoui, stalactites superposées.

Des entre-croisements d'arc du genre rakhoui don­neront le Motif très employé, dit «( ketf ou dorj ».

II ne faut pas oublier les mqarbas, ornements com­posés d'une agglomération de trompillons, et géné­ralement connus sous le nom de nids d'abeille.

Les cheràzef ou créneaux, très employés, sont aussià retenir.

Ceux qui ont étudié la décoration musulmane àTlemcen, en Espagne et en Orient reconnaîtront sansdoute ces différents motifs que nous allons retrouverdans presql1e toutes les industries d'art et qui ne sontpas plus particuliers au Maroc qu'ils ne sont réservésà la sculpture sur pierre. II importait néanmoins, _pour la commodité du langage, de les définir dès ledébut et de les nommer.

Nous pouvons parler maintenant de ce qui con-

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LES MÉTIERS D'ART A U MAROC 9

Photo Service des Beaux-Arls.

LE BOIS

Bois sculpté, frise de plâtre et zellige.

Photo Sèrvice des Beallx-Arts.

La charpenterie, la sculpturedécorative, le meuble, tellessont les trois principales indus­tries du bois que les Marocainsont pratiquées et pratiquentencore. Ils l'ont fait avec tantde maîtrise qu'on peut consi­dérer que ce sont celles où leursqualités d'artisans se sont leplus brillamment exprimées.

Les charpentes.-Il yaquatretypes de charpente dans l'archi­tecture marocaine: le bissât,simple plan; la berchla, qui estun bissât reposant sur quatreplans inclinés; la jefna, qui estune berchlat au-dessous de la­quelle courent de hautes frisesen bois. Enfin, la coupole hé­misphérique, ce qui lui a faitdonner le nom de demi­orange, encore employé enEspagne.

Ces différents types de char­pente sont soit exécutés en poutrelles non équarries etrecouverts de panneaux peints, soit faits à poutrellesapparentes, équarries, très rapprochées (au moinscinq par mètre) et hourdées avec de minces voliges

Arcade en plâtre sculpté (Medersa Mesbahya, à Fez)~

cerne plus spécialement l'art de la pierre. Les cha­piteaux, souvent en marbre, surtout à Fez, sont géné­ralement du même style qu'à Tlemcen et en Anda­lousie : un cube surmontant un cylindre; partiecubique surchargée de touriqs à forts reliefs; partiecylindrique ornée d'un méandre qui dérive desacanthes schématisées de l'époque cordouane, les­quelles n'étaient qu'un souvenir des acanthes ducorinthien.

A part les chapiteaux, les seuls travaux décoratifsspéciaux à la sculpture sur pierre sont les stèles funé­raires, surtout les belles stèles prismatiques en marbrecouvertes d'inscriptions en relief, comme celles deChellah ou celles des sultans saadiens à Marrakech.

La sculpture du marbre n'est plus guère en usageaujourd'hui. On ignore totalement cet art à Rabat etSalé, les deux villes de la pierre'taillée. Mais là l'exé­cution d'aucune des arabesques qui couvrent lesvieux édifices de leur efflorescence charmante nedépasse le savoir des artisans modernes.

Ceux-ci, d'ailleurs, pour fidèles qu'ils soient auxvieilles traditions décoratives, ont subi, depuis prèsde deux siècles, de fortes influences vraisemblable­ment portugaises. Elles se manifestent surtout dansle style qu'ils ont adopté pour les portes des maisonsparticulières. Ils ont en cela agi comme tous lesmaçons de la côte et c'est peut-être de Saffi, ville por­tugaise par excellence, que l'exemple leur est venu.

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ro LES MÉTIERS D'ART AU MAROC

(Photo Service des Heal1x~Arts.)

Vieille porte en grande mosaïque de bois (1VIedersa Bouananya, à Fez).

qui supportent le béton de la. terrasse; soit, enfin,formés d'une ossature grossière comme les premiers,et revêtus, non pas de panneaux plats, mais degrandes mosaïques de bois formant des testirs dontles traits sont des petites poutres et les intervallesdes cabochons taillés au ciseau.

Cette grande mosaïque de bois nous mène à parlerdes battants de portes et des balustrades. Chez lespremiers, les traits des testirs sont formés de chevronscannelés et les intervalles occupés par des morceauxde bois ouvrés d'entrelacs ciselés. C'est là, d'ailleurs,un travail assez rare. Et le plus souvent les battantssont formés de planches ajustées qui sont seulement

ornées de testirs creusés au clseauet peints ensuite.

Dans les balustrades, le testir estformé de chevrons ajustés commepour la grande mosaïque et les in­tervalles sont occupés par un treillisde bois tourné semblable à celui donton fait les moucharabys en Orient.

La sculpture sur bois. pas plus quela sculpture sur pierre, n'a donné dereproductions d'êtres animés. Toutegéométrique ou florale, c'est surtout·dans les revêtements des cours inté­rieures des édifices ancien stylequ'elle s'est prodiguée. La palmetteétroite à deux branches, l'écriturecoufique ou andalouse, la pommede pin, la coquille, sont les élémentsessentiels des entrelacs qui roulent,s'enfonceJ.lt et saillent, en un har­monieux fouillis, sur les tympanset les frises de' cèdre dont sont cou­verts les murs des medersas et desvieilles maisons. Les con-soles etles corbeaux d'auvent sont souventaussi de très beaux morceaux desculpture.

Le meuble nous fait passer dufaste à la misère. Quand nous au­rons cité les grands fauteuils demariée, les coffres, les étagères, lesdevants de lit et les armoires deboutique, objets qui, générale­ment, valent plus par l'ingéniositéde leur architecture et l'élégancedes peintures qui les couvrent quepar le travail de menuiserie, nousen aurons dit assez. Même .chezles citadins, la vie musulmanesemble avoir gardé un souvenir deses origines nomades; des matelas

pour s'étendre, des coussins pour s'accouder, destapis pour garder les pieds nus du contact trop froidde la faïence ou du marbre, voilà le vrai mobilierindigène. S'il en existe un autre aujourd'hui, c'est qu'ilest venu d'Europe, et nous n'avons pas plus à parlerdes commodes et des lits à colonnes torses que des pen­dules de tous styles dont les dilettantes marocains en­combrent leurs maisons, tout comme nous encombronsles nôtres de vieilles assiettes ou de vieux pots d'étain.

LA PEINTURE

Les Marocains ne peignent que sur bois. On nepeut, en effet, considérer comme de la peinture le

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LES MÉTIERS D'ART AU MAROC r [

(Photo5ervi::': ,le) Beaux-Arts.)

Panneau de mosaïque de faïence. Testir archaïque avec, en haut, dans chaque coin,. tourig ancien en mosaïque (Medersa A ttarine).

coloriage des plâtres sculptés.Avant que des influencesétrangères n'eussent modifiéle goût des indigènes, touttravail en bois pour être achevédevait être peint. Il en résul­tait tout naturellement que lapeinture était un art extrê­mement répandu.

Auj ourd'hui, les peintressont rares, bien qu'il y en aitencore d'excellents. Ils prépa­rent leurs couleurs à la collede peau pour l'intérieur ou àl'œuf pour les surfaces expo­sées aux intempéries. Les deuxprocédés donnent d'abord desaspects très mats et, les pein­tres ne mélangeant presquepas leurs couleurs, des tonstrès brutaux. Mais ces deuxdéfauts disparaissent à l'ap­plication du vernis qui, lors­qu'il est fait selon la recetteindigène, à l'huile et à la résinede tuya, donne une superbepatine chaude. Le blanc, l'ou­tremer, le vert, le jaune, levermillon, le rose, le noir et,quelquefois, le violet auber­gine foncé, telle est la palettedu peintre marocain. Il yajoute le doré qu'il obtientavec de la résine de sibar surpapier d'étain.

Avant de peindre, il enduitle bois qu'il veut décorer d'unfond uni presque toujours vermillon, puis il yapplique un pochoir en ipapier qu'il a lui-mêmedessiné et découpé, et, avec un tampon et un peude poudre blanche, il I~pose son esquisse. Il lareprend ensuite au pinceau en un premier travail necomportant pas de serti et appelé zouaq. Enfin, iltermine l'ouvrage en sertissant d'un fin trait noir eten posant çà et là de petites taches noires destinées àaugmenter la délicatesse de l'ensemble; ce derniertravail s'appelle zin. Le vernis est étendu au chiffonquand tout est sec.

C'est sur les portes, les plafonds, les grands revê­tements de bois des maisons que les décorateurs maro­cains ont donné la mesure de leur très grand talent.Faites pour réchauffer l'ombre des hautes salles etpour amuser les regards durant les longues heures derepos, les enluminures dues à leur imagination tradi-

tionnaliste ont les tons des couchants d'Afrique, lafantaisie des champs de fleurs qui couvrent le bled auprintemps et en même temps la tenue, le rythme, peut­on dire, de tout ce que conçoit d'artistique le génienombré de l'Islam. Les testirs, les touriqs y attei­gnent une finesse et une complication extrême. Lestesjirs, décors floraux aussi affranchis qu'une con­ception purement décorative peut l'être de l'ossaturegéométrique, y ont été inventés par un suprêmecaprice du goût. Ceux-ci, même, sont un danger, etsi l'on n'y veillait ils pourraient bien un jour, à notrecorrupteur contact, dégénérer en ramages et en fleursde papier peint.

LE PLATRE

La décoration murale en plâtre ciselé qui, dans tousles pays musulmans, a eu le succès qu'on connaît, est

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12 LES MÉTIERS D'ART AU MAROC

..

LA MOSAïQUÉ DE FAïENCE

Il est généralement admis que dans l'occidentmusulman l'usage de la mosaïque de faïence a précédél'emploi des carreaux céramiques, dont les plusanciens dateraient de l'extrême déclin de la civili­sation maure en Espagne. Quoi qu'il en soit, onconstate que ces carreaux ont entièrement rem­placé la mosaïque de faïence en Espagne, en Algé-rie et en Tunisie.

Il en a été toutautrement au Ma­roc. Ici, la mo­saïque a prospéréjusqu'à nos jourset, chose curieuse,elle a survécu àl'industrie des car­reaux décorés qui,après lui avoir faitconcurrence pen­dant deux ou troissiècles, a complè­tement disparu.

La mosaïque estencore employéejournellemen t àFez, Meknès, Salé,Rabat et Marra- --kech pour le pa-

vage du sol, les Faïence de Fez. Flacon polychrome.

de leurs mains aussi adroites que des mains dedentellières. Aucune influence étrangère à la tradi­tion ne les a fait encore corrompre leur style. Et ilne paraît pas non plus qu'aucun des ornementsqu'on trouve dans les medersas de Fez, à l'Alhambrade Grenade ou à Tlemcen, dépassent aujourd'hui leursavOlr.

Le défaut de cet art charmant, c'est que, pour êtreachevé, selon la tradition, il doit être polychrome,Les couleurs à l'œuf, presque toujours les mêmes quepour le bois, sont dures, sèches et ne prennent pas depatine sur le plâtre. Aussi est-il rare que l'achèvementne gâte pas l'ouvrage.

Cette question n'est pourtant pas insoluble .. Ilexiste à Fez certaines vieilles maisons où l'on peutvoir des plâtres ciselés, peints dans un parti-prisolive, bronze, or vert, ocre, aubergine et qui sont d'unmerveilleux effet. Le procédé n'est donc pas à modi­fier, il faut seulement surveiller la palette du peintre.Une palette spéciale doit permettre de conserver lapolychromie q.u plâtre ciselé et d'en obtenir desrésultats excellents,

Détail d'une medersa de Fez à plâtre sculpté.

encore pratiquée, au Maroc, par un grand nombred'artisans.

Le plâtre est appliqué en une couche de deux àtrois centimètres d'épaisseur sur la surface à décorer.Il est travaillé frais. Le ciseleur commence par tracerau couteau, sans pochoir ni modèle d'aucune sorte,l'ébauche des entrelacs qu'il se propose d'exécuter. Ila soin d'asperger le plâtre fréquemment avec de l'eauqu'il projette de sa bouche. Quand l'esquisse esttracée, il prend un petit ciseau et affouille les partiescomprises entre les traits du dessin, en ayant soin dedonner aux cavités une inclinaison correspondant àla direction du regard qui, les murs étant hauts,viendra toujours d'en bas. Les motifs employés parles ciseleurs sur plâtre sont d'une extrême variété.Inscriptions, testirs ou touriqs de tous genres sortent

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."

lambris, les fontaines et quelquefois le revêtementdes colonnes. Les motifs sont toujours des testirs.A l'origine, il a dû en être autrement. En effet,deux panneaux décoratifs à la medersa El Attarineà Fez et une vieille porte à Chellah présententdes touriqs en mosaïque de faïence. Si on les rap­proche des touriqs et inscriptions de même natureque l'Alhambra, on peut y voir la preuve que lamosaïque de faïence à ses débuts se rapprochaitdavantage de la mosaïque antique encore repré­sentée à Cordoue, et qu'elle ne s'est figée dansla géométrie que peu à peu, par l'effet du tem­pérament musulman et aussi pour des raisons d'ou­tillage.

Autrefois, le trait du testir était formé par desbaguettes de faïence noires ou blanches et chaqueintervalle rempli par un petit morceau' de faïencetaillée, de couleur variable suivant sa place dansl'ensemble. Ce sont ces testirs à gros traits, iden­tiques à ceux de la sculpture et de la peinture,qu'on trouve dans les medersas de Fez et à l'Alham­bra. Mais les artisans ne les font plus aujourd'hui,bien que, pourtant, les vrais maîtres sachent lesreproduire.

Voici la raison de ce changement : le testir étant,nous l'avons dit plus haut, un tracé géométrique àvariantes limitées, il en résulte que le nombre desformes des intervalles est assez restreint. Pour formerun testir, il est donc inutile de faire le trait. II suffitde rapprocher les morceaux ayant la forme des inter­valles. C'est ce qu'ont fait les mosaïstes marocains.Aujourd'hui, chaque petit morceau correspondant àun intervalle a un nom selon sa forme - et une pro­portion dans sa forme, selon le nombre de branchesde l'étoile centrale qui a déterminé le testir. II y a

Faïence de Fez. - Type de plat polychromed'influence orientale.

Bijou du Sous.

ainsi une cinquantaine de formes d'éléments mo­saïques ou zellijs, ayant chacune autant de propor­tions différentes qu'il y a de multiples de 8 et de 6jusqu'à roo. La science du mosaïste consiste à con­naître les formes et proportions de ces éléments et àsavoir dans quel ordre on les juxtapose. Quant autracé de l'ornement qui en résulte, c'est là un travailqui a été fait par ses ancêtres une fois pour toutes etil n'en a cure. C'est ce qui permet aux artisans deFezde.composerleurs testirsà l'envers - et à ceux deRabat de les commencer par un point quelconque deleur surface. C'est généralement le maître artisan quipose les zellijs lui-même tandis que ses ouvriers lestaillent, dans des carreaux de faïence, au moyen d'ungrossier marteau tranchant et avec une adresse ini­maginable.

La palette des mosaïstes est celle des faïenciers.Elle a quelque peu dégénéré. Les bleu turquoise, lesaubergine, les vert amande ont pratiquement dis­paru. Mais c'est un mal réparable. Telle qu'elle est,l'industrie des zellijs est une admirable chose. Et lacorporation marocaine des zellaijia, unique aujour­d'hui dans tout l'occident, constitue upe richesse quenous souhaitons de voir un jour exploitée enEurope.

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LES MÉTIERS D'ART AU MAROC

LA FAïEKCE

Il Y a eu deux écoles de faïence au Maroc, l'une àFez, l'autre à Saffi. Toutes deux ont dégénéré vers lafin du siècle dernier et ne donnent plus aujour­d'hui que des poteries vernissées dont les dessinsseuls sont intéressants, mais qui n'ont aucune valeurcéramique.

Nous possédons très peu d'anciennes faïences deSaffi; quelques carreaux, retrouvés dans de vieillesmaisons, montrent un émail passable, un décor de bonstyle, des colorations bien venues, une terre rougebien cuite. Mais ce sont là de pauvres documents.

Nous sommes heureusement plus riches en vieuxFez. Des collections comme celle du musée de Fez etcomme le fonds Libert au musée de Rabat, suffisentlargement à nous donner une idée de ce que fut cettendustrie autrefois.

Les faïences de Fez étaient des faïences stannifèresdites au grand feu sur cru. Pein-tes avec une palette que lespotiers d'aujour- d'hui ont à peuprès conservée et qui, sauf pour lebleu était uni- quement compo-sée 'de minerais colorants indi-gènes, elles ne comportaient ja-mais de rouge Les colorants,après avoir subi un broyage hu-

A strolabe ara be ancien (revers).(Appartenant à M. le professeur Gentil.)

mide jusqu'à consistance onctueuse, étaient appli­qués, comme aujourd'hui encore, à main levée,avec un pinceau grossier en poil de mulet oud'âne, sur la terre dégourdie et enduite déjà d'Unecouverte crue.

Pour cuire, on place les pièces au feu, les unes au­dessus des autres, en les maintenant séparées par unpetit trépied de terre qui laisse toujours trois marquesdans l'émail. Elles cuisent par fournées d'une cen­taine dans une chambre au-dessus du foyer, en,pleine flamme. L'artisan juge en regardant par l'ori­fice supérieur du four, de l'état de cuisson de la cou­verte (il ne voit les pièces qu'à l'envers) et arrête lefeu quand il croit que les enduits ont atteint l'état defusion et la coloration satisfaisants.

Ce procédé a permis aux anciens maalemind'obtenir des couvertes blanches, un peu minces,légèrement bleutées, mais suffisamment lisses etdes coloris admirables mettant parfaitement envaleur des décors exécutés avec une étonnantemaîtrise.

L'aspect des vieux Fez donne plus généralement àpenser à du Delft ou à du Rouen qu'à de la faïenceorientale. Cela tient surtout aux procédés de fabri­cation qui ne comportent jamais la peinture sous cou­verte employée en Perse et en Asie-Mineure. Mais, àl'examen, le décor est purement musulman. Il estdonc très probable que la faïence de Fez ne doit rienà nos écoles d'Europe. L'émail stannifère au grand feusur cru est l'émail des plats hispano-mauresques àreflets dorés des xve et XVIe siècles, c'est aussi l'émailmince des poteries vernissées trouvées à la qelaâ desBeni Hammad en Algérie et qui datent du XIe siècle.Les maalemin de Fez l'ont donc employé tout natu­rellement comme un procédé existant au Maghrebdepuis longtemps, bien avant que la faïence mêmen'existât chez nous.r,. Il faudrait une longue monographie pour décrire lesdifférentes catégories de décor des vieux Fez et énu­mérer les diverses formes de vases et de plats consa­crées par l'usage local. Nous nous bornerons à direqu'il y a toujours eu deux grandes classes de faïencesà Fez, celle à décor bleu sur blanc, et celle àdécor polychrome: bleu, vert, jaune, noir, violetet blanc.

Les premières paraissent à peu près sûrement n'êtreque les copies des admirables plats et vases bleus etor hispano-mauresques dont le musée de Madrid pos­sède une si belle collection. On n'a plus fait l'or, on agardé le bleu.

Ouant aux secondes, à en juger par les fragmentsgro~siers trouvés aux Beni Hamad, elles ont dû êtreconsidérées comme un genre inférieur du temps oùtriomphait l'emploi du reflet doré, et c'est peut-être

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LES MÉTIERS D'ARTA U MAROC 15

au momp.nt où ce procédé s'est perdu qu'elles ontrepris la première place et que les potiers les ontsoignées.

Si cela est vrai, alors il est possible aussi que lesDelft arrivés en grand nombre au Maroc à peu prèsdans le temps où les dernières faïences à reflets dis­paraissaient, aient contribué, en une certaine mesure,à augmenter encore le succès des Fez polychromes età leur donner même cet on ne sait quoi d'européendont nous parlions tout à l'henre-

LES TISSUS DE HAUTE LICE

Ces tissus qui, en France, ne sont plus guère fabri­qués qu'aux Gobelins, à Aubusson, à Beauvais et dontle nom fait tout de s~ite reculer notre esprit ~ers l'an­tiquité, sont parmi les produits les plus abondants del'industrie marocaine.

Chaque maison pauvre dans les villes, chaque tentedans les douars de la plaine, chaque chaumière dansl'Atlas, possède un de ces métiers composés de deuxbranches d'arbre et de deux ensouples en bois équarrique les femmes montent, avec des cordes, pour ytendre une chaîne grossière devant laquelle elless'accroupissent pour travailler, dès qu'elles ont uninstant de loisir.

Sur ce métier, toujours le même, elles tissent destapis à points noués, des couvertures, des étoffes. Letapis à points noués fauché (zerbiat) se fait à Rabat, àCasablanca, dans les abda, et plus au sud dans larégion des Ouled Bou Seba. Il n'a conservé qu'àRabat une finesse qui permette de le rapprocher destapis d'Orient. Encore convient-il de dire que,depuis au moins quarante ans, la défaveur de laclientèle indigène et l'emploi des colorants artificielsl'a rendu bien inférieur aux tapis de Perse oud'Asie-Mineure.

Dans les autres régions, l'infériorité est encore plusaccentuée. Toutefois pourtant, les connaissancestechniques ont été conservées par les tisseuses, il y anégligence mais non pas ignorance, les mille dessinshiératisés, dérivant de la flore ou de la faune, quiornaient les ~ns tapis d'autrefois, sont encore connuspar leur nom et les femmes savent les reproduire.C'est ce qui nous permet aujourd'hui de refaire desanciens Rabat et ce qui nous permettra, espérons-le,de leur donner une beauté égale à celle des tapisorientaux.

Le tapis non fauché, à grosse laine longue, irrégu­lière, ne se fait que dans les tribus, et particulière­ment dans les tribus du sud de l'Atlas et dans la régionde Meknès. Essentiellement berbères, le trait droit etle point. en sont les seuls éléments décoratifs.

Lâchês de tissus, mais chauds, moelleux et confor­tables, ils ne sont pas sans intérêt, certains mêmeont des colorations noires, orangées, fauves, du plusbel effet.

Les hanbils de Salé tiennent le milieu entre le tapiset la couverture. Ce sont des tissus très épais, où desbandes de points noués à dessins de Rabat alternentavec des bandes de points de tapisserie, à rayures ouà dessins berbères rectilignes. La tisseuse ne sedéplaçant pas au cours de l'exécution du hanbil, ilen résulte que les bandes de points noués ont leurendroit du côté de l'envers des points de tapisserie.

Nous retrouvons ce mélange de tissus plat etde haute laine dans les tertia, tapis blancs et noirsou bleus, fauves et noirs de la région des Glaouaau sud de Marrakech. Les petits tapis de selle,laine et soie, à cordonnets, de la région des Zaërs ;les tapis plats berbères à raies de soie bouffante;les belles étoffes de laine et soie dites hendirade plusieurs tri- bus du nord sontautant de de- grés dans cettetransition des tissus à pointsnoués vers les tissus unis.

Ceux-ci sont nombreux et va-riés : les housses de bâts noires etblanches en laine et poil de chèvredites arnaoui dans la région deRabat et teUis • pans le sud, le

A strolabe arabe ancien (face).(Appa,tenant à M. le professeur Gentil)

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r6 LES MÉTIERS D'ART AU MAROC

Ancienne broderie d'Azemmour.(Appartenant à 111"'" Bernaudllf.)

Il y a au Maroc, notamment à Fez et à Mogador,certain nombre de tourneurs qui exécutent

.couvertures multicolores de la région des Abda,les mêmes dits bouchegra dans la région de Marra­kech, les étoffes rayées dites nemeri dans la mêmerégion, ne sont que quelques spécimens de cetteindustrie primitive des tissus de haute lice quitous ont autant de valeur par la qualité de lamatière que par la tenue artistique.

LES TISSUS DE BASSE LICE

Si les métiers de haute lice sont employés unique­ment par les femmes, il n'en est pas de même des mé­tiers de basse lice, quiconstituent l'outillage descorporations de tis­serands.

On peut les diviser endeux catégories, ceux quiservent à tisser la soie,ceux qui servent à tisserla laine.~ous ne nous arrête­

rons qu'aux premiers.. Ilssont semblables à ceuxque l'on employait enFrance avant l'inventionde Jacquart. Les lamessont très nombreuses.Chacune est suspenduepar un fil qui s'élève,fait un angle en passantpar une petite poulie etva s'attacher au mur ouà une poutre. Entre lapoulie et le mur, undeuxième fil s'attache aupremier et descend verticalement se fixer à terre.Le poids de la lame tient les fils tendus; quandon tire sur le fil vertical on soulève la lame.Toutes les poulies où passent les premiers filssont réunies dans un cadre· suspendu au plafond.L'ensemble des deuxièmes fils forme une sortede rideau vertical. C'est devant cette espècede rideau que se placent 'les tireurs de lacs. Ilssont généralement deux. Ils doivent, chaque foisque le maallem va faire passer sa navette,tirer sur un certain groupe de fils pour sou­lever un certain groupe de lames et exécuter ainsila foule convenable. Toui cela afin que le filde trame, que la navette va déposer . apparaisseau-dessus de la chaine ou disparaisse par-des­sous, juste comme il le faut pour que milledessins entrelacés se forment avec le tissu. Tandis

que les tireurs de lacs déterminent les :dessins, lemaallem, posté aux navettes, soulève, avec unsystème de pédales, quatre lames destinées àformer, avec des fils d'une seule couleur, unetrame consistante n'intéressant pas l'ornementa­tion.

C'est avec ces métiers primitifs et compliqués quel'on fait encore à Fez ces admirables ceintures que lesfemmes indigènes portaient toutes autrefois. maisdont la mode s'éteint. Elles sont constituées par unechaîne de soie de deux à cinq mètres de long et d'en­'liron quarante centimètres de large, formant quatrerectangles de couleurs différentes. Chaque fil, en effet,

est. teint en deux cou­leurs sur sa longueur, etles couleurs des fils nesont pas les mêmes dansla' moitié longitudinaledroite que dans la moitiélongitudinale gauche dela ceinture. Entre les filsde cette chaîne, une tra­me de soie, d'argent oud'or passée à la na'lettepar le tisserand, déter­mine des dessins trèscompliqués qui ne sontpas les mêmes aux deuxextrémités et qui, grâceaux diverses colorationsde la chaîne, paraissentdifférer quatre fois. Cesdessins étaient autrefoisde classiques testirs detouriqs. Mais peu à peules touriqs ont dégénéré,au contact des tissus im

portés, en ramages sans style ni caractère. Quantà la matière, elle est restée merveilleuse.

De même genre que les ceintures sont les épaistissus nommés zerdkhan employés surtout par lesselliers.

Enfin, il existe toute une catégorie de tissus pluslégers, rideaux, foulards, turbans, etc., riches par lamatière et beaux par la couleur, qui ont conservéplus de vogue que les ceintures et qui pour­raient être avantageusement exportés en Europesi, par quelques perfectionnements d'outillage, onparvenait à en faire baisser le prix de revient.

LE CcrVRE. - LE FER

un

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LES MÉTIERS D'ART AU MAROC 17

Broderie de fil d'or sur velours.

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des ornements assez grossiers sur des plateaux etautres ustensiles, en repoussant le cuivre aumarteau et au burin. Leur industrie est récenteet elle n'a encore rien donné qui se rapprochedes ouvrages analogues venant de Syrie ou dePerse.

n n'y avait autrefois que des artisans ignorantl'usage du tour et ne se servant que du marteau et duciseau. Ce sont ceux-là, sans doute, qui firent lesénormes lustres de la mosquée Qaraouiyne à Fez etles splendides portes de cuivre à gros heurtoirs enétoile, revêtues de testirs à intervalles ajourés.

nfaut aller dans le Souspour trouver encore des 0 bj etsmartelés, en cuivre rouge,généralement étamés, qui,par la naïveté de la formeet la simplicité de l'exé­cution, prennent uneper sonn alité véritable­ment intéressante.

La ferronnerie donnedes pentures de portes,des grilles en fer rondcontourné dessinant degracieuses volutes. Il s'estfait aussi autrefois desbraser,s d'un travail assezcompliqué qui ne man­quent pas d'élégance.

LES NATTES

On fait au Maroc diver­ses sortes de nattes. Lesplus intéressantes aupoint de vue décoratifsont celles que l'on tisse à Salé avec les joncs desBeni-Hassen.

Les artisans indigènes divisent ces dernières enquatre catégories principales : la natte blanche sansdessins, dite zououii; la natte blanche fine à dessinssans couleurs ayant l'aspect d'un linge damassé etdite mekhoutem; la natte à dessins colorés, garance etnoir, dite lâbrad; la même à dessins très serrés et trèsfins dite jersiâd. que très peu de maalemin saventencore faire aujourd'hui. Les couleurs vert et ama­ranthe sont d'un emploi récent et d'un effetbeaucoup moins heureux que le noir et le rougegarance.

Il existe, en outre, un genre de nattes grossièreset solides à dessins très simples, dont l'usage a étéjusqu'ici réservé aux israélites et qui mérite d'êtrementionné.

Toutes ces nattes, même les plus fines, ne sauraientêtre comparées comme qualifé de tissus à ceJ]esde l'Extrême-Orient. Mais si on ne les considèrequ'au point de vue décoratif, on ne saurait nierqu'elles sont extrêmement intéressantes. Les motifsdu décor, toujours composés de lignes droites, sontabsolument. particuliers à cette industrie et d'ungoût irréprochable. A part peut-être le sceau deSalomon et les cherarefs, rien qui rappelle les clas­siques touriqs ou testirs des autres industries, riennon plus qui rappelle les motifs particuliers aux'tapis. Nous sommes ici devant un art absolumentoriginal et qui vaudra peut-être au Maroc plus de

succès que des chefs­d' œuvre d'une valeur plushaute.

Outre les nattes de Salé,il convient de signaler lesnattes de palmier nain etde grosse laine fabriquéespar les tribus berbères duNord et enfin les nattesd'alfa, noires et blanches,qu'on trouve surtout dansl'Est.

LA RELIL'RE

C'est un art fasi. Dansune ruelle sombre duquartier de la grande mos­quée Qaraouiyne s'ouvrentencore quelques boutiquesoù l'on trouve de joliesreliures. Faites sur cuir dechèvre (anzi), avec des orsappliqués au feu et des

reliefs obtenus à l.a presse sous des matrices de boisdur, coloriées discrètement, elles sont parfois déli­CIeuses.

Il n'y a plus que deux relieurs capables de faire cesjolies choses. Ils sont maintenant à l'abri dans lesateliers du Protectorat.

A la reliure se rattache l'enluminure, que quelquesMarocains font encore avec une adresse, upe patienceet un goût dignes de nos meilleurs maîtres du moyenâge.

LA SELLEIUE

Si nous croyons devoir classer cette industrie parmiles arts indigènes, c'est que les brodeurs d'or etd'argent font partie de la corporation des selliers.

La sellerie proprement dite est, d'ailleurs, elle­même si luxueuse que nous en dirons quelques mots.

2

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r8 LES MÉTIERS D'ART AU MAROC

La selle comprend: une armature en bois bandé même qu'ils contournent en les posant sur le fer. Puisde toiles collées et trois housses en cuir. ils martèlent les fils qui s'aplatissent tout en se

Sur ces housses, on place les jours de fête une logeant dans le quadrillé et en s'y fixant.housse en velours ou en soie brodée dite ghobbara. Les éperons sont décorés comme les étriers. .-La selle ainsi complétée est posée sur un voile (zif) Outre ces harnachements, travaux somptueuxen cette soie très où l'or, le velours,épaisse dite zerdk- la soie, les pierreshan dont nous rares mêlent leura vons par lé aux éclat en une fan-tissus de basse lice. taisie charman te,Le zif repose sur dix les selliers faisaientcouvertures de autrefois des ou-feutre. vrages destinés à la

La selle est assu- décoration murale.jettie par une sangle Simples bandes(hzam) et un poi- droites ou lambristrail (dir). Le dir mobiles (haïti, plur.est très large, sur- hiâti) composéschargé de broderies d'une successionet parfois orné de d'arceaux, c'étaientgrelots. d'épais velours tout

La bride est en couverts d'arabes-cuir, recouvert de ques en fil dorésoie ou de velours (skalli) brodées suret d'or. Elle est com- des découpures depIétée par une sorte cuir. Quelques arti-de frontal en tresse sans savent en fairede soie entre-croisée encore. Malheureu-et portant des pom- sement, le prix depons, et par un cor- revient fort élevédondesoie(goulada) rend les demandesportant une amu- assez rares. Les sa-lette. coches, les coussins,

Les étriers sont les sandales deou niellés ou damas- femmes sont d'unequinés. Pour faire vente peu rémuné-les premiers, des ratrice.artisans, dits oua- Il convient dechaïa, couvrent les parler ici d'une in-surfaces à décorer dustrie particulièred'un quadrillé de pratiquée aussi parfils d'or, chauffent des selliers. C'est lele fer et avec un travail du cuir écor-polissoir écrasent les ché. Elle ne daterait,fils de manière à les au dire des indigènes,

aplatir en une seule Porte en cuivre ajouré. que du règne decouche. Des juils ci- Mo ulaï Hassansèlent cette couche pour l'orner de rosaces, de feuil- c'est-à-dire de vingt-cinq à trente ans. Sur un cuirlages, etc. L'étrier revient chez les ouachaïa, qui bou- de couleur, l'artisan trace, avec un petit ciseauchent les ciselures avec un mélange de plomb, de tranchant, sans esquisse préalable, sans modèle nicuivre et de soufre. guide, de fines entailles dessinant des touriqs extrê- _

Pour le damasquinage, la surface a été quadrillée mement serrés.. Puis, avec le même ciseau, il arrachede très fines entailles par les forgerons. Les ouachaïa la surface lisse du cuir à tous les endroits qui doiventdessinent les motifs d'ornementation avec les fils d'or servir de fond au dessin. Le fond apparaît en blanc

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LES MÉTIERS D'ART AU MAROC 19

Bracelet du SOliS.

celle des bijoux, ne paraissent pas devoir jamaisoffrir un intérêt économique en même temps qu'unintérêt d'art.

Je ne me suis étendu que sur celles qui occupentaujourd'hui encore des corporations importantes.

Avant l'occupation française, on attendait beau­coup du Maroc pour l'éclaircissement de nombreusesquestions relatives à l'histoire de l'architecture et desarts décoratifs. Je crois qu'en effet le pays tout entierabonde en documents qu'on ne saurait trop consulter.Mais il est riche d'autre chose. Il a mieux que les.œuvres d'art, il a les artisans. Et je ne veux mepermettre de sortir des limites que je me suistracées d'avance en écrivant ces lignes que pourinsister sur la valeur de ce trésor. Certes, ce qu'on

admire en Algérie et en Espagne,dans les édifices qu'élevèrent puisdélaissèrent à jamais des civilisa­tions éteintes, est d'un inesti­mable prix. Mais que dire du prixd'une classe tout entière d'arti­sans, dont les mains convenable­ment dirigées sauraient éleverencore de pareilles merveilles?Avant que le Maroc nous ouvrîtses rades rebelles, où eussions-noustrouvé ces découpeurs de faïencequi firent les mosaïques del'Alhambra? où ces charpentiersde bois précieux qui en firent lesplafonds odorants? où ces pein­tresqui les ornèrent d'enlu­minures aujourd'hui plus fra­giles et plus décolorées que desnervures de feuilles mortes? Lesderniers ciseleurs sur plâtre dis­paraissaient en Tunisie; dès lapremière année du Protectorat auMaroc, on.-;.',,, dut en fairevenir de t~·~. Fez pour,. ,

.~( 1f,-"'". ,,_ dans la ré-".ft; ~ L ' e s p rit

(b'; rLr~

sauvergence un art qui allait y mourir.éclairé de l'hom­me qui, -depuiscinq ans, fait larenaissance duMaroc, a su pren­dre d'urgence lespremières mesu­res nécessaires àsauver les métiersd'art en proté­geant les artisans.JEAN GALLOTTI.

Lutherie.

Détails d'ume porte en cuivre (heurtoir).

LES BIJOUX, LES ARMES,

LES BRODERIES, ETC.

Et le dessin, contourné, vermi­culé, d'une délicates?e extrême,demeure avec la couleur du cuirsur le fond ainsi écorché. Venuede Marrakech, cette industrie s'estrépandue jusqu'à Fez. Les Toua­regs, depuis longtemps, ont appli­qué grossièrement le même pro­cédé à la décoration de leurs bou­cliers et de leurs coussins. Aussi,est-il probable que ce qu'il y a denouveau dans cette industrie,c'est seulement le degré de finesseoù elle a été portée, pendant la su­prême période brillante de la civi­lisation indigène, et non le procédélui-même. •

Il faudrait allonger encore con­sidérablement cette notice pourparler comme il conviendrait d'uncertain nombre de petits métiersd'art d'importance secondaire.

Je ne citerai que les bijoux, dont les plus fins enmême temps que les mieux composés (bagues, pen­dentifs, parures de front) se trouvent surtout àMeknès et les plus curieux dans le Sous; les armes(fusils à incrustations d'argent, poignards ciselés,poires à poudre), qui sont aussi une spécialité duSous; la lutherie, à Fez; enfin, la broderie à facedouble qui, à Fez, a atteint un degré de perfectionremarquable. Je ne veux pas oublier non plus la bro­derie sur filet à l'aiguille de Rabat. probablement ori­ginaire d'Espagne, ni la très originale broderie juived'Azemmour.

Ce sont là de petites industries qui, sauf peut-être

)

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Arts ruraux et Arts citadins dans 1'Afrique du Nord. .1

Bijoux dlt Sous (collection 11,1aître).

LES arts in­

dustrielsindigènes ré­pandus danstout le nordde l'Afrique,depuis la Tu­nisie jusqu'au:\1 a roc, pré­sentent un re­marquable ca­ractère d'ho­mogénéité, dûsans doute à

un genre de vietrès spécial,partout assezsemblable àlui-même, endépit de mo­dalirés qu'imposent des situations climatériques sou­vent opposées : littoral méditerranéen et littoralatlantiqu'C, espaces sahariens sur le pourtour, hautsplateaux et importants massifs montagneux à l'inté­neur.

L'observateur attentif ne tarde pas pourtant àdistinguer dans les arts indigènes des dissemblancesqui se répètent et restent parallèles de l'est à l'ouestdu Nord africain, et l'amènent à établir un classe­ment logique. Ces différences portent sur la naturedes matériaux employés et sur le genre de décor quileur est appliqué. Mais il serait inexact d'en conclureque c'est là une résultante des disponibilités locales, cartelles populations voisines, en contact permanent de­puis des siècles et matériellement pourvues des mêmesmoyens, conservent chacune leurs préférences respec­tives et semblent vouloir s'ignorer les unes les autresen matière d'art. Ainsi se pose un problème du plushaut intérêt: les arts ne sont-ils pas sinon d'ori­gines, du moins de civilisations différentes?

)ious observons d'abord des arts très primitifs etapparemment très anciens. Eu égard à la fragilité desmatériaux qu'ils mettent en œuvre, textiles et boisfacilement destructibles, argiles mal cuites, on n'aencore pu rétablir avec toutt( la certiTUde scientifiquedésirable la chaîne qui les rattache à une époque

vraiment re­culée,et sansconteste supé­rieure à vingtsiècle:". Lesanciennes po­pulations del'Afrique duNord, ct no­tammen t lesBerbères, lesont conservésintacts sansleur faire subirde modifica­tions appré­ciables. Leurvitalité et leurfixité sont sur­prenantes. Si,

sur quelques points, des transformations, d'ailleursinfimes, ont pu se produire, elles sont dues à unecontamination récente provoquée par le contacteuropéen.

En Algérie, on donne à ces arts le qualifIcatif de« kabyles n; au Maroc, on a une tendance à les dénom­mer « chleuhs », termes qui s'appliquent à des dia­lectes différents d'une même langue: la langue « ber­bère )). Il fut un temps où je proposai d'appeler« berbères )) tous les produits industriels du genre;mais des enquêtes répétées m'ont fait découvrir quedes tribus d'origine arabe certaine les pratiquent, ctc'est sous la dénomination d'arts « ruraux )) ou d'arts« bédouins » que je crois plus opportun de les dési­gner. En Europe, on les appellerait arts « paysans n.

Ils sont, en effet, étrangers aux agglomérations dequelque importance.

Par contre, on a qualifié d' « arabes )) les arts desvilles. Mais il existe des groupements arabes se livrantà des travaux de caractère exclusivement rural, aussij'estime encore cette appellation mal fondée, ct luisubstitue celle de « citadins n.

Par arts « citadins »), j'entends ceux des centresoù sont venues sc fixer, depuis environ dix siècles,des populations de civilisation moins primitive ame­nées par le fiat islamique. Les principaux de ces

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ARTS RURAUX ET ARTS CITADINS DANS L'AFRIQUE DU NORD Z1

centres sont Lairouan, Sousse, ~abeul, Tunis, Tozeur,Sedrata, Constantine, la Qelaâ des Beni Hammad(aujourd'hui démantelée), Bougie, Alger, Tlemcen,Nédroma, Taza, Tanger, Fez, Meknès, Marrakech etquelques cités de la côte occidentale marocaine: Salé,l\.abat, Mogador et Saffi. Cette énumération indiquequ'il s'agit seulement de points où les arts importésont connu des moments de prospérité plus ou moinsprolongés et quelquefois très courts. Partout où ilsont survécu, ils sont stationnaires depuis au moinssix siècles et, dans les centres où ils persistent encore,ils se soutiennent à peine et leur avenir est sérieuse­ment compromis. Cela tient à ce que depuis plusieurscentaines d'années, soit par suite de leur inertie natu­relle et de leur fatalisme, soit à cause de la redou­table concurrence européenne, les villes nord-afri-

A rts ruraux. - N aUe du Beni Snouss (région deTlemcen) en alia et laine, iabricalion actuelle.

Arts ruraux. -;-- Couverture tissée à poil ras'(région de Djelia) , époque actuelle.

caines sont restées étrangères à l'évolution radicalequi s'est produite pendant les temps modernes dansle domaine de l'industrie.

Tandis que les arts ruraux utilisent exclusivementles matériaux trouvés sur place, les arts citadins fontappel à des produits impurtés parfois de très loin etque seules des relations commerciales q11elque peuactives peuvent procurer; tels sont les bois précieux,les matières textiles de choix comme la soie. les mé­taux et matières diverses: l'or, l'argent, les émaux,l'ivoire, la nacre, etc.

L'outillage et la technique des villes indiquent enoutre un réel progrè:o, sur ceux des campagnes. La

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22 ARTS RURAUX ET AR TS CITADINS DANS L'AFRIQUE DU NORD

A rts citadins. - Broderie de soie à l'aiguille et jours sur fils tirés, genre Salé, ancien. /)..4

poterie est façonnée sm le tour et cuite au four. Lemétier vertical à une seule lisse est remplacé par lemétier horizontal à lisses multiples mues par desmarches, ce qui permet le tissage à la navette,inconnu des Bédouins. La broderie embellit lesétoffes d'ameublement. La dinanderie, l'orfèvrerie fontleur apparition. Le bijou, que rehaussent des perleset pierres fines, est plus riche. L'habitat subit desmodifications profondes. Les constructions privées,princières et publiques s'édifient suivant des principesarchitecturaux bien établis. Une riche décoration enenvahit l'intérieur.

Alors que les techniques rurales perdent leur originedans la nuit des temps, les techniques citadines cor­respondent à celles qui furent connues en Europe aumoyen âge et même jusqu'au XVIIIe siècle, c'est-à-direiusqu'à l'heure où les grandes inventions ont trans­formé les conditions du travail hum.ain.

ARTS RCRAUX

Ses manifestations sont limitées. La vie est simpleau douar et au village eJ" les besoins y sont restreints.En dehors de l'habitat, on n'a guère à se préoccuper

que du couchage, du vêtement, de la confection dequelques appareils agricoles et de transport, d'usten­siles pour la conservation des provisions et la prépa­ration des aliments.

Quand l'indigène est nomade, tout cela est rudi­mentaire : le déplacement continuel des tribus pourla tramhumana, pour la razzia ou pour la fnite,rejette tous encombrants impedimenta et s'opposeaux travaux de longue haleine nécessitant un outil­lage fragile, volumineux et compliqué. Aussi ne faut­il pas s'étonner de la pauvreté du bagage industrieldes tribus non fixées.

En premier lieu, les cc flijs », épaisses et solidesbandes de tissu de laine mélangée de poils de chèvreet de chameau, servent à la confection de la tente.Gris en Algérie orientale, noirs au Djebel ArnoUl etau Maroc, rouges chez les Ouled Naïl, ces flijs coususensemble lisière à lisière donnent à la maison depoil leur couleur propre.

Il est de ces bandes, pareillement tissées à mêmele sol, qui portent des rayures et des dessins de

.couleur. Ce sont alors des tissus de choix séparant,aux jours de diffa, l'inthieur de la tente en deux:

A rts citadins. -~-- T l:Sstt broché. Fez (XIXe siècle).

-

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ARTS RURAUX ET ARTS CITADINS DANS L'AFRIQUE DU NORD 23

Arts citadins. - Porte de placard sculptée et peinte.Fez (XVIIIe siècle),

1

côté des hommes, côté des femmes; entrant dans laconfection des sacs de bagages, des tellis et des mu­settes de chevaux; revêtant les majestueux palan­quins qui cachent aux yeux des hommes lesépouses et les fiandes en voyage.

Les femmes nomades sont moins expertes dans letissage des vêtements. C'estun travail plus firi quebeaucoup d'entre ellesignorent. Avec une partiede l'arg<:;nt provenant de lavente des moutons, on pré­fère acquérir des tissusmanufaqurés d'Europe oudes burnous fabriqués pardes sédentaires.

La poterie est réduite àsa plus simple expression.Faite de terre plus ou moinsargileuse, à peine débarras­sée de ses corps étrangers,grossièremen t modelée à lamain et cuite sur un feude crottes de chameau, ellereste enfantine et primitive.Le décor en est absent. Ellesert à la cuisson des ali­ments.

A ce léger fonds, s'ajou­ten t quelques paniers etfi~ts en palmier ou alfatressés servant au transportdes hardes et menus objets.Les vases et. récipientsdivers pour puiser l'eau etcontenir le lait sont faitsde boudins de fibres coususensemble. Goudronnés àl'intérieur, ces ustensilesdeviennent imperméableset ont l'al'antage d'êtreincassables. De même queles peaux de bouc .qui ren­ferment les provisions d'eauou servent à battre le beurre, ils se transportentsimplement accrochés sur l'un des flancs de la mon­ture sans emballage spécial.

Ce qui vient d'être dit s'applique surtout aux no­mades de grande transhumana. Les semi-nomades,qui estivent et hivernent sur des points à peu prèsfixes, possèdent les mêmes industries, mais ils fabri­quent en outre des tapis, des nattes et des cou­vertures.

Je ferai entrer ces travaux dans la catégorie des

arts ruraux sédentaires, à laquelle Je passe immé­diatement.

Ici, l'habitat présente assez de variété. Il est desgroupements qui vivent encore dans des grottes na­turelles (El Hajeb, Aït Seghrouchem, Tlemcen). Le

gourbi de branchages et deboue se rencontre fréquem­ment. La maison toutefoisprédomine, couverte d'untoit de diss ou de tuilesdans la zone méditerra­néenne, d'Une terrasse àl'intérieur du pays, et bâtiesoit en pierres jointes avecplus ou moins d'art, soit entourbes ou briques de terreséchées au soleil. Dans lesrégions sahariennes du Mzabet du Souf, elle est faite deplâtre. Ces habitations sontrarement décorées. Je neconnais guère que quelquesmaisons de grande et depetite Kabylie dont lesportes sont sculptées et quisont ornées intérieurementde peintures murales.

Les meubles sont rares.Dans l'Oued Righ, on con­naît le lit en « djerid » outiges de palmes qui isoleles dormeurs du sol et. lesmet à l'abri des piqûres desscorpions. Le berceau, faitd'un canon de liège ou d'unfilet monté sur un cercle,est très répandu. Dans lesKabylies d'Algérie et l'Au­rès, un grand coffre de bois,généralement couvert dedessins gravés, contient leshabits de fête, les bijoux,les armes, l'argent.

Parmi les objets en bois orné et de dimensionsplus réduites, on n'observe guè're que des boîtes etcoffrets, des cannes chez les Traras, des poires àpoudre rehaussées de clous et de filigranes de cuivre

. dans ]'Aurès et au Maroc, des crosses de fusil dansle Sous, des fourreaux de sabre et de poignard dansla grande Kabylie.

Le travàil artistique dl'. fer, qui s'exerçait autre­fois dans la confection des lampes, des peignes pour letissage, des platines et crosses de fusil et le damas-

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24 ARTS RURAUX ET ARTS CITADINS DANS L'AFRIQUE DU NORD

Arts citadins. - JJosaïqlle de faïence /maillée et plâtres sculptés. Fez(XIve siècle).

quinage des sabres et des étriers, tend à disparaître.Les bijoux appartiennent à deux familles dis­

tinctes. La première est la famille berbère où l'argentdomine. La forme et l'ornementation appropriéesdes bijoux dénotent l'existence d'un sentimentartistique indéniable et la connaissance de tech­niques déjà perfectionnées, telles la fusion, la sou­dure, le découpage, le repoussage, et la ciselure desmétaux, l'application de cires et d'émaux colorés,Je sertissage de verreries, de pierres et de corail.}Ioquine, l'Aurès, la Kroumirie, les Kabylies.Djclfa, Ghardaïa, Aftou, le Rif, le Sous sont lescentres de fabrication les plùs actifs. Partout onretrouve à peu près les mêmes formes de bagues,de bracelets, d'anneaux de pieds, de diadèmes,d'agrafes triangulaires, de fibules, de plaques defront et de poitrine. Les réminiscences byzantinesy sont nombreuses.

Les bijoux des qsours sahariens sont d'un typetout différent. Le choix seul des matières premièrescommunes: cornaline, pierres et verroteries, coquil­lages, cuivre, manifeste le goùt et les moyens nègres.

Ce sont là des industries essentiellement mascu­lines. Les industries féminines ne sont pas moins

dignes d'intérêt. Elles consistent notam­. ment dans la poterie et le tissage auxquelssont particulièrement aptes les femmes decertaines tribus.

Dans l'Aurès, la Grande et la PetiteKabylies, le Zakkar, le Chenoua, les Msirda,les 'Isoul, le Rif, l'argile fait l'objet d'unchoix et d'une préparation préalables; letournassage, assez régulier quoique fait à lamain, est suivi d'un séchage méthodiqueà l' ombre et au soleil; une couche d'argileplus fine sert de fond à la peinture orne­men tée qui recourt à plusieurs couleurs,le rouge et le noir; la cuisson se fait surune aire plane, spécialement aménagée.Les formes sont nombreuses et variées:amphores, bols, compotiers, écuelles, mar­mites, braseros. lampes, chandeliers, enfu­moirs, etc. Enfin, en Kabylie d'Algérie, onconfectionne de grandes amphores enargile mêlée de menue paille et simplementséchée, à dessins en relief, qui servent àla conservation des provisions.

Quant au tissage, il s'opère sur métiervertical à une seule lisse correspondant àl'ancien métier égyptien. Haïks de laineemployée seule ou mélangée avec la soie,burnous de Tunisie ei d'Algérie, djellabas

du Maroc, tons tissus nnis ou rayés, sont les produitsles plus courants. Les coussins, couvertures, musettes,manteaux de femmes font sur certains points l'objetde soins spéciaux; le décor y est parfois très poussé.

Arts àtadins. - JIosaïquede faïence. Fez (XIVe sciècle).

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ARTS RURAUX ET ARTS CITADINS DANS L'AFRIQUE DU NORD 25

Il serait trop long d'énumérer ici les types fortcurieux qui se sont créés dans tout le nord de l'Afriqueet qui se transmettent par tradition.

Les nattes d'alfa tissé et de palmier nain cordelé,agrémentées de laines de couleurs, sont également àretenir, bien qu'elles soient d'une importance moindreque les épais tapis à haute laine et à points noués.Faits de laines naturelles blanches, grises, marron,noires dans certaines régions de l'Atlas, éloignéesdes centres commerciaux, confectionnés par ailleursavec des laines teintes, les tapis sont très recher­chés chez les ruraux. De tous, les plus remarquables'sont ceux du Djebel Amour et du Tadla Zayan;la toison en est longue et moelleuse, le colorissomptueux et puissant.

L'ornementation des produits de l'art industrielrural est caractéristique. Elle résulte de la. juxtapo­sition, en des bandes parallèles, concentriques dansles compositions circulaires, droites dans les compo­sitions rectangulaires, d'une multitude de motifsgéométriques et rectilinéaires : dents, croix, che­vrons, angles, triangles, carrés, losanges, damiers, etc.,d'où sont bannies toutes représentations animées. Lecoloris en est aussi très spécial. Avant l'importationdes matières tinctoriales de fabrication moderne, leschamps colorés avaient une belle tenue sérieuse, unpeu sévère peut-être, due à la prédominance de bleus,de verts et de rouges très foncés, même de noirs, danslesquels chantaient discrètement de légèr'es notesblanches, jaune serin et vert clair.

ARTS CITADINS

En imposant une religion, une organisation, desmœurs et des habitudes nouvelles, la conquête arabequi s'étendit en' quelques siècles seulement sur levieil Orient, la Berbérie et l'Espagne, bouleversa lecadre social des peuples asservis et y apporta d'im­portantes modifications. Un monde nouveau s'édifiapar la vertu d'une foi unique: le monde musulman,qui, nourri des brillantes civilisations qui l'avaientprécédé, était plus civilisé alors que la plupart despays d'Europe. Le prophète avait promis aux croyantsla possession des royaumes du monde. La jouissancedes biens terrestres fut considérée, non comme unbonheur méprisable indigne de l'homme religieux,mais comme un présent et une récompense. Aussiles souverains musulmans ne répugnèrent-ils pas àrechercher les richesses, à s'entourer de luxe, à ornerleurs palais, à embellir leurs résidences en mêmetemps qu'ils édifiaient des temples. Leur faste devintproverbial et leurs empires fe couvrirent de monu­ments magnifiques.

L'architecture religieuse du Maghreb compta desmosquées fameuses à Lairouan, à Tunis, à Cordoue,

Photo l-'landrin.

Fenêtre marocaine (ier forgé). Dar Nlenebhi, à Fez.

à Tlemcen; des minarets rép,üés à Séville, à Rabat,à Marrakech; de splendides medersas remplies d'étu­diants à Fez; des oratoires charmants et nombreuxpartout; d'austères « ribats » ou couvents fortifiés oùdes religieux priaient 1out en défendant l'empirecontre les ennemis de la foi; des « msids » enfin ouécoles c,oraniques élémentaires.

De jolies maisons et de brillants palais avec ousans jardins, des hôpitaux et des prisons bien com­pris, des souqs et des caravansérails admirablementsitués et disposés, des fondouqs tenant lieu d'hôtel­leries et d'entrepôts de marchandises, de vastes'1 hammams ii ou bains maures, des fontaines et desaqueducs, des ponts furent les principaux monumentsde l'architecture civile.

L'architecture militaire ne fut point négligée. Demassives casbahs veillèrent sur les villes en les domi­nant; de pittoresques et interminables rempartsentourèrent les cités; des portes monumentales,ouvragées avec art, s'ouvraient sur les campagnes.

Le choix et la mise en œuvre des matériaux deconstruction témoignent de connaissances techniques

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26 ARTS RURAUX ET ARTS CITATINS DANS L'AFRIQUE DU NORD

Arts ruraux. - Poterz'es de Tsou's, fabrication actuelle.

r8elles. On employa la pierre taillée, le pisé, la briquepour les murs; la tuile vernissée dans les toitures; Jemarbre pour les dallages, les colonnes, les chapiteauxet les vasques; la terre cuite pour les pavements; lescarreaux émaillés de vives couleurs pour les revête­ments; le bois de cèdre pour les charpentes et lesmenuiseries, les lambris sculptés et les claires-voies;le plâtre fouillé pour l'ornementation murale; lesvitraux pour les fenestrages. Le décor coloré faitnaître enfin l'art de la peinture sur plâtre et surbois, qui envahit l'intérieur des édifices.

De très belles industries, d'abord importées d'Orient,puis d'Andalousie, se répandirent dans les villes dunord de l'Afrique pt se transmirent, de générationen génération, par la seule voie de l'apprentissage àl'atelier, car il n'y eut jamai;; d'écoles telles que nousles concevons aujourd'hui.

Les arts plastiques et industriels furent aussi trèsen favel'r. Des procédés perfectionnés de tissage serépandirent dans les grandes villes musulmanes deKairouan à Rabat par Tunis, Alger, Tlemcen, Té­touan, Fez et Marrakech. Les vieux procédés defilage mécanique de la soie et de tissage sur métiersà la « petite» et à la cc grande tire» pour la confec­tion de tissus ornés et brochés, rendirent célèbres denombreux ateliers.

La céramique orientale, qui donna ses plus bellesœuvres dans les ateliers de Palerme, de Malaga et deValence, n'est pas aujourd'hui encore complètement

oubliée à Nabeul, à Tunis et à Fez. La mosaïque defaïence compte également de nombreux ouvriers dansla vieille capitale marocaine.

Le meuble fut toujours une exception en Berbérie.En dehors des admirables cc minbars» ou chaires àprêcher dont sont encore dotées les grandes mosquéesde Lairouan et de Fez et de la medersa Bou-Ananyaà Fez, on ne compte guère que quelques coffres etcoffrets sculptés ou marquetés, quelques sièges rituel::gravés et peints.

L'art du bronze fleurit du XIIe au XVIe siècle dansl'exécution de superbes revêtements ajourés et ciselésqui s'appliquèrent sur les portes des monumentsreligieux de Tlemcen, de Fez et de Meknès; de grandslustres qui ornèrent les mosquées de Taza et de Fez.Nul vase de cuivre ou d'argent de l'Algérie, de laTunisie ni du Maroc ne peut toutefois rivaliser avectel produit similaire de Mossoul ou du Caire. Labijouterie citadine, exercée par les Juifs, ne paraîtpas avoir jamais eu le beau caractère de la bijouterierurale.

Le goût des harnachements brodés d'or, connuavant les Turcs mais renforcé par eux, a provoquéla réalisation de splendides selles, de costumes degrand apparat et même de tissus d'ameublemeni',les cc hâïtis », par exemple, dont la mode n'est pointencore oubliée.

A quel moment est apparue la broderie? On nesaurait encore le dire. En tout cas, les femmes

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ARTS RURAUX ET ARTS CITADINS DAN S L'AFRIQUE DU NORD 27

Arts citadins. Poteries de Fez émaillées (XVIIIe siècle).

musulmanes s'y livrent avec ardeur aux XVIIIe etXIXe siècles. Leurs points et leurs thèmes décoratifssont d'une richesse et d'une variété inouïes. Tunis,Bône, Alger, Tétouan, Fez, Meknès, Rabat, Salé etpeut-être Taroudant ont chacune leur type spécial,très différent du voisin.

Les arts graphiques sont les plus jolis et les plusprécieux. A toutes les époques, J'enluminure, et lacalligraphie qui y conduit, sont en honneur. La parolesacrée du Coran et les prières rédigées par des saintsréputés emplissent les pages de livres magnifiques oùles le ttres d'or alternent délicieusement avec de finesarabesques de couleur. Des relieurs au goût exquisprotègent enfin ces précieux ouvrages d'enveloppesde cuir recouvertes elles-mêmes des plus richesornements.

Il y aurait beaucoup à dire encore sur les mIiieindustries qu'on découvre chaque jour en parcouran~

les villes musulmanes, mais je reviendrai plus tardsur cet inépuisable sujet.

Retenons pour finir les caractéristiques essentiellesdu décor citadin. Constatons tout d'abord l'existenced'une polygonie remarquablement souple et variée,qui met en œuvre les extraordinaires ressources dela géométrie décorative. Considérons en second lieuune flore étrange, irréelle, entièrement imaginative,

dont les mysthieux enroulements fournissent le thèmeprincipal du décor curviligne. A ces deux sources,que régit une impeccable symétrie, ajoutons enfinl'écriture, tantôt rigide et austère, tel le koufiquevertical et anguleux, tantôt voluptueusement con­tournée, outrancièrement capricieuse et libre, telle lacursive courante et souple, toutes deux très décora­tives. A eux trois, ces éléments : polygonie, flore,épigraphie, constituent l'arabesque musulmane sicaractéristique des manifestations du sentimentesthétique oriental, arabesque linéaire, et non deformes, que rehaussent et égaient des couleurs vives,hardiment agencées, toujours harmonieuses auxbonnes époques.

Tels sont, vus en raccourci, les arts ruraux etcitadins du nord de l'Afrique qui ont pu, pendantplus de dix siècles, vivre côte à côte sans se connaître,sans se faire d'emprunts réciproques. Ne faut-il pasy voir le contraste persistant de deux vieilles civili­sations si pleinement affirmées encore de nos jourschez -lès campagnards frustes et les Mames affinés,dont les « chleuhs» de l'Atlas et les riches «( Fasis» dela capitale fondée par Moulaï Idris sont les types lesplus parfaits l

P. RICARD,

Inspecteur des Arts Marocains.

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Les babouches et leur décoration

l ES babouches! Comment évoquer sans jouissance d'ar­L tiste les étroites boutiques où des négociants graves,savamment assurés sur des coussins de peau souple,vendent ces jolies chaussures que nous appelons, impro­prement, des babouches?

Dans toutes les villes anciennes, à Fez, à Meknès, àSalé, à Marrakech, qu'à peine effleura le goût corrupteurdes Européens, c'est partout la même féerie de cuirs et develours teints, brodés d'or ou d'argent, enjolivés deganses et de houppettes, selon l'inspiration d'une fantaisiemesurée qui sait maintenir d'instinct les traditionsdécoratives en les interprétant!

Quel humoriste prétendit reconnaître un aristocrateà la façon de sa chaussure? A la façon dont il a résolu leproblème d'épargner à son pied le rude contact du sol,on ne saurait certes voir dans le Marocain un peuple denoble origine. On n'a point ici les extrémités délicates,et Cendrillon n'est pas un conte du Maghreb.

Chaussure de femme ou chaussure d'homme, chaussureordinaire ou chaussure de luxe, la babouche n'est tou­jours qu'un étui de forme rustique, simplifié au possible,où s'engage seule la partie antérieure du pied. Rien nel'attache au talon et rien à la cheville. D'un mouvement,on la met en place; d'un mouvement, on la retire. Pen~

dant la marche. la crispation des orteils la maintient.C'est en glissant qu'avec elle on avance; elle ne s'accom­mode que des allures lentes, dont son battement sur lestalons marque le rythme flâneur.

Chaussure d'aristocrates, évidemment non. Chaussuresde paresseux pourr2it-oncroire, si l'on ne savait gue le Ma­rocain s'en débarrasse dès qu'un travaille presse, pour allernu-pieds ou lui substituer de simples sandales fixées pardes cordons. Bien plutôt chaussure de dilettantes, amou­reux de leurs aises. Chaussure du fpih douillet qui gagneà pas comptés son officine à paperasses. Chaussure dumarchand citadin, dédaigneux de ses clientes berbèreset de leur jambières de laine. Chaussure de délicats;chaussure d'efféminés; chaussure de femmes...

Uniforme dans sa coupe, la babouche ne l'est pointdans la matière qui sert à la confectionner, ni surtoutdans son aspect, qui varie selon le sexe et la classesociale auxquels on la destine. De cuir jaune uni pour leshommes, elle est de cuir rouge ou noir pour les femmes,quand elle doit servir à la ville. Si elle est faite pour lamaison, elle est de cuir ou de velours, teinte de nuancestrès diverses et brodée, plus ou moins richement,suivant son prix et les habitudes je la ville où on l'afabriquée.

Son nom lui-même n'a point d'unité. Ce que nousappelons babouche, d'un mot persan francisé au débutdu XVIIIe siècle, les Marocains le nomme betra (pluriel:blari, chaussure jaune réservée aux hommes), ou r'haïa(pluriel: rouahi, chaussure de ville, rouge ou noire, pourles femmes), ou cherbû (pluriel': c/trabel, chaussure fémi­nine d'intérieur, décorée et brodée).

De la technique de fabrication des blari et des rouahi,on a tôt fait de pénétrer les procédés. C'est l'industrierudimentaire de tous les savetiers du monde. Une simpli­cité parfaite y règne en maîtresse. Toutes les opérationss'y font à la main, au grand jour des échoppes, sous lesyeux du public qui passe, y compris le découpage et lecollage des bandes de papier qu'on glisse dans l'intervalledes semelles de cuir pour leur donner de l'épaisseur.

Du cuir plus ou moins fin, de forme plus ou moinslourde, de coloration plus ou moins discrète, ces deuxsortes de chaussures obéissent à des règles de présen­tation à peu près invariables et fidèlement observées partous les artisans de Tétouan à Mogador. Rien ne lesdécore, aucune de ces broderies qui pourraient prêter àdes interprétations locales et les différencier. A peinequelques artisans se permettent-ils. pour fignoler leurtravail, de tracer, avec une pointe de fer émoussée, untJ ait léger, ton sur ton, qui divise l'empeigne en deuxparties dans le sens de sa longueur. Les rouahi rouges(chaussures de ville pour femmes) reçoivent quelquefoisun petit médaillon de cuir vert au milieu du bord del'empeigne qui touche le cou-de-pied. A Fez, dont lesproduits sont recherchés pour leur fini, on poinçonnesouvent d'un petit dessin au fer chaud la languette pos­térieure des blari de prix élevé.

C'est surtout dans la décoration dn cherbil que l'in­dustrie marocaine de la babouche affirme son originalitéet sa maîtrise. Sous son voile légèrement tendu, lamusulmane honnête doit, à la ville, garder l'anonymat.Rien, pas même la forme ou la couleur de sa chaussure,ne la distiflgue de ses compagnes d'égale condition. Maisson goût du luxe, sa fantaisie et son caprice n'ont delimites, dans l'intimité du foyer, que celles imposées parl'époux. Dans son culte des riches atours, la coquettemograbine ne le cède en rien à celle de chez nous.Combien de sévères rouahi compléteraient grossièrementle chatoyant assemblage de bandeaux de tête, de cein­tures et de gilets brodés, sous lequel l'amoureuseMarocaine dissimule ses charmes, ou les fait valoir.Pour plaire à la femme, l'industrie sévère des savetiers adû s'ingénier. De là est né l'art délicat, infiniment' variéet orignal, de la décoration des babouches.

Une étude comparée des décors cIe babouches nemanquerait pas d'être fort instructive. Elle est impos­sible à l'heure actuelle, aucune des enquêtes qui ladoivent précéder n'ayant été faite ou livrée au public.Portant à la fois sur les procédés de décoration, sur lesmatériaux qui servent à décorer et. sur les thèmes déco­ratif~, les enquêtes, poursuivies dans chacun des centresde fabrication, devraient, dans chaque cas, discriminerce qui revient à l'invention individuelle et ce qui doit ..être attribué à la tradition. On arriverait ainsi à réduireà quelques motifs fondamentaux les décors que nousobservons en leur déconcertante diversité chez lesartisans des souks.

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LES BABOUCHES ET LEUR DÉCORATION 29

BABOUCHES DE MEKNÈS

Chaque modèle est en double. L'un représente le thèmedécoratif en papier, prêt à être collé sur l'empeigne,. l'autre,l'empeigne complètement décorée au moyen de fils métalliqueset de morceaux d'étoffe de couleur passés dans les fours.

La babou::he du centre est de Marrakech. Elle est develours vert. Sa décoration comprend au centre un typefloral en broderie d'argent et, au bord de l'empeigne, unehouppette de soie. Les parties non brodées sont enfolivées de

petits disques en métal blanc.

Il semble, à premlere vue, qu'on ne puisse attribuerqu'à une imagination très riche, mais sans règles. cetteproduction décorative où la soie, les fils d'or et d'argent,les paillettes de métal, les satins et les velours sont ingé­nieusement mis en œuvre. La vérité est tout autre. Lesartisans marocains connais3ent fort bien les qualités etles défauts de chaque matière, savent en tirer tout leprofit et l'adapter au dessin qu'ils ont conçu. Beau­coup mieux, chacun des décors réalisés s'inspire d'unthème très simple. en constitue le développement eten porte le nom.

Une rapide investigation chez les fabricants de

Meknès nous a permis de collectionner un certainnombre de spécimens qu'il nous:a paru intéressant defaire connaître.

La décoration n'une babouche de femme comporte,à Meknès, comme partout ailleurs au Maroc, troisopérations principales: choix du décor et découpaged'un modèle de papier sur l'empeigne; décorationproprement dite par recouvrement du modèle depapier au moyen de fils d'or et d'argent. Cette der­nière opération, faite par des brodeuses, s'accompagnesouvent du placement de morceaux d'étoffes dans lesjours du modèle du papier.

De ces opérations, la première est sans doute la pluscurieuse. C'est Je chef d'atelier qui fait le choix du décoret en établit le modèle. Pour ce faire, il dispose d'unnombre parfois important de découpages de cuir à lui

légués par ses prédécesseurs ou qu'il fabrique au gré deson habileté. Ces découpages de cuir peuvent être repro­duits indéfiniment sur papier avec un canif et serventsans doute à des générations successives d'artisans. Ilspeuvent être aussi transformés, simplifiés,ou, au contraire,

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3° BIJOUX DES MI LLE ET UNE NT;ITS

rendus plus compliqués. Ils donnent une impression degrâce qu'on ne retrouve pas toujours dans le cherbilcomplètement achevé; le travail des brodeuses étantfort peu payé, ces femmes négligent souvent, pour gagnerdu temps, les détails d'exécution qui devraient fairevaloir le motif qu'on leur donne à recouvrir.

Nous avons dit que chaque décor de babouche s'inspired'un thème simple dont il est le développement. A Meknès,les thèmes décoratifs les plus souvent reproduits sontceux du palmier (nakhla). du citron (tronja) , du candé­labre (haska), du bougeoir (hasika). Il est parfois diffi­cile de les discerner, d'autant plus que plusieurs thè~mes

sont généralement traités dans le même sujet. C'estainsi que le thème du palmier se développe à côté duthème de la roue, du thème solaire ou de thèmes floraux.On en trouvera plusieurs exemples dans les planchesci-contre. De tous, c'est le thème du candélabre (haska)qui se trouve interprété avec le plus de fantaisie. Ilcomporte toujours une partie horizontale (broderie etétoffe de couleur) figurant le pied du can:1élabre, unepartie verticale qui représente la tige, toujours enve­lcppée de thèmes secondaires, et une extrémité presquetoujours palmée. sans doute assimilable à la flamme.

Cette symbolique décorative n'est pas particulière à3Ieknès. Nous l'avons retrouvée à Rabat, à Salé, à Fez.Ce que nous en avons dit suffira, pensons-nous, à attirer

l'attention du collectionneur sur un objet d'étude encorevierge. Des enquêtes locales, conduites avec soin etjudicieusement confrontées, permettraient peut-êtred'aboutir à des conclusions originales sur l'industried'art la plus active du Maroc.

Qui sait même si la comparaison des conceptionsdécoratives mises en œuvre dans la babouche avec cellesappliquées au cisèlement du cuivre, à la broderie, à latapisserie, à la sculpture du plâtre et du bois, à lamosaïque, ne nous apporterait pas des lumières nou­velles sur l'esthétique fondamentale des gens du Maghreb?

Attendons patiemment l'époque où cette étuded'ensemble sera possible. Il n'en faut. pour le moment,que rechercher les éléments avec sagacité. Rechercheattrayante au surplus. Ne s'agit-il pas d'un art populairebien vivant par où se manifeste, avec une fraîcheurtoujours renouvelée, l'âme de nos protégés marocains?

Pour bien gouverner un peuple, il est nécessaire deconnaître sa langue et les dieux qu'il invoque. Il ne peutêtre indifférent non plus de savoir comment il se loge,se nourrit, s'habille et se chausse.

L'ethnographie, science modeste et trop méconnue, est,plus qu'on ne pense, une auxiliaire précieuse de la « poli­tique indigène n.

LÉON BÈGUE,SOlls-cheE cie blll"eall cie la Résidence Générale.

Bijoux des mille et une •nUIts

Phot. Decourcelle.

Collier de 111eknès.(Collection A.-R. de Lens.)

les pr,;occupatlOns et les mesquineries de sa médiocreexistence civilisée. Il veut vivre quelques semainesd'une intense clarté, dont les reflets suffiront àréchauffer le reste de ses jours. II aborde au Maroc,- l' « Orient » proche et mystérieux, - comme aupays des Mille et une Nuits, l'esprit hanté des ma­giques descriptions,grisé d' avance partoutes les ivresses,ébloUl de tous leséblouissements qu'ilescompte...... Le bled étend àl'infini l'aride mélan­colie de ses solitudes.Les caravanes, lestroupeaux, les Bé­douins et leurs cha­meaux se distinguentà peine du sol, dont

ils partagent la fauvecouleur poussiéreuse.

Quelques cités s'é­lèvent au milieu desdéserts, farouche-

Le voyageurquitte sa terre em­brumée, il aspire àsecouer les con­traintes, les exigen­ces, les joies ternes

l eune NIarocaineparée de ses In·faux.

P.lOt. Decollrcelle.

L'Orient... prestigieux évocateur de tous leséblouissements!

Eblouissement des sables fauves, brûlés de soleil.Eblouissement des ciels qui s'empourprent à l'heure

du Maghreb.

Eblouissement des palais de faïence aux mille

reflets.Eblouissemen t

des terrasses tropblanches dans .la

lumière.Eblouissemen t

des caftans multico­lores.

Eblouissementdes femmes vêtuesde soie et scintil­lantes de pierreries.

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BI]OUX DES :MILLE ET UNE NUITS 31

Tagerat.(Collection A.-N.. de Lens.)

Phto. Decourcelle.

')

ment étreintes par une ceinture de remparts,sillonnées de ruelles étroites et sombres, où le soleilne se hasarde jamais, entre des murailles dégradéesqui s'écroulent sans que nul songe à les réparer. Lafoule terne des passants se drape dans les burnousde laine blanche; les femmes sont d'informessilhouettes sous les plislourds des haïks.

Le soir, on en peut voirquelques-unes, cheikhat etcourtisanes sans grâce,dont les colliers en verro­terie et les pauvres bijouxprétentieux ne jettentqu'un éclat vulgaire.

Le voyageur s'écrie:« 0 Maghreb sombre et

décevant 1. .. »Et pourtant, le Maroc

est bien l' « Orient» detous les éblouissements.

Mais il les dissimule, ilgarde jalousement ses tré­sors, et n'en livre peu àpeu le secret qu'à ceux quine sont plus des étrangers,à ceux qui ont su se faireune âme arabe pour l'ai­mer et pour le comprendre.

Les burnous de laine re­couvrent des' caftans auxvives couleurs. Du hautdes terrasses, on aperçoittoute 13 ville embrasée desoleil. Derrière les tristesmurailles croulantes secachent les salles de mo­saïques aux plafonds dorés,les colonnades et les jetsd'eau. Dans les demeuresen fête, interdites auxprofanes, il y a des femmesvêtues de brocards et pluséhncelantes que des idoles.

Des bracelets d'or ciselés chargent leurs bras; desrangs de perles fines entremêlées d'émeraudes encer­clent leurs cous bruns; les cabochons précieux fon td'étranges saillies sur leurs bagues; les touaba enrichisde diamants brillent discrètement au milieu du frontsous l'échafaudage onnpliqué des turbans, rehaussésde broderies et de pl tlmes. Quelques-unes portent dehauts diadèmes où les pierreries jettent des lueursvertes et rouges parmi les entrelacs du métal.

D'autres ont la tête ceinte d'un souple bandeau de

perles, d'où tombent de longs glands en rubis. Lesnattes noires encadrant le visage sont piquéesd'agathes et d'améthystes. Des émeraudes étincellentsur les boucles de ceintures, délicatement ouvrées.

Les bijoux des Marocaines, vrais joyaux des Mille. et une Nuits, sont lourds et somptueux. Ils s'harmo­

nisent avec les brocardstrop magnifiques, les fardstrop violents, les par­fums trop enivrants, lesdemeures trop luxueuses.

Ils éclipsent la beautédes femmes, ils éblouissent,ils accabIent... Les khelkhalld'a r g e n t qui s ' e n t r e­choquent au moindre paspèsent aux fines chevillesqu'ils enserrent. Les rkhaîsmeurtrissent et déformentles oreilles, malgré la chaî­nette qui les soutient surla tête. Les énormes pier­reries jettent un éclat dontla brutalité blesse et dé-concerte.

Etincelante d'or et degemmes précieuses, la Ma­rocaine tout entière est unjoyau dont on ne perçoitque le resplendissement.

Et pourtant, quel artdélicat dans les détails desa parure, dans les cise­lures de ses bagues et deses bracelets, dans lesémaux de ses colliers, dansl'infinie et capricieuse dé­coration de tous ses bijoux.Les lignes se croisent ets'entrelacent en ces innom­brables combinaisons dontles musulmans ont su tirerun exclusif et merveilleuxparti. Des ornements flo­

raux très stylisés viennent parfois s'y mêler d'unefaçon si régulière qu'ils complètent et n'altèrent pasl'aspect géométrique de l'ensemble.

Certaines plaques précieuses et lourdes, certainsmotifs étrangement travaillés ont une allure t.outebyzantine.

On trouve encore de ces tagerat en grosses perlesde filigrane, d'où pendent trois rosaces d'or constel­lées de pierreries, que les juifs ajouraient patiemmentà la lime sans jamais réppter !~ même dessin. Mais

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32 BIJOUX DES MILLE ET UNE NUITS

-

et

surtachent

humblesnOlres se dé-

le fond clin­quan t desétalages, oùles bij auxd'argent etles verrote­ries en rre­choquent l'é­clat de leursarêtes viveset de leursfeux.

C'est de-

l'hot. Decourcelk.

Phot. f)~[(jllrcelle.

van t ceséchoppes queles femmesberbères, ac­courues à laville pour unefête, s'arrête­

ront extasiées dans la convoitise des lûzellalat réuniespar des chaînes, des grands anneaux d'oreilles àpendeloques, des colliers de pièces et de coraux, deskhellkhal massifs qu'elles soupèsent et apprécient àleur lourdeur. Il semble que le souk leur soit uni­quement destiné; aucun bijou d'or n'y figure, aucundes précieux joyaux réservés aux citadines. Et pour­tant, ce sont bien ces juifs misérables et dépenaillés

qui détiennent les trésorsdes Mille et une Nuits.

L'arrivée d'un acheteurd'importance - notableconnu par son faste, richemarchand à la veille demarier sa fille - met toutela corporation en émoi. Unvieillard, dont les mèchesgrises dépassent le tradi­tionnel foulard jaunâtre, selève péniblement de sonéchoppe et, l'échine cour­bée, le geste obséquieux,l'allure craintive, ma~s avecune lueur de joie au fondde son petit œil terne, ilemmène le musulman àtravers les ruelles infectesdu mellah, jusqu'à sa mai­son bariolée d'outre-mer,en contre-bas des remparts

Au fond d'une chambre

Bijoux de femmes berbères.(Collection A.-R. de Lens.)

Bijoux de femmes citadines(Collection A .-R. de Lens.)

Le souk des bijoutiersest situé aux environs dumellah, à l'écart des autressouks qu'ils ne doi t passouiller de son contactimpur, car le travail desmétaux, méprisé par lesdisciples de Mahomet, restedepuis des siècles l'apanagedes juifs. Tout le jour ilss'absorbent dans Jeur be­sogne, martèlent des bra­celets sur leurs petites en­clumes' creusent des cise­lures délicates, à J'aided'instrumen:s très primi­tifs. Leurs sil houettes

ce sont detrès vieilleschoses pas­sées de mode,et dont lesfemmes neveulent plus.Elles leurpréfèrent au­jourd'hui lescolliers à pen­deloques quitombent.

presque jus­qu'à la tailleet se nom­ment lebba.Le musul­man, à qui leCoran inter­dit pour lui­même l'or etles tissus desoie, prend une revanche éclatante dans la parure dece qui lui est le plus cher: ses femmes et ses che­vaux. Et si les richesses qu'il prodigue aux unesrestent cachées au fond des harems, c'est à la vivelumière du soleil qu'étincelleront les rubis et les éme­raudes, les grelots d'or, les rênes cousues de plaquesprécieuses, les boucles rehaussées d'émail et lesbroderies de ses harnachements. Aux jours desgrandes fantasias, les che-.vaux des caïds sont plusresplendissants que des sul­tanes.

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LES POIGNARDS DU SOUS 33

sombre, derrière les boiseries, sont dissimulés descoffres qu'il attire et qu'il ouvre avec des airs demystère... Et, soudain, l'ombre de la pièce s'éclairedes plus invraisemblables reflets. Perles et pier­reries rapportées des Indes ou de La Mecque,émeraudes brutes plus grosses que les noix de Mar­rakech, rubis énormes, diamants enchâssés dansles bagues, diadèmes ajourés et resplendissants,

colliers aux multiples pendeloques, signes de Shéhé­razade et de ses sœurs marocaines. Les mains débilesexhument en tremblant ces joyaux qu'elles manientprécieusement, tendrement, pour en faire miroiter lesétincelles... L'antre d'Aladin existe au cœur des citésmograbines et recèle encore tous les éblouissements.

A.-R. DE LENS.

Les poignards du Sous

Le poignard dit « Koummya » est l'attribut indispen­sable du Soussi, qui ne s'en sépare jamais. Pour qu'unSoussi ne porte pas de poignard, il faut que ce soitréellement un miséreux qui n'a pu réunir les quelquespesetas, voire les quelques grouch nécessaires pour seprocurer le vieux poignard à fourreau de cuivre qui sertd'arme et de couteau.

Le poignard, plus encore que partout ailleurs au Maroc,est au Sous un objet de parme masculin. Un beau

reglOns par la'forme très recourbée de la lame et dufourreau et par l'étroitesse du manche, le poignard duSous se présente sous tous les aspects, depuis l'arme laplus vulgaire jusqu'à l'objet précieux atteignant uneréelle valeur artistique.

Les lames les plus réputées sont celles des maalemsI-Iaoussine à Ighouissen (Chtouka), Zimber à Dehira(El Mader) et Tildi (Ida ou Semlal).

La fabrication et l'ornement des manches et des

poignard fait oublier la pauvreté du vêtement (on aime""" mieux aller nu_pieds que de se priver d'un poignard). Et

c'est à l'achat d'une riche « Koummya \l qu'est destinél'argent des premières économies.

Différent des poignards fabriqués dans les autres

fourreaux donne leur valeur aux différents poignard=.Les plus soignés sont signés à l'entrée du fourreau.

CAPITAl XE BELHüMME,

Cr.ef du bureau des Renseignements d'Agadir.

4

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34 LE FILET BRODÉ MAROCAIK

Le filet brodé •marocaIn

TOUTEs les grandes villes du Maroc, si différentes lesunes des autres par leur aspect, par leurs construc­

tions, leurs mœurs même, se caractérisent aussi par lesarts qui depuis des siècles .3y sont développés.

C'est Fez, l'austère ville grise, avec ses poteries et sesfines broderies; c'est Marrakech, la grande bourgade duSud, avec ses poignards damassés et ciselés; c'est Mogadoravec ses plateaux de cuivre. Rabat est renommée surtoutpour ses tapis et ses broderies de soie. Tous les souks yregorgent de ces productions: tapis aux dessins harmo­nieux, broderies aux vives couleurs s'étalent aux devan­tures des boutiques le long de la rue des Consuls ou dansles patios des Kaïserias. C'est en « flânant » chez lesartisans et les brocanteurs que quelques amateurs décou­vrirent, il y a peu de temps encore, de longues bandes defilet brodé, analogues à celles qu'on retrouve dans nosmusées et dont cdui de Cluny conserve les plus beauxspécimens. Leur étonnement fut grand et ils pensèrentd'abord que ce n'étaient là que des articles d'importation.

A l'examen cependant, ils reconnurent que ces dentellesne ·ressemblaient que de loin à celles d'Europe et ilsapprirent que l'art de les confectionner fut apporté audébut du XVIIe siècle par les Maures chassés d'Espagne.C'est à Rabat, en effet, que ces exilés, après avoir errésur la côte, finirent par trouver asile. La légende, plusromanesque que l'histoire, raconte que cet art fut ensei­gné aux Marocaines par de jeunes esclaves blanches queles pirates de Salé allaient ravir sur les côtes d'Espagne,voire sur celles d'Armorique et de Saintonge... Il estun fait curieux en tout cas et qui vient appuyer lesthèses de l'histoire et de la légende. c'est qu'il n'y il. qU'~l

Rabat qu'on trouve du filet brodé.Tout en ayant conservé son caractère d'origine. surtout

en ce qui concerne les dessins, d'allure presque toujoursRenaissance, le filet marocain est très particulier, soitparce que les musulmans éprouvèrent des difficultés à seprocurer les matériaux nécessaires, ou simplement parceque leur caractère même, moins asservi comme celui de

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LE FILET BRODÉ MAROCAIN 35

certains peuples d'Extrême-Orient à aes cc copies)) fidèles,les ait incités à en modifier la facture, le filet brodéqu'on trouve à Rabat a un aspect grossier. Pour desyeux experts, cette rusticité provient de l'épaisseur desfils employés pour en confectionner le fond qui sesurcharge ainsi de nœuds assez épais Le fil de broderie,à l'encontre de ce qui se fait dans les modèles européens,est beaucoup plus fin. Une autre caractéristique du filetmarocain est d'être toujours à mailles très serrées, ce quien rend la confection longue et laborieuse, véritabletravail de patience que seule des femmes musulmanes,pour lesquelles les cc années » ne comptent pas, pouvaiententreprendre dans les harems où elles sont reléguées.

Dans les riches demeures marocaines, ces filets,confectionnés en longues bandes que termine une frangesouvent originale, servent à orner la bordure des litsdont ils cachent les épais matelas de laine.

Ce n'est pas là, d'ailleurs, à notre avis, l'utilisation laplus artistique qu'il convient d'en faire. C'est par trans­parence, en effet, qu'ils acquièrent toute leur beauté, et,employés comme stores ou comme abat-jour, ils peuvent

sans conteste rivaliser avec les pius beaux spécimens denos dentelles similaires d'Europe.

Malheureusement, même dans les harems, la civilisationa fait son œuvre, et aux longs travaux de patience d'antan,la Marocaine a préféré de moins difficiles passe-temps. Ellea abandonné les laborieuses broderies de filet pour cellesplus rapides, à grands points de soies multicolores, quiconstituent ce qu'on appelle aujourd'hui la « broderie deRabat )).

Le Service des Beaux-Arts a précieusement recueillitous les modèles de filet brodé qu'il a pu trouver dansles souks, et après de longues recherches a fini pardécouvrir une vieille femme qui a encore conservé lapratique de cet art délicat. Grâce à elle, on a pu connaîtreles procédés employés autrefois pour la confection pro­prement dite des filets brodés, et aujqurd'hui elle s'efforcede former des adeptes; les anciens modèles sont recopiéspar de jeunes apprenties: le filet marocain, avec toutesa rusticité, avec tout son caractère, ne disparaîtra pasencore!

L.-J. NACIVET.

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Les monuments classés du Maroc

10 Liste des monuments classés. 3 Ù Zones de servitudes classées.

DÉSIGNATIOX DES ;,\lONUMENTS

J. - Région de FEI1° FEZ.

Casbah des Cherarda. . . . .Filala .

Remparts intérieurs de Fez-Djcdicl.Enceinte générale de Fez.Remparts intérieurs de FezBab Dekaken . . .Bab Bol.\ Djeloud....Medersa El Attarine . .

Ech Cherratine.Es Sahridj..El Misbahia .Bouanania ..Es Seffarine.

Fondouk Nedjarine ..2° TAZA.

Mosquée dite Djemaa El Kébir

Il. - MEKNÈSBab Mansour . . . . . . .Bal El Kechla. . . . . . .Portes et remparts de la ville.Bab Khemis .Dar El Beida . . . . . . . .Ancienlles écuries de Moulai IsmaïlDjenan Ben Alima. . . . . .Pièce d'eau de Moulai Ismall .

III. - RABAT1° RABAT.

Parties de la Casbah des Oudayas.Enceintes de Rabat.

2° SALÉ.

Ellceillte de la ville de Salé.L'Aqueduc de Salé .....

IV. - MARRAKECHEnceinte de Marrakech.:\ledersa Moulai YOl.\ssef

DATE DU CLASSEMENT

7 septembre 1914

14 septembre 1914

1 er Inars 1915

3 février 1916

31 juillet 1916

2 novembre 1914

19 juin 191417 juillet 1914

19 octobre 1914

21 août 19147 février 1916

[ DÉSIGNATION DES ZONES

1

J. - Région de RABATDouble enceinte extérienre et intérieure

de Rabat .Chellah .Kasbah Bou Znil,a .

Skrirat. . .Kénitra

Enceinte intérieure de Salé

Il. - Région de FEZEnceinte de Fez .

TAZA.

Enceinte fortifiée de la ville de Tazaavec ses dépelldances .

V. - MARRAKECHEnceinte Marrakech. . . . . .

VI. - DOUKKALA-ABDAEnceinte Azemmour

MazaganSaffi . .Mogador

VII. - TADLA-ZAIANEl Boroudj .

DATE DU CLASSEMENT

6 juin 1913

8 nov. 1912 - II juil. 1913

31 juillet 1916

8 novembre 191222 août 1913

8 novembre 1912

8 novembre 19126 juin 1913

31 mai 19151er novembre 1915

17 octobre 1913

21 août 1914

8 novembre 1912

27 Décembre 1912

V. - TADLACasbah Tadla . . . . . .Pont sur l'Oum Er Rebia (Tadla)

7 février 19164 0 Zones de servitudes soumises à enquête

2° Liste des monuments soumisà enquête.

DÉSiGNATION DES MONUMENTS

J. - RABAT-SALÉRuines de Chellah . . . . . .Mosquée Hassan . . . . . . .Bab Djemaa Sidi Bel Abbés à Salé

Il. - MEKNÈSHôpital Louis . . . . . . .

III. - MARRAKECHMosquée Koutol.\bya . . . . .Tombeaux Sultans Saadiens. .

DATE DE L'OUVERTURE

DE L'ENQUÊTE

. 19 juin 19143 juillet 1914

21 décembre 1914

12 avril 1915

5 octobre 191427 mars 1916

DÉSIGNATION DES ZONES

J. - Région de RABAT

Casbah de Chellah .Mosquée Hassan. .Enceinte de Rabat.

Remparts de Salé .Casbah de MehedyaBanasa (Sidi Ali Bou Djenoun)

lI. - Région de FEIEnceinte de Fez .Enceinte de la ville de Taza..

III. - MARRAKECHEnceinte MarrakechKoutoubia .

DATE DU CLASSEMENT

19 juin 19143 juillet 1914

19 octobre 19143 janvier 191614 février 191619 octobre 1914

6 mars 1916

7 septembre 191431 juillet 1916

21 août 191417 avril 1916 -

NOTA. - Depuis l'ouverture de la guerre, il n'a pas été procédé à des classe­ments, cette opération ne pouvant être acquise qu'un an après la cessation deshostilités.

IV. - TADLA. - IAIANCasba!' des Ait Rba dite Kasaba Tadla. 31 janvier 1916

Page 37: Platre 1917

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LES·iNFLVENCES·f()~\iJ~LES·DV:t\?\ROC··SVR ·L'J\I\T· FRz\NCAIS·

L'ART, de tout temps, a été pour la France unegrande source de richesse, un des plus impor­

tants facteurs de son rayonnement à travers le monde,A ce titre, il est encore une arme dans la formidablebataille qui se prolongera bien au delà de la paix.

En art, dans quelle direction se porteront nosefforts?

Sans doute, on essayera de s'enraciner davantage àcette bonne terre conservée au prix de tant de sang,de renouer la tradition avec nos ancêtres, en en pre-

J nant cette fois, non la lettre mais l'esprit. Et puis ilfaudra toujours de l'inédit, des « trouvailles » pourséduire. Si par réaction contre tous les souvenirs detristesse les esprits se portaient vers un décor amu­sant, simple de lignes, gai de couleur, qui sait si leMaroc ne pourrait jouer alors, en très petit; le rôle del'Italie au XVIe siècle?

Avec des relations si faciles, un pays organisé, nousverrons affluer artistes et touristes, cette élite de l'in­

telligence et de la fortune qui créeun courant, une mode.

Tous seront éblouis, « emballés »

par cette nature vierge, ces orgies defleurs printanières chères à Loti, parcertains aspects de cette civilisationberbère où se rencontrent tant detraits communs avec la civilisationantique primitive, cristallisés depuis

-'" des milliers d'années dans le vieuxMaghreb inviolé. Ils y retrouverontbien tous les personnages familiers

à notre imagination nourrie d'humanisme et de sou­venirs bibliques: d'impressionnants cortèges d'aveu­gles contemporains d'Homère, des femmes chleuhsveltes comme Diane, des cavaliers stylisés commeceux du Parthénon, des pauvres artisans tournantd'exquises poteries dans un décor d'oliviers et defours certainement identique à celui où travaillaientleurs ancêtres de Myrina, - tout un monde sansapprêt, évoluant dans un cadre d'églogue, sous unciel bleu très fin et dans une lumière extraordinaire­ment colorée. Bref, des statues et des tableaux « toutfaits ».

Et, juxtaposée à cette très antique civilisation, laprécieuse et raffinée civilisation musulmane, celle denos rêves de Mille et une Nuits, moyenâgeuse etpersann~, toute en préciosités et en couleurs.

""'"Pour l'architecte, salutaire sera son contact avec le

Maroc. D'abord, il deviendra économe(qualité à l'ordre du jour) en appréciantla valeur des murs blancs, des murstout blancs sans sculptures, sansmoulures, sans étalage de vainescience. Combien notre architecturemoderne, nos « maisons à loyer» luiparaîtront après cela ennuyeuses, com­pliquées et sans « âme ». Quelle leçonse dégage du charme infini de Rabatet Salé! L'architecte trouvera là un« matériau » nouveau: la faïence

Page 38: Platre 1917

LES INFLUENCES POSSIBLES DU MAROC SUR L'ART FRANÇAIS

« les zelliges », pavages de faïence, exquises sym­phonies en vert, en vert et blanc; revêtementsde faïences découpées ou de faïences grattées;faïences sur les toitures; tuiles vertes d'un effet sicurieux sur le ciel bleu.

Dans les medersas de Fez, de Meknès ou de Salé, ilrencontrera deux très beaux éléments : la grandecorniche énorme, puissante, comme celle des palaisitaliens, et le linteau qui porte bien, robuste et riche­ment décoratif, la solution de la boutiquemoderne: problème jamais résolu dans nosgrands immeubles de Paris, qui paraissentécraser de leurs cinq étages les frêles vitrinesde bois ou de verre.

Et surtout nos architectes trouveront auMaroc le goût de la belle et franche couleurqui nous dégoûtera à tout jamais de nosatroces habitudes des tons marrons, si chers auxFrançais depuis le règne de Louis-Philippe.

Les jardins marocains pourraient aussi les influen­cer, ceux des villes surtout, avec leurs allées, leursfontaines revêtues de riches mosaïques et qui donnentune impression de luxe bien en rapport avec la valeurexceptionnelle d'un jardinet dans nos cités modernesaux terrains si chers.

Quant aux décorateurs, dessinateurs, industriels ou

artisans, tout sera pour eux sujet d'émerveillement:œuvres du passé, hors de pair, souvent dignes defigurer dans les plus grands musées; œuvres du pré­sent sorties des mains de pauvres artisans, déposi­taires de traditions centenaires et non encore conta­minés par la camelote commerciale.

Vraiment, je ne crois pas me leurrer: du Maroc,qui pour la guerre donne à la France ses tirailleurs etses blés, nous pouvons tirer encore, pour la paix, des

germes féconds d' « excitation» artistique ...ALBERT LAPRADE.

Est-ce vraiment une impression d'archaïsmeou d'inconnu que ressentira le visiteur parisienen parcourant les salles de cette Expositionoù lui sont présentés pour la première fois lesproduits les plus originaux de l'art marocain?

N'y retrouvera-t-il pas au contraire quelques sen­sations très modernes?

Certes, cet art est très loin de nous par certainscôtés. Tout abstrait et logique en quelque sorte, ilélimine la figure vivante, il se nourrit de lignes pures,de thèmes géométriques développés, déroulés, croiséset recroisés à l'infini. L'arabesque, clef de l'art musul­man; n'est qu'un caprice de l'esprit mathématique.Et cependant, comment ne pas reconnaître dans

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Page 39: Platre 1917

LES INFLUENCES POSSIBLES DU MAROC SUR L'ART FRANÇAIS 39

certaines oppositions franches de couleurs, aux pan­neaux de portes peints, aux tapis et aux tissus, unenote où s'est complu notre art décoratif le plusrécent?

Je me souviens qu'à mon arnvee à Marrakech,dans la poussière dorée d'un couchant de juin,lorsque s'ouvrirent les portes du palais enchantéde la Bahia, et qu'apparurent à mes yeux,rangés autour du cloître étincelant de mo­saïque, les panneaux rutilants, couverts debouquets de fleurs aux nuances somptueuses,qui fermaient les appartements, cette excla­mation m'échappa: « Mais c'est du M art1:ne ! ... )l

Ces motifs stylisés, ces jeux de couleurs oùexcellent les artisans de là-bas, que n'a jamaistouchés aucune influence européenne, se trouvaient,par une étrange rencontre, d'accord avec certainesrecherches d'art modernes. Il est vrai que la modes'était inspirée depuis quelques années des modèlespersans, que la Perse c'est encore l'Islam, et queselon M. Tranchant de Lunel, Fez est une sorted'Ispahan sans coupoles et sans dômes

De même, parmi les tapis marocains, ma préfé­rence irait volontiers aux tapis berbères, aux

tapis de pauvres, à poil long, fabriqués sous la tente,à l'aide de métiers grossiers, par les femmes destribus, plutôt qu'aux tapis de luxe, aux tapis riche­ment nuancés de Rabat, où domine l'influence orien­tale. Il y a dans ces tapis rustiques, aux dessinsgéométriques, où le décor floral existe à peine, il y aparfois, sous la pauvreté et la sobriété de lignes. une

si franche harmonie de couleurs que l'œil leplus délicat en est surpris et réjoui. Par unconstraste assez fréquent dans le domaine dessensations, c'est cet art paysan et populairequi se trouve le plus proche de notre sensi­bilité raffinée.

Qui sait S1 la décoration de notre mobilier,de nos tissus, de nos vêtements même, n'en res­sentira pas une influence heureuse? Dans toutle domaine de l'art décoratif, cette Exposition peutêtre une source' de suggestions, en même temps quedans le domaine politique elle est l'affirmation de lavitalité du génie français qui féconde et fertilise unecivilisation appauvrie.

A T.

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Page 40: Platre 1917

Déssin de Henri HOllrtal.

LA VIE AU MAROC

La Vie politiqueORDRE DU GÉNÉRAL GOURAUD

Le 6 avril 1917, le général Gouraud portait à laconnaissance du corps d'occupation et des populationsdu Maroc l'ordre suivant:

ORDRE

Le Gouvernement de la République me fait connaîtreses décisions :

Le général Lyautey reprendra prochainement la rési­dence générale du Maroc où (avais été appelé à titreintérimaire, et j'irai reprendre un commandement auxArmées.

Rien ne peut être plus heureux pour le Maroc que leretour du grand chef qui l'a sorti de l'anarchie, lui a faitfaire déjà de si grands pas sur la route du progrès et vale conduire de nouveau vers son lumineux avenir.

Pour moi, à cette nouvelle, j'éprouve des sentimentscomplexes que tout le monde comprendra: la joie deretrouver mes soldats, de retourner à la lutte sacréepour l'existence du pays, mais aussi l'arrachement duMaroc auquel me lient tant de profonds et de solidessouvenirs.

Je sais pouvoir compter, jusqu'à mon départ, sur ledévouement inlassable des troupes, le concours fidèle de

mes collaborateurs civils et militaires, et sur la collabo­ration féconde de tous, Français, Européens, Marocains.

Rabat, le 6 avril 1917.

Le général commissaire résident général,commandant en chef:

GOURAUD.C'est avec une joie profonde que le Maroc français tout

.entier acclamera le retour du général Lyautey et le verrareprendre l'œuvre dont il a été l'incomparable initiateur,dont il lui appartient d'assurer l'épanouissement et àlaquelle son nom demeurera attaché.

~

Au moment où il se prépare à le quitter, le Marocfrançais tiendra, d'autre part, à saluer aVec une émotiontrès particulière le général Gouraud.

Pendant le bref séjour qu'il vient d'y accomplir, legénéral Gouraud ne s'est pas borné à être un exact etimpeccable continuateur. Son activité méthodique etmesurée, la clairvoyante sûreté de son jugement ontmarqué l'exercice de son pouvoir d'une empreinte per­sonnelle. Aux yeux de tous, sa glorieuse silhouette incarneavec une magnifique autorité l'image de la patrie blessée,mais sûre de vaincre, parce que sans faiblir elle est résolueà faire tout son devoir jusqu'au bout.

n emporte avec lui un hommage unanime de respect,de reconnaissance et d'admiration.

A. L.-

Page 41: Platre 1917

LA VIE AU MAROC

Bijoux du Sous.

)-

LE MAROC EN FRANCE

LA PARTICIPATION DU MAROC A LA FOIRE DE LYON

Nier l'effort produit par le Maroc aepuis le moisd'août 1914 serait un paradoxe; dans toutes les branches,depuis près de trois ans, il s'est montré digne de l'hommequi commandait à ses destinées: conquérant, actif, artiste,commerçant, agriculteur.

Sans négliger la guerre et la progression toujoursconstante de la pacification des pays dissidents, l'aveniréconomique de l'Empire Chérifien prit une large placedans l'esprit de ses dirigeants.

En un an, de septembre 1915 à septembre 1916, leMaroc réalisa le tour de force qui consistait à mener àbien dans des conditions plus que critiques et difficiles,l'Exposition franco-marocaine de Casablanca, septem­bre 1915, et la foire de Fez, septembre 1916. Entre temps,il participait aux deux foires métropolitaines de Lyon(mars 1916) et de Bordeaux (septembre 1916):

Grâce à cette activité, des débouchés se créaient pourle commerce français, des relations nouvelles s'établissaiententre producteurs et consommateurs, des maisons let descomptoirs se fondaient sur des bases ignorées au Marocjusqu'à ce jour, enfin la confiance commerciale faite dela connaissance des uns et des autres détruisait à toutjamai~ la méfiance que le trop vieux commerce coloniallaissait subsister jusqu'alors dans l'esprit de beaucoup.

Les expositions et foires de 1915 et de 1916 n'ont pasépuisé les débouchés' commerciaux ou industriels de lamétropole à l'endroit du Maroc; aussi, dès la clôture dela foire de Fez, le général Lyautey décidait-il de créer desfoires annuelles de vente et d'échantillons, tour à tour,dans chacune des grandes villes du Maghreb en continuantpour 1917 par la capitale administrative, Rabat. Parailleurs, poursuivant son œuvre de vulgarisation et depénétration en France, le Maroc doit participer aux diffé­rentes manifestations économiques métropolitaines.

C'est dans cet esprit que le Maroc reparut en 1917 à lafoire de Lyon.

Plus grandement installés que l'année précédente, lesstands présentaient les collections de ce que l'empire desChorfas peut pré­senter tant en. pro­duits de la terrequ'en industries di­verses et arts déco­ratifs. Cette présen­tation n'était pas, àproprement parler,un échantillonnagemaIS bien l'inven­taire réduit des res­sources du pays. Ceséléments étaient suf­fisants pour donneraux salles un aspectagréable sans cepen­dant lui enlever soncaractère sérieux etpratique.

Des cartes très ré­centes, des brochuresnouvellement éditéesmises à la disposition

du public, fournissaient une documentation propre àsatisfaire les esprits toujours curieux des choses du Maroc.

Nombreuses furent les demandes relatives aux ques­tions d'importation et d'exportation, de représentationscommerciales, de créations de domaines agricoles et d'in­dustries nouvelles. Le commerce marocain fut repré­senté à la foire de Lyon par plusieurs délégations bienfournies. Leurs membres n'eurent qu'à se féliciter deleur déplacement, soit qu'ils aient emporté de nouvellesaffaires, soit que des relations intéressantes pour l'avenirse soient noué-es.

Parmi ces délégations, il faut citer:Les membres du Syndicat français du Commerce et de

l'Industrie, de Rabat;Les membres du Groupement lyonnais au Maroc;Les membres de l'Association mutuelle des représen­

tants, agents commerciaux et voyageurs français auMaroc.

Enfin une délégation de six notables commerçantsindigènes conduite par M. Courtin, contrôleur civil àFez et M. Ben Zimra, interprète au Secrétariat généraldu Gouvernement Chérifien. Celle-ci marqua son passageà Lyon par des commandes importantes traitées directe­ment avec les producteurs visités sur place.

Cette délégation comprenait:Si Taieb ben Nani, de Fez;Si Ahmed ben Choukroun, de Fez;Si Mohammed Smili, de Fez;Si Hadj Mohammed Doukkali, de Salé;Si Abderrhamane ben Djellout, de Casablanca;Si Mohammed Dekak, de Marrakech.En 1916 une délégation d'indigènes notables commer­

çants avait déjà visité la foire de Lyon; l'accueil qui luifut réservé cette année fut le même, chaleureux, cordial,empressé. Les indigènes ont emporté un souvenir pro­fond des magnifiques ressources industrielles et commer­ciales du pays et l'impression bien nette de la puissancede la nation française qui malgré la guerre la plus formi­dable qui ait jamais été, peut fournir un effort écono­mique comme celui de Lyon. Cette impression fut aussirenforcée par la visite au cours de leur séjour dans lagrande cité industrielle :des différentes usines: teintu­

rerie Gillet, usinesBerliet, usines Lou­cheur, etc... , où lesmunitions se fabri­quent en grand, àcôté de l'industrienormale de la maison.Une visite aux usineset au parc d'aviationexcita au plus hautpoint la curiosité desindigènes et l'un d'euxn'hésita pas à de­mander à effectuer unvol, d'où il revint fortenchanté. Que d'his­toires merveilleusesne racontera-t-il pasaux djemaasfutures!

L'impression géné­rale rapporté~ partous les Marocains,européens ou indi-

5

Page 42: Platre 1917

42 LA VIE AU MAROC

gènes, fut que la foire de Lyon de 1917 fut un succèsdépassant toutes les prévisions, succès d'affaires per­sonnelles devant déterminer une large participation descommerces individuels pour les années prochaines. LeMaroc doit être reconnaissant au promoteur de cettemanifestation économique, M. le sénateur Herriot, mairede la ville de Lyon, qui, par son initiative, devient undes artisans les plus effectifs de son développement com­mercial. Dans cette œuvre de propagande si féconde enrésultats, la gratitude marocaine doit comprendre aussiM. Birot, le distingué président de l'Association colonialede l'Afrique du Nord, et M. Porte, le très dévouéprésident de la Section marocaine de cette mêmeassociation qui, par leurs efforts constants, ont su faci­liter la tâche de chacun de nous dans les deux réunionsforaines de Lyon.

H. GEOFFROY SAINT-HIU.IRE.

Nous publierons, dans le prochain numéro, deltX vues dustand marocain à la Foire de Lyon. Ces photographiestémoignent de l'importance et du bon goût de la partici­pation marocaine. Les mettre sous les yeux du public, c'estfaire la meilleure réponse à certaines insinuations inexactes,qui ont été émises par le Journal des Expositions.

Tapis berbère.

NOS BELLES PAGESLA DERNIÈRE RESSOURCE DE NOTRE GRANDEUR

Nous avons encore cette chance suprême, et cette chances'appelle d'un nom qui devrait être plus populaire enFrance: l'Algérie. Cette terre féconde, elle convient excel­lemment, par la nature du sol, à une nation d'agriculteurs,et l'amélioration du régime des eaux, qui est en ce pays laquestion la plus importante, n'est nullement au-dessus denotre science et de nos richesses. Cette terre est assez prèsde nous pour que le Français, qui n'aime pas à perdre de vueson clocher, ne s'y regarde pas comme exilé, et puisse conti­nuer à suivre des yeux et du cœur les affaires de la mèrepatrie. Enfin, elle est pour nous, par son rapprochementde nos côtes et par sa configuration même, d'une défensefacile, et les deux contrées qui la bornent n'imposent aucunelimite efficace à notre action le jour où il nous paraîtranécessaire de nous étendre. Puisse-t-il venir bientôt, cejour où nos concitoyens à l'étroit dans notre France afri­caine, déborderont sur le Maroc et sur la Tunisie, et fonderontenfin cet empire méditerranéen qui ne sera pas seulement unesatisfaction pour notre orgueil, mais qui sera certainement,.dans l'état futur du monde, la dernière ressource de notregrandeur.

Car il n'y a que deux façons de concevoir la destinéefuture de la France: ou bien nous resterons ce que nonssommes, nous consumant sur place dans une agitation inter­mittente et impuissante, au milieu de la rapide transforma­tion de tout ce qui nous entoure, et nous tomberons dansune honteuse insignifiance, sur ce globe occupé par la pos­térité de nos anciens rivaux, parlant leur langue, dominépar leurs usages et rempli de leurs affaires, soit qu'ils viventunis pour exploiter en commun le reste de la race humaine,soit qu'ils se jalousent et se combattent au-dessus de nostêtes: ou bien de 80 à 100 millions de Français, fortementétablis sur les deux rives de la Méditerranée, au cœur de l'an­cien continent, maintiendront à travers les temps le nom, lalangue et la légitime considération de la FranCf'. Qu'on en soitbien persuadé: ce n'est pas à un moindre prix, ni avec demoindres forces qu'on pourra être compté pour quelquechose et suffisamment respecté dans ce monde nouveau.que nous ne verrons pas, mais qui s'approche assez pourprojeter déjà sur nous son ombre et dans lequel vivrontnos petits-fils. Puisse la préoccupation de ce redoutableavenir nous faire estimer à leur juste prix nos misérablesquerelles, et nous unir enfin dans un vœu ardent et dans ungénéreux effort pour la perpétuité et pour l'honneur du nomfrançais!

PRÉVOST P ARADOL

(La France Nouvelle.)

La Presse et le MarocPRESSE MAROCAINE

Un récent dahir institue une marine chérifienne. A cesujet G. Louis écrit dans La Vigie (30 mars 1917) :

Après la guerre, la situation sera encore plus dure. Noseffectifs marins auront été diminués; l'appel du travail ilterre sera formidable: avec quels équipages armerons-nousnos bateaux?

C'est donc une première économie d'effectifs que réalisel'institution d'un pavillon chérifien. Jusqu'ici, il fallait pournaviguer au Maroc des équipages européens. Désormais onpourra former des équipages indigènes. Les fils des ancienscorsaires qui luttèrent vaillamment contre nous au tempsdes felouques et des caronnades promettent un excellentrecrutement, auquel il suffira d'adjoindre des cadresfrançais. ...

Nous savons que dès maintenant des armateurs sontdécidés à battre pavillon chérifien. Nous connaissons tels

Page 43: Platre 1917

LA VIE AU MAROC 43

chargeurs maritimes qui achètent en ce moment des bateaux,caboteurs et long-courriers, pour les faire naviguer sous cepavillon, que l'on verra bientôt flotter dans nos eaux. Cetempressement à profiter du nouveau dahir en démontreamplement l'importance.

Pour la pêche, l'attention n'a pas été moins grande. Onavait souvent réclamé ici des pêcheurs européens, la vogueallant même plus particulièrement aux pêcheurs" bretons.Mais il eût fallu faire venir aussi les familles des pêcheurs,et la vie est autrement chère ici que dans nos ports bretons,avec beaucoup moins de sécurité pour les bateaux. Sous lenouveau pavillon, il suffira d'un patron de pêche, que l'onpourra payer suffisamment, et l'équipage sera indigène.

M. Jacques Dutard décrit dans Le Progl'ès marorain du27 mars l'essor économique de Casablanca.

On a trop souvent répété que Casablanca doit son extraor­dinaire développement à un merveilleux coup de chance,cette ville n'étant nullement préparée, par son passé, àjouer son rôle actuel. Un rapide tableau des ressources éco­nomiques de Casablanca et sa région est la meilleure réfuta­tion de cette erreur.

Dès les premières années du xxe siècle, Casablanca étaitun des ports les plus florissants de la côte marocaine et, vers1905, son chiffre d'affaires dépassait déjà celui de Tanger.Depuis cette date, Casablanca a toujours tenu la tête, accen­tuant chaque année son avance, voyant, de 1907 à 1913, sapopulation passer de 25 à 80.000 habitants, son commercemaritime de 18 à 79 millions de francs, le mouvement de sanavigation, d'un chiffre très modeste, à 780.000 tonneaux!

Quelques chiffres frappants:Le commerce est très actif. De 14 millions de francs en

1906, il s'est élevé successivement à 26 millions en 1909,63 millions en 1912, 17 millions en 1915 et lO8 millionsen 1916.

M. Dutard conclut:Le passé est donc intéressant, le présent magnifique et

l'avenir plein de promesses.Casablanca doit drainer non seulement le trafic de la

Chaouia, mais encore celui des Tadla-Zaïan et une notablepartie de celui de la région de Marrakech. D'autre part, ungrand !port est aujourd'hui, par définition, une vaste usine.Marseille ne se trouve pas au centre d'une région de céréaleset cependant cette ville possède des minoteries, très nom­breuses et très importantes, alimentées par les blés qu'ellereçoit d'Odessa ou des Indes. La Normandie ne produit nicoton, ni café et pourtant Le Havre n'en est-il pas le grandmarché?

PRESSE ÉTRANGÈREL'information suivante a paru dans El M attino du

2<) avril:Deuxième Congrès colonial italien. - Le Dr N;no Gentilli

donne lecture d'un rapport très étudié sur les relationscommerciales et économiques entre Italie et Maroc, où il arésidé longtemps. Il propose l'ordre du jour suivant qui ""stvoté à l'unanimité par acclamation:

« Le Congrès national colonial, reconnaissant"l'importanceque présente le Maroc pour notre commerce et notre émigra­tion, et l'utilité de mesures propres à protéger et développerces intérêts, émet le vœu que le Gouvernement:

« 1 ° Etudie la mise en service, au lendemain de la guerre,d'une ligne de navigation entre Maroc et Italie;

« 20 S'emploie à faire ouvrir des écoles italiennes auMaroc,:

« 30 Pourvoie d'urgence, autant qu'il sera possible, à lacréation d'un poste de représentant commercial au Maroc.

« Donne mandat à la Société africaine d'Italie de s'em­Loyer par tous les moyens qu'il jugera conv.enables à lapréalisation des mesures préconisées par le Congrès. »

La Gazette du Rhin et de la Westphalie (12 avril 1917)publie, sous le titre Où sont les barbares? l'informationsuivante reçue de son correspondant de Berlin, et quinous éclaire suffisamment sur le souci d'authenticité.

Ce matin un cercle de représentants des autorités et de la

Dessin de Henri HOllrtal.

presse a été invité à assister à la présentation de deux filmsqui donnent une triste image du traitement misérable auquelsont soumis les Allemands du Maroc de la part des Français.Le ministre de la Guerre von Stein assistait à la séance.

Ce film « Les Allemands du Maroc au pouvoir des Français"a été composé d'après les croquis Aujzeichnungen de GustavFock, vice-consul allemand à Rabat, et donne une imagehorrible des souffrances auxquelles nos compatriotes ont étésoumis, déjà avant l'état de guerre, et surtout après. "Lecœur se serre et les poings se crispent d'une fureur impuis­sante, quand on voit la jeune existence de l'assistant deposte Seyfert, après un semblant de jugement, finir sous lesballes de demi-sauvages, lorsque l'on voit des hommes sansdéfense se rendant à la gare, attaqués par une meute furieuseet brutal1sés de la manière la plus cruelle. Même des femmeset des enfants furent exposés aux coups de fouet et dematraque de ces forcenés, et en gardèrent de multiplesblessures. Un spectacle indicible de détresse s'offrit à lagare, où ces pauvres gens malmenés et martyrisés se tor­daient de douleur, tandis que les Français. la cigarette à labouche, se repaissaient des souffrances de ces malheureuxsans défense, et y ajoutaient encore des grossièretés. Onfrémit de voir un commerçant allemand, qui avait vécuquelques dizaines d'années :au Maroc, tomber évanoui parl'excès des souffrances subies. La plume se refuse à décriretoutes les infamies commises par les Français à l'égard deces hommes désarmés. Les spectateurs furent impressionnéset émus à l'extrême!! !

Il faut admirer l'ingéniosité d'un cinéma composéà l'aide de croquis de Gustave Fock! ... les amateurs devérité historique eussent préféré un film honnêtementcomposé de photographies prises sur nature, Mais laréalité .eût été moins dramatique que ces fables ridicules

Page 44: Platre 1917

44 LA VIE AU MAROC

L a population urbaine d~t Maroc. - Le Service desEtudes économiques de la Résidence générale vient dedresser l'intéressant tableau ci-après de la population desprincipales villes du Maroc français au 1 er janvier 1916 :

Le général Lyautey, avant de quitter la France pourretourner au Maroc, a reçu le 12 mai 1917, à quatre heures,à l'Ecole des Sciences politiques à Paris, un grand nombred'industriels, de commerçants et de représentants degroupements intéressés au Maroc, qui lui ont soumisleurs suggestions et leurs désiderata. Cette réunion, orga­nisée sous les auspices de l'Union coloniale (présidentM. Joseph Chailley) constituait la première consultationdes intérêts métropolitains au Maroc, et en quelque sortele .premier Congrès des Études économiques du Maroc àParis. Nous donnerons dans notre prochain numéro uncompte rendu analytique de cette séance, d'une excep­tionnelle importance, d'après la sténographie de ladiscussion.

1 Population,

Villes et Centres Français Totaltotale

Total

- - - - -

Kénitra;

1.000 2.100 3.375 1.275Rabat-Salé. 5.000 44.000 51.300 7.300Casablanca. 20.000 44.000 81.000 37.000Mazagan. 350 16.000 17.200 1.200Saffi . 370 19.500 20.250 750Magador. 475 18.000 18.800 i

800Meknès. 750 35.000 36.100 , 1.100Fez 600 105.000 105.850 850Marrakech 1.000 76.000 77.500 1.500Oudjda. 2.500 13.000 16.650 3.650Moulaï-Idriss . )) 9.000 9.000 ))

Quezzan )) 16.000 16.000 1 ))

Sefrou . 50 9.000 9.070 50Autres centres 1.700 24'000 26.470 2.470

1488.565----...

33.795 430.600 57.945Totaux.1

Échos et documents - Au cours d'une réunion des négociants de Bordeaux,sur l'initiative du président de la Chambre de commerce,il a été constitué un Comité Bordeaux-Maroc afin dedévelopper les relations économiques de notre grand portavec le protectorat.

Les adhésions sont reçues au secrétariat du Comité à laChambre de commerce de Bordeaux.

BibliographieUne publication d'une "grande: importance pour le

Maroc vient de paraître, que nous nous contentonsde signaler aujourd'hui à nos lecteurs; nous y revien­drons à loisir dans notre prochain numéro:

Les Conférences franco-marocaines, 2 tomes in-8°, chezPlon-Nourrit,éditeurs,Paris.Ces deux volumes conti~nnentl'ensemble de conférences organisées à l'Expositionfranco-marocaine de Casablanca par M. Alfred de Tarde,et dont l'objet fut d'établir le bilan de l'activité françaiseau Maroc d'après le Protectorat, et,'particuùèrement depuisla [guerre. C'est la source la plus sûre et la plus étenduepour l'histoire du Maroc à ce jour.

~

Le Maroc, par Victor Piquet, chez Armand Colin,éditeurs, Paris (prix 6 francs).

Cet ouvrage d'ensemble sur l'histoire, la géographie,l'administration et la colonisation du Maroc, est une miseau point des principales questions concernant le Maroc,que le public cultivé doit conmtÎtre. L'auteur est estimépour ses études sur l'histoire de l'Afrique du Nord, enparticulier sur l'Algérie et la Tunisie.

Signalons également le Bulletin de la Société de Géo­graphie du Maroc (nO 2) dont nous reparlerons.

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Album de photographies sur Fez, par le commandantLarribe. Cet album se compose d'une ~:;uite de magnifiquesphotographies sur la ville de Fez, les palais, les jardins, lessouks, les cérémonies publiques, etc. Chaque photographieest accompagnée d'une notice explicative rédigée parM. Bel, l'éminent arabisant. Nous engageons vivement noslecteurs à souscrire à cet album soit aux bureaux de la Revue,soit chez le commandant Larribe, montée Carabacel, Nice.

Poupées marocaines.