pirenne. histoire de la belgique i

1
6/2/2018 Whoops-DiscoverSharePresent-SLIDEPDF.COM http://slidepdf.com/reader/full/pirenne-histoire-de-la-belgique-i 1/1

Upload: yep-jeng-yeng

Post on 18-Oct-2015

80 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • OAT^^^Ot^l^

  • 10

    HISTOIRE DE BELGIQUE

    DES ORIGINES AU COMMENCEMENT DU XIV SIECLE

  • DU MEME AUTEUR

    Histoire de la constitution de la ville de Binant au moyen ge.Gand,Vuylsteke, 1889, in-8 4 00

    Histoire du meurtre de Charles le Bon, comte de Flandre,par Galbert de Bruges, publie avec une introduction et

    desnotes.Paris, A. Picard, 1891, in-8o 6 00

    Bibliographie de l'histoire de Belgique. 2^ dition, Bruxelles,

    H. Lamertin, Gand, G. Vyt, 1902, in-8 6 00

    Le livre de Vahh Guillaume de Ryckel (1249-1272). Polyptyque

    et comptes de l'abbaye de Saint-Trond au milieu duXIII^ sicle. Bruxelles, Kiessling, 1896, in-S 5

    La version flamande et la version franaise de la bataille deCourirai Bruxelles, 1890, in-8 (puis). Note suppl-

    mentaire. Gand, C. Vyt, 1892, in-8 1 50

    La Hanse flamande de Londres. Gand, C. Vyt, 1899, in-8o . 2 00Le soulvement de la Flandre maritime en 1323-1328.

    Bruxelles, Kiessling, 1900, in-8o 5 00

    La nation belge. 3^ dition, Bruxelles, H. Lamertin, 1900,in-8 1 00

    oa

  • HISTOIREDE

    BELiGIQUEPAU

    H. PIRENNEProfesseur l'Uinversil de Gand.

    I

    DES ORIGINES

    AU COMMENCEMENT DU XIF SICLE

    DEUXIME DITION REVUE ET CORRIGEE{^^

    6

    BRUXELLESHENRI LAMERTIN, LIBRAIRE-DITEUR

    20, RUE DU MARCH AU BOIS, 20

    1902

  • Prface de la deuxime dition

    On ne s'attendra pas trouver beaucoup de changementsdans la seconde dition d'un livre publi il n'y a gure qu'unan. Toutefois, ce volume ne constitue pas une simple rim-pression. Si rien n'y a t modifi quant au plan et la marchedu rcit, j'y ai corrig un certain nombre de menues erreurset les travaux parus pendant les derniers mois m'ont fourni

    et l quelques additions.

    La nouvelle dition que je viens de donner de ma Biblio-graphie de ^histoire de Belgique permettra de complter sanspeine les rfrences bibliographiques volontairement fort som-

    maires contenues dans les notes du prsent ouvrage.

    Knocke-sur-Mer, 24 aot 1901.

  • Prface de la premire dition

    Je dois au lecteur quelques mots d'explication sur le but et

    sur la mthode de ce livre. Je m'y suis propos de retracerl'histoire de Belgique au moyen ge, en faisant ressortirsurtout son caractre d'unit. J'ai voulu crire une uvre

    d'ensemble et de synthse.

    Ainsi comprise, ma tche prsentait d'assez graves difficults.

    Car, premire vue, rien ne parat plus dconcertant, plusdsordonn, que l'histoire des Pays-Bas mridionaux avantla priode bourguignonne. Tous les mobiles par lesquels on a

    coutume d'expliquer la formation des Etats, lui font galementdfaut. On y chercherait vainement soit l'unit gographique,soit l'unit de race, soit l'unit politique. La Belgique forme,

    en effet, une contre sans frontires naturelles, o l'on parledeux langues et qui, depuis le trait de Verdun, relve de laFrance gauche de l'Escaut et de l'Allemagne droite de cefleuve. A partir du x sicle, cette terre de contrastes sedcoupe en une foule de principauts bizarrement dessines etbilingues pour la plupart. Enfin, pour comble de confusion,les circonscriptions ecclsiastiques s'y croisent comme au

    hasard avec les circonscriptions politiques et rattachent le

    pays^ sans tenir compte de la nature de ses habitants, ici,

    l'archevch germanique de Cologne, l, la mtropoleromane de Reims.

    Quoi d'tonnant ds lors, si, de Des Roches Juste, Moke, Namche et David, nos historiens ont renonc dbrouiller ce chaos, et si les premiers sicles de nos annales

  • iVIII PRFACE DE LA PREMIRE DITION

    ne leur ont paru consister qu'en une srie de monographie

    sans autre lien les unes avec les autres que leur runio

    arbitraire sous un titre commun ?

    A y regarder de prs, cependant, on s'aperoit que les'tnbres ne sont pas aussi impntrables qu'il parat tout

    d'abord. De l'histoire particulire des comts, des duchs etdes principauts piscopales qui se pressent sur notre sol, on

    peut, sans trop de peine, dgager les grandes lignes et comme

    la contexture gnrale d'une histoire commune. Si l'on a tard

    le reconnatre, c'est que l'on a, pendant trop longtemps,trait l'histoire de Belgique comme si le monde finissait nosfrontires, c'est qu'on ne s'est pas avis de cette vrit pourtant

    si clatante que nul peuple n'a subi plus continuellement et

    plus profondment que le ntre l'action de ses voisins, qu'ilfaut ds lors chercher le secret de notre histoire en dehors

    d'elle, qu'il faut, enfin, pour la comprendre, l'tudier la

    lumire de celle des grands Etats qui nous entourent, et con-

    sidrer la Belgique, divise ethnographiquement entre larace romane et la race germanique, de mme qu'elle l'estpolitiquement entre la France et l'Allemagne, comme un

    microcosme de l'Europe occidentale (i). Ainsi envisage,notre histoire prend sa pleine signification ; elle cesse d'tre un

    amas d'vnements particuliers et sans porte. Son unit pro-vient, non de la communaut de race comme en Allemagne,non de l'action centralisatrice d'une monarchie hrditairecomme en Angleterre ou en. France, mais de l'unit de la viesociale. Les bassins de l'Escaut et de la Meuse n'ont passeulement servi de champ de bataille l'Europe : c'est pareux aussi que s'est effectu le commerce des ides entre le

    monde latin et le monde germanique qui se touchent sur leurterritoire, ce sont leurs ports qui, pendant des sicles, ont tles entrepts des marchandises du Nord et du Midi.Comme notre sol, form des alluvions de fleuves venant de

    (i) K. Laaiprecht, Deutsche Geschichte, t. III, p. 190.

  • PREFACE DE LA PREMIERE EDITION IX

    France et d'Allemagne, notre culture nationale est une sorte

    de syncrtisme o Ton retrouve, mls l'un l'autre et modifisl'un par l'autre, les gnies de deux races. Sollicite de toutesparts, elle a t largement accueillante. Elle est ouverte

    comme nos frontires, et l'on retrouve chez elle, ses belles

    poques, le riche et harmonieux assemblage des meilleurslments de la civihsation franco-allemande. C'est dans cette

    admirable rceptivit, dans cette rare aptitude d'assimilation

    que rside l'originalit de la Belgique; c'est par quoi elle a

    rendu l'Europe de signals services et c'est quoi elle doit

    d'avoir possd, sans sacrifier l'individualit des deux racesdont elle est faite, une vie nationale commune chacune

    d'elles (i).

    Et, tandis que se dveloppait sur notre sol cette civilisation

    nationale, nos provinces rompaient l'un aprs l'autre les liens

    qui les attachaient soit l'Allemagne, soit la France et

    tendaient insensiblement se rapprocher les unes des autres et

    former, entre les deux grandes puissances qui se les parta-geaient l'origine, cet Etat intermdiaire, fait de deuxfragments d'Etats, que les ducs de Bourgogne ont enfin russi

    crer au xv^ sicle, et qui dure encore.

    Il existe donc rellement, en dpit des apparences, unehistoire de Belgique. Nos destines n'ont pas t le jouet duhasard et de l'arbitraire. Leur dveloppement, dans ce qu'ilprsente de continu et, pour ainsi dire, d'organique, peut et

    doit tre un objet d'tude. C'est cette tude que j'ai consacrmon ouvrage. J'ai cherch mettre en lumire les grands traitsde notre histoire ds les premiers temps du moyen ge, montrer sa marche ininterrompue, dcouvrir ses caractrespropres, ramener enfin l'unit la diversit infinie des

    vnements locaux.Ce livre se prsente comme un essai de construction

    (i) Je me borne rsumer ici les ides que j'ai exposes dans La nation belge,3e dit. Bruxelles, Lamertin, 1900,

  • X PREFACE DE LA PREMIERE EDITION

    historique et il peut revendiquer le mrite, si c'en est un,

    d'inaugurer un nouveau point de vue. A en juger par l'accueilbienveillant qu'il a reu de la critique, tant en Belgique qu'

    l'tranger, le tableau qu'il retrace est vrai dans ses grandes

    lignes et les ides fondamentales qui l'inspirent sont justi-

    fies (i). Nanmoins, on comprendra facilement que, sur biendes points, il n'apporte que des solutions provisoires et qu'il

    renferme bien des hypothses. Puissent-elles provoquer les

    recherches, et, en suscitant la critique, contribuer pour leur

    part la dcouverte de rsultats plus satisfaisants !En raison mme de ses ides matresses, le plan de mon

    ouvrage devait diffrer considrablement de celui qui a tadopt jusqu'aujourd'hui par tous nos historiens nationaux.Dans l'histoire politique tout d'abord, j'ai naturellement

    renonc raconter par le menu les vnements dont chacunede nos principauts a t le thtre. Je n'ai attir l'attention

    que sur les faits d'importance gnrale, et, de la masse desdtails, j'ai essay de dgager seulement les pripties dumouvement qui, la longue, a dtach la Flandre de la Franceet la Lotharingie de l'Allemagne, en mme temps qu'il lespoussait l'une vers l'autre et prparait leur runion.

    L'histoire politique d'ailleurs n'occupe pas la majeure partiede l'ouvrage. J'ai cru devoir insister davantage sur la formationde ce que l'on pourrait appeler la civilisation commune de la Belgique. C'est elle, en effet, qui donne notre histoireson aspect caractristique. C'est dans les manifestations sivaries de notre vie sociale qu'apparat le plus clairement notreoriginalit. Mais, ici encore, j'ai d me borner l'essentiel.

    (i) L'ouvrage a paru tout d'abord en traduction allemande, sous le titre de :Geschichte Belgiens. Bd. I, Bis :^um Anfang des XIV Jahrhiinderts. DeutscheUberset^ung von Fritz Arnheim. Gotha, Friedrich Andras Perthes. 1899.XXI V-4g5 pages in-8". (Geschichte der Eiiropischen Staaten heraiisgegebenvon A. H. L. Heeren, F. A. Ukert, W. von Giesebrecht und K. Lamprecht.)La premire dition du texte original franais a t publie en mars 1900, chezH. Lamertin, Bruxelles.

  • PREFACE DE LA PREMIERE EDITION XI

    Europenne dans son fond, forme de la substance de l'Alle-magne et de celle de la France, mlange de romanisme et degermanisme, notre civilisation est identique en partie aveccelle des deux grands Etats qui nous entourent. Dans la viereligieuse, dans les institutions, dans les arts, dans les lettres,

    on rencontre chez nous les mmes phnomnes gnraux quechez nos voisins. Vouloir tout dire, c'et t risquer de faire

    de l'histoire de Belgique une histoire d'Europe en raccourci.

    Je ne me suis donc attach qu'aux phnomnes qui m'ont parunous appartenir en propre; j'ai surtout attir l'attention sur les

    traits qui nous diffrencient de nos voisins et dont l'ensemble

    forme la physionomie de la civilisation belge.De l plusieurs consquences. En premier lieu, la place

    prpondrante prise dans ce livre par les principauts bilingues :pays de Lige, Brabant, Flandre surtout, qui reprsentent le

    plus compltement l'apport national dans l'ensemble de notrecivilisation. De l encore, la grande importance attribue aumouvement conomique et la vie urbaine qui en est laconsquence, et qui forme la marque distinctive de notrehistoire.

    Je dois beaucoup, est-il besoin de le dire, aux travauxd'Alph. Wauters, d'Edm. Poullet, de Kervyn de Lettenhove,de E. Vanderkindere, de Ch. Duvivier, de Ch. Piot, de G.Kurth, de St. Bormans, de Gilliodts van Severen, d'A.Gauchie, de P. J. Blok, etc., sans le secours desquels la rdac-tion d'un ouvrage comme celui-ci et t impossible. Je n'ai

    pu malheureusement les citer aussi souvent que je l'auraisvoulu et qu'ils le mritent. J'ai surtout renvoy dans les notesaux monographies spciales, forcment moins connues que lestudes d'ensemble. J'ai aussi, assez frquemment, reproduit letexte mme des sources, mais en m'efforant de ne fournir quedes passages caractristiques ou peu utiliss jusqu'ici. Biensouvent d'ailleurs, j'ai d affirmer sans pouvoir donner toutesles preuves de mes assertions.

  • XII PREFACE DE LA PREMIERE EDITION

    Il me reste, en terminant, tmoigner toute ma gratitudeaux historiens belges qui ont bien voulu s'intresser mon

    travail et encourager mes efforts en me prtant le secours de

    leurs conseils. Je suis heureux de citer parmi eux mes anciensmatres MM. G. Kurth et P. Fredericq, et mes collgues deBruxelles et de Louvain : MM. A. Gauchie, Gh. Moeller etL. Vanderkindere . Surtout, je n'oublie pas ce que je dois mon ami, M. Paul Thomas, qui a relu mon livre en preuveset m'a suggr une foule de corrections.

    Gand, 12 janvier 1900.

    H. PiRENNE.

  • LIVRE PREMIER

    LES PAYS-BAS JUSQU'AU XIP SICLE

  • CHAPITRE PREMIER

    L'POQUE ROMAINE ET L'POQUE FRANQUE

    I

    Au moment o les territoires qui devaient porter plus tardle nom de Pays-Bas apparaissent pour la premire foisdans l'histoire, ils prsentent dj ce caractre de pays-frontirequ'ils conserveront travers les sicles. Sur leur sol se trouventen prsence, ds avant la conqute lomaine, l'arrire-gardedes Celtes et l'avant-garde des Germains. Ces derniers toute-fois, la fin du premier sicle avant Jsus-Christ, n'ont encoreatteint que la lisire du pays.

    Les Bataves se sont tablis dans les les et les marcages dudelta du Rhin, tandis que, plus l'est, d'autres peuplades derace teutonique commencent dborder sur la rive gauche dufleuve. Au sud de ces nouveaux arrivants, les bassins de l'Escautet de la Meuse sont occups par des hommes de race celtique :Morins (Flandre), Mnapiens et Nerviens (Brabant et Hainaut),Eburons(Limbourg), Aduatiques, Condruses, Crses, Pmaneset Trvires (Ardenne).Du reste, l'tablissement de ces peuples dans la rgion ne

    remontait pas une trs haute antiquit. Lorsque Csar s'enquitde leur origine (57 av. J.-C), la tradition conservait encore lesouvenir d'une poque o ils vivaient l'est du Rhin ; et cette

  • 4 l'poque romaine et l'poque franque

    tradition a fait croire leur vainqueur qu'un certain nombre depeuplades belges appartenaient la race germanique (i).

    La conqute romaine substitua la frontire flottante entreBelges et Germains, une solide frontire d'tat. Derrire elle,les diffrences ethnographiques s'attnurent peu peu sousl'action de l'administration et de la civilisation de l'Empire.

    Les barbares se romanisrent, et leurs caractres, nationaux sefondirent plus ou moins rapidement dans l'uniformit dunouveau genre de vie qu'ils adoptrent les uns et les autres.Cependant, la langue officielle conserva, par les noms qu'elledonna aux deux provinces tablies entre le Rhin et la mer, lesouvenir de l'origine diffrente des habitants de ce pays. Lesterritoires orientaux firent partie de la Germania inferior,tandis que ceux de l'occident appartinrent la Belgica sectinda.De ces deux provinces, la plus riche, la plus peuple et la

    plus police tait la Germanie. Les garnisons cantonnes lelong du Rhin 3^ entretenaient un foyer trs actif de civilisationromaine. La future me des prtres tait alors la rue des lgionset des fonctionnaires. Le long du fleuve se succdaient, reliespar une chausse : Remagen, Bonn, Cologne, Neuss, Xanten^Nimgue, Le3^de. Cologne surtout, prit de bonne heure uneimportance considrable et, comme Lyon au centre de la Gaule,elle constitua, dans le nord, un admirable instrument de roma-nisation. C'est de Cologne que partait la route qui, aprs avoirfranchi la Meuse Maestricht^ passait par Tongres, puis ctoyant travers la fort charbonnire les cours de la Meuse et de laSambre, atteignait l'Escaut Cambrai, d'o elle se prolongeaitau nord-ouest vers Boulogne et au sud-est vers Soissons etReims. Cette route tait l'artre par o la vie romaine, si activesur les bords du Rhin, se rpandait dans l'intrieur de laseconde Belgique, et l'on trouve encore en grand nombre lelong de son parcours, dans le Namurois, le Hainaut et l'Artois,des substructions de villas et des dpots de monnaies. Dansles Pays-Bas mridionaux, o les fleuves coulent du sud au

    (1) La question de l'origine des Belges est fort controverse. Je me range ici l'avis de M. d'Arbois de .lubainville, Le. Origines Gauloises {Rev. Hist., t. XXX,p. 39), et de M. G. Kurth, La frontire linguistique en Belgique, p. 526.

  • LA BELGIQUE ROMAINE 5

    nord, elle a t le premier chemin trac de l'est l'ouest.Pendant tout le moyen ge, elle est reste, sous le nom dechemin de Brimehaitt, la grande voie de communication ter-restre entre le Rhin et la mer, et, aujourd'hui encore, onreconnat facilement sur la carte son trac rectiligne. Ce tracsuit assez rgulirement la frontire linguistique qui spare, denos jours, la rgion wallonne de la rgion flamande. Mais, auiii^ sicle, le voyageur qui suivait la chausse de Cologne Boulogne, ne rencontrait, droite et gauche de celle-ci,que des populations de mmes murs et de mme langue.Ds qu'il avait dpass Tongres, qui semble avoir t jusqu'auiv^ sicle une ville assez considrable (i), il entrait dans unpays tout agricole, o les agglomrations urbaines taient rareset d'importance mdiocre. Tournai, Cambrai et Arras n'ontt, selon toute apparence, que de petites villes de province.Elles servaient de marchs aux paysans des environs^ qui prati-quaient avec succs l'levage des chevaux et du btail. Les jam-bons des Mnapiens avaient acquis de bonne heure une granderputation, et, dans les plaines de l'Escaut o l'industrietextile devait connatre plus tard une prosprit si extraordi-naire, on fabriquait dj des manteaux de laine (birri) quis'exportaient jusqu'au del des Alpes, et l'on confectionnaitdes tofts de lin.A en juger par le rsultat des fouilles faites dans ce sicle,

    le pays tait assez peupl. Les vestiges des habitationsromaines sont, il est vrai, particulirement nombreux dans lesenvirons de la Sambre et de la Meuse, mais il ne faut pas croireque la contre maritime, qui a donn beaucoup moins, ne ftqu'une rgion dserte, entrecoupe de bois et d'eaux stagnantes.La disparition presque complte des traces matrielles dela civilisation romaine s'y explique trs facilement par leschangements considrables survenus dans la rgion maritimedu iii^ au xvi^ sicle (2), et surtout parce que, dans ces terres

    (1) Ammien Marcellin, lib. XV, c. 1 1 : Secunda Germania... Agrippina etTungris munita, civitatibus amplis et copiosis .

    (2) A. Rutot, Les origines du Qiiaternaire en Belgique {Bulletin de la Socitbelge de Gologie, t. XI, 1897).

  • L EPOQUE ROMAINE ET L EPOQUE FRANQUE Sd'alluvion o les pierres sont rares et chres, les habitants se ^

    servirent de trs bonne heure des ruines des monumentscomme de carrires (i). En tout cas, nous savons que lesvestiges d'tablissements romains taient nombreux encore auxi^ sicle dans le pays de Saint-Omer, et que, dans les envi-rons de Bruges, Oudenbourg, subsistaient, la mme poque,d'importantes constructions militaires (2). En prsence de cesfaits, il n'est peut-tre pas tmraire de supposer que la ctetait dj, sous l'Empire, protge contre les invasions de lamer par des digues et des travaux d'art.

    Si les habitants des futurs Pays-Bas ont pu, la faveur dela paix romaine, cultiver leurs champs, dfricher leurs fortset atteindre, semble-t-il, un degr considrable de bien-tre,ils ont d, en revanche, conserver pendant assez longtempsleurs idiomes et leurs cultes nationaux. Les grandes villesqui, l'est et au sud, entouraient de loin cette extrmefrontire du monde civilis, n'ont pu exercer sur elle qu'uneaction trs lente. C'est au christianisme qu'il appartenait d'enachever la romani sation.

    La religion nouvelle apparut naturellement tout d'aborddans les parties les plus vivantes et les plus riches du pays,c'est--dire dans les valles de la Moselle et du Rhin. C'estbien certainement de Cologne et de Trves que vinrent lespremiers chrtiens des bords de la Meuse et de l'Escaut (3).Du reste, le dtail de la conversion nous chappe absolument.Les traditions qui font remonter au premier sicle la formationdes divers vchs du nord, n'ont aucun fondement historiqueet doivent tre relgues au rang des lgendes.

    (1) C'est ainsi qu'il faut expliquer sans doute que, dans les environs de Renaix,o l'on a dcouvert quantit de poteries romaines, on n'ait rencontr aucun vestiged'habitation.

    (2) Hariulf, Tractatus de ecclesia S. Ptri Aldenburgensis, Mon. Germ. Hist.Script., t. XV, p. 872. Lambert. Ardens. Chronicon d. Godefroy Menilglaise,pp. 227, 241. Chronica monasterii Watinensis, Mon. Germ. Hist. Script.,t. XIV, p. i63. Les grandes pierres noires qui formaient les remparts d'Ouden-bourg servirent la construction des murailles du chteau comtal de Bruges, autmoignage d'Hariulf, lac. cit.

    (3) Irne de Lyon, la fin du second sicle, mentionne les chrtiens deGermanie. Alb. Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, 1. 1. p. 6 (Leipzig, 1887).

  • r LA COLONISATION GERMANIQUEIl est probable que rorganisalion piscopale fut tablie tout

    d'abord Trves et que, pendant le iii^ sicle, l'vque decette cit tendit son action sur toute la Germanie infrieure.A partir de S. Materne (313) Cologne forma un vchdistinct et engloba peut-tre dans ses limites la civitas Tiin-groritfn. Cependant, les progrs du christianisme furent assezrapides pour provoquer un peu plus tard l'rection d'un sige

    spcial dans cette dernire cit (i). C'tait chose faite ds lemilieu du iv^ sicle, et S. Servais^ dont la prsence est attesteaux conciles de Sardique (347) et de Rimini (359), est lepremier vque authentique dont fasse mention l'histoire desPays-Bas (2).

    Si nous savons peu de chose sur les origines du diocse deTongres, nous sommes rduits bien moins encore pour Arras,Tournai, Boulogne et Cambrai. Moins importantes queTongres, plus loignes qu'elle des foyers de la vie romainedans le nord, ces villes n'ont d que trs tard et trs lentements'ouvrir au christianisme. Vers la fin du iv^ sicle, les Morinstaient encore paens, et le fait que c'est de la cit lointaiae deRouen que vint leur aptre S. Victrice (c. 383 -c. 407), permetde croire que les diocses de la Belgique septentrionale taientencore, cette poque, bien imparfaitement organiss (3).

    II

    Au moment o le christianisme commenait se rpandredans les parties septentrionales des provinces de Belgique et deGermanie, ces pays ne connaissaient plus la scurit profondedont ils avaient joui pendant deux sicles. La puissante barrirequi, depuis Csar, avait retenu les barbares sur la rive droitedu Rhin, s'branlait sous la pousse des Francs, et les descen-

    (1) L. Duchesne, A/imo/re sur l'origine des diocses piscopaux dans l'ancienneGaule. Mmoires des Antiquaires de France, t. L, p. SSy (1889).

    (2) Sur S. Servais voy. B. Krusch, dans Mon. Germ. Hist. Script, rer. Merov.,t. III, p. 83, et G. Kurth, Le Pseudo-Aravatius, dans Analecta Bollandiana,t. XVI, p. 164 (1897).

    (3) Sur la conversion des Morins voy. les lettres de S. Paulin de Nle dansMigne, Patrologia latina, t. LXI. p. 839.

  • 8 l'poque romaine et l'poque franque 1dants romaniss des Celtes allaient bientt devoir cder pourtoujours une partie de leur territoire ces mmes Germainscontre lesquels ils s'efforaient jadis de dfendre l'accs desvalles de l'Escaut et de la Meuse.

    Il est infiniment probable que, ds avant le iii^ sicle, lesPays-Bas avaient commenc se germaniser lentement. Lenombre tait grand des Germains qui passaient le Rhin pourprendre du service dans les lgions de la frontire ou pours'tablir comme cultivateurs dans les provinces.

    Ces nouveaux venus apportaient avec eux des murs et desides nouvelles, et leurs cultes prenaient place ct des cultesindignes (i). Mais, parpills dans les populations celto-romaines, ils ne tardaient pas se confondre avec elles. Ducroisement des anciens habitants et des migrants se formait,comme dans tous les pays de colonisation, une race mle parle sang, mais possdant une civilisation commune. Au milieude la masse des provinciaux, il devenait bientt impossible dereconnatre l'apport des barbares. Germains et Celtes d'ori-gine, les hommes habitant entre la mer et le Rhin, consid-raient tous l'Empire comme leur patrie et se donnaientgalement le nom de Romains.

    C'est dans la seconde moiti du iii^ sicle que, pour lapremire fois, les habitants de la Gaule septentrionale virentpntrer chez eux les Germains en conqurants et en pillards.Dsorganise par les troubles civils de l'Empire, l'arme duRhin se trouva impuissante dfendre contre les barbares lepassage du fleuve. Des bandes de Francs et d'Alamans vinrentporter la dvastation dans les provinces, tandis que d'autresennemis, Francs et Saxons, dirigeaient par mer des incursionssans cesse rptes sur le rivage des Morins et des Mnapiens.

    Sans doute, les empereurs finirent par repousser les envahis-seurs, mais les dsastres causs par ceux-ci furent immenses.On peut en juger en voyant Maximin tablir des Francsen 286, en qualit de colons, dans \g?> parties dsertes des pays

    (1) Par exemple le culte des Maires. Voy. L. Vanderkindere, Introduction l'histoire des institutions de la Belgique au moyen ge, p. 88 (Bruxelles, i8go);Hauck, loc. cit., p. i5.

  • LA COLONISATION GERMANIQUE 9

    des Morins et des Trvires (i). La dfense de la cte fut srieu-sement organise : ce n'tait plus seulement vers le Rhin,

    mais encore vers la mer, qu'il fallait rsister dsormais unadversaire dont la puissance venait de se rvler.

    La physionomie du pays changea sensiblement la suitede cette premire alerte. Des groupes compacts de Germainsse fixrent selon toute apparence le long de l'ocan. On peutencore facilement reconnatre aujourd'hui, par l'tude desnoms de lieux, les traces d'une colonisation saxonne aux

    environs de Boulogne (2), et, ds la fin du iii^ sicle, la plaineflamande, trop expose aux incursions, a d voir s'oprerun premier recul de sa population romanise (3).A la faveur de la rvolte de Carausius (286-293), ^ ^^i

    avait t confie la surveillance du littoral, les Francs Saliensse sont empars de l'le des Bataves et menacent les Pays-Baspar le nord, comme les Ripuaires les menacent vers l'est. Ainsi

    les Pays-Bas, exposs aux coups des barbares de trois cts la fois, ne sont plus qu'un poste avanc de l'Empire en paysgermanique, et les efforts de tous les jours qu'il faut faire pourdfendre cette plaine ouverte partout et sans frontires natu-relles ne pourront que retarder de quelques annes la catas-trophe finale. A partir des premires annes du iv^ sicle, largion limite par le coude que fait le Rhin de Cologne lamer, est le thtre d'une guerre de frontire perptuelle entreFrancs et Romains. Repousss par Constance-Chlore, parConstantin, par Julien, les envahisseurs ne se lassent pas dedonner l'assaut, et les coups qu'ils portent sont de plus enplus difficiles parer. La contre au nord des collines del'Ardenne et du Hainaut, parcourue par les armes, ravagepar les barbares, se transforme en dsert et voit disparatre sapopulation. Le Rhin ne constitue plus un rempart suffisant. Ilfaut tablir derrire lui une seconde ligne de dfense. On lve

    (1) Incerti panegyricus Constantio Caesare dictiis ; Panegyrici latini, d.Baehrens, p. 147 (Leipzig, 1874).

    (2) G. Kurth, La frontire linguistique en Belgique, p, 53o (Bruxelles, 1896,t. XLVIII des Mmoires couronns et autres mmoires publis par l'Acadmie).

    (3) Du moins les dernires monnaies romaines trouves dans la rgion maritimesont-elles de cette poque.

  • lO L EPOQUE ROMAINE ET L EPOQUE FRANQUE

    des forts sur les bords de la Meuse, on tablit des retranche-ments et des redoutes le long de la grande route de Boulogne Cologne (i). Ces barrires nouvelles ne font qu'attester lepril, elles ne parviennent pas l'carter. En 358, Julien,vainqueur des Saliens, au lieu de les refouler au del dufleuve, leur permet de se fixer dans les solitudes de la Toxan-drie (Campine) (2). C'est vrai dire titre de sujets de Romequ'ils habitrent cette contre, mais quand, au commence-ment du v^ sicle, Stilicon, pour dfendre l'Italie contre lesGoths, eut rappel lui les lgions du nord, les tribusfranques, voyant l'espace libre devant elles, se rpandirentdans la Belgique et commencrent coloniser les valles del'Escaut et de la Lys. Dsormais la frontire septentrionale del'Empire ne touche plus le Rhin. Elle suit une ligne passantpar Marck (Pas-de-Calais), Arras, Famars, et Tongres (3).Encore s'inflchit-elle bientt vers le sud. En 431 les Salienss'emparent de Tournai, tandis que les Ripuaires, marchant del'est l'ouest, dbordent sur la rive gauche de la Meuse.

    Ainsi, dans le nord des provinces de Belgique et de Germanieabandonnes par Rome, deux peuples, comme au temps 011Csar arrivait dans ces contres, se trouvent de nouveau enprsence : les Germains et les Belgo-Romains,

    Celui qui relve de nos jours sur la carte la frontire linguis-tique qui, de Dunkerque Maestricht, spare dans les Pays-Basmridionaux les habitants de langue romane de leurs compa-triotes de langue germanique (4), remarque tout de suite deuxfaits trs singuliers. Cette frontire forme, en effet, une ligneininterrompue. Elle n'est brise sur aucun point : la dlimitation

    (1) Kurth, ojp. cY., p. 543.(2) Koch, Kaiser Julian der Abtrnnige (Leipzig, 1899), p. 402. D'aprs

    W. C. Ackersdijck, Over Toxandri {Nieuwe werken der Maatschappij derNederl.-Letterkunde, t. V, Leiden, i838j, la Toxandri avait pour frontires laMeuse au nord et l'est, et l'ouest la Donge, qui se jette dans la Vieille-Meuseprs de Geertruydenberg.

    (3) Notitia Dignitatum Occid., XLII et XXXVIII, d. Seeck (Berlin, 1876).(4) Pour la dlimitation de cette frontire, voy, Kurth, loc. cit , p. 17 sqq. Elle

    concide peu de chose prs avec la limite des villages (Dorfen) et des exploitationsisoles (Einzelhfen). Voy. A. Meitzen, Siedelung iind Agrarwesen der Westger-manen iind Ostgermanen, etc., t. I, p. 517 (Berlin, iSgSj.

  • LA COLONISATION GERMANIQUE I I

    qu'elle tablit entre les deux populations est absolument nette.Tout le long de son parcours, comme la mer le long du rivage,l'idiome flamand et l'idiome wallon se touchent sans se pn-trer : on ne constate nulle part dans les groupes linguistiques

    qu'elle dlimite, d'enclaves ou d'lots trangers. Cette situation

    s'expliquerait trs facilement si la frontire des langues conci-

    dait avec une frontire gographique, si elle suivait parexemple le cours d'un grand fleuve ou le pied d'une chane demontagnes. Mais nulle part prcisment elle n'est dterminepar le relief du sol ou la direction des rivires. Presque par-tout elle court au travers de la plaine, et aucun indice matrieln'avertit le voyageur qu'il vient de la traverser.Une situation si trange et qui n'a peut-tre d'analogue en

    aucun pays, devient trs claire si l'on tient compte des condi-tions historiques dans lesquelles s'est accomplie la conqutegermanique et de l'tat de la contre cette poque. LesSaliens du v^ sicle ne se jetrent pas sur les Pays-Bas commeun torrent dvastateur. Ce serait une grave erreur que dese les reprsenter marchant de parti pris l'assaut desprovinces. Du jour o l'Empire leur a permis de se fixer enToxandrie, du jour o leurs efforts sculaires pour prendre piedsur la rive gauche du Rhin ont t couronns de succs, ils ontcess pour longtemps de combattre les armes romaines et sesont mis coloniser en masse le sol de leur nouvelle patrie.La tche tait d'autant plus facile que la population s'taitretire de ce territoire ravag par une guerre incessante, etc'est dans des plaines dsertes que les nouveaux venus fon-drent leurs premiers tablissements. Plus tard, quand le rappeldes lgions du nord en Italie eut ouvert devant eux le cheminde la Belgique, ils se mirent en marche vers l'intrieur du payset prirent possession des valles de la Lys et de l'Escaut. Toutcela s'accomplit, semble-t-il, sans qu'il ft ncessaire de tirerl'pe. A travers les pturages solitaires des Mnapiens, lesFrancs s'avancrent sans prouver de rsistance. Les rarespaysans Belgo-Romains qu'ils rencontrrent attards dans cettergion ouverte et depuis longtemps destine l'invasion, furentmassacrs ou rduits en esclavage. Avec chaque progrs de la

  • 12 l'poque romaine et l'poque franque

    conqute allait de pair la prise de possession du sol parpeuple. Maints villages flamands ont retenu travers lessicles, peine altr par le suffixe ingJiem, le nom du guerrierqui y a jadis tabli le sige de sa famille (i).

    La colonisation de la Belgique septentrionale par les Francs

    est une uvre anonyme parce qu'elle est l'uvre d'un peupleentier agissant sans plan prconu, sous l'impulsion toutenaturelle qui le pousse sortir de limites trop troites et se

    rpandre sur les espaces vides qui s'tendent devant lui. Maislorsque l'avant-garde des envahisseurs, continuant remonter

    le cours de l'Escaut, fut parvenue dans les environs de Tournai,

    il fallut combattre..

    Les soldats d'Atius, appuys sur la ligne de la chausseromaine, dfendaient le passage. C'est alors qu'apparat la

    tte des Saliens, Clodion (Clilogio) leur premier roi dont lenom soit venu jusqu' nous. Sous sa conduite, ils conquirentviolemment la valle suprieure de la L3^s et les pays situs aunord de la Somme, tandis que, vers l'est, ils s'emparrent deTournai. Ce n'est que dans le Boulonnais, dont la populationharcele depuis longtemps dj par les pirates de la ctedevait tre fort clairseme, qu'ils s'tablirent en masse jusqu'la Candie et que leur langue se substitua aux pari ers romainsde la contre. Au sud et au nord-est, dans la valle dela Somme comme dans les environs de Cambrai, de Tournaiet d'Arras, ils se mlrent aux anciens habitants, trop nom-breux pour pouvoir tre refouls ou absorbs par eux.D'ailleurs, au moment o ils touchrent la chausse romaine,les Francs possdaient dj dans les basses terres un territoirede colonisation suffisamment tendu.

    Dsormais ce n'est plus pour fonder de nouveaux foyersqu'ils continueront leurs conqutes. Celles-ci auront maintenantun caractre politique : elles profiteront au roi, mais non plusau peuple. Sans doute le nombre des Saliens qui se fixrentdans le Hainaut, l'Artois et l'Aminois est encore consid-rable. Mais les lots germaniques constitus par eux en pays

    (i) Kurth, op. at.^p. bbg, Meitzen, op. cit., t. I, p. 345.

  • LA COLONISATION GERMANIQUE 13

    romain, taient condamns disparatre. Dissmins au milieud'hommes de race trangre, en contact perptuel avec unecivilisation suprieure, ces postes avancs eurent finalementle mme sort que les tablissements des Burgondes et desWisigoths dans le sud de la Gaule. Leurs habitants n'auraientpu maintenir intact leur caractre national que grce un affluxincessant de forces fraches. Mais le flot de l'invasion franques'tait arrt, et les Saliens, parpills au milieu des popula-

    tions de langue latine, ne tardrent pas se fondre avec elles.

    On peut se demander pourquoi les Saliens, dbordant de laToxandrie, se rpandirent dans la direction du sud-ouest aulieu de marcher par le Brabant tout droit au sud, vers l'int-rieur de la Gaule. Il est ais de rpondre cette question.

    Si aujourd'hui, en effet, la contre qui s'tend d'Anvers Mons n'oppose un envahisseur venant du nord aucunobstacle naturel, il n'en tait pas de mme au v^ sicle. A cettepoque, toute la partie mridionale des Pays-Bas tait couverted'une paisse fort, dont le rideau de feuillage s'tendait sansinterruption des rives de l'Escaut aux plateaux schisteux del'Ardenne. On l'appelait la Charbonnire (i). C'est ce rempartde bois qui retint les Francs dans les plaines de la Campineet de la Flandre. Dans ces terres plates et dcouvertes, lacolonisation tait aise, le sol s'offrait aux nouveaux occupants

    sans exiger de longs et pnibles travaux d'essartage et dedfrichement. Les envahisseurs ne firent donc aucun effortpour percer travers la fort : leurs tablissements en masses'arrtrent sa lisire. La loi salique, le plus ancien documentqui nous ait conserv le nom de la Charbonnire, la considre,chose significative, comme marquant la frontire du peuplefranc (2).

    (1) Sur la fort charbonnire [carbonaria silva), voy. Duvivier, Le Hainautancien, p. 63, et Kurth, op. cit., p. 545. On voit par Nithard, lib. II, ch. 2, 3, 6, 10,qu'au ix sicle cette fort tait encore considre comme une frontire naturelle.Elle se prolongeait par d'autres forts jusqu' Douai. Maury, Les forts delGaule, p. 186 (Paris, 187).

    (2) Lex Salica, XLVII. La rpartition des trsors de monnaies romainesdcouvertes en France prouve que les Francs ont vit la fort des Ardennes.Voy. A. Blanchet, Les trsors de monnaies romaines et les invasions germaniquesen Gaule. Paris, 1900.

  • 1 4 L EPOQUE ROMAINE ET L EPOQUE FRANQUE SDe l'autre ct de cette frontire, dans les clairires et les

    valles de la fort, se maintinrent les Celtes romaniss, queles Germains dsignaient sous le nom de Wala et qui sontles anctres directs des Wallons de Belgique. Quelque impor-tantes qu'aient pu tre, avant et pendant les invasions, lesinfiltrations tudesques dans la rgion boise, elles ne suffirent!pas modifier trs profondment le caractre ni la langue delses habitants. La fort a t pour eux une sauvegarde aussiefficace contre les envahisseurs, que les Alpes l'ont t lamme poque pour les Romanches et les Italiens du Tessin,ou les collines du pays de Galles et de la Cornouaille pour lesBretons d'Angleterre.

    Couverts sur leurs flancs nord et ouest par la Charbon-nire, les Wallons ont t protgs l'est par le massif plusimpntrable encore de l'Ardenne. Les Ripuaires ne pous-srent pas au del des plaines de Hesbaye, et c'est encorel'obstacle des forts que trouvrent devant elles les bandesd'Alamans qui avaient travers les landes de l'Eifel. Il nesubsiste plus aujourd'hui que des dbris de l'Ardenne, et laCharbonnire a presque compltement disparu. Mais l'tudedes noms de lieux, en tablissant la limite extrme atteintevers l'est par la colonisation alamanique et vers le nord etl'ouest par la colonisation franque, a du mme coup dlimitl'espace recouvert jadis par les grands bois qui arrtrentcomme une digue puissante les flots de l'invasion et main-tinrent, au milieu des Germains, la plus septentrionale despopulations romanes. Aujourd'hui encore, dans la Belgiquemoderne, aprs plus de 1400 ans, la situation primitive n'apas chang : Flamands et Wallons continuent occuper peude chose prs, vis--vis les uns des autres, les positions prisespar leurs anctres vers le milieu du v^ sicle.

    Ce furent aussi des obstacles naturels qui, dans les plainesdu nord, sparrent les uns des autres les territoires occups parles envahisseurs. Les Ripuaires, aprs avoir travers la Meuse,s'arrtrent au bord des marcages de la Campine (i), l'ouest

    (1) Meitzen, op. cit., p. 644, et Kiirth, op, cit., p. 541.

  • l'organisation ecclsiastique 15

    desquels commenait le pays des Saliens. Celui-ci de son ctne s'tendait pas jusqu' la mer. Sa limite extrme vers l'occidentsemble avoir t dtermine par la rgion inculte et boise quide Saint-Nicolas Thourout coupe la Flandre en diagonaleet dont les derniers vestiges n'ont disparu que depuisquelques annes (i). La masse des Saliens se dtourna de cesterres infcondes comme elle se dtourna de la Charbonnire.Bien peu d'entre eux pntrrent dans la Flandre maritime. Cefurent des Frisons, mlangs peut-tre de Saxons venus parmer, qui colonisrent cette contre, o l'on retrouve dans lalangue (2), le droit, les murs et jusque dans la physionomiedes habitants, les preuves irrcusables de leur origine.

    III

    En mme temps que la population romanise, le christia-nisme disparut au v^ sicle dans le nord des Pays-Bas. Maistandis que le recul de la premire fut dfinitif, celui du secondne pouvait tre que momentan.

    Le baptme de Clovis n'eut pas toutefois pour rsultat laconversion immdiate des Francs. Si les guerriers qui avaientsuivi le roi en Gaule imitrent tout de suite son exemple, iln'en alla pas de mme pour la masse du peuple tablie au delde la fort charbonnire. Dans cette contre l'Eglise avait triompher de grandes difficults et ses progrs ne s'accomplirentque lentement. Elle n'eut pas, il est vrai, y combattre uneforte opposition nationale. On ne voit nulle part que les dieuxpaens y aient trouv contre elle des dfenseurs trs dcids.Malheureusement elle se trouva hors, d'tat de tirer parti deconditions si favorables. Il lui fut impossible d'entreprendre

    (1) Andries, Notice sur la grande bruyreflartiande de Bulscampveld {Annalesdel Socit d'Emulation de Bruges, 2^ srie, t. VIII, p. 271, sqq.), Meitzen,op. cit., t. I, p. 55 1. Cf. J. W. MuUer, Tijdschrift voor Nederlandsch taal enletterkunde, t. XV, p. 3i (1896). A l'poque de S. Bavon (vu* sicle), pour allerde Thourout Gand, il fallait traverser une immense solitude boise. ActaSS. Boll., oct., t. I, p. 234. cit par Kurth, op. cit., p. 528.

    (2) J. Te Winkel, dans Paul, Grundriss der Germanschen Philologie, t. I,p. 638, Vanderkindere, op. cit., p. 1 12.

  • i6 l'poque romaine et l'poque franque

    avec nergie et dcision l'uvre de la conversion des Francsseptentrionaux.

    En effet, les invasions avaient ruin de fond en comblel'organisation ecclsiastique dans le nord de la Gaule. Lesdiocses, rcents encore ou seulement en voie de formationau moment oii survinrent les barbares, disparurent. Dans toutesles villes o pntrrent les envahisseurs, les communautschrtiennes se dispersrent et la clbration du culte cessa.Bref, l'tablissement catholique ne survcut pas l'tablisse-ment romain sur lequel il tait construit, et qui, en s'efifon-drant, l'entrana momentanment dans sa chute (i).

    Les diocses du nord ne se reconstiturent que trs pnible-ment. Ce n'est pas eux qui entreprirent l'vanglisation desFrancs. Celle-ci fut l'uvre de missionnaires, presque tousvenus de fort loin, qui agirent pour leur propre compte et tout fait indpendamment du clerg local. Parmi eux se dtachela figure ardente et passionne de S. Amand. Ce moine aqui-tain avait l'me et le temprament d'un aptre. Pendant unplerinage qu'il fit Rome, il crut voir S. Pierre lui apparatreet lui ordonner de prcher l'vangile chez les paens du nord. Iln'hsita pas obir. Il reut du roi Clotaire II le titre d'vque,et, peu de temps aprs, il se fixait, avec quelques com-pagnons, au confluent de l'Escaut et de la Lys, l'endroitmme oii devait s'lever plus tard la ville de Gand. Il y fondaen l'honneur de S. Pierre une abbaye qui fut le premiertablissement catholique du pays salien (2). Plus zl queprudent, S. Amand crut pouvoir brusquer la conversion de sesouailles. Le roi ayant, sur son conseil^ dcrt le baptmeobligatoire, le peuple se souleva, et Amand dcourag quittala Flandre, pour chercher sur les bords lointains du Danubed'autres mes gagner au Christ. Il devait pourtant reparatre

    (i) Mme dans une ville romaine comme Cambrai il y avait encore des paensau commencement du vue sicle, Voy. Vita S. Gaugerici, Mon. Germ. Hist.Script, i-'er. Merov., t. III, p. bb-j.

    {2) On attribue habituellement cette fondation l'anne 610. Mais il est prouvaujourd'hui que cette date lui a t assigne au x^ sicle par les moines de Saint-Pierre sans raison historique. Voy. O. Holder-Egger, Zu den Heiligengeschichtendes Genter St. Bavosklosters {Historische Aufst^e dem Andenken an GeorgWa/7f gewidmet. Hanovre, 1886), p. 634 et suiv.

  • l'organisation ECCLESIASTIQUE 1/

    plus tard chez les Francs. Nous le retrouvons vers 647 vquede Tongres. Mais il n'avait pas, semble-t-il, les qualits nces-saires l'administration d'un diocse. Au bout de trois ans,dgot par la grossiret et l'apathie de son clerg barbare,il renona ses fonctions et reprit sa robe de moine, le seulhabit qui convnt un enthousiaste et un idaliste tel quelui. L'ge n'avait pas diminu son nergie. Comme s'il etambitionn l'honneur d'avoir prch la parole de Dieu chez lesraces les plus diverses, il entreprit encore vers la fin de sa vieune mission chez les Basques. Enfin, aprs avoir vainementcherch partout la palme du martyre, il vint achever ses joursdans ces pays du nord o il avait jadis commenc son apostolat.Il mourut (vers 661?) au monastre d'Elnone, qu'il avaitconstruit dans les environs de Tournai, et qui depuis lors portason nom.

    L'uvre de S. Amand fut continue par S. Eloi (f 659)dans la valle de l'Escaut et par S. Remacle (f 668) dans cellede la Meuse. Elle ne fut termine qu'au commencement duviii^ sicle par S. Lambert (f c. 708) et par S. Hubert {^ 72^)qui convertirent les derniers paens de la Toxandrie, duBrabant et de l'Ardenne. Il fallut donc plus de deux siclespour christianiser la rgion situe entre le Rhin et la fortcharbonnire. Cela parat d'autant plus trange que les Francsn'taient pas des barbares fanatiques, que leurs rois taientcatholiques depuis longtemps, que l'accs de leur pays taitfacile et sans danger.

    Mais l'vanglisation entreprise sans plan d'ensemble, aban-donne l'initiative individuelle, manquant de direction et desystme, ne pouvait progresser qu'avec une grande lenteur.Non seulement les missionnaires ne furent pas secondspar l'Eglise mrovingienne, mais ils semblent mme avoirddaign de la faire servir leur but. Nous avons vuS. Amand abandonner aprs trois ans ses fonctions piscopales Tongres, et nous savons qu'un peu plus tard S. Remacleagit comme lui.

    Ce sont pourtant les vques de la Gaule septentrionale quidevaient rcolter la moisson qu'ils n'avaient pas seme. Les

    HIST. DE BELG. 2

  • l8 l'poque romaine et l'poque FRx\NQUE

    moines vanglisateurs n'avaient pas fond d'vchs chez lesFrancs. Ils s'taient contents de gagner les mes ; ils n'avaientpas cherch organiser leurs conqutes. Tandis que chez lesautres peuples germaniques la conversion alla toujours de pairavec l'tablissement de siges piscopaux dans les territoiresvangliss, il n'y eut ici rien de semblable. Cependant lesnouveaux chrtiens ne pouvaient rester en dehors des cadresdu gouvernement ecclsiastique, et puisque les missionnairesne s'taient pas proccups d'tablir parmi eux l'autorit pisco-pale, ce furent les diocses voisins qui se chargrent de laleur fournir en se les annexant.

    Dtruites momentanment par les invasions, les glises del'extrme nord de la Gaule n'avaient pas tard se relever deleurs ruines. Ds le dbut de l'poque mrovingienne, on voitapparatre des vques Maestricht (i), Trouanne, Tournaiet Arras (2). Sans doute, ces vques n'eurent tout d'abordqu'une existence mal assure. Leur pouvoir ne s'tendait gureau del de la banlieue des villes qu'ils habitaient, et, pendant lespremiers temps, leur rsidence mme fut bien loin d'tre fixe.Au cours du vi^ sicle, les vques d'Arras allrent s'tablir Cambrai, ceux de Tournai Noyon, et, au commencement duVIII sicle, S. Hubert transfra Lige le sige piscopal deMaestricht.

    L'uvre de la rorganisation ecclsiastique dans le nords'accomplit en pleine priode mrovingienne sous l'influenced'ides toutes romaines. On n'avait pas perdu le souvenir dutemps o les circonscriptions administratives de l'Empireconcidaient avec celles de l'Eglise, et ce furent les noms desanciennes cits que les vques adoptrent dans leurs titresofficiels. Ceux de Maestricht-Lige s'appelrent episcopi Ttm-grorum, et ceux de Trouanne episcopi Morinoruni, bien queTongres et Morins eussent dsormais disparu pour toujours.S'ils ne rpondaient plus la ralit, ces noms conservaient

    (1) Il est probable que c'est l'vque Monulphe (SSS-Sgy) qui transfra le sigede l'vch de Tongres Maestricht, Hauck, o^. cit., t. I, p. i23 n.

    (2) L'vcli d'Arras fut restaur par S. Vaast (f 540), mais cessa d'avoir peuaprs (vers b^b'i) une existence indpendante, pour ne plus former, jusqu'en logS,qu'un seul diocse avec Cambrai.

  • l'organisation ecclsiastique 19

    du moins sur les pays du nord les prtentions des vques quiles portaient. Quand le paganisme eut disparu au del de laCharbonnire, ceux-ci considrrent donc comme tout naturelde reprendre leur bien et de rtablir leur autorit diocsaine surles territoires qui, l'poque romaine, lui avaient t soumis.

    L'vch de Lige s'tendit entre la Meuse et la Dyle, celuide Cambrai-Arras entre cette rivire et l'Escaut, celui deNoyon-Tournai s'avana de l'Escaut et des ctes de la merjusqu'au Swyn, tandis que la valle de l'Yser fut rattache Trouanne. L'Eglise rtablissait ainsi peu prs, dans largion colonise par les Francs, les frontires des civitatesdes Tongriens, des Nerviens, des Mnapiens et des Morins.La premire fit partie de l'archevch de Cologne, les troisautres furent soumises au sige mtropolitain de Reims. Deuxgrandes provinces ecclsiastiques, correspondant aux anciennesprovinces impriales de Belgique seconde et de Germanieinfrieure, se partagrent ds lors jusqu'au xvi^ sicle le soldes Pays-Bas. Les barbares convertis furent rpartis dans lescadres mmes o l'Empire avait jadis plac ses sujets de raceceltique. Jusqu'au rgne de Philippe II la gographie eccl-siastique des Pays-Bas fut toute romaine, et c'est seulementen 1559 que les rgions vanglises au vii^ sicle par lesS. Amand et les S. Remacle cessrent d'tre places sousl'obdience des cits piscopales du nord de la Gaule, et for-mrent des diocses nouveaux.

    Les faits que nous venons d'exposer taient gros de cons-quences. En tablissant ses diocses sans tenir eompte de lafrontire des races et des langues, en y faisant entrer cte cte les Francs et les Gallo-Romains, l'Eglise prpara, enquelque sorte, les habitants des Bays-Bas ce rle d'inter-mdiaires entre la civilisation romane et la civilisation ger-manique, qu'ils taient appels jouer dans les siclessuivants. C'est par l que l'histoire des Pays-Bas mridionauxdiffre considrablement, ds l'origine, de celle des Pays-Basdu nord. La fondation de l'vch d'Utrecht a donn cesderniers une mtropole religieuse toute germanique. Ils n'ontpas t englobs, comme leurs voisins du sud, dans les circons-

  • 2 l'poque romaine et l'poque franque

    criptions ecclsiastiques de la Gaule, et la source de leur vie

    spirituelle est absolument pure d'infiltrations romaines.A mesure que la foi nouvelle s'empara plus compltement

    de leurs mes, les Francs subirent davantage l'influence deces rgions romanises o vivaient les vques, o s'levaientles cathdrales, o taient conserves les reliques des martyrsqu'ils vnraient, o se formait leur clerg. Ils eurent encommun avec les Wallons les mmes centres religieux. C'estau del de la lisire des grands bois qui avaient arrt leurcolonisation, que se trouvrent les foyers de leur culte. Lescits romaines, devenues leurs capitales religieuses, cessrentd'tre pour eux des villes trangres.

    Sous l'action de l'Eglise, les antipathies nationales s'att-nurent et la frontire linguistique cessa de former une barrireentre les hommes qu'elle sparait.

    Les habitants des parties germaniques des diocses de Lige,de Cambrai, de Noyon (i)^ s'orientrent -en quelque sorte versle sud, sans que leur race cesst d'tre pure, sans que leur

    langue dispart. Les Francs de l'Escaut et de la Meuse seromanisrent ainsi de trs bonne heure dans une certainemesure. Il n'y eut pas, aprs le v^ sicle, de fusion entre lesdeux populations des Pays-Bas. Mais galement soumises lamme influence civilisatrice, forces par la communaut deculte converger vers les mmes points, il tait impossiblequ'elles persistassent longtemps l'une vis--vis de l'autre dansl'hostilit et l'isolement.

    L'Eglise avait commenc dtacher du monde germaniqueles Francs des basses terres de Belgique. La politique des Mro-vingiens continua inconsciemment son uvre dans ce sens.On sait qu'au cours du vii^ sicle la partie romane et la

    partie germanique de la monarchie franque s'opposent de plusen plus dcidment l'une l'autre, sous les noms de Neustrieet d'Austrasie. Dans ces conditions, on devrait s'attendre voirles Saliens du bassin de l'Escaut appartenir l'Austrasie, quirenfermait leurs frres de race thioise. Il en fut pourtant tout

    (i) Jusqu'en 1 146, Tournai et Noyon ne formrent qu'un diocse dont l'vquersidait Noyon.

  • l'organisation ecclsiastique 2 1

    autrement. Chose curieuse ! Aprs avoir suivi le long de presquetout son parcours la limite des langues, la frontire entre la

    Neustrie et l'Austrasie la quitte brusquement dans les Pays-Bas, pour adopter le trac de la ligne qui spare, au milieu duBrabant, l'vch de Lige de celui de Cambrai. Ainsi, lescirconscriptions ecclsiastiques ont dtermin le dessin desfrontires politiques. L'Etat, au lieu de tenir compte de lanationalit des populations, adopta la rpartition tablie entreelles par l'Eglise. Il oublia que les habitants des diocses dunord appartenaient des races diffrentes. Francs ou Wallonsd'origine, ceux-l furent neustriens qui vivaient sous l'autorit

    des vques de Cambrai, de Noyon et de Trouanne, et l'onconsidra comme austrasiens tous ceux sur lesquels s'tendaitle pouvoir de l'vque de Lige. Ces noms, qui dsignaientailleurs des groupements ethnographiques, n'eurent chez nousqu'une signification purement politique. La premire frontireque le pouvoir laque traa sur le sol de Belgique eut pourrsultat de sparer de la Germanie les Saliens des Flandres,et d'y faire entrer, au contraire, les Wallons de l'Ardenne, duNamurois et du Hainaut.

    Il faut se garder sans doute d'attacher ce fait si trangeune importance exagre. A partir de la fin du viir sicle, iln'y eut plus de Neustrie ni d'Austrasie, et la ligne de dmar-cation dont nous venons de parler s'effaa. Mais nous verronsqu'elle devait se rtablir plus tard, peu prs dans les mmesconditions, et il tait intressant, ce semble, de noter que, dsles temps les plus reculs, la frontire linguistique ne marquapas en Belgique une frontire politique.

    Ainsi les conditions historiques qui, immdiatement aprsl'invasion, agirent sur les Francs Saliens, ne leur permirentpas de conserver, aussi purement que leurs frres d'Allemagne,sinon les caractres, au moins l'indpendance et pour ainsi direl'autonomie de leur race. Tandis que, jusqu' l'poque o lamonarchie mrovingienne commence tomber en dcadence,nous voyons les diverses tribus germaniques se constituer enduchs nationaux^ se grouper, suivant les affinits naturelles dusang et de la langue, autour d'un chef hrditaire dont le pou-

  • 22 l'poque romaine et l'poque franque

    voir quivaut presque au pouvoir d'un roi, on ne constate rien

    de tel dans le bassin de l'Escaut. A la race des Ripuaires, celle des Alamans, celle des Thuringiens, correspondent partir du vii^ sicle autant de duchs particuliers, mais il n'y ajamais eu de duch salien.

    Et chose plus singulire encore, on n'a jamais appelFrancia ces territoires coloniss par les Francs au nord de laCharbonnire et d o leurs guerriers sont partis sous Clovis la conqute de la Gaule. Les appellations qu'ils portent :Flandre, Brabant, n'ont pas de signification ethnographique.Bien plus, les habitants mmes de ces contres n'ont pas tard oublier leur nom national. Ils l'ont laiss prendre par lesGallo-Romains du sud. A travers tout le moyen ge, c'estpar le mot Thiois (Dietschen), non par le nom de Francs, queles ont dsigns leurs voisins wallons et qu'ils se sont dsignseux-mmes.

    IV

    Si les Francs de Belgique, rpartis dans les diocses gallo-romains et spars du gros des forces germaniques de l'Austrasie,ont t de meilleure heure que celles-ci sensibles l'action d'unecivilisation trangre, on ne voit pas cependant que les popu-lations romanes du Hainaut et de l'Artois aient exerc sur eux, l'origine, la moindre influence. C'est l'ascendant de l'Eglisegauloise, mais non celui du peuple gaulois, qu'ils ont tsoumis tout d'abord.

    Loin de contribuer la romanisation de leurs voisins, lesWallons furent, au contraire, germaniss par eux. En dpit dela langue latine qu'ils ont conserve, ils nous apparaissent, dsle v"" sicle, comme un peuple demi germanique. Non seule-ment leur sang se mlangea dans une trs forte proportion celui des envahisseurs, mais ils adoptrent aussi leurs murset leur droit. Dans les ruines de leurs villes, ils virent les roisfrancs s'installer avec leurs guerriers, et la dsorganisation deleur Eglise les priva, au moment o elle et t indispensable,de la protection des vques. Les vainqueurs durent tablir

  • PREMIERS CONTACTS ENTRE FRANCS ET WALLONS 22>

    chez eux un tat de choses analogue celui que l'on constateen Angleterre l'poque de la conqute normande. Les roiss'emparrent des terres du fisc, tandis que les chefs qui lessuivaient s'approprirent les domaines qui se trouvaient leurconvenance, se partagrent le patrimoine de l'Eglise, pousrentles filles des grands propritaires de la rgion. De Clodion kClovis, le pays fut livr sans dfense toutes les rigueurs d'uneoccupation militaire.

    Mais quand Tournai et Cambrai cessrent d'tre des rsi-dences royales, quand les rois eurent transfr leur quartiergnral dans la valle de la Seine et que l'arme les y eutsuivis, une priode toute diffrente commena. La dose d'l-ments trangers entre dans la population fut peu peuabsorbe par elle. Entre les immigrants et les indignes, l'qui-libre, momentanment rompu l'avantage des premiers, sertablit. Il y eut, des uns aux autres, action et raction rcipro-ques. Moins nombreux mais plus puissants, les Francs donn-rent la vie sociale dans les rgions wallonnes les caractresqu'elle devait conserver pendant des sicles. Mais ils adop-trent, en revanche, le dialecte latin qu'ils y entendaient par-tout retentir autour d'eux. Le germanisme s'empara du droit,le romanisme de la langue. Les coutumes de la Wallonnie serattachent la loi salique par une filiation aussi directe quecelles de la Flandre et du Brabant, tandis que seuls, les nomsde lieux rappellent aujourd'hui l'idiome que parlaient, il y aquatorze sicles, les envahisseurs du Namurois, du Hainaut etde l'Artois.

    La germanisation des Wallons s'accomplit la mmepoque que l'vanglisation des Francs septentrionaux. Aumoment o ils furent runis dans les mmes diocses, les deuxpeuples, possdant en commun le mme droit et le mme culte,ne pouvaient plus tout fait se considrer comme trangers l'un l'autre. Ces facteurs essentiels de toute civilisation, les idesreligieuses et les ides juridiques, identiques de part et d'autre,devaient, la longue, les rapprocher. Elles y russirent d'autantmieux, qu' l'action qu'elles exeraient vint s'ajouter bienttl'action non moins puissante des phnomnes conomiques.

  • 2 4 l'poque romaine et l'poque franque

    Les Francs qui colonisrent le nord de la Belgique nousapparaissent comme un peuple de paysans libres et propritaires.

    Lors de la conqute, chaque chef de famille fut pourvu d'unlot de terre qu'il cultivait avec l'aide de ses enfants et de sesesclaves. Ces exploitations agricoles taient, conformment l'habitude salienne, parpilles travers la plaine ou runies

    en petits groupes. Nulle part on ne rencontrait de ces villagescaractristiques de la plupart des rgions germaniques, avecleur sol rparti en diffrents gewannen et l'enchevtrementdes pices de terre. Autour de chaque maison s'tendaient leschamps et les prairies qui en dpendaient. La maison elle-mme tait entoure d'une cour clture, dans laquelle s'le-vaient, formant autant de petits btiments spars, l'table, lagrange, le four, etc. Tout cela s'est conserv jusqu'aujourd'hui,et la ferme flamande du xx^ sicle, si l'on substitue par lapense des murs en terre battue ses murs en briques et destoits de chaume ses toits de tuiles rouges, prsente encoreune image fidle de la ferme salienne du v^ (i). Toutefois,si les formes extrieures ont persist, l'tat conomique dupays n'a pas tard subir des modifications trs profondes. Lagrande proprit, avec les diverses espces de tenures qu'ellesuppose et les rapports multiples de subordination qu'elletablit entre les hommes, devait s'y introduire de bonne heureet y altrer gravement le systme trs simple de la colonisationprimitive.

    Celui-ci et pu se maintenir peut-tre pendant longtemps,si les Francs de la Flandre et du Brabant avaient vcu,comme les Frisons par exemple, compltement isols du monderomain et renferms pour ainsi dire en eux-mmes. Mais lesconditions historiques dans lesquelles ils se trouvrent placs,rendaient, nous l'avons vu, cet isolement impossible. De mmequ'ils adoptrent la religion des provinciaux, de mme aussiils se trouvrent influencs de trs bonne heure par leur tatsocial. Ceux d'entre eux qui s'taient fixs au sud de la fron-tire linguistique y avaient trouv la terre aux mains de

    *(i) Meitzen, op. cit., t. I, p. 53>, et suiv. ; t. III, p. 292.

  • PREMIERS CONTACTS ENTRE FRANCS ET WALLONS 25

    quelques grands propritaires, et, au lieu d'un peuple de pay-sans libres, un peuple de colons et de censitaires, de gens plusou moins troitement attachs la glbe et soumis^ vis--vis deleurs seigneurs fonciers, des redevances et des services detoute sorte. Ils laissrent intacte cette organisation. Dansbeaucoup de domaines, le matre gallo-romain fut expropripar le roi ou par quelque antrustion ou quelque chef militaire :

    ce fut le seul changement. Du reste, les anciens possesseurs nedisparurent pas tous. Ceux d'entre eux qui conservrent leursbiens formrent, avec les nouveaux riches d'origine germa-nique, une classe e patentes, une sorte d'aristocratie terrienne.Cette aristocratie ne pouvait manquer d'tendre son action surla rgion septentrionale. Les paysans ruins par une mauvaisercolte, les veuves qui une protection tait indispensable, luiabandonnrent la proprit de leurs biens et entrrent, titre detenanciers, dans la clientle des grands. Il tait impossible dersister l'ascendant de la richesse et de la puissance. La cou-tume germanique contenait bien quelques dispositions destines maintenir intacts les patrimoines hrditaires, mais ces faiblesbarrires furent renverses sans peine. D'ailleurs, c'est dans, laclasse des grands propritaires que les rois recrutaient leursfonctionnaires, ajoutant ainsi la suprmatie conomique toutle poids de l'autorit lgale.

    La ferveur religieuse contribua de son ct, pour une part trsconsidrable, introduire chez les Francs l'organisation doma-niale. Ds le vii^ sicle, l'Artois et le Hainaut se couvrent demonastres. De Saint-Vaast d'Arras, Sainte-Waudru de Monsils forment, le long de la frontire linguistique, une ligne inin-terrompue : Saint-Bertin sur les bords de l'Aa, Hasnon, Elnone,Saint-Martin de Tournai, Lobbes, Saint-Ghislain, Crespin,Sainte-Gertrude de Nivelles, Moustier-sur-Sambre, Andenne.C'est aux grandes familles de la rgion qu'est due la fondationde ces nombreux couvents. Elles rivalisrent de gnrosit leur gard et leur taillrent sans compter de beaux domainesau milieu de leurs alleux. La tradition fait remonter une seuled'entre elles l'origine des abbayes de Mons, de Hautmont, deSoignies et de Maubeuge. Les proprits monastiques s'agran-

  • 2 6 l'poque romaine et l'poque franque

    dirent plus rapidement encore que celles des laques. Les roisabandonnrent peu peu aux moines les fiscs qu'ils poss-daient dans le Tournaisis, l'Artois et la Charbonnire; dans lenord, les hommes libres qui voulaient s'assurer le ciel par uneuvre pie, leur lguaient leurs hritages. Il faut reconnatre |toutefois que les terres d'Eglise ne furent pas aussi rpandues

    dans les contres franques que dans les contres wallonnes.

    La plupart des anciennes abbayes, construites en pays roman,

    y eurent toujours la plus grande partie de leurs domaines.Avant la fin de la priode carolingienne, il n'existe pas demonastre important dans la rgion germanique en dehors deSaint-Pierre de Gand et de Saint-Trond. Toutefois, on peutaffirmer que, ds le vii^ sicle, le contraste conomique queprsentaient l'origine les territoires spars par la frontire

    linguistique, s'il n'avait pas compltement disparu, s'tait dumoins fort attnu. On ne remarquait plus entre eux, quant auxmodes de possession du sol, une diffrence radicale, mais seule-ment une diffrence de degr.

    V

    Au rebours de ce que l'on constate dans beaucoup d'autrestats crs par la force des armes, les territoires qui avaientvu se former et s'affermir la dynastie victorieuse ne jouirent pasen Gaule, aprs la conqute, d'une situation prpondrante.Les Pays-Bas n'occuprent point, dans la monarchie mrovin-gienne, une place comparable celle qui devait revenir plustard, par exemple l'Aragon et la Castille en Espagne,ou la Marche de Brandebourg en Prusse. A partir dumoment o ils quittrent les bords de l'Escaut pour ne plusy revenir, les rois francs perdirent le souvenir de cet antiqueberceau de leur race, de ces terres brumeuses oii, dans sa tombedsormais ignore, reposait tout couvert d'or, le corps de Chil-dric (i). A mesure qu'ils se romanisrent, ils se dsintres-

    (i) Cochet, Le tombeau de Childric (Paris, iSSq).

  • LA BELGIQUE CAROLINGIENNE 2/

    srent de plus en plus du pays salien, perdu aux confins duroyaume, la lisire des grands bois. Arrivs au comble de lafortune ils oublirent leur patrie primitive, comme les empe-reurs luxembourgeois devaient oublier plus tard leur vieuxduch hrditaire. Aussi nos contres ne prirent-elles qu'unepart bien faible aux vnements qui, du vi^ au viii^ sicle, sedroulrent sur le sol de la Gaule. Elles vcurent l'cart, etleurs habitants auraient pu s^appliquer encore cette pithte'extremi hominum que l'on donnait jadis aux Morins auxquelsils avaient succd.

    L'poque carolingienne mit fin pour toujours cet tat dechoses. En reculant jusqu' l'Elbe les frontires de l'Europechrtienne, Charlemagne assigna du mme coup aux Pays-Bascette admirable situation centrale qu'ils ne devaient plus dslors cesser d'occuper en Occident. Au lieu de persister dans leurisolement sur les frontires de l'Etat franc, ils se trouvrentplacs maintenant au foyer mme de la civilisation mdivale,uvre commune des deux grandes races, romane et germa-nique, qui se partagent leur territoire. Les conditions quidterminrent dsormais leur dveloppement historique, taientcres. Il ne se produisit plus en Europe de mouvements poli-tiques, religieux, conomiques ou sociaux, dont ils ne subirentle contre-coup. C'est travers eux que se fit, des rgions latinesdu sud aux rgions teutoniques de l'est, l'change des murset des ides. Ils furent souvent le champ de bataille del'Europe, mais ils lui servirent souvent aussi de champ d'exp-riences sociales. Sur leur sol, form par les alluvions de fleuvesvenus l'un d'Allemagne, les autres de France, s'labora, dansle cours des sicles, une civilisation d'une nature particulire,faite du mlange d'lments trs divers, tout la fois germa-nique et romane, en un mot, une civilisation non nationale proprement parler, mais europenne.

    D'autres causes contriburent encore faire des pays situsentre le Rhin et la mer une des parties les plus vivantes de lamonarchie carolingienne. C'est l que la nouvelle dynastie pos-sdait la plupart de ses domaines, c'est l que s'levaient ses rsi-dences favorites et que s'tendait cette grande fort d'Ardenne

  • 28 l'poque romaine et l'poque franque

    o les empereurs venaient en automne chasser le sanglier et lecerf. Les Pays-Bas formaient la banlieue d'Aix-la-Chapelle et

    tous ceux qui, des divers points de la chrtient, se dirigeaientvers la Rome du Nord, ambassadeurs, inissi dominici, vques,courtisans, moines anglo-saxons, grammairiens d'Italie, jon-gleurs ambulants, marchands, mendiants et filles publiques,taient contraints de traverser leur territoire. Leurs monastresdevinrent des htelleries europennes, la chausse romainetrace travers la Charbonnire s'anima d'un mouvementinaccoutum, la Meuse et l'Escaut furent sillonns de barquesportant vers la cour de pleins chargements de vins et de bls.

    L'action personnelle de Charlemagne s'exera avec unenergie particulire sur ces pays qu'il connaissait si bien etpour lesquels il manifestait une prdilection marque. Il lesfaonna de sa main, pour ainsi dire, sur le type des institutionscres par lui. Les grands domaines qui s'y constituaient detous cts reurent et conservrent pendant des sicles uneorganisation conforme aux rgles dictes par le Capitidare devillis. D'autre part, une des rformes les plus importantes durgne, la substitution des chevins l'assemble des hommeslibres de la centne dans les plaids judiciaires, ne s'implantanulle part aussi fortement que dans les Pays-Bas. Jusqu' la findu xvill^ sicle, l'chevinage est rest la magistrature la pluscaractristique et la plus nationale de la Belgique, et l'on peutapprcier, par ce seul exemple, l'intensit de l'influence caro-lingienne dans nos contres.

    L'empereur se proccupa aussi d'imposer les institutionsfranques aux Frisons et aux Saxons de la cte, isols jusque-lau milieu des dunes et des bruyres marcageuses. Il et vaincre, semble-t-il, chez ces populations demi barbares,des vellits de rsistance. Des gildes de mcontents, recrutesparmi les serfs, mais qui paraissent avoir t soutenues par lesgrands de la Flandre et du Mempisc se formrent, et il fallut queLouis le Pieux, en 821, charget ses missi de les dissoudre (i).

    Vivant dans le voisinage de Charles et parfois mme dans

    (1) Boretius, Capititlaria regum Francorum, t, I, p. 3oi, 7 (Hanovre, i883).

  • LA BELGIQUE CAROLINGIENNE 29

    son intimit, les vques des Pays-Bas se trouvrent dans lesconditions les plus favorables pour intresser spcialement leurs diocses la sollicitude qu'il tmoigna toujours l'glise.Si mme nous ne possdions pas, dans la lettre qu'il crivit Gerbald de Lige (i), un tmoignage bien significatif de cettesollicitude, nous pourrions encore en mesurer la grandeur parcelle de ses rsultats.Au cours du ix^ sicle, en effet, la barbarie et la grossiret

    que S. Amand reprochait jadis au clerg de Tongres, ontcompltement disparu. Les clercs commencent s'adonner la culture des lettres et l'empereur se charge de leur fournir desmatres. Il confie Eginhard la direction des deux abbayesgantoises, Saint-Pierre et Saint-Bavon. Un des meilleurs lvesd'Alcuin, Arnon, le futur archevque de Salzbourg, est abbd'Elnone. A Saint-Sauve de Valenciennes, on rencontre l'italienGeorgius, le constructeur d'un orgue hydraulique clbre,conserv au palais d'Aix-la-Chapelle. Dans presque tous lescouvents du pays vivent de savants moines irlandais ou anglo-saxons, chargs d'enseigner aux novices le beau latin, lamtrique et l'criture. Les abbayes de femmes ne restent pastrangres au mouvement. A Maeseyck, les saintes Harlindiset Renula occupent leurs loisirs des ouvrages de broderieou enluminent patiemment de beaux manuscrits (2). De touscts, des bibliothques se fondent, on crit des annales, onrdige des vies de saints, on remanie les rcits informes deshagiographes mrovingiens.

    Bientt les Pays-Bas, o les monastres pullulent, o lesmatres trangers affluent, deviennent dcidment un foyer trsactif de vie littraire et artistique. L'irlandais Sdulius (3) estl'oracle du cercle des lettrs qui se runit autour de l'vquede Lige, Hartgar, dans les salles dcores de peintures et de

    (1) Boretius, Capitularia regum Franconitn, 1. 1, p. 241.(2) Le plus ancien manuscrit miniatures de la Belgique est l'vangliaire de

    Maeseyck, du viii sicle. Voy. Bulletins des Commissions royales d'art et d'ar-chologie, t. XXX (1891), p. 19 et suiv. Cf. Vita SS. Harlindis et Remdae, ActaSS. BolL, mars, t. III, p. 386.

    (3) Voy. Sedulii Scoti carmina. d. L. Traube. Mon. Germ. Hist. Poetaelatiniaevi Carolini, t. III, p. i5i sqq.

  • 30 L EPOQUE ROMAINE ET L EPOQUE FRANQUE

    vitraux du nouveau palais piscopal. A l'autre extrmit dupays, les coles de Saint-Amand, diriges par Hucbald dont larenomme de pote, d'historien et de musicien s'est rpanduedans tout l'Occident, acquirent une telle clbrit que Charlesle Chauve leur confie l'ducation de ses fils (i). Ces faits sontsignificatifs, mais combien d'autres particularits du mme genrene connatrions-nous pas si les Normands n'avaient, partirde la fin du ix^ sicle, livr nos rgions un pillage systma-tique ! Bien rares ont t les couvents pargns par eux. Presquetous ont perdu leurs bibliothques, et leurs trsors, dont uninventaire conserv par bonheur dans la chronique de Saint-Trond, nous permet d'apprcier l'extraordinaire richesse (2),sont devenus la proie des barbares. Les flammes ont dtruitles cathdrales, les clotres et les palais des vques : aucunspcimen de la sculpture et de l'architecture carolingiennes enBelgique ne s'est conserv jusqu' nous.La situation privilgie des Pays-Bas au ix^ sicle ne se mani-

    festa pas seulement par l'intensit de la vie religieuse et litt-raire, mais aussi par l'activit conomique. Dans l'Europe dece temps, tout entire adonne la vie agricole, couverte dedomaines formant autant de petits mondes isols dans lesquelsla production tait rgle, non pas en vue de l'change, maisen vue de la satisfaction des besoins du propritaire et de safafniliay ils nous prsentent le spectacle exceptionnel d'uncommerce relativement dvelopp. Une bonne partie desdenres de toute sorte, ncessaires au ravitaillement de lacour d'Aix-la-Chapelle, tait transporte par leurs fleuves, etc'est encore par ceux-ci que les monastres des rgions du nordfaisaient venir des collines de la Moselle le vin qu'il leurtait impossible de produire dans leurs terres froides et sousleur ciel pluvieux. En revanche, il existait ds lors, dans lescontres flamande et frisonne, une industrie indigne qui, deson ct, contribua alimenter le commerce (3). De tout

    (1) J. DesWve, De schola Elnonensi Sancti-Amandi {l^ovanW, 1890).(2) Gesta abbatum Trudojiensium, Mon. Get-m. Hist. Script., t. X, p. aSo.(3) E. Bmmler, Geschichte des Ost/rnkischen Reiches, t. l, p. 220(2^ dit.^

    Leipzig, 1887).

  • LA BELGIQUE CAROLINGIENNE 3I

    temps, les prairies sales qui s'tendent le long des ctes platesde la mer ont t affectes l'levage du mouton, et les habi-tants de la rgion n'ont pas tard filer et tisser la lainequ'ils possdaient en quantits beaucoup trop considrablespour leurs besoins. La nature du pays le prdestinait l'industrie drapire. Les draps frisons du haut moyen ge nesont, sous un autre nom, que les draps fabriqus l'poqueromaine par les Morins et les Mnapiens. Mais leur rputationa t bien plus grande. Ils nous apparaissent, durant toute lapriode carolingienne, comme des toffes de luxe destines,comme le furent plus tard les draps flamands, l'habillement

    des grands (i). Confectionns par des gens rompus aux pro-cds d'une technique hrditaire, ils devaient valoir bienmieux, en effet, que les tissus grossiers produits par les serfsdes grands domaines. L'industrie frisonne tait en somme,comparativement l'industrie domaniale du reste de l'Empire,une industrie spcialise, et de l sa supriorit incontestable.Dj signals l'poque mrovingienne aux foires de Saint-Denys, les draps frisons se rpandirent, au ix*" sicle, danstout rOccident. Par le Rhin, par l'Escaut et par la Meuseils pntrrent jusqu'au centre de l'Europe. Ils formaient sansdoute aussi la plus grande part du commerce d'exportation queles Belges entretenaient ds lors avec la Grande Bretagne et laScandinavie par les ports de l'Ecluse, de Quentovic et de Duur-stede (2). L'tendue des relations de ces villes avec lesrgions septentrionales nous est atteste d'une manire posi-tive. On a retrouv de leurs monnaies en Angleterre commesur les ctes de la mer Baltique (3), et l'on sait que celles deDuurstede ont servi de prototypes aux plus anciennes monnaiesde la Sude et de la Pologne. Telle tait la frquence desrapports entre les peuples paens du nord et les ctes de

    (1) G. Schmoller, Die Strassburger Tucher- tend Weberpinft, p. SSg (Stras-bourg, 1879).

    (2) La Passio Friderici Trajectensis episcopi, rdige au x sicle par Odbert(Mon. Germ. Hist. Script., t. XV, p. 354) attribue, avec une exagration vidente,cinquante-cinq glises cette ville avant sa destruction par les Normands.

    (3) V. Gaillard, Recherches sur les monnaies des comtes de Flandre, p. i6(Gand, i852-57). M. Prou, Les monnaies carolingiennes (Paris, 1896), p. 10.

  • 32 l'poque romaine et l'poque franque

    Flandre et de Hollande, qu'elle attira mme l'attention del'glise. Non loin de rcluse, au monastre de Thourout, futtablie une cole de missionnaires destins l'vanglisation

    des Danois.Le commerce maritime dveloppait son tour le transit!

    fluvial. Des entrepts et des tapes s'tablirent aux bords des

    grandes rivires. Valenciennes sur l'Escaut et Maestricht, situ

    l'endroit o la route romaine coupe le cours de la Meuse,formaient dj, du vivant de Charlemagne, des agglomrationsimportantes de marchands et de bateliers (i).

    Il est inutile de pousser davantage cette rapide esquisse.Pour incomplte qu'elle soit^ elle suffit pourtant montrer que,dans ses manifestations les plus varies, la civilisation carolin-gienne a trouv dans les Pays-Bas son expression peut-tre laplus complte, et si l'on ose ainsi dire, la plus classique. Parune rare fortune, les divers lments qui ont contribu laformer se sont trouvs, dans les bassins de l'Escaut et de laMeuse, en un tat d'quilibre parfait. La situation gogra-phique aussi bien que la population htrogne de cesrgions les a prpares merveilleusement s'assimiler cetteculture plus universelle et chrtienne que nationale rve parCharlemagne et qui, travers toute leur histoire, en dpitdes transformations politiques qu'elles ont subies, n'a jamaiscess de s'y maintenir et de s'y dvelopper. Ces pays sansnom et sans frontires prcises ont toujours conserv enEurope on ne sait quel caractre carolingien qui les distinguedes autres tats. Et ce n'est pas sans motif que leurs habitantsont perdu de bonne heure le souvenir de leurs traditionsnationales et oubli les chants piques des compagnons deClodion et de Clovis, pour rserver Charlemagne la premireplace, et la plus glorieuse, dans leurs lgendes historiques.

    (i) Einhard, Translatio SS. MarceUini et Ptri, Mon. Germ. Hist. Script.,t. XV, p. 238 et suiv.

  • CHAPITRE 11

    L'ORIGINE DU DUCH DE LOTHARINGIEET DU COMT DE FLANDRE

    Durant les cinquante annes qui suivirent la mort deLouis le Pieux, les Pays-Bas subirent des transformationsterritoriales aussi nombreuses et aussi rapides que celles dont ilsfurent l'objet un millier d'annes plus tard, la fin duXVIII sicle et au commencement du xix (i). Rien d'ton-nant cela. Situs aux confins de la Francia Occidentalis, lafuture France, et de la Francia Orientalis, la future Allemagne,c'est travers leur sol que passa la frontire qui sparait lesdeux grands tats de l'Occident. Mais, avant de recevoir letrac qu'elle a conserv presque intact jusqu'au rgne deCharles-Quint, cette frontire a longtemps flott de l'est l'ouest, au gr des guerres et des traits. Jamais pourtant, ilimporte de le remarquer encore ici, elle n'a concid, au coursde ses fluctuations, avec la limite des races et des languesdans ces contres. Les successeurs de Charlemagne se sont

    (0 Sur les traits de lepoque carolingienne dans leurs rapports avec laBelgique, voy. L. Vanderkindere, Histoire de la formation des principautsbelges au moyen ge, 1. 1, p. 4 et suiv.

    HIST. DE EELG. 3

  • 34 ORIGINE DE LA LOTHARINGIE ET DE LA FLANDRE

    partag les Pays-Bas sans se proccuper des peuples qui leshabitaient.

    Le trait de Verdun (843) ouvre la srie des traits dpartagesi frquents depuis lors dans l'histoire de Belgique. Il fit entrerdans l'empire de Lothaire les territoires compris entre le Rhinet l'Escaut, tandis qu'il attribuait Charles le Chauve ceux quis'tendaient de l'Escaut la mer. Il coupait ainsi les Pays-Basen deux tronons qui ne devaient se rejoindre que six siclesplus tard. A la mort de Lothaire (855), ses fils rpartirent entreeux son empire disparate, et les rgions situes de la mer duNord au Jura constiturent le royaume de Lothaire ILCe royaume, o vivaient ple mle des Frisons, des Francs,des Alamans et des Wallons (i), reut un nom qui rpondaitbien sa nature htroclite et qui devait faire fortune,on l'appela, faute de mieux, du nom mme du souverain :Lotharingie (regniun Lotharii, Lotharingia) (2). Il renfermaitles parties les plus belles et les plus clbres du monde caro-lingien (3). On y rencontrait la ville impriale d'Aix-la-Chapelle,les mtropoles ecclsiastiques de Cologne et de Trves, et cesfameux vignobles du Rhin et de la Moselle, objet d'admirationet d'envie pour les contres voisines. Aussi comprend-on

    (1) Je dsignerai dsormais, dans cet ouvrage, par le nom de Wallonsl'ensemble des populations romanes des Pays-Bas. C'est, en effet, le nom deWallons (Wala, Waelen) que les Flamands ont appliqu de tout temps leursvoisins de langue franaise, nom qu'ils tendaient d'ailleurs galement aux habi-tants de la France proprement dite, en tant que ceux-ci parlaient la gualonicalingua ou le Waelsch. Au commencement du xive sicle, l'auteur des AnnalesGandenses distingue encore les Francf (habitants de l'le de France) de l'ensembledes Gallici (Wallons), c'est--dire des gens de langue franaise en gnral. Si l'onse place au point de vue philologique, on sait qu'il faut distinguer dans la partieromane de la Belgique deux dialectes distincts : i" le wallon proprement dit, parldans les trois provinces actuelles de Lige, de Luxembourg et de Namur, dansl'est du Hainaut et dans le sud du Brabant, et 2 le picard, qui s'tend dans l'ouestdu Hainaut, dans la Flandre wallonne et dans l'Artois.

    (2) D'aprs M. Parisot, p. 748 (voy. la note suivante) le nom t Lotharingia serencontre pour la premire fois dans VAntapodosis de Luidprand de Crmone,crite entre gSS et 962.

    (3) Pour l'tendue du royaume de Lothaire II, voy. R. Parisot, Le royaumede Lorraine sous les Carolingiens (843-923), p. 92 et suiv. (Paris, 1899). Il faut serporter cet excellent ouvrage, dont l'auteur se place, si on peut ainsi dire, aupoint de vue lorrain, pour tout ce qui concerne l'histoire de la Lotharingiejusqu'en 923.

  • LES TRAITS DE PARTAGE DU IX^ SICLE 35

    facilement l'empressement que mit Charles le Chauve s'enemparer la nouvelle de la mort de Lothaire en Italiele 8 aot 869. Il se fit en toute hte couronner Metzle 9 septembre et put se flatter un instant d'avoir tendujusqu'au Rhin les bornes de ses tats. Elles n'y touchrent dureste qu'un instant. Les protestations de Louis le Germaniqueet la crainte d'une guerre obligrent Charles reculer.Le 8 aot 870, les deux frres eurent une entrevue Meersen,prs de Maestricht, et partagrent par moiti l'hritage de leurneveu.

    Le trait de Meersen changeait considrablement la cartede l'Europe. Il supprimait l'tat intermdiaire qui avaitjusque-l spar le royaume de Charles le Chauve du royaumede Louis le Germanique, mettant ainsi ces deux pays en contactimmdiat. Leur frontire commune suivait assez exactement,dans le bassin de la Moselle, la ligne de sparation entre leshommes de race germanique et ceux de race romane (i); maiselle s'en cartait dans le nord, o, trace le long de l'Ourtheet de la Meuse, elle assignait Charles le Chauve presque toutela Belgique actuelle.Du reste le trait de Meersen n'eut que des rsultats momen-

    tans. Charles profita de la mort de son frre (28 aot S y 6)pour s'emparer des rgions qu'il avait d abandonner en 870.Mais son neveu Louis le jeune (2) marcha contre lui, et,le 8 octobre Sj6, les deux armes se rencontrrent prsd'Andernach. C'tait la premire fois qu'Allemands et Franaisse trouvaient en prsence sur un champ de bataille (3), et laLotharingie, comme elle le fut si souvent depuis lors, taitl'enjeu de la journe. Charles fut vaincu et la mort (6 octobre877) ne lui laissa pas le temps de renouveler sa tentative.Louis III devait tre plus heureux. Il sut habilement profiterdes troubles qui clatrent en France la mort de Louis leBgue (10 avril 879) pour se faire cder tous les territoires

    (1) Parisot, op. cit., p. Syo et suiv.

    (2) C'tait le second fils de Louis le Germanique, Les parties occidentales duroyaume de ce dernier devaient lui revenir. Voy. Parisot, op. cit., p. 414.

    (3) Dmmler, Geschichie des Ostfrnkischen Reiches, t. III, p. 37.

  • 36 ORIGINE DE LA LOTHARINGIE ET DE LA FLANDRE

    que Charles le Chauve avait acquis Meersen. Cette fois, laLotharingie se trouva tout entire annexe l'Allemagne, dontla frontire occidentale fut par l mme transfre de la Meuse l'Escaut.Momentanment interrompu durant la runion phmre

    des diverses parties de l'empire de Charlemagne sous lesceptre de Charles le Gros, cet tat de choses fut rtabli aumoment o, par la dposition de ce prince (887), les fragmentsde la monarchie se sparrent pour toujours les uns des autreset se transformrent en autant d'Etats distincts. La Lotharingiene russit pas, comme la Bourgogne, laquelle elle ressemble

    par l'absence d'unit gographique et d'unit de race, con-stituer un royaume indpendant. Elle resta, aprs quelquesvaines tentatives d'autonomie, rattache l'Allemagne.

    II

    Pendant que les rois se disputaient leur territoire, lesPays-Bas taient livrs toutes les horreurs de l'anarchie et del'invasion. S'ils avaient profit plus que toute autre contre desbienfaits de la civilisation carolingienne, ils furent aussi atteintsplus fortement par les malheurs qui accablrent l'empire aprsla mort de Louis le Pieux. Leur situation centrale les exposaittout d'abord l'action des causes, tant internes qu'externes^qui amenrent la disparition de l'ordre de choses cr parCharlemagne.

    S'ouvrant largement sur la mer par les estuaires de leursfleuves, couverts de riches monastres et de rsidences royales,ils devaient attirer de bonne heure l'attention des Normands.C'est en 820 qu'est mentionne leur premire tentative contrela cte flamande, avec une petite flottille compose de treizebarques, qui furent facilement repousses (i^. Mais bientt

    (1) Depuis la fin du vin* sicle, les ctes de la mer du Nord avaient t misespar Charlemagne en tat de dfense contre les Normands, comme elles l'avaient tjadis par les empereurs romains contre les incursions des Saxons. Abel-Simson,Karlder Grosse, t. II, p. 208 (Leipzig, i883).

  • LES INCURSIONS NORMANDES 37

    commencrent les expditions en masse^ et les barbares, dontplusieurs connaissaient sans doute le pays pour avoir jadisfrquent ses ports, adoptrent un plan systmatique d'inva-sion. Ds lors ils furent invincibles. Impliqus dans desguerres ou dans des querelles politiques qui absorbaient touteleur nergie, ni les empereurs, ni les rois n'organisrent srieu-sement la rsistance. A partir de 834, toute la rgion maritimesillonne par les bras de la Meuse, du Rhin et de l'Escauttombe au pouvoir des Normands, et les chroniqueurs consta-tent que la population, qui tait jadis si nombreuse, a presquecompltement disparu (i). Le port de Duurstede, pill quatrefois de suite, n'est plus qu'un monceau de ruines; Utrecht,la mtropole religieuse de la contre, est dtruite. Il semblepresque qu'un Etat Scandinave et paen soit sur le point de sefonder dans le nord des Pays-Bas, car, en 850, Lothaire II,impuissant repousser le Viking Roric lui donnait en fief lesrives du Wahal, et, en 882, Charles le Gros cdait la Frise Godefroid, un autre barbare.

    Solidement tablis dans le nord, les Normands dirigent leur gr, par les admirables voies fluviales dont ils dtiennentles embouchures, des expditions vers l'intrieur du pays. Ilsprocdent avec mthode, choisissant l'avance leurs points deralliement et leurs quartiers d'hiver, se gardant de revenir tropsouvent dans les contres dj visites par eux, espaantsavamment leurs coups et mettant dans leurs dvastationstout le soin d'entreprises commerciales bien conduites. En850, 861, 864 ils sont en Flandre, brlent Trouanne,ravagent Saint-Bertin. En 879 ils s'avancent dans le Brabant,en 880 dans le Tournaisis, en 881 ils incendient Saint-Vaast etCambrai. La mme anne ils placent Elsloo, prs de Maes-tricht, une sorte de camp retranch d'o ils mettent en coupergle toute la rgion voisine : Maestricht, Tongres, Lige,Saint-Trond, Aix, Malmdy, Stavelot, Inda, Prm. Louvain,

    (1) Altfried, Vita S. Liudgeri, lib. I, c. 27 : Nam concrematae sunt aecclesiae,monasteria defuncta, dserta ab habitatoribus praedia in tantum ut... regionesmaritimae, quas prius multitude tenebat hominum, pne sint in solitudinemredactae.

  • 38 ORIGINE DE LA LOTHARINGIE ET DE LA FLANDRE

    situ l'endroit o la Dyle cesse d'tre navigable et o lesbateaux des pirates doivent ncessairement s'arrter, devientde son ct le centre d'opration d'autres bandes de pillards etune sorte d'entrept central pour le butin. Les efforts isols

    de quelques comtes ou de quelques vques ne pouvaientrien contre des expditions menes avec tant d'habilet etd'esprit de suite. Les exploits de Francon, que le pote Sduliusclbrait avec enthousiasme (i), ne russirent pas empcherla ruine de Lige, ni ceux de Wala, qui mourut bravement lesarmes la main, la destruction de Metz. On ne trouvait contreles Normands, inhabiles dans l'art des siges, d'abri efficaceque dans les forteresses. Le pays se couvrit de chteaux et dedonjons : il prit peu peu un aspect fodal.

    La victoire remporte Louvain par Arnoul de Carinthie aumois d'octobre 891 (2) mit fin aux incursions des pirates. Nonpas qu'elle leur ait inflig une dfaite mortelle, mais la Scandi-navie cessa, vers cette poque, de dverser sur l'Europe desessaims d'aventuriers, et d'ailleurs, le pays compltementpuis, ne promettait plus aux derniers Vikings une proie assezabondante (3).En quittant nos contres, les Normands ne les laissrent

    pas seulement couvertes de ruines et demi dsertes. Ala faveur de l'inscurit et de l'anarchie qu'ils avaientcauses, il s'y tait pass des vnements de la plus hauteimportance. A l'est comme l'ouest de l'Escaut