pirandello, le théâtre de la prospective

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D’ARCHITECTURES 179 - FÉVRIER 09 17 « Dis-moi où tu habites, je te dirais où tu travailles. Dis- moi où ton entreprise est localisée et je te dirais quelle est la productivité de ses employés. Dis-moi comment on se déplace dans ce territoire, je te dirais son attractivité et son PIB. » Voilà le genre de questions auxquelles peut répondre un oracle d’une nouvelle espèce : Pirandello®, un logiciel de simulation urbaine qui intervient en amont des réflexions traditionnellement dévolues aux urba- nistes et aux architectes. Nous avons rencontré son co- inventeur, Jean Delons, prévisionniste chez Cofiroute. Avec la consultation sur le Grand Paris, c’est l’urba- nisme de la grande échelle, cette belle endormie, qui se réveille brusquement ! Comme si les coups de boutoir de la chute du mur de Berlin, de l’extension de l’Union européenne et des tensions de la globalisation ame- naient enfin la réflexion publique à se repositionner sur la seule échelle qui fasse désormais sens : il ne s’agit ni de la nation, ni de la ville, ni même de la région, mais d’un territoire défini par son attractivité écono- mique. C’est-à-dire beaucoup plus que Paris et même beaucoup plus que l’Île-de-France. Et d’ailleurs, est-ce encore une question de limites physiques ? Ces terri- toires appréciés pour leur compétitivité sont composés et recomposés par des flux, des temporalités, des inter- actions, bref des dynamiques qui font de l’espace une variable secondaire. Ce qui rend malaisé de fixer des limites spatiales à ces entités opérationnelles. Tandis qu’Archilab 08 nous a rappelé que l’Europe n’est peut- être qu’une seule ville, l’urbaniste Patrice Noviant pro- pose même de lire les villes contemporaines sous la catégorie de « l’illimité » ! L’État lui-même s’est persuadé de la nécessité de casser le moule : s’il y a obligation d’inventer, demandons leur avis à des inventeurs de stratégies formelles (les architectes) plutôt qu’à des inventeurs de systèmes (les ingénieurs). Le microcosme des architectes se flatte de ce retour de flamme, éteinte en France depuis Banlieues 89. En attendant que soient rendues publiques ces contributions, on peut déjà s’interroger sur la capacité des pouvoirs publics à arbitrer entre ces imaginations prospectives et les formes qui vont les concrétiser. Et surtout, en s’adressant à des architectes, répond-on vraiment au problème posé : augmenter la compétitivité économique ? Dans ce contexte, un nouvel outil suscite beaucoup d’attention : un logiciel permettant de modéliser l’im- pact de choix stratégiques d’aménagement à la grande échelle, et donc de hiérarchiser les priorités. Pirandello® évalue le territoire à partir d’un critère simple : de l’ac- cessibilité dépend la compétitivité des entreprises comme des individus, et résultent les formes urbaines. On pourrait discuter de ces postulats et des objectifs des concepteurs : des ingénieurs (chassez le système, Un logiciel ouvert à la simulation d’autres critères, ce qui pourrait en faire un outil de débat avant d’être un instrument de décision. > MAGAZINE > LE DEHORS DE L’ARCHITECTURE Pirandello®, le théâtre de la prospective Entretien avec Jean Delons - par Marc Armengaud Doublement souterrain de l’A86 avec un circuit à péage qui garantirait des temps de transport constants et ouvrirait des possibilités en surface.

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Entretien avec Jean Delons, par Marc Armengaud, in D'ARCHITECTURES (d'a), 179, février 2009

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Page 1: Pirandello, le théâtre de la prospective

D’ARCHITECTURES 179 - FÉVRIER 09 17

« Dis-moi où tu habites, je te dirais où tu travailles. Dis-moi où ton entreprise est localisée et je te dirais quelleest la productivité de ses employés. Dis-moi comment onse déplace dans ce territoire, je te dirais son attractivitéet son PIB. » Voilà le genre de questions auxquelles peutrépondre un oracle d’une nouvelle espèce : Pirandello®,un logiciel de simulation urbaine qui intervient en amontdes réflexions traditionnellement dévolues aux urba-nistes et aux architectes. Nous avons rencontré son co-inventeur, Jean Delons, prévisionniste chez Cofiroute.

Avec la consultation sur le Grand Paris, c’est l’urba-nisme de la grande échelle, cette belle endormie, qui seréveille brusquement ! Comme si les coups de boutoirde la chute du mur de Berlin, de l’extension de l’Unioneuropéenne et des tensions de la globalisation ame-naient enfin la réflexion publique à se repositionnersur la seule échelle qui fasse désormais sens : il ne s’agitni de la nation, ni de la ville, ni même de la région,mais d’un territoire défini par son attractivité écono-mique. C’est-à-dire beaucoup plus que Paris et mêmebeaucoup plus que l’Île-de-France. Et d’ailleurs, est-ceencore une question de limites physiques ? Ces terri-toires appréciés pour leur compétitivité sont composéset recomposés par des flux, des temporalités, des inter-actions, bref des dynamiques qui font de l’espace unevariable secondaire. Ce qui rend malaisé de fixer des

limites spatiales à ces entités opérationnelles. Tandisqu’Archilab 08 nous a rappelé que l’Europe n’est peut-être qu’une seule ville, l’urbaniste Patrice Noviant pro-pose même de lire les villes contemporaines sous lacatégorie de « l’illimité » ! L’État lui-même s’est persuadé de la nécessité de casserle moule : s’il y a obligation d’inventer, demandonsleur avis à des inventeurs de stratégies formelles (lesarchitectes) plutôt qu’à des inventeurs de systèmes (les ingénieurs). Le microcosme des architectes se flatte de ce retour de flamme, éteinte en France depuisBanlieues 89. En attendant que soient renduespubliques ces contributions, on peut déjà s’interrogersur la capacité des pouvoirs publics à arbitrer entre cesimaginations prospectives et les formes qui vont lesconcrétiser. Et surtout, en s’adressant à des architectes,répond-on vraiment au problème posé : augmenter lacompétitivité économique ? Dans ce contexte, un nouvel outil suscite beaucoupd’attention : un logiciel permettant de modéliser l’im-pact de choix stratégiques d’aménagement à la grandeéchelle, et donc de hiérarchiser les priorités. Pirandello®évalue le territoire à partir d’un critère simple : de l’ac-cessibilité dépend la compétitivité des entreprisescomme des individus, et résultent les formes urbaines.On pourrait discuter de ces postulats et des objectifsdes concepteurs : des ingénieurs (chassez le système,

Un logiciel ouvert à la simulationd’autres critères, ce qui pourrait en faire un outil de débat avant d’être un instrument de décision.

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MAGAZINE > LE DEHORS DE L’ARCHITECTURE

Pirandello®, le théâtre de la prospectiveEntretien avec Jean Delons - par Marc Armengaud

Doublement souterrain de l’A86 avec un circuit à péage qui garantirait des temps de transport constants et ouvrirait des possibilités en surface.

Page 2: Pirandello, le théâtre de la prospective

efficace ; sinon, on préférera sacrifier de la qualité delogement pour avoir un confort de transport acceptable.

D’A : MAIS CETTE PRIORITÉ DU TRANSPORT SUR LE LOGEMENT EST-ELLE MAJO-

RITAIRE OU SYSTÉMATIQUE ?

JD : Il y a un dilemme entre les organisations centri-fuges et centripètes, New York contre Los Angeles. Maisl’équation à résoudre est la même : la relation entre l’ac-cessibilité et le confort domestique, qui influe sur leprix au mètre carré. Il y a un équilibre à définir entreles deux. Avec Pirandello® nous émettons une hypo-thèse supplémentaire : le choix de résidence et de loca-lisation des emplois est lui-même un équilibre. En réa-lité, tout le monde agit de la même façon et valorise sesparamètres de choix de la même manière. Pour choisirun logement, il y a trois critères principaux : l’accessi-bilité aux services, le confort domestique (en tenantcompte des jardins et du standing) et l’environnementlocal. Ensuite, se posent la question monétaire et cellede l’accessibilité par rapport à l’emploi. Dans unemême fonction d’utilité, nous avons donc identifié des

contraintes financières, de confort et de temps. Et nousobservons que – à l’équilibre – tous les ménages ont unmême niveau de satisfaction pour un niveau de revenuidentique, même s’ils font des choix très différents. Onne peut donc pas décréter les conditions de vie. Il fautdonner des services qui répondent à la diversité desbesoins et permettent les équilibres. De leur côté, les entreprises s’implantent en fonctiondes critères de plus-value. Elles vont là où elles sont leplus efficace. Ce qui se mesure par la productivité d’unemploi, une fois les charges déduites. Or la productivitéest fonction, là aussi, de l’accessibilité. Un emploi dansParis est 40 % plus rentable qu’un emploi en périphé-rie, toutes caractéristiques égales. Pour un gérant debrasserie, c’est une question simple de flux de clientèlemais pour des banquiers, par exemple, la localisationest une question d’adresse. La polarisation de l’activitéest donc un phénomène majeur.

D’A : LES DIFFÉRENTES ÉCHELLES DU TERRITOIRE SERAIENT-ELLES DONC EN

COMPÉTITION ?

JD : Si on regarde la question à l’échelle de l’aménage-ment du territoire, la politique de l’État est incarnéepar la Datar, porteuse d’une vision de répartition laplus homogène possible, tandis que, dans les grandesvilles, se développent des phénomènes beaucoup plusségrégationnistes. Si on laisse la ville se faire seule, onencourage les ghettos. Ainsi, si l’on fait du péage urbainsans réfléchir, les conséquences peuvent être drama-tiques. Pirandello® permet de voir si, en instaurant uncordon de péage autour de Paris, à 10 euros le passage,le centre se dépeuplera un peu, si les populationspauvres seront renvoyées en grande couronne, de mêmeque les emplois. En se retrouvant alors sur des

18 D’ARCHITECTURES 179 - FÉVRIER 09 D’ARCHITECTURES 179 - FÉVRIER 09 19

il revient au galop !) au sein d’une grande multinatio-nale (Vinci). Mais on pourrait également s’intéresseraux raisons qui poussent de grands groupes industriels,notamment en France, à créer des outils dont l’appli-cation est publique : une forme de néocolbertisme venudu dehors, fondé sur l’expérience ? Et si ces acteurs pri-vés avaient une perception originale des problèmesdont les solutions publiques ont besoin ? Puisqu’ilsseront chargés de leur mise en œuvre, pourquoi ne pasles écouter en amont ? Plus intéressant encore : ce logi-ciel reste ouvert à la simulation d’autres critères, ce quipourrait en faire un outil de débat avant d’être un ins-trument de décision. �

ENTRETIEND’A : PIRANDELLO® A PRIS L’ÎLE-DE-FRANCE COMME PREMIER CAS DE MODÉ-

LISATION. COMMENT SE POSE LA QUESTION DES DÉPLACEMENTS À L’ÉCHELLE

RÉGIONALE ?

Jean Delons : Il y a une caractéristique française. Lesdéplacements longue distance sont merveilleux, qu’ils’agisse du TGV ou des autoroutes, tandis que les zones

urbaines sont, comparativement, des « zones de nontransports » ! La politique révélée en matière de trans-ports, c’est de ne pas s’intéresser à la ville, alors que80 % de la population y vit. Aller de Paris à Marseilleest infiniment plus facile que de traverser l’Île-de-France, alors que s’y concentrent dix fois plus de déplacements que sur les grandes liaisons nationales.Mais la contrainte d’aménagement est lourde : les10 kilomètres du bouclage de l’A86 entre Rueil et Pont-Colbert coûtent 2 milliards d’euros.

D’A : COMMENT ABORDEZ-VOUS CE CONTEXTE URBAIN ?

JD : Jusqu’ici, pour arriver à calculer le trafic intra-urbain, on croisait la répartition des populations parzones avec le réseau. Le contexte d’appréciation de cetrafic étant prioritairement la relation entre zones d’ha-bitation et zones d’emplois. Mais dans la réalité, l’ensemble des réseaux agit rétro-activement sur le choix des populations et desemplois. On veut bien aller s’installer en deuxièmecouronne si on est relié à un fuseau d’accessibilité

MAGAZINE > LE DEHORS DE L’ARCHITECTURE

Après la DAO, on pourrait dire quenous inventons laCCAO : « conceptionde cité assistée par ordinateur » !

Accessibilité aux emplois :une productivité centrale 40 % supérieure

> Étude d’un réseau souterrainpermettant de relier entre eux les principaux sites parisiens(gares, aéroports, pôleséconomiques) en se connectantau réseau urbain traditionnel (1988).

>

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efficace ; sinon, on préférera sacrifier de la qualité delogement pour avoir un confort de transport acceptable.

D’A : MAIS CETTE PRIORITÉ DU TRANSPORT SUR LE LOGEMENT EST-ELLE MAJO-

RITAIRE OU SYSTÉMATIQUE ?

JD : Il y a un dilemme entre les organisations centri-fuges et centripètes, New York contre Los Angeles. Maisl’équation à résoudre est la même : la relation entre l’ac-cessibilité et le confort domestique, qui influe sur leprix au mètre carré. Il y a un équilibre à définir entreles deux. Avec Pirandello® nous émettons une hypo-thèse supplémentaire : le choix de résidence et de loca-lisation des emplois est lui-même un équilibre. En réa-lité, tout le monde agit de la même façon et valorise sesparamètres de choix de la même manière. Pour choisirun logement, il y a trois critères principaux : l’accessi-bilité aux services, le confort domestique (en tenantcompte des jardins et du standing) et l’environnementlocal. Ensuite, se posent la question monétaire et cellede l’accessibilité par rapport à l’emploi. Dans unemême fonction d’utilité, nous avons donc identifié des

contraintes financières, de confort et de temps. Et nousobservons que – à l’équilibre – tous les ménages ont unmême niveau de satisfaction pour un niveau de revenuidentique, même s’ils font des choix très différents. Onne peut donc pas décréter les conditions de vie. Il fautdonner des services qui répondent à la diversité desbesoins et permettent les équilibres. De leur côté, les entreprises s’implantent en fonctiondes critères de plus-value. Elles vont là où elles sont leplus efficace. Ce qui se mesure par la productivité d’unemploi, une fois les charges déduites. Or la productivitéest fonction, là aussi, de l’accessibilité. Un emploi dansParis est 40 % plus rentable qu’un emploi en périphé-rie, toutes caractéristiques égales. Pour un gérant debrasserie, c’est une question simple de flux de clientèlemais pour des banquiers, par exemple, la localisationest une question d’adresse. La polarisation de l’activitéest donc un phénomène majeur.

D’A : LES DIFFÉRENTES ÉCHELLES DU TERRITOIRE SERAIENT-ELLES DONC EN

COMPÉTITION ?

JD : Si on regarde la question à l’échelle de l’aménage-ment du territoire, la politique de l’État est incarnéepar la Datar, porteuse d’une vision de répartition laplus homogène possible, tandis que, dans les grandesvilles, se développent des phénomènes beaucoup plusségrégationnistes. Si on laisse la ville se faire seule, onencourage les ghettos. Ainsi, si l’on fait du péage urbainsans réfléchir, les conséquences peuvent être drama-tiques. Pirandello® permet de voir si, en instaurant uncordon de péage autour de Paris, à 10 euros le passage,le centre se dépeuplera un peu, si les populationspauvres seront renvoyées en grande couronne, de mêmeque les emplois. En se retrouvant alors sur des

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il revient au galop !) au sein d’une grande multinatio-nale (Vinci). Mais on pourrait également s’intéresseraux raisons qui poussent de grands groupes industriels,notamment en France, à créer des outils dont l’appli-cation est publique : une forme de néocolbertisme venudu dehors, fondé sur l’expérience ? Et si ces acteurs pri-vés avaient une perception originale des problèmesdont les solutions publiques ont besoin ? Puisqu’ilsseront chargés de leur mise en œuvre, pourquoi ne pasles écouter en amont ? Plus intéressant encore : ce logi-ciel reste ouvert à la simulation d’autres critères, ce quipourrait en faire un outil de débat avant d’être un ins-trument de décision. �

ENTRETIEND’A : PIRANDELLO® A PRIS L’ÎLE-DE-FRANCE COMME PREMIER CAS DE MODÉ-

LISATION. COMMENT SE POSE LA QUESTION DES DÉPLACEMENTS À L’ÉCHELLE

RÉGIONALE ?

Jean Delons : Il y a une caractéristique française. Lesdéplacements longue distance sont merveilleux, qu’ils’agisse du TGV ou des autoroutes, tandis que les zones

urbaines sont, comparativement, des « zones de nontransports » ! La politique révélée en matière de trans-ports, c’est de ne pas s’intéresser à la ville, alors que80 % de la population y vit. Aller de Paris à Marseilleest infiniment plus facile que de traverser l’Île-de-France, alors que s’y concentrent dix fois plus de déplacements que sur les grandes liaisons nationales.Mais la contrainte d’aménagement est lourde : les10 kilomètres du bouclage de l’A86 entre Rueil et Pont-Colbert coûtent 2 milliards d’euros.

D’A : COMMENT ABORDEZ-VOUS CE CONTEXTE URBAIN ?

JD : Jusqu’ici, pour arriver à calculer le trafic intra-urbain, on croisait la répartition des populations parzones avec le réseau. Le contexte d’appréciation de cetrafic étant prioritairement la relation entre zones d’ha-bitation et zones d’emplois. Mais dans la réalité, l’ensemble des réseaux agit rétro-activement sur le choix des populations et desemplois. On veut bien aller s’installer en deuxièmecouronne si on est relié à un fuseau d’accessibilité

MAGAZINE > LE DEHORS DE L’ARCHITECTURE

Après la DAO, on pourrait dire quenous inventons laCCAO : « conceptionde cité assistée par ordinateur » !

Accessibilité aux emplois :une productivité centrale 40 % supérieure

> Étude d’un réseau souterrainpermettant de relier entre eux les principaux sites parisiens(gares, aéroports, pôleséconomiques) en se connectantau réseau urbain traditionnel (1988).

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territoires aux dessertes moins denses, il y aurait uneperte d’accessibilité et donc d’efficacité économique. ÀParis, on subirait une perte du coût du mètre carré etun effet de ségrégation : les pauvres sortiraient de lacapitale et les riches seraient tentés d’y revenir. C’est « lacentrifugeuse à pauvres » ! Les communes les plus désta-bilisées seraient celles de la première couronne, situéesdu mauvais côté de la frontière.

D’A : QUEL EST L’APPORT PRINCIPAL DE CE LOGICIEL ?

JD : Pirandello® sert à modéliser du bien-être et duPIB ! Ce sont les deux facettes de l’économie territo-riale. Combien pèse l’Île-de-France ? Le parc immobi-lier coûte plus de 1 300 milliards d’euros par an. Enajoutant les 700 milliards de réseaux et de bureaux, lavaleur totale atteint les 2 000 milliards d’euros. C’esttrès peu par rapport au PIB généré : 500 milliards paran. À quoi on peut ajouter du confort et de l’accessi-bilité, d’une valeur de 200 milliards d’euros. Donc larentabilité de la région est de 700 milliards d’euros paran, ce qui donne 30 % de rapport ! Soit on considèreque cela suffit et on part s’occuper des autres régions ;soit on bichonne son champion parce qu’il est le seulà pouvoir faire progresser l’ensemble. Pour le moment,l’Île-de-France est en perte de vitesse : moins de 1 mil-liard d’euros d’investissements par an, contre 5 mil-liards à Madrid par exemple. Or la qualité de la vie dedemain dépend davantage des investissements que dela réduction de la dette.

D’A : VOUS INVENTEZ UN NOUVEAU MÉTIER ?

JD : Dans la répartition entre urbanistes, économistesou architectes, il y avait une zone inconnue : l’urba-nisme de la grande échelle, qui superpose tous cesmétiers. Nous ne nous substituons donc à personne,nous proposons un outil d’aide à la décision, afind’éviter de grossières erreurs. Ce nouveau métier, c’est l’analyse des impacts futurs de l’aménagement de la grande échelle.

D’A : N’EST-CE PAS LE RÔLE DU COMMISSARIAT AU PLAN ?

JD : Nous avons identifié un besoin nouveau. On nousdemandait souvent, à propos de l’A86, quelles seraientses conséquences à long terme sur l’urbanisme. Commenous avons une culture de service et que nous sommesà l’écoute des élus, cette proximité du terrain nous amobilisés pour proposer un outil. Pirandello®, c’est ladescription la plus simple de la ville (par ailleurs d’unegrande complexité mathématique), qui soit en mêmetemps réaliste. Avec ces cartes dynamiques, nous cher-chons d’une certaine manière à produire une maquetteà échelle 1/1, comme dans la nouvelle de Borges. Nouspartons de la ville réelle pour chercher la ville idéale,c’est-à-dire la plus agréable.

D’A : À QUEL MOMENT EN DISCUTEZ-VOUS AVEC LES URBANISTES ET LES

ARCHITECTES ?

JD : Nous sommes au début d’un processus. Noussouhaitons que les architectes, notamment, s’appro-prient le concept. Nous ne souhaitons pas commer-cialiser le logiciel, nous avons créé un bureau d’étudespour l’exploiter comme prestataires de service. Il nes’agit pas d’un outil technocratique mais d’apporterune philosophie particulière de la ville comme équi-libre, à partir d’une approche systémique. Ce principen’empêche pas du tout les architectes d’être hyper-créatifs, d’inventer des scénarios d’aménagementlocaux, mais cela permet de fixer un cadre simple danslequel les décisions sont mesurées. Après la DAO, onpourrait dire que nous inventons la CCAO : « concep-tion de cité assistée par ordinateur » !

D’A : MAIS VOUS ÊTES UNE GRANDE ENTREPRISE PRIVÉE, ALORS QUE LES

ENJEUX SONT PUBLICS EN APPLICATION !

JD : C’est effectivement une manière de réguler lesdéveloppements privés de l’urbanisme. Nous sommespartis d’un problème technique à propos du bouclagede l’A86, et c’est ensuite que nous avons compris sonpotentiel, en travaillant avec des universitaires de Paris-

Est, à qui nous devons beaucoup pour une élaborationplus précise et élargie de nos critères (prise en comptedes HLM, du standing, du budget voiture…). Jusque-là,nous avions travaillé sur de grands projets de tunnelssous Paris, qui n’aboutissaient pas. Peut-être parce queles problèmes de transport ennuient tout le monde,qu’ils apparaissent comme des aspects techniques parti-culiers, tandis qu’une approche urbaine intéresse tout lemonde. Donc Pirandello®, c’est la pierre philosophale,qui transmute du transport en urbanisme !

D’A : COMMENT INTÉGREZ-VOUS L’EXTINCTION PROGRAMMÉE DU PÉTROLE ET

LES SCÉNARIOS POLITIQUES PRÉVOYANT LA FIN DE LA VOITURE ?

JD : Nous savons modéliser ces enjeux, calculer l’impactenvironnemental de différentes solutions d’aménage-ment par exemple. Le modèle n’est pas limité par lesmodalités de transport, ni par les évolutions des priori-tés. Mais la variable pétrole est mineure par rapport autemps de transport. Aller chercher son pain en voiture,c’est bien sûr une idiotie, mais ceux qui envisagent ladisparition de la voiture ne se rendent pas compte quele désir de déplacement individuel est si fondamentalque des solutions vont être trouvées pour le pérenniser.La fin du moteur à combustion thermique, c’est le pro-blème des constructeurs. Tandis que la véritable défini-tion du transport automobile, ce n’est pas la motorisa-tion mais le contact caoutchouc/bitume. Et ce contactreste prioritaire pour très longtemps encore.

D’A : QUEL ÉQUILIBRE URBAIN PRÉCONISEZ-VOUS ?

JD : Le but, c’est aller vers une ville sans bouchons.Nous avons déjà des solutions, comme le doublementde l’A86 avec un circuit à péage, qui garantirait destemps de transport constants et ouvrirait des possibi-lités d’urbanisation en surface. Une solution coûtanten gros 70 milliards d’euros. À l’échelle du budget del’Île-de-France, cela n’est rien ! Une ville sans bou-chons, c’est aussi une ville qui se donne des objectifsenvironnementaux maîtrisés : le facteur premier de la

pollution, ce sont les bouchons. Donc, soit on les laissese développer : c’est en gros l’option prise par le Sdrifqui, en se disant préoccupé d’environnement, aban-donne les infrastructures à leur sort. Soit on appliquedes solutions qui répondent aux besoins et aux désirs(car il y a un fort consentement à payer). La premièregrande métropole qui affichera des performances de transports sans bouchons possédera un avantageénorme. Au lieu de cela, le Sdrif actuel, c’est la « chro-nique d’un bouchon annoncée »… La question quenous nous posons est simple : pourquoi la France a-t-elle renoncé à sa culture de l’investissement ? Lestemps de crise que nous traversons sont ceux deschoix. Pirandello® tombe à pic ! �

MAGAZINE > LE DEHORS DE L’ARCHITECTURE

Hypothèses : tous lesdéplacements allongés de 5 minutes.Il y a alors une perte d’efficacitééconomique de 25 milliardsd’euros (5 % du PIB régional) et une perte d’« accessibilité » de 5 milliards d’euros.

La perte d’efficacité du transport coûterait cher à la régionLe desserrement probable des populations et des emplois…

Hypothèses : réseau stable,population et emplois+ 20 %, 30 000 logementsde plus par an.Le PIB croît moins vite que la population (- 1,3 %),ainsi que l’accessibilité et le confort domestique.

… se matérialise aussi par une variation des prix de l’immobilier… … et peut être facilement amplifié par des opérations « transport »

> La Défense, une densité de connexions interréseaux exceptionnelle.

Hypothèses : réseau stable,péage cordon autour de Paris(10 euros).

La première grandemétropole qui affichera des performances de transports sansbouchons posséderaun avantage énorme.

©E.

C.

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20 D’ARCHITECTURES 179 - FÉVRIER 09 D’ARCHITECTURES 179 - FÉVRIER 09 21

territoires aux dessertes moins denses, il y aurait uneperte d’accessibilité et donc d’efficacité économique. ÀParis, on subirait une perte du coût du mètre carré etun effet de ségrégation : les pauvres sortiraient de lacapitale et les riches seraient tentés d’y revenir. C’est « lacentrifugeuse à pauvres » ! Les communes les plus désta-bilisées seraient celles de la première couronne, situéesdu mauvais côté de la frontière.

D’A : QUEL EST L’APPORT PRINCIPAL DE CE LOGICIEL ?

JD : Pirandello® sert à modéliser du bien-être et duPIB ! Ce sont les deux facettes de l’économie territo-riale. Combien pèse l’Île-de-France ? Le parc immobi-lier coûte plus de 1 300 milliards d’euros par an. Enajoutant les 700 milliards de réseaux et de bureaux, lavaleur totale atteint les 2 000 milliards d’euros. C’esttrès peu par rapport au PIB généré : 500 milliards paran. À quoi on peut ajouter du confort et de l’accessi-bilité, d’une valeur de 200 milliards d’euros. Donc larentabilité de la région est de 700 milliards d’euros paran, ce qui donne 30 % de rapport ! Soit on considèreque cela suffit et on part s’occuper des autres régions ;soit on bichonne son champion parce qu’il est le seulà pouvoir faire progresser l’ensemble. Pour le moment,l’Île-de-France est en perte de vitesse : moins de 1 mil-liard d’euros d’investissements par an, contre 5 mil-liards à Madrid par exemple. Or la qualité de la vie dedemain dépend davantage des investissements que dela réduction de la dette.

D’A : VOUS INVENTEZ UN NOUVEAU MÉTIER ?

JD : Dans la répartition entre urbanistes, économistesou architectes, il y avait une zone inconnue : l’urba-nisme de la grande échelle, qui superpose tous cesmétiers. Nous ne nous substituons donc à personne,nous proposons un outil d’aide à la décision, afind’éviter de grossières erreurs. Ce nouveau métier, c’est l’analyse des impacts futurs de l’aménagement de la grande échelle.

D’A : N’EST-CE PAS LE RÔLE DU COMMISSARIAT AU PLAN ?

JD : Nous avons identifié un besoin nouveau. On nousdemandait souvent, à propos de l’A86, quelles seraientses conséquences à long terme sur l’urbanisme. Commenous avons une culture de service et que nous sommesà l’écoute des élus, cette proximité du terrain nous amobilisés pour proposer un outil. Pirandello®, c’est ladescription la plus simple de la ville (par ailleurs d’unegrande complexité mathématique), qui soit en mêmetemps réaliste. Avec ces cartes dynamiques, nous cher-chons d’une certaine manière à produire une maquetteà échelle 1/1, comme dans la nouvelle de Borges. Nouspartons de la ville réelle pour chercher la ville idéale,c’est-à-dire la plus agréable.

D’A : À QUEL MOMENT EN DISCUTEZ-VOUS AVEC LES URBANISTES ET LES

ARCHITECTES ?

JD : Nous sommes au début d’un processus. Noussouhaitons que les architectes, notamment, s’appro-prient le concept. Nous ne souhaitons pas commer-cialiser le logiciel, nous avons créé un bureau d’étudespour l’exploiter comme prestataires de service. Il nes’agit pas d’un outil technocratique mais d’apporterune philosophie particulière de la ville comme équi-libre, à partir d’une approche systémique. Ce principen’empêche pas du tout les architectes d’être hyper-créatifs, d’inventer des scénarios d’aménagementlocaux, mais cela permet de fixer un cadre simple danslequel les décisions sont mesurées. Après la DAO, onpourrait dire que nous inventons la CCAO : « concep-tion de cité assistée par ordinateur » !

D’A : MAIS VOUS ÊTES UNE GRANDE ENTREPRISE PRIVÉE, ALORS QUE LES

ENJEUX SONT PUBLICS EN APPLICATION !

JD : C’est effectivement une manière de réguler lesdéveloppements privés de l’urbanisme. Nous sommespartis d’un problème technique à propos du bouclagede l’A86, et c’est ensuite que nous avons compris sonpotentiel, en travaillant avec des universitaires de Paris-

Est, à qui nous devons beaucoup pour une élaborationplus précise et élargie de nos critères (prise en comptedes HLM, du standing, du budget voiture…). Jusque-là,nous avions travaillé sur de grands projets de tunnelssous Paris, qui n’aboutissaient pas. Peut-être parce queles problèmes de transport ennuient tout le monde,qu’ils apparaissent comme des aspects techniques parti-culiers, tandis qu’une approche urbaine intéresse tout lemonde. Donc Pirandello®, c’est la pierre philosophale,qui transmute du transport en urbanisme !

D’A : COMMENT INTÉGREZ-VOUS L’EXTINCTION PROGRAMMÉE DU PÉTROLE ET

LES SCÉNARIOS POLITIQUES PRÉVOYANT LA FIN DE LA VOITURE ?

JD : Nous savons modéliser ces enjeux, calculer l’impactenvironnemental de différentes solutions d’aménage-ment par exemple. Le modèle n’est pas limité par lesmodalités de transport, ni par les évolutions des priori-tés. Mais la variable pétrole est mineure par rapport autemps de transport. Aller chercher son pain en voiture,c’est bien sûr une idiotie, mais ceux qui envisagent ladisparition de la voiture ne se rendent pas compte quele désir de déplacement individuel est si fondamentalque des solutions vont être trouvées pour le pérenniser.La fin du moteur à combustion thermique, c’est le pro-blème des constructeurs. Tandis que la véritable défini-tion du transport automobile, ce n’est pas la motorisa-tion mais le contact caoutchouc/bitume. Et ce contactreste prioritaire pour très longtemps encore.

D’A : QUEL ÉQUILIBRE URBAIN PRÉCONISEZ-VOUS ?

JD : Le but, c’est aller vers une ville sans bouchons.Nous avons déjà des solutions, comme le doublementde l’A86 avec un circuit à péage, qui garantirait destemps de transport constants et ouvrirait des possibi-lités d’urbanisation en surface. Une solution coûtanten gros 70 milliards d’euros. À l’échelle du budget del’Île-de-France, cela n’est rien ! Une ville sans bou-chons, c’est aussi une ville qui se donne des objectifsenvironnementaux maîtrisés : le facteur premier de la

pollution, ce sont les bouchons. Donc, soit on les laissese développer : c’est en gros l’option prise par le Sdrifqui, en se disant préoccupé d’environnement, aban-donne les infrastructures à leur sort. Soit on appliquedes solutions qui répondent aux besoins et aux désirs(car il y a un fort consentement à payer). La premièregrande métropole qui affichera des performances de transports sans bouchons possédera un avantageénorme. Au lieu de cela, le Sdrif actuel, c’est la « chro-nique d’un bouchon annoncée »… La question quenous nous posons est simple : pourquoi la France a-t-elle renoncé à sa culture de l’investissement ? Lestemps de crise que nous traversons sont ceux deschoix. Pirandello® tombe à pic ! �

MAGAZINE > LE DEHORS DE L’ARCHITECTURE

Hypothèses : tous lesdéplacements allongés de 5 minutes.Il y a alors une perte d’efficacitééconomique de 25 milliardsd’euros (5 % du PIB régional) et une perte d’« accessibilité » de 5 milliards d’euros.

La perte d’efficacité du transport coûterait cher à la régionLe desserrement probable des populations et des emplois…

Hypothèses : réseau stable,population et emplois+ 20 %, 30 000 logementsde plus par an.Le PIB croît moins vite que la population (- 1,3 %),ainsi que l’accessibilité et le confort domestique.

… se matérialise aussi par une variation des prix de l’immobilier… … et peut être facilement amplifié par des opérations « transport »

> La Défense, une densité de connexions interréseaux exceptionnelle.

Hypothèses : réseau stable,péage cordon autour de Paris(10 euros).

La première grandemétropole qui affichera des performances de transports sansbouchons posséderaun avantage énorme.

©E.

C.