[pierre macherey] introduction a l'ethique de spin(bookzz.org)

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  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    1/211

    3

    n7t

    ,1t4?

    telt

    3

    ue

    t

    -),P:-*9-3-,'?-.

    La

    troisime

    partie

    La

    vie affective

    Pierre

    Macherey

    tdilr

    .ffiE4d***ff

    "

    PRESSES

    UNIVERSITAIRES

    DE FRANCE

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    2/211

    Pow

    une thorie

    ile

    la

    production

    littraire,

    Maspero,

    coll.

    (certas proprietates

    habent

    cognitione nostra aeque dignas ac

    pro-

    prietates

    cujuscunque

    alterius

    rei

    cujus

    sola

    contemplatione

    delectamur)1

    .

    L'horreur

    que

    nous inspirent

    ordinairement

    ces dbordements

    affectifi

    se

    retourne

    alors

    en une

    vritable

    ;

    celle-ci

    correspond

    la

    joie

    de

    comprendre,

    qui

    est

    un affect entre tous

    1.

    Ce

    passage

    de la prface

    t de

    Afeetibus

    est

    donn

    la

    rfrence

    la

    fin

    du sco-

    lie

    de la

    proposition

    57

    du de

    Seruitute,

    qui traite

    de

    la

    prtention

    et de la

    bassesse, dans

    les termes suivants

    :

    (et

    sane

    humani afectus,

    si

    non

    humanae,

    naturae

    sahem

    potentiam et

    artficium

    non minus

    indieant quam muha alia

    quae admiramur

    quoruffique contemplatione deleetamur).

    Les affects humains

    sont des

    tmoignages

    irrem-

    plaables de la richesse

    d'invention

    de la nature,

    qui

    est

    inpuisable : et

    si

    on

    les

    voit

    ainsi,

    il

    y

    a

    davantage

    en

    rire

    qu'

    en

    pleurer.

    13

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    7/211

    Introduction

    lT,thique :

    la uie

    ffietiue

    cits : or,

    expliquera

    alors Spinoze,

    c'est

    prcisment

    dans

    la

    mesure

    o

    ils

    sont

    ainsi drangs

    que

    les

    hommes se

    gnent aussi

    rciproque-

    ment entre

    eux, chacun

    projetant sur autrui

    les

    restrictions

    imposes

    ses

    propres comportements

    par des

    causes

    extrieures

    qui f influencent,

    et mme

    le manipulent,

    sans

    qu'il puisse en

    tre

    rendu rellement

    res-

    ponsable.

    (quatenus)

    qu'ils

    sont

    mentalement a{fligs

    de

    ce

    type

    d'affects

    que

    sont

    les

    passions, on

    peut dire

    que les

    hommes

    sont

    alins,

    en

    mme temps

    qu'ils s'alinent

    mutuellement

    les

    uns les

    autres

    : mais I'emploi

    du terme

    quatenus,

    qui

    joue

    un

    rle cl dans

    l'en-

    semble

    de

    la thorie

    de

    I'affectivit,

    relativise

    la

    porte de cette

    affir-

    mation,

    prcisment

    parce

    qu'il permet de

    dnouer

    I'identication

    spontane

    des

    a{fects et des

    passions. C'est

    seulement dans

    la mesure

    o

    I'affect

    prend

    la

    forme

    de

    la passion, c'est--dire

    d'un sentiment

    passivement subi,

    qu'il

    produit sur

    I'existence

    humaine

    des effets

    dom-

    mageables,

    non pas utiles

    mais

    nuisibles.

    Mais, s'il

    cesse

    d'tre

    une pas-

    sion1,

    I'affect accde

    un

    tout autre

    statut

    et,

    au

    lieu de

    reprsenter la

    forme

    par

    excellence

    de la servitude

    de

    I'homrne,

    il

    devient

    I'instru-

    ment privilgi

    de

    sa

    [bration.

    ORGANISATION

    DE LA VIE

    AFFECTIVE

    L'aspect

    le

    plus manifeste

    de

    la vie

    affective

    -

    's51

    celui

    qui

    est

    soulign

    dans

    les interminables

    discours

    que les moralistes

    ont

    consa-

    crs

    I'inconstence

    humaine

    -,

    c'est

    son

    instabilit et

    sa

    variabilit.

    En

    entreprenant

    l'tude

    de cet

    aspect trs

    particulier

    de

    la ralit

    men-

    tale,

    Spinoza

    se

    confronte

    un monde

    d'infinies

    nuances,

    o

    jouent

    des

    proportions

    que leur finesse

    rend

    premire

    vue imperceptibles

    et

    insaisissables.

    Comment

    la rigueur

    des

    procdures

    rationnelles,

    imites

    des

    gomtres,

    qui ramnent tout

    des

    questions

    de lignes et

    de

    plans,

    1.

    Selon

    la

    formule

    dj voque

    qui

    se

    trouve

    dans

    E, V,

    prop. 3.

    Sujet et

    composition

    du

    de

    Afectibus

    UN

    POINT

    DE VUE RATIONNEL

    SUR

    L'AFFECTIVITE

    (titre

    et

    prface du

    de

    Affectibus)

    Sous

    le titre

    >

    (de

    natura

    et

    ori-

    gine

    mentis),

    la

    seconde

    pertie de

    l'Ethique

    est consacre

    l'tude des

    conditions

    de fonctionnement

    du

    rgime mentall

    considr en

    gnral,

    sans

    rfrence

    explicite,

    au

    moins

    au dpart,

    la nature

    spcifique

    de

    I'homme,

    en tent

    que ce

    rgime

    mental

    est

    objectivement

    dtermin

    par

    les

    lois qui dfinissent

    I'ordre de

    ralit propre

    la

    (res

    cogitans)

    en gnral.

    La troisime

    partie

    de

    l'-Ethique,

    qui

    est

    intitule

    tant compltement

    dtermine

    en

    elle-mme

    par ses conditions

    spci-

    tques telles

    qu'elles

    lui

    sont

    fixes

    par son

    (origo) qui

    assigne

    son

    fonc-

    tionnement

    des bases

    objectives.

    L'affectivit,

    comme toutes

    les autres

    formes

    d'acti-

    vit

    mentale, s'explique

    per

    ses

    causes,

    c'est--dire

    par

    les

    rgles

    qui

    dtnissent

    sa

    puissance,

    en

    repport

    avec

    la

    puissance

    globale

    de

    la nature

    dont

    elle

    constitue

    une

    expression

    particulire.

    22

    '{F

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    8/211

    Introduction

    lEthique

    : la uie afectiue

    rence

    au

    contexte spcial de

    I'existence

    humaine :

    y

    sont exposs

    les

    caractres

    corununs

    de

    I'affectivit, constamment

    rapports non

    des

    sujets

    personnels mais

    des

    (res),

    en

    tant que

    ceux-ci

    concer-

    nent,

    sinon tous

    les ues, du

    moins

    toutes

    les formes

    individues de

    I'existence, c'est--dire

    l'ensemble

    des

    vivants. Sont

    ainsi dgages

    des

    lois

    qui,

    sans

    doute, s'appliquent afortiori

    la

    nature

    humaine

    -

    on

    peut

    mme

    estimer

    que,

    dans

    le

    contexte

    propre

    une thique, c'est

    ce cas

    qui

    retient particulirement

    l'attention de

    Spinoza

    -,

    mais

    ne sont pas

    extraites

    de la considration exclusive

    d'une essence

    humaine

    traite

    compltement

    pert,

    comme

    si elle se trouvait

    elle-mme au

    centre

    d'un ordre de

    ralit

    autonomel.

    Cette orientation thorique

    relve manifestement

    d'un choix dli-

    br,

    par

    lequel

    Spinoza

    se

    place

    d'emble

    en rupture

    par

    rapport

    toute

    une

    tradition. C'est ce

    qui

    est indiqu dans

    les

    premires

    phrases de

    la

    prface

    qui

    suit

    immdiatement l'nonc du

    titre du de

    Afectibus

    :

    (nam

    hominem

    natufae

    ordinem

    magis

    perturbarc

    qudm sequi...

    uedunt).

    L'emploi

    du

    verbe credere

    a

    ici

    une

    valeur

    trs

    forte :

    il signale

    le

    it

    que cette

    opinion

    a un

    caractre

    extra-

    vegant,qui

    la

    soumet

    compltement

    le

    loi

    de

    I'imagination,

    et

    la

    situe

    l'oppos

    d'une

    vritable

    connaissance.

    L'inconsistance

    de cette

    croyance

    est

    signale

    par le

    fait

    qu'elle

    dbouche

    sur

    des

    consquences

    contradictoires

    : en

    effet

    elle

    installe l'homme

    dans

    une

    position

    qui

    se

    situe

    simultanment

    en

    excs

    et

    en

    dfaut

    par repport

    la

    nature

    des

    choses.

    En excs,

    puisqu'il

    est ainsi

    dot de

    pouvoin

    extraordinaires

    en

    vertu

    desquels,

    croit-on,

    u

    il

    a

    lui-mme

    une

    puissance

    absolue

    sur

    ses

    actions

    et

    n'est dtermin

    par

    rien d'autre

    que

    per soi-mme

    >

    (ipsum

    in

    suas

    actiones

    absolutam

    habere

    potentiam

    nec

    aliunde

    quafn

    4 se

    Qtso

    detetmi'

    1.

    La formule

    tunquaffi

    imperium

    in impeio,

    qui exprime

    de

    manire

    extrmement

    frappante

    I'anti-humanisme

    tlrorique

    de Spinoza,

    son

    refus

    de

    reconnatre

    I'ordre

    no-;"

    une ralit

    spare

    soumise

    ses

    propres

    lois

    par lesquelles

    il serait

    soustrait

    l'ordre

    commun

    de

    la

    nature, comme si

    la

    >

    (in

    suas actiones

    absolutam

    habere

    potentiam)

    et de fonder l-dessus

    une

    rgle

    de

    vie.

    En faisant

    de

    I'homme

    un

    tre

    d'exception,

    on se condamne

    clbrer

    sa

    grandeur

    en tournant

    en drision sa misre,

    et

    rciproque-

    ment

    : et cette trange combinaison

    d'exdtation

    et

    de dpression, qui

    fait le fond

    de

    la sagesse

    de

    presque

    tous les moralistes, illustrerait

    assez

    1. Etant

    donn

    que

    Spinoza

    tourne le plus

    souvent ses

    critiques

    l'encontre

    des

    philosophes,

    des thologiens

    ou des moralistes

    en gnral,

    sans dsigner ceux-ci plus

    prcisment,

    cette rfrence

    explicite

    prend

    un reliefparticulier

    : elle signale

    d'emble

    que I'argumentation

    dveloppe

    dans le de

    Afectibus,

    o Spinoza reprend le pro-

    granrme

    que

    Descartes s'tait

    tx dans

    son

    trait

    sur Its

    passions

    ile l'me,

    se trouve

    dans un repport

    de

    dialogue

    et

    de

    contestation

    vis--vis de cet

    ouvrage,

    dans les

    marges

    duquel

    cette

    partie

    del'Ethique

    est

    en

    quelque

    sorte crite.

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    10/211

    Introduction

    /Ethique

    : la uie afectiue

    bien

    le

    phnomne

    du

    >

    (fluctuatio

    animi)

    qui,

    nous le

    verrons

    plus

    tard,

    est

    une

    constante

    de

    notre vie

    affectivel.

    Spinoza se

    propose de

    briser ce

    cercle,

    et de

    faire ce

    que

    personne

    n'avait fait avant

    lui,

    savoir

    (more

    geomettico

    tractae

    et certa ratione

    demonstrare

    ea

    quae

    rationi

    requgnare...

    clamitant)

    .

    Le

    projet d'un

    traitement

    scientifique

    des

    problmes de

    l'affectivit

    suppose

    une

    mise

    distance

    de

    ceux-ci

    qui

    permette de

    porter sur

    eux

    un

    regard

    dsengag

    :

    mais

    pour y

    parvenir

    il

    faut s'tre

    soi-mme

    libr

    de la

    force alinante

    exerce

    par les affects

    et

    en

    matriser

    le

    fonctionnement.

    Dns cette troisime partie del'Ethique plus que

    nulle

    part ailleurs,

    il

    apparat

    quel

    point

    l'entreprise

    d'une

    mle des

    enjeux thoriques

    et

    des

    enjeux

    pratiques :

    car

    colment

    evoir

    le contrle

    de

    la vie

    affective

    si on

    n'en comprend

    pas la nature?

    Mais

    aussi,

    rciproquement,

    com-

    ment comprendre

    sa

    neture

    si on

    n'exerce

    pas dj

    sur elle un

    certain

    contrle

    ?

    Pour

    parvenir

    une

    certaine

    clart

    sur ces

    questions

    entre

    toutes

    difficiles,

    il faut les aborder

    avec srnit2,

    et

    pour

    cela

    il

    faut

    savoir

    prendre ses

    responsabilits,

    en

    faisant un

    pari raisonnable

    sur

    les

    conditions

    ncessaires

    leur

    rsolution.

    >

    (mea

    haec

    est

    ratio),

    dclate

    Spi-

    oza,

    et

    on

    serait presque

    tent

    de

    traduire

    :

    telle

    est

    mon

    hypothse

    de

    1. Ce

    phnomne

    sera caractris

    par

    Spinoza

    dans le

    scolie de

    la proposition

    17

    (E

    IID.

    2.

    Lr

    (acquiescentia) est elle-mme

    un

    affect.

    Mais c'est

    typiquement

    ce

    que

    Spinoza

    appellera

    plus tard

    un affect

    actif,,

    dont

    l'me

    est la

    cause adquete

    : c'est

    pourquoi

    il sera

    au centre

    du

    projet de libration

    dvelopp

    dans

    la cinquime

    partie

    de l'Ethique.

    Sujet

    et composition

    dz

    de A{fectibus

    dpart. Cette

    hypothse

    consiste affirmer

    la

    complte

    intgration de

    I'affectivit

    l'ordre

    counun des choses

    puisqu'elle

    est

    ncessairement

    soumise

    ses lois, comme

    tous

    les

    autres

    phnomnes de

    la

    nature. Ce

    rype

    de

    manifestation

    de

    notre

    rgime mental,

    qui, en

    raison

    de

    son

    ins-

    tabilit et de

    la

    peur

    instinctive

    qu'il

    dclenche

    chez ceux

    qui

    tentent

    de

    l'apprhender,

    parat le

    plus insaisissable

    de tous,

    n'est

    accessible

    la

    connaissance,

    et susceptible

    d'tre

    effectivement rgul,

    que

    s'il

    est ainsi

    ddramatis

    et en

    quelque sorte dsenchant.

    Or,

    au

    point o Spinoza

    est

    parvenu de son

    raisonnement

    dans

    le dveloppement

    d'ensemble

    de

    l'Ethique,les

    bases thoriques

    de

    cette

    entreprise

    sont dj

    runies

    : le

    de

    Deo a tabh dans

    son universalit,

    et selon ses

    trois dimensions

    ontolo-

    gqr., logique et

    physique, le principe de

    causalit

    qui

    doit

    s'appliquer

    tous les domaines

    de la

    ralit sans exception.

    De

    ces

    explications

    prala-

    bles

    qui

    ont

    dj

    t donnes

    de

    manire complte

    par voie de dmons-

    tration,

    il

    rsulte

    que

    (nihil

    in

    naturafit

    quod ipsius vitio

    possit tibui)

    ,

    ce

    qui

    est

    une autre

    manire

    de

    dire

    que

    Par

    ralit

    et

    perGction

    il

    faut

    entendre une

    seule et

    mme choset. Remettre

    ce

    principe

    en doute,

    ainsi

    que le font

    justement

    les

    moralistes en

    vue d'opposer

    ce

    qui

    doit

    tre

    ce

    qui

    est

    donn

    dans

    la ralit en vernl

    du dterminisme

    inteme

    de

    son

    organisation,

    c'est renoncer

    avoir

    une

    vue cohrente

    sur

    les

    choses

    en

    refusant de

    reconnatre que

    (

    les

    lois

    et

    rgles

    de

    la

    nature,

    selon

    lesquelles

    toutes choses se

    font et changent

    leurs

    formes

    les

    unes

    dans

    les autres,

    sont

    partout

    et

    toujours

    les mmes

    >

    (naturae

    leges et regulae

    secundum

    quas

    omniafunt

    et

    ex

    unisformis in

    alias mutantur sunt

    ubique

    et semper

    eaedem)2'

    1.

    Selon

    l'nonc

    de

    la

    dfinition

    6,

    au

    dbut

    dt

    ile Mente

    .

    2.

    I1

    est

    remarquer

    que dans cette caractrisation

    de

    I'ordre

    naturel

    en

    tant qu'il

    est soumis

    des lois rgulires,

    Spinoza,

    bien

    loin

    de s'installer

    dans une

    perspective

    statique

    et

    Iige, a

    pris

    soin

    de souligner

    les caractres

    dynamiques

    de ce

    dterminisme

    qui

    donne

    ses bases

    au

    processus selon

    lequel les choses

    (fiunt)

    et

    (una eademque

    etiam

    debet

    esse

    ratio

    rerum qualicunque

    naturam intelligendi,

    nempe

    per

    leges

    et regulas naturae universales).

    Ceci est

    la

    seule

    manire correcte

    de

    voir

    les choses : et c'est

    prcisment en reconnaissent

    que la

    nature

    suit

    des

    lois qui expriment

    le

    caractre

    substantiel

    de son

    organisation,

    dont

    toutes

    les choses sans exception,

    y

    comPris bien

    sr I'homme

    et

    ses

    conduites,

    sont

    des

    expressions ou

    des

    rdisations,

    que I'on

    peut

    esprer

    parvenir, en

    prenant

    appui

    sur

    la

    connissance

    des

    lois universelles

    qui

    les

    dirigent,

    en

    rguler

    les processus,

    en cartant

    de

    ceux-ci tout

    risque

    de

    dsordre,

    celui-ci

    ne

    pouvant

    de

    toute

    faon

    tre

    que momentan

    et par-

    ticulier.

    Ceci

    revient traiter

    les

    affects,

    tous

    les affects

    sans exception,

    comme

    des

    choses,

    mme

    si

    ces choses

    arrivent

    des

    choses

    qui

    se

    figurent

    tre des sujets

    libres

    et

    matres d'eux-mmes,

    selon

    la fiction

    reprise

    et

    amplifie

    par

    les grands discours des sages

    moralistes.

    >

    (natu'

    rae

    virtus),

    eu

    sens

    de

    sa

    puissance

    qui

    tmoigne de

    sa

    ncessaire

    per-

    fectionl.

    Comment

    s'effectue

    ce

    retournement

    des

    vices

    en

    vertus ?

    Par le

    fait

    que

    les aflects en

    question

    sont

    (

    considrs

    en eux-

    1. La

    figure

    de style utilise

    ici est

    celle de

    I'orymore

    qui allie en

    une

    formule

    unique des notations

    opposes

    et

    apperemment exclusives

    : cette

    figure revient

    assez

    souvent

    sous

    la plume de Spinoza.

    Introduction

    l' Ethique

    de Spinoza

    t2

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    12/211

    Introiluction

    /Ethique

    :

    la

    vie

    ffietiue

    acti{

    dont

    le

    dploiement restitue

    l'me

    la pleine

    envergure de

    sa

    puissancel

    :

    nous

    les affects

    comme s'il s'agissait de

    choses

    qui ne nous

    concement

    pas directement,

    et,

    ayant

    ainsi

    dcouvert leur

    origine et

    leur

    nature, nous

    les

    voyons

    sous

    un

    tout

    nouveau

    jour,

    dans une

    perspective non

    plus

    dplaisante mais

    rassu-

    rante,

    ou

    pour

    le

    moins

    intressante.

    On

    le voit,

    la

    connaissance de

    I'affectivit

    demeure

    jusqu'au

    bout

    marque

    affectivement,

    mais, ds

    lors qu'elle

    se

    dveloppe

    cornme une connaissance

    authentique, c'est

    sous la forme d'une affectivit

    matrise n'ayant plus rien

    voir

    avec

    les

    lans spontans

    qui

    ordinairement

    nous alinent

    et,

    en

    thorie

    conune

    en

    pratique, font obstacle la

    matrise de

    leun mani-

    festations.

    Mme si

    les

    manifesttions de

    l'affectivit prsentent

    un

    certain

    nombre de caractres

    perticuliers,

    auxquels

    il faut

    consacrer une tude

    spcifique,

    il

    n'y

    a pas lieu nanmoins de leur

    faire

    un sort

    part

    et de

    les considrer elles-mmes tdnquam impeium

    in

    imperio, c'est--dire

    colnme

    si

    elles

    relevaient d'autres

    rgles

    que

    celles

    qui dirigent le

    cours

    ordinaire

    des

    choses ou cornme si

    elles avaient

    le pouvoir extre-

    ordinaire de boulevener

    celui-ci.

    C'est

    pourquoi,

    explique

    Spinoza

    dans

    les demires lignes de la

    prface du

    de

    Afectias,

    >

    (de

    origine et

    ndtura

    afectuum).

    DES

    PASSIONS

    AUX

    AFFECTS

    Or

    l'orientation thorique de

    cette

    dmarche est d'emble

    engage

    par un

    choix

    terminologique

    dont

    les enjeux

    sont

    cruciaux

    : en

    rete-

    nant,

    pour

    dsigner

    le

    domaine

    d'investigation

    auquel

    est consacre la

    troisime

    partie

    de

    l'Ethique,le terme

    (afectus)2, qui

    apparat

    dans

    son titre, et

    y revient

    ensuite

    cent-soixante-dix

    reprises, Spinoza

    a

    manifestement

    voulu signder la ncessit

    du

    dplacement

    thorique

    justifi

    ensuite

    dans

    la

    prface.

    En

    effet de

    quoi

    parlent

    surtout

    les

    moralistes

    qui

    prtendent

    faire de I'homme un tre

    part,

    merveilleux

    1.

    Dans

    le

    scolie de la

    proposition

    57

    du

    ile Seruitute,

    o

    il

    est

    fait

    expressment

    rlrence

    la

    prface d,t de Afectibus, Spinoza

    explique

    propos

    des consquences

    de

    la

    bassesse

    :

    (passio),

    s'il n'est

    pas

    tout

    fait

    can par

    Spinoza

    de

    I'expos

    da de

    Afectibus,

    n'y

    revient

    que

    dix-huit

    fois, soit

    prs

    de

    dix

    fois moins que

    le

    terme.

    ,

    vis--vis duquel son importance est ainsi

    relativise.

    Parler

    d'affects,

    plutt que,

    ainsi

    que

    le

    font ordinairement ceux

    qui

    traitent

    de ces

    questions,

    de

    passions,

    c'est en

    quelque sorte mdi-

    caliser

    le

    point

    de

    vue qu'on porte

    sur

    ce secteur

    entre tous

    sensible

    de

    I'existence humaine, de manire mieux en contrler

    les alas en

    dterminant

    les

    causes dont il dpend

    ncessairement, en dehors de

    toute

    perspective

    de

    responsabilit et

    de

    fautel

    :

    le

    terme

    dsigne

    ainsi de manire objective

    et neutre, avec la

    prcision

    d'un

    regard clinique, un tat ou une disposition de

    l'me, ds lon

    que celle-

    ci est

    de telle

    ou

    telle

    on

    et ainsi oriente

    vers tel ou tel

    type

    de

    proccupation,

    et

    rien

    de

    plus.

    Sans

    doute

    nous

    verrons

    que

    les

    1. En

    entreprenant d'analyser

    rationnellement

    Les passions ile l'me, Descartes

    s'tait lui aussi engag dans cette voie d'une mdicalisation

    du problme

    des

    passions,

    mais

    sans

    renoncer pourtant

    une

    penpective

    moralisante, appuye

    au

    point

    de

    vue

    de

    Spinoza

    sur une

    fausse

    ide de la

    volont et

    de

    ses

    pouvoin

    : c'est

    prcisment

    cette quivoque que

    Spinoza

    cherche chapper en substituant une tude

    objective

    des

    ,

    que

    ceux-ci soient

    ou non

    humains,

    celle

    des

    passions.

    Sujet et

    composition du

    de Affectibus

    mcanismes

    de

    l'affectivit

    le plus

    souvent nous

    alinent,

    et

    nous plon-

    gent

    dans un

    tat d'impuissance,

    qui

    est incontestablement

    nuisible

    :

    mais

    ces

    drglements,

    qui

    appellent

    un

    contrle

    appropri,

    sont

    des

    maux

    de l'me

    au sens

    o nous

    parlons par

    ailleurs des maladies

    du

    colps, comme

    de choses qui

    arrivent au

    colps

    sans

    qu'elles

    soient

    issues

    de sa

    nature

    propre

    puisqu'elles

    en

    constituent

    des

    altrations acciden-

    telles

    qui

    ttaquent

    cette nature de

    I'extrieur1.

    Et

    le jugement

    de

    valeur

    auquel sont

    exposes les

    conduites

    affectives,

    dans la mesure

    o

    elles peuvent

    restreindre

    notre puissance

    d'agir,

    n'a

    en consquence

    rien

    voir

    avec

    une condamnation

    morale,

    du

    type de celle

    dont

    se

    voit

    rituellement

    gratifi

    le

    triste

    jeu

    des passions

    humaines

    avec leur

    coftge

    de catastrophes, prsentes

    alors

    cornme

    des

    punitions

    mri-

    tes

    :

    comme

    si

    jamais

    aucune

    chose

    pouvait

    mriter les

    maux

    aux-

    quels

    elle

    est en proie, pour

    autent que

    ces

    mux

    remettent

    en

    ceuse sa

    propre

    constitution

    L'expos

    que

    Spinoza

    consacre aux

    problmes

    gnraux

    de

    I'affec-

    tivit

    va

    donc se

    drouler en

    dosant soigneusement

    les rfrences

    aux

    (passio

    seu

    ffictus)2,

    il

    veut

    donc dire

    que

    toutes

    les passions

    de

    l'me,

    en tant

    qu'elles

    sont,

    u sens propre

    du terme

    ,

    subies par l'me,

    sont

    des affects,

    sns

    que

    la rci-

    proque

    soit

    ncessairement

    vraie.

    C'est prcisment

    parce

    qu'elle

    dbouche

    sur

    cette conclusion

    que

    I'analyse

    scientifique

    de l'affectivit

    1.

    (nulla

    res

    nisi a causa extema

    potest

    destrui)

    : cette thse,

    dveloppe

    dans

    la proposi-

    tion

    4,

    se

    trouve

    au centre

    de toute I'argumentation

    expose

    dans le

    ile Afectibus.

    2.

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    14/211

    Introduction l?thique

    :

    la uie afective

    accde

    finalement une

    porte thique : si

    tous les affects

    ne sont pas

    des passions, c'est--dire, en

    donnent

    ce

    demier

    tenne son

    sens

    propre, des impulsions

    que l'me subit en

    rapport avec

    I'intervention

    de causes extrieures,

    cela

    signifie que

    I'affectivit n'exerce

    pas

    fatale-

    ment

    sur notre

    rgime mental une

    influence

    perturbatrice, dfinirive-

    ment

    trangre

    sa fonction

    positive de comprhension

    rationnelle;

    en

    d'autres termes, sensibilit

    et

    intelligence

    ne

    sont

    pas des facults

    distinctes,

    potentiellement en

    conflit,

    mais

    leurs interventions,

    qui

    procdent

    d'une

    seule

    et

    mme

    source,

    Ia capacit

    qui est en l'me de

    produire

    des

    affections

    purement

    mentales

    qui sont des

    ides

    -

    6'ssg

    justement

    cette

    capacit

    qui

    dnit sa

    nature

    -,

    peuvent

    tre

    harmo-

    nises,

    et

    c'est sur cet effort d'harmonisation

    que

    s'appuiera

    le

    proces-

    sus de

    libration dcrit dans

    la

    cinquime

    paftie

    de

    I'Ethique.

    Aussi

    bien dans

    cette

    demire

    partie

    de

    l'ouwage,

    Spinoza

    commencere

    par

    lucider

    les conditions dans

    lesquelles

    (afectus qui passio

    est desinit

    esse

    passio)t, sans

    perdre

    pour utant

    son

    caractre

    propre d'affect.

    Lorsqu'il arrive

    Spinoza

    d'employer

    le

    terme

    passio, dans le

    cours

    du de

    Afectibus, c'est

    le plus souvent en

    le replaant dans

    la

    filiation

    du

    verbe

    pati

    (subfu,

    prouver,

    au sens

    de supporter),

    lui-

    mme

    insparable

    de

    la

    relation

    polaire

    qui

    I'associe

    au verbe agere

    (agir),

    en

    rapport

    avec I'altemative

    entre

    passivit

    et activit

    qui

    donne son espace thorique

    toute la doctrine

    spinoziste de

    l'affecti-

    vit2 : c'est

    prcisment pour cela

    que le terme

    doit tre

    prfr u tenne

    ,

    en

    raison

    de sa

    porte plus gnrale,

    puisqu'il

    inclut indistinctement tous

    les

    affects

    qui

    se dploient

    entre

    les deux

    ples

    de

    la passivit et de

    I'activit3, c 'est--dire

    aussi bien

    1.

    E,V, prop. 3.

    2.

    Cf.

    E,III, df 2

    :

    ,

    qui

    conclut

    l'expos

    du

    de

    Afectibus,

    Spinoza

    parat revenir

    au

    vocabulaire

    courant

    qu'il

    avait

    cart dessein dans la

    plus grande pertie

    des

    dveloppe-

    ments

    prcdents,

    et il parle

    alon

    de

    (ffictus

    qui

    anini

    pathema dicitur),

    rmule

    reprise

    sous

    la

    forme

    suivante

    dans I'explicarion qui

    accompagne la Dfinition gnrale

    des

    affects :

    (afectus

    seu passio animi).

    Le

    terme

    pathema

    utilis

    dans le

    corps de la

    dfinition,

    qui,

    import du

    grec sans doute par f intermdiaire

    du vocabulaire

    de

    la mdecine,

    est

    d'usage

    assez

    rare

    -

    6's5g en tout

    cas

    son

    unique

    occuffence dens

    toute I'Ethiqu

    -,

    est

    pris

    corrme quivalent du

    terme

    ordinaire

    pas-

    sio,

    qu'il

    contribue

    per

    son

    caractre

    recherch

    mettre

    distance, et

    en quelque

    sorte

    dsubjectiviser.

    Ces

    deux

    termes,

    pathema

    et

    passio,

    sont

    ici

    rapports

    au substantif animus,

    qui

    ne revient

    lui aussi

    qu'assez

    rarement

    densl'Ethiqud, Spinoza lui ayant substitu,

    pour

    des raisons

    analogues

    celles

    qui

    lui

    ont fait

    prfrer

    afectus

    passio,le

    terme

    ffiens,

    qtri

    dsigne avec une froideur

    scientifique

    la rdit propre

    de

    l'ordre

    psychique,

    en

    tant

    que

    celui-ci

    relve

    du systme de lois objec-

    tives

    propres

    la

    chose

    pensante.

    Or

    est-ce

    qu'en

    ramenent

    les affects,

    considrs

    du

    point

    de vue le plus gn&,,

    des

    ,

    affect

    qui va tre

    aussitt caractris

    dans

    la suite de

    la Dfinition

    gnrale des affects

    par

    le fait

    qu'il

    est

    une

    (confusa

    idea), limine du champ de

    la

    dnition tous

    les lments actifs

    de

    I'af-

    fect, qui

    doivent

    correspondre

    au contreire

    la

    production d'ides

    adquates,

    en restreignant cette dfinition

    eux

    cas

    dans

    lesquels I'affect

    prend la forme subie d'une

    passion

    au sens

    propre

    du

    terme. Mais on

    ne voit plus alors ce qui autoriserait

    reconnatre cette

    dnition

    le

    statut

    d'une

    ,

    moins de

    comprendre

    cette

    formule comme un abrg

    dont la forme

    dveloppe

    serait

    la

    suivante

    : dfinition

    gnrale

    des

    affects

    passifi. Les enjeux thoriques

    de

    cette

    discussion sont considrables

    :

    ils

    conduisent

    en

    effet

    se

    demander si

    I'affectivit, envisage dans

    I'ensemble

    de

    ses

    manifesta-

    tions,

    n'est pas

    dfinitivement

    entache de passivit,

    et

    si,

    mme

    dans

    les

    affects

    qui sont acti6,

    ne

    subsiste

    pas

    un

    lment

    passionnel. L'me

    peut-elle

    tre

    compltement active,

    sans

    tre

    du

    tout

    passive, ou bien

    se trouve-t-elle

    en

    pennanence place entre

    les

    deux

    extrmes

    de

    la

    passivit

    et

    de

    I'activit, suivant

    des

    rgimes

    qui la

    font pencher tantt

    du

    ct

    de I'activit tentt de

    celui de

    la

    passivit ?

    Et

    alors

    quels

    sont

    les seuils

    qui

    font basculer

    l'un de ces

    rgimes

    dans

    l'autre ?

    Proposons I'hypothse suivante

    :

    lorsque,

    dans la

    Dfinition

    gn-

    rale

    des affects,

    Spinoza

    faitf&ence

    la notion

    de

    pathema

    ot

    de

    passio,

    en

    la

    plaant

    sur

    un

    mme

    plan que celle d'ffictus, c'est

    en

    prenant appui

    sur

    des

    faons de

    parler

    qui

    correspondent aux manires

    couramment

    rpandues

    de se

    reprsenter

    l'affectivit, de

    manire

    en

    rectier

    l'usage

    et

    la

    porte thorique,

    en

    leur

    substituant

    d'autres

    faons

    de

    s'exprimer

    et

    surtout

    de

    penser

    plus

    exactes.

    Ce

    qu'il

    voudrait

    faire

    comprendre,

    c'est

    donc que, lonqu'on

    parle gnralement de

    l'affectivit, en

    la

    dcri-

    vant

    en termes

    de

    passion,

    on

    indique un domaine

    d'analyse

    dont

    la ra-

    lit

    objective

    ne

    peut

    tre

    pense

    authentiquement

    qu'

    travers

    le

    Sujet et

    composition da de

    Afectibus

    concept

    d'affect,

    c'est--dire d'afllection de

    l'me,

    dont les modalits,

    purement

    mentales ou psychiques, sont

    celles de

    I'ide

    apprhende

    du

    point de

    vue

    des conditions

    de

    sa

    production;

    et, dans

    ce

    cas

    prcis-

    ment, c'est--dire

    propos

    de tout ce

    qu'on

    e coutume d'appeler

    pas-

    sion,

    ces

    modalits

    sont

    celles

    d'une ide

    confuse.

    ,

    cela signifierait

    donc ceci

    : ce qu'on

    entend

    gnralement

    par

    affectivit, en

    en restreignant

    le

    champ

    la considration

    des

    pas-

    sions,

    correspond

    en

    fait

    une

    ralit

    objective

    qui relve

    d'une analyse

    scientifique des

    affects.

    Mais

    la

    gnralit

    en

    question, qui

    est au dpart

    celle

    d'un

    modus

    cogitandl, et

    mme pourrait-on

    dire d'un

    modus

    indicandi,

    faisant encore place une

    certaine confusion,

    n'est

    pas

    du

    tout exclusive

    d'autres aspects de I'affect, eux-mmes

    compltement extrieurs ce

    champ

    : les affects actifS, dont

    on

    ne voit pas

    comment

    ils pourraient

    se

    ramener

    unilatralement

    des

    ides

    confuses, et

    qui ne rentreraient

    donc

    pas dans le

    cadre

    de cette

    ,

    ce

    qui

    amne en

    ren-

    voyerl'examen

    plus

    tard.

    Concluons cette andyse terminologique par une

    ultime

    rfrence.

    Dans

    la quatrime partie

    de I'Ethique,

    qui

    est

    consacre

    une

    descrip-

    tion de

    la

    condition humaine

    en tant

    que

    celle-ci est ordinairement

    aline

    par des

    conflits

    qui

    ont

    leur

    source dans

    le

    jeu

    spontan des

    passions,

    tel

    qu'il

    se

    droule

    l'tat

    seuvage en

    dehors

    de tout contrle

    rationnel,

    Spinoza e4plique

    que

    fuomines

    natura

    discrepare

    possunt

    quatenus afectibus qui passiones sunt

    conflictantur), et

    que

    (

    pour

    autant

    qu'ils

    sont

    affIigs d'affects

    qui

    sont

    des

    passions

    ils

    peuvent

    tre

    opposs

    les

    uns aux autres

    >

    (quatenus

    ffic-

    tibus

    qui passiones sunt conflictantur

    possunt

    invicem esse contrarii)1.

    (conflictari),

    c'est

    la

    fois

    subir et soufFrir,

    au sens

    d'une

    preuve douloureuse

    qui

    a

    tous

    les

    caractres

    d'une

    maladie infectieuse

    au

    cours de laquelle

    un

    organisme est contamin par

    des

    lments

    trangen qui le gnent en lui retirant la pleine

    disposition

    de

    ses

    capa-

    l.

    E,lV,

    prop.33 et

    34.

    l

    r

    21

    0

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    16/211

    LES

    GRANDS

    LIVRES

    DE L PHILOSOPHIE

    Collection

    dirige par

    Piene Macherey et

    Francis Wolf

    Sujet et

    comltosition

    /z

    de

    Alfectibus

    peut-elle,

    sans

    la dvitaliser,

    faire

    rentrer

    la souple

    et

    impalpable

    dyna-

    mique

    de |a

    vie affective,

    evec

    ses

    constants

    rebonds, ses

    ambiguts

    et

    ses

    dtours,

    dans

    ses pures

    rectilignes

    qui

    en

    grossissent

    les traits

    et la

    figent en

    en donnant

    une

    reprsentation

    apparemment

    statique

    ?

    Telle

    est la

    difticult

    principale

    que

    doit

    surmonter

    I'expos

    du

    de

    Afectibus,

    o Spinoza

    se

    propose de

    dmler,

    de

    dsintriquer

    le subtil

    lacis

    de la

    vie

    affective en vitant

    les

    simplifications

    abusives

    et

    en prservant le

    caractre

    naturellement

    compliqu

    de

    son

    organisation;

    c'est--dire

    que,

    pour formuler

    cette

    difiicult

    en

    d'autres

    tefines'

    il

    y

    entreprend

    de

    rintroduire

    une

    certaine

    logique,

    l o

    de

    faon

    particulirement

    frappante

    rgne

    I'absence

    de logique.

    Or

    le

    projet

    de Spinoza,

    tel

    qu'il est

    caractris

    dans

    la

    prface

    du

    de

    '4fectibus,

    est

    bien

    de

    montrer

    qu'il

    y a

    une

    logique

    des

    affects

    qui,

    en

    arrire

    de

    leur

    dsordre,

    voire

    de

    leur dlire

    apparent,

    dtermine

    ncessairement

    leur nature, sans

    qu'il

    y

    ait

    lieu,

    pour

    rendre compte

    de

    ce

    que, sur

    le

    plan de

    leurs

    histoires

    singulires,

    ils comportent

    d'ex-

    ceptionnel

    et

    d'alatoire, de faire

    intervenir

    un

    principe

    intentionnel

    de

    libre

    arbitre

    tmoignant

    la

    fois

    de

    l'excellence

    et

    de

    la dchance

    humaines.

    Pour

    y

    parvenir, il

    n'y

    a

    qu'une

    seule

    manire

    de

    procder,

    et

    c'est

    celle

    qui

    s'applique

    tous

    les

    domaines

    de

    la ralit

    sans excep-

    tion

    :

    I'explication

    causale

    qui, d'un

    point de

    vue simultanment

    onto-

    logique,

    logique

    et

    physique,

    doit

    permettre

    de

    reconstituer

    |e rseau

    d'ensemble

    de

    la

    ralit affective

    en

    remontant

    jusqu'

    ses

    sources,

    partir desquelles

    ce

    rseau

    est effectivement

    produit,

    et

    de

    la connais-

    sance

    desquelles

    il peut en

    consquence

    tre

    dduit.

    Tel est

    donc

    le

    principe

    trs simple

    partir

    duquel

    est

    constmit

    I'expos

    de de

    Afecti-

    bus

    :

    il

    faut

    pralablement

    revenir

    aux

    bases sur

    lesquelles

    est difi

    le

    systme

    des

    affects,

    qui

    assignent

    ce systme

    une

    espce

    de

    stabilit

    et

    de

    permanence,

    pour

    pouvoir

    ensuite

    dmontrer

    partir

    de l la

    ncessit

    de

    toutes

    consquences

    qui

    s'ensuivent

    et dont

    le droule-

    ment,

    avec

    la

    gamme

    subtile

    de ses

    modulations

    varies,

    forme, au

    jour

    le

    jour,

    la

    matire

    de nos

    sentiments

    et

    de

    nos

    lans

    aftectifs.

    Le

    dveloppement

    consacr

    aux

    &gdgmenlls

    de

    I'affectivit

    occupe

    les

    onze

    premires

    propositions

    t

    de

    Afectibus.

    Dans

    celles-ci sont

    23

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    17/211

    Introiluction

    lthique

    : la

    uie

    alfectiue

    noncs les principes

    dynamiques

    qui interviennent

    dans toutes les

    manifestations

    de l'affectivit

    sans exception

    et

    pennettent

    ainsi d'en

    unier

    systmatiquement l

    prsentation. Au

    centre de cette explica-

    tion, qui fait

    connatre la vraie nature

    des affects

    partir

    de leur ori-

    gine,

    se trouve une notion

    cruciale, celle de

    conatus, qui

    est

    introduite

    dans

    les

    propositions

    6, 7 et

    8

    : cette notion dont la

    signification

    est

    extrmement large, puisqu'elle concerne indistinctement

    les

    deux

    ordres corporel et mental,

    rvle

    l'lment

    dynamique,

    et peut-on

    presque

    dire

    nergtique de

    puissance

    qui,

    au

    plus

    profond

    de la ralit

    de chaque chose,

    consEitue

    son

    (

    essence

    actuelle

    >

    (actualis

    essentia)

    ;

    la

    mise au

    jour

    de ce

    fondement

    ouvre une

    perspective

    conomique

    sur

    l'ensemble

    du systme

    de

    la vie

    affective

    travers

    lequel la puissance

    et l'nergie

    du conatus

    propre

    chaque chose

    s'investissent

    en

    se

    dployant suivant

    des seuils d'intensit

    rpartis

    entre un minimum

    et

    un maximum,

    le premier

    correspondant

    un ple d'extrme passivit,

    le second

    un

    ple

    d'extrme

    activit.

    A partir

    de cette conomie fondamentale

    est aussitt mise

    en

    place

    une

    topique

    lmentaire des

    affects,

    laquelle

    sont consacres les

    pro-

    positions

    9,

    10 et

    11

    :

    celles-ci

    dduisent

    directement partir

    de

    la

    nture dt

    conatus des

    (ffictus primarii)l

    ,

    qui

    sont au

    nombre

    de trois

    :le

    (cupiditas),la

    (laetitia)et

    la

    (imitatio

    ffictuum).

    En

    vertu de ce

    principe, la

    plupart

    des

    sentiments

    qui traversent

    notre vie

    affective

    se

    prsentent

    sous

    la

    forme

    de sentiments

    partags,

    qui,

    en

    mme temps

    qu'ils

    sont

    vcus

    la

    premire personne

    par quelqu'un en

    particulier, impliquent

    dans

    leur

    droulement

    le considration

    d'autres

    personnes,

    comme

    si celles-

    ci

    taient simultanment

    non

    seulement

    les

    objets, mais

    aussi

    les

    sujets

    de ce

    mme affect.

    Alors qu'ils

    paraissaient dnitivement

    fixs

    sur des

    choses,

    voici

    prsent que

    les affects se

    mettent

    circuler

    entre

    les

    per-

    sonnes, conune

    s'ils

    n'appartenaient

    aucune

    en

    perticulier. On

    com-

    1.

    Cewe

    expression

    apparat

    dans

    le

    scolie

    de la

    proposition

    22.

    28

    29

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    20/211

    [ntroduction

    /T,thique

    :

    la

    uie

    ffidive

    prend

    que, parvenue ce

    point

    de son dveloppement, la

    vie

    affective

    atteigne un degr

    maximal

    d'instabilit : en effet travers le

    jeu

    inter-

    personnel

    des affects

    o l'on finit

    par ne plus

    svoir

    qui

    aime ou qui

    hait qui,

    les individus perdent

    toute

    matrise

    sur

    leurs

    dsirs,

    qui

    leur

    :

    chappent

    et

    se

    mettent

    alors mener une sorte de

    vie propre,

    au

    .'

    dtriment bien

    sr

    des

    toutes les personnes

    concemes, condamnes

    ,

    se

    dchirer

    interminablement

    ds

    lors qu'elles

    entrent

    dans

    un tel

    com-

    i

    mrc

    affectif o

    tout

    le monde,

    terme, est

    perdant.

    En

    dmlant l'cheveau

    des

    dsin

    interhumains,

    et en montrant

    9ue

    ceux-ci continuent

    obir

    des

    lois

    objectives, alors mme

    qu'ils

    semblent emports au frl

    d'une subjectivit

    dchane,

    et d'autant

    plus

    monstrueuse qu'elle finit

    par ne plus

    appartenir

    penonne

    en

    particu-

    lier,

    Spinoza

    remplit l'objectif

    qu'il s'tait

    fix dans

    la prface du

    de

    Afectibus:

    il parvient

    ainsi

    faire

    rentrer

    I'ensemble

    des

    manifestetions

    de

    I'affectivit dans

    le

    cadre

    d'un

    systme

    perrnenent

    de dtermina-

    tions,

    qui

    lui

    restitue

    un caractre

    naturel,

    en

    liminant dnitivement

    les

    illusions

    du

    libre arbitre

    et

    en

    dtrnant

    les

    fausses

    morales

    qui

    s'au-

    torisent de ces illusions.,Toutefois

    il

    n'en reste pes l. Et

    il conclut cette

    pertie

    de I'Ethique par un

    ultime

    ensemble

    de

    propositions,

    extrme-

    ment ramess, puisqu'il

    est compos des

    seules

    propositions

    58 et 59,

    dans

    lequel, per

    un

    subit changement d'clairage,

    il

    aborde

    les pro-

    blmes

    de

    l'affectivit

    en

    projetant

    sur

    eux une

    lumire

    compltement

    nouvelle.

    Dans

    ces

    deux

    propositions,

    dont rien, dans les dveloppe-

    ments antrieurs,

    n'avait

    fait prvoir

    I'irruption,

    Spinoza

    fait

    com-

    prendre

    que

    toutes

    les

    explications

    qui

    viennent d'tre proposes

    concernent

    I'affectivit

    en

    tant

    qu'elle

    est

    passivement

    subie

    par

    l'me,

    selon le rgime

    de

    la

    ,

    et

    laissent de ct le cas d'autres

    affects, exceptionnels

    sans

    doute,

    qui

    sont

    des affects proprement

    actifr, associs

    la

    production dans l'me

    d'ides adquates.

    Mais

    cette

    rfrence aux

    affects actifs,

    qui avait d'embIe

    t

    suggre au dbut

    du

    de

    Afectibus,

    en marge de la dfinition

    3 consacre

    la notion

    d'af-

    fect,

    n'est

    pas

    destine

    pour le moment

    tre

    exploite

    : elle reste en

    attente

    des explications

    qui

    seront dveloppes

    tout

    la

    n

    de

    l'ou-

    vrage,

    dans

    le

    de

    Libertate,

    o ces affects actifs

    joueront

    un rle capital.

    Sujet

    et

    composition

    dr.r de

    Affectibus

    Ayant

    ainsi

    achev

    son

    tour d'horizon

    sur

    les

    problmes

    de

    I'affec-

    tivit,

    qui

    a

    permis

    de

    faire

    rentrer ceux-ci

    dans

    un

    cadre

    rationnel,

    Spinoza

    propose

    pour finir une

    rcapitulation

    des

    rsultats

    de

    cette

    explication,

    dans

    un

    long

    appendice

    consacr

    aux

    :

    il

    y

    recense,

    en

    quarnte-huit squences

    suivies

    d'une

    Dfini-

    tion

    gnrale

    des affects,

    les principaux

    types

    d'affects,

    du

    (cupiditas,

    df.

    D

    la

    (libido, df.

    XLVIII),

    qui

    occupent

    la

    totalit

    de

    notre vie

    alfective

    et en

    dlimitent

    une

    fois

    pour toutes

    le

    champl.

    1.

    Dans

    la lecture

    ici

    propose dt

    ile .Afectibur,

    le

    contenu

    de

    ces dtnitions

    sera

    rintgr

    la suite du raisonnement

    prsent

    dans

    les propositions'

    &

    ff

    i:

    30

    ]B

    3t

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    21/211

    Notions

    et

    principes

    de base

    (dfinitions

    et postulats)

    Comme

    il

    le

    fait

    au dbut

    de chaque

    partie

    de

    I'Ethique,

    en

    imita-

    tion

    de

    la faon

    dont procde Euclide,

    Spinoza

    commence

    par

    expo-

    ser,

    sans

    dmonstrations,

    un

    certain nombre

    de

    thses

    pralables

    dont

    la

    ncessit

    rationnelle

    ou

    exprimentde

    s'impose

    directement

    :

    ces

    principes,

    partir

    desquels va

    tre ensuite

    dveloppe

    la

    thorie

    de

    I'affectivit,

    consistent en

    un ensemble

    de trois

    dfinitions et

    de deux

    postulats.

    Ces dnitions et

    ces

    postulats

    s'ajoutent

    aux

    conclusions dj

    tablies

    dans

    les perties prcdentes

    de

    I'ouvrage

    pour

    fournir

    une base

    aux dmonstrations qui

    vont suiwe.

    En mme

    temps,

    ils permettent

    de dterminer

    et de dlimiter le

    nouveau

    champ

    d'tude que le

    de

    Afectibus

    ouvre

    une

    analyse

    rationnelle.

    Les trois

    dfinitions,

    qui forment

    un

    ensemble homogne,

    servent

    construire la

    notion d'affect,

    laquelle

    est

    prcisment

    consacre la

    dfinition

    3,

    en replaant cette

    notion

    dans

    un

    espce

    thorique balis

    par

    la

    distinction

    entre activit

    et

    passivit

    :

    qu'est-ce

    pour

    une chose

    qu'tre

    reconnue

    cause

    adquete ou inadquate

    de ses

    effets

    (df

    1) ?

    qu'est-ce

    qu'tre

    actif

    ou

    passif (df,

    2)

    ?

    qu'est-ce

    qu'un

    affect, en

    rap-

    port

    avec

    la

    puissance

    d'exister du

    corps

    et de l'me, I'augmentation

    et

    la diminution

    de cette puissance,

    et

    le fait

    d'tre ou non

    cause

    adquate

    de

    l'affection

    ainsi

    provoque

    (df.

    3)

    ?

    En rpondant

    ces trois ques-

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    22/211

    ll

    Introduction

    /thique

    :

    la

    uie

    ffictiue

    tions,

    Spinoza assigne

    un

    contenu

    objectif

    sa

    thorie

    de

    I'affectivit,

    et effectue

    ainsi

    le dplacement

    de

    terrain

    par

    repport

    la tradition-

    nelle

    perspective

    morale

    sur

    les passions

    humaines

    annonc

    dans

    la

    prface du de

    Afectibus, de

    manire

    pouvoir conscrer

    ces

    pro-

    blmes

    une

    tude dmonstrative

    authentiquement

    sciencifique.

    DFINITIONS

    1 ET

    2

    Ces

    deux dfinitions,

    qui

    se situent

    dans

    le

    prolongement

    l'une de

    I'autre,

    la

    seconde

    faisant

    explicitement

    rfrence

    l'nonc de

    la

    pre-

    mire,

    doivent

    tre

    lues ensemblel.

    Elles sont

    toutes

    les deux

    rdiges

    dans

    des

    termes

    qui leur donnent

    la forme,

    peu

    frquente chez

    Spi-

    noza, de

    dnitions

    nominales:

    (causa

    adaequata

    seu

    fonnalis)

    de la connaissence

    du

    troisime

    genre, en ce

    sens que cette

    connaissance

    s'explique compltement

    partir de

    la nature de

    l'me

    dont elle

    prsente ainsi

    I'essence

    en totalit,

    de

    manire telle

    que

    la

    manifestation

    de cette

    essence s'effectue

    alors

    sans

    I'intervention

    d'au-

    cune

    cause

    extrieure.

    De

    ce point

    de vue,

    tre cause

    adquate

    vis--

    vis d'effets

    qui se comprennent

    compltement,

    et non seulement

    par-

    tiellement,

    partir

    de

    sa

    seule

    nature

    ou essence,

    c'est

    agir

    la manire

    d'une

    cause

    libre,

    par

    les

    seules

    lois

    de

    se

    nature

    et

    indpendrnment

    d'une

    contrainte

    extrieure,

    selon

    la

    formule de

    la proposition

    17 du

    de

    Deo et de son

    second

    corollaire;

    et,

    inversement,

    agir

    sous

    une

    contrainte

    extrieure, c'est

    s'exposer

    tre

    compris

    comme

    cause

    ina-

    dquate,

    la

    manire

    de la

    (res

    coacta)

    dont

    la

    notion a t

    introduite dans

    la

    dfinition

    7 du de

    Deo.

    C'est

    prcisment

    sous

    cette

    forme

    que la

    distinction

    entre

    cause ad-

    Notions

    et pincipes

    de

    base

    quate et

    cause inadquate

    est reprise

    dans

    la dfinition

    2 du de

    Afectibus

    :

    (cujus

    non

    nisi

    partialis sumus

    causa).

    Littralement

    quelque

    chose

    de

    nous

    (c'est

    le

    sens

    propre

    du

    verbe

    oriri;

    se

    lever, commencer,

    prendre

    nais-

    sance, avoir

    sa source),

    qui ne

    vient pas

    vraiment

    de nous,

    ou

    qui

    ne

    vient

    pas

    que

    de

    nous : on

    retrouve

    ici le

    mme

    effet de

    contraste,

    qui voque

    la

    figure srylistique

    de

    I'oxymore,

    que

    dans

    l'nonc

    de

    la

    dtnition

    2

    dt ile Afectibus.

    #

    36

    37

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    24/211

    Intrciluction

    lthique : la vie

    ffictiue

    nobis

    aut

    extra nos sequitur).

    Si

    nous

    sommes ectifS, c'est parce que,

    objec-

    tivement, quelque

    chose se

    produit,

    en

    nous

    ou en dehon

    de

    nous,

    mais

    en

    quelque

    sorte

    sans

    nous,

    c'est--dire

    sans que nous

    ayons

    nous-mme

    intervenir

    dans

    le

    droulement

    de cette

    au

    titre

    de sujets

    intentionnels,

    matres

    de I'incliner

    leur guise

    dans

    un

    sens

    ou

    dans

    un

    autre; et il

    n'y a pas lieu

    de raisonner

    autrement dans le

    cas o

    nous

    sommes passifi.

    Nous

    sommes

    ainsi

    ramens sur

    le

    terrain

    neutralis

    dlimit

    par

    la premire

    dnition

    : est ection l'gard

    de

    sa

    cause le

    processus

    qui s'explique

    intgralement,

    donc

    clairement et distincte-

    ment, partir

    de

    cette

    ceuse; est passion

    au

    contraire

    celui

    qui

    ne s'ex-

    plique

    qu'en partie,

    donc confusment,

    partir

    d'elle,

    perce que,

    pour

    le

    comprendre,

    il faut faire

    aussi

    intervenirla

    considration

    d'autres

    ceuses.

    Etre

    actif, ou passif,

    c'est cela,

    et

    rien

    d'autre : il s'agit

    de

    schmes de

    comportement

    qui

    relvent

    d'une analyse objective,

    sans

    qu'il y

    ait lieu

    de

    leur prter

    davantage, par

    exemple

    un lment

    d'initiative,

    et

    afor-

    tioi

    sens

    qu'il

    soit

    permis

    de les

    dtacher du

    rapport qui les

    lie ncessaire-

    ment

    au droulement

    du processus

    causal, que

    celui-ci s'efFectue de

    manire

    intgrde

    ou pertielle;

    en

    effet

    les schmes

    de

    l'acrivit

    er de la

    passivit se

    comprennent entirement

    partir

    des caractres de ce pro-

    cessus

    dont rien ne

    les distingue.

    nfin il

    est

    remarquer que,

    dans

    le

    cas o

    nous

    sommes

    acti6,

    il

    est

    indiftrent

    que

    les

    effets de notre activit

    se

    produisent

    en nous

    ou

    en dehors

    de nous,

    c'est--dire

    qu'ils

    revtent

    la forme

    de 1'

    (agere)

    au sens propre

    ou celle

    de

    l'

    (operari)t,

    ou encore

    qu'ils

    rentrent,

    pour

    reprendre

    les termes aristotliciens

    dont

    s'inspire

    cette

    distinction,

    sous les

    catgories de la praxis

    ou

    de

    le

    poisis

    : la

    seule

    chose

    qui compte tant que

    les effets

    de

    ces actes, c'est--dire les

    transformations

    que

    ceux-ci provoquent

    au

    -dedans

    ou

    au-dehors

    de

    nous-mmes,

    se

    comprennent intgralement

    ou

    non

    partir

    de

    notre

    seule

    nature.

    En revanche,

    lorsque nous

    nous

    trouvons

    dans une situa-

    1.

    Cette distinction

    terminologique

    apparat dans la dnirion

    7

    du de Deo, o

    est prcis

    le

    statut

    de la

    (uis existenili)

    du

    ^.o1p,

    r. dveloppe

    "rrtt

    ott

    ple minimal

    et

    un

    ple maximal

    :

    mais elle

    inscrit

    la

    dtirmination

    de

    ce caractre

    dans

    le contexte

    de

    I'histoire

    concrte

    de

    I'affectivit'

    qui

    parat con{rer

    celle-ci

    une

    dimension

    uniment

    passive;

    de ce

    fait

    cette-Dfini-

    tiorr

    gnrale des

    affece

    a une

    porte

    moins

    large

    que

    la

    dnition

    pralable

    de

    I'affect.

    #

    38

    39

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    25/211

    Introduction

    /Ethique

    : la uie

    affective

    tion, l'attention

    est immdiatement

    attire

    sur

    la

    formule de liaison

    (

    et

    en

    mme

    temps

    )

    (et

    simul),

    qui se

    trouve au

    cur

    de

    la

    dfinition

    de I'affect

    :

    celui-ci

    est

    constitu par

    la

    coincidence

    d'une

    affection du

    co{ps

    et de l'ide

    de

    cette

    affection

    telle qu'elle

    se

    produit simultan-

    ment

    dans

    l'me.

    Cette

    dfinition

    renvoie

    manifestement

    celle

    de l'me

    comme ide

    du

    corps

    telle qu'elle

    a

    t

    dveloppe

    dans

    les

    13

    premires

    propositions

    du de Mente,

    et

    elle s'explique

    en

    perticulier

    per

    ce qui

    a t

    nonc

    dans

    la proposition

    72

    de

    cette seconde partie

    del'Ethique:

    ,

    I'un

    de ces

    modes

    tant une

    dtermination de l'tendue

    en

    tant que telle,

    et

    l'autre

    tant

    la

    dtermination corrlative

    de

    la pense

    en

    tant

    que

    telle, un unique systme de ncessit,

    qui

    a son

    principe

    en Dieu

    mme

    en

    tant qu'il

    est

    la

    fois

    (res

    cogitans) et

    (res extensa),

    produisant

    ces

    deux

    dterminations,

    chacune

    dans

    son

    ordre, c'est--dire dans

    le

    genre d'tre, pense

    ou tendue,

    auquel elle appartient.

    Ainsi

    entre I'affection du

    coqps

    et

    f ide

    de

    cette

    affection dans

    l'me

    s'tablit

    un

    rapport, non

    de dtermination, meis

    d'expression

    :

    en vertu

    du

    principe

    de dtermination causale

    qui,

    identi-

    quement,

    traverse

    tous

    les

    genres

    d'tre, I'une

    et

    l'autre

    expriment

    un

    seul et mme

    contenu,

    quoique

    de

    deux

    manires compltement

    diff-

    rentes,

    I'une

    dans

    le

    langage

    propre

    eu corps et

    I'autre

    dans

    le langage

    propre l'me, pourrait-on

    dire.

    C'est

    dans

    cette perspective que,

    eu

    dbut du

    de

    Libertatu,

    cette

    thse

    est reprise,

    traven l'aftirmation

    d'une

    correspondance

    (

    au

    cordeau

    >

    (ad

    amussim)

    entre

    une

    quelconque

    ide

    de

    l'me

    et

    I'affection du

    coqps,

    ou

    image de chose,

    dont

    elle

    est

    ainsi

    I'expressionl. La

    formule

    (

    et en

    mme

    temps

    D

    (et simul)

    partir

    de

    laquelle

    est

    construite,

    au dbut dtt de Afeaibus,la dfinition

    de

    I'affect

    expose prcisment

    cette

    conception.

    L'affect

    prsente

    donc simultanment deux faces,

    une

    face

    corpo-

    relle

    et une face mentale, et

    il

    reprsente la

    totale conversion

    rciproque

    de

    l'une

    dans l'autre.

    On

    peut

    en

    conclure

    que

    c'est

    dans la vie

    affective

    que

    la

    convertibilit

    absolue et

    l'indissociabilit

    des

    vnements corpo-

    rels et des

    vnements

    menteux

    se ralisent

    de la

    manire

    la plus

    mani-

    feste,

    I'affect

    se

    dfinissant

    prcisment par

    cette convertibilit et indis-

    sociabilit.

    Toutefois

    il

    faut ajouter

    que I'affect

    ne

    rend pas

    compte

    mentalement

    de

    n'importe

    quelle

    affection

    du

    corps

    :

    meis,

    prcise

    encore

    sa dfinition,

    il

    dveloppe les

    ides de celles

    des affections du

    colps par

    lesquelles

    (cum

    mens

    hac ratione

    contemplatur

    cory)ora

    eandem imaginari

    dicemus).lmaginer,

    acte

    mental ins-

    parable

    d'une exprience

    colporelle,

    c'est se reprsenter

    des choses

    ext-

    rieures par

    I'intermdiaire

    d'ides

    qui

    ont pour

    objets, non

    des

    choses,

    mais

    des

    images

    de

    choses,

    c'est--dire

    certaines

    affections

    corporelles

    rsultant

    du fait

    que

    le

    coqps,

    c'est--dire

    l'objet

    dont l'me

    est

    l'ide,

    a

    t

    impressionn

    de telle

    ou telle manire

    l'occasion

    de

    ses

    rencontres

    avec

    des choses

    extrieures.

    De

    ces

    deux postulats

    se dgage

    la leon

    suivante

    : sur la base

    de

    son

    organisation

    corporelle,

    I'individu

    se caractrise par

    une certaine facult

    tre

    alfect

    et

    impressionn,

    exprimant

    le

    fait

    qu'il

    n'existe

    jamais

    seul

    par

    lui-mme

    en

    dehors

    des contacts

    et des

    changes qui le

    mettent

    cons-

    tamment

    en relation

    avec

    d'autres

    tres, dans

    des

    conditions

    telles que

    sa

    puissance

    d'agir

    est sans

    cesse

    expose

    tre diminue

    ou augmente

    : l

    est la

    source de

    la

    vie

    affective qui

    exploite

    et amplifie

    ces

    variations,

    en

    crant partir

    d'elles

    tout un rseau

    d'associations mentales

    qui,

    de leur

    ct, affectent

    l'me

    en

    orientant

    ses

    proccupations

    dans tel ou

    tel sens et

    en

    I'amenant

    penser

    certaines

    choses

    plutt qu'

    d'autres.

    C'est

    dans

    le

    contexte

    ainsi mis

    en

    place

    que

    va pouvoir

    tre prsent

    dveloppe

    une

    thorie

    complte

    de I'affectivit,

    thorie

    dont le principal

    objectifest

    de

    restituer

    celle-ci

    son

    caractre fondamentalement

    neturel.

    CHAPITRE

    1

    Les

    fondements

    naturels

    et

    les

    formes

    lmentaires

    de

    la

    vie

    affective

    (propositions 1

    11)

    1

    I

    ACTIONS

    ET

    PASSIONS

    DE

    L'ME

    Stropositions

    1,

    2 et

    j)

    Ces

    trois propositions

    appliquent

    l'tude

    du

    fonctionnement

    propre

    de

    l'me

    les

    schmes de

    l'activit

    et de

    la

    passivit qui

    ont dj

    t

    mis en

    place

    dans

    les deux premires

    dfinitions dtt de Afeaibus.

    Selon la

    premire proposition et

    son corollaire,

    lorsque l'me forme des ides

    adquates elle

    est

    active,

    et

    plus

    elle

    en

    forme plus elle est active; lors-

    qu'elle forme

    au contraire des

    ides inadquates,

    elle

    est passive, et

    plus

    elle

    en

    forme plus

    elle

    est passive

    ou

    sujete aux passions.

    Selon

    la

    seconde

    proposition, qui

    est accompagne d'un trs

    long

    scolie critique,

    tout ce qui se passe

    dans l'me s'explique exclusivement

    par

    des

    causes

    dpendant de

    son

    propre rgime mental, de mme que tout ce

    qui

    se

    passe dans le

    corps s'explique

    par

    des causes

    strictement corporelles,

    tant exclue

    en consquence

    la

    possibilit

    d'une action

    de l'me sur

    le

    coqps,

    qui correspondrait

    l'tat

    dans

    lequel elle

    est

    active, ainsi

    que la

    *

    48

    49

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

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  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    31/211

    Infioduction

    lthique

    : la uie

    afectiue

    taines consquences

    particulires.

    Rappelons

    brivement

    les tapes

    de

    ce

    raisonnement

    :

    la proposition

    10 consiste

    en

    l'nonc

    d'une

    thse

    ngative,

    qui retire

    l'essence

    humaine

    en

    gnral tout

    caractre

    subs-

    tantiel; elle

    est

    assortie

    d'un

    corollaire,

    qui dgage

    la thse

    positive

    correspondante,

    en

    expliquant

    ce

    qu'est

    l'me humaine,

    tant

    donn

    qu'elle

    n'est

    pas

    une

    substance

    : elle

    est constitue

    par

    certaines

    modi-

    fications

    d'attributs de la

    substance

    divine, modifications

    qui

    expri-

    ment

    la neture

    de Dieu

    (

    sous

    un certin

    mode dtermin

    >>

    (certo

    ac

    determinato

    modo),

    et

    ainsi

    dpendent

    de

    cette

    narure,

    dont elles

    (cum

    dicimus

    mentem

    humanam hoc

    vel

    illud

    percipere

    nihil

    aliud

    dicimus

    quam

    quod

    Deus non

    quatenus infnitus

    est sed

    quatenus per natura?n

    humanae

    mentis

    explicatur siue

    quatenus

    humanae

    mentis

    essentiam

    constituit

    hanc vel

    illam

    habet ideam).

    Les ides

    que l'me

    peroit,

    elle

    ne

    les

    >,

    en

    1.

    La

    Lettre

    64 Schuller, date

    de

    1675, donne en

    exemple

    de

    mode

    intni

    de

    premier genre, donc

    immdiat, de

    la

    (in

    Deo),

    o

    elles

    conviennent

    ncessairement avec

    leurs objets

    parce

    qu'elles

    sont

    pro-

    duites selon

    la mme rgle

    qui produit

    galement ces

    objets,

    dans

    le

    genre

    d'tre auquel ceux-ci

    appartiennent :

    elles

    sont

    vraies, au sens de

    la

    conformit extrieure avec

    leur idat,

    parce qu'elles sont

    intrins-

    quement

    dtermines

    dans I'ordre

    de

    la

    pense

    par

    les lois

    objectives

    qui leur

    assignent

    la

    place

    qui leur

    revient dans

    le

    systme

    infini de

    I'intellect

    divin. Comment

    s'explique alors

    le clivage

    entre

    ides ad-

    quates

    et

    ides

    inadquates ? Et d'abord

    o

    ce

    clivage

    se

    produit-il

    ?

    Certainement

    pas

    en

    Dieu puisque, en tant

    qu'elles

    sont

    rapportes

    Dieu,

    (omnes

    tam adaequatae

    quam

    inadaequatae

    eadem

    necessitate

    consequuntur), corrune

    I'explique la dmonstration de

    la

    proposition

    36 du

    de

    Mente, qui

    rapporte

    ceci au

    fait

    que

    ((

    aucunes

    ne

    sont inadquates

    ni

    confuses, si ce

    n'est

    pour

    autant

    qu'elles sont

    rappoftes

    l'me

    singulire

    de

    quelqu'un

    >

    (nullae

    inadaequatae

    nec

    confusae

    sunt, nisi

    quatenus

    ad singularem

    alicujus menteffi

    referuntur).

    Fonilements naturels

    et

    Jormes

    lmentaires

    de Ia

    uie afectiue

    Toutes

    les

    ides tant

    vraies,

    et donc

    adquetes,

    en

    Dieu, certaines

    sont

    inadquates

    et

    con-firses,

    donc

    usses,

    en moi,

    et en

    moi seulement

    :

    mais

    elles

    ne

    le sont

    pas en

    tant

    qu'elles

    seraient

    le

    rsultat d'une

    initia-

    tive

    particulire,

    dont

    I'incertitude

    ou

    le

    caractre

    dviant

    seraient

    imputables

    ma

    volont subjectivel;

    cat il

    est

    tabli

    une

    fois

    pour

    toutes

    que

    je

    n'ai

    aucunement

    la

    facult

    de crer

    de

    toutes

    pices,

    et

    par

    moi-mme uniquement,

    des

    ides

    qui

    ne seraient

    pas

    en

    Dieu

    et ne

    feraient

    pas

    partie

    de

    I'intellect infini

    de

    Dieu.

    Les

    ides

    qui

    sont

    fausses

    en

    moi ne

    le sont

    donc

    pas davantage

    par moi

    que celles

    qui

    sont

    vraies :

    simplement,

    elles

    ne sont

    pas

    vraies en

    moi comme

    elles

    le

    sont

    en

    Dieu,

    ce

    dcalage,

    qui

    rsulte

    d'un

    changement

    de

    perspec-

    tive,

    s'expliquent

    par le

    fait

    qu'elles sont

    produites

    par

    Dieu, de

    manire

    non moins

    ncessaire

    que toutes

    les autres,

    en

    tant

    qu'il ne

    s'explique

    pas par la

    nature

    de

    mon me

    seule

    ou

    ne constitue

    pas seu-

    lement

    I'essence de

    mon

    me,

    mais s'explique

    aussi

    simultanment

    par

    autre

    chose2.

    Autrement

    dit, en

    Dieu,

    I'ide

    qui est

    fausse en

    moi,

    demeure

    vraie

    pour

    autant

    qu'elle

    ne s'y

    rapporte

    pas

    moi

    seul

    mais

    fait

    intervenir

    dans sa

    constitution

    la

    considration d'autres

    choses

    trangres

    ma

    propre

    nature

    : ce

    qui

    rend I'ide

    fausse

    en

    moi,

    c'est

    non

    pas

    sa

    constitution

    intrinsque,

    mais c'est

    le fait

    que

    je

    I'interprte

    1. Spinoza

    s'oppose

    ainsi

    la conception

    dveloppe

    par

    Descartes

    dans

    la

    4'de

    ses

    Mditations

    mtiphysiques

    selon

    laquelle,

    si

    je

    suis

    soumis

    la loi

    de Dieu

    lorsque

    je

    conois

    la vrit,

    je

    suis

    toujoun

    libre de

    me tromPer, c'est--dire

    de

    m'carter

    de

    cette loi en

    en

    transgressant

    les commandements,

    l'erreur

    tant ainsi

    imputable

    ma

    mauvaise

    volont et

    entirement

    place sous

    me

    proPre

    responsabilit.

    2. C'est

    ainsi

    que

    se

    conclut

    la

    dmonstration

    du

    corollaire

    de

    la

    proposition

    11

    du

    ile

    Mente:

    (aliaum

    rcrum

    ntentes

    in se simul

    continet) : il

    contient

    les

    d'au-

    tres

    choses,

    car dans I'intellect

    infini

    de

    Dieu, tout

    est me ou ide, l'me n'tant

    rien

    d'autre

    que

    I'ide

    d'une chose, quelle que

    soit la

    nature de cette

    chose.

    Fondements

    naturels

    et

    Jormes

    lmentaires

    de la ttie afectiue

    nir celle-ci au sens

    d'une

    possession ine{fective, la manire d'une

    simple

    impression, ou d'une ide

    morte qui resterait inemploye

    colnme

    si

    elle tait une

    peinture muette sur un

    tableau :

    ce

    thme

    a t

    longuement

    dvelopp

    dans

    la

    seconde

    parrie du de Mente.

    Les

    ides,

    quelles

    qu'elles

    soient,

    sont des actes

    mentaux,

    travers

    lesquels s'ex-

    prime ou s'affirme une

    certaine puissance de

    penser. Avoir une ide

    c'est

    en

    exploiter

    toutes les

    consquences,

    c'est--dire

    tirer

    tous

    les

    effets

    qu'il

    est

    en elle

    de

    produire

    en

    tant que cause. Dans

    le

    cas

    d'une

    ide qui

    est

    adquate

    en

    nous

    corune

    elle

    I'est en

    Dieu,

    toutes

    les

    consquences

    qui sont

    tires de

    cette

    ide le sont en tant seulement

    que

    Dieu

    constitue la nature

    de

    notre

    me,

    qui

    ainsi est

    (

    cause

    adquate

    >

    de tous

    les effets

    produits

    partir

    de

    cette ide, effets

    qui

    se

    compren-

    nent alors clairement et distinctement

    partir

    de son essence,

    selon la

    leon

    de

    la

    dfinition

    I

    da

    de

    Afectibus; et en consquence,

    suivant

    la

    leon

    de

    la dtnition

    2, l'me,

    en tant

    qu'elle

    (

    e

    )

    cette

    ide,

    est dans

    un

    tat

    d'activit

    maximale.

    Au

    contraire,

    dans le cas des

    ides

    inad-

    quates,

    qui

    ne

    sont

    pas penses en nous conune

    elles le sont

    en Dieu,

    nous dirons,

    suivant

    le

    mme

    raisonnement,

    que

    notre

    me

    est ceuse

    inadquate

    de

    ces

    ides,

    et

    donc se trouve

    dans

    une

    situation de

    passivit, ou

    d'activit

    minimale. En d'autres termes,

    toutes les

    ides

    sans exception tant

    des actes

    mentaux,

    ces actes

    sont

    ingalement

    au

    point

    de

    vue

    de

    l'me

    dans

    laquelle ils se

    Prsentent,

    et

    dont

    ils

    rpartissent ainsi

    la puissance de penser entre deux

    ples

    alternatifs

    d'activit et

    de passivit. I1

    y

    a

    donc bien lieu de classer

    les

    manifestations de cette puissance

    en

    se servant

    de ces deux catgories

    :

    l'me

    est

    tantt

    active,

    tantt

    passive,

    et

    ceci en rapport avec

    le

    fait

    qu'elle est susceptible d'avoir des

    ides

    adquates,

    dont elle

    ma-

    trise

    compltement le contenu

    parce

    qu'elle le comprend,

    au

    sens

    fort

    du

    terme, ou susceptible

    d'avoir des

    ides inadquates, dont

    le

    contenu

    lui

    chappe en

    partie, et

    qu'elle

    apprhende

    ainsi

    par la voie de

    I'imagination.

    A la

    suite de

    la

    proposition

    1

    est nonc un

    corollaire

    qui en

    reprend le contenu sous une

    forme un

    peu

    dilTrente

    : d'autant

    plus

    l'me a

    d'ides inadquates,

    d'autant

    plus

    elle

    est

    sujette aux

    passions,

    {i

    til

    f

    56

    57

  • 7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)

    34/211

    Introduction

    /thique : la uie

    ffictiue

    et

    d'autant

    plus

    elle

    a

    d'ides

    adquates,

    d'autant elle agit1. Cette

    nou-

    velle formulation introduit une toute

    nouvelle

    perspective : elle

    per-

    met de

    mesurer

    les

    variations

    d'intensit

    de

    l'expression de

    la puissance

    de

    l'me, en

    rapport avec

    la place qu'y occupent

    respecrivement les

    ides adquates et

    les ides inadquates2. Cette

    indication

    est

    trs

    importante, car elle confirme

    qu'activit

    et

    passivit, au moins dans

    le

    cas

    o

    elles

    correspondent

    la

    production

    dans

    l'me

    d'ides

    adquates

    ou

    inadquates,

    ne

    sont

    pas des tats absolus, et comme

    tels radicale-

    ment exclusi6

    I'un

    de

    I'autre :

    mais

    activit

    et

    passivit se mesurent

    relativement I'une

    l'autre I'intrieur d'une srie

    d'tats

    graduels

    qui

    ralisent tendanciellement toutes

    les formes intermdiaires

    entre les

    deux

    extrmes.

    Nous

    avons dj

    eu

    I'occasion de

    nous le

    demander,

    l'me

    peut-elle

    tre totelement active, sans

    plus du tout tre

    passive ?

    C'est

    seulement dans la cinquime

    et demire

    partie

    de

    l'Ethique

    qu'une rponse

    sera apporte

    cette

    interrogation.

    La

    proposition 2,

    aa

    contraire de

    la prcdente, dbouche

    sur une

    leon ngative : elle

    dmontre

    en

    quoi l'me

    ne peut pas ffe active ou

    passive,

    savoir

    dans sa

    relation

    au

    corps, qui chappe ces catgories

    ou tout au moins n'y satisfait

    que d'une faon trs

    particulire. En

    effet

    il n'y a

    pas

    d'action

    du

    corps

    sur

    l'me,

    par laquelle

    elle

    serait

    elle-mme

    passive,

    et

    pas

    davantage

    il n'y a d'action de

    l'me

    sur le

    corps dans laquelle elle serait au contraire

    active. Le

    contenu

    de cette

    proposition

    est

    manifestement polmique, ainsi

    que le

    confirme

    le

    fait

    qu'elle

    est assortie

    d'un trs

    long

    scolie,

    dans

    lequel Spinoza dnonce

    1.

    Ce

    corollaire

    ne it

    que rendre explicite une

    proprit

    qui

    tait

    dj

    indique

    implicitement

    dans

    l'nonc de la

    proposition principale traven I'utilisation

    de

    la

    formule

    (quatenus...

    eatenus...),

    que

    nous

    aurons

    I'occasion de

    retrouver

    par

    la

    suite, par exemple

    dans

    la

    proposition

    5.

    Cette

    formule est intressante d'un

    point

    de ure

    thorique

    parce qu'elle permet de

    mettre en

    corrlation,

    non des tats considrs en

    eux-mmes

    dans

    une

    penpective

    statique, mais des chelles dynamiques de variations

    s'effectuant

    de

    manire continue

    travers

    des sries

    graduelles.

    2. Il

    est clair

    en effet

    que plus

    l'me

    (quod scilit mens

    et

    cory)us una

    eadeffique

    res

    sit

    quae

    jam

    sub cogitationis

    jam

    sub extensionis

    attibuto concipitur)l.

    Ame

    et corps, chacun

    dans le

    genre

    d'tre

    qui lui est

    propre, exPriment,

    mentalement ou

    corporellement,

    une unique

    dtermination

    qui

    est

    ncessairement cornmune

    f innit de tous

    les genres d'tre, et

    donc

    ces deux-ci

    en

    particulier :

    il

    en

    dcoule

    que

    (cujuscunque

    attributi modi

    Deum

    quatenus

    tantuffi

    sub

    illo

    attibuto

    cujus modi

    sunt

    et

    non

    quatenus

    sub

    ullo alio consideratur pro ceusa

    habent). C'est

    pourquoi

    il

    est

    impossible,

    en droit corrune en

    fait,

    de driver les mouvements

    du

    corps

    partir

    de ceux de l'me, corrune il

    est

    impossible

    aussi

    de

    driver

    les mouve-

    ments de l'me

    partir de

    ceux du coqps.

    Il n'est pas

    possible