pierre louys .. manuel de civilite pour les petites filles

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Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation

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French Literature

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  • Manuel de civilitpour les petites filles

    lusage des maisons dducation

  • DU MME AUTEUR

    AUX DITIONS ALLIA

    Trois Filles de leur mre

    Douze Douzains de dialogues

    ou Petites Scnes amoureuses

    Paroles

    Pybrac

    PIERRE LOUS

    Manuel de civilitpour les petites filles

    lusage des maisons dducationPrcd de

    Pierre Lous et linconvenance

    par MICHEL BOUNAN

    D I T I ON S A L L I A

    , RUE CHARLEMAGNE, PARIS IV e

  • La premire dition du Manuel de civilit pour les petites

    filles a paru Paris en .

    Editions Allia, Paris, , pour la prsente dition.

    PIERRE LOUS

  • PIERRE LOUS ET L INCONVENANCE

    Pierre Lous vcut dans un monde de symboles etdartifices, parmi les nymphes, les courtisanes enfleurs, au pays de lart pur, nous dit-on. Or ilne sappelait pas vraiment Lous et ce paysnexistait pas.Son nom lgal ntait pas Lous, mais Louis.

    Presque pareil en vrit. Il est n le 10 dcembre1870 Gand, o sa famille stait rfugie aucours dune fameuse dbcle militaire. Il sembleavoir dcouvert assez jeune linavouable origina-lit de sa naissance : sa mre, morte prmatur-ment, lavait conu avec son demi-frre, le futurambassadeur Georges Louis, dans la passionincestueuse de ce quon appelle un garement.Explosion accidentelle derrire limpeccable crandun ordre inbranlable. Ainsi, ce vieillard imb-cile et glac, quil appelait son pre, qui avait cin-quante-huit ans de plus que lui, tait rellementson grand-pre. Cest presque pareil aussi.Lous aima passionnment les femmes, aucun

    de ses lecteurs ne lignore. Mais il naima dura-blement que Marie, la fille de limmortel Hrdia,quon mariera trs vite avec le riche Henri deRgnier pour ponger les dettes de la famille.

  • vritable guide pour Debussy.Nostalgique dun paradis mythique o la notion

    de pch nexistera pas encore, il sest fait linven-teur dune potique baroque, par laquelle il a tentde traduire pniblement, qui en doute ? lesmystrieuses lignes de force de linnocence des senset, dans le mme mouvement, les sources vives dela cration artistique.Qui a complot un jour contre linnocence ? et

    une telle question est-elle dnue de sens ? Ilimporte certainement de retenir les rponses, pro-visoires, qui se dvoilent au cours dun effort delibration ; mais ce qui importe aussi cest laconscience alerte de la profondeur et de ltenduedes dgts, de leur espce de perfection.Fils de son frre et poux par sur interpose,

    Lous tait naturellement souponneux ; et parune disposition coupable de son esprit mal-veillant, sa curiosit et sa mfiance se sont ten-dues bien ailleurs.

    Son activit littraire commence avec des traduc-tions dauteurs grecs, Mlagre, Lucien. Il nesagit plus de cette Grce pour collgiens, qui adur peine cinquante ans, et dont on a impos lEurope limage trop parfaite, mais dauteursquon appelle dcadents, de cette civilisation

    Quant Lous, il pousera la sur de Marie, laraisonnable Louise. Cest presque pareil encore, etMarie deviendra son amante derrire lcran,toujours impeccable, dune double lgalit.Stonnera-t-on que luvre de Lous, pour qui

    lobjectif a souvent boug et si peu accidentelle-ment nous apparaisse ddouble ? Posie dlica-tement sensuelle et impeccablement parnassienne,admire par les plus grands de ses contemporains,et derrire, posthume, luvre rotique et drle, sesfantasmes doutre-tombe.Quon prenne garde pourtant la revendica-

    tion de cet auteur scandaleux, qui crivait dansun style dont le rythme est plus scandaleuxencore : Ceux qui nont pas senti jusqu leurlimite, soit pour les aimer, soit pour les maudire,les exigences de la chair, sont, par l mme, inca-pables de comprendre toute ltendue des exigencesde lesprit.

    On ne lit presque plus aujourdhui luvre decelui dont Andr Breton dclarait quil taitlhomme quil aurait le plus dsir connatre.Ses amitis littraires sont brillantes certes, Mal-larm, Valry, Gide, Hrdia. Mais on a un peuoubli que ces amis-l lont considr comme undes premiers potes de leur temps, et quil fut un

    MANUEL DE CIVIL IT PIERRE LOUS ET L INCONVENANCE

  • tion pour ce quil ne faut pas dire.Et puis il y a les auteurs invents, les gloires

    synthtiques, les fausses barbes du muse. En

    1919 il porte la connaissance des lecteurs duTemps une partie de ses recherches sur Molire :les meilleurs vers de Tartuffe, du Misanthrope,de Don Juan, et Amphitryon tout entier seraientluvre de Pierre Corneille. Son argumentationest savante. Elle sappuie sur la texture du verscornlien, sur le choix et le rythme des consonnes,sur larchitecture des tercets et des quatrains, cest--dire sur les arcanes mmes de la forme potique.Le scandale fut norme chez les moliristes, ru-dits, sorbonnards. On songea porter plaintecontre lui. Presque rien na t publi des deuxcents pages de rdaction et des milliers de feuilletsde notes de Lous, mais cette thse a t reprise en

    1951 par H. Poulaille (Corneille sous lemasque de Molire).

    Que cherche-t-on cacher ? et ailleurs ? quelsecret vivant ? Lous fouille encore, indiscrte-ment, sous le vernis parfait des grandes uvres. Ilpublie ses dcouvertes sur les sources du Bateau

    alexandrine tout orientalise, hdoniste, mystiqueet parfaitement sceptique. Lautre Grce derrirecelle des manuels scolaires, sous les actes notarisde la culture.Sa traduction de Mlagre, dont Mallarm

    louera cette envole de stances pointes de cris-tal, cest peut-tre dj du Lous. Ce qui lestassurment cest sa prtendue traduction de lima-ginaire Bilitis, par laquelle il a mystifi sorbon-nards et hellnistes (un clbre professeurdarchologie grecque lui communiquera mmequelques variantes de traduction faites, appa-remment, sur les textes originaux). Mais est-cevraiment une mystification ? Et lunivers parallleo aurait vcu Bilitis, nous est-il si tranger ? Mal-larm encore crira plus justement quil a inventlAntiquit, dans sa pure essence, qui (doit) nousrevenir par la joie cratrice denfants, contempo-rains. A travers les murailles de lhistoire objec-tive, la troublante promiscuit des dsirs.Lous nen a pas encore fini avec la prtendue

    histoire littraire, avec cet difice prtentieux etvain, avec cette cour royale, pleine de fausses filia-tions, de hirarchies convenues, et daimablescontroverses. Ses recherches sur Restif de la Bre-tonne, sur le Francion de Sorel, sur ces auteursdont on dit navement quils sont injustementoublis, tmoignent dj dune certaine indiscr-

    MANUEL DE CIVIL IT PIERRE LOUS ET L INCONVENANCE

  • dies obscnes quil a faites de ses propres uvres.Il existe ainsi une version licencieuse de chacun deses textes importants : aux immortelles Chan-sons de Bilitis rpondent Les Chansonssecrtes de Bilitis, son roman Aphrodite, laversion libre dAphrodite, et le palais du roiGonzalve et des douze princesses est la cit inter-dite du Roi Pausole.Enfin, quen est-il de sa propre vie ? On a dit du

    trs beau roman Trois filles de leur mre, quiltait une parodie de ses amours avec les trois fillesHrdia. Mais, au-del mme de la littrature etde ses parodies, il y a cette plaisante confidencefaite son frre, le jour o Marie pouse Henri deRgnier : ce que cest que davoir un roman crire, cela vous dispense de vivre les vrais !

    Le Manuel de civilit pour les petites filles lusage des maisons dducation est une paro-die dautres manuels de civilit publis cettepoque. Et Lous nignorait pas ce quil ne fallaitpas dire pour ne pas faire basculer ce quil ne fautpas appeler le mensonge. Jean-Paul Goujon, sonbiographe, nous apprend que, jusqu lge de septans, ses parents habillrent lauteur du Manuelde civilit comme une petite fille. A qui donc estdestin si drlement et si insolemment ce trait de

    Ivre. En 1916 , il fait paratre une tude sur unephrase desMartyrs, si trangre au discours et austyle de Chateaubriand, que Lous y reconnatune phrase inoubliable entendue jadis, et quimanque au fragment de Ren. Toujours le secretpersonnel, occult, la source obscure.Cette chose mystrieuse, dissimule sous toutes

    les tuniques sans couture, est, bien sr, profond-ment rotique. Secret de sa naissance et de sesamours, secret dautres gnrations, dautresvocations.Le got de Pierre Lous pour les parodies obs-

    cnes est assez banal. Mais il y a ici autre chosequune simple intention de ridiculiser, dabaisser.Ce sont mme souvent des parodies duvres etdauteurs aims. Wagnrien, cest au retour deBayreuth quil compose Le Trophe des vulveslgendaires sur les hrones wagnriennes. Cesont La Fontaine, Hugo, Musset, dont il transcritles plus clbres posies :

    Pote prend mon rut ; la nuit sur la pelouse

    Berce un godmich bleu dans son voile odorant.

    La vulve, triste encor, se referme jalouse

    Sur le vit inconnu quelle enivre en pleurant.

    Tout ceci appartient au simple gnie de len -fance ; ce qui est moins commun ce sont les paro-

    MANUEL DE CIVIL IT PIERRE LOUS ET L INCONVENANCE

  • MANUEL DE CIVIL IT

    POUR LES PETITES FILLES

    LUSAGE DES MAISONS DDUCATION

    savoir-vivre ?Anatole de Monzie a assur gravement sur sa

    tombe quil fut le dernier et le plus charmantadversaire de Tartuffe. Certainement, mais lesmoralistes et les contempteurs du sexe ont eu unerevanche leur mesure : les honneurs posthumesse sont ports plutt sur les cagots de la portetroite, et limmense production rotique deLous, publie sous le manteau aprs sa mort,nest jamais mentionne dans les histoires dela littrature. Elle a survcu longtemps dans leghetto des ditions et des rayons spcialiss. Voilun privilge que la seule littrature hermtiquepartage avec lrotique : ces instruments-l semettent sous le traversin.Est-il moins bien connu aujourdhui quil le fut

    de son vivant ? La bonne rponse est certainementdans le dbut de cette Vie de Mlagre, quil cri-vit vingt ans et dont Proust admira le style :Mlagre naquit dans une cit blanche et

    verte, parmi les palmiers, les eaux vives, Atthis,nous dit-il. Or il ne sappelait pas Mlagre, etAtthis na jamais exist.

    M. B.

    MANUEL DE CIVIL IT