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Pierre Boulez Exposition multimédia

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Page 1: Pierre Boulez - Philharmonie de Paris · 4 PARCOURS DE L’EXPOSITION - ENTRÉE Compositeur, théoricien, chef d’orchestre et fondateur d’institutions, Pierre Boulez marque la

Pierre Boulez

Exposition multimédia

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pour petits et grands, etc. ; un travail de fond, notamment auprès des jeunes, pour élargir les publics de la musique classique avec en particulier un développement volontariste d’outils numériques originaux ;

un véritable complexe musical replaçant le concert dans un dispositif dynamique et élargi : des ateliers éducatifs et des espaces d’échange pour transmettre la musique en toute convivialité ; une des plus belles collections d’instruments du monde, celle du Musée de la musique ; une programmation d’expositions temporaires à 360° (Boulez, Bowie et Chagall en 2015, The Velvet Underground et Beethoven en 2016) ; des espaces de restauration et de détente pour accueillir les auditeurs ; des zones de déambulations pour parcourir le bâtiment depuis le parc jusqu’au toit-colline et sa vue imprenable sur le Grand Paris ;

un lieu d’accueil adapté pour les formations symphoniques et les artistes internationaux les plus prestigieux, et la nouvelle résidence de l’Orchestre de Paris qui y trouve un équipement à la hauteur de son rayonnement.

UN PROJET AMBITIEUXLa Philharmonie de Paris, portée par l’État et la Ville de Paris, avec le soutien de la Région Île-de-France, a ouvert ses portes au mois de janvier 2015. Geste architectural exceptionnel de Jean Nouvel au cœur d’un pôle culturel déjà inscrit dans la dynamique du Grand Paris, la Philharmonie de Paris, qui fusionne avec la Cité de la musique pour former un seul ensemble, ambitionne de poser un nouveau modèle de transmission musicale :

une salle innovante, à l’acoustique exceptionnelle, dans laquelle les spectateurs envelopperont la scène pour vivre une expérience inédite du concert ; une ouverture à toutes les musiques, du classique à la pop en passant par le jazz et les musiques du monde, grâce à une modularité exceptionnelle pour une salle aussi vaste (de 2 400 places assises à 3 600 avec parterre debout) et grâce aux deux autres salles de la Philharmonie (un amphithéâtre de 250 places et une salle de concert modulable de 900 places assises à 1 600 avec parterre debout) ;

une programmation conçue pour tous : prestigieuse en semaine, familiale en week-end avec des activités du matin au soir et de nouveaux formats de concerts, des formules à tarifs attractifs incluant des propositions

LA PHILHARMONIE VUE DEPUIS LE PARC DE LA VILLETTE © GUY MONTAGU-POLLOCK

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GRANDE SALLE © WILLIAM BEAUCARDET

VERNISSAGE DE L’EXPOSITION DAVID BOWIE IS © WILLIAM BEAUCARDET

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PARCOURS DE L’EXPOSITION - ENTRÉE

Compositeur, théoricien, chef d’orchestre et fondateur d’institutions, Pierre Boulez marque la deuxième moitié du siècle par son irréductible volonté de modernité. Les premiers opus qu’il compose au sortir de la guerre coïncident avec sa découverte des grands noms de la littérature, de la peinture et du théâtre, mais aussi des autres cultures. Son œuvre se tisse dès lors avec des références multiples, avant que l’expérience grandissante du chef d’orchestre ne marque son écriture d’une empreinte nouvelle.

Les qualités de théoricien et de pédagogue de Pierre Boulez sont très tôt accompagnées de la volonté de fonder des organisations favorisant la découverte et la création. Fruit d’un engagement combatif, ce parcours témoigne d’une constellation d’actes au service d’une vision éminente.

Organisée à l’occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire de Pierre Boulez, cette exposition met en perspective la multiplicité des aspects de l’œuvre, de la pensée et des rencontres qui ont tissé son parcours. Le déroulement chronologique s’articule autour d’une sélection d’œuvres majeures du compositeur, en alternance avec les engagements qui ont façonné son itinéraire.

Pierre Boulez, Troisième sonate, formant 3 : Constellation-Miroir - Partition manuscrite autographe polychrome. 350 cm x 40,5 cm. Collection Pierre Boulez. Fondation Paul Sacher, Bâle © Avec l’aimable autorisation de Universal Edition A.G., Vienne

La composition de cette sonate a toujours été associée par Pierre Boulez à ses découvertes littéraires, particulièrement celles de Joyce et de Mallarmé.

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I – LES ANNÉES APRÈS-GUERRE Pierre Boulez naît à Montbrison le 26 mars 1925. Ses études de mathématiques le mènent à Lyon en 1941 mais dès l’année suivante, il décide de se consacrer à la musique. Il gagne la capitale et entre au Conservatoire en 1943 puis, quelques semaines après la Libération de Paris, intègre la classe de Messiaen. Ce cours est le lieu de découverte d’œuvres majeures du XXe siècle, de Ravel à Debussy, de Stravinsky à Bartók…En 1945, il s’inscrit en classe de fugue au Conservatoire. L’enseignement qu’il y reçoit ignorant tout un pan de la création musicale récente, il s’insurge et fi nit par quitter l’institution. En cours particuliers, il suit l’enseignement d’Andrée Vaurabourg et de René Leibowitz, auquel il reproche rapidement d’avoir une approche stérile de l’écriture à douze sons.Durant ces années d’études, Pierre Boulez écrit les Notations pour piano, fréquente les galeries parisiennes, lit les journaux littéraires, découvre Kafka et Mallarmé. Parti rencontrer René Char en Provence, il découvre à Avignon l’œuvre de Paul Klee en 1947.

LA DEUXIÈME SONATE (1947–48 CREATION EN 1950)

Les trois sonates pour piano de Pierre Boulez s’inscrivent dans une période de dix années d’écriture (1947-1957). En dépit d’une forme contraignante – dernière référence aux formes musicales du passé –, la Deuxième sonate est une oeuvre de rupture, de dissolution du langage, qui fait exploser la forme de la sonate. Elle témoigne des chocs esthétiques reçus par Boulez et annonce les prises de position radicales qui suivront. Son aspect paroxystique marque une recherche du rapport brut à la matière, en écho aux poétiques d’Artaud et de Michaux.

Dans les articles « Schoenberg est mort » et « Éventuellement... », Boulez distingue clairement le principe sériel du dodécaphonisme hérité de Schoenberg. Il rédige ces deux textes au moment de la composition de Polyphonie X et du premier livre des Structures, œuvres dans lesquelles il tente d’étendre les règles du sérialisme à l’ensemble des composantes du son. Cette écriture réduisant excessivement les possibilités d’invention, Boulez y renonce vite et critique l’aridité du procédé.

PIERRE BOULEZ (1957) © ANNY BREER / ARCHIVES INTERNATIONALES MUSIKINSTITUT DARMSTADT

Pierre Boulez « Éventuellement... », vers 1951-1952. Manuscrit autographe. Collection Pierre Boulez Fondation Paul Sacher, Bâle© Ed. Christian Bourgeois

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LA COMPAGNIE Venu tenir la partie d’Ondes Martenot dans la musique de scène d’Hamlet d’Honegger, Boulez est nommé en 1946 directeur de la musique de scène de la Compagnie Renaud- Barrault. Il quitte la fosse du Théâtre Marigny pour des tournées dans toute l’Europe, en Amérique latine et en Amérique du Nord. À New York, il fait la connaissance de De Kooning, de Guston grâce à John Cage. Il croise Pollock et ren-contre Calder par l’intermédiaire de Varèse. A Paris, Pierre Souvtchinsky le met en contact avec Suzanne Tézenas qui tient l’un les derniers salons parisiens. Il fréquente également Masson, Claudel, Char, Mi-chaux… C’est aussi la période à laquelle se nouent des dialogues amicaux serrés sur la composition avec Cage, Stockhausen, Berio, Maderna, Nono, Pousseur, Zimermann.

LE MARTEAU SANS MAÎTRE (1955)Pour la troisième fois, après Le Visage nuptial et Le Soleil des eaux, Boulez choisit un texte de René Char. Dans cette alliance du son et du verbe, le poème est « centre de la musique, mais il est devenu absent de la musique ».

Si le Pierrot lunaire (1912) de Schönberg est stylistiquement bien distinct du Marteau, il n’existe pas moins une série de traits qui rapprochent les deux oeuvres : la durée, l’instrumentation, l’organisation des textes en trois ensembles, la voix soliste. Si Boulez a « dépossédé » Char de son texte, c’est ensuite Béjart qui « dépossèdera » le compositeur de sa musique.

Pierre Boulez, Le Marteau sans maître. Esquisse préparatoire de «Bel édifice et les pressentiments – double» (n° 9).Collection Pierre Boulez - Fondation Paul Sacher, Bâle © Avec l’aimable autorisation de Universal Edition A.G., Vienne

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DOMAINE MUSICAL Nés sous l’aile bienveillante de Jean-Louis Barrault au coeur de l’hiver 1953-1954, les concerts du Petit Théâtre Marigny prennent dès leur deuxième saison le nom de Domaine musical. Pierre Boulez organise quatre puis six concerts par an, selon trois plans conjugués_: référence (des oeuvres qui peuvent être très anciennes, mais ayant une résonance actuelle), connaissance (des oeuvres contemporaines mal connues) et recherche (des créations). Nombreux sont les artistes et les intellectuels qui s’y rendent, mus par le vent de découverte qui y sou�e.

Auditeur de ces premiers concerts, Nicolas de Staël consacre les dix derniers jours de sa vie à un immense tableau inachevé, Le Concert, directement inspiré des concerts Webern et Schoenberg donnés les 5 et 6 mars 1955. Son décès tragique empêche Boulez de lui demander une maquette comme il le fera avec Masson, Ubac, Zao Wou-Ki, Miró et Giacometti, tout aussi fidèles auditeurs, qui oeuvreront pour les emblématiques pochettes des disques Véga.

PLI SELON PLI ET LA TROISIÈME SONATE 1957–1962

La Troisième sonate pour piano et Pli selon pli s’inscrivent pleinement dans des années marquées par la pensée du « mobile ». En 1957, la Troisième sonate est avec le Klavierstück XI de Stockhausen l’un des tout premiers exemples musicaux de ce qu’Umberto Eco théorisera quelques années plus tard sous le nom d’« œuvre ouverte ». Nourries par les poétiques de Mallarmé dans le Coup de dés ou de Joyce dans Finnegans Wake, ces œuvres accordent à l’interprète la liberté de créer son propre parcours dans la partition, à partir des possibilités de lectures ouvertes par le compositeur.

Pierre Boulez commence également l’écriture de Pli selon pli : comme le poète sent « Que se dévêt pli selon pli la pierre veuve » des murs de Bruges, très progressivement un portrait de Mallarmé. Chacune des pièces de ce cycle interroge di�éremment l’alliance du texte et de la musique, dissimulant encore des références picturales ou musicales extra-européenne…Parallèlement, Pierre Boulez est de plus en plus sollicité pour enseigner. À Darmstadt, il donne en 1960 un cycle de conférences intitulées « Penser la musique aujourd’hui » ; la même année, il commence à enseigner à l’académie de Bâle et, trois ans plus tard, est invité à l’Université de Harvard.

Nicolas de Staël, Étude d’orchestre, 1955. Huile sur papier. Collection particulière © ADAGP, Paris 2015

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DIRECTION D’ORCHESTREC’est à Caracas, au cours d’une tournée de la Compagnie Renaud-Barrault en 1956, que Pierre Boulez dirige pour la première fois une grande formation symphonique. Fin 1957, Hermann Scherchen, qui doit diriger à Cologne la création du Visage nuptial de Pierre Boulez, choisit de laisser le pupitre au jeune compositeur. Deux ans plus tard, Pierre Boulez remplace au pied levé Hans Rosbaud ; en 1963, il dirige le Sacre du printemps pour le cinquantenaire de sa création au Théâtre des Champs-Élysées ainsi que Wozzeck de Berg à l’Opéra Garnier.

À la toute fin des années soixante, Pierre Boulez dirige les orchestres de Cleveland, Chicago, New York, et multiplie les contrats en Europe. En 1971, il succède à Leonard Bernstein comme directeur de l’Orchestre Philharmonique de New York et devient chef permanent de l’Orchestre symphonique de la BBC. Le travail e�ectué avec ces grandes formations marque l’œuvre du compositeur qui s’attèle à la réécriture orchestrale de partitions composées vingt ans auparavant. Dans les années 1990, l’interprétation des symphonies de Mahler et de Bruckner le conduira vers la composition de grandes formes.

Leonard Bernstein et Pierre Boulez, 1974© Christian Steiner / New York Philharmonic Archives

© Ph. Gontier / DG

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« Pourquoi je dis non à Malraux », paru dans Le Nouvel Observateur, 25 mai 1966.

Par cet article, Pierre Boulez réagit à la création d’une direction de la Musique séparée au sein du ministère de la Culture et à la nomination de Marcel Landowski à sa tête par André Malraux. Peu avant, répondant à la consultation d’Émile Biasini, Pierre Boulez avait émis des propositions sur l’organisation de la vie musicale française, restées lettre morte.

Répétitions et représentation de Lulu de Berg, mis en scène par Patrice Chéreau, 1979 © Daniel Cande / BNF

L’OPÉRAAu milieu des années 1960, la critique des institutions et la nécessité de leur réforme fait l’objet d’interventions virulentes de Pierre Boulez. En 1966, celui-ci dit « Non à Malraux » sur des questions de politique musicale, entrainant un débat acéré dans la presse. En 1967, Pierre Boulez préconise de « faire sauter » les maisons d’opéra. Sa vision critique le conduit à travailler avec Jean Vilar et Maurice Béjart à un projet de réforme de l’Opéra de Paris. Inaugurée en 1963, l’expérience lyrique de Pierre Boulez se poursuit avec Parsifal et Tristan, qu’il dirige en Allemagne et au Japon, entre 1966 et 1970. La fin des années 1970 est marquée par ses collaborations avec Patrice Chéreau: la Tétralogie du centenaire, qui passe en quelques années du statut de haut scandale au plus grand succès de Bayreuth (1976-1980), puis Lulu en 1979 à l’Opéra de Paris. Pierre Boulez dirige ensuite deux productions mises en scène par Peter Stein – Pelleas et Mélisande de Debussy et Moïse et Aaron de Schoenberg –, ainsi qu’un triptyque Falla Stravinsky-Schoenberg mis en scène par Klaus Michael Grüber, avant de retrouver Patrice Chéreau en 2007 pour De la maison des morts de Janácek.

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RITUEL« Cérémonie imaginaire » pour orchestre en huit groupes et percussions, Rituel in memoriam Bruno Maderna est un hommage au compositeur italien décédé le 13 novembre 1973. Les groupes instrumentaux sont disposés séparément sur le plateau. À chacun d’entre eux est attaché un percussionniste (ou deux), chargé de maintenir le tempo au sein du groupe.

L’œuvre est organisée en quinze séquences. Dans les séquences impaires, le chef maintient une certaine synchronisation tandis que dans les séquences paires, les groupes ne sont pas synchronisés entre eux – ils progressent ainsi à l’image de processions qui, empruntant des chemins di�érents dans une ville, ont leur propre unité mais finissent par se rejoindre sans être coordonnées entre elles.

Fruit de la gestation simultanée de plusieurs oeuvres – dont Marges, …explosante-fixe… puis Mémoriale –, Rituel emploie un matériau qui servira encore, des années plus tard, dans Anthèmes pour violon solo. L’oeuvre se situe à la charnière de nombreuses recherches sur la répartition des groupes instrumentaux dans l’espace, et d’un intérêt pour les rites nourri par l’ethnologie, le théâtre, la poésie.

Francis Bacon, Second Version of Triptych 1944, 1988. Huile et peinture acrylique sur toile. Tate, Londres © The Estate of Francis Bacon / All rights reserved / ADAGP, Paris 2015

Pierre Boulez et Francis Bacon se rencontrent dans les années 1970 à Londres, lorsque le compositeur dirige l’Orchestre symphonique de la BBC. La première fois, Bacon est ivre et l’échange n’a pas lieu. Mais au fil du temps, l’un comme l’autre ne cessent de porter attention au travail de l’autre, constatant ce lien à la fois étrange et familier qui rapproche leur démarche. En 1989, Bacon dédie au compositeur ses plus grandes lithographies, d’après la Second Version of Triptych 1944. Bien que l’oeuvre de Bacon ne soit pas citée dans les écrits de Boulez, elle n’en garde pas moins des accointances avec certaines poétiques d’un langage qui « dérape de tous côtés » dans la noirceur de l’existence humaine, auxquelles le compositeur envisageait de se confronter dans des projets de collaboration avec Jean Genet ou Heiner Müller.

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PIERRE BOULEZ ET ANDREW GERZSO © RALPH FASSEY

OUTILS POUR LA CRÉATIONSelon Boulez, le compositeur doit mener une recherche matérielle collective entremusiciens et scientifi ques suscitant la création d’un nouveau matériau musical. L’IRCAM (Institut de Recherches Coordination ;Acoustique Musique) voit le jour en 1977 sous l’impulsion du Président Pompidou et sur les vœux de Pierre Boulez.

Au début des années 1950, il étudie brièvement avec Pierre Schae� er la musique concrète. En 1954, Pierre Boulez présente à l’ORTF la création des Déserts de Varèse. Ses parties électroniques déclenchent un vrai scandale. Parallèlement, Stockhausen poursuit ses recherches à Cologne ; Berio, Nono et Maderna à Milan ; le Studio du SWF à Baden- Baden et dans les universités américaines.

L’« outil » ne se limite pas à la lutherie. La salle de concert devient un objet de transmission ouvert aux impératifs de la création. La constitution du répertoire passe quant à elle par la création d’un ensemble

instrumental d’un genre nouveau, à l’instar de l’Ensemble intercontemporain (EIC).

Enseignant-chercheur nommé au Collège de France en 1975, Boulez pense la transmission à travers un dialogue entre les sciences, l’architecture et la philosophie.

RÉPONS 1981–1984

Elaborée dans les studios de l’IRCAM, le titre de Répons fait référence au plain chant du Moyen Âge où un chanteur soliste alterne avec un chœur. Cette forme renferme des principes d’écriture récurrents dans l’œuvre de Pierre Boulez : prolifération d’une idée musicale partir d’un élément simple, alternance entre jeux individuel et collectif et mouvement du son dans l’espace. L’œuvre, intégrant des sons produits par ordinateur et par des instruments traditionnels, change la disposition originelle d’une salle de concert : le public entoure l’ensemble instrumental (scène centrale) et est lui-même encadré par six solistes et six hautparleurs qui restituent le son traité en temps réel.Ce dispositif de spatialisation sera reproduit dans l’exposition, permettant au visiteur de saisir la circulation des sons jouant à partir des di� érentes sources sonores.

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ARCHITECTURES VIRTUOSESQu’il s’agisse de mettre sur pied un projet précis (l’Ircam, l’Opéra Bastille ou la Cité de la musique) ou d’échanger sur le processus de création, Pierre Boulez aura noué des dialogues privilégiés avec les architectes – Renzo Piano, Christian de Portzamparc ou Frank Gehry –, tout en gardant un goût prononcé pour certaines réalisations plus anciennes comme la spirale du musée Guggenheim de New York.

Dans la fascination qu’éprouve le compositeur pour l’architecture, le lien entre virtuosité technique et rendu artistique occupe une place centrale. Tout comme le compositeur et la lutherie se stimulent l’un l’autre, la démarche de l’architecte et le matériau interagissent: l’outil provoque l’invention et l’invention réclame des outils nouveaux, leurs logiques conjuguées menant à la création de formes innovantes.

Le goût de Pierre Boulez pour les problèmes de virtuosité pure, « le côté trapèze volant que prend une di�culté vaincue », trouve dans l’architecture un lien pratique, esthétique et politique avec la musique qui n’aura cessé de le mobiliser. Dans Incises (1994) puis dans sur Incises (1996-1998), il donne libre cours à cette écriture virtuose.

Frank Gehry, Esquisse pour la Pierre-Boulez Saal de Berlin [2012]. Encre sur papier - Collection Frank Gehry

« Je m’e�orce vraiment de faire que l’architecture paraisse naturelle, qu’elle ne soit pas écrasante ou imposante, qu’on s’y attache. Pour y parvenir, il faut beaucoup d’organisation, de rigueur et de précision. » Frank Gehry pointe dans cette relation entre la forme et le travail préalable un lien avec la direction de Pierre Boulez et ses compositions. La salle Pierre Boulez, architecture ovale conçue pour l’Académie Barenboim-Saïd, devrait ouvrir en 2016.

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L’exposition multimédia proposée ici se décline de la façon suivante :

I - 14 PANNEAUX IMPRIMABLES

Les panneaux sont en français ou en anglais. Pour toute autre langue, un coût supplémentaire sera demandé.14 panneaux de 100x120 cm avec textes et visuels qui suivent le déroulé chronologique et thématique de l’exposition présentée à la Philharmonie de Paris, avec alternance de panneaux contextuels et de panneaux dédiés à une œuvre musicale. Reproduction des principales œuvres d’art présentées à Paris.

II– L’INTERFACE MULTIMÉDIA

Une interface interactive présente les principaux documents audiovisuels réunis lors de la présentation parisienne. Elle est consultable sur un poste informatique, avec plus de deux heures d’écoute et de visionnage :Œuvres musicales de Pierre Boulez, extraits d’entretiens et leur retranscription, archives vidéo documentaires, extraits de concerts.La navigation s’e�ectue à la souris et l’écoute au casque.

III – CONTENU ET INSTALLATION

L’exposition est conçue pour :S’adapter à tous types d’espace d’au moins 50 m2 sans condition de sécurité et de conservation requise.O�rir à l’institution d’accueil une grande souplesse dans les modalités d’accrochage.Le contenu est mis à disposition sous format numérique ou téléchargeable.

Le support numérique comprend tous les contenus :

• Maquettes graphiques des panneaux prêts pour l’impression sur un support choisi par le lieu d’accueil• Interface multimédia à installer sur un ou plusieurs postes informatiques pour consultation au casque• Les droits de présentation des documents sont négociés et inclus dans le prix de vente (prévoir de régler les droits de di�usion de la musique sur place)

La mise en œuvre sur place :

• Impression des panneaux à partir des maquettes graphiques fournies• Installation informatique de l’interface multimédia (sur un ou plusieurs postes informatiques) sans nécessité de paramétrage préalable• Accrochage souple et adaptable en fonction des lieux

La charge des lieux d’accueil :

• La mise à disposition du matériel informatique : ordinateurs et casques d’écoute• L’impression des panneaux sur support au choix• La présentation à la Cité de la musique des documents de communication avant impression• La déclaration aux sociétés locales de perception de droits pour la di�usion de la musique (Sacem)• En cas de changement de langue, la prise en charge du coup de la traduction et de l’intégration graphique et multimédia réalisé par la Philharmonie de Paris.

IV – TARIF DE VENTE ET DISPONI-BILITÉ DE L’EXPOSITION :

Le coût de l’exposition est de 1700 € HT (10 0€ par lieu supplémentaire de 1 à 5 lieux)Frais d’intégration d’une nouvelle langue (romane) pour les panneaux : 300 €Frais d’intégration d’une nouvelle langue (romane) pour l’interface : 600 €

L’exposition est disponible jusqu’en 2018.

MULTIMEDIA VERSION

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Compositeur, théoricien, chef d’orchestre et fondateur d’institutions, Pierre Boulez marque la deuxième moitié du XXe siècle par son irréductible volonté de modernité. Les premiers opus qu’il compose au sortir de la guerre coïncident avec sa découverte des grands noms de la littérature, de la peinture et du théâtre, mais aussi des autres cultures. Son œuvre se tisse dès lors avec des références multiples, avant que l’expérience grandissante du chef d’orchestre ne marque son écriture d’une empreinte nouvelle.

Les qualités de théoricien et de pédagogue de Pierre Boulez sont très tôt accompagnées de la volonté de fonder des organisations favorisant la découverte et la création.

Fruit d’un engagement combatif, ce parcours témoigne d’une constellation d’actes au service d’une vision éminente : la musique, dans ce qu’elle peut avoir de plus novateur.

Cette exposition est une adaptation de l’exposition présentée à la Philharmonie de Paris au printemps 2015, à l’occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire de Pierre Boulez. Elle met en perspective la multiplicité des aspects de l’œuvre, de la pensée et des rencontres qui ont tissé son parcours. Le déroulement chronologique s’articule autour d’une sélection d’œuvres majeures du compositeur, en alternance avec les engagements qui ont façonné son itinéraire.

Exposition conçue par le Musée de la musique / Philharmonie de Paris Commissariat Sarah Barbedette

Présenté à Jean-Louis Barrault par Honegger en 1946 pour tenir la partie d’ondes Martenot dans la musique de scène d’Hamlet, Pierre Boulez est rapidement nommé directeur de la musique de scène de la Compagnie Renaud-Barrault. La vie de troupe l’engage à partir en tournée. Il découvre ainsi l’Amérique du Sud en 1950 et, deux ans plus tard, les États-Unis et le Canada. À New York, grâce à John Cage, il lit la poésie de Cummings, rencontre De Kooning, Guston, Pollock, Calder, Varèse et Stravinsky.

À Paris, il fait la connaissance de Suzanne Tézenas qui tient l’un des derniers salons parisiens, fréquenté par de nombreux intellectuels, galeristes, peintres et hommes de lettres, tels Nicolas de Staël, Henri Michaux ou Alberto Giacometti. Pierre Boulez y organise, avec l’aide de Pierre Souvtchinsky, plusieurs concerts.

C’est également à cette période que se nouent des dialogues amicaux serrés sur la composition avec Cage, Stockhausen, Berio, Maderna, Nono, Pousseur, Zimmermann – à Paris, à Darmstadt ou au Festival de Donaueschingen.

1.André Masson Conflit, 1955Sable et gouache sur papier Collection particulière © Adagp, Paris 2015

Créateur du taureau bucrane devenu l’emblème de la Compagnie Renaud-Barrault, André Masson a notamment réalisé les décors d’Hamlet en 1946, au moment de l’arrivée du compositeur dans la Compagnie. Selon Pierre Boulez, André Masson était avec Nicolas de Staël l’un des rares peintres qu’il ait rencontré connaissant vraiment bien la musique.

2.Répétition de Malbrough s’en va t’en guerre au Théâtre Marigny, 1950© Étienne Bertrand Weill / Bibliothèque nationale de France

Dans la fosse, Pierre Boulez dirige la musique de Georges Auric ; Jean-Louis Barrault est accoudé à la balustrade. La première représentation de Malbrough s’en va t’en guerre de Marcel Achard a lieu le 25 mars 1950.

3.Les comédiens de la Compagnie Renaud-Barrault, Jean-Louis Barrault et Pierre Boulez lors d’une répétition de L’Orestie d’Eschyle, 1955© Étienne Bertrand Weill / Bibliothèque nationale de France

En 1954, au retour de la tournée latino-américaine de la compagnie, Jean-Louis Barrault décide de monter l’Orestie. Il demande à Pierre Boulez d’en écrire la musique. La difficulté d’exécution et les exigences de la mise en scène contraignent le compositeur à revoir sa partition et à effectuer des coupes, trop nombreuses pour qu’il souhaite ensuite intégrer l’œuvre à son catalogue.

4.Le salon de Suzanne Tézenas, 1954De gauche à droite, assis : Alberto Moravia, Jules Supervielle, Guido Piovene, Pierre David ; à l’extrême droite : Guy Dumur ; debout : X, Suzanne Tézenas, Jean Paulhan© Art Photo Louis Andrieux, Archives iconographiques Jean Paulhan, Paris

Très proche des milieux littéraires, Suzanne Tézenas reçoit chez elle peintres, écrivains, éditeurs, galeristes, conservateurs, compositeurs, pianistes, mais aussi de nombreuses personnalités de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie parisienne. Dans son salon, qui est avec celui de Florence Gould l’un des tout derniers de Paris, les réceptions s’organisent la plupart du temps a l’issue des concerts, offrant aux conversations de se poursuivre jusqu’à une heure avancée de la nuit.

5.Luigi Nono, Pierre Boulez et Karlheinz Stockhausen© G.W. Baruch / Südwestrundfunk

À Baden-Baden, au festival de Donaueschingen, et à Darmstadt, Pierre Boulez échange avec les compositeurs italiens, allemands, belges, américains de sa génération, dont il se sent souvent plus proche que de ceux qu’il côtoie à Paris. C’est néanmoins à Paris, qu’il rencontre, en 1952, Karlheinz Stockhausen venu étudier avec Olivier Messiaen.

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La Compagnie

En 1957, la Troisième sonate est avec le Klavierstück XI de Stockhausen l’un des tout premiers exemples musicaux de ce qu’Umberto Eco théorisera quelques années plus tard sous le nom d’« œuvre ouverte ». Nourries par les poétiques de Mallarmé dans le Coup de dés ou de Joyce dans Finnegans Wake, ces œuvres accordent à l’interprète la liberté de créer son propre parcours dans la partition, à partir des possibilités de lectures ouvertes par le compositeur. Si Henri Pousseur en 1959 ou Michel Butor en 1962 reprendront le titre « Mobile », Boulez, tout en poursuivant la même idée, s’en tiendra à une « Sonate » au titre trompeur.

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La Troisième sonate1.Pierre Boulez Troisième sonate, formant 3 Constellation-Miroir Manuscrite autographe Collection Pierre Boulez Fondation Paul Sacher, Bâle © Avec l’aimable autorisation de Universal Edition A.G., Vienne

La composition de cette sonate a toujours été associée par Pierre Boulez à ses découvertes littéraires, particulièrement celles de Joyce et de Mallarmé. La Troisième sonate est composée de cinq formants (terme choisi par analogie avec l’acoustique), susceptibles d’une plus ou moins grande détermination : 1. Antiphonie ; 2. Trope ; 3. Constellation, et son double : Constellation-Miroir ; 4. Strophe ; 5. Séquence. Le centre de l’œuvre est l’articulation réversible de Constellation et Constellation-Miroir.

2.Alexander Calder (1898-1976) Mobile sur deux plans, 1962Tôle d’aluminium et fils d’acier peints Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle © Calder Foundation New York / Adagp / Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat

Pierre Boulez rencontre Alexander Calder à New York en 1952. Celui-ci manipule devant le compositeur les personnages de son « cirque ». La variété et l’imprévu des formes que prend un mobile fait écho à la découverte du « Livre » de Mallarmé, dont les feuillets détachés permettent de penser une œuvre toujours lue différemment.

3.Pierre Boulez travaillant à la Troisième sonate, peu avant la création d’une version provisoire de l’œuvre, le 25 septembre 1957 à Darmstadt. © Susanne Schapowalow / Archives Internationales Musikinstitut Darmstad

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Au milieu des années 1960, la critique des institutions et la nécessité de leur réforme fait l’objet d’interventions virulentes de Pierre Boulez. En 1966, il dit « Non à Malraux » sur des questions de politique musicale, entrainant un débat acéré dans la presse. En 1967, Pierre Boulez préconise de « faire sauter » les maisons d’opéra. Sa vision critique le conduit à travailler avec Jean Vilar et Maurice Béjart à un projet de réforme de l’Opéra de Paris – abandonné par Vilar en 1968.

Inaugurée en 1963, l’expérience lyrique de Pierre Boulez se poursuit avec Parsifal et Tristan, qu’il dirige en Allemagne et au Japon, entre 1966 et 1970. La fin des années 1970 est marquée par ses collaborations avec Patrice Chéreau : la Tétralogie du centenaire, qui passe en quelques années du statut de haut scandale au plus grand succès de Bayreuth (1976-1980), puis Lulu en 1979 à l’Opéra de Paris. Pierre Boulez dirige ensuite deux productions mises en scène par Peter Stein – Pelleas et Mélisande de Debussy et Moïse et Aaron de Schoenberg –, ainsi qu’un triptyque Falla-Stravinsky-Schoenberg mis en scène par Klaus Michael Grüber, avant de retrouver Patrice Chéreau en 2007 pour De la maison des morts de Janácek.

1.André Masson Étude préparatoire pour le décor de Wozzeck, acte I, scène 1, 1963Pastel et collage sur papier noir Collection particulière © Adagp, 2015

André Masson envisage les décors de Wozzeck en ces termes : « Avant tout ils ne doivent pas cacher la musique ! Donc je les ai conçus monochromes : bistre, gris, noir et blanc – couleur de rouille, de cendre et de fumée. Et çà et là, la virulence d’un rouge. » Le peintre donne au décor des accents significativement proches des Prisons imaginaires de Piranèse, d’autant plus remarquables que le début des années 1960 est marqué par l’engagement du peintre contre la guerre d’Algérie.

2.Teresa Stratas et Patrice Chéreau au cours d’une répétition de Lulu de Berg à l’Opéra de Paris, mis en scène par Patrice Chéreau, 1979© Daniel Cande /Bibliothèque nationale de France

3.Le Nouvel Observateur, 25 mai 1966 Par cet article, initialement intitulé « Le Reniement de Saint André », Pierre Boulez réagit à la création d’une direction de la Musique séparée au sein du ministère de la Culture et à la nomination de Marcel Landowski à sa tête par André Malraux. Peu avant, répondant à la consultation d’Émile Biasini, Pierre Boulez avait émis des propositions sur l’organisation de la vie musicale française, restées lettre morte.

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Opéras

Qu’il s’agisse de mettre sur pied un projet précis (l’Ircam, l’Opéra Bastille ou la Cité de la musique) ou d’échanger sur le processus de création, Pierre Boulez aura noué des dialogues privilégiés avec les architectes – parmi lesquels Renzo Piano, Christian de Portzamparc ou Frank Gehry –, tout en gardant un goût prononcé pour certaines réalisations plus anciennes comme la spirale du musée Guggenheim de New York.

Dans la fascination qu’éprouve le compositeur pour l’architecture, le lien entre virtuosité technique et rendu artistique occupe une place centrale. Tout comme le compositeur et l’instrument se stimulent l’un l’autre, la démarche de l’architecte et le matériau interagissent : l’outil provoque l’invention et l’invention réclame des outils nouveaux, leurs logiques conjuguées menant à la création de formes innovantes.

Pierre Boulez trouve ainsi dans l’architecture une source d’inspiration pratique, esthétique et politique nourrissant son goût pour les problèmes de virtuosité pure – ce « côté trapèze volant que prend une difficulté vaincue ». Dans Incises (1994) puis dans sur Incises (1996-1998), il donne libre cours à cette écriture virtuose.

1.Pierre Boulez et l’Ensemble intercontemporain au Chicago Symphony Hall, répétition de sur Incises, 1999 © Philippe Gontier

2.Frank Gehry Esquisse pour le Walt Disney Concert Hall à Los Angeles [1989-1991]Encre sur papier Collection Frank Gehry

« La forme classique, fondée sur un schéma répétitif, est en cela semblable à l’architecture classique. Sans voir tout le bâtiment, on peut prévoir ce qui en reste encore caché. […] Certaines architectures contemporaines sont plus difficiles à lire, parce qu’elles changent selon le point de vue et qu’elles empruntent quelques-unes de leurs caractéristiques à la sculpture. » écrit Pierre Boulez dans Le Pays fertile. L’architecture est pour le compositeur un sujet de réflexion quand il ne compose pas mais qu’il réfléchit à l’acte de composer. Ainsi remarque-t-il de l’architecture de Frank Gehry que « ces courbes seraient impossibles sans qu’on les calcule d’abord et qu’on ait les matériaux pour les réaliser. Nous sommes à une époque où l’outil vous force presque à inventer quelque chose de différent. On découvre soudain un nouveau vocabulaire, un nouveau langage. »

3.Frank Gehry Esquisse pour la Pierre-Boulez-Saal de Berlin [2012]Encre sur papier

« Je m’efforce vraiment de faire que l’architecture paraisse naturelle, qu’elle ne soit pas écrasante ou imposante, qu’on s’y attache. Pour y parvenir, il faut beaucoup d’organisation, de rigueur et de précision. » précise Frank Gehry, qui pointe dans cette relation entre la forme et le travail préalable un lien avec la direction de Pierre Boulez et ses compositions. La Salle Pierre Boulez, architecture ovale conçue pour l’Académie Barenboim-Saïd, devrait ouvrir en 2016.

4.Christian de Portzamparc Cité de la musique, intérieur de la salle des concertsCrayon sur papier calque

« Avec Christian de Portzamparc, nous avons parlé de la nécessité d’avoir une certaine flexibilité, de pouvoir adapter la configuration de la salle aux œuvres jouées », se souvient Pierre Boulez. qui insiste sur l’impérative nécessité de pouvoir faire, dans toute salle, des changements de configuration rapides.

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Architecturesvirtuoses

Les trois sonates pour piano de Pierre Boulez s’inscrivent dans une période de dix années d’écriture (1947-1957). En dépit d’une forme contraignante – dernière référence aux formes musicales du passé –, la Deuxième sonate est une œuvre de rupture, de dissolution du langage, qui fait exploser la forme de la sonate. Elle témoigne des chocs esthétiques reçus par Boulez et annonce les prises de position radicales qui suivront. Son aspect paroxystique marque une recherche du rapport brut à la matière, en écho aux poétiques d’Artaud et de Michaux.

Dans les articles « Schoenberg est mort » et « Éventuellement… », Boulez distingue clairement le principe sériel du dodécaphonisme hérité de Schoenberg. Il rédige ces deux textes au moment de la composition de Polyphonie X et du premier livre des Structures, œuvres dans lesquelles il tente d’étendre les règles du sérialisme à l’ensemble des composantes du son. Cette écriture réduisant excessivement les possibilités d’invention, Boulez y renonce vite et critique l’aridité du procédé.

1.Pierre Boulez Deuxième sonate, IVe mouvementManuscrit autographe, version non définitive, datée « 8 février 48 » Courtesy John Cage Collection Northwestern University Music Library

Cette copie au net d’une version intermédiaire de la Deuxième sonate a été offerte par Pierre Boulez à John Cage, vraisemblablement en 1949. Entre la Première et la Deuxième sonate, Pierre Boulez écrit une Symphonie concertante, dont il perd le manuscrit en 1954. Quelques lignes de cette œuvre perdue subsistent au dos d’une page de ce manuscrit. La Deuxième sonate, composée entre 1946 et 1948, est créée à Paris par Yvette Grimaud le 29 avril 1950.

2.Jean Dubuffet Sans titre (Antonin Artaud), 1947 Encre sur papier Fondation Dubuffet, Paris © Adagp, 2015

Pierre Boulez entend Artaud proférer ses poèmes à la galerie Pierre en juillet 1947. Marqué par l’aspect transgressif et la scansion rythmique de son verbe, Pierre Boulez termine son tout premier article, « Propositions » (1948), par une référence à Antonin Artaud. La volonté de considérer le délire et de l’organiser, ainsi que Boulez l’exprime en 1958 dans « Son et verbe » s’appuie, encore, sur l’œuvre d’Artaud.

3.Jean Dubuffet (1901-1985) Portrait Cambouis, 1945Hautes pâtes Fondation Gandur pour l’Art, Genève © Photo Art Digital Studio / Courtesy galerie Applicat-Prazan, Paris / Adagp, 2015

Les hautes pâtes que Dubuffet peint dans les années 1945-1946 retiennent l’attention de Pierre Boulez quelques années plus tard, lorsqu’il les découvre aux États-Unis. Devant ces « sortes d’incantations », l’écrivain et critique d’art Georges Limbour évoque le « lyrisme de la vase et des matières sans noblesse dormant dans les entrailles de la terre », Dubuffet s’employant, « tel un démiurge des temps primitifs, à la création de ces matières, réalisée dans un grand délire des sens ».

4.Pierre Boulez « Éventuellement… » Manuscrit autographe [1951-1952] Collection Pierre Boulez Fondation Paul Sacher, Bâle © Ed. Christian Bourgois

« Que conclure ? L’inattendu : affirmons, à notre tour, que tout musicien qui n’a pas ressenti – nous ne disons pas compris, mais bien ressenti – la nécessité du langage dodécaphonique est INUTILE. » La phrase est célèbre, mais elle ne résume pas le propos de l’article, paru en 1952 dans la Revue musicale, qui annonce les travaux de Boulez sur la généralisation de la série, rend hommage à Messiaen, à Cage, et s’interroge sur l’intellectualisme en musique.

LaDeuxième

sonate

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Nés sous l’aile bienveillante de Jean-Louis Barrault au cœur de l’hiver 1953-1954, les concerts du Petit Théâtre Marigny prennent dès leur deuxième saison le nom de Domaine musical. Pierre Boulez organise quatre puis six concerts par an, selon trois plans conjugués : référence (des œuvres qui peuvent être très anciennes, mais ayant une résonance actuelle), connaissance (des œuvres contemporaines mal connues) et recherche (des créations). Nombreux sont les artistes et les intellectuels qui s’y rendent, mus par le vent de découverte qui y souffle.

Auditeur de ces premiers concerts, Nicolas de Staël consacre les dix derniers jours de sa vie à un immense tableau inachevé, Le Concert, directement inspiré des concerts Webern et Schoenberg donnés les 5 et 6 mars 1955. Son décès tragique empêche Boulez de lui demander une maquette comme il le fera avec Masson, Ubac, Zao Wou-Ki, Miró et Giacometti, tout aussi fidèles auditeurs, qui œuvreront pour les emblématiques pochettes des disques Véga.

1.Nicolas de Staël Étude d’orchestre, 1955Huile sur papier Collection particulière © Adagp, 2015

Cette œuvre a sans doute été peinte entre le retour de Nicolas de Staël à Antibes – autour du 7 mars –, et l’exécution de la très grande toile aujourd’hui exposée au Musée Picasso d’Antibes, Le Concert. Retrouvé après le suicide du peintre, le 16 mars 1955, ce tableau sera longtemps jugé trop « inachevé » pour être exposé. Nicolas de Staël avait noté sur son programme du 5 mars : « violons rouges rouges/ocre feux transp. »

2.Les Concerts du Domaine musicalDisque Véga, coll. « Présence de la musique contemporaine »

Couvertures réalisées d’après des maquettes originales de Joan Miró et André Masson (1956), Raoul Ubac et Zao Wou-Ki (1960), Alberto Giacometti (1958). En 1957, Igor Stravinsky accepte de réserver la primeur de la création européenne d’Agon au Domaine musical. Il dirige l’œuvre salle Pleyel à l’occasion de son soixante-quinzième anniversaire. C’est au cours de ce séjour parisien que le compositeur rencontre Alberto Giacometti, qui l’invite à poser pour lui. L’un de ces portraits servira de maquette pour le disque enregistré par Véga lors du concert.

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Le Domainemusical

C’est à Caracas, au cours d’une tournée de la Compagnie Renaud-Barrault en 1956, que Pierre Boulez dirige pour la première fois une grande formation symphonique. Fin 1957, Hermann Scherchen, qui doit diriger à Cologne la création du Visage nuptial de Pierre Boulez, choisit de laisser le pupitre au jeune compositeur. Deux ans plus tard, Pierre Boulez remplace au pied levé Hans Rosbaud ; en 1963, il dirige le Sacre du printemps pour le cinquantenaire de sa création au Théâtre des Champs-Élysées ainsi que Wozzeck de Berg à l’Opéra Garnier.

À la toute fin des années soixante, Pierre Boulez dirige les orchestres de Cleveland, Chicago, New York, et multiplie les contrats en Europe. En 1971, il succède à Leonard Bernstein comme directeur de l’Orchestre Philharmonique de New York et devient chef permanent de l’Orchestre symphonique de la BBC.

Le travail effectué avec ces grandes formations marque l’œuvre du compositeur, qui s’attèle à la réécriture orchestrale de partitions composées vingt ans auparavant. Dans les années 1990, l’interprétation des symphonies de Mahler et de Bruckner le conduira vers la composition de grandes formes.

1.Rug concert au Lincoln Center de New York, sous la direction de Pierre Boulez, 1974© Christian Steiner / New York Philharmonic Archives

Les « rug concerts » (concerts « tapis ») sont, au cœur de l’été new yorkais, une manière de désacraliser le concert, de vaincre les timidités et de créer une écoute nouvelle pour des musiciens plus exposés. Le parterre de l’Avery Fisher Hall, vidé de ses sièges, est investi par un public assis sur de petits coussins en mousse. L’orchestre est installé devant la scène, au milieu de la salle, tandis que la scène se trouve occupée par des auditeurs également assis, allongés, à même le sol ou sur des coussins.

2.Pierre Boulez et Leonard Bernstein, 1974© Christian Steiner / New York Philharmonic Archives

C’est en 1971 que Pierre Boulez succède au compositeur de West Side Story à la tête de l’Orchestre Philharmonique de New York.

3.Pierre Boulez et l’Orchestre de Cleveland à la fin d’un concert donné à Tokyo en 1970© Peter Hastings / The Cleveland Orchestra Archives

4.Pierre Boulez dirigeant© Ph. Gontier / DG

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La directiond’orchestre

À la fin des années 1950, les musiciens de la génération de Pierre Boulez sont nombreux à remettre en cause la géographie traditionnelle de l’orchestre. Gruppen de Stockhausen (1958) est l’œuvre emblématique de cette recherche. Poésie pour pouvoir, qui constitue le schéma d’écriture de Répons, est créée la même année. Doubles, devenu Figures Doubles Prismes, est une autre tentative d’éclatement de la disposition orchestrale. Son écriture, comme celle de Répons, joue sur des miroitements et des réflexions du son.

Élaborée dans les studios de l’Ircam, Répons (1981-1984) est une œuvre dont le titre fait référence au plain chant. Cette forme du Moyen Âge, dans laquelle un chanteur soliste alterne avec un chœur, recèle des principes d’écriture récurrents dans l’œuvre de Pierre Boulez : prolifération d’une idée musicale à partir d’un élément simple, alternance entre jeu individuel et jeu collectif, sources sonores organisées dans un espace non frontal. Répons intègre à la fois des sons produits par ordinateur et ceux des instruments traditionnels. Le public est placé tout autour de l’ensemble instrumental et est lui-même encadré par six solistes et six haut-parleurs qui en restituent le son traité en temps réel.

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Répons

1.Installation du dispositif de Répons, carrière Callet, Boulbon, Avignon 1988© Dominique Darr /Archives Ircam – Centre Pompidou

Du 11 au 19 juillet 1988, dans le cadre du festival d’Avignon, Pierre Boulez dirige Répons dans la carrière Callet de Boulbon. Parallèlement à cette semaine de concerts, invité par le Centre Acanthes, il donne une série de cours de direction d’orchestre à Villeneuve-lès-Avignon.

2.Pierre Boulez et l’Ensemble intercontemporain, répétition de Répons, Royal Horticultural Hall, Londres, 5 septembre 1982© Malcolm Crowthers /Archives Ircam – Centre Pompidou

3.Susanne Vogt, Pierre Boulez, Fred Bürck, Hans Wurm au studio Südwestfunk, Baden-Baden, vers 1958© Südwestrundfunk / Elke Dorsch-Wagner

Pierre Boulez s’attèle en 1958 à l’écriture d’une pièce pour orchestre et bande magnétique sur un texte d’Henri Michaux : Poésie pour pouvoir. Dans cette première tentative de conciliation entre l’instrumental et l’électronique, Pierre Boulez cherche déjà à mettre en œuvre une spatialisation du son. Extrêmement gêné par l’aspect de « cérémonie crématoire » que revêtent les exécutions de musique électronique quand l’auditeur est obligé de regarder des haut-parleurs, Pierre Boulez choisit de placer ces haut-parleurs derrière le public. Bridé par les limites techniques du studio, le compositeur ne conserve que la partie orchestrale de l’œuvre après sa création et retire l’œuvre de son catalogue.

4.Répétition de Gruppen pour la création de l’œuvre à Cologne, le 24 mars 1958Orchestre de la radio de Cologne, direction Karlheinz Stockhausen, Bruno Maderna et Pierre Boulez © Archive of the Stockhausen Foundation for Music, Kürten, Allemagne

Cette disposition en trois orchestres séparés, née de la difficulté à superposer des tempi différents dans un même orchestre, requiert trois chefs d’orchestre et une organisation en trois scènes, semi-circulaire ou en fer à cheval. La grande similitude de nomenclature entre les orchestres renforce les jeux d’échos et de réponses de l’un à l’autre. Par cette mise en jeu du temps et de l’espace, Gruppen constitue l’un des événements musicaux les plus marquants de l’époque.

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Pierre Boulez naît à Montbrison le 26 mars 1925. Ses études de mathématiques le mènent à Lyon en 1941 mais, dès l’année suivante, il décide de se consacrer à la musique. En 1943 il gagne la capitale et entre au Conservatoire puis, quelques semaines après la Libération de Paris, intègre la classe d’Olivier Messiaen. Ce cours est le lieu de découverte d’œuvres majeures du XXe siècle, de Ravel et Debussy à Stravinsky et Bartók.

En 1945, il s’inscrit en classe de fugue au Conservatoire. L’enseignement qu’il y reçoit ignorant tout un pan de la création musicale récente, il s’insurge et finit par quitter l’institution. En cours particuliers, il suit l’enseignement d’Andrée Vaurabourg et de René Leibowitz, auquel il reproche rapidement d’avoir une approche stérile de l’écriture à douze sons.

Durant ces années d’études, Pierre Boulez écrit les Notations pour piano, fréquente les galeries parisiennes, lit les journaux littéraires, découvre Kafka et Mallarmé. En 1947, parti rencontrer René Char en Provence, il découvre à Avignon l’œuvre de Paul Klee.

1.Libération de Paris, place de la Concorde, 1944© Lucien Hervé

En août 1944, Pierre Boulez est à Paris. Comme de nombreux parisiens, il se rend place de la Concorde et vit les derniers bombardements allemands sur la capitale. En préface au catalogue de l’exposition du Palais des papes de juillet 1947, Fernand Léger écrit : « Nous vivons une époque dangereuse et magnifique dans laquelle s’enlacent désespérément la fin d’un monde et la naissance d’un autre – une confusion apparente en est l’aspect immédiat. »

2.Paul Klee Felsenlandschaft, 1937Huile sur toile Collection particulière © Giorgio Skory, Romanel-sur-Lausanne

Felsenlandschaft [Paysage rocheux] était exposé au palais des Papes à Avignon, en 1947, avec quatorze autres œuvres de Paul Klee, dont dix aquarelles. En 1956, lorsque paraissent pour la première fois les cours de Klee au Bauhaus sous le titre Das bildnerische Denken [La Pensée créatrice], Karlheinz Stockhausen offre le livre à Pierre Boulez avec ces mots : « Vous verrez, Klee est le meilleur professeur de composition ».

3.Joaquim Gomis Exposition de peintures et sculptures contemporaines au palais des Papes, 1947 Archives nationales de Catalogne © Succession Joaquim Gomis, Fundació Joan Miró, Barcelone

Les œuvres sur papier de Paul Klee se trouvaient dans la sacristie Sud de la chapelle Clémentine du palais des Papes. Ce sont elles qui firent la plus forte impression sur le jeune compositeur. « Jusqu’à ma rencontre avec Paul Klee je ne raisonnais qu’en musicien, ce qui n’est pas toujours le meilleur moyen d’y voir clair » dira Pierre Boulez.

4.Olivier Messiaen, Michel Fano et Pierre Boulez, 1954© Boris Lipnitzki /Roger-Viollet

Messiaen reçoit Pierre Boulez pour la première fois le 28 juin 1944. Pierre Boulez obtient son premier prix d’harmonie un an plus tard, exploit suffisamment rare pour être noté. De son élève, Messiaen dira : « je savais que c’était une personnalité dévorante. Je l’ai deviné dès le premier instant ». Pierre Boulez retiendra de la classe d’harmonie « la perspective historique indispensable pour situer le langage musical, la validité temporaire, provisoire, de toute étape dans l’évolution de ce langage ».

Les annéesd’après-guerre

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Pour la troisième fois – après Le Visage nuptial et Le Soleil des eaux –, Pierre Boulez choisit d’écrire une œuvre sur un texte de René Char : Le Marteau sans maître. À partir de trois poèmes différents, il compose neuf pièces qu’il entrecroise de sorte à établir une circulation nouvelle dans l’œuvre. Le Marteau sans maître témoigne d’une étude des musiques extra-européennes engagée une dizaine d’années auparavant et d’un goût pour le théâtre oriental. La durée, l’instrumentation, l’organisation des textes et la voix soliste rapprochent l’œuvre du Pierrot lunaire d’Arnold Schoenberg (1912), dont l’univers et l’écriture intéressent Boulez à plus d’un titre.

La poésie de Char nourrit la réflexion du compositeur sur l’alliance du son et du verbe. Pierre Boulez revendique cependant une nécessaire indépendance de l’œuvre vis-à-vis de son créateur, dont Le Marteau offre un exemple : si Boulez a « dépossédé » Char de son texte, c’est ensuite Béjart qui « dépossèdera » le compositeur de sa musique.

1.Pierre Boulez Esquisse préparatoire pour « Bel édifice et les pressentiments – double » (Le Marteau sans maître, n° 9) Collection Pierre Boulez Fondation Paul Sacher, Bâle

Le Marteau sans maître comporte trois cycles fondés sur trois poèmes différents. Les cycles sont distribués de sorte à s’interpénétrer. L’instrumentation varie d’une pièce à l’autre. La voix est employée dans le « noyau » de chaque cycle. La neuvième et dernière pièce, « Bel édifice et les pressentiments — double », est une pièce « microcosme de l’œuvre entière » à la fin de laquelle la voix, bouche fermée, se fond dans l’instrumental.

2.Hans Rosbaud et Pierre Boulez à l’issue de la création du Marteau sans maître, 18 juin 1955© Hanns Tschira /Südwestrundfunk

À Suzanne Tézenas, Pierre Boulez écrit au cours de l’été suivant : « À Baden-Baden, l’exécution du “Marteau” a très bien marché. Rosbaud a été vraiment merveilleux ; il y avait de l’atmosphère. Et, en général, l’œuvre a été bien accueillie. Les répétitions avaient été menées avec grand soin […] J’ai trouvé une grande compréhension de la part de Rosbaud, avec qui j’aime beaucoup travailler. »

3.Pochette de disque Véga, 1962Premier enregistrement du Pierrot lunaire d’Arnold Schoenberg sous la direction de Pierre Boulez.

4.Affichette du concert du 18 juillet 1950Collection Nicolas Guillot / Comité Roger Désormière

Création du Soleil des eaux au Théâtre des Champs-Élysées.

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Le Marteau sans maître

1.Maria Elena Vieira da Silva Hiver, 1960Huile sur toile Fondation Gandur pour l’Art, Genève © Adagp, 2015

Pierre Boulez dit avoir toujours aimé dans les toiles de Vieira da Silva « ces monuments abstraits qui se dégagent de la brume, puis sont noyés sous une couche de blanc quand leur architecture devient trop présente ». C’est cela qui lui suggère, dans plusieurs pièces, d’« effacer des structures évidentes en les camouflant sous une sorte de brouillage instrumental », notamment dans la troisième Improvisation sur Mallarmé.

2.Stéphane Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, 1897 Épreuves corrigées (édition Vollard) Réserve des Livres rares Bibliothèque nationale de France

Mallarmé comparait le Coup de dés à une « partition ». Dans son œuvre, Pierre Boulez trouve un puissant écho aux questions qu’il se pose, quant à l’organisation des rapports spatiaux et à la force signifiante du graphisme. À la toute fin des années 1940, Pierre Boulez commence un projet d’écriture sur le Coup de dés, qui n’aboutira pas. En 1951, il conclut son article « Moment de Jean-Sébastien Bach » par ce rappel : « ce n’est pas une raison pour oublier que Toute pensée émet un coup de dés ».

3.Conférence du cycle « Penser la musique aujourd’hui », 1960© Hans Kenner / Archives Internationales Musikinstitut Darmstadt

En juillet 1960, Pierre Boulez donne à Darmstadt un cycle de cinq conférences intitulées Musikdenken heute (« Penser la musique aujourd’hui »), traduites par Heinz-Klaus Metzger. Ce même été, il donne un cours intitulé Die Harfe in der neuen Musik (« la harpe dans la musique nouvelle »).

4.Pierre Boulez à Darmstadt [1965]© Pit Ludwig / Archives Internationales Musikinstitut Darmstadt

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Pli selon pliPierre Boulez commence également l’écriture de Pli selon pli à la même période que La Troisième sonate. Comme le poète sent « Que se dévêt pli selon pli la pierre veuve » des murs de Bruges, le compositeur dessine son Portrait de Mallarmé très progressivement. Le titre Pli selon pli, extrait de « Remémoration d’amis belges », rassemble cinq pièces, reposant chacune sur un poème de Mallarmé, et interrogeant différemment l’alliance du texte et de la musique.

Parallèlement, Pierre Boulez est de plus en plus sollicité pour enseigner ; à Darmstadt, il donne en 1960 un cycle de conférences intitulées « Penser la musique aujourd’hui » ; la même année, il commence à enseigner à l’académie de Bâle et, trois ans plus tard, est invité à l’Université de Harvard.

Pierre Boulez a souvent rappelé que le cheminement du compositeur doit s’inscrire dans une recherche collective : c’est la jonction entre musiciens et scientifiques qui débouche sur l’invention d’outils pour la création. Lorsque le Président Pompidou lui propose de concevoir puis de diriger un institut consacré à la recherche musicale, Pierre Boulez accepte et l’Ircam (Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique) voit le jour en 1977. Mais l’« outil » ne se limite pas à la lutherie instrumentale : la salle de concert elle-même est un objet de transmission ouvert aux impératifs de la création. La constitution du répertoire passe aussi par la création d’un nouveau type de formation instrumentale : en 1976 naît l’Ensemble intercontemporain qui réunit 31 solistes de haut niveau.

La transmission, enfin, est pensée à travers le dialogue avec les sciences, l’architecture, la philosophie. Nommé en 1976 au Collège de France, Boulez joint alors ses deux activités de chercheur et de professeur.

1.Chantier de l’espace de projection de l’Ircam, 1976© Patrick Croix/Archives Ircam – Centre Pompidou

En 1971, Pierre Boulez remet à l’Elysée un plan pour l’organisation de l’Ircam : « au centre, figurait ce qui allait devenir l’Espace de projection, c’est-à-dire un espace commun ; et tous les studios, tous les départements se distribuaient alentour. » L’« espro » ouvre ses portes au public en 1978. Il est alors décrit au public comme une « salle expérimentale au volume et à l’acoustique modelables [sic] » à la vocation multiple : « non pas salle de concerts mais outil acoustique et musical ».

2.Jean Tinguely Xérocopie d’une esquisse pour la Fontaine Stravinsky adressé à Pierre BoulezPhotographie du document original Collection particulière © Adagp, 2015

Pierre Boulez, qui a découvert l’œuvre de Jean Tinguely grâce à Paul et à Maja Sacher, propose son nom pour réaliser une fontaine sur

le « toit » de l’Ircam. L’œuvre est signée de l’artiste suisse et de son épouse Niki de Saint Phalle. Plusieurs copies de cette esquisse, complétées d’un texte manuscrit et rehaussées de couleurs ont été utilisées par Tinguely, comme cartes de vœux, ou comme invitation à l’inauguration de la Fontaine Stravinsky. Celle-ci n’eut finalement pas lieu le 7 mars, mais le 16 mars 1983.

3.Pierre Boulez et Andrew Gerzso derrière le dispositif électroacoustique de Répons© Ralph Fassey /Archives Ircam – Centre Pompidou

4.Les musiciens de l’Ensemble intercontemporain avant un concert donné à l’Imprimerie nationale de Douai© Michel Le Ta / Paris Match / Scoop

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Outils pourla création

C’est en 1983 que le Président Mitterrand prend la décision de créer la Cité de la musique dans l’Est parisien. Dès cette phase initiale, le projet englobe la construction d’un nouveau bâtiment pour le Conservatoire national supérieur et d’un complexe de salles de concert, médiathèque et musée de la musique. Constamment soutenu par Pierre Boulez, ce projet tend à renforcer le dialogue entre toutes les pratiques musicales et artistiques en leur permettant de voisiner sur un même site.

La Philharmonie de Paris réunit aujourd’hui la Cité de la musique signée Christian de Portzamparc, ouverte en 1995, et le bâtiment conçu par Jean Nouvel inauguré en janvier 2015.

La Philharmonie poursuit tout en l’amplifiant la politique de démocratisation culturelle menée par la Cité de la musique depuis sa création : repenser la place du concert dans la vie de chacun, en l’intégrant au cœur d’un dispositif ouvert, favorisant toutes les formes d’appropriation éducatives ou ludiques.

La Philharmonie de Paris constitue un pôle culturel unique au monde favorisant l’appropriation de la musique par les publics. Au service des formations symphoniques nationales et internationales, sa programmation est également ouverte aux musiques actuelles et aux musiques du monde, ainsi qu’à la danse.

Au sein de la Philharmonie de Paris, le Musée de la musique conserve une collection de plus de 7000 instruments et objets d’art. Près de 1000 d’entre eux sont exposés, dont des trésors nationaux ou des instruments mythiques comme un piano de Chopin ou des violons Stradivarius, qui permettent de relater l’histoire de la musique occidentale du XVIe siècle à nos jours et de donner un aperçu des principales cultures musicales à travers le monde.

Le Musée propose deux fois par an des expositions temporaires sur des thématiques favorisant le croisement des disciplines artistiques. Dans le cadre de sa politique de développement à l’international, la Philharmonie de Paris propose l’itinérance sous différentes déclinaisons et son expertise notamment dans le domaine éducatif, élabore des partenariats artistiques avec des structures étrangères et participe à de nombreux projets européens.

Page 15: Pierre Boulez - Philharmonie de Paris · 4 PARCOURS DE L’EXPOSITION - ENTRÉE Compositeur, théoricien, chef d’orchestre et fondateur d’institutions, Pierre Boulez marque la

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CLARA WAGNER, DIRECTRICE DÉLÉGUÉE

AUX RELATIONS INTERNATIONALES ET

INSTITUTIONNELLES

TEL.: +33 (0)1 44 84 47 27

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C O N TAC TS

SARAH BARBEDETTE COMMISSAIREDocteure en littérature française de l’Université Paris-Sorbonne, Sarah Barbedette a publié en 2014 Poétique du concert. À la lumière du tableau de Nicolas de Staël (Fayard). Elle a travaillé avec Pierre Boulez à la conception des concerts Un certain parcours (Orchestre de Paris, mai 2010). Sous ce même titre, elle a édité un livre d’hommage au chef d’orchestre par les musiciens. Ses publications et ses recherches sont de manière générale consacrées au rapport que le créateur (musicien, peintre, écrivain…) entretient avec un domaine artistique autre que le sien.