photographie et schéma: quelle lecture des signes

13
Photographie et schéma: quelle lecture des signes •• Iconiques en sCiences expérimentales? Marc Weisser Les images sont partout présentes. Elles nous sont familières et paraissent, de plus, proches de l'objet qu'elles représentent. Pourtant, leur compréhension pose des problémes didactiques certains. Cet article tente de défricher une partie de ce territoire en opposant deux types de signes iconiques: la photographie et le schéma. Comment expliquer les lectures divergentes qu'en font les élèves? Quelle place leur accorder alors? Dans quel contexte? On a recours aux notions sémiotiques de code et de degré d'iconicité pour tenter de dégager quelques orientations premières de la didactique de l'image en sciences expérimentales. UNE PRÉOCCUPATION ACTUELLE images (Instructions Officielles du Cycle des Approfondissements, 1995 p. 74). _ ...- Signes Icônes Indices Symboles -_.- .. apports Similarité Contiguïté Convention ec le réel .- 1-------.. _.- Photographie, La fumée Langage xemples par rapport portrait au feu verbal ---._- -",----- E * ** R av Selon Peirce (1978), il est possible de concevoir trois catégories de signes si l'on prend en compte leurs rapports avec la rèalitè à laquelle ils rèfèrent. Les moyens modernes de reprographie et de production de documents mettent les images à la portèe de tous les enseignants. Plus que jamais, les élèves sont au contact d'illustrations d'ori- gines et de formes diverses; cette familiarité croissante conduit à considérer leur présence comme allant de soi et à y faire appel au mème titre qu'aux énoncés verbaux oraux ou écrits. Pourtant, les images présentent à l'évidence des caractèristiques qui diffèrent de celles de la chaîne parlèe. Cet article a pour objet d'insister sur ces aspects et de voir à quelles conditions les èlèves pourront « développer des outils d'analyse et exercer leur sens critique» à l'égard des Revue Française de Pédagogie, 125, octobre-novembre*décembre 1998, 69-81 69

Upload: others

Post on 22-Jun-2022

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

Photographie et schéma:quelle lecture des signes•• •Iconiques en sCiences

expérimentales?

Marc Weisser

Les images sont partout présentes. Elles nous sont familières et paraissent, de plus, proches de l'objetqu'elles représentent. Pourtant, leur compréhension pose des problémes didactiques certains.Cet article tente de défricher une partie de ce territoire en opposant deux types de signes iconiques: laphotographie et le schéma. Comment expliquer les lectures divergentes qu'en font les élèves? Quelleplace leur accorder alors? Dans quel contexte? On a recours aux notions sémiotiques de code et dedegré d'iconicité pour tenter de dégager quelques orientations premières de la didactique de l'image ensciences expérimentales.

UNE PRÉOCCUPATION ACTUELLE images (Instructions Officielles du Cycle desApprofondissements, 1995 p. 74).

~----_...-

Signes Icônes Indices Symboles-~~

-_.- ..

apportsSimilarité Contiguïté Convention

ec le réel.-1-------.. _.-

Photographie, La fuméeLangagexemples par rapport

portraitau feu

verbal---._- -",-----

E

***

Rav

Selon Peirce (1978), il est possible de concevoirtrois catégories de signes si l'on prend en compteleurs rapports avec la rèalitè à laquelle ils rèfèrent.

Les moyens modernes de reprographie et deproduction de documents mettent les images à laportèe de tous les enseignants. Plus que jamais,les élèves sont au contact d'illustrations d'ori­gines et de formes diverses; cette familiaritécroissante conduit à considérer leur présencecomme allant de soi et à y faire appel au mèmetitre qu'aux énoncés verbaux oraux ou écrits.

Pourtant, les images présentent à l'évidencedes caractèristiques qui diffèrent de celles de lachaîne parlèe. Cet article a pour objet d'insistersur ces aspects et de voir à quelles conditions lesèlèves pourront « développer des outils d'analyseet exercer leur sens critique» à l'égard des

Revue Française de Pédagogie, n° 125, octobre-novembre*décembre 1998, 69-81 69

Page 2: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

Tout en soulignant que certains des termes dece tableau ont d'autres acceptions chez d'autresauteurs, je m'en tiendrai pour le moment à unedéfinitiolî sommaire du signe iconique commesigne entretenant une relation de similarité avecla réalité qu'il représente, donc, en termes sémio­tiques, une relation motivée.

Si le mot référant à un objet va différer d'unelangue à l'autre selon le systéme local de conven­tions (relation arbitraire), des images de ce mémeobjet, prélevées dans des ouvrages appartenant àdes aires linguistiques différentes, présenteront denombreux traits semblables et seront donc immé­diatement compréhensibles pour des locuteurs detoutes origines géographiques, du fait de leur ana­logie avec la réalité (relation motivée).

J'ai choisi d'observer tout particulièrementquelle lecture des éléves de CM2 faisaient dessignes iconiques à visée scientifique. Pour parve­nir à mettre à jour des différences d'approche, j'aiopposé deux types d'images: une photographieen couleurs eL un schéma en noir et blanc (voirreproductions ci-dessous). Quelles sont lescaractéristiques spécifiques de ces deux adju­vantsdidactiques? À quelles fins les présenter

Photographie(fournie en couleurs aux élèves)

alors? Comment les informations prélevées surl'un et sur l'autre interagissent-elles?

Une classe de vingt-quatre élèves a été scin­dée en trois groupes de niveau sensiblementégal: les premiers ont observé la photographieen couleurs seule, les seconds le schéma en noir,et plane seul, les derniers la photographie et leschéma. Les deux illustrations représentent lefour solaire d'Odeillo (Tavernier 1986 p. 169) ;ell~s ont été mises à la disposition des élèvessans le texte connexe et hors de tout contextescolaire: travaux préparatoires, indication del'appartenance à un champ disciplinaire, etc.,ceci afin de minimiser les effets du contrat didac­tique implicite (Weisser 1995a pp. 117-145). Laconsigne était « Écrivez ce que vous voyez ", ceverbe me semblant plus neutre que {< Décrivez )~

par exemple, qui a de suite une connotationscientifique.

J'essaierai à propos des écrits produits deremonter du message, ou plutôt des messages entant qu'interprétations des images par les élèves,aux codes qui sous-tendent ces différentes inter­prétations. Une réflexion plus fine sur la notion designe iconique me permettra à la suite de voircomment intégrer une didactique de l'image et/oupar l'image dans le cursus habituel des sciencesexpérimentales.

Schéma en noir et blanc

rayons du soleil

miroir

70 Revue Française de Pédagogie, n" 125, octobre·novembre.décernbre 1998

Page 3: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

L'analyse menée ci-dessous relève donc d'unerhétorique de l'exemple: elle décrit une expé­rience particuliére, de faible amplitude, et ne faitque proposer des pistes de réflexion qu'il faudratransposer en fonction des caractéristiquespropres à chaque situation scolaire.

UNE LECTURE D'IMAGES HORS CONTEXTE

Il m'a semblé important de faire produire unécrit hors de tout contexte disciplinaire par lebiais d'une consigne floue, très ouverte, afin desaisir un maximum d'inférences divergentes. Letexte de chaque élève va par conséquent êtreinfluencé davantage par l'illustration dont il parleque par une compétence métadiscursive acquisepar ailleurs (typologie selon le moment scolaire:narratif vs descriptif, etc.).

Je tenterai ici d'établir un systéme d'opposi­tions et de ressemblances entre les travaux destrois groupes pour organiser de la sorte la lecturedu corpus expérimentai. Ce classement serarepris ensuite au plan théorique.

Le pittoresque de la photographie

La premiére marque de l'influence du type designe iconique sur le type de texte spontanémentretenu concerne la forme donnée à leur écrit parles élèves: alors que ceux qui ne parlent que duseul schéma optent souvent pour la liste, pourl'énumération à base de substantifs, leurs cama­rades produisent un texte plus construit, en cesens qu'ils procèdent par phrases complètes etenchaînées: positions dans l'espace des élé­ments perçus les uns par rapport aux autres,organisation de la démarche en premier plan,second plan, horizon.

"Je vois des montagnes enneigées et un petitvillage derrière une colline. »

« Devant le miroir s'élève une maison haute, jepense qu'à l'intérieur, il y a un escalier. »

«Au quatrième plan, je vois des montagnesrecouvertes de neige. »

À travers les trois exemples cités, on se rendbien compte que les élèves ont été sensibles nonseulement aux bâtiments et autres objets, tracesde l'activité humaine, mais aussi au paysage envi-

ronnant. L'importance de la surface occupée surla photographie par le miroir concave du foursolaire ainsi que sa position centrale au premierplan du cliché n'ont pas été des facteurs déter­minants de sélection des éléments à percevoir.Bien plus, aucun détail n'a été omis, qu'il s'agissedes véhicules stationnés à gauche du bâtimentprincipal, ou des allées qui desservent les ran­gées de miroirs plans.

Le second trait propre à l'analyse de la photo­graphie seule réside dans le choix du cadre inter­prétatif global de l'illustration.

«Je vois des montagnes qui me paraissentassez vieilles à cause de leur bout arrondi. Cebeau paysage me semble venir des Vosges ou duMassif Central. »

Pour cet élève, il s'agit d'une illustration appar­tenant au champ de la géographie: justificationde l'appellation cc montagnes vieilles ", dénomina­tion même des sommets aperçus à l'arrière-plan.La qualité technique de l'objet représenté n'appa­raît que rarement dans les écrits de ce groupe,alors que c'est assez généralement le cas dans lerestant de la classe.

Pour un autre, les éléments photographiés ontune vocation esthétique, culturelle: « Sur le grandbâtiment, il y a un dessin. » Un troisième abondedans ce sens: « Sur l'immeuble, on a peint lepaysage caché derrière. Je vois aussi quelquestoiles de peinture sur leurs piédestaux [les ran­gées de miroirs plans]. (... ) C'est peut-être unmusée. "

On voit se constituer au fur et à mesure ce queGreimas (1966) appelle une isotopie sémantique:des détails perçus se confirment les uns les autres(<< on a peint ", « toiles ", « piédestaux» pour che­valets, «musée »), le dernier terme semblant deplus reprendre, résumer les précédents. Les élé­ments de la photographie font texte, c'est-à-direque l'élève ne les voit plus comme un ensembleinorganisé, mais qu'il structure sa lecture, qu'iltrace un cheminement perceptif à travers l'image.

L'isotopie constitue à la fois une organisationde l'interprétation du document et une restrictiondes lectures possibles. Elle est un fil conducteurautour duquel s'agencent les détails perçus, et enmême temps la marque d'une frontière: une foisqu'une hypothèse interprétative est émise, leretour au document a pour fonction principale delui rechercher des confirmations perceptives.

Photographie et schéma: quelle lecture des signes iconiques en sciences expérimentales? 71

Page 4: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

En temps normal, cette isotopie est quasimentimposée par le contexte «discipline scolaire» :en leçon de sciences expérimentales, je doisconsidérer la photographie comme la représenta­tion iconique d'un objet technique et non commeun extrait de catalogue touristique (" Je vOÎs unimmeuble de vingt-six étages qui pourrait être unhôtel. Derrière, il y a une montagne très grande, jepense que ce sont les Alpes ») ou de manuel degéographie (voir plus haut).

Dans la présente expérimentation, le même effetde sélection de l'isotopie correcte est obtenu parle biais du schéma: que ce soit dans le groupequi a décrit le schéma seul ou dans celui pourlequel schéma et photographie étaient associés,l'appartenance du document au champ scienti­fique ou technique a en général été décelée: « Cesont des miroirs qui reflètent la lumière vers lefour. (... ) Je pense que ça sert à alimenter uneville en électricité. (... ) L'illustration vient d'unlivre de science» (Groupe photographie etschéma). Non seulement les éléments sontdénommés (grâce au schéma) et la provenancedes illustrations élucidée, mais apparaît de sur­croît l'hypothése d'une fonction technique (et nonplus esthétique comme ci-dessus). La successionde termes relevant d'un même champ sémantiquenous montre une fois encore à l'œuvre le travailde sélection isotopique, qui va de la description àl'inférence, qui va de l'organisation de ce qui esteffectivement perceptible au choix de son utilitéprobable. Les rapports entre les éléments ne sontplus d'ordre spatial, topologique, mais d'ordrefonctionnel: "Le soleil tape sur les vingt-cinqgrands miroirs puis ils tapent sur le gigantesquemiroir qui à son tour tape sur le four pour lechauffer. » Dans le groupe qui avait à sa disposi­tion les deux illustrations, le schéma est consi­déré comme le plan, l'explication, la consigne(sic) de la photographie. Je reviendrai plus bassur la richesse des interactions photographie­schéma.

Le schéma comme sélection

Essayons maintenant de discerner quelques­unes des spécificités du schéma, à travers l'exa­men comparatif des lectures produites par les dif­férents groupes.

Chez les élèves disposant à la fois des deuxillustrations, des éléments à forte prégnance per­ceptive comme les massifs montagneux ne sont

plus mentionnés que pour mémoire, dans unsecond temps, quand, après avoir décrit ce qui àson avis était l'essentiel, l'auteur du texte vise àl'exhaustivité: le tri est fait d'emblée, l'importantest séparé de l'accessoire avant même le débutde ['acte d'écriture.

Le choix s'appuie dans ce cas sur le schéma. Laphotographie est certes déjà une mise en forme duréel (voir à ce sujet Weisser 1996): le cadrage,l'angle de prise de vue, la composition des plansrelevant d'une décision de l'opérateur. Mais leschéma représente un état supérieur d'interven­tion d'un auteur. Il s'agit en fait, du réel à la photo­graphie et de la photographie au schéma, d'unesuccession de synecdoques dans lesquelles,étape par étape, la partie représente le tout et, enle représentant, l'interprète. Ce qui, à l'inverse,explique que certaines informations se perdentchemin faisant, car n'ayant pas été jugées perti­nentes, car ne participant pas de l'intention qui aguidé cette mise en forme particulière.

On pourrait avancer que la schématisationconsiste en une tentative de contraindre la formede l'expression à respecter une forme du contenupréétablie (voir Tardy 1991). Elle est à ce titre lamarque d'une transposition didactique.

En d'autres termes, le classement des objetsreprésentés par des traits noirs épouse point parpoint le classement logiquement antérieur desobjets « que l'élève a à percevoir dans le cadred'un apprentissage déterminé ". Ce qui est livré àla vue de l'élève ne constitue pas une région del'espace aléatoirement découpée par un œil quene guiderait aucune préoccupation didactique.Bien au contraire, c'est une intention conscienteet précise qui nous livre dans le schéma une cer­taine interprétation finalisée (d'une photographieici). Et comme le but poursuivi est de l'ordre du«donner à apprendre ", l'encodage cherche àtenir compte des possibilités des lecteurs poten­tiels: le rédacteur de manuels scolaires, l'archi­tecte et le dessinateur industriel ne font pas appelaux mêmes codes pour figurer une même réalité.L'artiste peintre encore moins ...

Les informations retenues pour composer ceschéma n'en deviennent que plus saillantes (tou­jours par rapport à la photographie) : elles se pro­jettent pour ainSi dire vers nous, par opposition àtout ce qui aurait pu être dit/encodé, mais quipourtant ne l'a pas été; à mesure que j'attentionse focalise, le paysage se referme et l'objet s'im-

72 Revue Française de Pédagogie, n° 125, octobre-novembre-décembre 1998

Page 5: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

2. a) Bâtiment principal supportant le grandmiroir concave.

b) Tour secondaire abritant le four propre­ment dit.

c) Rangées de miroirs plans.

nomènes "fait un", «va ensemble". Quand unvéhicule automobile passe à côte de nous dans larue, il n'est pas perçu comme « quatre roues, unecarrosserie, un moteur ", etc., mais comme une« voiture Il : là, le mouvement confère l'unité, « cequi bouge ensemble va ensemble ".

Mais nous identifions également des objets sta­tiques et nous devons à l'inverse faire un effortd'attention pour ne pas percevoir une maison,mais plus précisément ses fenêtres, ses volets,ses murs, ...

Les élèves qui n'ont vu que la photographie ontbien parlé d'un bâtiment, pourtant peu visibleparce que recouvert dans sa quasi-totalité d'unmiroir (d'une peinture?) qui renvoie une imageinversée du paysage alentours; ils ont bien parléaussi d'un autobus et de véhicules garés à proxi­mité, dont l'image se résume pourtant à deuxpetites taches entre le blanc et le gris.

Mais aucun n'a franchi le pas supplémentairequi consiste à regrouper tous les objets de ceniveau pour les intégrer, les amalgamer en unterme de niveau supérieur. Des éléments éparsont été détachés de leur arrière-plan; mais lespièces du puzzle sont restées en état, aucun arti­san n'a tenté d'en rétablir l'unité; bien plus,l'existence de cette possibilité n'a sans doute pasété imaginée pour la photographie seule: aucunlien d'utilité ne semblait relier les trois bâtimentset ces mystérieuses rangées de rectangles, noirsquand les miroirs plans sont vus de dos.

Pour résumer, on pourrait figurer ainsi les troisniveaux hiérarchisés de dénomination, du plusélémentaire au plus complexe (en se basant sur laphotographie) :

1. a) Rectangle bleuté percé de rectangles àcontours blancs. Forme arrondie surlaquelle se dessine le paysage â l'envers.

b) Parallélépipède blanc vu en perspective,percé de rectangles bleus.

c) Rangées de rectangles noirs en positionoblique.

pose. D'un ensemble indifférencié, on passe de lasorte, par un processus d'appauvrissement, defiltrage du bruit informatif, à quelques élémentsessentiels, stylisés, débarrassés des imperfec­tions qu'auraient pu leur causer des vices defabrication ou les aléas de la météo: les miroirsplans, réduits à une simple virgule, sont tousimpeccablement alignés, totalement semblablesles uns aux autres, aussi bien dans leur positionque dans leur forme; chaque rayon du soleil vientsagement frapper celui qui lui est dévolu, pourformer ensuite avec son voisin un faisceau paral­lèle parfaitement horizontal .. "Je vois plusieursbandes qui, de haut en bas, deviennent de plus enplus petites. "

Le schéma trie l'information, le schéma seg­mente le réel: j'ai fait mention plus haut d'unélève qui, observant la photographie seule, avaitchoisi d'en livrer une interprétation géographique(âge des sommets, nom des massifs); dans legroupe qui nous intéresse actuellement, aucunelecture divergente de ce type n'a été relevée. AuCM2, les élèves semblent avoir compris qu'uneintention de géographe ne se traduit pas à traversles signes iconiques de la même façon qu'uneintention de scientifique: la carte supplante leschéma, avec ses courbes de niveau, ses cou­leurs significatives (du vert au blanc, en passantpar l'ocre et le brun), ses petits symboles maté­rialisant les points remarquables que sont lesbâtiments, les sources, etc. ; la vue aérienne rem­place la vue de profil.

Ce choix de l'isotopie correcte grâce à l'aideapportée par le schéma pousse les élèves à avoirune vue plus synthétique des objets représentés. Sil'on compare les niveaux de dénomination desgroupes entre eux, on s'aperçoit que seuls ceux quiont observé le schéma proposent un nom pour l'en­semble du dispositif, même si aucun n'avance leterme exact de four solaire. Pour l'un, il s'agit d'un" moulin solaire", avec des «pales en miroirs" ;pour un autre, d'un « four du Moyen-Age" ; pour untroisième, d'une « usine qui alimente une ville enélectricité ". Dans le premier groupe (photographie),seuls les objets élémentaires étaient dénommés,sans donner lieu ensuite à une vision plus globale(approchée uniquement par l'hypothèse «mu­sée ,,) : " voitures ", « immeuble ", « allées ", "pein­ture ", « montagnes ", ...

Il convient à ce stade de la réflexion de sedemander à quelles conditions une série de phé- 3. Four solaire.

Photographie et schéma: quelle lecture des signes iconiques en sciences expérimentales? 73

Page 6: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

Le niveau 1 n'apparaît à la conscience d'aucunélève, il est pour ainsi dire infra-descriptif: uneffort de décomposition, un effort à rebours estnécessaire pour en rendre compte.

Le niveau 2 regroupe en les dénommant les dif­férentes parties du dispositif technique: c'estcelui atteint par tous les élèves de la classe,même si certains choix isotopiques les poussentà retenir des termes inexacts.

Le niveau 3 n'est approché que par desélèves disposant du schéma: c'est celui où unterme unique (même s'il est grammaticalementcomposé: "four du Moyen-Age ») reprend etenglobe tous ceux du niveau 2. Il n'est plus pos­sible à la suite de poursuivre ce cheminementgénéralisant, sauf à enrichir le corpus iconique àdécrire: l'apport de nouvelles images (moulin àvent, centrales hydroélectrique et nucléaire, ... )permettrait de dégager un terme génériquecomme « Énergie 'l par une nouvelle relation d'hy­ponyme à hyperonyme.

La photographie apparaît alors comme ledocument qui a le moins permis de deviner, d'in­férer une réponse exacte, autant pour ce quirelève du choix de l'isotopie qu'en ce quiconcerne le degré de dénomination des objetsreprésentés: l'absence de tri des informationslaisse subsister un trop grand nombre de distrac­teurs sur le cliché; l'absence des noms empêchel'identification précise de tel ou tel élément; l'ab­sence des flèches augmente la difficulté de lamise en relation de ces éléments. Elle contribuepar contre à donner une coloration de réalité àce que le schéma représente de façon plusdépouillée.

Mais avant d'analyser de façon plus approfon­die les interactions entre ces deux types designes iconiques, je voudrais revenir encore surles relations internes au schéma.

Les relations au sein du schéma

<c Sur cette feuille [schéma], je vois aussi unfour. Je ne sais pas à quoi if sert, mais en tout caspas à faire la cuisine. "

Au signifiant /four/, cet élève associe un signifiécomposite, et il a bien raison en cela:

sémème 1 : « four qui sert à faire la cuisine ",

sémème 2 : « four qui sert à autre chose " ...

(voir à ce sujet Weisser 1995a pp. 193-201 et416). Il a de plus opéré consciemment une sélec­tion: malgré ce qu'il reste de flou dans sadeuxième définition de /four/, c'est elle qu'ilretient, et qu'il précise plus bas : ~~ Je pense quecette image a été trouvée dans un /ivre qui parlede l'espace et qu'en réalité, ça doit être énorme. "

Un schéma fournit des mots, en général dessubstantifs (c'est le cas ici) ; mais de plus, il leurfournit un contexte: les autres mots et les lignestracées. C'est par ces relations entre différentscodes co-présents, du plus iconique (miroir vu deprofil) au plus conventionnel (signifiants linguis­tiques), en passant par des êtres plus hybrides(rayons du soleil représentés par des segmentsparalièles et par des flèches), qu'il va limiter lapolysémie des mots, comme il a déjà endigué leflot interprètatif que suggérait la photographie.

Qu'est-ce qui a pu amener l'élève cité à inférerque la scène ne se passait pas dans une cuisine?

- la nature même de l'illustration: l'économiedomestique n'est pas en temps habituel objet deschématisation;

- le contenu de l'illustration: l'importanceaccordée aux rayons du soleil (puisqu'ils sontdénommés et représentés par des lignes orien­tées), la présence de nombreux miroirs,

Si la signification des mots a été exploitée, lapartie proprement iconique du schéma par contren'a pas fait sens: le fonctionnement du dispositiftechnique n'est pas compris, ni même approché(réflexion puis concentration des rayons solairespar les deux types de miroirs, réception par lefour). Dans ce cas, les signifiés verbaux arbi­traires ont été saisis plus facilement que les signi­fiés iconiques motivés: nous arrivons à une situa­tion qui pourrait sembler paradoxale, danslaquelle le décodage de signes conventionnelss'effectue plus aisément que le décodage designes analogiques, dont je soulignais pourtantl'apparente universalité en introduction. Il me fau­dra donc revenir plus loin sur les relations d'ana­logie entre la réalité et ce qui la représente, enrecourant à la notion de degré d'iconicité.

Mais des confusions de sens peuvent égaIe­ment apparaître s'agissant des seuls élémentsiconiques: « Je vois une sorte de roue. Sur cetteroue, il y a huit flèches ", Cet élève va même jus­qu'à noter sur le schéma le mot /roue/ et indiquepar une flèche sa localisation (miroir concave). Il

74 Revue Française de Pédagogie, n° 125, octobre-novembre-décembre 1998

Page 7: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

a de la sorte construit un objet de toutes pièces,c'est le cas de le dire; il a retenu un certainnombre de signes iconiques (arc de cercle, seg­ments convergents), en a nègligé d'autres quipourtant auraient contredit son choix (partie âangles droits â l'arrière de l'arc de cercle, fais­ceau de segments horizontaux parallèles), et n'apas du tout tenu compte de l'apport verbal duschéma.

1/ n'a pas différencié non plus le rôle dévolu parl'encodage aux différents segments de droite:ceux qui matérialisent un phénomène physique(rayons solaires) ou un objet (bâtiments, miroirsplans) sont lus et interprétés comme ceux qui nefont que lier mot et partie de schéma; Ainsi, illocalise le four dans un second arc de cercle situéau bas de l'il/ustration (voir schéma) et non dansle bâtiment en forme de tour faisant face au grandmiroir.

Certains détails d'une image ne prennent donctout leur sens que grâce â d'autres détails decette mème image: on peut parler de l'impor­tance du contexte iconique. Les signes iconiques,plus encore que les mots, sont dotés d'un grandéventail de significations possibles quand ils sontconsidérés de façon isolée. L'interprétation d'unschéma requiert de considérer toutes les informa­tions que l'auteur de l'encodage a laissé subsis­ter et de les mettre en relation les unes avec lesautres.

On ne peut pas dire que le sens est réparti enunités ponctuelles qu'il suffirait d'assembler pourdéchiffrer l'image dans son ensemble. Bien aucontraire, comme nous l'avons déjà relevé à pro­pos des isotopies de résolution, c'est souvent unehypothèse globale émise à partir de quelques élé­ments discrets qui va, à rebours, confirmer lasignification de telle ou telle partie encore inex­plorée jusque là: la lecture du signe iconiqueexige une préparation, réclame une attentionorientée.

Il y a donc lieu effectivement d'imaginer unedidactique spécifique de l'image et, dans le casprésent, de l'image en sciences expérimentales.J'y reviendrai dans la dernière partie de cetarticle.

Les interactions photographie-schéma

Il me reste à rendre compte dans le cadre decette expérience des particularités observées à

travers les textes du groupe qui disposait à la foisde la photographie en couleurs et du schéma ennoir et blanc, toujours par opposition aux autresgroupes.

L'observation simultanée des deux images serésume-t-elle à une simple juxtaposition ou, aucontraire, peut-on concevoir une différenciationdes rôles de chacune et, en raison de cela, unprocessus de confirmation réciproque des lec­tures de l'une et de l'autre?

Voici deux paragraphes d'un même texte; pourorganiser son écrit, l'élève en question a porté enregard du schéma la lettre A et en face de la pho­tographie, la lettre B :

« A : ce sont des miroirs qui reflètent la lumièrevers le four, qui l'envoie sur un grand miroir.

a : je vois beaucoup de petits miroirs, le fourqui prend la lumière, et le grand miroir. "

Je choisis de relever une différence (ténue ... )entre ces deux phrases: dans la première prédo­minent les déterminants indéfinis, contrairement àla seconde. Il existe à mon sens deux interpréta­tions possibles pour comprendre cette évolution.On peuf d'une parf considérer que c'est là l'effetde la succession des deux images: c'est parcequ'il a déjâ parlé de certains éléments en décri­vant le schéma que l'élève va ensuite employerl'article défini lorsqu'il les reprendra à propos dela photographie; les deux modes de représenta­tion seraient alors équivalents, seul l'ordre d'ap­parition les différenciant. Mais on pourrait égaIe­ment imaginer d'autre part que la photographie, àl'opposé du schéma cette fois-ci, par ses apportscontextuels plus nombreux (paysage alentours,couleurs, vue en perspective), contribue à singu­lariser l'objet représenté: ce n'est plus un foursolaire quelconque, équivalent à de nombreuxautres quant à son principe de fonctionnement,mais c'est celui qui, précisément, de façonunique, a été bâti dans ce décor montagneux, quiest sous nos yeux. La photographie, au proprecomme au figuré, jette un peu de couleur sur lestraits pâles du schéma scientifique. Ce dernier apour objet principal d'éviter tout bruit sémio­tique: tout le perçu n'est pas encodé ou plutôt,tout le perceptible ne relève pas d'une seule etmème intention de représenter (encodage) ou delire (décodage).

Si la photographie a un rôle" affectif ", si ellecontribue à incarner, à rendre réel ce qui est

PIJOtographie et schéma: quelle lecture des signes iconiques en sciences expérimentales? 75

Page 8: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

représenté, c'est à l'inverse le schéma qui semblele plus efficace à assurer la compréhension dufonctionnement d'ensemble. En ce sens, les deuximages se complètent; c'est d'ailleurs ainsi queles élèves le conçoivent: des expressions comme«plan de la photographie", «explication de laphotographie" servent fréquemment à désigner leschéma. C'est à cause de ses apports verbauxque les objets visibles sur le cliché sont correcte­ment identifiés par tous les élèves de ce groupe.De cette même relation terme à terme, signe àsigne pourrait-on dire, par-delà les codes diffé­rents, naît un phénomène de redondance apte àconfirmer une hypothèse de lecture. L'une etl'autre illustrations adoptant un point de vuecomplémentaire, non seulement le stock d'infor­mations s'enrichit mais, surtout, les mêmes infor­mations sont traduites par plusieurs interprétantsdifférents (cf. Weisser 1995b), ce qui augmenteles chances de compréhension correcte, selon lestyle cognitif prédominant chez chaque appre­nant.

Mais je ne voudrais pas pour autant conclure cecompte rendu d'expérimentation par un éloge dela monosémie, et ce, pour deux raisons. Je diraistout d'abord que toute lecture, qu'eile soit designes iconiques ou de signes verbaux, que toutelecture donc est plurielle (cl. Weisser, 1997) : ilest impossible d'atteindre à l'univocité stricte,même si les sciences de la nature y tendent. Jevoudrais insister en second lieu sur le fait (et j'yreviendrai plus bas) que nous nous trouvons ici ensituation d'apprentissage, c'est-à-dire de co-pro­duction d'un savoir par les élèves et l'enseignant,et non pas en situation de diffusion d'un savoirétabli par ailleurs: il convient toujours de laisserun pas à franchir à l'apprenant, de lui délimiter unespace-problème à la fois marqué de jalons, defrontières à l'intérieur desquelles il réfléchit, maiségalement un espace qui lui permette des chemi­nements divers menant à une solution acceptablesans être forcément unique, au moins dans saformulation, selon le mode de représentation danslequel on la traduit.

L'ANALOGIE EN QUESTION

En quelle mesure la définition initiale du signeiconique comme signe entretenant une relation desimilarité avec la réalité qu'il représente va-t-elle

évoluer suite à l'expérience décrite? La lecture del'image ne semble pas être « immédiate ", sa per­ception n'est ni une opération passive danslaquelle l'apprenant reçoit, accueille des informa­tions, ni un acte neutre, impersonnel: chacun ymet du sien, par le recours à des codes dedéchiffrage et à des hypothèses interprétativesqui lui sont propres.

Une photographie, un schéma n'apparaissentpas dans un manuel scolaire dans le simpleespoir d'égayer une page de texte, de distraire lelecteur: ils ont été produits dans le but de signi­fier, et de signifier autrement ou autre chose quela partie purement verbale.

C'est-à-dire que l'une et l'autre représentationsiconiques ont fait l'objet d'un processus decodage, et que des traces de ce travail doiventbien rester visibles dans le résultat final soumisaux élèves. L'existence prévisible de cet écartentre réalité et image montre bien qu'il est erronéde penser qu'une icône a les mêmes propriétésque son objet (elle n'en a pas les propriétés phy­siques), ou qu'elle lui est sembiabie (cette simili­tude s'apprend: on sait par exemple que, si lesrelations géométriques sont conservées, lesdimensions sont elles négligées).

L'icône n'est pas l'objet, elle ne fait que lereprésenter et ce, grâce à un code (ou à descodes). Chaque code forme un système de signesdestiné à permettre la transmission d'informationsentre émetteur et récepteur. L'auteur du messagea l'intention de manifester à son interlocuteur uncertain découpage du réel (forme du contenu) ;par le truchement du code, il va associer un signedifférent (forme de l'expression) à chacune de cesclasses logiques (cf. Hjelmslev 1943 et pour unexemple scolaire, Tardy 1991 pp. 3-8).

Dans le domaine des signes iconiques, si l'oncompare un portrait réalisé par un artiste peintreet une caricature, il paraît évident que certainesconventions les distinguant sont à l'œuvre et que,par conséquent, ce que j'avais appelé signemotivé en introduction présente également destraits arbitraires. Sinon, on ne pourrait différencierces deux façons de représenter un visage. Bienplus que traduisant des propriétés naturelles d'unobjet, il me semble que le signe iconique se doitde produire les propriétés culturelles qu'on luiattribue : ~~ L'empreinte d'un verre de vin laisséesur une table ne doit pas posséder les propriétésde l'objet "verre de vin", mais celles de l'unité

76 Revue Française de Pédagogie, n° 125, octobre-novembre-décembre 1998

Page 9: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

culturelle "empreinte d'un verre de vin"» (Eco1992 p. 97). En d'autres termes, le systèmeconventionnel à l'œuvre dans le codage des mes­sages iconiques ne relève pas de l'arbitraire pur,mais du culturellement reconnu. Le signe iconiquen'est pas un signe naturel, immédiat mais, luiaussi, un signe socialisé, qui se lit à travers lamédiation d'un code.

Maintenant que cette intention de signifier a étérepérée et que nous savons qu'elle agit à traversdes codes socialement reconnus, il devient pos­sible de s'interroger sur l'analogie rèel/image encherchant à préciser:

- quels éléments analogiques ont été conser­vés et pourquoi;

- comment ils ont été représentés.

Je commencerai par un exemple a contrario enrappelant que le schéma ne retient pas la couleurd'origine des éléments qu'il figure: celui proposéaux élèves était en noir et blanc, celui du manueltraçait les rayons du soleil en rouge, alors quetout le monde sait qu'ils sont... jaunes l Deux casde codages nettement conventionnels: le rayon­nement solaire n'est pas plus jaune que rouge(bien que dans le four solaire, la partie intéres­sante du rayonnement soit dans le domaine del'infrarouge ... ).

Le parallèle établi plus haut avec les cartesgéographiques peut se poursuivre: les plainessont-elles toujours vertes, les plateaux jaunes etles montagnes brunes quand nous scrutons lepaysage? Ici, c'est peut-ètre le type de végéta­tion existant sous le climat européen où vécurentles premiers cartographes pédagogues qui a faitpasser du naturel au conventionnel, qui a codifiéles variations chromatiques de l'hypsométrie. Il enva de même avec la position des pays sur le pla­nisphère: la France est le centre du monde,l'océan Pacifique se retrouve régulièrement etimpitoyablement coupé en deux en son milieu etrejeté aux extrêmes de la carte.

Si les couleurs n'ont pas bénéficié de la bien­veillance de l'auteur du schéma, les rayons dusoleil, eux, ont été l'objet d'un traitement defaveur: on en a retenu huit d'entre eux, et onnous apprend qu'ils sont rigoureusement paral­lèles à leur arrivée sur terre. Ils sont de plus net­tement séparés les uns des autres, ce qui peut

induire au passage un élément de discontinuitédans le flux des photons. Et qu'y a-t-Il entre deuxrayons voisins? Ou vide? ... Ce n'est donc pasune préoccupation d'exhaustivité scientifique quia présidé à l'élaboration du schéma, mais bienplutôt un souci d'économie technique: si huitrayons ont été retenus, c'est qu'on leur destine àchacun l'un des huit miroirs plans du schéma; lasimplification n'est légitime, n'est compréhensibleque pour celui qui maîtrise déjà un certain savoirà propos de la situation représentée. Dans le cascontraire, elle devient facilement une sourced'obstacles épistémologiques. Il s'agit donc belet bien d'amener l'apprenant à saisir que cesrayons ne sont pas réellement ainsi dans lanature, mais qu'ils sont simplement traduits de lasorte pour des raisons principalement pragma­tiques; et l'ensemble de ces raisons fournit le( cahier des charges» auquel devra se plier lecode mis en œuvre.

Mais il est possible aussi de prendre le pro­blème par l'autre extrémité: soit un signifiant pré­levé dans le schéma; je choisis le segment dedroite: à quel(s) code(s) appartient-il?

Ils sont à mon avis au nombre de trois (pour unseul signifiant !) :

- Certains segments matérialisent des éléments(de la réalité ou de la photographie) qui sont aisé­ment perceptibles par la vue, par le toucher éven­tuellement: les arêtes des bâtiments, les côtésdes miroirs plans, ... Ils s'opposent alors aux arcsde cercles, dans ce premier code.

- D'autres segments représentent des phéno­mènes qui, pour avoir eux aussi une existencephysique, n'en sont pas moins malaisément per­ceptibles sous la forme qui leur est donnée ici; jeveux parler des rayons du soleil. Ils s'opposentalors à des tracés sinusoïdes ou discontinus, élé­ments du même code mais absents du présentschéma.

- Les derniers segments quant à eux ne figu­rent aucune grandeur physique, mais une relation,une ( grandeur logique» : il s'agit des traits éta­blissant le lien entre une dénomination et la par­tie correspondante du schéma. Ils s'opposentalors à leur propre absence, qui est elle aussisignifiante et quî indique qu'aucun terme verbalne vient qualifier cette autre partie du schéma.

Les exemples mentionnés plus haut montrentque l'apprenant peut fort bien ne pas être

h · quelle lecture des signes iconiques en sciences expérimenta/es?Photographie et sc ema : 77

Page 10: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

sensible à l'existence de ces trois codes qui nousimposent trois lectures différentes, trois signifiésdifférents pour un même signifiant iconique. Etdonc qu'il pourra interpréter une fiée he attributivecomme un rayon de soleil égaré, ou encore labande délimitée par deux rayons parallèlescomme un mur rectangulaire ...

La non-reconnaissance du code en usage vapar conséquent entraîner une erreur d'interpréta­tion et, par là, le choix d'une fausse isotopie. Etce d'autant plus que, si les inférences exactes seconfirment mutuellement, les erreurs, elles, nefont pas système en général, mais contribuentplutôt à donner une impression d'éparpillement,d'émiettement du sens.

Les trois types de signifiés traduits par un seg­ment illustrent parfaitement la notion de degréd'iconicité. Si je range les codes co-présentsdans le schéma selon cette échelle, j'obtiens, duplus iconique au plus arbitraire:

- la représentation du miroir concave vu deprofil ;

- la représentation du rayonnement solaire;- la représentation des relations mot-partie

d'image;- les mots eux-mêmes (signes verbaux purs).

Je veux insister cependant sur le fait que,même au niveau supérieur de l'iconicité, au degréanalogique le plus haut, les conventions sont déjàà l'œuvre dans la schématisation: qu'est-ce quereprésenter un bàtiment de profii ? C'est en des­siner une projection.

Mais une projection n'est pas une empreinte duréel, elle ne présente pas une transformationdirecte de ses propriétés mais obéit à un certainnombre de règles:

- conservation des bords et des angles desobjets;

- abandon des couleurs et des dimensions;- respect des proportions relatives;- superposition des plans (les rayons qui sont

réfléchis par les premiers miroirs plans passentsur le four, alors que ceux qui sont réfléchis parle miroir concave vont dans le four).

On peut d'ailleurs se demander si les connais­sances fournies par la photographie suffisent àconstruire le schéma: peut-on passer directementde la perspective à la projection? Ou ne doit-on pasau contraire imaginer en partie les faces cachées de

l'objet: on ne schématise pas ce qu'on voit de l'ob­jet, mais ce qu'on en sait. Et si cette réflexion estvraie s'agissant de l'encodage, elle le demeure pourle décodage: on ne comprend le schéma que si onsait, ou si on peut inférer ce que la photographie nedonne pas à voir. D'où la nécessité d'un travail préa­lable de familiarisation avec l'objet représenté etavec les modes de représentation, c'est-à-dire pourreprendre les termes de Hjelmslev, avec contenu etexpression d'un même mouvement.

Le signe iconique contient à la fois:- des éléments d'ordre optique: ce que je vois

de l'objet;- des éléments d'ordre ontologique: ce qu'est

l'objet;

- des éléments d'ordre conventionnel: ce surquoi nous nous entendons à propos de l'objet.(cf. Eco 1992 p. 55)

À quoi se réduit dans ce cas son aspectmotivé? Au choix arbitraire (ou plutôt culturelle­ment déterminé) de certains éléments analo­giques, représentés à l'aide de codes de degréd'iconicité variable. Ce choix résulte d'uneconnaissance a priori de la notion à illustrer etd'une intention de J'auteur (transmission simple,vulgarisation, didactisation, etc.): de la réalité àla photographie puis de la photographie auschéma, on recourt à des filtres sélectifs, véri­tables tamis conceptuels (cf. plus haut).

Par la verbalisation (orale en général, écrite ici),les élèves confrontés à ces illustrations nouslivrent l'interprétation qu'ils en font, le messagequ'ils y perçoivent, et les codes qu'ils y recon­naissent. Nous pouvons aller à leur rencontre enessayant de mettre en évidence les intentions(didactiques Ou éditoriales) des auteurs et de pré­ciser les codes qu'ils emploient effectivement àces fins.

De la confrontation de ces deux significations(celle du lecteur, celle du signe iconique) découlel'évaluation de l'action pédagogique menée.

VERS LA MAÎTRISE DES CODES ICONIQUES

Attitudes cognitives des élèves

Nous avons vu précédemment que les codesiconiques sont nombreux et qu'ils tissent de voixmultiples les illustrations. Selon leur degré d'iconi-

78 Revue Française de Pédagogie, n° 125, octobre-novembre-décembre 1998

Page 11: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

cité, une lecture en terme d'analogie peut Se révé­ler impropre. Les corrélations à établir par le desti­nataire entre expression et contenu, c'est-à-direles processus de reconnaissance, ne s'établissentpas forcément de manière directe, même dans lecas de l'interprétation d'images, mais aussi enfonction de systèmes de représentation socia­lisés : voir une icône n'épuise pas sa significationil faut aussi et dans le même temps la décoder. '

De quels savoir-faire devront faire preuve leséléves? Transfert d'habiletés relevant de ladidactique des sciences expérimentales, transfertdes acquis comme lecteurs de textes verbauxrepérage métadiscursif des codes à l'œuvre'transcodage: voilà quelques pistes que je m~propose d'explorer.

Les i!!ustrations ne deviennent parlantes et fac­teurs d'apprentissage que lorsqu'elles figurentune situation-problème. En sciences expérimen­tales, il n'est pas possible d'aborder la totalitédes notions au programme par la voie ... expéri­mentale. La lecture documentaire peut pallier cetinconvénient (astronomie, volcanisme, ... ). Ou, dumoins, une partie de l'étude du phénomène sefera-t-elle à partir d'un support iconique: ici, lavue d'ensemble du four d'Odeillo et son fonction­nement général; les propriétés spécifiques durayonnement solaire et leurs effets calorifiquespourront être directement testés quant à eux(miroirs, lentilles, ... )

Une séance hab',tuelle nous aura',t fait passer decette première description assez libre de deuximages à une confrontation entre pairs puis àl'émission et à la mise en forme d'hypothèses derecherche, avant le retour à l'observation ou àl'expérimentation. La conclusion en aurait été undébat de preuve et la structuration du savoirconstruit en commun (cf. Giordan et De Vecchi1987). Chacun de ces moments gagne à étre dou­blé d'une phase métacognitive: "Que faisons­nous quand ... ?", afin d'institutionnaliser nonseulement la connaÎssance produite mais aussi ladémarche qui y a mené (Weisser 1995a p. 341).

QueJ)es possibilités particulières nous offrentles textes iconiques dans ce cadre didactique?Je dirais qu'elles s'originent dans l'aspect de>< code faible» qu'ont les images, dans leur degréd'ouverture: un signifiant iconique est clairementperceptible par les apprenants, il est >< visible ", etpourtant, le signifié qu'on lui associe reste impré­cis. C'est une condition de la possibilité des

apprentissages, chacun pouvant alors rattachercette signification encore en construction à sastructure cognitive personnelle, à son savoir anté­rieur. Les apprentissages iront se précisant à tra­vers l'usage, à travers aussi la confrontation' audébut, ce sont des signes hypocodés que 'l'onpeut renforcer chemin faisant en recourant, entreautres artifices didactiques, à la mise en sé­quence des images, Ou à la mention d'uncontexte plus large.

Comme lors de la lecture de tout texte, ledéchiffrement des images présuppose l'émissiond'une hypothèse interprétative, à partir d'un cer­tain nombre d'indices ponctuels prélevés sur Jetexte iconique, L'élève juge qu'un ensemble par­ticulier de traces (en couleurs ou non), qu'il choi­sit de découper, de dissocier du reste, représentetel ou tel objet. Juxtaposant ces objets, il essaied'en distinguer les traits communs et les relationsqu'ils entretiennent, afin d'en arriver à inférer unehypothèse globale. Lors d'un retour à la percep­tion, il tente d'en trouver la confirmation par desinformations convergentes.

Cette oscillation de la partie au tout et du toutà la partie exige une grande honnêteté cognitive:il faut pouvoir renoncer à une hypothèse quis'avérerait fautive et accepter de recommencer àzéro. Si les codes iconiques sont des codesfaibles, de nombreuses influences extérieures ris­quent de se faire sentir quand l'apprenant essaiede construire le sens d'une image. Dans le cas leplus défavorable, des attentes trop fortes, stèréo­typées, vont empêcher le processus de vérifica­tion d'aboutir: lors de mauvaises interprétationsdu contrat didactique implicite en particulier,quand l'apprenant attribue à l'enseignant desintentions qui ne sont pas les siennes (situationde recherche vs situation d'évaluation). Maisd'autres sources ont un effet plus bénéfique: ceque l'élève sait par ailleurs des objets représentés(reconnaître un miroir), des codes existants (nepas confondre les trois espèces de segments),des types d'images (à quoi sert d'habitude unschéma), du contexte (l'attitude à avoir, le type detexte à produire en leçon de sciences). Ce genred'influences peut d'ailleurs très bien être mis enévidence s'agissant de textes narratifs (Weisser1998).

Qu'est-ce alors que percevoir? Que peut-on per­cevoir, si l'on considère que l'apprenant n'est pasune pellicule passive qui se laisserait" impression-

Photographie et schéma: quelle lecture des signes iconiques en sciences expérimentales? 79

Page 12: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

ner », mais un lecteur disposant de grilles dedéchiffrage, de filtres cognitifs? L'image est à lafois approchée avec un bagage conceptuel etsoumise à une intention d'interprétation. L'acteperceptif se prépare à travers l'échange verbal. Ils'agira tout aussi bien de connaître les propriétésculturellement pertinentes de l'objet représentéque de préciser les consignes de lecture.

En un certain sens, on ne perçoit que ce qu'ons'attend à voir: même les analogies les plusexactes ne sont décelées et correctement inter­prétées que si ces inférences sont sous-tenduespar une hypothèse qui en contient déjà la possi­bilité. Dans le cas contraire, «on n'en croit passes yeux » ...

Le contenu est déductible de l'expression;mais en est-il réellement déduit? Le contenu nestructure-t-il pas au contraire le plan de l'expres­sion lors de l'acte de lecture aussi? À l'enco­dage, les choses sont plus claires: c'est en fonc­tion de ses intentions, en fonction des conceptsqu'il veut représenter, que l'auteur d'une imageva la composer, va sélectionner les éléments, lestraits pertinents et les codes aptes à les figurer.Mais l'apprenant ne procède-t-il pas de même audécodage? Sa structure cognitive propre ne leforce-t-elle pas à percevoir selon les classeslogiques qu'elle possède déjà? La zone d'ap­prentissage possible n'est-elle pas étroitementbornée par une sorte de " viscosité cognitive» ?D'où l'intérêt d'une part de l'usage de textes ico­niques suffisamment ouverts pour accepter desinterprétations multiples quoique convergentes, etl'utilité d'autre part des échanges verbaux: si jene fais que voir, sans que quelqu'un (autrui oumoi-même) me parle de ce que je vois, je n'arri­verai jamais à analyser, à communiquer ce quej'ai perçu; arriverai-je seulement à le dessiner?Par le dialogue (oral ou écrit), on cherchera àengendrer et à expliciter des habitudes percep­tives, des systèmes d'attentes; on s'appuiera surdes codes culturels déjà existants pour en créerd'autres: il ne s'agit pas d'inventions ex nihilo,de génération spontanée, mais juste de restructu­rations ou de changements d'échelle, de ruptureou de subversion dans les cas extrêmes.

Percevoir, c'est déjà décoder (cf. Weisser1997 ; si l'auteur de l'image prend à sa chargeune part de la lecture d'un phénomène, la diffé­rence symétrique reste du seul ressort de l'appre­nant: qu'est-ce qui est alors le plus difficile à

lire? Si le réel n'est perçu qu'à travers des codesconventionnels, n'est-il pas par conséquent nor­mal que la photographie n'ait pas donné lieu àdes textes très pertinents du point de vue scien­tifique lors de cette expérimentation? Ainsi, lefexte iconique le plus analogique nous est lemoins utile sous cet angle. Le schéma, à traversses fonctions de tri, de constitution d'objets et desymbolisation, se révèle un auxiliaire didactiqueplus performant.

Cette différenciation ne vise cependant pas àrejeter un mode de représentation au profit d'unautre, mais seulement à en préciser l'aire d'appli­cation.

Il me reste à revenir une dernière fois sur lescodes iconiques et leur prise en compte didac­tique.

MÉTASÉMIOTIQUE

Tout texte comporte en lui-même des instruc­tions pour son interprétation. Elles ont été pla­cées là par son auteur et, à travers elles, il(( vise» l'auditoire qu'il s'est choisi.

Dans le cas particulier qui nous occupe, leschoses sont un peu plus compliquées: le foursolaire d'Odeillo est un objet technique, pas unobjet didactique. Une représentation à viséedidactique de cet objet technique va donc pré­senter une superposition de deux types decodes: les codes... technique et didactique:(( Les auteurs de manuels multiplient les marquesqui révèlent l'agencement de la matière enseignéeen partie et en partie de parties. (...) Le péda­gogue donne le texte et, déjà, son analyse"(Tardy 1991 p. 12).

Il doit même être possible avec les élèves, parla comparaison par exemple de quelques sché­mas issu d'un même manuel, de dégager desconstantes didactiques, et de voir ensuite si ellesrelèvent de l'idiolecte d'un éditeur particulier ou sion y fait appel plus largement. Ces codes indi­gènes de l'institution scolaire ont pour ainsi direune fonction d'accueil de contenus déjà encodéspar ailleurs. On ne va plus s'intéresser exclusive­ment aux textes littéraires, aux énoncés mathé­matiques, aux documents historiques ou auxschémas scientifiques, mais également à l'appa­rat didactique qui les entoure; la page du manuel

80 Revue Française de Pédagogie, nD 125, octobre-novembre-décembre 1998

Page 13: Photographie et schéma: quelle lecture des signes

a deux énonciateurs au moins: l'historien et lepédagogue, le scientifique et le pédagogue, ... ; nes'adresse-t-elle pas alors aussi à un lecteurdouble?

Ce premier tri ayant été effectué, il sera pos­sible de reconstruire chaque code et d'en listerles signifiants qui le constituent, d'établir les sys­tèmes d'oppositions qui engendrent le sens, deprocéder à des opérations de transcodage enpassant d'une représentation à une autre ou,comme dans cette expérimentation, en comparantles interprétations auxquelles a donné lieu l'ob­servation de types de textes iconiques différents.

Les images ne se suffisent pas à elles-mêmesen situation d'apprentissage, le recours au lan­gage verbal est partout nécessaire, aussi bien auniveau sémiotique de l'interprétation, de la pro­duction du message perçu, qu'au niveau métasé­miotique de l'explicitation des différents codesexistant simultanément dans une image. Seul lelangage verbal permet un haut niveau d'abstrac-

tion ; on pourrait même avancer que plus un codeest arbitraire, conventionnel, plus il autorise laprise de recul, par un processus qui irait du perçu(par la vue mais, à un niveau plus concret, par letoucher) à l'iconiquement représenté (avec desdegrés de similarité progressifs comme je l'aisouligné plus haut) et, de là, au verbalisé.L'apprenant manipulerait d'abord des objets, puisleurs images et, enfin, les symboles qui les repré­sentent et qui, de plus, les représentent d'un cer­tain point de vue: plus le signe est arbitraire, plusle contexte, l'intention de l'auteur du messagesont marqués.

Systèmes d'opposition au sein d'un mêmecode, coexistence de codes différents et d'autantd'approches d'un méme objet: plus que jamais, ilconvient d'enseigner non pas des faits, mais desrelations.

Marc WeisserGREEF - Université de Haute Arsace, Mulhouse

lU FM d'AlsaceÉcole élémentaire, Ottmarsheim

BIBLIOGRAPHIE

ECO U. (1992). - La production des signes. Paris: LeLivre de Poche.

GIORDAN A., DE VECCHI G. (1987). - Les origines dusavoir. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.

GREIMAS A.J. (1966). - Sémantique structurale. Paris:Larousse.

HJELMSLEV L. (1943). - Prolégomènes à une théoriedu langage. Paris: Minuit.

Ministère de l'Éducation Nationale (1995).- Program-mes de l'école primaire. Paris: CNDP.

PEIRCE C.S. (1978). - Écrits sur le signe. Paris: Seuil.

PEREC G. (1985). - Penser/classer. Paris: Hachette.

TARDY M. (1991). - Sémiotique de l'école. 1. Élé-ments d'analyse structurale. Lyon: Se Former +.

TAVERNIER (Coll.) (1986). - Sciences et technologieCM. Paris: Bordas.

WEISSER M. (1995a). - Le rôle de l'implicite dansl'apprentissage. Thèse de doctorat nouveaurégime, Universités de Strasbourg et de Padoue.

WEISSER M. (1995b). - L'élève, un interprète profes­sionnel. Paris: INRP, p. 173-192. (ASTER W 21).

WEISSER M. (1996). - Signes de vacances: vacance dusigne? Cahiers Pédagogiques, n° special Ap­prendre.

WEISSER M. (1997). - Pour une pédagogie de l'ouver­ture. Paris: PUF.

WEISSER M. (1998). - La réception des textes narra­tifs. Lyon: Voies Livres.

Photographie et schéma: quelle lecture des signes iconiques en sciences expérimentales? 81