philosophie des sciences biologiques et médicales1

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  • Philosophie des sciences biologiques et mdicales

    Mme Anne FAGOT-LARGEAULT, professeur

    Lenseignement de lanne 2002-2003 inclut un cours fait Paris du 6 no-vembre 2002 au 8 janvier 2003, des confrences donnes lUniversit de Lilleentre le 14 janvier et le 11 fvrier 2003, et un colloque-sminaire organis auCollge de France le vendredi 28 mars 2003, en collaboration avec lunit deneuropdiatrie de lUniversit Paris-V.

    COURS (amphithtre Guillaume Bud)

    Le cours, intitul lexplication dans les sciences de la vie et de la sant ,comportait sept leons de deux heures chacune (14 heures). Un document taitmis la disposition des participants (et affich aprs chaque leon sur le siteweb du Collge de France). Ce document donnait, outre les grandes lignes de laleon (reproduites ci-aprs), et quelques illustrations (dont certaines sont repro-duites ci-aprs), des indications bibliographiques dtailles (non reproduites ici).

    I. 06 novembre 2002, 16 h-18 h : De lexplication dans les sciences(hommage mile Meyerson)

    Jai limpression de me dprcier quand jexplique, dit-il. Des rsultats sans cause sontbeaucoup plus impressionnants (Conan Doyle, Lemploy de lagent de change , in :Souvenirs de Sherlock Holmes).Intr. Est-ce que tout sexplique ? Veut-on que tout sexplique scientifique-

    ment ? Surface vs. profondeur des choses. Dmocratisation du savoir. Commenttraduire une explication savante en langue profane. Relativit de ce qui vautcomme explication satisfaisante .

    Dans la mme proportion que la crdulit est plus tranquillisante pour un esprit quela curiosit, ainsi la sagesse qui sen tient la surface des choses est prfrable laprtendue philosophie qui pntre dans leurs profondeurs... (Jonathan Swift, Contedu tonneau , 1697, in : uvres , Paris : Gallimard, 1965, p. 506).

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    Je suis convaincu quil faut cote que cote faire entrer dans le dbat public, doelles sont tragiquement absentes, les conqutes de la science (Pierre Bourdieu, Contre-feux 2, Paris : Raisons dagir, 2001, p. 9).

    1. Gnralits sur lexplication.Notion intuitive de lexplication, critre intuitif dune bonne explication. ty-

    mologie. Dfinitions de lexplication. Conceptions sous-jacentes aux dfinitions.Ce qui est expliqu (les faits ?). Ce qui est explicatif (thories ?). Ce qui produitlintelligibilit (voir dedans ? tablir un rapport ? insight ! ). Ce qui rsiste lexplication (les phnomnes alatoires ?). Pluralit des modles dexplication.Les sciences du vivant ballottes dun modle lautre.

    Le mot latin plica, qui a fait en franais pli, a la mme signification que le terme quien drive, et expliquer quivaut donc peu prs dplier, avec cette nuance (que lesuffixe ex, en tant que compar de, accentue suffisamment) quil sagit moins derendre ltoffe plane et lisse, que de faire sortir, de montrer ce quelle cachait dans sesplis (Meyerson, 1921, I.1). Rendre manifeste ce qui tait envelopp et cach, explicite ce qui tait implicite (Edmond Goblot, 1901, p. 227). Il y a des axiomes qui ont besoin dtre expliqus pour les faire mieux entendre,quoiquils naient pas besoin dtre dmontrs ; lexplication ntant autre chose que dedire en dautres termes & plus au long ce qui est contenu dans laxiome, au lieu quela dmonstration demande quelque moyen nouveau que laxiome ne contient pas claire-ment (Logique de Port-Royal, IV.VI.2). The conceptions must be, as it were, carefully unfolded, so as to bring into clear viewthe elements of truth with which they are marked from their ideal origin (Whewell,1847, vol. 2, Bk XI, chap. 2, 1, p. 6). The proper satisfaction to be derived from speculative thought is elucidation. It is forthis reason that fact is supreme over thought. This supremacy is the basis of authority.We scan the world to find evidence for this elucidatory power (Whitehead, 1929, p. 80). Expliquer, explicare, cest dpouiller la ralit des apparences qui lenveloppent commedes voiles, afin de voir cette ralit nue et face face (Pierre Duhem, 1914, I, 1). Nous disons que les phnomnes gnraux de lunivers sont expliqus, autant quilspuissent ltre, par la loi de la gravitation newtonienne, parce que, dun ct, cette bellethorie nous montre toute limmense varit des faits astronomiques, comme ntantquun seul et mme fait envisag sous divers points de vue ; la tendance constante detoutes les molcules les unes vers les autres en raison directe de leurs masses, et enraison inverse des carrs de leurs distances ; tandis que, dun autre ct, ce fait gnralnous est prsent comme une simple extension dun phnomne qui nous est minemmentfamilier, et que, par cela seul, nous regardons comme parfaitement connu, la pesanteurdes corps la surface de la terre. Quant dterminer ce que sont en elles-mmes cetteattraction et cette pesanteur, quelles en sont les causes, ce sont des questions que nousregardons tous comme insolubles... (Auguste Comte, Cours, 1830, Premire leon). The word explanation occurs so continually and holds so important a place in philoso-phy, that a little time spent in fixing the meaning of it will be profitably employed. Anindividual fact is said to be explained by pointing out its cause, that is, by stating thelaw or laws of causation of which its production is an instance (John S. Mill, 1843,Bk III, Ch. XII, Of the explanation of laws of nature ).

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    Je ne connais pas de thorie satisfaisante et complte de lexplication, et je crois quilnen existe pas (Jean Largeault, 1984, I : De lexplication ).2. Lexplication scientifique selon mile Meyerson (1859-1933).La science a une vise explicative. Expliquer cest relier. Pas de rapport sans

    support . Le sens commun construit des choses , la science corrige lontologiedu sens commun. Aller au fond des choses , est-ce remonter aux causes ?Cause et raison. Lirrationnel. Le paradoxe pistmologique . La biologie entremcanisme et finalisme : travaux exprimentaux sur le dveloppement embryolo-gique (Hans Driesch), thories volutionnistes (Lamarck, Darwin, Weismann).La biologie ne peut tre, ni purement empirique, ni purement thorique.

    Nous commenons par rechercher sil est exact, comme laffirment Comte et (aprslui) Mach, que la science entire ne soit difie que dans un dessein daction et deprvision. Nous tablissons que le principe quon met ainsi en jeu, le principe de lgalit,ne suffit pas, que la science cherche galement expliquer les phnomnes et quecette explication consiste dans lidentification de lantcdent et du consquent (mileMeyerson, 1908, p. XVIII). Poussant plus loin son analyse des tendances de la raison humaine dans la science,M. Meyerson a t amen tudier la nature de lexplication scientifique. Ici encore ilsest trouv en opposition avec les conceptions positivistes. Daprs celles-ci, la sciencene recherche que des lois, cest--dire des rapports constants ; nous avons mme vuque les positivistes ajoutaient : rapports sans support et que M. Meyerson avait faitjustice de cette dernire allgation. Il tablit, en outre, que la science est bien loin derechercher uniquement des lois : elle veut expliquer, cest--dire atteindre les causes (Andr Metz, 1934, chap. IV). Nous ne cherchons une cause que parce quil y a changement. Donc le moyen lemeilleur (et en ralit... le seul moyen) consistera montrer que le changement nexistepas (mile Meyerson, 1921, II, chap. 5, p. 127). En recherchant lexplication dun phnomne, ce que le physicien poursuit en ralit,cest la dmonstration que ltat consquent ne diffre point du prcdent, mais peut aucontraire tre considr comme lui tant identique. La science sapplique donc, enlespce, rendre identiques, pour la pense, des choses qui ont tout dabord parudiffrentes la perception [ex. rduction des choses aux atomes qui les constituent,ou la spatialit, dmonstrations sous forme dune cascade dgalits , selon lexpres-sion de Poincar] (mile Meyerson, 1931, I ; chap. 2, 28). Nous savons o la rationalisation complte est impossible, cest--dire o laccordentre notre raison et la ralit extrieure cesse : ce sont l les irrationnels dj dcou-verts. Mais nous ne savons pas et ne saurons jamais o il existe, puisque nousne pourrons jamais affirmer quil ny aura plus de nouveaux irrationnels ajouter auxanciens. Cest ce qui fait que nous ne pourrons jamais dduire rellement la nature,mme en tenant compte de tous les lments donns et irrductibles, de tous les irration-nels que nous connatrons un moment prcis ; toujours nous aurons besoin de nouvellesexpriences et toujours celles-ci nous poseront de nouveaux problmes, feront clater,selon le mot de Duhem, de nouvelles contradictions entre nos thories et nos observa-tions (mile Meyerson, 1921, II, chap. 5, p. 225).[le paradoxe pistmologique ] Du fait quil a recours des expriences... lhommeproclame son incapacit pntrer les choses par leffort seul de sa raison, cest--dire affirme que les voies de la nature diffrent de celles de lesprit. Mais comme,

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    dautre part, lexprience ne peut lui tre utile que sil raisonne, cest donc quil supposeen mme temps quau moins dans les limites de ce raisonnement, il y a accord entrelesprit et la nature. [...] Dans la science les deux courants opposs coexistent paisible-ment. Par le mcanisme, par les principes de conservation et lhypothse de lunit dela matire, elle tend vers limmobilit du monde et sa rduction lespace, alors que,par le principe de Carnot et les autres irrationnels, elle reconnat limpossibilit de cetaboutissement (mile Meyerson, 1921, chap. XVII, p. 349-350). Ds quune explication causale se prsente, mme lointaine, mme confuse, lexplica-tion finaliste lui cde aussitt la place. Quoi de plus naturel du reste ? Sans doute laconception causale comporte, si on la dveloppe logiquement jusqu ses consquencesdernires, mainte grosse difficult philosophique. Mais que le prsent puisse tre rglpar lavenir, qui nexiste pas encore et qui, si je suppose mon propre libre arbitre,pourra bien ne pas exister, cela rpugne bien davantage lentendement... (mileMeyerson, 1921, II, chap. 7 : Les phnomnes biologiques , p. 253-254). La graine contenait-elle larbre prform ? Nous nosons plus laffirmer. Mais lecontenait-elle en puissance ? Assurment. Et de mme, la thorie de la descendance destres organiss implique que le mammifre se trouvait en puissance dans lamibe, puis-quil en est sorti par le simple jeu de circonstances extrieures (comme chez Darwin)ou de facults qui taient inhrentes lorganisme primitif (comme chez Lamarck). Demme il est ais de reconnatre que les sciences historiques... usent peu prs constam-ment, dune manire plus ou moins franche, de conceptions analogues. Il parat toutnaturel de supposer que lhumanit barbare reclait dans son sein lhumanit civiliseet que chaque peuple, tel quil nous apparat dans le pass le plus lointain, contenaiten puissance ce peuple tel que nous le connaissons aujourdhui (mile Meyerson,1921, II, chap. X, p. 325).

    Concl. Les sciences du vivant aujourdhui entre deux modles explicatifs :rcit historique/modle nomologique-dductif.

    Biology is indeed a historical discipline. But the main principles of Darwins theoryare not historical narratives not even world-historical ones. They are the only (ceterisparibus) laws of biology (Alexander Rosenberg, How is biological explanation pos-sible ? , 2002).

    II. 13 novembre 2002, 16 h-18 h : Identifier, nommer, classer

    Every scientific explanation of a natural phenomenon is a hypothesis that there issomething in nature to which the human reason is analogous ; and that it really is soall the successes of science in its applications to human convenience are witnesses (Charles Sanders Peirce, Collected Papers, I 316). Lorsque nous parlons de causes et deffets, nous faisons arbitrairement ressortir, dansla copie mentale dun fait, les circonstances dont nous devons estimer lenchanementdans la direction qui est importante pour nous. Dans la nature il ny a ni causes, nieffets. La nature nest prsente quune fois (Ernst Mach, 1925, IV, 4, 3, p. 451).

    Intr. Retour sur cause et raison . La signification gnrale du principe de raison se ramne ceci que toujours et partoutune chose nest quen vertu dune autre (Schopenhauer, 1813, ch. VIII, 52, p. 162).

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    Expliquer quelque chose, cest en chercher la raison, et dans lordre des phnomnesla raison est la cause, qui dit le pourquoi et le comment de ce qui apparat (Callot,1966, chap. VI, p. 150). Cette ide [du hasard] est celle de lindpendance actuelle et de la rencontre acciden-telle de diverses chanes ou sries de causes (Cournot, 1875, IV 3).

    1. Quand nommer, cest dj expliquer.Quest-ce quil a, docteur ? La rougeole. Le singulier et le gnral. Il

    nexiste que des objets (ou des vnements) individuels. Il ny a de scienceque du gnral. Luniversel saisi dans le particulier (Aristote). Continuit oudiscontinuit entre les catgories du sens commun et celles de la science. ErnstMayr (1982, I, 2, tr. fr., p. 54) juge que les gnralisations intressantes enbiologie sont conceptuelles plutt que lgales.

    Bien que lacte de perception ait pour objet lindividu, la sensation nen porte pasmoins sur luniversel : cest lhomme, par exemple, et non lhomme Callias (Aristote,Seconds analytiques, II, 19, 100 a 17). Dans le processus dlaboration des concepts, qui marque le progrs scientifique enbiologie, il y a parfois une tape cruciale, quand on saperoit quun terme, plus oumoins technique, que lon croyait jusquici recouvrir un concept donn, renvoyait enralit un mlange de deux concepts (ou plus) : tel fut le cas de termes comme isolement , qui peut dsigner lisolement gographique ou reproductif ; ou varit(comme lemployait Darwin), qui peut concerner des individus ou des populations... Laplupart des controverses clbres de lhistoire des sciences furent dues au fait que leursprotagonistes mettaient sous le mme terme des concepts trs diffrents (Mayr, 1989,I, chap. 2, p. 54).

    2. Logique de lexplication : le modle nomologique-dductif. Si ctait un serin, il serait jaune (Adams, 1975). Identifier, diagnostiquer :

    inclure lobjet dans une classe, par lintermdiaire dune (ou plusieurs) caractris-tique(s) : cela suppose quon se rfre une classification. Dduire le phnomne(ou la rgularit exprimentale) expliquer (explanandum) de lois (ou de rgula-rits plus gnrales) dj connues et de circonstances qui justifient quon serapporte ces lois (explanans). Expliquer une loi cest la subsumer sous , oula rsorber dans des lois plus gnrales (Mill). Mais do viennent les loisles plus gnrales ?

    [que nous nous interrogions sur la gnralit du fait, ou sur sa qualification] Nousnous demandons toujours, soit sil y a un moyen terme, soit quel est le moyen terme.En effet, le moyen cest la cause (Aristote, Seconds analytiques, II, 2, 90 a 6). Broadly speaking, science explains why a given event came about by showing that itoccurred in certain particular circumstances (in the natural sciences often called initialand boundary conditions) in accordance with certain general laws of nature or well-established theoretical principles. [...] Thus, the phenomenon is explained by showingthat, under the given particular conditions, it had to occur according to the specifiedlaws. The explanatory account can accordingly be conceived as a deductive argumentwhose premises jointly referred to as the explanans consist of the relevant lawsand of descriptions of the particular circumstances, while the conclusion, the so-called

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    explanandum sentence, describes the phenomenon to be explained (Hempel, 1973,4 (3) : 36). La thorie physique ne nous donne jamais lexplication des lois exprimentales ; jamaiselle ne nous dcouvre les ralits qui se cachent derrire les apparences sensibles ;mais plus elle se perfectionne, plus nous pressentons que lordre logique dans lequelelle range les lois exprimentales est le reflet dun ordre ontologique ; plus nous soup-onnons que les rapports quelle tablit entre les donnes de lobservation correspondent des rapports entre les choses ; plus nous devinons quelle tend tre une classificationnaturelle (Duhem, 1914, I, 2, p. 35). Cest linduction qui nous fait connatre les principes, car cest de cette faon que lasensation elle-mme produit en nous luniversel (Aristote, Seconds analytiques, II, 19,100 b 5).3. Classer. Exemple de la classification internationale des maladies (CIM).Dune liste alphabtique de 63 causes de mort (Londres, 1632) une classifica-

    tion internationale (CIM-10, 1992) de 2 500 catgories de maladies ( 3 digits),redivises en sous-catgories ( 4 digits). Congrs international de statistique(1855 : William Farr, Marc dEspine, rapporteurs) : une liste de 140 unitsmorbides . Luvre de Jacques Bertillon : naissance de la classification interna-tionale (1899) et premires rvisions (1900, 1909, 1920). Rvisions ultrieures :SDN (1929, 1938), OMS (1948 et suivantes). Nomenclature vs. classification.Principes de classification.

    Lordre analogique le plus dfectueux est encore prfrable lordre alphabtiquequi nest, vrai dire, quune des formes du dsordre (J. Bertillon, 1895, p. 58). Nagure, on classait la paralysie gnrale parmi les paralysies (do le nom illogiquequelle a gard), puis on en a fait une intoxication alcoolique ; aujourdhui on admetuniversellement que cest le rsultat dune infection syphilitique. Combien de fois cetterubrique aurait t change de place, ou mme combien de fois elle aurait t subdiviseou change de dnomination, dans une nomenclature tiologique ! Cependant, son sigeest et restera toujours le cerveau (J. Bertillon, Commission..., 1920, p. 13).4. Systmes de classification. Les classifications naturelles .La systmatique. Une thorie de lvolution nest possible que sur fond dune

    classification stable. Mais les espces se transforment. Dilemme : ou bien laclassification reste stable et elle scarte de la ralit naturelle, ou bien elle seveut naturelle et elle est instable... Taxonomie phntique vs. taxonomie phylogntique (ou cladistique).

    La division scolastique se fait par classes, elle rpartit les animaux selon des ressem-blances ; celle de la nature se fait par souches, elle les rpartit selon les liens de parent,du point de vue de la gnration. La premire fournit une systmatisation scolastique lusage de la mmoire ; la seconde une systmatisation naturelle lusage de lentende-ment ; la premire na dautre dessein que de ranger les cratures sous des rubriques,la seconde vise les ranger sous des lois. (I. Kant, 1777). ...les caractres nont dimportance relle pour la classification quautant quils rv-lent les affinits gnalogiques / ne possdant point de gnalogies crites, il nousfaut dduire la communaut dorigine de ressemblances de tous genres (Ch. Darwin,1859, ch. XIV).

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    Concl. La systmatique telle quelle est prsente classiquement donne une impression depermanence et de stabilit : il existe des espces aux caractres dfinis, et dont lesreprsentants se reproduisent en conservant les mmes caractres de gnration engnration. Qui plus est, la distribution gographique de ces espces et leur organisationen cosystmes apparat elle-mme relativement constante ; cest ainsi que lon tablit,par exemple, des cartes de la vgtation, ce qui implique que lorganisation de cettevgtation prsente une certaine permanence. Pourtant, cette apparente stabilit nestquune approximation, valable sur des dures suffisamment brves. A` plus grande chellede temps, lorganisation de la vie se rvle tre au contraire en perptuel remaniement.Les cosystmes voluent et se transforment ; et les espces elles-mmes apparaissent,font expansion et finissent par disparatre. En bref, la vie est fondamentalement unsystme dynamique, et lon ne peut envisager de traiter compltement de notions tellesque systmatique, biodiversit et volution sans prendre en compte ce caractre dyna-mique (Auger Pierre & Thellier Michel, in : Acadmie..., 2000, chap. 4, 1.10, p. 129).

    III. 20 novembre 2002, 16 h-18 h : La drivation historique

    Intr. Lhistoire comme profession et comme discipline. Lhistoire comme objetdtude, les temps historiques . Les sciences paltiologiques selon Whe-well. Lexemple des sciences de la terre.

    I have already stated in the History of the Sciences, that the class of Sciences whichI designate as Pal tiological are those in which the object is to ascend from the presentstate of things to a more ancient condition, from which the present is derived by intelli-gible causes (Whewell, 1847, Bk. X, ch. I, 1).1. La drivation historique comme lun des styles de la pense scienti-

    fique : A.C. Crombie.Styles vs. paradigmes. Varit des styles scientifiques. Remonte aux origines,

    et drivation partir de lorigine. Une reconstruction la fois descriptive etexplicative (Jean Bodin). Quil y a un ordre dans le changement (Condorcet).Histoire de lesprit humain (ex. gense et formation des langues). Histoire de lanature (ex. races humaines : une origine commune ?).

    The conception of an order of nature as dynamic equilibrium with a calculable pastand future history became an integral part of the distinctive scientific genetic methodor method of historical derivation. Scientific historical derivation, as distinct from theantecedent ancient Babylonian or Egyptian or Hebrew or Greek myths of the creationor making of the world, may be dated from the Greek philosophical committment in the6th and 5th centuries B.C. to a world generated by a natural causal process embodyingthe operation of natural laws over a long time. Thus Diodorus Siculus, in reportingearlier opinions about the origins of the universe and of mankind, contrasted with onegroup of authorities who held that everything had always existed as it was, another whoargued that the world, living things, man and civilization had all been brought from anundifferentiated beginning into their present state by natural processes which may stillbe observed . All living things and every form of animal life were generated frommoist earth by solar heat. Men gathered together under expediency and necessity fromtheir first undisciplined life of beasts into groups for protection and mutual aid, learnt

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    to communicate by articulate speech, and so developed language and likewise the mate-rial arts of civilization (Crombie, 1994, vol. III, Part. VII, chap. 21, p. 1551-1552). Ce progrs est soumis aux mmes lois gnrales qui sobservent dans le dveloppementindividuel de nos facults, puisquil est le rsultat de ce dveloppement, considr enmme temps dans un grand nombre dindividus runis en socit. Mais le rsultat quechaque instant prsente dpend de celui quoffraient les instants prcdents : il influencecelui des instants qui doivent le suivre. Ce tableau est donc historique, puisque, assu-jetti de perptuelles variations, il se forme par lobservation successive des socitshumaines aux diffrentes poques quelles ont parcourues. Il doit prsenter lordre deces changements, exposer linfluence quexerce chaque instant sur celui qui le remplace,et montrer ainsi, dans les modifications qua reues lespce humaine, en la renouvelantsans cesse au milieu de limmensit des sicles, la marche quelle a suivie, les pasquelle fait vers la vrit ou le bonheur. Les rsultats quil prsente conduiront ensuiteaux moyens dassurer et dacclrer les nouveaux progrs que sa nature lui permetdesprer encore (Condorcet, 1795, dbut).2. La notion dhistoire naturelle.Explication par les antcdents en mdecine et en psychologie. Comment

    dgager des histoires individuelles un schma volutif. Histoire gnrique, cane-vas dhistoire (Arago), marche de la maladie (Louis), cours naturel de lamaladie (Jenicek & Clroux). Mthodologie de lhistoire naturelle selon Buffon.Progrs des sciences naturelles selon Cuvier. Histoire naturelle des cancers ducolon, forme commune et forme variante sporadique pour laquelle est proposun modle htrodoxe de cancrogense (Comptes rendus de lAcadmie dessciences de Paris, 1999, 12, 322 : 1017).

    Faire le rsum du mode de production, du point de dpart, de discours multiplis etdexplorations minutieuses, et reconnatre les concordances des symptmes entre eux,puis derechef les discordances entre ces concordances, enfin les nouvelles concordancesdans ces discordances, jusqu ce que des discordances rsulte une concordance seuleet unique ; telle est la mthode ; de cette faon on vrifiera une apprciation exacte, eton trouvera le dfaut dune apprciation vicieuse (Hippocrate, pidmies, livre VI, 12 ; tr. Littr, vol. V, p. 299). M. le Professeur Lannec a fix, dans ces derniers temps, lattention des mdecins surun accident trs grave quon observe quelquefois dans le cours de la phtisie pulmonaire,et qui peut en acclrer de beaucoup le terme fatal : nous voulons parler de la perfora-tion du parenchyme de lun des poumons par suite de la fonte dun tubercule qui faitirruption dans la cavit des plvres (Louis, Observations relatives la perforation...,extrait des Archives gnrales de mdecine, tir part, bibliothque de lAcadmie demdecine de Paris, 24 p., sans date ; les quatre observations sont de 1822-1823). Comme aucune personne nest prcisment malade comme une autre, on ne peutdonner de nos infirmits que des portraits individuels, tandis que dans les tres rgulierslindividu reprsente lespce (Cuvier, 1829, III, p. 323). Lhistoire dun animal doit tre, non pas lhistoire de lindividu, mais celle de lespceentire de ces animaux (Buffon, 1749, I, p. 15).3. Historiens, et philosophes de lhistoire, sur lexplication historique.Le mtier dhistorien (Marrou, Bloch). La vise scientifique : critique des

    sources (sciences auxiliaires : Samaran), laboration des catgories (Humboldt,

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    Guizot), travail sur le rcit comme instrument dexposition (Barante). Il y a dessciences historiques, mais lhistoire nest pas une science. Lhistoire expliciteplus quelle nexplique (Veyne). L tiologie historique selon Cournot. Lemodle de la loi de couverture ( covering law model ) appliqu lhistoire(Nagel).

    Un historien digne de ce nom doit exposer chaque vnement comme partie dun tout,ou, ce qui revient au mme, exposer travers chacun la forme de lhistoire en gnral (Humboldt, 1821, p. 41 ; in : d. PUL, p. 72). Peut-tre lpoque o nous vivons est-elle destine remettre la narration en hon-neur ?... On est las de voir lhistoire, comme un sophiste docile et gag, se prter toutes les preuves que chacun en veut tirer. Ce quon veut delle, ce sont des faits...voqus et ramens vivants sous nos yeux (Prosper de Barante, 1824, Prface lHis-toire des ducs de Bourgogne, in : Gauchet, d., 1988, p. 79-81). Le mot dexplication est pris, tantt dans un sens fort o expliquer veut dire assignerun fait son principe ou une thorie une thorie plus gnrale , comme font lessciences ou la philosophie ; tantt dans un sens faible et familier, comme lorsque nousdisons : laissez-moi vous expliquer ce qui sest pass et vous allez comprendre ... Nous montrerons... quen dpit de certaines apparences et de certaines esprances ilnexiste pas dexplication historique au sens scientifique du mot, que ces explicationsse ramnent des explications au second sens du mot... Chacun sait quen ouvrant unlivre dhistoire il le comprend, comme il comprend un roman ou ce que font ses voisins ;autrement dit, expliquer, de la part dun historien, veut dire montrer le droulementde lintrigue, le faire comprendre . Telle est lexplication historique : toute sublunaireet pas scientifique du tout ; nous lui rserverons le nom de comprhension (Veyne,1971, II, chap. 6, p. 58). Ltiologie historique consiste dans la recherche et la discussion des causes dontlenchanement compose la trame historique... Ltiologie ou la philosophie de lhistoiresenquiert de la raison des vnements plutt que de la cause des vnements (Cournot,Considrations..., 1872, I, 1, p. 14-15). La composition historique tient... plus de lart que de la science (Cournot, Essai,1851, chap. XX, p. 373). Historians... aim to assert warranted singular statements about the occurrence andthe interrelations of specific actions and other particular occurrences. However, althoughthis task can be achieved only by assuming and using general laws, historians do notregard it as part of their aim to establish such laws (Ernest Nagel, 1961, chap. 15, 1, p. 550).4. La place des lois en biologie et la thse de Michael T. Ghiselin.Rvolution darwinienne : pour Darwin, comme pour Hraclite, le changement

    est le fond de la ralit . Si les espces voluent, elles nont pas dessence (decaractristiques permanentes). Ce ne sont donc pas des classes, mais des tresindividuels. Incursion du ct de la mtaphysique. Distinction entre individu(ordre historique) et classe (ordre nomologique). Les lois de la nature portentsur des classes. Les tres individuels sont dans un processus historique. Il y ades lois en biologie, mais la plupart des rgularits biologiques ne sont pas deslois. Nous cherchons reconstruire lhistoire. Les lois servent dappui linf-rence historique : elles permettent dexclure la possibilit de certains change-

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    ments, ou den prdire dautres. Le processus historique fait lobjet dune nar-ration historique .

    The Grand Question, which every naturalist ought to have before him, when dissectinga whale, or classifying a mite, a fungus, or an infusorian, is What are the laws oflife (Darwin, Notebook B, cited by Ghiselin, 1997, chap. 14, p. 219). We do need to emphasize how the individuality thesis helps us to understand what thelaws of biology are, and how they function in the thinking of biologists. We haverepeatedly urged that the laws of nature are strictly universal. There are no laws foror about or making necessary reference to any individual. All of them are aboutclasses of individuals (Ghiselin, 1997, chap. 14, p. 222). With respect to the place of laws of nature in working out the history of the earth andits inhabitants, we may confidently draw the conclusion that such laws do indeed exist,and also that they may indeed be used to infer the truth of historical hypotheses.However, in reconstructing history on this basis, there are many serious difficulties, notthe least of which is the problem of distinguishing between legitimate laws of natureand historical contingencies. On top of that, we have to know what the laws are, andalso how to apply them. And finally, when we do apply them, we find that we cannotdo so in the absence of a vast quantity of empirical data about individuals. The lawsof nature may tell us what is possible, but that only limits the number of acceptablehypotheses. An ideal evolutionary biology would present the entire history of life, in amanner that made it clear what was historical accident and what was nomologicallynecessary, and of course what laws applied and why, but that ideal is only beginningto be realized (Ghiselin, 1997, chap. 15, p. 243).Concl. Les lignes volutives . Une ligne volutive est constitue par une succession despces dont la forme changeavec le temps [par exemple : la ligne conduisant dHomo erectus Homo sapiens]...Quelques organismes, toutefois, chappent ces phnomnes [de transformation volu-tive]. Leur morphologie a brusquement cess dvoluer et reste comme fige. Le c la-canthe appartient cette catgorie, tout comme la mduse, la limule, le nautile et lescorpion, et, parmi les plantes, la fougre, la slaginelle, le ginkgo, le cycas et larauca-ria. Ces organismes ne reprsentent quune petite frange des millions despces vivantesactuelles et des dizaines de millions despces teintes. Les causes de leur stase volutivesont encore inconnues. Les gnticiens ont dmontr que les parties du gnome de cesfossiles vivants ne prsentaient aucune caractristique particulire. En ralit, la stasevolutive concerne une partie du gnome qui contrle le dveloppement embryonnairedes tres vivants, et dont le fonctionnement demeure trs mal connu. Ces gnes dudveloppement constituent le moteur de lvolution morphologique (J.J. Jaeger, in :Coppens et Picq, I, 1, p. 31).

    IV. 04 dcembre 2002, 16 h-18 h : Chanes causales

    Causes certainly are connected with effects ; but this is because our theories connectthem, not because the world is held together by cosmic glue (Norwood Russell Hanson,1965, chap. III, p. 64).Intr. De la narration historique lanalyse causale. Quun fait historique soit

    explicable ne signifie pas quil soit prdictible (Gallie : renoncer au modle

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    nomologique-dductif). Narration de lhistorien (faire comprendre lintrigue :Veyne) vs. narration de lpidmiologiste ou du palontologue (hypothses cau-sales et scnarios). Lexplication causale dans les sciences (Wallace). Squencescausales, chanes causales : exemples.

    We produced a cascade of hops by arranging CO molecules in staggered chains ofdimers. The cascade was initiated by moving a trigger CO molecule with the STMtip to form an initial chevron. This newly formed chevron then spontaneously decaysand forms yet another chevron, and so on for a cascade of any length. This linkedchevron cascade propagates forward reliably because the energy of the system islowered each time a molecule hops to a new site on the surface. [...] In general thereis no lower limit to the average energy that must be dissipated with each hop. As thisenergy drops below the thermal energy, backward hops become common, and the propa-gation time increases (Heinrich A.J., et al., Molecule cascades , Science, 15 nov.2002, 298 : 1381-1387).

    1. Lenqute tiologique : les chemins causals.Le ct dtective de lenqute. Identification des voies par o linfluence

    passe . Reconstruction de la chane des vnements. Les scnarios et leursvariantes. Premier prsuppos de lexplication causale : tout nest pas li tout.Dpendance et indpendance des vnements. Notion dindpendance statistique.

    I was compelled to ask whether cadaverous particles had been introduced into thevascular systems of those patients whom I had seen die of this identical disease. I wasforced to answer affirmatively ... The fetus, as yet unborn and in the birth canal, doesnot resorb foul animal-organic matter when it is touched by the examiners contaminatedfingers, but only when its blood is organically mixed with the mothers blood that hasalready become contaminated. This explains why an infant never dies of childbed feverwhile the mother remains healthy ; childbed fever does not arise in the newborn throughdirect resorption. Both become ill while the child and mother are in organic interchangethrough the placenta... (Semmelweis, 1861). Principes gnraux du Calcul des Probabilits :1. Le premier de ces principes est la dfinition mme de la probabilit qui, comme onla vu, est le rapport du nombre des cas favorables celui de tous les cas possibles. [...]3. ... Si les vnements sont indpendants les uns des autres, la probabilit de lexistencede leur ensemble est le produit de leurs probabilits particulires. [...]4. Quand deux vnements dpendent lun de lautre, la probabilit de lvnementcompos est le produit de la probabilit du premier vnement, par la probabilit quecet vnement tant arriv lautre arrivera. [...] (Laplace, 1825, dbut).

    2. Lordre causal nest pas logique , il est empirique.Second prsuppos de lexplication causale : leffet ne prcde pas la cause

    ( after cannot cause before ). Proprits logiques de lordre causal ? Impor-tance de la chronologie : elle permet dcarter des hypothses absurdes . Non-rversibilit (asymtrie) et non-transitivit de la dpendance causale : la driva-tion causale (entre vnements) est autre que la drivation logique (entre proposi-tions). La cause explique leffet, non parce quelle limplique (logiquement),mais parce quelle contribue le produire (rellement).

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    We may define a cause to be an object, followed by another, and where all the objectssimilar to the first are followed by objects similar to the second. Or in other wordswhere, if the first object had not been, the second never had existed. The appearanceof a cause always conveys the mind, by a customary transition, to the idea of the effect.Of this also we have experience. We may, therefore, suitably to this experience, formanother definition of cause, and call it, an object followed by another, and whoseappearance always conveys the thought to that other (Hume, 1772, sect. VII, part II). I take Humes second definition as my definition not of causation itself, but of causaldependence among actual events. Causal dependence among actual events implies causa-tion... But I reject the converse. Causation must always be transitive ; causal dependencemay not be ; so there can be causation without causal dependence... We extend causaldependence to a transitive relation in the usual way. Let c, d, e, ... be a finite sequenceof actual particular events such that d depends causally on c, e on d, and so onthroughout. Then this sequence is a causal chain. Finally, one event is a cause ofanother if, and only if, there exists a causal chain leading from the first to the second.This completes my counterfactual analysis of causation (Lewis, 1973, p. 563). For want of a nail a shoe was lost ; for want of a horse a rider was lost ; for wantof a rider a battalion was lost ; for want of a battalion a battle was lost ; for want ofa victory a kingdom was lost all for want of a nail (Hanson, 1980, chap. III, p. 50).

    3. Comment sassurer de la ralit/de la solidit dune dpendance causale.On ne teste quun lien la fois. Le modle pidmiologique. De la prsomption

    de causalit (cause prima facie) laffirmation du lien causal. Soit un facteur Cquon souponne daugmenter le risque doccurrence de E : la mthodologiestatistique permet de confirmer la ralit du lien entre C et E, de mesurer saforce (indicateurs quantitatifs : risque attribuable, risque relatif), de distinguer les facteurs du risque des simples marqueurs . Cette mthodologie suppose larptabilit des squences (leur caractre gnrique). Critres permettant de jugerquil y a relation de cause effet en labsence darguments exprimentaux : les indices concordants . Peut-on tester des hypothses causales ayant trait dessquences dvnements non reproductibles ? Hypothses sur les origines de labipdie.

    Lvnement Ct est une cause prsomptive de lvnement Et si, et seulement si :(1) t < t, (2) P(Ct) > 0 et (3) P(Et|Ct) > P(Et).

    (Suppes, 1970, chap. 2, Dfinition 1, p. 12). The conclusion that cigarette smoke is a direct cause of cancer derives from manydifferent types of epidemiological evidence, combined with the fact that the smoke cancause cancer in experimental animals. (Doll & Peto, 1981, p. 1220). Lasschement : un phnomne associ lmergence des hominids. [...] Lhypothsedun lien entre les changements de lenvironnement et lvolution de lhomme nest pasnouvelle : elle a t suggre ds 1809 par Lamarck. En effet, celui-ci avait bien vu quelvolution de la locomotion humaine rsultait de facteurs environnementaux puisquilenvisageait le passage dune forme ancestrale arboricole une forme bipde terrestre,passage li une modification du milieu do disparaissait larbre. Cette hypothse estlargement rpandue... (Brigitte Senut, in : Coppens & Picq, eds., 2001, vol. 1, chap. 4,p. 195).

  • PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MDICALES 515

    4. Le mcanisme de laction causale.Si la cause explique leffet, quest-ce qui explique le lien de la cause leffet ?

    Recherche du mcanisme par lequel la cause entrane leffet. Propagation delinfluence causale. Marqueurs attestant la continuit du processus (WesleySalmon).

    La diphtrie se contracte par contamination directe, par lintermdiaire des gouttelettesde salive rejetes par les porteurs de germes (Harrisons Principles of Internal Medi-cine, New York : McGraw Hill ; tr. fr. Harrison T.R., Principes de mdecine interne,Paris : Flammarion Mdecine Sciences, 8e partie, Toxi-infections, 151). Statistical and causal relations constitute the patterns which structure our world the patterns into which we fit events and facts we wish to explain. Causal processesplay an especially important role in this account, for they are the mechanisms whichpropagate structure and transmit causal influence in this dynamic and changing world.In a straightforward sense, we may say that these processes provide the ties among thevarious spatio-temporal parts of our universe (Salmon, 1982, p. 175-176). Causal processes are distinguished from pseudo-processes in terms of their ability totransmit marks. In order to qualify as causal, a process need not actually be transmittinga mark ; the requirement is that it be capable of doing so (Salmon, 1984, chap. 5,p. 147). [the at-at theory of causal propagation] I can think of nothing illuminating to say about scientific explanation in all possibleworlds. In this world I doubt that there is any single logic of explanation. I believe thatit is important to look for mechanisms, but I am convinced that the mechanisms of thequantum domain which may well be noncausal are very different from those thatoperate on a macroscopic scale (Salmon, 1990, Preface, p. xi).Concl. Opacit de lontologie causale. To give scientific explanations is to show how events... fit into the causal structure ofthe world (Salmon, 1977, cit. in : 1984). The jackrabbits which inhabit the hot arid regions in the southwestern part of the USAhave extraordinarily large ears. If we ask why they have such large ears, the answer isnot the better to hear you with, my dear . Instead, the large ears constitute an effectivecooling mechanism. If the body temperature begins to rise, the numerous blood vesselsin the ears dilate, and warm blood from the interior of the body circulates throughthem. The animal seeks out a shady spot, heat is radiated from the ears, and the bodytemperature is reduced. The jackrabbit has these large ears because they constitute aneffective mechanism for temperature regulation (Salmon, 1982).

    V. 11 dcembre 2002, 16 h-18 h : Tlologie

    Many a scientist has patiently designed experiments for the purpose of substantiatinghis belief that animal operations are motivated by no purposes. He has perhaps spenthis spare time in writing articles to prove that human beings are as other animals sothat purpose is a category irrelevant for the explanation of their bodily activities, hisown activities included. Scientists animated by the purpose of proving that they arepurposeless constitute an interesting subject for study (Whitehead, 1929, chap. 1).Intr. La notion de finalit na pas de chance (Gilson, 1971). Ce quest une

    hypothse tlologique. Exemples : valvules des vaisseaux sanguins, stratgies

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    des virus, rle des neuropeptides. Premier congrs mondial de lOrganisation duprotome humain (Versailles, 21-24 nov. 2002) : aprs le squenage du gnome,lidentification des protines humaines (structure, fonction). A` quoi sert lhmo-globine ? Causalit efficiente (productrice, a tergo) vs. causalit finale (attractive,a fronte).

    Our general feeling is that any peptide naturally occurring in the brain most probablyhas an influence on CNS actions. The phylogenetic persistence of the brain peptidesmay indicate an influence on brain function that is adaptive, in some sense, for theorganism. We believe that this teleological reasoning (i.e. if it is present in the CNSit must do something), although unpopular, is not unscientific (Kastin et al., 1978,p. 294). Pourquoi Dieu nous aurait-il donn assez de gnes pour fabriquer douze diffrentessortes dinterfrons si une seule suffisait ? ( The interferon-cancer trials : hardly hope-less but not too heartening , JAMA, 1983, 250 : 1007-1010 ; tr. fr. in JAMA-France,1983, 8 (75) : 369-372).1. Deux traditions philosophiques entremles, et leurs opposants.Tlologie naturelle vs. thologie naturelle. La thologie naturelle saccorde

    avec le mcanisme (la doctrine de lanimal-machine) : dun ct les desseins deDieu (lintention : purpose, le plan de larchitecte : design), de lautre des disposi-tifs qui sagencent selon le plan de lordonnateur, dune faon objectivement finali-se. La tlologie naturelle prsuppose une spontanit du vivant : ... Lnergievitale, lentlchie dAristote sera-t-elle conue comme une substance linstarde latome, ou comme une force qui a son sige dans latome, linstar delattraction du physicien et de laffinit du chimiste ? (Cournot, Matrialisme,vitalisme, rationalisme, 1875, II, 2).

    Nous professons que la nature agit en vue dune fin, et que cette fin est un bien ; qutoute crature qui se meut naturellement mais qui est incapable de se mouvoir toujoursavec aisance et avec continuit, le repos est une chose ncessaire et utile ; et quenfin,en toute vrit, on applique au sommeil ce terme mtaphorique en lappelant un repos ;il en rsulte que ce en vue de quoi a lieu le sommeil, cest la conservation de lanimal.Mais cest ltat de veille qui est pour lanimal sa vraie fin, puisque lexercice de laperception ou de la pense est la fin pour tous les tres auxquelles lune ou lautreappartiennent (Aristote, Parva naturalia, De somno et vigilia II , 455 b 17-24). ... Il est absurde de penser quil ny a pas de gnration dtermine tlologiquement,si lon ne voit pas le moteur dlibrer. Voyez lart : il ne dlibre pas. Si lart deconstruire les vaisseaux tait dans le bois, il agirait comme la nature ; si donc ladtermination tlologique est dans lart, elle est aussi dans la nature. Le meilleurexemple est celui de lhomme qui se gurit lui-mme ; la nature lui ressemble (Aristote,Physique, II, 8, 199 b 26-33). En considrant le spectacle de lunivers, nous devons supposer que lordre universelest tel quil stend tout, ft-ce au plus petit dtail ; art admirable qui rgne nonseulement dans les choses divines, mais chez les tres quon serait tent de ddaigneret de trouver trop peu importants pour que la providence sen occupe. Voyez la merveil-leuse varit en nimporte quelle espce dtres vivants, jusquaux plantes elles-mmes,avec la beaut de leurs fruits et de leur feuillage, lpanouissement de leurs fleurs, lasveltesse de leurs tiges ; et toute cette varit de formes na pas t cre une fois pour

  • PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MDICALES 517

    toutes ; elle ne cesse pas de ltre, sous linfluence des astres, dont les positions parrapport aux choses terrestres ne restent pas les mmes. Ces changements et ces transfor-mations ne se font pas au hasard, mais selon la rgle de la beaut [...] Cet ordre estdonc conforme lintelligence, sans provenir dun dessein rflchi ; mais, le prendretel quil est, il est admirable de voir que si lon avait pu user de la rflexion la plusparfaite, cette rflexion naurait pu trouver mieux faire que ce que nous connaissons ;jusque dans ses dtails pourtant, il rsulte ternellement de lintelligence plutt que dunordre trouv par la rflexion (Plotin, III, 2, 13-14). ... Les bras nont pas t attachs de solides paules, les mains ne sont pas dedociles servantes nos cts, pour que nous en fassions usage dans les besoins de lavie. Toute explication de ce genre est contresens et prend le contre-pied de la vrit.Rien en effet ne sest form dans le corps pour notre usage ; mais ce qui sest form,on en use. Aucune facult de voir nexista avant la constitution des yeux, aucune paroleavant la cration de la langue : cest au contraire la langue qui a prcd de beaucoupla parole, et les oreilles ont exist bien avant laudition des sons ; enfin tous nos organesexistaient, mon sens, avant quon en ft usage, ce nest donc pas en vue de nos besoinsquils ont t crs (Lucrce, De natura rerum, IV, 830-841). Cependant je trouve que la voie des causes efficientes, qui est plus profonde en effetet en quelques faon plus immdiate et a priori, est en rcompense assez difficile, quandon vient au dtail, et je crois que nos philosophes le plus souvent en sont encore bienloigns. Mais la voie des finales est plus aise, et ne laisse pas de servir souvent deviner des vrits importantes et utiles quon serait bien longtemps chercher parcette autre route plus physique, dont lanatomie peut fournir des exemples considrables.Aussi tiens-je que Snellius qui est le premier inventeur des rgles de la rfraction... (Leibniz, Discours de mtaphysique, vers 1685, XXII). La Nature na aucune fin qui lui soit davance fixe, et... toutes les causes finales nesont que des fictions humaines [...Dabord,] cette doctrine finaliste met la Nature lenvers. Car ce qui, en ralit, est cause, elle le considre comme effet, et inversement.Ce qui est antrieur, elle le rend postrieur... Ensuite, cette doctrine dtruit la perfectionde Dieu : car si Dieu agit en vue dune fin, il dsire ncessairement quelque chose dontil est priv (Spinoza, Ethique, I, Appendice). Pangloss enseignait la mtaphysico-thologo-cosmolonigologie (Voltaire, Candide,1759, chap. 1). Pour tous ces gens tlologie devient aussitt thologie, et chaque finalit dcouvertedans la nature, au lieu de mditer et de chercher comprendre, ils laissent clater cecri puril : design ! design ! (Schopenhauer, 1859, Suppl. L. II, chap. 26).2. Naissance de la biologie scientifique comme philosophie naturelle des tres

    organiss .Un tre organis nest pas une machine : il sauto-produit, il est une fin

    naturelle (Kant). Mais une finalit sans intentionnalit est pour nous inconce-vable. Pour cette raison Kant ne croit pas quil puisse y avoir un Newton dela biologie (1790, 75). Comte, en cherchant les caractristiques gnrales delorganisation vitale, approche ce qui deviendra la notion de systme ouvert .Charles Darwin pense avoir trouv le mcanisme par lequel les espces vivantesvoluent. Mais la prudence positiviste lemporte au 19e sicle.

    Premirement, un arbre produit un autre arbre... de la mme espce ; et ainsi il seproduit lui-mme selon lespce... Deuximement, un arbre se produit aussi lui-mme

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    comme individu... Troisimement, une partie de cette crature se produit galementdelle-mme... (Kant, 1790, II, 64). Lorganisation de la nature noffre rien danalogue avec une causalit quelconque nous connue. [...] La perfection naturelle interne que possdent certaines choses pos-sibles seulement comme fins naturelles et qui sappellent pour cela tres organiss, nestconcevable ni explicable par aucune analogie de quelque puissance physique, cest--dire naturelle, connue de nous, et mme pas, puisque nous appartenons la nature ausens le plus large, par une analogie exacte avec lart humain (Kant, 1790, II, 65). La vie, rduite sa notion la plus simple et la plus gnrale, est essentiellementcaractrise par le double mouvement continu dabsorption et dexhalation, d lactionrciproque de lorganisme et du milieu ambiant, et propre maintenir, entre certaineslimites de variation, pendant un temps dtermin, lintgrit de lorganisation (Comte,Cours de philosophie positive, 41e Leon). Nos recherches positives doivent essentiellement se rduire... lapprciation systma-tique de ce qui est, en renonant en dcouvrir la premire origine et la destinationfinale (Comte, Discours sur lesprit positif, 1844, I, 1, 3, 2 : 13).

    3. Les tentatives de rduction de lexplication tlologique.La bote noire du behaviorisme. Rsistance de Ducasse, Tolman, Lillie.

    Les niveaux de comportements orients vers un but (goal-directed). Thorie dessystmes, notion de rtroaction (feed-back). Critique de Taylor ( une conceptionmcaniste de lintentionalit ), rponse de Rosenblueth et Wiener. La rductionopre par Nagel.

    Wenn man die hchste Ntzlichkeit einer Sache bewiesen hat, so ist damit auch nochkein Schritt zur Erklrung ihres Ursprungs getan ; das heisst, man kann mit der Ntzlich-keit niemals die Notwendigkeit der Existenz verstndlich machen ( Quand on a prouvlextrme utilit dune chose, on na pas avanc dun pas dans lexplication de sonorigine ; ce qui veut dire que jamais lutilit ne peut faire comprendre la ncessit delexistence : Nietzsche, Morgenrote, 1881, Erstes Buch). What is wrong with teleology and why do biologists repudiate it with such fastidiousdistaste ? What is wrong with teleology, as Aristotle explicitly conceived it, is the useof purposes as causal explanations of phenomena, as if the need for some biologicalstructure was reason enough for its coming into being. Teleology has intruded to someextent into evolution theory and into sociobiology in the form of the aberration ofthought John Maynard Smith describes as Panglossism. A typical example would be thatevolutionary changes can come about for the good of the species , and that this isexplanation enough for their occurring (Medawar P.B. & Medawar J.S., 1983). Certaines machines sont intrinsquement intentionnelles. Une torpille avec un mca-nisme dautoguidage en est un exemple. Le terme de servo-mcanisme a t forgprcisment pour dsigner les machines comportement intentionnel intrinsque. [...]Les comportements actifs intentionnels peuvent tre subdiviss en deux classes : compor-tements rtroaction (ou tlologiques) et sans rtroaction (ou non-tlologiques). [...]Les comportements intentionnels rtroaction peuvent, leur tour, tre subdiviss. Ilspeuvent tre extrapolateurs (prdictifs) ou non-extrapolateurs (non-prdictifs) (Rosen-blueth et al., 1943). The explanation consists in stating a goal to be attained : it describes the action asone directed towards a certain goal as a goal-directed activity the word direc-

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    ted being used (as I shall use it) to imply a direction but not to imply a director (Braithwaite, 1947). Teleological (or functional) explanations are equivalent to non-teleological ones, sothat the former can be replaced by the latter without loss in asserted content. Considersome typical teleological statement, for example the function of chlorophyll in plantsis to enable plants to perform photosynthesis . But this statement appears to assertnothing which is not asserted by Plants perform photosynthesis only if they containchlorophyll or alternatively by A necessary condition for the occurrence of photosyn-thesis in plants is the presence of chlorophyll (Nagel, 1953).4. La tlologie (tlonomie) rhabilite ? Discussion autour de Darwin.Le mot tlonomie introduit par Pittendrigh (1958) et repris par Monod,

    Mayr. Lexplication tlologique rendue prsentable, au moins comme explica-tion fonctionnelle, en biologie des organismes. Mais en biologie de lvolution ?Les pouvoirs de la slection naturelle (Gayon). La colre de Ghiselin contreLennox. Darwin tait-il finaliste, ou a-t-il trouv comment lapparence finalisede lvolution (ladaptation) se rduit un mcanisme causal ? Optimisme dAyala,prudence de Ruse.

    ... Redcouvrir les proprits les plus gnrales qui caractrisent les tres vivants etles distinguent du reste de lunivers... Nous en avons trouv trois : tlonomie, morphoge-nse autonome, invariance reproductive. [...] Nous choisirons arbitrairement de dfinirle projet tlonomique essentiel comme consistant dans la transmission, dune gnration lautre, du contenu dinvariance caractristique de lespce. Toutes les structures,toutes les performances, toutes les activits qui contribuent au succs du projet essentielseront donc dites tlonomiques ... Le niveau tlonomique dune espce donnecorrespond la quantit dinformation qui doit tre transfre, en moyenne, par individu,pour assurer la transmission la gnration suivante du contenu spcifique dinvariancereproductive (Monod, 1970, chap. 1). All teleonomic behavior is characterized by two components. It is guided by a pro-gram and it depends on the existence of some end point, goal, or terminus which isforeseen in the program that regulates the behavior. This endpoint might be a structure,a physiological function, the attainment of a new geographical position, or a consum-matory act in behavior. Each particular program is the result of natural selection,constantly adjusted by the selective value of the achieved endpoint (Mayr, 1974, p. 99). Lennoxs suggestion that once we have gotten rid of design or internal vital forces wehave an innocuous form of teleology is not the sort of thesis that a properly educatedbiologist would accept (Ghiselin, 1994). Darwin was a teleologist (Lennox, 1994). The way we do it is to ask what happened, and why, and then produce an historicalnarrative that explains things in terms of particular events and the relevant laws ofnature. There is no more need for teleology in such narrative in biology than there isin geology or cosmology (Ghiselin, Hist Phil Life Sci, 1998, 20 (1) : 109). The issue at hand is, how to account for design, as in the design of the eye, withouta designer. The conundrum was solved by Charles Darwin. [...] It was Darwins greatestinsight to discover that the directive organisation of living beings can be explained asthe result of a natural process, natural selection, without a need to resort to a Creatoror other external agent. [...] Natural selection has no foresight, nor does it operateaccording to some preconceived plan. [...] The traits that organisms acquire in their

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    evolutionary histories are not fortuitous but determined by their functional utility to theorganisms. [Definition :] Teleological explanations account for the existence of a certainfeature in a system by demonstrating the features contribution to a specific property orstate of the system, in such a way that this contribution is the reason why the featureor behavior exists at all (Ayala, 1999, passim). The key to understanding biological teleology rests on the question of metaphor (Ruse, 1999).Concl. Et pourtant... Lobservation de malades atteints de lsion crbrale nous apprend que lorganismels a tendance maintenir sa capacit fonctionnelle un niveau aussi lev quepossible par rapport ce quelle tait auparavant. Lorsquun domaine fonctionnel estaltr, ce sont les oprations les plus importantes qui sont prserves le plus longtempsou sont rtablies de la faon la plus parfaite. La vision de lhmianopsique nous enfournit un exemple particulirement instructif (Goldstein, 1934).

    VI. 18 dcembre 2002, 16 h-18 h : Formes

    Savoir que les blessures rondes gurissent plus lentement que les autres relve dumdecin, et savoir pourquoi, du gomtre (Aristote, Anal. post., I, 13, 79 a 14-16). La matire est sensible ou intelligible. La matire sensible, cest celle qui est, parexemple, de lairain, du bois, ou toute matire susceptible de changement. La matireintelligible est celle qui est prsente dans les tres sensibles, mais pris non en tant quesensibles, les tres mathmatiques par exemple (Aristote, Mtaphysique, Z, 10, 1036 a9-12).Intr. La biologie des organismes en se molcularisant , la biologie des

    populations en adoptant le schma volutif darwinien, ont marginalis les pro-blmes de morphologie et de morphogense. Ces problmes restent cependant larrire-plan de la biologie volutive ( paysage adaptatif de Sewall Wright, paysage pigntique de Waddington), et de la biologie du dveloppement(embryologie : pouvoir organisateur de luf, gnes architectes ).

    1o Il y a un ensemble, une harmonie gnrale, un but vers lequel toutes les partiesconvergent ; 2o Chacune des parties pourrait aussi la rigueur constituer un mmepetit tout galement harmonis (Cl. Bernard, Le Cahier rouge, 31 aot 1850). En parlant de forme et de finalit on met laccent sur les conditions globales etspatiales dans la production des phnomnes. La science contemporaine a favoris, aucontraire, les conditions locales et matrielles. La biologie molculaire et la mcaniquequantique illustrent bien cette tendance analytique. Ces deux voies, lexplication par lehaut et lexplication par le bas, sont ncessaires et compatibles. Ainsi, un reprochepossible la science contemporaine nest pas quelle choisit la mthode locale, analy-tique et matrialiste, mais que souvent elle lutilise exclusivement (Espinoza, 1994,p. 36).1. La philosophie naturelle de Goethe et lhypothse de lunit morpholo-

    gique du monde vivant.En 1830 Goethe assiste, lAcadmie des sciences de Paris, un dbat sur

    un sujet de philosophie naturelle . La thorie des analogues dtienne

  • PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MDICALES 521

    Geoffroy Saint-Hilaire est violemment combattue par le baron Cuvier. Goethecrit un compte rendu de ce dbat : Je ne juge pas, je raconte (Montaigne) (Goethe, 1830).

    A` la date de 1753, le comte de Buffon reconnaissait quil existe un type primitif, undessin gnral, quon peut suivre trs loin, sur lequel tout semble avoir t construit (Goethe, 1832). Ce plan, toujours le mme, toujours suivi de lhomme au singe, du singe aux quadru-pdes, des quadrupdes aux ctacs, aux oiseaux, aux poissons, aux reptiles ; ce plan,dis-je, bien saisi par lesprit humain, est un exemplaire fidle de la nature vivante, etla vue la plus simple et la plus gnrale sous laquelle on puisse la considrer ; etlorsquon veut ltendre et passer de ce qui vit ce qui vgte, on voit que ce plan,qui dabord navait vari que par nuances, se dforme par degrs des reptiles auxinsectes, des insectes aux vers, des vers aux zoophytes, des zoophytes aux plantes ; etquoique altr dans toutes ses parties extrieures, conserve nanmoins le mme fond, lemme caractre, dont les traits principaux sont la nutrition, le dveloppement et lareproduction ; traits gnraux et communs toute substance organise (Buffon, His-toire naturelle, 1766, XIV, Nomenclature des singes ). 115. Que la plante croisse, fleurisse ou porte des fruits, ce sont pourtant toujours lesmmes organes qui remplissent lintention de la Nature avec des destinations diverseset sous des formes souvent trs modifies. Le mme organe qui sur la tige sest talsous ltat de feuille et a pris les formes les plus diverses, se contracte ensuite en uncalice, slargit de nouveau en ptales, se contracte pour produire ltamine et se dilateenfin une dernire fois pour passer ltat de fruit (Goethe, 1790). Une vrit constante pour lhomme qui a observ un grand nombre de productions duglobe, cest quil existe entre toutes leurs parties une grande harmonie et des rapportsncessaires ; cest quil semble que la nature sest renferme dans de certaines limites,et na form tous les tres vivants que sur un plan unique, essentiellement le mme dansson principe, mais quelle a vari de mille manires dans toutes ses parties accessoires (tienne Geoffroy Saint-Hilaire, Mmoire sur les rapports naturels des makis, 1796).

    2. DArcy W. Thompson et sa thorie des transformations .DArcy W. Thompson (1860-1948), naturaliste cossais, aprs des tudes

    Cambridge o il ctoie Haldane et Whitehead, enseigne la biologie Dundee,puis dinburgh. Savant rudit (il pratique couramment plusieurs langues : grec,latin, allemand, franais, sudois), et marin expriment, il entreprend dtudierles tres vivants en gomtre ( je me suis mis aux mathmatiques ...). Il montrecomment les formes vivantes rpondent des contraintes spatiales et des jeuxde forces physiques.

    So long and so far as fortuitous variation and the survival of the fittest remainengrained as fundamental and satisfactory hypotheses in the philosophy of biology, solong will these satisfactory and specious causes tend to stay severe and diligentenquiry... to the great arrest and prejudice of future discovery ([Note] I speak, not ofthe severe and diligent enquiry of variation or of fortuity, but merely of the easyassumption that these phenomena are a sufficient basis on which to rest, with the all-powerful help of natural selection, a theory of definite and progressive evolution) (Thompson, 1942, Intr., p. 8).

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    We want to see how, in some cases at least, the forms of living things, and of theparts of living things, can be explained by physical considerations, and to realise thatin general no organic forms exist save such as are in conformity with physical andmathematical laws (Thompson, 1942, Intr., p. 15). If... diverse and dissimilar fishes can be referred as a whole to identical functions ofvery different coordinate systems, this fact will of itself constitute a proof that variationhas proceeded on definite and orderly lines, that a comprehensive law of growth haspervaded the whole structure in its integrity, and that some more or less simple andrecognisable system of forces has been in control. It will not only shew how real anddeep-seated is the phenomenon of correlation , in regard to form, but it will alsodemonstrate the fact that a correlation which had seemed too complex for analysis orcomprehension is, in many cases, capable of very simple graphic expression (Thomp-son, 1942, chap. XVII, p. 1037). If we choose, to begin with, such a crab as Geryon and inscribe it in our equidistantrectangular coordinates, we shall see that we pass easily to forms more elongated in atransverse direction, such as Matuta or Lupa, and conversely, by transverse compression,to such a form as Corystes. In certain other cases the carapace conforms to a triangulardiagram, more or less curvilinear, which represents the genus Paralomis (Thompson,1942, chap. XVII, p. 1057).3. Ren Thom et les modles mathmatiques de la morphogense .Le mathmaticien Ren Thom (1923-2002, mdaille Fields 1958) cite dArcy

    Thompson en pigraphe Stabilit structurelle et morphogense, et dit quil avoulu donner un sens mathmatique au concept de champ morphogntiquedes embryologistes . Le problme fondamental de la biologie, dit-il, est unproblme de Topologie, discipline mathmatique qui permet le passage du localau global . Soit le champ vital (comme en physique le champ gravitation-nel ). Les tres vivants sont les singularits structurellement stables de cechamp. Ils interagissent (par symbiose, prdation, parasitisme, sexualit, etc.). Ilsagit de donner du champ vital une description gomtrique , et de dterminerses proprits formelles et ses lois dvolution (1972, chap. 8 : Biologieet topologie ).

    [La thorie des catastrophes] offre des moyens dintelligibilit dans des situations quisont en gnral trop complexes pour tre analyses selon des mthodes rductionnistes (Thom, 1991, p. 30). Dterminer la structure tertiaire dune protine en fonction de sa structure primaireest typiquement un problme de dynamique des formes (Thom, 1972, p. 163). Le problme de lintgration des mcanismes locaux en une structure globale est leproblme central de la biologie ; celui de la morphogense, nos yeux, cest lobjetmme de la biologie thorique (Thom, 1980, 921, p. 154). Le thme essentiel du livre est de sopposer lide de plan ou programme coddans lADN (Thom, prface Chandebois, 1989). Lapport spcifique de la thorie des catastrophes... est de montrer que, dans certaineslimites, toutes les formes sont engendres par un petit nombre de types universels quiconstituent une sorte dalphabet morpho-gntique. Le rsultat fondamental de Thom,dans ce quon appelle la thorie restreinte, est quil existe sept catastrophes lmentairespossibles pour lvolution dun systme soumis quatre paramtres externes, quels que

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    soient le nombre et la nature des variables internes au systme, celles qui dfinissentson tat en tant que dispositif physique concret (Andler, in : DA, AFL, BSS, 2002,chap. 9, p. 1123). Dans sa simplicit le modle de la fronce a dabord... une valeur paradigmatique. Ilnous montre que les morphologies empiriques ne sont rien dautre, dans le formalismecatastrophiste, que la trace de superstructures gomtriques abstraites... Ce doublementde lespace gomtrique concret, lieu de lapparatre, par un espace mathmatiqueabstrait, lieu de ltre, rend incontestablement un son platonicien. Thom lui-mmecompare (dans Paraboles et catastrophes, p. 85) les morphologies empiriques aux ombresde la caverne de la Rpublique de Platon (Boutot, 1993, p. 82). Ce qui magace dans les thories du genre fractale, chaos, thermodynamique (loin delquilibre la Prigogine-Stengers) ou des catastrophes , cest leur prtention toutexpliquer hors du domaine originel de leur spcificit : la vie des cits, la constructiondes organismes, la structure des termitires, le dchiquet des ctes bretonnes, le deltadu Nil, la forme des neurones, celle des branches des arbres, les cours de la Bourse,la forme des circonvolutions crbrales, etc. Un tel universalisme, je trouve a suspect (Prochiantz, 2002, p. 84).4. Quest-ce que la biologie thorique ?Entre 1966 et 1970 Conrad Waddington organisa pour lUnion Internationale

    des Sciences Biologiques une srie de quatre runions savantes Bellagio (Ita-lie) ; lobjectif tait de formuler une bauche des concepts et mthodes suscep-tibles damener la biologie thorique un niveau comparable celui de laphysique thorique . La communaut franaise des biologistes thoriciens tintentre 1980 et 1990 ses coles Solignac, initialement sous la houlette dePierre Delattre. Aujourdhui la biologie thorique, souvent couple la bioinfor-matique, a ses socits savantes (ex. European Society for Mathematical andTheoretical Biology), ses journaux (ex. Journal of Theoretical Biology, Journalof Mathematical Biology, Acta biotheoretica), ses instituts de recherche. Elle napourtant pas de statut acadmique clair.

    A better name would have been Theory of General Biology. It has always been clearthat we were not so deeply interested in the theory of any particular biological phenome-non for its own sake, but mainly in so far as it helps to a greater comprehension of thegeneral character of the processes that go on in living as contrasted with non-livingsystems (Waddington, 1972, pilogue ). The question under consideration is whether we can develop a fairly general andwidely applicable theory on the structure and dynamics of complex systems, which wouldbe applicable to work in biology at the level of the population, the cell, development,and perhaps be of some use in the analysis of other complex systems of a social kind,even of the complexity in the evolution of languages and other areas (R. Levins, in :Waddington, ed., 1970, p. 73). A new mathematical theory, the theory of structural stability, inspired from qualitativedynamics and differential topology, seems to offer far-reaching possibilities to attack theproblem of the stability of self-reproducing structures, like living beings. But at leastin the authors opinion the validity of this type of dynamics description exceeds byfar the biological realm, and may be applied to all morphological processes, whetheranimate or inanimate, where discontinuities prohibit the use of classical quantitativemodels (Thom, in : Waddington, ed., 1970, p. 89).

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    Theoretical biology may be described as the application of reason to biology. In thissense, every biologist is, at least part of the time, a theoretical biologist. However, thedaily goal of a theoretician is to explain the biological world. The theoretical biologistsproduct is a theory, an idea, not an observation or an experimental result, though it isbased on them. This is what sets the theoretical biologist apart from other biologists. Thetheoretical biologist delves deaply into all the data available, comes up with unexpectedrelationships, tries to quantify them using all the tools of reason (math, logic, computers,etc.), and makes specific predictions about the outcome of future experiments and obser-vations. Sometimes a critical experiment would never have been done without the inspira-tion of your theory in the first place. There is nothing more satisfying than seeing yourtheory proven correct (Richard Gordon, President, Canadian Society for TheoreticalBiology, http://life.biology.mcmaster.ca/).Concl. La biologie thorique imagine des solutions des questions biologiques

    spciales (mthode de dfibrillation, description de systmes proie-prdateur,modles de diffusion de substances travers les membranes biologiques, descrip-tion du cycle de division cellulaire dune levure laide de la thorie des cata-strophes, simulation informatique du pliage dune protine : cf. Lck, 1987 ;Snow et al., 2002). Elle traite aussi de problmes gnraux de philosophienaturelle : auto-organisation, complexit, mergence...

    Tout du molculaire lvolutif est, peu ou prou, en fin de compte, une affaire deforme (Prochiantz, 2002, p. 88). Materiam superabat opus ( luvre surpassait la matire : Ovide, Mtamorphoses,II, 5).

    VII. 08 janvier 2003, 16 h-18 h. Modles et thoriesIntr. Pluralisme explicatif : le rve unificateur et la ralit pistmologique.

    Approches montante ( bottom-up ) et descendante (top-down) de lexplica-tion (Simon). Ingrdients dune explication.

    1. Pouvoir explicatif des thories, rle des modles.On explique une structure par (analogie avec) une autre (Peirce, Hanson), le

    particulier par le gnral (Mill, Popper, Hempel, Scheffler), le tout par ses l-ments (Descartes, ou rductionnisme gntique), leffet par sa cause (o estla thorie ?). Est-ce que tout sexplique ? Quattend-on dune explication scientifique ? Comment juge-t-on quune explication (i.e. une thorie) estmeilleure quune autre (Lipton : meilleure = plus plausible ? plus jolie ?) ?Modles et thories. Quest-ce quun bon modle ? Pouvoir explicatif vs.pouvoir prdictif. Variabilit des modles, carts entre thorie et ralit.

    [labduction] Upon finding himself confronted with a phenomenon unlike what hewould have expected under the circumstances, he looks over its features and noticessome remarkable character or relation among them, which he at once recognizes asbeing characteristic of some conception with which his mind is already stored, so thata theory is suggested which would explain (that is, render necessary) that which issurprising in the phenomena (Peirce, CP, 2 : 776).

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    Scientific theories enable us to understand perplexing phenomena precisely becausethey enable us to see on the page some of the same structures which are there in thephenomena themselves. The theory allows us to comprehend what makes things go and to work our ways into the phenomena, along the dynamical structures (as itwere) by way of inferences through the algebra which itself has the same structureas the phenomena, or at least a structure compatible with the phenomena (Hanson,1989, p. 273). La science explique le particulier en le soumettant des principes gnraux appropris.Ces principes ne sont explicatifs que sils sont intelligibles, ils ne sont scientifiques quesils peuvent tre confronts lexprience (Scheffler, 1966, p. 7). [Noter : expliquercest dduire dun principe (Kant, C Jugt 78)] In the appraisal of theories and hypotheses, what does (and what should) principallymatter to scientists is not so much whether those hypotheses are true or probable. Whatmatters, rather, is the ability of theories to solve empirical problems a feature thatothers might call a theorys explanatory or predictive power (Laudan, 1997, p. 306). It is important to distinguish two senses in which something may be the best ofcompeting potential explanations. We may characterize it as the explanation that is mostwarranted : the likeliest explanation. On the other hand we may characterize the bestexplanation as the one which would, if correct, be the most explanatory or provide themost understanding : the loveliest explanation. The criteria of likeliness and lovelinessmay well pick out the same explanation, but they are clearly different sort of standards.Likeliness speaks of truth ; loveliness of potential understanding (Lipton, 1993, p. 61).

    2. Thories causales intermdiaires , modles et mcanismes .Ici expliquer cest relier : tel trait phnotypique tel facteur gntique (ex.

    retard mental d un X fragile), tel vnement tel autre (ex. ce SDF est mortdune pneumonie). La cause explique/produit leffet. Mais comment (i.e. par quelmcanisme) cette cause produit-elle cet effet ? Hypothses sur le mcanisme.Importance de lexprimentation. Modles animaux des maladies humaines.Essais pragmatiques vs. essais explicatifs (Schwartz). Quil est risqu dintervenirsur la base dune thorie spculative (ex. du DES). Quil est souvent plus aisdexpliquer les dysfonctionnements que le fonctionnement normal, et de remonteraux causes que de prdire les effets.

    Probabilistic causation is not transitive in general (Eells, 1991, p. 211). Explanatory power is essentially a pragmatic matter ; which link in a causal chain wechoose to consider is an artifact of our interests (Sober, 1992, p. 149). Causes explain their effects, while effects do not explain their causes and effects of acommon cause do not explain one another (Hausman, 1993). [ex. lombre de la tour,voir aussi Barnes] Des expriences extrmement nombreuses, confirmant ce quenseigne la pathologiehumaine, mont montr que la production dune mme lsion, dans une mme partie,chez des animaux de la mme espce, peut donner lieu, comme chez lhomme, uneimmense varit deffets (Brown-Squard, 1878, in : Berthoz, 1999, p. 220). The crucial point is that the because of causation is always derivative from the because of explanation. In learning to talk about causes or counterfactuals we areabsorbing earlier generations views of the structure of nature, where those views arisefrom their attempts to achieve a unified account of the phenomena (Kitcher, 1989).

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    Lexprimentation ne devient ncessaire et utile qu la condition que lon disposedun schma thorique sous-jacent assez prcis, qui permette effectivement davancerdes prdictions (Thom, 1991, p. 33). Microparasite infections often consist of genetically distinct clonal lineages. Ecologicalinteractions between these lineages within hosts can influence disease severity, epidemio-logy and evolution. Many medical and veterinary interventions have an impact on geneticdiversity within infections, but there is little understanding of the long-term consequencesof such interventions for public and animal health. Indeed, much of the theory in thisarea is based on assumptions contradicted by the available data (Read & Taylor,2001, p. 1099).3. Thories structurales et philosophie de la nature.Ici expliquer cest produire de lintelligibilit, cest--dire rvler la ralit

    tudie comme rpondant des attentes rationnelles (principes de symtrie, deconservation, de moindre action), cela avec une conomie de moyens thoriques(rasoir dOccam) ; do la double impression de ncessit (cest comme cela doittre), et dlgance (cest simple). Le principe de subordination des caractres(Jussieu, Cuvier) a jou en biologie un rle heuristique dans le classement desplans dorganisation. Mais avec la dcouverte des gnes Hox la biologie dudveloppement a molcularis lexplication, du moins pour les phases prcocesdu dveloppement.

    Toute connaissance est, subjectivement, ou historique ou rationnelle. La connaissancehistorique est cognitio ex datis et la connaissance rationnelle cognitio ex principiis (Kant, CR pure, II, III : Architectonique...). Expliquer consiste mettre en correspondance des morphologies, de manire simulerlune par lautre. Notre raison nest que leffort pour reprsenter le monde sur unepartie de lui-mme (R. Poirier, 1932). Presque nimporte quoi est possible, au prix decompliquer par des hypothses auxiliaires ou daccrotre le nombre des paramtres.Lexplication vritable sobtient par rduction de cet arbitraire, elle remplit une exigencede simplicit et dlgance. [...] La ncessit sous-jacente lexplication revt une formemathmatique, elle tient aux concepts : principe de moindre action, de conservation,entrelacement de la ralit physique et de la gomtrie. La nature peut tre renduerationnelle parce quelle lest dj (Largeault, 1985, p. 58). La thorie des catastrophes... est une hermneutique. Elle na rien de dmiurgiquecomme la physique (Thom, 1991, p. 31). The human faculty of language appears to be organized like the genetic code hierarchical, generative, recursive, and virtually limitless with respect to its scope ofexpression (Hauser, Chomsky, Fitch, 2002, p. 1569). Nous vivons le formalisme linguistique et le formalisme mathmatique comme deuxdomaines disjoints de lactivit psychique. Je serais tent de dire que cest le domainelinguistique qui est rellement le domaine fondamental. Le domaine mathmatique a undomaine particulier, spcifique, et qui est li au fond lemploi dimages gomtriques :la capacit de spatialiser les choses, et davoir des groupes de transformation agissantdans ces espaces. Cest cela, au fond, lessence des mathmatiques. [...] La mathma-tique repose sur une sorte de monotonie intrinsque, la gnrativit des structures jouantindfiniment, et dun autre ct, de cette monotonie sortent des distinctions qualitatives,un univers qualitatif. Et celui-ci est dune part celui de larithmtique, que je trouvepersonnellement ennuyeux, mais aussi celui de la topologie, les objets gomtriques,

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    topologiques, et ceux-l me semblent passionnants. Connaissant ces objets mathma-tiques, le problme est de revenir sur les objets mentaux usuels, et dessayer de trouverune correspondance des oprations mentales dans les oprations mathmatiques. Cer-taines oprations mentales peuvent tre modlises, ou simules, par des tres mathma-tiques (Thom, 1991, p. 125-126).4. La thorie de lvolution.La biologie offre-t-elle une grande thorie explicative de la vie ? Peuvent

    prtendre ce titre : la thorie cellulaire (Schwann, 1839 ; Virchow, 1858)complte par llucidation de la structure de lADN (Watson & Crick, 1953)et le dchiffrement du code gntique ; et la thorie du mtabolisme (ou delorganisme vivant comme systme ouvert ). Mais lexprience de la vie surterre est un processus historique dont nous ne connaissons pas dautre exemple :on ne gnralise pas partir dun cas. La thorie no-darwinienne de lvolutionlucide-t-elle le mcanisme (blind variation/selective retention) de ce proces-sus ? On a dout quelle soit une thorie scientifique. Fonde sur lanalogie entreslection artificielle et slection naturelle, elle ne dsigne pas clairement lescibles de la slection, et elle se heurte des faits rcalcitrants : symbiose, transferthorizontal de matriel gntique.

    Jusquici les lois gnrales de lorganisation nont pas t tablies clairement. (Cl. Bernard, 1878, IX, p. 357). La nutrition est la continuelle mutation des particules qui constituent ltre vivant.Ldifice organique est le sige dun perptuel mouvement nutritif qui ne laisse de repos aucune partie ; chacune, sans cesse ni trve, salimente dans le milieu qui lentoureet y rejette ses dchets et ses produits. Cette rnovation molculaire est insaisissablepour le regard ; mais, comme nous en voyons le dbut et la fin, lentre et la sortie dessubstances, nous en concevons les phases intermdiaires, et nous nous reprsentons uncourant de matire qui traverse incessamment lorganisme et le renouvelle dans sasubstance en le maintenant dans sa forme (Cl. Bernard, 1878, I, p. 35-36). Toute modification de conformation et de fonction, condition quelle puisse seffec-tuer par degrs insensibles, est du ressort de la slection naturelle (Darwin, 1859,chap. XIV). Traditionally, evolutionary biologists have viewed mutations within genes as the majorsource of phenotypic variation leading to adaptation through natural selection, andultimately generating diversity among species. Although such processes must contributeto the initial development of gene function and their subsequent fine-tuning, changes ingenome repertoire, occurring through gene acquisition and deletion, are the majorevents underlying the emergence and evolution of bacterial pathogens and symbionts.Furthermore, pathogens and symbionts depend on similar mechanisms for interactingwith hosts and show parallel trends in genome evolution (Ochman & Moran, 2001).Concl. Cependant, au moment o nous cherchons dans lunivers des traces de

    vie, nous aurions bien besoin de critres didentification de la vie.

    COURS DLOCALISS A` LUNIVERSIT DE LILLE

    En collaboration avec la Maison des sciences de lhomme du Pas-de-Calais(Institut International Erasme), dans le cadre de ses programmes : La science

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    dans ses contextes (Shahid Rahman) et Preuve (Fabienne Blaise), et lescoles doctorales TESOLAC et ACCES, lUniversit Charles de Gaulle Lille-3,en accord avec le Collge de France, a accueilli quatre Leons dpistmologiedes sciences du vivant :

    I. thique de linvestigation scientifique sur ltre humain(le 14 janvier 2003, 17 h 19 h, Maison de la recherche)

    1. La mdecine exprimentale autour de 1900.2. Linvestigation scientifique sur lhomme, en mdecine et biologie, la fin

    du vingtime sicle.3. laboration dune mthodologie et dune thique de la recherche sur

    lhomme au cours du XXe sicle.4. Les grands principes : une thique composite.5. La recherche dans les sciences du comportement humain.6. Le gnome humain et les droits de lhomme (UNESCO, 1997).7. Problmes daujourdhui : recherche sur lembryon humain, thrapie gnique,

    thrapie cellulaire, clonage, cellules souches.

    II. Dcouvrir(le 28 janvier 2003, 17 h 19 h, Maison de la recherche)

    1. Psychologie/sociologie de la dcouverte vs. pistmologie de la dcouverte.2. Stratgies heuristiques : rgles du jeu vs. rgles stratgiques, stratgie

    baconienne vs. stratgie squentielle.3. Identifier les genres et les espces. Procdures diagnostiques : heuristiques

    dductives vs. heuristiques conjecturales.4. Apprendre de lexprience : dcouverte des lois de la nature, conception

    classique de la mthode inductive.5. La logique de la recherche de Popper, les rvolutions scientifiques

    de Kuhn, les programmes de recherche de Lakatos.6. La philosophie de la connaissance de Donald T. Campbell.7. Invention et dcouverte. La crativit des chercheurs et celle de la vie.

    III. Prouver(le 04 fvrier 2003, 17 h 19 h, Maison de la recherche)

    1. Gnralits sur la preuve. La mdecine fonde sur des preuves (evidence-based medicine, ou EBM).

    2. La preuve exprimentale : preuve par monstration vs. preuve par dmonstra-tion.

    3. Origines de la mdecine scientifique : les cliniciens-mathmaticiens franaisdu premier tiers du 19e sicle et la mthode numrique .

    4. Mthodologie vs. mta-mthodologie. Les niveaux de preuve .

  • PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MDICALES 529

    5. Ambitions de lEBM : duquer, valuer, amliorer la qualit des soins mdi-caux.

    6. Limites (pratiques et thoriques) de lEBM.7. Perplexit : par contraste avec la mdecine, faible intrt chez les biologistes

    pour la mthodologie de la preuve.

    IV. Expliquer(le 11 fvrier 2003, 17 h 19 h, Maison de la recherche)

    1. Lexplication scientifique selon mile Meyerson (1859-1933).2. Pluralit des modles dexplication.3. Expliquer ce que cest (ex. si ctait un serin, il serait jaune ). Le modle

    nomologique-dductif. La logique de lexplication. Expliquer, est-ce prdire ?4. Expliquer do cela vient (ex. chercher les antcdents ). La drivation

    historique. En quoi un rcit est-il explicatif ?5. Expliquer comment cela est engendr (ex. ltiologie de la fivre puerp-

    rale). Dpendance causale. Chanes causales.6. Expliquer quoi cela est bon (ex. fonction des protines humaines : quoi

    sert lhmoglobine ?). Thologie, tlologie, tlonomie.7. Explication structurale. Morphologie, morphogense. Modlisation. Biolo-

    gie thorique .

    COLLOQUE-SMINAIRE

    Une journe dtude sur le thme pilepsie : connaissance du cerveau etsocit , organise en collaboration avec Olivier Dulac, responsable dune unitde neuropdiatrie Paris-V (Hpital Saint-Vincent de Paul), a eu lieu au Collgede France le vendredi 28 mars. La conception du programme revient Jean-PaulAmann, qui depuis des annes coopre avec cette unit de neuropdiatrie, pourune rflexion sur les difficults mthodologiques et thiques de la rechercheclinique mene avec des enfants. Lobjectif tait dtablir un dialogue entrepatients pileptiques, parents denfants pileptiques, historiens de lpilepsie,chercheurs en neurophysiologie et en neurothologie, mdecins cliniciens, chirur-giens, partenaires conduisant une recherche sur les mdicaments, et personnesconcernes au sein de ladministration de la sant.

    Programme :

    09 h 00 - 09 h 30 Introduction : pilepsie et philosophie des sciencesOlivier Dulac (Univ. Paris-V) et Jean-Paul Amann (Col-lge de France)

    09 h 30 - 10 h 30 pilepsie et sciences humainesPrsident de sance : Claude Debru (ENS, Paris)

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    09 h 30 - 09 h 50 Les reprsentations de lpilepsie dans la mdecine grecqueantiquePierre Chiron (Univ. Paris-XII)

    09 h 50 - 10 h 10 Lpilepsie : le tournant de lre chrtiennePhilippe Martin (Univ. Nancy-II)

    10 h 10 - 10 h 30 La maladie pileptique dans linstitution mdicale duXIXe sicle nos joursPaul Mengal (Univ. Paris-XII)

    10 h 30 - 10 h 50 Pause10 h 50 - 11 h 50 Les patients pileptiques dans notre socit

    Prsident de sance : Patrick Berque (Univ. Paris-V)10 h 50 - 11 h 10 Enqute mene par la Fondation Franaise pour la

    Recherche sur lpilepsieClaire Cachera (Paris)

    11 h 10 - 11 h 30 Le point de vue du patientVa