perturbé le marché.” · si l’agriculture française s’est long-temps développée sur un...

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20 P aul J. (1) a baissé les bras. En 2010, il sera technicien dans un jardin de Cocagne ( voir TC n° 3346) d’Ile-de-France : après deux ans de déboires, il a décidé de mettre entre parenthèses sa recherche de terres à acheter ou de ferme à reprendre. Sa formation d’exploitant agricole, qui lui a permis d’acquérir les techniques du métier, ne lui a pour autant pas ouvert les portes du milieu. Ou plus précisément, celles des exploitations dans lesquelles il se serait bien vu démarrer une activité d’éleveur bovin lait. Originaire de la banlieue lyon- naise, ses parents, infirmière et plom- bier, n’ont guère de ferme ou de pâtures à lui léguer. Il part donc de zéro, en quelque sorte, comme plusieurs mil- liers de jeunes attirés par ce métier. Si l’agriculture française s’est long- temps développée sur un modèle fami- lial, depuis quelques décennies l’arri- vée de jeunes agriculteurs d’autres horizons a changé la donne : les « hors cadres familiaux » (HCF) représentent aujourd’hui près du tiers des dix-mil- le installations annuelles d’agriculteurs de moins de 40 ans. (2) Jeunes diplômés d’un établissement d’enseignement agricole, salariés agri- coles ou personnes en reconversion profes- sionnelle tendent vers un même but, préalable au démarrage de leur activité : l’accès au fon- cier. Or celui-ci se révè- le de plus en plus diffi- cile. La ruée vers l’or brun que constituent désormais les terres arables met les HCF en concurrence avec des agriculteurs « traditionnels », mais aus- si avec des promoteurs immobiliers ou de simples citadins en quête d’une mai- son de campagne. MARCHÉ RURAL. André Thévenot, pré- sident de la FNSAFER ( Fédération na- tionale des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural ), n’hé- site pas à parler de « préservation né- cessaire des espaces agricoles ». Cette fédération regroupe dans toute la France 27 sociétés spécialisées dans la vente de bien fonciers ruraux. Contrô- lées par l’État, elles informent le pu- blic sur les ventes de biens fonciers et immobiliers, jouent les intermédiaires entre vendeur et acquéreur et obser- vent le marché. Dans son rapport (3) de 2008 sur le mar- ché immobilier rural, la FNSAFER constate que le prix des terres libres a augmenté de 5,6 %, sur un an, pour atteindre 5 170 euros l’hectare. Celui des terres louées (4) atteint 3 870 euros l’hectare, en hausse de 4,1 %. Sur dix ans, l’évolution du prix de la terre libre a connu une ascension vertigineuse : + 63 % entre 1998 et 2008. « L’urbani- sation et l’acquisition des terres agricoles par les citadins pour leurs loisirs ont for- tement perturbé le mar- ché, analyse André Thé- venot. C’est un des facteurs les plus déstabi- lisants pour l’avenir de l’agriculture. » L’urbani- sation grignote effet aux terres agricoles l’équivalent d’un dépar- tement de taille moyenne tous les dix ans. « On consomme une denrée limitée à un rythme effréné », commente André Thévenot. En 2008, 45 000 hectares de surfaces agricoles ont été transformés en zones d’activités commerciales, industrielles, logements et infrastructures diverses. Une surface dont la valeur, chiffrée à 4,5 milliards d’euros, dépasse légère- ment les 4,1 milliards d’euros, valeur estimée des 371 000 hectares vendus la L’acquisition des terres agri- coles par les citadins pour leurs loisirs a perturbé le marché.” ‘‘ Photos DR En 2008, 45000 hectares de surfaces agricoles ont été transformés en zones d’activités commerciales, industrielles, logements et infrastructures diverses. Dossier me-test qui met à disposition du maté- riel et leur donne l’occasion de se mettre en condition de production, en culti- vant une parcelle. Aujourd’hui, le MRJC met en place des formations « De l’idée au projet » : deux ou trois week-ends dans l’année, des gens non issus du milieu agricole, désireux de démarrer une activité en milieu rural pourront “ Le MRJC offre une expérience utile p Trois questions àOlivier Joly, Secrétaire natio- nal en charge de l’agriculture au Mouvement rural de jeu- nesse chrétienne Précisez-nous le concept de ferme-test créé par le MRJC pour aider de jeunes agriculteurs à s’installer ? À Bohébec, en Bretagne, une équipe du MRJC voulait permettre à des jeunes de se réunir pour parler des problèmes d’installation en milieu rural. Ils ont d’abord organisé des « cafés installation », puis ils ont ima- giné un endroit qui pourrait servir aux agriculteurs à démarrer une acti- vité. En 2006, ils ont créé l’associa- tion la Marmite. Elle possède une fer- DR 3395_19_24_DOSSIER_5:Mise en page 1 03/05/10 10:24 Page20

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Paul J.(1) a baissé les bras. En2010, il sera technicien dansun jardin de Cocagne (voirTC n° 3346) d’Ile-de-France:après deux ans de déboires,il a décidé de mettre entreparenthèses sa recher che de

terres à acheter ou de ferme à reprendre.Sa formation d’exploitant agricole, quilui a permis d’acquérir les techniquesdu métier, ne lui a pour autant pasouvert les portes du milieu. Ou plusprécisément, celles des exploitationsdans lesquelles il se serait bien vudémarrer une activité d’éleveur bovinlait. Originaire de la banlieue lyon-naise, ses parents, infirmière et plom-bier, n’ont guère de ferme ou de pâturesà lui léguer. Il part donc de zéro, enquelque sorte, comme plusieurs mil-liers de jeunes attirés par ce métier.Si l’agriculture française s’est long-temps développée sur un modèle fami-lial, depuis quelques décennies l’arri-vée de jeunes agriculteurs d’autreshorizons a changé la donne: les « horscadres familiaux » (HCF) représententaujourd’hui près du tiers des dix-mil-le installations annuelles d’agriculteursde moins de 40 ans.(2)

Jeunes diplômés d’un établissementd’enseignement agricole, salariés agri-coles ou personnes enreconversion profes-sionnelle tendent versun même but, préalableau démarrage de leuractivité : l’accès au fon-cier. Or celui-ci se révè-le de plus en plus diffi-cile. La ruée vers l’or brun queconstituent désormais les terres arablesmet les HCF en concurrence avec desagriculteurs « traditionnels », mais aus-si avec des promoteurs immobiliers oude simples citadins en quête d’une mai-son de campagne.MARCHÉ RURAL. André Thévenot, pré-sident de la FNSAFER (Fédération na-tionale des sociétés d’aménagementfoncier et d’établissement rural), n’hé-site pas à parler de « préservation né-cessaire des espaces agricoles ». Cettefédération regroupe dans toute laFrance 27 sociétés spécialisées dans lavente de bien fonciers ruraux. Contrô-lées par l’État, elles informent le pu-blic sur les ventes de biens fonciers etimmobiliers, jouent les intermédiairesentre vendeur et acquéreur et obser-vent le marché.Dans son rapport(3) de 2008 sur le mar-ché immobilier rural, la FNSAFERconstate que le prix des terres libres aaugmenté de 5,6%, sur un an, pouratteindre 5170 euros l’hectare. Celuides terres louées (4) atteint 3870 euros

l’hectare, en hausse de 4,1%. Sur dixans, l’évolution du prix de la terre librea connu une ascension vertigineuse:+63% entre 1998 et 2008. « L’urbani-sation et l’acquisition des terres agricolespar les citadins pour leurs loisirs ont for-

tement perturbé le mar-ché, analyse André Thé-venot. C’est un desfacteurs les plus déstabi-lisants pour l’avenir del’agriculture. » L’urbani-sation grignote effet aux

terres agri coles l’équivalent d’un dépar-tement de taille moyenne tous les dixans. « On consomme une denrée limitéeà un rythme effréné », commente AndréThévenot.En 2008, 45000 hectares de surfacesagricoles ont été transformés en zonesd’activités commerciales, industrielles,logements et infrastructures diverses.Une surface dont la valeur, chiffrée à4,5 milliards d’euros, dépasse légère-ment les 4,1 milliards d’euros, valeurestimée des 371000 hectares vendus la

L’acquisitiondes terres agri-

coles par les citadinspour leurs loisirs aperturbé le marché.”‘‘

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En 2008, 45 000 hectares de surfaces agricoles ont été transformés en zonesd’activités commerciales, industrielles, logements et infrastructures diverses.

Dossier

me-test qui met à disposition du maté-riel et leur donne l’occasion de se mettreen condition de production, en culti-vant une parcelle. Aujourd’hui, le MRJCmet en place des formations « De l’idéeau projet » : deux ou trois week-endsdans l’année, des gens non issus dumilieu agricole, désireux de démarrerune activité en milieu rural pourront

“ Le MRJC offre une expérience utile pTrois questions à…Olivier Joly, Secrétaire natio-nal en charge de l’agricultureau Mouvement rural de jeu-nesse chrétienne

Précisez-nous le concept de ferme-testcréé par le MRJC pour aider de jeunesagriculteurs à s’installer?À Bohébec, en Bretagne, une équipedu MRJC voulait permettre à desjeunes de se réunir pour parler desproblèmes d’installation en milieurural. Ils ont d’abord organisé des« cafés installation », puis ils ont ima-giné un endroit qui pourrait serviraux agriculteurs à démarrer une acti-vité. En 2006, ils ont créé l’associa-tion la Marmite. Elle possède une fer-

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même année et restés dans le domai-ne agricole. De quoi susciter les convoi-tises des promoteurs immobiliers etcontribuer à diminuer l’écart entre leprix payé par les agriculteurs et les non-agriculteurs pour accéder à la terre.CONCENTRATION. Parallèlement à cettetendance, le nombre d’exploitationsagricoles est passé de plus d’un mil-lion en 1988 à 545 000 en 2006 (au-jourd’hui, les agriculteurs ne repré-sentent plus que 3% de la populationactive, contre 7% en 1988). Mais leur

taille augmente de fa-çon significative: 60%des exploitations fran-çaises de moins de 20hectares ont disparuentre 1967 et 1997, tan -dis que le nombre decel les de plus de 50 hecta res a quasi-ment doublé.Entre 1992 et 2003, les réformes suc-cessives de la Politique agricole com-mune (PAC) ont favorisé, en mettanten place un mécanisme de soutien

financier proportionnel à la surface,puis au type de production, l’agran-dissement des exploitations ( c’est-à-dire la revente des terres d’un agricul-teur partant à la retraite à unagriculteur déjà installé ) plutôt queleur transmission à des jeunes. Un agri-culteur faisant des céréales sur de grossessurfaces reçoit ainsi beaucoup plusd’aides qu’un éleveur extensif nour-rissant ses bêtes avec son herbe. « Le faitde toucher les aides permet ensuite d’in-vestir, et éventuellement de spéculer surde la terre, explique Alexandre Gohin,directeur de recherches à l’INRA (Ins-titut national de recherche agrono-mique). Si j’anticipe le fait que les aidesdirectes vont durer vingt ans, je peux ache-ter une terre plus cher en me disant quej’ai vingt ans pour la payer. » La PACévolue lentement. « Nous réfléchissonsà un système de couplage d’aides avec leservice rendu à l’environnement, c’est-à-dire la préservation de l’environnementou les méthodes de production. Mais l’éva-

luation et la quantificationde cette notion suscitent desdébats », rapporte le cher-cheur. En attendant, plusde la moitié des terres libé-rées par les départs à laretraite va à l’agrandis-sement. « Aujourd’hui les

ADASEA (Association départementalepour l’aménagement des structures desexploitations agricoles) ont en viron15 000 demandes d’ins tallation, maisnous n’installons que 6000 à 10000 per-sonnes chaque année. Il n’y a pas suffi-samment d’exploitations pour les jeunesqui souhaitent venir dans notre secteurd’activité », dénonce André Thévenot.ENJEUX DE POUVOIR.Dans ce contexte, difficile pour les agri-culteurs hors cadre familial d’acqué-rir une exploitation. « À ces difficultéss’ajoutent la méfiance des agriculteurs devoir arriver des étrangers pour reprendreleurs terres, et l’obligation qui leur est par-fois faite d’acheter une terre plutôt quede la louer à un propriétaire », préciseFrançois Lefebvre, responsable des étu -des à l’Agence de services et de paie-ment (ASP)(5) qui a réalisé, en 2006, uneétude sur les HCF. « Ces nouveaux agri-culteurs peuvent aussi essuyer des refusauprès des banques, qui rechignent à sor-tir 300000 ou 400000 euros pour démar-rer des activités de moyenne envergure.Les HCF optent donc pour de petites sur-faces et une forte valeur ajoutée : le bioou la transformation de produits. »Les pouvoirs publics ont tardé à prendreconscience de l’enjeu des dispositifsd’accompagnement des HCF. De leurcôté, les principaux syndicats (FNSEA-JA et Confédération Paysanne princi-

Aujourd’hui, lesagriculteurs

ne représentent plusque 3 % de la popula-tion active.”‘‘

Jeunes agriculteurs

appréhender concrètement ce genred’entreprise.Dans le Nord-Pas-de-Calais, un collec-tif d’associations, De l’envie au projet,a initié une démarche similaire. Êtes-vous proche de ces réseaux?Oui, et vous remarquerez que commeces associations, nous travaillons avecl’AFIP, les CIVAM (lire article ci-contre,NDLR). D’ailleurs, on trouve souventdans ces structures des anciens du MRJC.Vu notre fonctionnement (les équipessont renouvelées tous les deux ou troisans), il est parfois difficile de monter cetype de projets, qui demandent unepérennité; il n’est pas rare que des gensde chez nous, qui ont suivi une for-mation et fait l’expérience d’une res-ponsabilité s’impliquent dans des struc-tures autour de la création d’activitéou de l’installation agricole.

Quels rapports entretenez-vous avecles syndicats agricoles : Jeunes Agri-culteurs et Confédération Paysanne?Cela fait quelques années que l’oncherche à assurer un discours propreau MRJC et indépendant de ces orga-nisations. Nous avons plutôt de bonnesrelations avec JA, la Confédération ouencore la Coordination rurale; noustâchons d’entretenir des relations avectout le monde. Nous ne sommes pasdans une posture où nous aurions àfaire un choix, même si nos affinitésavec l’AFIP ou les Civam font que par-fois, nous sommes plus proches despositions de la Confédération que dela FNSEA. Cela dit, il faut apporter dela nuance, car sur le terrain, c’est avanttout une affaire de personnes. Globale -ment, le MRJC cherche à penser l’aveniret le développement du monde rural.■

e pour les jeunes agriculteurs ”

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palement), très présents dans le mon-de agricole, sont focalisés sur les enjeuxde pouvoirs. Ce qui laisse de l’espaceà une multitude d’initiatives originales,alternatives ou complémentaires audispositif d’aide national à l’installa-tion qui se sont développées un peupartout en France ces dernières années.À côté des ADASEA qui assurent le sui-vi des transmissions d’exploitationsagricoles de cédant à repreneur, se sontprogressivement tissés des réseaux decollectifs d’associations, issues pour laplupart de l’économie sociale et soli-daire. Présentes dans toute la France,les AFIP (Association de formation etd’information pour le développementd’initiatives rurales ) et les CIVAM( Centres d’initiative pour valoriserl’agriculture et le milieu rural) consti-tuent les principales associations d’ac-compagnement de porteurs de projeten milieu rural. Elles apportent uneaide spécialisée, un soutien et un sui-vi aux porteurs de projets, en pro-mouvant souvent une agriculture pay-sanne et durable, respectueuse des solset de la biodiversité.CULTURE BIO. En Bretagne, la Fédéra-tion nationale des Civam a accompa-gné l’installation d’Olivier H. (6), non

issu du milieu agricole, qui souhaitaits’installer en bovin viande et faire dupain biologique. « Les banques n’ontpas voulu me suivre, le montant était soi-disant trop important pour ce type de pro-jet », rapporte Olivier. Une déceptiond’autant plus grande que dans sa ré-gion, le Répertoire départemental àl’installation (qui recenseles fermes disponibles )compte une ferme pourtrois porteurs de projets.La fédération l’a alorsmis en contact avec ungroupement de consom-mateurs, créé à l’initiative d’une as-sociation de protection de l’environ-nement, qui recherchait des produitsbios. « Les Paniers de St-Gilles ont ap-puyé mon dossier auprès de la banqueen assurant l’achat de pain et sous formede caution solidaire à mon projet. Moninstallation a été rendue possible par lesconsommateurs », explique Olivier. EnGironde, le collectif Cata33 a pris l’ini-tiative de monter une société civile im-mobilière pour installer un jeune ma-raîcher: après deux ans de travail, 374associés ont pu acheter 10 hectares lelong de la Dordogne. Julien Bonnet,agriculteur de 27 ans, loue et cultiveles terres pour 1200 euros par an.Autre démarche originale, à l’initiati-ve de l’association Terre de Liens: l’ou-til d’investissement la Foncière Terrede Liens. Constatant les difficultés crois-santes d’accès à la terre et la nécessitéde développer une autre agriculture,

Terre de Liens s’est associée à la Nef,société de crédit coopératif, afin de récol-ter de l’épargne solidaire auprès de par-ticuliers ou d’institutions financières.Elle acquiert ensuite des biens immo-biliers en milieu rural, qu’elle loue àdes agriculteurs ou éleveurs bio. Enmai 2009, un an après son premier

appel public à l’épargne,la Foncière avait investi1,3 million d’euros dans14 lieux situés sur toutle territoire, permettantd’installer ou de péren-niser les activités de 25

agriculteurs. Vingt autres projets sontactuellement en cours d’instructionpour un investissement total de 4,8 mil-lions d’euros. Une cinquantaine d’agri-culteurs devraient pouvoir en bénéfi-cier. ■

1. La personne interrogée a souhaité garder l’anonymat2. On appelle HCF toute installation ne se réalisant pasdans le cadre familial au-delà du troisième degré deparenté avec le cédant.3. Le marché immobilier rural en 2008, rapport de laFNSafer Terres d’Europe-Scafr.4. La pratique de l’affermage, qui consiste pour un agri-culteur à exploiter une terre et à en tirer sa rémuné-ration, tout en versant un loyer au propriétaire esttrès courante.5. Office agricole sous tutelle du ministère del’Agriculture.6. La personne interrogée a souhaité garder l’anonymat7. Association pour le maintien d’une agriculture pay-sanne.8. Fédération Associative pour le Développement del’Emploi Agricole et Rural, créé par des membres dela Confédération paysanne, accompagne les porteursde projets en milieu rural.

Dossier

Terre de Liens récolte l’épargne solidaire auprès de particuliers ou d’institutions financières pouracquérir des biens immobiliers en milieu rural, qu’elle loue à des agriculteurs ou éleveurs bio.

Mon installa-tion a été ren-

due possible par lesconsommateurs.”‘‘

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Àl’observer semer des courgettes,à quatre pattes sous ses serres,il faut un peu d’imaginationpour se figurer Sylvain Coc-quempot acheteur dans une

grande centrale d’achat informatique.Pourtant, c’est bien le même, quoiquesans doute un tantinet plus crotté. « Jevoyais les gens défiler dans les magasins,on achetait beaucoup de matériel de l’étran-ger… Ce système où l’on presse les genssans relâche ne me convenait pas du tout…j’en ai eu ma claque. » En 2001, SylvainCocquempot travaille chez Boulanger,à Equihen-Plage, une commune du Pas-de-Calais située au bord de la manche.En congé de trois jours pour veiller safille qui subissait une opération chi-rurgicale, il passe tout de même aubureau pour prendre une commande.« C’est le moment qu’a choisi mon chefpour me faire une remarque sur les insa-tisfactions d’un fournisseur. J’en ai profi-té pour lui dire ses quatre vérités », se sou-vient Sylvain, dont les yeux clairsprotégés par des verres fumés fixentl’horizon de son champ. Puis, sourire

en coin : « je suis parfois sanguin ». Ils’arrange alors pour se faire licencier,accepte un bilan de compétences à Pôleemploi. « Attiré par la nature, par le côtémilitant aussi, je voulais être autonome.Mes parents sont agriculteurs, alors je mesuis dit pourquoi pas! » Malgré ses « anté-cédents agricoles », il n’avait jamaisenvisagé cette possibilité. Ses parentsl’ont encouragé à faire des études plu-tôt que de reprendre leur ferme de 21hectares, aux environs de Lille. Un diplô-me d’informatique et quelques expé-riences en entreprise l’auront fait chan-ger d’avis : à 37 ans, il engage unereconversion professionnelle. Il s’ins-crit en BPREA (Brevet professionnel res-ponsable d’exploitation agricole) et visi-te des maraîchers de la région avec leGroupement des agriculteurs biolo-giques du Nord-Pas-de-Calais (GABNOR). Avec sacompagne, rencontrée aucours de la formation, ildécide de s’installer dansla région. « Là, on s’est ren-du compte de la difficulté detrouver du terrain sur larégion lilloise, explique-t-il. On a écrit aunotaire, aux agences immobilières, ren-contré des élus. Rien. » Une agence immo-bilière de Saint-Pol-sur-Ternoise, à unesoixantaine de kilomètres à l’ouest deLille, leur propose finalement une fer-me aux environs d’Arras. Proche d’unenationale qu’on s’apprête à doubler.« Sans parler du bruit ni de la pollution,ce qui n’est pas vraiment idéal lorsqu’onveut faire du bio, nous aurions été rasésou expulsés tôt ou tard. » Le couple

reprend ses recherches et se rapproched’associations spécialisées dans l’aideaux porteurs de projets en milieu agri-cole. Parmi elles, AVENIR (Associationpour la valorisation économique desnouvelles initiatives rurales), qui aideles porteurs de projets exclus des aidesnationales à l’installation en agricul-ture et leur permet d’envisager tous lesaspects de leur future installation: lefoncier, la comptabilité ou encore lesfinancements.TRÉSORERIE. En avril 2007, le couples’adresse à une agence immobilièrespécialisée dans la transaction de terresagricoles. « Et au bout de six mois, onest tombé sur cette ferme. Ici, à Bours,on est à 40 km d’Arras. » Sylvain Coc-quempot étend les bras, comme pourembrasser les trois hectares de terre en-

vironnant. Depuis le hautdu champ, il désigne deuxserres en contrebas, ins-tallées par ses soins et, surla droite, un champ plusvaste où se dandinentquelques oies. « On a suque c’était là. » À quarante

ans, il ne peut plus bénéficier des aidesque l’État octroie aux jeunes agricul-teurs, mais AVENIR lui permet de dé-crocher un prêt de 11000 euros. Il serapproche aussi d’un club Cigale(1) si-tué à une soixantaine de kilomètres,qui investit 1500 euros dans sa SARLagricole; le fonds de trésorerie lui ser-vira à acheter du matériel. Ne resteplus qu’à trouver des marchés, pourécouler ses produits. En avril 2008, l’as-sociation de commerce équitable Ar-

Jeunes agriculteursEn trois ans, Sylvain Cocquempota réussi à faire tourner son exploi-tation de trois hectares, à Bours (62).

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Parcours de combattantsPortraits. Ancien éducateur et ancienvendeur, Sylvain Cocquempot et ThomasBonnen sont devenusagriculteurs dans leNord-Pas-de-Calais.

Pour trouverune ferme,

on a écrit aux élus,aux notaires, auxagences : rien.”‘‘

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tisans du monde propose la créationd’une Amap(2) sur la ville d’Oudin voi-sine : il saisit l’opportunité de se lan-cer. « Un mois et demi après, on avait unecommande de 30 paniers pour le moisde septembre. De quoi mettre les bouchéesdoubles! »Son exploitation commence à devenirviable, lorsque, en février 2009, un gra-ve accident l’oblige à passer plusieursmois à l’hôpital. Mais le soutien del’Amap, d’AVENIR, du GABNOR, duclub Cigale ainsi que le coup de maind’agriculteurs voisins l’encouragent àrepartir : il redémarre son activité aumois de septembre. Sépa-ré de sa compagne, il assu-re le maraîchage de sonexploitation, tourne surquatre marchés parsemaine, fournit l’Amapet approvisionne, avecd’autres producteurs, leconseil général du Pas-de-Calais à rai-son d’une centaine de paniers tous lesquinze jours.« Mais qui dit départ de l’associée, dit rem-boursement de capital », souligne le ma -raîcher. Pour maintenir son activité etgarder la maison attenante aux ter-rains, il propose alors à Terre de Liens(lire article p. 20) de racheter ceux-ci.L’association ayant accepté, ses ban-quiers étudient le dossier. Sylvain Coc-quempot attend leur aval, d’ici quelquessemaines. « L’année dernière a été chao-tique, mais j’ai quand même pu dégager22000 euros de chiffre d’affaire et mepayer 1250 euros de salaire sur cinq mois,analyse-t-il. Maintenant, l’entreprisetourne. »GERMOIR. À une trentaine de kilo-mètres de l’exploitation de Sylvain, lesinfrastructures coquettes du Germoir

se dressent dans le village d’Ambri-court: 4 hectares de terres et 600 mètrescarrés de bâtiments agricoles qui ac-cueillent des agriculteurs sans terre dé-sireux de se mettre en condition d’exer-cice. Le projet Germoir, porté par uncollectif d’associations (3) aux locauxadjacents, est une ferme-test. Sous laresponsabilité de Philippe Bru, agri-culteur et formateur, les porteurs deprojets s’essaient, pendant un ou deuxans, à la culture bio de leur choix. Tho-mas Bonnen, 33 ans, a ainsi démarréau mois d’octobre 2009 une produc-tion maraîchère. Éducateur auprès de

personnes handicapéesà Aix-en-Provence, lemétier d’agriculteur l’atoujours fait rêver. « Unami de mon père que j’ai-mais beaucoup élevait deschèvres, se souvient-il. Ily a cinq ans, je me suis jeté

à l’eau: j’ai fait une formation, travailléquelques années comme ouvrier agri cole.Lorsque j’ai emménagé dans les environs,j’ai découvert le Germoir et me suis portécandidat. » Une sérieuse reconversionpour quelqu’un qui, il y a peu de tempsencore, s’avouait « à peine capable dereconnaître les légumes. » Le Germoirmet un pied à l’étrier au jeune maraî-cher, qui s’assure petit à petit une clien-tèle dans les environs afin de se pré-senter devant les banques avec undossier solide et leur « montrer de quoiil est capable ». Car, bien que n’étantpas de la région, il connaît, pour s’yêtre frotté durant sept ans, les difficul-tés que représente l’achat de terres.« Dans le Nord-Pas-de-Calais, plus de3000 hectares de terres changent de pro-priétaire tous les ans. Il est possible d’avoirquelques hectares si on n’est pas trop

gourmand. Mais encore faut-il le savoir! »En effet, l’information sur les départsen retraite et les reventes de terrainscircule au compte-gouttes: le répertoireinstallation, géré par l’ADASEA ( lirearticle p. 20), reste peu alimenté. « Maisles terrains partent quand même, ex-plique Thomas. Dans la région, on res-pecte la tradition de l’arrière fumure, oudu chapeau. Celui qui part à la retraitesonde autour de lui les personnes suscep -tibles de mettre telle somme sur la table.Ce genre de négociation ne s’ébruite paset se réalise quatre ou cinq ans avant queles personnes quittent leur activité. Dèslors, les dés sont jetés. Difficile de ren-trer dans le système quand vous êtes ex-térieur au monde agricole, installé de-puis peu dans la région et que vous arrivezcomme une fleur pour proposer d’ache-ter du terrain ! » Néanmoins, Thomasreste optimiste. La situation, assure-t-il, était pire dans le sud, où la pressionfoncière est telle que les jeunes agri-culteurs ne font pas le poids face auxpromoteurs immobiliers. D’où l’im-portance de la solidarité du monde as-sociatif, qui remplace le soutien et l’ac-compagnement familiaux constitutifsdu milieu agricole traditionnel. « Il fautvraiment être motivé. En sept ans de re-cherches, j’ai failli arrêter plusieurs fois,car il faut bien vivre en attendant, confie-t-il. Avec le Germoir, je fais comme sij’étais chez moi tout en cherchant du ter-rain à côté. Il ne faut rien lâcher. Et sur-tout, ne jamais rester seul. » F. S.

1. Club d’investisseurs locaux au service du dévelop-pement d’entreprises solidaires. Voir TC n° 33702. Association pour le maintien d’une agriculture pay-sanne, voir le site : www.reseau-amap.org3. Collectif De l’envie au projet, composé des associations:À Petits Pas, AVENIR, AFIP, Accueil Paysan et MRJC.

En octobre 2009, Thomas Bonnen alancé son projet de culture maraîchèreà Ambricourt (62).

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Difficile derentrer dans

le système quandvous êtes extérieurau monde agricole.”‘‘

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