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1 Perspectives ontologiques Benoît Bohy-Bunel

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Perspectives

ontologiques Benoît Bohy-Bunel

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Sommaire

Avant-propos

I Physique et métaphysique

L'éternel retour

Synchronicité

Etre et percevoir

La partie et le tout

Tout est un

II Certaines failles de Kant

La ruse du chinois de Königsberg

Kant et Berkeley

III Le soi

La solitude ontologique

Tentative de déconstruction du dualisme âme/corps

Rêverie et discursivité

La conscience et la non-conscience

L'être temporel et l'être atemporel

La perte, l'absence

IV La question de Dieu

L'agnosticisme comme ouverture du sens

Sur quel mode dois-je affirmer la présence de Dieu ?

L’idée de Dieu en moi

Une difficulté posée par la réalité de l’éternel retour

V Pensées extatiques

La bipolarité, une maladie de notre temps

Images de pensée

Le soliloque du perroquet

Bibliographie

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Avant-propos

En octobre 2008, à Paris, en pleine phase euphorique « maniaque », j'eus une révélation :

l'éternel retour du même (de même que Nietzsche devait bien être quelque peu hypomane à Sils-

Maria, lors de sa « découverte »). La pensée la plus sublime, la plus affirmative, s'offrit à moi, après

de longues nuits de réflexion, d'errance poétique, et d'écriture.

Depuis 7 ans, je réfléchis à cette énigme insondable. Et aujourd'hui, après m'être intéressé

quelque peu à la physique contemporaine, et surtout, après avoir déployé toutes les conséquences

éthiques, psychologiques et théologiques de cette réalité exaltante, j'ai acquis la certitude absolue

que nous revivons éternellement la même vie, que nous l'avons déjà vécue une infinité de fois, à

l'identique, et que nous la revivrons une infinité de fois, à l'identique. Je n'impose pas bien sûr cette

certitude, et je l'ai gardée longtemps pour moi. Il y a là encore un fond de « croyance » qui se

manifeste (ne serait-ce que parce que cette pensée mobilise l'idée de « métempsychose »).

Néanmoins, ce que je constate au quotidien, c'est qu'une telle « découverte », même si elle se

manifesta dans la douleur (je connus la marginalisation, et les pires dépressions, étant moi-même

« bipolaire »), me rend aujourd'hui parfaitement heureux, auto-suffisant, relativement sage, et prêt à

accueillir tout événement, comme il se doit.

Ce livre constitue, pour ainsi dire, un ensemble de perspectives ontologiques telles qu'elles

découlent de la révélation d'un éternel retour à l'identique de tout ce qui est. Ce n'est pas là un

système ; car l'éternel retour est comme la joie : il est le fait de picorer, sans jamais s'attarder, telle

ou telle vérité enivrante, sans volonté de systématiser quoi que ce soit. C'est là un ensemble

d'articles, qui ont tous un certain rapport, lointain ou proche, à la réalité de l'éternel retour.

Un seul article, au sens strict, est consacré à l'éternel retour : le premier. Mais il est suffisant

en lui-même pour suggérer la réalité de ce dont je suis, personnellement, certain (des recherches

plus approfondies, néanmoins, concernant la version « cosmologique » de l’éternel retour,

recherches menées avec un chercheur en physique, sont développées dans un autre ouvrage).

Une pensée plus globale du tout physique s'ensuit : une certaine synchronicité, une certaine

double causalité, est la possibilité du surgissement de coïncidences signifiantes qui viennent

confirmer la vérité de l'éternel retour, comme un clin d'oeil. Je tente de « rationaliser » la

synchronicité en question (car il s'agit bien de rendre exotérique l'ésotérique, et non d'édifier mon

lecteur, la faculté intellectuelle étant seule capable de s'assurer d'une réalité indubitable). Par la

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suite, je tente de résoudre philosophiquement l'énigme posée par le chat de Schrödinger (Etre et

percevoir) ; car il faut en passer par là pour décloisonner la temporalité que les physiciens ont

fermée, et penser une stricte détermination qualitative entre toutes les choses. Puis, afin d'abaisser

quelque peu les prétentions de la science, je montre que le désir d'exhaustivité qui meut le

scientifique ne saurait être satisfait (La partie et le tout). Dès lors, le métaphysicien peut

revendiquer son droit de s'immiscer dans les questions physiques, droit qui lui est contesté depuis

plus d'un siècle : il aura le « droit », par exemple, de se satisfaire d'une interprétation

« métaphysique » des notions d’éternité ou d’infinité temporelle (fondant une certaine pensée de

l’éternel retour). Enfin, l'éternel retour est une pensée de l'unité de tout ce qui est : unifiant le

physique, il peut unifier physique, biologique, historique et individu. Une tentative dans ce sens sera

faite, pour clore une certaine métaphysique de la physique (Tout est un).

Une ontologie de l'éternel retour se doit d'être une phénoménologie : car c'est un vécu en

première personne qui dévoile ce fait, la révélation de l'éternel retour étant peut-être la suite

« logique » de la saisie authentique de l'angoisse telle que Heidegger l'appréhendait. Garantir la

solidité de la phénoménologie, ce serait garantir la solidité d'une philosophie de l'éternel retour.

Mais un auteur grandiose empêche aujourd'hui le passage à une phénoménologie lucide : Kant est

cet auteur. Une critique de Kant à la manière de Heidegger devra donc être entreprise. En outre,

l'éternel retour est une pensée qui s'appréhende si et seulement si le solipsisme, c'est-à-dire

l'idéalisme radical, est entièrement réfuté : car c'est en aimant autrui, dont on sait qu'il existe, que

l'on peut accéder à la générosité qui consiste à poser l'éternel retour de sa vie. Il y a une seule

manière adéquate de réfuter l'idéalisme radical : la manière kantienne est insatisfaisante. Or Kant est

aujourd'hui une référence dans ce domaine, ce pourquoi, une fois encore, il obstrue la voie vers

quelque « libération attendue ». Sur ce point donc il s'agira à nouveau de dépasser certains écueils

du kantisme.

La question du soi est décisive pour entrer dans la pensée de l'éternel retour : c'est dans la

mesure où je suis moi-même à moi-même, c'est dans la mesure où je m'appartiens pleinement,

authentiquement, que je peux écouter cette voix qui me murmure constamment que l'éternel retour

est une réalité vraie. Ma solitude ontologique devra être affrontée. Par ailleurs, pour éviter toute

sortie hors de soi, soit tout oubli d'une parole originelle, il s'agira de déconstruire toute possibilité

d'un dualisme âme/corps, et de tenter de dépasser l'opposition rêverie/discursivité. Ensuite, la

plénitude de la conscience découle de là : de fait, il ne doit pas y avoir de non-conscience ; c'est sur

cette base que je suis assez moi-même pour écouter ce que mon « soi » a à me dire. L'être en tant

qu'être, tel qu'il dérive de ces précisions, pourra « être » interprété : il est soi multiple et dédoublé en

tant que « un ». Pour ne pas sombrer dans l'extase, et dans le narcissisme, nous rappellerons, après

ces articles consacrés à l'ipséité, un point de vue plus tragique sur la vie : malgré l'éternel retour,

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notre besoin de consolation, nécessairement, est impossible à rassasier (La perte, l'absence).

Nietzsche se contente de l'éternel retour, et se passe de Dieu. C'est qu'il n'est pas allé assez

loin dans l'ordre des « révélations », et qu'il doutait peut-être encore de la réalité de l'éternel retour.

Si l'on médite pendant plusieurs années, comme je l'ai fait moi-même, sur le caractère miraculeux et

infiniment généreux, d'une réalité de l'éternel retour, on ne peut être que convaincu qu'un Dieu

accompagne, de façon bienveillante, notre prise de conscience au sein de cette physicalité se

répétant. C'est une forme d'agnosticisme qui prévaut d'abord. Puis la nécessité de Dieu, certes

indémontrable, mais néanmoins certaine, apparaît. Tout ce que l'homme souhaite dès lors pourrait

bien être toujours déjà... existant (sa vie éternelle, son Dieu, sa joie, sa vertu).

Certains textes inspirés, écrits sur les bords de la folie, peuvent donc clore cet ouvrage.

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I Physique et métaphysique

L'éternel retour

La physique moderne ne retient pas l'hypothèse d'un éternel retour du même, en un sens

nietzschéen (ou encore : leibnizien). En effet, la version « physique » de l'éternel retour suppose

deux choses : une durée éternelle de l'univers, et une quantité de forces finie. Dans un univers

éternel possédant une quantité finie de forces, selon une loi statistique rigoureuse, très probablement

les mêmes séquences resurgissent, et ce éternellement, de la même manière qu'une machine à écrire

fonctionnant en mode aléatoire éternellement produira très certainement une infinité de séquences

de lettres totales identiques. Or, la physique contemporaine admet la finitude des quantités de forces

(loi de conservation de l’énergie), mais non complètement l'éternité de la durée : de ce fait elle

invaliderait l'idée d'éternel retour. Mais qu'est-ce à dire ? Ce « big bang », ou ce « big crunch », ou

tout autre principe de dilution de l’univers à venir, qui font que la durée de l'univers serait finie et

non éternelle, ne sont-ce pas des hypothèses ? Certes si : et donc ils pourraient bien n'être que des

fictions, des irréalités. En outre, quand bien même ils seraient « réels », rien n'indique qu'il n'y a que

le néant qui délimite leurs contours. D'ailleurs, l'idée d'une durée éternelle de l'univers est beaucoup

plus intuitive que l'idée d'une durée finie : tout temps étant empiriquement continu, ouvert, non

surgissant et non disparaissant, nous sommes portés à penser qu'il en va de même de... toute éternité

(cette « tautologie » ici dévoilée serait en fait une découverte synthétique). Ainsi donc nous nous

retrouvons, en toute vraisemblance, face à quelque révélation : quantité de force finie (admise

aujourd'hui) + durée éternelle (intuitive, et non absolument invalidée par la science) = éternel retour

du même attesté, d'un point de vue « physique ».

A vrai dire, les physiciens reculent devant le probable, l'intuitivement clair, peut-être pour

une raison morale : que l'éternel retour du même soit, que nous devions vivre éternellement la

même vie, à l'identique, demeure le « poids le plus lourd ». Aujourd'hui cela est très vrai : comment

accepter que les victimes souvent innocentes, justes, morales, du XXème siècle en particulier, et des

autres siècles en général, aient à revivre la même vie, éternellement ? Souhaite-t-on, par exemple,

qu'un déporté à Auschwitz, mort dans des conditions atroces, revive éternellement sa vie, à

l'identique ? Parce que de telles pensées sont proprement ignobles, le physicien, imprégné malgré

lui d'une morale issue de l'expérience qu'a faite l'humanité auprès des totalitarismes immondes du

siècle dernier, « bloque » sa découverte potentielle en posant la finitude temporelle du tout

(nihilisme, volonté d'en finir, désespoir).

Si de fait l'éternel retour est, nous devons bien vivre avec, et supporter cette idée. Autrement

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dit : vivre avec cette vie du déporté à Auschwitz qui se répète, de toute éternité. Première question :

cette vie atrocement souffrante, ne vaut-elle pas la peine d'être vécue ? Aurait-il fallu qu'elle ne soit

pas, qu'elle n'ait pas eu lieu ? Dire cela, ce serait vouloir pire que les souffrances atroces de cet

individu : ce serait vouloir qu'il n'ait pas existé du tout, ce serait vouloir son néant absolu, de toute

éternité. Mais cette vie se répète éternellement, dira-t-on : c'est ignoble. Seulement déplorer ce fait,

dans le contexte où précisément cette vie a toujours déjà été et sera toujours, répétée à l'identique

pour l'éternité, cela revient à précisément vouloir le néant absolu de l'individu.

La pensée de l'éternel retour, de façon plus ou moins consciente, surgit dans les moments de

grande joie (une sélection différentielle est opérée là, pour suivre l'idée de Deleuze). Même si dans

les faits l'individu revit éternellement ses tourments, selon sa conscience, plus ou moins lucide sur

ce point, il ne vit jamais la répétition éternelle de son être que lorsqu'il est dans la béatitude. La

réalité de l'éternel retour est la plus généreuse qui soit : seule la joie demeure, pour l’éternité. Selon

la conscience, c'est-à-dire en soi, un déporté d'Auschwitz vit éternellement seulement ses moments

de joie (« factuellement », c'est l'intégralité de son vécu, souvent souffrant, qui se répète à

l'identique, peut-être ; mais ce « factuellement » n'est qu'un mot, non une réalité consciente pour

lui).

Une autre idée insupportable : Hitler revit éternellement. Mais pourquoi insupportable ? Est-

ce à dire que ce déchet aurait été heureux ? Sa haine, son ressentiment, son absolue bêtise, sa

capacité surhumaine à s'autodétruire, cela constitue le pire des enfers. Pour le juste, l'éternel retour

est la pensée la plus réjouissante : l'immondice n'a plus à descendre sous la terre. Son éternité

terrestre est le pire des supplices. Le juste quant à lui, même en tant que victime, puise dans sa

bonté le courage d’affronter une éternité que ne supporte pas le criminel, et reçoit nécessairement la

joie que procure toute bonté, par-delà ses tourments.

Mais qu'en sera-t-il pour l'immoral parfaitement heureux ? En fait, il n'existe pas : la

mauvaise conscience, de fait est réhabilitée, par-delà toutes les attaques faites à la morale kantienne.

En effet, l'éternel retour est une vraisemblance (quasi-certaine) qui hante chaque inconscient

coupable : un immoral tend à savoir, au sein de sa joie maligne, de façon latente, qu'il est en train de

gâcher la répétition éternelle de la vie d'un autre ; cette pensée ne peut être pour lui

qu'insupportable, quoiqu'il occulte souvent cette pensée. Sans qu'il s'en rende compte, la haine de

lui-même le ronge comme un cancer : lui aussi donc sera en enfer éternellement, sur cette terre et

dans cette vie en laquelle il est si malheureux, inconsciemment, de détruire l'éternité de l'autre qu'il

espère, en vain sûrement, mortel.

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Ces remarques tendent à faire accepter l'éternel retour comme réalité peut-être physique.

Avec ce genre de remarques, les physiciens peut-être ouvriront la temporalité qu'ils ont fermé par

crainte, désespoir, horreur... Mais ils manquent de philosophie, et connaissent bien mal une manière

rigoureuse de poser les termes éthiques clairement.

Appendice :

Aujourd'hui la possibilité de l'éternel retour est au moins reconnue, sous une forme fictive

ou mythologique, par l'art de masse cinématographique. Le film Mr Nobody, éminemment

philosophique, en atteste. La subtile Diane Kruger joue dans ce film le rôle que joue Clélia dans La

Chartreuse de Parme.

Clélia ou l'éternel retour. Cela sonne comme une intuition révélante. Stendhal, l'écrivain

français que Nietzsche admirait, n'a pas pu ignorer cela.

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Synchronicité

L'apophénie est d'abord la disposition du créatif, mais aussi du psychotique : ici sont saisies

des coïncidences signifiantes, quoiqu'on ne puisse apparemment pas expliquer rationnellement ce

genre de « significations ». Tentons pourtant telle « explication » (ou : élucidation).

Soit une patiente sur le divan : elle évoque un rêve. Un scarabé d'or a surgi là. Mais la

fenêtre était ouverte. Soudain surgit effectivement, dans la réalité du cabinet, un scarabé doré. Ici,

même si l'on n'est pas psychotique, ou créatif, il faut se rendre à l'évidence : il y a coïncidence

signifiante. Pourtant il y a aussi en jeu deux séries causales a priori étanches mutuellement. La série

causale par laquelle le scarabé est arrivé ici, dans cette zone précise du monde. Puis la série causale

par laquelle la patiente en est venue à rêver d'un scarabé d'or, mais surtout : en est venue à raconter

ce rêve à ce moment précis.

Mais n'y a-t-il pas une cause commune à ces deux séries apparemment indépendantes l'une

de l'autre ? N'ont-elles pas toutes deux un principe moteur commun ? Certes si : on pensera à la

première vie s'étant manifestée, qui élucide leur présence à toutes deux, ou encore, plus en amont, à

toute matière physique ayant précédé et provoqué ladite première vie.

Cela étant, en quoi le fait qu'il y ait principe moteur commun déterminerait la rencontre

nécessaire ? Certaines patientes évoquant un papillon dans un cabinet ne voient pas surgir un

papillon. En outre, cette idée du « surgir » du scarabé dans quelque « environnement » proche est

toute relative, et n'est pas fondée dans la nature des choses : c'est dans l'environnement visible pour

un humain doté de cinq sens spécifiques que surgit le scarabé « convoqué ». Pour un être plus petit,

ou doté de facultés différentes, il se pourrait que le scarabé ne « surgisse » pas. Tout cela serait

éminemment contingent, arbitraire, et ne saurait être validé par quelque approche causaliste

rigoureuse.

Néanmoins, la vie est la mesure de toutes choses, du moins pour elle-même : le « surgir »

dans cette perspective est attesté. En outre, la patiente évoquant le papillon ne voit peut-être pas

autour d'elle quelque micro-organisme relevant de l'espèce, en un sens : « papillon ». En outre, peut-

être que le thérapeute a tout simplement laissé la fenêtre fermée.

A dire vrai, lorsque nous avons une pensée, celle-ci n'émane pas de quelque pure intériorité

absolument close. Une pensée, sa formulation verbale ou interne, est l'expression de ce qui est perçu

de l'extérieur. Et il y a aussi des micro-perceptions, sans aller jusqu'à parler de quelque

« pressentiment » d'ailleurs. Une pensée souvent exprime des micro-perceptions, non accompagnées

d'aperception. Parce qu'elles sont non accompagnées d'aperception, la pensée paraîtra autonome,

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close. Mais il y a néanmoins perception, soyons-en sûrs. La patiente a « aperçu », en un sens

problématique, la présence à venir du scarabé (de même que le scarabé aurait été « convoqué », en

un certain sens).

De façon plus ésotérique, une double causalité physique, telle que l'entend un Philippe

Guillemant, par exemple, éluciderait de façon plus ou moins « rationnelle » la synchronicité à la

Jung, et l'apophénie corrélative (dès lors non psychotique, ni même relevant du « créatif », mais tout

simplement : « normale »). Au sein d'une circularité non fondée, l'avenir déterminerait le présent, et

réciproquement. Le surgissement à venir du scarabé doré détermine l'évocation présente du rêve du

scarabé d'or, et réciproquement donc. Il n'y a là plus d'avenir ni même de présent à vrai dire, mais

une seule actualité insécable (ce pourquoi il serait absurde de questionner sur « ce qui a

commencé » ; c'est le « il y a » qui est ici en perspective, le fait du surgissement comme cause de

lui-même, éternel et actuel).

Si un certain « futur » a déjà été éprouvé, dans une vie identique antérieure, dans le contexte

d’un éternel retour à l’identique de toute vie, cette double causalité, définissant une subtile

intrication entre la conscience et l’univers qui la contient, reçoit une interprétation nouvelle. Mais

certes, pas moins problématique, pour l’instant.

Quoi qu’il en soit, l'apophénie comme expression de micro-perceptions sans aperception

renvoyant à l'unité des êtres, et l'apophénie dans son lien à la double causalité, sont les deux

versants, complémentaires, qui nous feront comprendre de façon quelque peu « rationnelle » le fait

de la synchronicité. Fait qui n'est pas le trésor caché des artistes ou des fous, dès lors.

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Etre et percevoir

Nous pouvons réduire l'être à l'être-perçu, dans le contexte d'un idéalisme radical : "être,

c'est être perçu". Nous pouvons réduire l'être à l'être-perçu tout simplement parce que nous nous

plaçons du point de vue d'une existence vécue en première personne. Dans cette perspective, "ce qui

est en général" est : ce qui est pour moi, pour ma conscience. Dès lors, il ne saurait y avoir d'être

indépendamment de la conscience qui la saisit et qui s'éprouve présentement. De là, un problème se

pose : y a-t-il quelque chose là où je ne suis pas, là où je ne perçois pas ? Réponse : non, car je suis

ce par quoi l'être advient ; ma perception rend les choses existantes, "étantes". Peut-on dire d'une

chose qui n'est pas dans mon esprit, ou que je ne perçois pas, qu'elle est ? Non, car cette absence en

mon esprit implique l'absence tout court, l'absence de l'être. Seules les idées les perceptions, sont ce

qu'il y a de réel, d'étant, dans le monde : telle pourrait être notre position.

Dans ce cadre philosophique, il serait légitime de se demander si les manifestations

physiques précédant toute vie humaine "sont étantes" malgré tout, c'est-à-dire : malgré le fait

qu'elles ne soient pas perçues par une conscience humaine. Dans un premier temps, je serais tenté

de dire non, en vertu des principes exposés plus haut qui sont, dans leur contexte théorique,

irréfutables. En effet, au moment où se déroulent ces manifestations, puisque nulle conscience

humaine ne les perçoit, elles ne "sont" tout simplement pas. Qui pourrait dire que l'être n'est pas ce

qui arrive par le seul biais d'une conscience humaine, de ma conscience, dirais-je même, qui le

présentifie ? Certes, on pourrait être tenté d'envisager un être-en-soi des choses, un être qui se

poserait de lui-même, par lui-même, sans qu'une affection extérieure ne l'engage. Mais cela ne tient

pas, tout comme le noumène kantien ne tient pas : car l'être est une construction, une vue de l'esprit,

et cet esprit, c'est le nôtre. N'oublions pas que l'être est aussi, et peut-être même avant tout, la copule

pour les logiciens, cela qui rend homogènes entre eux le sujet et le prédicat dans un jugement - l'être

est "l'unité de l'analogie" chez Aristote - et, en tant que tel, l'être est un outil parmi d'autres qui nous

permet de rendre signifiant le monde, de signifier sa temporalisation, pour être plus précis. Pourrait-

on dire d'une utilisation qu'elle "est" en l'absence de tout utilisateur ? Nullement. De même, on ne

pourra dire de l'être qu'il "est" en l'absence de toute activité judicatrice, ou perceptive (ce qui est la

même chose, puisque toute perception est un jugement, thématisé ou non), c'est-à-dire : en l'absence

de toute conscience humaine. Autre question plus subtile, mais se résolvant de la même manière :

peut-on dire d'un outil, et non plus d'une utilisation, qu'il est, en l'absence de tout utilisateur ? D'un

certain point de vue, oui : un marteau abandonné reste un outil. Mais d'un autre point de vue, plus

pertinent, non : s'il n'y a pas d'utilisateur au moins en puissance, l'outil ne saurait avoir été fabriqué,

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ne saurait être. De la même manière, on ne pourra dire que l'être là-devant, étant en l'absence de tout

témoin conscient, est de la sorte par lui-même, en lui-même : le fait qu'il est dépend du fait qu'il a

été signifié, à un moment donné, ou qu'il s'inscrit dans une réalité où la significativité, via

l'émergence de l'aventure humaine, est advenue. Pour résumer, dans un langage typiquement

heideggerien : c'est l'entente préontologique du sens de "être" inscrite dans le Dasein, et seulement

elle, qui fonde la possibilité de "l'étantité" ; i.e. : c'est dans la mesure où une conscience humaine,

en ce qu'elle produit des jugements et perçoit des choses qu'elle juge ainsi implicitement, en ce

qu'elle utilise de ce fait constamment la copule "être" et lui confère a fortiori un sens, même vague,

même confus, c'est dans cette mesure disais-je que l'être possède une consistance.

Mais cette première approche n'est pas tout à fait satisfaisante. Car il est vrai que nous avons

une connaissance de ces manifestations physiques passées. Connaissance certes hypothétique, mais

appuyée sur des bases empiriques solides, et quasi-certaines. Nous sommes certains, par exemple,

que le soleil se levait et se couchait pareillement avant la venue de l'homme sur terre. Cela "est",

indubitablement. Mais en quel sens ? De quelle manière ? Là est la question que je vais m'employer

à élucider. Reprenons mon exemple. La certitude du jour et de la nuit terrestres avant l'homme doit

se baser sur des manifestations que l'homme a pu constater au moment où il est, où il vit. Elle est

une interprétation de signes actuellement saisis par une conscience humaine, signes censés renvoyer

à un passé jamais éprouvé par l'homme. Mais qu'est-ce à dire ? Le fait d'interpréter ces signes, de

réitérer fictivement un passé enfoui à jamais dans les limbes du jamais-perçu, est-ce une façon de

ressusciter ledit passé pour la conscience, de le rendre désormais tangible, perceptible ? Loin de là,

vous le reconnaîtrez. Le passé pré-humain n'est pas plus "étant" sous prétexte qu'il est postulé a

posteriori. Ce qui a surgi là, dans l'interprétation d'un signe, n'est pas le passé en lui-même, mais

une conscience présente de traces actuellement visibles faisant référence à un passé enfoui, passé

dont la réelle consistance, l'être authentique, c'est-à-dire l'être en tant qu'appréhendé par une

conscience temporalisante vécue hic et nunc en première personne, est à jamais insaisissable (?).

Mais allons plus loin. N'y a-t-il pas, au fond de ma conscience, au fond de cette fameuse

propension à faire surgir l'être, une partie de moi qui contient la présence réelle, non plus

hypothétique ou fictive, de ce jour et de cette nuit pré-humains ? Certes oui, mais pas de façon

thématisée, pas sous la forme de jugements, d'intellections, de réitérations. Et c'est là que la

philosophie spinozienne peut entrer en jeu. Présentons brièvement la dimension de cette philosophie

qui nous intéresse. Spinoza affirme, dans son Ethique, que se connaître soi, ses affects, la manière

dont le monde nous affecte, renvoie à la connaissance de la totalité de ce qui est, à la connaissance

de la substance une et indivisible qui enveloppe toute réalité, dans la mesure où chaque mode

particulier de cette substance, c'est-à-dire chacune des parties dont elle est composée, renvoie à

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toutes les autres en vertu d'une causalité stricte et nécessaire. Dans ce contexte théorique, on peut

dire à bon droit que, lorsque je perçois un arbre qui est là, devant moi, lorsque je le présentifie, le

fais "être", d'une certaine manière, lui aussi me fait être, en tant que nous appartenons tous deux à

une totalité dont chaque élément est causé par et cause chacun de tous les autres. Autrement dit,

l'arbre est lui aussi, du moins partiellement, détenteur de son être : parce qu'il me fait respirer, parce

qu'il est, parmi d'autres étants, quelque chose qui rend possible ma vie, et de là ma conscience qui

pose l'être, ainsi cet être que je pose est aussi un être qu'il pose. Dès lors, dans la foulée de cette

illustration, on dira à bon droit que la nuit et le jour pré-humains, d'une certaine manière, "habitent"

actuellement ma conscience : en tant que nous appartenons à la même substance, dont les

imbrications constituent un va-et-vient constant, cela même que je perçois chaque fois devant moi,

et la manière dont je le perçois, dépendent aussi du fait qu'ils se sont manifestés à un moment

donné, et ce même si une telle manifestation n'est plus visible aujourd'hui, ou encore : n'a jamais été

et ne sera jamais perçue par un homme. Ainsi donc, c'est dans cette mesure, et dans cette seule

mesure, c'est-à-dire dans la perspective où le jour et la nuit pré-humains sont des sortes de réalités

éternellement agissantes déterminant d'une manière ou d'une autre la vie qui nous traverse, que l'on

peut parler d'une expérience authentique d'un passé pré-humain, expérience qui relève de

l'invisibilité de ce qui nous détermine, qui relève de l'invisible lien qui rattache l'être, la conscience,

à ce qui n'a pas la possibilité de poser l'être.

Il est très difficile de se représenter ce qu'implique ce complément spinoziste. Pour bien le

faire comprendre, tentons une expérience de pensée. Imaginons que, par quelque miracle

inexplicable, il n'y ait jamais rien eu que la nuit avant que les hommes et leur entente

préontologique du sens de « être » n'apparaissent sur terre. Les voici maintenant, percevant le

monde, le jugeant, "l'étantifiant". Cette perception, cette activité judicatrice, cette "étantisation", est

bien habitée par cette nuit immémoriale qui les précède, en vertu des principes que nous venons de

poser : elle est là, dans la façon dont l'homme fait être le monde, et en cela réside l'authenticité de

cette nuit. Pourtant, les hommes croient, de par les signes présents qu'ils ont interprétés, que nuit et

jour alternaient avant leur venue. Ils ont toutes les raisons de le croire, les preuves empiriques sont

là. Mais qu'est-ce qui est le plus réel ? Ces preuves empiriques, ces fictions ? Ou cette nuit

millénaire qu'ils ignorent, et pourtant qu'ils n'ignorent pas, puisqu'elle est là, présente à chaque

instant dans leur manière d'appréhender chaque chose ? La réponse est dans la question. Prenons

une autre expérience de pensée, plus parlante encore peut-être. Supposons que le jour et la nuit

préhumains aient réellement eu lieu, chose invérifiable, mais passons. Ils nous affectent donc encore

aujourd'hui, ils sont là, invisibles, dans notre façon de conscientiser les choses. Mais nous

supposerons aussi qu'ils sont en plus de cela réitérés, conscientisés, via les discours scientifiques,

cosmologiques (interprétations des traces). Le problème est : laquelle de ces deux "faces" de la

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conscience contient de la façon la plus authentique ces jour et nuit pré-humains ? La première,

assurément. Car la réitération intellective, qui intervient a posteriori, ne vient alors que rendre

visualisable, représentable, ce qui est en notre fond le plus intime ; et cette visualité, contingente et

secondaire, surajoutée, c'est précisément le superficiel en soi, l'inauthentique.

Cet ajout spinozien est l'occasion de penser à nouveaux frais l'énigme du chat de

Schrödinger. Tout le monde connaît cette expérience de pensée, qui fournit une base objective,

physique, au phénoménalisme relativiste : le chat est dans sa boîte et a été contaminé ou non par le

poison qui s'est répandu en fonction d'un état atomique qui sur le plan quantique reste objectivement

incertain : il est et n'est pas tel à la fois, est véritablement à la fois mort et vivant tant que le contenu

de la boîte n'est pas perçu par un témoin extérieur, et devient l'un ou l'autre de façon assurée

seulement lorsqu'il est effectivement perçu. Ceci est un problème que l'on devrait pouvoir envisager

selon une perspective philosophique éclairante. De fait, en vertu de la conception spinoziste de la

substance, toute chose dite extérieure à moi est "présente" en moi : elle me cause, cause ma manière

d'être affecté par le monde. Le chat dans sa boîte, donc, mort ou vivant, détermine ma conscience à

ce titre. Or, actuellement, au moment où je ne perçois pas encore le contenu de la boîte, et où je ne

sais si le chat est mort ou vif, je dois bien reconnaître que mon état, mon être-affecté par le monde

reste, quant à lui, évident et certain : je suis tel : heureux, réfléchi, pensif, etc., et je ne doute pas

qu'un autre état qui est le mien soit possible, puisqu'il est, précisément, le mien. Le chat donc, qui

loge dans cette boîte et que je ne vois pas encore, même s'il n'est qu'une infime partie de la

multitude passée et présente qui me conditionne, me conditionne néanmoins d'une certaine manière,

et doit donc lui aussi posséder un état unique, la cause devant être homogène au causé. Cet état

unique du chat, que je ne réitère certes pas intellectuellement, que je ne visualise pas, je le suis,

d'une certaine manière : je le "connais" ; ici, le mot connaître est peut-être peu approprié, mais cette

tension éclaire le fond intime de la question.

Pour comprendre cette suggestion, tâchons d'expliciter la manière de concevoir l'"action à

distance" qu'elle postule, et aussi, par la suite, les implications d'une telle conception. Pour ce faire,

posons les catégories de "causalité" (linéarité, succession, déploiement, temporalité) et de

"communauté" (simultanéité, réciprocité, coexistence, spatialité). Précisons maintenant ceci : dans

le concept traditionnel d'action à distance est supposée une communauté, c'est-à-dire une relation

qui se fonderait sur la séparation préalable de deux localités distinctes (exemple : le chat d'un côté,

et l'observateur de l'autre), et c'est seulement sur la base de cette communauté que l'on pourra

penser une causalité à l'oeuvre. Or, dans le contexte que je viens de proposer, il est possible

d'envisager cette action à distance de façon nouvelle : elle ne serait plus fondamentalement une

relation de communauté, mais une relation de la pure succession, de la pure linéarité, qui viendrait

seulement dans un deuxième temps, inessentiel et contingent, se poser comme distinction spatiale,

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simultanée. Expliquons-nous. Evoquons pour ce faire Bergson.

Bergson développe constamment le concept d'une évolution continuée, non fragmentée, d'un

enrichissement progressif de l'entièrement nouveau : effet "boule de neige", ou "mélodie"

complexifiée progressivement, sans rupture, dans un même déploiement fusionné. Or, en vertu de

cette idée, on doit poser ceci, axiomatiquement : de fait, pour penser le surgissement du biologique

à partir d'un donné physique, pour penser l'apparition de la vie sur terre, il est nécessaire d'envisager

une première vie, totalement close sur elle-même, ne coexistant pas avec d'autres vies qui lui

seraient extérieures : il y a pure durée, pure linéarité de cette vie, pure intensité non passive,

absolument agissante. En effet, l'idée d'un continuum, analytiquement comprise, implique ceci : le

surgissement de l'absolument nouveau ne saurait être pensé comme surgissement de deux

nouveautés simultanées, car cela supposerait une spatialisation qui viendrait ici subvertir les

principes de la détermination qui veut se poser. Par exemple, si l'on pose, contradictoirement, cette

proposition : "deux vies entièrement nouvelles surgissent simultanément sur terre", cela signifie

ceci : il existe un instant t qui comprend cette "simultanéité entièrement nouvelle" que nous

postulons, instant en lequel ont donc été isolées et juxtaposées idéalement deux intensités distinctes.

Or, il apparaît très vite qu'une telle simultanéité nous entraîne, en vertu même des principes de cette

approche rationnelle, vers une absurdité : vers une régression à l'infini. Car ces deux "premières

vies" simultanées, juxtaposées, devront être définies via l'idée d'un instant, d'un présent, qui se

fragmente à l'infini, sans que cette fragmentation constante ne puisse trouver un arrêt, une

résolution finale. Au nom du principe de continuum, nous admettrons nécessairement l'axiome

suivant : "une première vie surgit sur terre". Sur cette base, prenons cette première vie dans son

écoulement. Entre le temps t = "surgissement de cette première vie", et le temps t' = "apparition

d'une autre vie qui vient coexister avec cette première vie", ainsi donc, comme cela se comprend de

soi-même, nous avons affaire à une pure succession, à une pure linéarité, à une pure intensité non

accompagnée d'une intensité analogue avec laquelle elle aurait une certaine relation. Autrement dit,

dans cet intervalle, elle est prise dans une relation avec elle seule, elle n'est pas "affectée" de

l'extérieur, mais elle s'auto-affecte, continuellement, le physique pré-donné étant pour sa part certes

conditionnant, mais à la manière d'une condition hétérogène, qui dès lors n'imprime pas sa

"marque" de façon essentielle sur cette intensité qui s'auto-affecte. Si donc l'on reprend la

distinction proposée plus haut entre la communauté et la causalité, on pourra affirmer dès lors, à

bon droit ceci : la vie qui surgit renvoie fondamentalement, originellement, en tant qu'elle est

nécessairement "une première vie", ou encore "cette seule vie", à une causalité exclusivement

linéaire, elle n'est pas dès lors, du moins pour un temps, "communauté", relation spatiale, co-

existence, "présence à". On peut d'ailleurs noter, en passant, qu'il y a ici une distinction à faire entre

le "présent " et "l'actuel", le présent devant être pensé analytiquement comme "présence à" une

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altérité analogue, et l'actuel comme pure intensité auto-référentielle.

Sur ces bases théoriques, reprenons le chat et l'observateur. Pour ce faire, prenons les choses

une à une :

1) Le chat, tel qu'il se trouve dans sa boîte close et dont le contenu n'est pas encore perçu par

l'observateur, peut vivre si et seulement si la première vie s'est posée avant lui, comme cela se

comprend de soi-même.

2) De la même manière, l'observateur, effectivement vivant, peut vivre si et seulement si la

première vie s'est posée avant lui, comme il va également de soi.

3) Or, la première vie en question, comme nous l'avons admis, est d'abord et avant tout pure

intensité, pure succession, pure auto-affection ne coexistant pas avec une autre vie analogue, la

relation spatiale avec d'autres intensités analogues étant quant à elle secondaire, surajoutée, partant

inessentielle.

4) Par ailleurs, cette première vie continue à s'affirmer, à se poser, d'une certaine manière, au sein

de la vie du chat, encore incertaine pour l'observateur, et au sein de la vie de l'observateur, certaine

pour lui-même.

5) Plus précisément, ce chat et cet observateur, s'ils vivent, expriment en quelque sorte la puissance

de cette première vie, sa puissance de se poser, en ce qu'ils représentent aujourd'hui sa perpétuation,

sa continuation, son déploiement, son aptitude future à se complexifier.

6) Ainsi donc, ce chat et cet observateur, s'ils vivent, doivent trouver, d'une certaine éminente

manière, la façon véritable dont se manifeste leur vie, dans la façon dont la première vie qui les a

rendus possibles se manifeste. Autrement dit, chacun est, soi-même, pure intensité, pure linéarité,

pure succession, et ce essentiellement, originellement, et ce n'est que secondairement,

inessentiellement, qu'il est pris dans une coexistence, dans une relation spatiale à une intensité autre

analogue, dans une "présence à" au sens fort.

7) Mais nous supposons pourtant que ce chat et cet observateur sont bien distincts spatialement, et

dès lors notre proposition est contre-intuitive, car il doit bien exister une relation de communauté

entre ces deux pôles simultanés (et d'ailleurs nous avons apparemment implicitement admis cette

relation dans l'apport spinozien proposé plus haut).

8) C'est précisément dans ce paradoxe que se trouve la clef de ce que nous voulons élucider. En

effet, intrinsèquement, essentiellement, ce chat et cet observateur pris ensemble ne sont pas dans

une relation de communauté, de coexistence spatiale, mais ils constituent en fait une même réalité

qui est prise dans une relation à elle-même, dans une relation renvoyant à la seule succession, à une

intensité pure autoréférentielle, à une auto-affection sans altérité.

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9) Déployons cette dernière proposition pour qu'elle soit clairement entendue :

a) Le chat étant mort (par hypothèse) et l'observateur étant vivant, ces deux pôles n'expriment pas

moins une seule intensité purement linéaire, ladite "première vie", et dès lors, on dira à bon droit

qu'ils s'expriment eux-mêmes l'un et l'autre mutuellement au sein de cette intensité linéaire.

Autrement dit, le fait du chat mort, l'événement de son trépas, se manifeste actuellement dans le fait

que l'observateur soit vivant d'une certaine manière, et réciproquement.

b) Le chat étant vivant (par hypothèse) et l'observateur étant vivant, ces deux pôles, de même,

expriment également la pure succession de ladite "première vie", et de même s'expriment

mutuellement. Le fait que le chat soit vivant d'une certaine manière se manifeste dans le fait que

l'observateur soit vivant d'une certaine manière.

c) L'incertitude posée par Schrödinger dans le contexte de la physique quantique se dépasse donc

comme suit : l'événement du trépas du chat et le fait que le chat soit vivant d'une certaine manière

étant pris en même temps, ils doivent donc, en même temps, s'exprimer dans le fait que

l'observateur soit vivant d'une certaine manière. Or cette certaine manière dont l'observateur vit

actuellement est pour lui certaine, sur le mode intuitif entièrement, et sur le mode thématique

partiellement ; i.e. : mon état est ressenti dans sa pleine clarté, quand bien même je ne suis pas

capable de mettre en mots toutes les composantes de cet état.

d) Ainsi, sur un mode intuitif très partiellement dicible (état ressenti), il ne peut y avoir d'incertitude

concernant le fait que le chat dans la boîte soit mort ou vivant, d'une certaine manière, il est

appréhendé. Sur le plan thématique, certes, l'état de l'observateur n'est pas certain, et c'est ainsi qu'il

n'élucide pas complètement cet état sur le mode qu'il privilégie, ce pourquoi il dira que l'état en

question du chat n'est en fait pas exposable.

e) Or, nous l'avons vu plus haut, le plan thématique, ou spatialisant (c'est la même chose), postule

précisément la possibilité du surgissement de deux vies coexistantes, se trouvant ainsi en désaccord

avec sa propre logique (régression à l'infini). Par cette confusion, il occulte donc le fait que ce chat

et lui-même, en leurs états respectifs, expriment en dernière analyse, intrinsèquement, la même pure

intensité auto-affectée, qu'ils se révèlent l'un et l'autre, d'un point de vue purement déterministe.

Cette confusion-occultation qui pose l'incertitude de la mort ou de la vie du chat ne saurait donc

prétendre à la clarté, à l'adéquation, et elle doit être réinfléchie par l'approche intuitive, non-

thématique, qui elle "affirme" la certitude de l'événement du trépas du chat lorsque celui-ci advient

effectivement, et la certitude de sa vie et de la manière dont cette vie se manifeste lorsque celle-ci se

déploie effectivement.

f) Mais ce point de vue thématique et spatialisant confus et occultant, que l'on vient de séparer

abstraitement, par souci de clarté, du point de vue intuitif, ne doit pas, dans la perspective d'une

existence humaine vécue en première personne, vécue en chair et en os, être coupé radicalement de

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ladite intuition. En effet, en un certain sens, lorsque je produis des jugements, lorsque je focalise,

via ces jugements, mon attention sur tel ou tel aspect de la manière dont j'éprouve des intensités

actuelles, lorsque donc j'introduis des "négatités" (Sartre), des négations au coeur de ma complexité

sentie, en ce que je ne fais pas honneur, en ce que je ne puis faire honneur à chaque élément de cette

complexité (je les nie), je ne suis pas réellement coupé de cela qui reste dans l'ombre. Prenons un

exemple. Je dis ceci : ce chat est là, devant moi. Lorsque je "prends" donc ce chat pour le poser

dans un jugement, il semble que je ne pose pas toutes les autres intensités qui sont les miennes,

celles qui renvoient à d'autres choses (la table qui est à côté, le sol sur lequel je me trouve, etc.

indéfiniment), à d'autres personnes (mon ami Pierre qui est à côté de moi, ma mère qui est

souffrante, dans son lit, mon grand-père qui est mort l'année dernière, etc., indéfiniment), et à

d'autres affections (le souvenir de mon premier baiser, le souhait de finir le texte que je suis en train

d'écrire, mon désir de ne plus avoir mal au ventre, etc., indéfiniment). Mais en réalité, cette "prise"

dans un jugement contient toutes ces intensités, à titre latent. Car le fait-même que je choisisse de

thématiser ce chat, ici et maintenant, l'acte que constitue ce choix, en vertu d'un strict déterminisme,

dépend de toutes ces intensités vécues par le passé, vécues maintenant, ou tendues vers l'avenir, qui

se manifestent dans mon intensité actuelle. Pour le dire plus abstraitement : la focalisation

judicatrice, la détermination qui nie, l'attention qui se concentre sur un élément donné, demeurent,

en dernière analyse, renvoi à une ouverture sur une pluralité intensive indéfinie. Elles sont un point

de vue, mais un point de vue entendu au sens où tout point de vue, tout découpage, tout acte de

dessiner des contours, de poser un être ou une chose au détriment apparent des autres, en tant qu'ils

constituent une « fenêtre », métaphoriquement parlant, sur l'intensif complexe, expriment la totalité

du "mur", sur lequel cette fenêtre s'insère. Lorsque je regarde les gens dans la rue, à travers ma

fenêtre, ai-je pour autant oublié que je me trouvais dans les murs de ma maison ? Nullement. De

même, l'observateur, tandis qu'il juge d'une incertitude "objective" face à l'invisibilité "objective" de

tel chat, ne peut avoir oublié que cette incertitude ne peut en être une. L'occultation-confusion du

thématique disparaît ainsi d'elle-même.

g) Le scientifique, donc, qui affirme l'impossibilité de "connaître" avec certitude le fait de la mort

ou de la vie du chat encore inaperçu qui est dans sa boîte, en tant que ce jugement est un choix qui

dérive de toute la complexité intensive actuelle qu'il est, complexité qui de son côté, comme on l'a

vu, pose une certitude concernant ce fait, affirme en fait le contraire de ce qui est dit dans son dire.

Et ce contraire, qui ne saurait être contradictoire, se résout de lui-même.

h) En dernière instance, donc, si le fait de la vie ou de la mort du chat n’est plus incertain, et si ce

fait traduit adéquatement la disposition d’un état quantique dont il dépend, alors cet état quantique,

théoriquement, n’est lui-même plus incertain, même si la boîte reste close.

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Résumons-nous. Mettons en scène notre cheminement d'ensemble en ce qu'il relèverait d'une

prise de conscience. On supposera un locuteur imaginaire qui se parle à lui-même dans un discours

intérieur qui reviendrait sur sa démarche :

"Oui, certainement, être c'est être perçu, mais le perçu lui-même, ce qu'il s'agit d'"étantiser", en ce

qu'il conditionne le vivant qui perçoit d'une manière ou d'une autre, pose aussi, d'une façon

déterminée, son être. Toutefois, je crains de m'être fourvoyé depuis le départ. Je me suis oublié dans

la régression ontique. Non, trois fois non, être ce n'est pas être perçu, c'est : percevoir. Certes, être

"étant", c'est être perçu, mais "être", "être tout court", c'est : percevoir. Une philosophie qui se

positionne réellement en première personne doit se garder d'être la victime de la "réverbération

ontologique" : elle ne doit pas partir du monde, dudit "perçu", pour ensuite tenter d'élucider l'être de

la conscience à partir de là. C'est de l'intensité actuelle qu'il faut partir, et non de l'être là-devant.

L'être là-devant est "étant", il n'"est" pas : il est "ce qui est" tel ou tel, il n'est pas "le fait d'être" tel

qu'il est d'une certaine "manière". Les choses qui sont perçues demeurent dans une spatialité figée,

atemporelle : elles possèdent des propriétés fixes, il suffit de faire l'inventaire de leurs prédicats

analytiques pour les recenser et les saisir dans leur vérité : vérité toute logicienne, scolaire,

technique, statique. Tel est l'étant, tel n'est pas l'être. L'être est temporalisé, il est un percevoir qui se

déploie, qui se dévoile progressivement au fil de sa progression. Mais là encore je m'égare. Car, de

là, de cette position, la conscience intensive actuelle contamine toutes choses qu'elle perçoit, qui

sont à leur tour prises dans un dévoilement progressif : elles perdent leur fixité. Mais ce passage du

perçu au percevoir, cette dénonciation de la "réverbération ontologique", c'est après tout ce que

voulait suggérer mon petit complément spinozien-bergsonien... Toute la question posée par l'arbre

heideggérien (Qu'appelle-t-on penser ?), arbre qui se présente plus qu'il n'est présenté par ou

représenté dans ma conscience, est condensée dans ce petit complément spinozien-bergsonien. En

outre, à la lumière de ce complément, je devrais ajouter ceci, comme visant Heidegger lui-même :

cet arbre qui se présente à moi, qui pose aussi son être, n'est-ce pas, en dernière analyse, moi-même

tel que je m'auto-affecte dans la durée pure dépourvue d'altérité spatialement appréhendée, dès lors

ce perçu n'est-il pas lui-même un percevoir, et moi-même ne suis-je pas perçu par un percevoir qui

me fonde ? Mais je suis confus. Car qui parle ici ? En voilà assez !"

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La partie et le tout

« Toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et

toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes,

je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout non plus que de connaître le tout

sans connaître particulièrement les parties. »

Pascal, Pensées

Pour identifier la causalité d'un événement quel qu'il soit, nous aurons d'abord tendance à

prendre en compte les phénomènes qui sont à proximité de l'événement en question. Le

comportement d'un corps donné sera ainsi expliqué par l'action de certaines forces dont les

manifestations sont observables dans le cadre d'un champ spatial et temporel limité. Il serait ainsi

relativement absurde de tenter d'expliquer la chute d'un solide terrestre en prenant en considération

tel atome situé à des années-lumière de notre galaxie, ou s'étant manifesté plusieurs milliards

d'années auparavant.

Pourtant, est-ce à dire que cet atome, dans l'un ou dans l'autre cas, ne détermine pas, au

moins de façon infime, la manière dont la chute dudit solide se déroule ? Loin de là. L'explication

de n'importe quel événement se produisant ou s'étant produit nécessite en droit la prise en compte

de tout ce qui existe et a existé dans l'univers avant lui, au sein d'une immensité spatiale et

temporelle illimitée. D'une façon ou d'une autre, tel atome situé sur mars cause présentement la

manière dont tel corps terrestre actuel se meut. D'une façon ou d'une autre, tel objet disparu il y a

plusieurs milliards d'années agit partiellement sur l'état d'un corps présent déterminé. Ces deux

propositions découlent du simple fait que l'espace, analytiquement compris, est un espace ouvert, et

que le temps, analytiquement compris, est un temps continu.

Ceci doit nous indiquer qu'il ne saurait y avoir jamais d'explication totale d'un phénomène

quel qu'il soit, et que toute science est de fait lacunaire et imparfaite. Pour expliquer un phénomène

déterminé, on choisira donc de sélectionner les données significatives et, surtout, disponibles. La

précision des explications ou prévisions sera fonction de cette sélection. Au plus le champ temporel

et spatial enveloppant les phénomènes déterminants s'élargira, au plus les résultats seront précis.

Mais la causalité totale nous échappera forcément, comme cela se comprend de soi-même. Nous

n'aurons jamais affaire qu'à des causalités partielles, et puisque la sélection elle-même ne sera

jamais qu'arbitraire et contingente, limitée par une humaine condition, nous assisterons à la

constitution d'une sorte de fable, certes dissimulée par un esprit de sérieux malvenu.

Selon une conviction peu fondée en raison, c'est le visible environnant qui doit pouvoir

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expliquer le visible présent là-devant. Remonter trop loin dans le temps, ou s'aventurer trop loin

dans l'espace pour rendre compte de ce qui est là-devant, ce serait ainsi se perdre dans la non-

significativité, peut-être même dans le délire. Pourtant, le délire, c'est plutôt de penser que l'action

de la matière sur elle-même serait soumise à des bornes temporelles ou spatiales faites à la mesure

de la faculté perceptive et intellectuelle de l'humain, ou de sa technologie. En droit, l'état d'un atome

situé sur mars cause d'une certaine manière l'état présent de mon système nerveux (et

réciproquement, d'ailleurs). Mais qui se soucie de cette action à distance ? Le neurologue sera bien

plus soucieux des substances environnant mon corps, éventuellement ingérées par lui. De ce fait, il

produit une science, dont les résultats sont d'ailleurs certains. Mais de toute façon, ces résultats ne

peuvent qu'être certains, puisqu'ils sont validés avec le même point de vue limité qui a permis leur

élaboration.

La fermeture de la perspective que nous évoquons ici est très certainement en rapport avec

une conception simplificatrice de la causalité, qu'il faut maintenant appréhender. Il s'agit d'une

causalité qui serait essentiellement unilinéaire, distinguant un causant et un causé, sans possibilité

d'inverser les rôles. Prenons n'importe quel phénomène matériel déterminé qu'il s'agirait d'expliquer

en détail. Au premier stade de l'explication, et de façon à peine consciente, il s'agit pour

l'observateur de considérer qu'un tel phénomène est comme privé de toute sa capacité d'affecter

positivement le monde, d'imprimer une force sur quelque objet du monde. Il est uniquement

déterminé, et non déterminant. Il est causé, et non causant. Il est mû, et non mouvant. Cette

passivité de principe du phénomène observé le prive ainsi de ce que l'on pourrait appeler son

"rayonnement".

Avant de poursuivre, expliquons brièvement cette idée de rayonnement. Un phénomène,

quel qu'il soit, possède un rayonnement en droit infini. Tout ce qui existe, aussi infime, aussi

éphémère soit-il, imprime une force qui se propage dans la totalité de l'univers et qui se prolonge

éternellement. Ceci aura été, pourra-t-on dire, et ainsi, le fait même que ceci ait occupé un espace,

qu'il ait diffusé une certaine quantité d'énergie pour une durée certaine, implique une configuration

et une intensité déterminées, attestant de sa présence, pour tout ce qui est, et pour chaque être

contenu dans ce tout.

L'observateur qui veut expliquer un phénomène le mutile d'abord, le plus souvent : il

occulte, plus ou moins délibérément, son rayonnement. Ainsi, ce que peut un corps, sa capacité à

diffuser une énergie de façon illimitée, au sein d'un espace ouvert et au cours d'un temps continu,

cela ne le concerne pas. Ce corps doit être perçu par lui comme n'agissant point. Il est comme

recroquevillé sur lui-même, assailli de toutes parts. L'objet visé ayant donc été, pour ainsi dire,

"neutralisé", il ne reste plus qu'à identifier les forces qui agissent sur lui. Et alors elles peuvent

toutes converger vers lui, comme aimantées à un seul centre fixe et immobile. Cet objet peut agir

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comme point de repère à partir duquel un environnement significatif sera finalement défini.

Supposons qu'il ne s'agisse pas d'abord d'expliquer un phénomène, d'identifier ce qui le

cause, d'envisager sa pure passivité, mais de rendre compte de sa puissance, de sa force, de sa

capacité d'affecter ce qui est, de la façon la plus précise et la plus complète possible. Serons-nous

alors tentés à un moment donné de nous arrêter dans notre investigation, de définir des bornes

spatiales ou temporelles pour une telle appréhension ? Rien n'est moins sûr. Car nous n'avons plus

affaire ici à la tendance centripète induite par l'observation de qui veut expliquer. Nous avons affaire

à une tendance centrifuge, qui détermine un mouvement se prolongeant indéfiniment dans

l'immensité spatio-temporelle. Certes, il faudra bien s'arrêter à un moment donné au cours de cette

investigation visant la puissance de l'objet, car nos perceptions restent limitées. Mais le caractère

contingent de la limitation apparaîtra alors, et l'infinité en droit du procès également.

On pourrait dire toutefois que l'explication en elle-même n'indique en fait peut-être pas une

limitation arbitraire de principe. La tendance centripète explicative peut tout aussi bien s'ouvrir à

l'immensité spatiale et temporelle. Un phénomène passif et déterminé peut très bien être conçu

comme étant déterminé par tout ce qui est et fut dans l'univers. On ne comprendrait donc toujours

guère en quoi une conception unilinéaire de la causalité impliquerait une fermeture de la

perspective. Pourtant, le fait même de se focaliser sur l'être-déterminé d'une chose, c'est en soi

fermer la perspective. L'idée d'une détermination multiple mais à chaque fois unilinéaire implique

celle d'enveloppement. Ce qui enveloppe doit être borné, par définition, ceci possède une

enveloppe, des contours déterminés. Au sein d'un espace illimité, ce qui enveloppe discrimine donc

: ce qui sera hors enveloppe est le non-significatif. Ainsi certaines bornes contingentes, déterminées

par une limitation humaine, trop humaine, trouveront un fondement logique, quoique fragile.

L'explication, la causalité unilinéaire, ferment la perspective : par elle, ce qui est visible là-devant

sera élucidé par un environnant donné dont les contours ne sont pas fonction d'une nécessité fondée

sur les choses mêmes.

Il serait intéressant de constituer une méthode dont le point de départ serait la puissance

d'affecter de la chose. De ce fait, l'ouverture de l'espace et la continuité du temps seraient posées.

L'action de la chose affirmerait son prolongement indéfini, précisément en tant qu'action. Sa

passivité à son tour, cela serait reconnu, exclurait l'idée même d'une non-significativité de tels ou

tels étants lointains, puisque cette passivité ne serait comprise que conjointement à ladite activité

indéfiniment prolongée. Cela ouvrirait, au sens strict, la perspective. Une causalité circulaire serait

développée systématiquement, élucidant les rapports de toutes les choses entre elles, des plus

proches, des plus semblables, aux plus lointaines et aux plus différentes.

Un tel programme de travail réjouirait un certain démon laplacien. Et encore, est-ce

seulement suffisant ?

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Tout est un

Une certaine interprétation du continuum bergsonien, associée à un hégélianisme remanié,

devrait nous permettre de penser le devenir des divers secteurs de l’étant.

Le continuum bergsonien, en toute cohérence, implique l’unité de tout ce qui est. L’univers

chez Bergson, conçu comme tout, est comparable au vivant en tant qu’individu : il est évolution

créatrice, surgissement continuel de l’absolument nouveau. L’univers comme tout, donc, avec

Bergson, pourrait bien lui aussi posséder quelque durée pure qui est le propre des données

immédiates profondes de la conscience humaine. L’univers pourrait bien renvoyer à une durée non

spatialisable, non homogène, à une multiplicité qualitative comparable à une mélodie musicale, en

laquelle chaque temps pénètre tous les autres sans que l’on puisse opérer des distinctions tranchées.

L’univers, temporellement parlant, pourrait bien être inquantifiable (la physique mathématique étant

dès lors apparemment une erreur en soi, car étant incapable de penser ladite évolution créatrice

physique).

Une conséquence d’un tel continuum physique qualitatif est la suivante : si l’on veut penser

quelque « surgissement » de la matière, alors nécessairement, c’est une seule première matière qui

surgira. En effet, au sein d’un continuum qualitatif, deux matières distinctes ne peuvent surgir

simultanément. Car pour penser cette simultanéité il faudrait penser ces deux matières distinctes au

sein d’un instant t qui serait une sorte d’atome temporel. Mais pour saisir le « moment » de la

simultanéité, on est entraîné vers une régression à l’infini. La simultanéité pose une durée

simultanée, c’est-à-dire un intervalle de temps en lequel deux étants se manifestent simultanément.

Mais il y a là contradiction : tout intervalle contredit l’idée de simultanéité, car il n’est pas

instantané. On divisera ainsi davantage le pseudo-atome temporel pour parvenir à ladite

simultanéité. Mais encore on tombera sur un intervalle. On cherche l'instant t, mais on ne tombe

jamais que sur l'intervalle entre quelque t et quelque t', et ce à l'infini. Une physique rigoureuse,

c'est-à-dire ne sombrant pas dans l'aberration logique de la régression à l'infini, pose une première

matière surgissante. La physique d'aujourd'hui parle d'ailleurs de singularité initiale de l'univers,

conformément à ce point de vue. Là où elle pèche, c'est dans le fait de ne pas voir que le fait de

poser cette singularité initiale, ou le continuum bergsonien étendu à la physique, implique

l'invalidation de toute mathématisation, de toute spatialisation du temps physique, de toute saisie de

la durée du tout physique comme mouvement réduit à quelques intervalles juxtaposés (ou encore : il

faudrait penser, si cela est possible, une mathématique de la physique qui serait qualitative, un

nombre pensant le mouvement comme mouvement, et non comme intervalle au sein duquel sont

juxtaposées des simultanéités).

La singularité initiale de l'univers signifie que tout est un. Car c'est non seulement dans

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l'évanouissement, mais aussi et surtout dans le surgissement, que l'être d'un phénomène est donné.

Cette unité initiale du tout signifie que sa pluralisation, son effectuation, sa division, sa sortie hors

de soi, sa segmentation, son expansion, son devenir-autre-que-l'unité, est une façon de confirmer

l'unité de départ, de devenir-un-dans-le-pluriel, de devenir-soi dans le devenir-autre-à-soi, de se

contracter dans le mouvement même d'explosion surgissante.

S'il y avait deux matières initiales surgissantes, il n'y aurait pas de réunion possible du tout.

Il y aurait une division à l'infini, une pure expansion sans force de rassemblement, une explosion

indéfinie se décentrant toujours plus, asymptotiquement, une pure linéarité toujours plus

complexifiée désespérante, un progrès sans retour dans soi, sans réflexion dans soi, sans

sursomption (Aufhebung). Mais en toute logique, selon une logique qualitative, il y a une seule

première matière, une singularité initiale, et donc il y a devenir-unité indéfini, effet de spirale,

progrès comprenant un retour en soi, sursomption.

Si tout est un, alors la logique qualitative qui règle la physique est aussi la logique du vivant,

de l'histoire humaine, et de l'existence humaine individuelle. Hegel lui-même avait eu cette

intuition. Tâchons de retravailler sur cette intuition, avec donc pour fil directeur l'idée d'un

continuum bergsonien.

I Extension du continuum bergsonien au champ physique

La loi de la gravité suffit à énoncer ce qu'il s'agit d'énoncer. Une planète gravite autour du

soleil. Elle « tombe » vers le soleil, et simultanément, à l'intérieur d'un champ gravitationnel de

forces, elle « fuit » le soleil. Par une compensation des forces, il s'avère que la planète « tourne »

finalement autour du soleil. Il y a là, à la fois contraction (chute) et expansion (fuite), et,

finalement : ajustement (révolution). Au fil de son effectuation, de sa pluralisation, la planète tend à

s'éloigner toujours plus de ce autour de quoi elle gravite. Mais une force de contraction, un devenir-

unité-de-soi, un repli sur soi sursumant, tend à assurer le maintien d'une trajectoire elliptique.

A l'échelle du tout de l'univers, lequel univers est un individu singulier comparable au tout

du vivant, ou au tout d'un individu conscient, il y a bien explosion et implosion simultanées,

devenir-ajustement, devenir-un de l'unité initiale dans son mouvement même d'expansion et de

complexification (surgissement-évanouissement, en une seule fois, toujours déjà, actuellement et de

toute éternité).

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II Extension du continuum bergsonien au champ biologique.

Nécessairement il y a une première vie. La vie au fil de sa particularisation, de sa

pluralisation, de son expansion, de sa complexification, de sa spéciation, est aussi devenir-centre,

concentration, spécification, réflexion dans soi. Une bactérie donnée engendre une grande variété

d'individus. Ces individus se séparent eux-mêmes toujours davantage, au sein d'espèces

différenciées. Mais chaque espèce tend à confirmer toujours davantage son être-espèce, tend à

préciser ses contours, au fil de la sélection naturelle. Dès lors, la spécification de chaque espèce

apparaît comme une manière de confirmer la singularité initiale de la première vie, de rejoindre

l'unité primordiale, et de s'identifier au tout du vivant, par-delà les différences qui sont toujours

plus, paradoxalement, précisées quoique dissoutes par ce fait même.

III Extension du continuum bergsonien au champ historique

L'histoire commence avec l'écriture. L'esprit des peuples se saisit dans l'extériorité d'un signe

tracé, et dans cette reconnaissance d'une effectuation de soi par soi, dans cette expansion re-saisie,

dans cette aliénation sursumée, plus conséquente encore que l'aliénation liée à l'apparition du mot

parlé, lequel n'est pas encore « objet » ou « chose » visible et palpable, dans ce devenir-autre-à-soi

dépassé et conservé, donc, l'unité initiale historique comme conscience reflétante-reflétée surgit.

Cette unité dédoublée dans soi se pluralise, se déchire, durant les conflits ou guerres : ici, le signe

comme « objet » a priori re-saisi est réifié, il est aboli comme signifié, il n'est plus que pur

signifiant. La parole diplomatique est dès lors supprimée elle-même. Il y a donc bien aliénation de

l'aliénation sursumée singulière initiale, soit retour à l'unité physique ou biologique pure initiale

(destruction, déchaînement de la violence brute). L'humanité se retrouve « elle-même », avant

l'humanité, dans son identité à la matière sans conscience. Elle découvre par là sa spécificité

d'humanité qui est l'être-aliéné sursumé, qui est la matière physique ou biologique sursumée et

dédoublée, précisément en niant ce dédoublement via la violence déchaînée (lutte des classe, des

« races », des religions, des peuples, des hommes et des femmes) : c'est lorsqu'une réalité est

temporairement détruite que son existence est attestée pour soi.

Le conflit a une vertu « positive », par-delà l'horreur impardonnable, inqualifiable, du

désastre qu'il cause : l'humain se connaît lui-même, car ce qu'il est lui-même (l'écrit) a été aboli : il

éprouve sa singularité dédoublée, et sursumant le dédoublement, face à son abolition. Le devenir-

unité de l'histoire humaine se calque néanmoins sur celui du physique et du biologique : les conflits,

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le devenir-autre-à-soi, sont aussi une concentration, un retour sur soi, une expérience par laquelle la

conscience d'une unité de l'humain s'avère (ainsi, après la deuxième guerre mondiale apparaît un

droit international écrit posant la notion de crime contre l'humanité). Mais l'humain historique est

unité dédoublée, à sursumer indéfiniment, déchirure constante : le devenir-unité est, soit suicide

désespéré, évanouissement sans rassemblement, soit paix perpétuelle. Rien n'est déterminé à

l'avance, par-delà les déterminismes physiques et biologiques. C'est l'écrit comme déchirure, et sa

négation, la guerre, la déchirure déchirée, qui façonnent cette liberté terrifiante.

Aujourd'hui, au XXIème siècle, « notre héritage n'est précédé d'aucun testament » (René

Char). Les traces du passé n'éclairant plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres. Le signe n'est

plus que « communication », et non transmission d'un héritage mondain solide. Le conflit est

spectaculaire, la violence est essentiellement symbolique et psychique (chez « nous » du moins).

Dans le meilleur des cas, nous ne percevons plus que la beauté, par exemple, de la Résistance, mais

non les mots qui l'accompagnent : car ces résistants n'ont pas su les dire, ou nous n'avons pas les

oreilles pour les entendre. Cela étant, nous sommes dès lors capables de dépasser toute téléologie

hégélienne pernicieuse et potentiellement totalitaire, par le fait même de notre déroute.

Cette parabole de Kafka s'adresse à nous, et nous avons à la résoudre pour avancer et ne pas

périr sous peu : « Il y a deux antagonistes : le premier le pousse de derrière, depuis l'origine. Le

second barre la route devant lui. Il se bat avec les deux. Certes, le premier le soutient dans son

combat contre le second car il veut le pousser en avant et de même le second le pousse en arrière.

Mais il n'en est ainsi que théoriquement. Car il n'y a pas seulement les deux antagonistes en

présence mais aussi, encore lui-même, et qui connaît réellement ses intentions ? Son rêve,

cependant, est qu'une fois, dans un moment d'inadvertance - et il y faudrait assurément une nuit plus

sombre qu'il n'y en eut jamais – il quitte d'un saut la ligne de combat et soit élevé, à cause de son

expérience du combat, à la position d'arbitre sur ses antagonistes dans leur combat l'un contre

l'autre » (HE).

La force qui pousse de derrière, le passé, est le principe du surgissement : le biologique

comme absolue nouveauté au sein de l'éternité physique. La force qui barre la route, le futur, est la

physicalité, dont l'éternité signifie notre finitude ; elle est le principe de l'évanouissement, la force

qui « inscrit » sur la pierre tombale du dernier homme : « rien de ce qui est humain ne m'est

étranger ». Si nous comprenons que ces deux sphères, qui sont pour l'instant deux modalités

temporelles différentes pour nous, mais non en soi, sont prises dans le même devenir-un (celui de la

matière en général), alors nous pourrons nous ménager un espace au sein de la brèche en laquelle

nous tentons de lutter, plutôt que de vouloir quitter le champ de bataille (ce fait de fuir étant

idéalisme, lâcheté, nihilisme, négation de l'existence et de l'être ; cf. Hegel, et un certain marxisme).

Nous ne serons plus l'élément perturbateur créant une scission temporelle, car les deux modalités du

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temps que notre existence oppose seront réunifiées dans leur devenir-synthèse, précisément. C'est

finalement la durée pure, le continuum bergsonien, qui sera la loi de tout ce qui est (joie, non-

scission). Nous aurons su « lire » l'héritage sans testament. Nous aurons su lire ces mots : Celui qui

a épousé la Résistance a découvert sa vérité.

Les peuples humains à travers l'histoire se pluralisent toujours davantage : mœurs de plus en

plus diverses, communautés de plus en plus nombreuses, croyances de plus en plus variées. Mais en

même temps, chaque groupe en particulier tend à confirmer ses caractères propres spécifiques, à se

centrer. Cette sur-spécification est une façon de rejoindre le tout-un de l'humain. Toute communauté

développe toujours plus à fond ses différences propres, et dès lors rend toujours plus possible la

rencontre avec d'autres communautés. Dans le réseau en question, le devenir-centre correspond à la

multiplication des embranchements reliant les points mis en réseau.

Des groupes d'hommes fanatiques ou violents n'ont pas développé à fond la spécification de

leur communauté (ainsi des fanatiques musulmans, des intégristes chrétiens, ou des « sionistes »

ultranationalistes, qui ne savent pas lire les textes sacrés). Mais ces hommes pourtant,

éventuellement, dévoilent l'humain déchiré à lui-même, et signifient une volonté de sursomption

(volonté peut-être jamais satisfaite néanmoins).

IV Le continuum bergsonien dans le cadre d'une existence individuelle

Le saut qualitatif qu'est la naissance d'un individu détermine son identité de vivant animé.

La continuité qui détermine l'acquisition du langage est une singularité initiale qui est également

conditionnante.

Mais l'essentiel reste l'amour. Le premier amour, la mère, le père, ou l'amant(e) initial(e),

conditionne une tonalité affective globale. Chaque nouvel amour est la quête de la disposition et de

l'intensité du premier. C'est à la fin de ce nouvel amour que l'on découvre ce qu'était le premier,

toujours déjà : une épiphanie. L'extase peut être forte. Une certaine déception également. Il faut

savoir épouser la grâce : la continuité du mouvement, un geste en anticipant un autre, au sein d'un

espace-temps courbe et ouvert, non fragmenté...

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II Certaines failles de Kant

La ruse du chinois de Königsberg

Serait-il possible d'appliquer certains outils du criticisme kantien mobilisés dans la

dialectique transcendantale pour critiquer alors une certaine prétention de Kant lui-même à la

déduction, prétention qui n'aurait pas été en cohésion avec l'idée même d'une philosophie

transcendantale ? Cela pourrait se faire en ayant pour horizon le rapport qu'entretiennent l'ontologie

phénoménologique et herméneutique de Heidegger et la philosophie spéculative kantienne.

Rappelons que Heidegger voyait dans la deuxième édition de la Critique de la raison pure la

manifestation d'une régression par rapport à la première édition : la première édition correspondrait

à une analytique de la disposition transcendantale du sujet tandis que la seconde s'apparenterait à

une démonstration de la validité objective de l'entendement humain (dans l'Analytique

transcendantale spécifiquement). Cette simple remarque renvoie à un vaste programme de

recherche, mais j'aimerais lui associer une réflexion personnelle, réflexion qu'une lecture d'une page

de Salomon Maimon a inspirée.

Je présenterais d'abord brièvement les outils critiques élémentaires employés par Kant pour

réfuter la preuve ontologique de l'existence de Dieu (Critique de la raison pure, Dialectique

transcendantale, De l'idéal de la Raison pure, I).

Puis je tenterai de m'emparer de ces outils pour suggérer très rapidement un mouvement de

renvoi réciproque à l'oeuvre dans la tentative kantienne de fondation transcendantale (logique et

esthétique), mouvement circulaire et tautologique en lequel nulle existence, d'un point de vue modal

donc, de quelque a prioricité des dispositions subjectives du sujet connaissant ne saurait être déduite

ou démontrée, ou encore ajoutée synthétiquement via une prédication conclusive.

Cette impossibilité de la déduction n'est toutefois pas une impossibilité de la monstration.

C'est là qu'une interprétation phénoménologique des écueils du kantisme et du dépassement

éventuel de ces écueils (via le passage à une ontologie descriptive, précisément), pourra être

envisagée.

Les derniers développements proposent d'autres éclairages, épars.

1) Présentation brève de la réfutation kantienne de la preuve ontologique de l'existence de

Dieu

Règle fondamentale : « la nécessité inconditionnée des jugements (analytiques) n'est pas la

nécessité inconditionnée des choses et de leur existence »

Par exemple, si l'on pose la condition qu'un triangle existe, il y a aussi en lui trois angles

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nécessairement. Mais l'existence réelle du triangle n'est pas pour autant posée nécessairement : on a

simplement posé une condition hypothétique : nous supposerons qu'il existe. Une supposition, une

condition posée par hypothèse, n'est pas la preuve de l'existence de la chose ainsi posée. Autrement

dit, on ne saurait prouver une existence par le moyen d'une proposition qui présuppose cette

existence sans la prouver.

Soit le jugement analytique : « le triangle est composé de trois angles ».

Si je supprime le prédicat (trois angles) et que je conserve le sujet (triangle), il y a

contradiction : un triangle sans ses trois angles se contredit lui-même. Mais si je supprime le sujet

en même temps que le prédicat, il n'y a plus de contradiction : le jugement analytique qui définit la

propriété essentielle du triangle implique la liaison nécessaire entre une condition (triangle) et sa

conséquence (nécessaire), mais il n'implique pas le fait qu'il y aurait une contradiction à dire que la

condition elle-même ne renvoie à aucune existence réelle, d'un point de vue modal.

Pour le dire plus simplement : s'il doit y avoir un triangle, alors il devra posséder trois

angles. Mais nous ne disons rien ici en ce qui concerne l'existence réelle de tel ou tel triangle. Il ne

faut pas confondre une nécessité logique, analytique, avec une nécessité réelle des choses

existantes.

On appliquera la même méthode pour invalider la preuve ontologique de l'existence de Dieu.

Cette preuve se réduit au syllogisme suivant :

La perfection implique l'existence.

Or Dieu est perfection.

Donc Dieu existe.

Cela revient à dire que Dieu est, en vertu de sa définition.

Soit le jugement analytique : « Dieu, parfait, existe nécessairement ».

Si l’on supprime le prédicat (existence nécessaire) mais que l'on conserve le sujet (Dieu

comme perfection), alors il y a contradiction : si un Dieu parfait est posé, il ne peut qu'exister

nécessairement, puisque l'existence nécessaire découle analytiquement de la perfection. Néanmoins,

si l'on supprime en même temps le sujet et le prédicat, il n'y a nulle contradiction : car Dieu, dans un

jugement analytique censé définir son être, n'est qu'une supposition, une hypothèse, au même titre

que tout concept ou que toute idée que l'on cherche simplement à appréhender d'un point de vue

logique, en saisissant ses propriétés fondamentales. Or supposer ne constitue pas une preuve de

l'existence. Donc nous pouvons très bien supprimer Dieu en même temps que son prédicat sans que

cela soit une absurdité contradictoire.

Pour simplifier à nouveau, on pourrait dire : s'il y a un Dieu, parfait, alors nécessairement il

existe. Autant dire donc : s'il y a un Dieu, alors nécessairement il y a un Dieu. Il s'agit là d'une

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tautologie un peu ridicule finalement, qui ne nous fait pas progresser d'un pouce sur le chemin d'une

connaissance positive du divin. Car on peut toujours opposer ceci à cette tautologie : oui certes,

mais vous devez reconnaître que votre hypothèse de départ (poser Dieu comme sujet dans un

jugement analytique) est une hypothèse et non un savoir relatif à l'existence de la chose, et alors il

sera également possible de dire : il se peut que Dieu n'existe pas, puisqu'il n'est qu'une condition

hypothétique, et alors dans ce cas il n'y aurait pas de Dieu parfait.

De même, on peut envisage un monde sans triangle réel ou existant. Cette inexistence du

triangle n'invalidera pas pour autant le fait que, si un triangle est donné, alors nécessairement il aura

trois angles. Un triangle est possible : son concept n'est pas contradictoire (de même, une certaine

idée de Dieu peut ne pas être contradictoire). Sa définition indique également cela. Mais cette

possibilité ne préjuge en rien de la nécessité de son existence.

2) Kant contre Kant

a) Pétition de principe dans l'Analytique transcendantale

Il y a quelque chose qui me chiffonne dans l'Analytique transcendantale de la Critique de la

raison pure, une sorte de pétition de principe assez étonnante, dans la manière dont elle est tournée

(Nietzsche s'est d'ailleurs souvent moqué de ce genre de travers kantiens) : pour résumer, si j'ai bien

compris, l'objectivité d'un jugement est fondée par le caractère a priori des catégories (elles-mêmes

soumises à l' unité synthétique de l'aperception transcendantale, du « Je pense ») ; mais celles-ci

sont a priori parce qu'on voit bien que les jugements qu'elle permet sont objectifs. Il y a là une

circularité évidente : le fondement (catégories a priori) est fondé par ce qu'il fonde (objectivité des

jugements). Il n'y a pas de base solide. Kant, tout comme Descartes lorsqu'il entend prouver

l'existence de Dieu (mais en un sens bien différent il faut l'admettre), lui aussi présuppose ce qu'il

faut démontrer – l'a priori des catégories – pour le démontrer.

Soit le jugement : « des catégories a priori (aperception transcendantale) fondent

l'objectivité d'un jugement de connaissance ».

Appliquons alors la méthode que Kant emploie pour réfuter l'argument ontologique, mais à

l'encontre de la déduction transcendantale des catégories : si l'on supprime le prédicat (objectivité

du jugement), alors le sujet (catégories a priori, aperception transcendantale) est contradictoire ;

mais on peut très bien supprimer le sujet et le prédicat en même temps, et alors il n'y a pas de

contradiction. Le fondement transcendantal des catégories doit être soumis à la même critique que

l'idéal de la raison pure (il s'effondre).

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b) Va-et-vient sans fondement dans l'esthétique transcendantale

On pourra procéder de même en considérant l'esthétique transcendantale (mais alors il s'agit

d'une exposition des formes de la sensibilité, et non de leur déduction ; le problème est différent).

Résumons l'idée de l'esthétique transcendantale : parce que des jugements synthétiques a priori sont

possibles (existence d'une géométrie apodictique) alors les formes a priori de la sensibilité qui les

rendent possibles sont attestées de ce fait ; mais ne faut-il pas supposer que sans cette faculté, la

possibilité de ces jugements présupposée au départ serait remise en cause ? Ainsi, on veut montrer

l'existence d'une disposition transcendantale (espace et temps comme intuitions pures a priori) en

recourant à une présupposition (possibilité de jugements synthétiques a priori) qui sera invalidée si

cette faculté n'existe pas ; autrement dit, on cherche à montrer qu'une chose existe en se basant sur

un fait qui n'existerait pas sans elle.

Soit le jugement : « l'espace et le temps comme intuitions pures rendent possible les

propositions synthétiques a priori de la géométrie ».

Si on supprime le prédicat (propositions synthétiques a priori), le sujet est contradictoire ;

mais si on supprime à la fois le sujet et le prédicat, il n'y a nulle contradiction.

3) Prolongements

L'Esthétique transcendantale est une exposition, non une preuve. En ce sens, elle s'assume

en tant que pétition de principe (en tant qu'explicitation pour ainsi dire). De ce fait, on ne peut pas la

soumettre à la méthode critique qui est en jeu dans la réfutation de la preuve ontologique en disant

que cette méthode critique la démonterait de part en part. Cette méthode critique est utile

simplement pour montrer à quel point il est pertinent, de la part de Kant, de parler d'exposition dans

ce contexte, et non de déduction (ainsi le problème de la circularité ne se pose même pas). Mais

alors, on doit bien comprendre que l'analytique des concepts elle-même devrait se conformer à la

manière de l'esthétique transcendantale pour ne plus être circulaire et absurde (elle doit renoncer à

toute déduction) : elle doit reconnaître qu'elle est plus une élucidation, une explicitation, une

exposition, qu'une démonstration ou une preuve.

L'écueil du kantisme est cette déduction transcendantale qui aurait dû être davantage

explicitation, exposition transcendantale - et elle tend à l'être dans la première édition : il y a dans la

première édition, explicitement, une présentation transcendantale des synthèses de l'appréhension

dans l'intuition, de la reproduction dans l'imagination, et de la recognition dans le concept, qui se

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veut présentation et non démonstration ou déduction. Néanmoins l'écueil persiste, même dans la

première édition. Cet écueil annonce la nécessité de la phénoménologie comme philosophie

transcendantale fidèle à elle-même : laquelle devra donc être purement descriptive (explicitante,

voire interprétante si elle est herméneutique ; jamais démonstrative).

Heidegger, dans l'introduction d'Etre et temps, expose clairement le fonctionnement de sa

pensée (jusqu'au tournant – Kehre - tout du moins), fonctionnement qui se situe par-delà toute

logique logicienne. Apparemment, un logicien vous dira que la démarche qui consiste à s'enquérir

d'une analytique existentiale du Dasein, en tant qu'elle doit préparer le terrain pour l'élaboration de

la question du sens de « être », est une façon de « tourner dans un cercle » : car ce que l'on

recherche, le sens de « être », sur le chemin qui doit nous acheminer vers ce sens, on le présuppose

apparemment, dans le mouvement même de dégagement des structures existentiales, dans la mesure

où ce dégagement s'empare lui-même, pour s'opérer, d'une certaine signification disponible du mot

« être ». Cela étant, dire qu'il y a là un cercle, ce serait oublier qu'il existe une entente «

préontologique » du sens de « être », vague et confuse certes, mais en laquelle nous sommes

toujours déjà jetés, et qui guide et oriente notre démarche (horizon de la temporalité). Ainsi donc,

plutôt qu'une circularité dans laquelle seraient pris un fondant et un fondé qui le fondrait à son tour,

il y a un va-et-vient continuel entre deux instances (un questionnant et un questionné)

s'approfondissant mutuellement au fil du cheminement herméneutico-ontologique, un mouvement

d'auto-élucidation sans fondement, une stricte réciprocité de rapport donc : le questionnant (Dasein)

se déployant indique et approfondit de ce fait le questionné (être), car « il y va en son être de cet

être » ; le questionné pris pour thème et approfondi en tant que tel indique quant à lui l'interrogé

(Dasein) en son être, et élucide quelque peu cet être s'il est lui-même élucidé.

Kant, sans la thématiser de cette manière, mobilise, dans son Esthétique transcendantale,

plus ou moins ce genre de « méthode » d'auto-élucidation progressive cheminant en un va-et-vient

continu entre deux instances complémentaires (même s'il s'agit plus spécifiquement peut-être d'un «

raisonnement » ab actu ad posse). Il n'y a pas de fondement transcendantal (analogue à

l'aperception transcendantale de l'Analytique) à partir duquel on pourrait déduire la nécessaire

existence des formes pures de l'intuition (espace et temps). Ces formes ne sont pas déduites, elles

sont simplement exposées : montrées, présentées, proposées, décrites, explicitées, élucidées,

définies. Le rapport chez Kant entre l'existence simplement constatable des propositions

synthétiques a priori de la géométrie par exemple et le caractère a priori, nécessaire et universel,

transcendantal, de l'espace et du temps, est plus ou moins analogue au rapport qu'il y a entre la

structuration ontologique du Dasein et le sens de « être » chez Heidegger : approfondir l'un, c'est

approfondir l'autre, mais il importe peu de savoir lequel fonde l'autre, car tous les deux sont posés

en tant que montrés ou décrits (non en tant que démontrés ou déduits). Kant affronte l'effondement,

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le sans-fond dans son esthétique transcendantale : il se contente d'exposer l'infondable, sans fournir

de preuve, et son terme même d' « exposition » est l'aveu d'un irrationalisme relatif contaminant son

geste (si rationalité signifie démonstration à partir de principes ou d'axiomes établis). Une entente

préontologique précède et guide également sa démarche dans ce contexte : mais cette entente

concerne plus l'entente d'un « fait » que d'un « sens » ; l'entente du fait précisément d'une certaine «

auto-affection », pour employer le concept de Michel Henry. Le sujet se sent affecté par une

disposition sensible, intuitive, qui lui est absolument propre, et qui ne peut qu'être a priori en tant

que propre, non issue de l'expérience, et ce tandis qu'il appréhende la succession dans le temps et la

juxtaposition dans l'espace des phénomènes, et ainsi la dimension universelle et nécessaire des

propositions synthétiques de la géométrie pure par exemple, ne devient que plus évidente, que plus

claire, que plus distincte et certaine, au fil de cette auto-affection.

Kant au fond se contente de nous montrer constamment ce qui existe : il existe des facultés,

des jugements synthétiques a priori, des formes pures de l'intuition, des catégories pures de

l'entendement. En cela il serait un bon phénoménologue, il construirait une philosophie

transcendantale cohérente (admettant son « irrationalisme » relatif). Cela étant, ce qu'il ne doit que

montrer, il se permet aussi de le démontrer, dans l'Analytique précisément, et alors il est aussi

critiquable que les positions qu'il déconstruit dans sa dialectique transcendantale, comme j'ai essayé

de le suggérer (Kant présente ce qui est ; il ne devrait pas avoir à le représenter dans une

démonstration).

D'abord, c'est le principe même d'une déduction dans un cadre analytique qui est choquant à

vrai dire... L'analyse est explicative, comme le reconnaît d'ailleurs Kant dans son introduction ; une

explication qui démontre, qui déduit, c'est un peu exagéré. Je dirais qu'elle élucide, approfondit la

chose ; certes, on peut employer un syllogisme pour établir l'analyse d'un concept ; mais on parle

abusivement de déduction alors - il y a inférence logique, mais non pas déduction au sens de preuve

transcendantale. Au fond, Kant veut simplement montrer que l'analyse d'un certain concept

(catégories pures de l'entendement) contient bien un certain élément déterminé (fondement de la

possibilité de jugements synthétiques a priori) ; pour ce faire, il suffit juste de pénétrer le concept,

et de voir ce qui s'y trouve (ce que Kant fait d'ailleurs).

Si l'on veut analyser un concept donné, comme le concept de "vérité" par exemple : on

pénètre le concept, et l'on y trouve certaines idées, comme l'idée de correspondance. Où est la

déduction transcendantale là-dedans ? Il ne s'agit que d'une définition disponible a priori, exposable

a priori, si bien que tout un chacun, utilisant régulièrement le mot correspondant au concept, pourra

dire, face à cette définition : effectivement, c'est bien ce que je voulais dire en employant ce mot.

On peut alors proposer un syllogisme pour affermir l'analyse du concept de vérité,

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syllogisme du type :

Toute adéquation est correspondance.

Or toute vérité est jugement en adéquation avec la chose jugée.

Donc toute vérité est correspondance.

Mais alors la majeure est elle-même une définition apodictique sans preuve (analytique),

ainsi que la mineure : on ne fait que combiner deux expositions analytiques sans preuve, deux

définitions, pour en inférer l'élément de la définition que l'on recherche. Dire qu'on « prouve » quoi

que ce soit dans ce contexte est exagéré.

De toute façon, quand bien même Kant en resterait à l'analytique pur, explicatif et non

déductif, il resterait dans une mauvaise posture : car il ne peut rien montrer quant à l'existence tant

qu'il reste dans ce secteur (or, il faut bien que le caractère a priori des catégories "existe" un tant soit

peu tout de même). En passant au déductif, il essaye de se sortir de cette impasse analytique. Mais

c'est peine perdue, car précisément l'analytique ne cohabite qu'avec une pseudo-déduction.

Heidegger apprécie la première édition de la Critique de la raison pure, car elle s'assume davantage

comme analytique, comme "description" et contourne plus ou moins l'écueil de la démonstration ;

elle est en cela conforme au projet transcendantal, plus cohérente ; mais ce qu'il faut voir aussi, c'est

que le contexte analytique empêche de passer à la position d'une existence, d'un point de vue modal

(ainsi, par cette analytique, les jugements synthétiques a priori demeurent possibles, non

contradictoires, ainsi que les facultés transcendantales correspondantes, mais leur réalité est

menacée, ce qui est plus que problématique). Puisque déduction et analyse sont à exclure, il faudrait

donc envisager une monstration qui ne serait pas analytique, une monstration "synthétique", en un

sens très spécifique. Voyons ce qu'il en serait.

L'Analytique transcendantale, pour la rendre peut-être plus conforme à l'esprit de la

philosophie transcendantale (qui est descriptive en vertu de la position qu'elle occupe), devrait être

réenvisagée dans le cadre d'une monstration précise, d'une exposition transcendantale, d'une

présentation : il s'agirait de se référer à la manière de procéder de l'Esthétique transcendantale, et, si

l'on ouvre la perspective, également à la « méthode » descriptive ontologique heideggerienne (auto-

élucidante, non fondée), afin de repenser les résultats de la déduction transcendantale des

catégories. Ainsi, nous avons deux éléments en présence : le caractère a priori des catégories,

renvoyant à l'unité synthétique de l'aperception transcendantale (du « je pense ») ; et l'existence de

jugements objectifs, résultant de l'application des catégories aux intuitions empiriques via le

schématisme transcendantal. Le premier élément est censé fondé l'autre, mais on voit bien vite que

l'autre à son tour permet d'affirmer la nécessité du premier. Dans ce mouvement, le premier comme

le second n'est pas confirmé dans son existence. En outre, il s'agit d'un jugement analytique : si le

premier élément existe, alors le second aussi, nécessairement. Mais ce « si » implique qu'on pose la

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condition par hypothèse, mais qu'elle n'est pas pour autant prouvée, en tant qu’existante. On peut

très bien supprimer les deux éléments sans contradiction. A dire vrai, il faut ici renoncer à la

déduction (recherche du fondement) comme à l'analyse au sens traditionnel (définition a priori), et

trouver une troisième voie : une voie synthétique non déductive, non démonstrative, qui est associée

donc à une entente préontologique d'un fait ou d'un sens précédant et guidant sa démarche (principe

opérant la synthèse monstrative), et qui sera une démarche d'auto-élucidation d'éléments pris dans

un rapport de stricte réciprocité. Nous avions vu que cette entente préontologique, dans le cadre de

l'Esthétique transcendantale, pourrait être une forme d'auto-affection du sujet sensible ou

intuitionnant éprouvant la propriété absolue de ses propres dispositions réceptives. Il en sera de

même en ce qui concerne l'Analytique transcendantale. Mais alors cette auto-affection n'est plus

simplement celle d'un sujet réceptif, mais celle d'un sujet mobilisant sa réceptivité sensible et la

spontanéité de sa pensée simultanément. Autrement dit, cette auto-affection renvoie à un accord, à

une harmonie au moins possible entre les facultés (intuition, imagination. entendement). Or, quand

se manifeste cette harmonie, ce sens commun ? Dans l'expérience esthétique précisément, comme

nous l'apprend la Critique de la faculté de juger, dans la contemplation désintéressée du beau, soit

d'une « forme finalisée sans fin ». Autrement dit, l'auto-affection que nous cherchons pour fonder

une certaine démarche descriptive, « monstrative », qui aurait dû être à l'oeuvre dans l'Analytique

transcendantale, renvoie tout simplement au sujet mobilisant sa faculté de juger réfléchissante

esthétique, et qui, dans cette réflexion des belles formes au sein d'une imagination « jouant »

librement avec un entendement indéterminé (non contraignant), sent qu'il s'homogénéise, se

fluidifie, se réunifie en lui-même par lui-même, par-delà la multiplicité de ses facultés hétérogènes.

Autrement dit, pour montrer qu'il existe des catégories a priori de l'entendement dont l'application

au divers de l'intuition rend possible des jugements objectifs, Kant n'aurait pas dû mobiliser quelque

opération déductive froide et logicienne : il lui aurait suffi de montrer ce que nous éprouvons face à

la beauté, ce qui se passe en nous alors, la manière dont l'harmonie entre nos facultés se manifeste,

la manière dont elles nous appartiennent alors, pour suggérer qu'elles nous sont absolument propres,

non issues de l'expérience dans leurs structures, a priori, universelles et nécessaires, en tant

qu'unifiées dans un sens commun. Certes, cette auto-affection est équivoque : elle ne peut postuler

qu'une universalité subjective. Mais elle courtise aussi l'assentiment d'autrui, et désamorce le

solipsisme latent d'une philosophie transcendantale à prétention purement rationaliste et objective,

pour ouvrir la voie à une intersubjectivité réglée. Ainsi l'auto-affection attachée au beau permettrait-

elle de manifester, pour une Analytique transcendantale remaniée, une sorte d'entente

préontologique qui précéderait et guiderait la démarche consistant à approfondir l'un par l'autre

(sans la perspective de fonder quoi que ce soit), progressivement, dans un va-et-vient continuel, le

caractère a priori des catégories d'une part, et l'objectivité des jugements d'autre part.

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Ainsi Kant aurait-il pu définitivement rejoindre le saut privé de sol qu'évoque Heidegger, et

voir dans la beauté l'apparition impossible de « l'éternellement inapparaissant » (Qu'appelle-t-on

penser ?) qui était sa quête impensée. Mais après tout, c'est lui-même qui a écrit la Critique de la

faculté de juger. Et cette jonction, il l'a peut-être faite. Mais il faut bien voir alors que cette

troisième critique n'est peut-être pas l'achèvement majestueux de son système, mais presque un

désaveu de ce qui précède.

4) Remarques éparses

a) Proposition

Ceux qui diront que Kant est avant tout démonstratif verront son geste critique comme une

théorie de la connaissance ; ceux qui verront qu'en toute cohérence, il doit être avant tout

explicitant, exposant, montrant, verront que sa philosophie transcendantale est « un travail pour

DEGAGER ce qui appartient en général à une nature » (Heidegger, Etre et temps, §3).

b) Précision

Il faut bien préciser que les catégories a priori de l'entendement, même si elles ont été

extraites de leur fondement avec la même méthode que celle que Kant emploie pour invalider la

réalité objective de l'idéal de la raison pure, n'ont pas pour autant le même statut que cet idéal de la

raison pure (idée de Dieu).

En effet, on ne peut prouver l'a priori des catégories (circularité), mais on peut le montrer

(ce que Kant fait implicitement dès le début de la critique de la raison pure : « vous voyez bien qu'il

existe une physique, une géométrie scientifiques, etc. » ; pétitions de principe). Cette monstration en

outre pourrait avoir pour fil conducteur une entente préontologique attachée à une auto-affection du

sujet jugeant de la beauté des choses. Elle aboutirait à affirmer la validité universellement

nécessaire du caractère a priori des catégories, certes de façon subjective, mais une telle certitude

subjectivement (ou intersubjectivement) universelle toutefois posséderait une certaine positivité.

En revanche, on ne peut ni prouver ni montrer Dieu. En effet, il n'y a pas d'auto-affection qui

pourrait approfondir un passage entre l'idée de Dieu et sa réalité, car ici les deux facultés en jeu

(sensibilité, condition de toute réalité empirique, et raison pure, présentant l'idée de Dieu) sont

infiniment éloignées, et n'ont un contact, dans la réalité affective du sujet, que dans l'expérience du

sublime, contact négatif essentiellement, qui ne permet pas de postuler la possibilité d'une

application des concepts rationnels purs à l'expérience.

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Ceci étant posé, mon idée est la suivante. C'est l'impossibilité de montrer, de présenter la

réalité objective des idées de la raison pure qui devrait être critiquée, et non l'impossibilité de les

démontrer ; car les catégories de l'entendement, ainsi que les formes pures de l'intuition sont elles

aussi indémontrables, non déductibles sans circularité, quoiqu'elles sont exposables ; si on critique

les idées de la raison pure parce que leur contenu est indémontrable, alors les catégories elles-

mêmes deviennent critiquables (elles ne sont pas démontrables, ce que Kant occultait, jusqu'à sa

troisième critique) ; il faut les critiquer parce qu'elles ne sont pas présentables a priori ou dans

l'expérience, et ainsi ce qui distingue le temps et l'espace ainsi que les catégories de ces idées de la

raison pure sera bien établi.

c) Terminologie

Dans le cadre de cette révision possible de la philosophie transcendantale classique, on ne

devra plus parler de "fondements" transcendantaux pour évoquer les formes a priori de la sensibilité

ou les catégories pures de l'entendement, mais de "structures" transcendantales, elles-mêmes issues

d'un sans-fond, d'un abîme ontologique (de par la circularité de toute quête du fondement, et de par

l'application rigoureuse du principe de raison suffisante nous menant droit vers l'effondement). Les

structures transcendantales ainsi décrites se situent sur un plan d'immanence qui ne peut qu'être

exposé, non déduit. La notion de structure indique bien qu'elle est en relation avec une entente

préontologique directrice, mais vague et confuse : elle propose un cadre, un principe régulateur, un

principe d'articulation, pour ce qui est au départ sans contours, désordonné et désarticulé (une forme

de rationalité structurelle encadre l'irrationnel par mesure de contention, et pour dégager les forces

de l'irrationnel -auto-affection- de façon plus libre car plus construite).

d) Nietzsche taquine le chinois de Königsberg

Je repense souvent à Nietzsche se moquant de Kant. « Comment des jugements synthétiques

a priori sont-ils possibles ? » En vertu d'une faculté, nous répond Kant. « Comment l'opium nous

fait-il dormir ? » Par sa vertu dormitive, nous répond le médecin du malade imaginaire de Molière.

Le caractère tautologique de la démarche transcendantale est très bien exprimé par là. Kant enfonce

des portes ouvertes dirait Nietzsche (il exagérerait). Mais ce qui est vrai, c'est que Kant pas une

seule seconde ne s'embarrasse vraiment de prouver la moindre existence qu'il postule (il

ne cesse d'exposer à vrai dire ; ses déductions sont des ruses de sioux).

La question n'est pas : des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles (on supposerait

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alors qu'ils pourraient ne pas exister, et qu'il faudrait alors prouver leur existence) ? La question est :

comment le sont-ils ?

Kant a saisi un fait avéré pour lui mais non élucidé pleinement : la géométrie et la physique

sont scientifiques. Mais il y a d'une part ce qui est, ce qui a été produit par les esprits rationnels - qui

montre la possibilité de propositions qui étendent la connaissance et sont à la fois universelles et

nécessaires- et il y a d'autre part l'explicitation de ce qui a été produit : c'est l'affaire de Kant.

Kant répondra donc : en vertu d'une faculté ou de facultés (réceptivité pure, entendement

pur, principes régulateurs de la raison pure). Un fait existait, Kant le ramène simplement à sa

source, à ce qui le produit. Il y a pure et simple monstration, pure et simple pétition de principe,

dans la mesure où ce fait lui-même (physique et mathématique scientifiques) désigne explicitement

les facultés mobilisée pour le constituer (de même que ce qui fait dormir désigne explicitement sa

faculté dormitive). Le seul miracle dans tout cela, c'est d'être allé chercher du côté de la faculté

subjective, et non du côté de la constitution des choses en elles-mêmes, pour trouver la source que

désignaient physique galiléenne ou newtonienne et géométrie euclidienne. Mais cela ne supprime

pas le fait que cette source, même en tant que faculté subjective, est une pétition de principe, et

demeure tautologiquement liée à ce qu'elle produit.

Dans cette perspective, une pensée, physique ou métaphysique, qui souhaiterait s’ouvrir à la

saisie de la totalité, si elle radicalisait un tel ancrage dans une subjectivité qui montre et s’auto-

montre, ne renierait pas l’usage de l’intuition ou de toute autre forme d’affection ou d’auto-affection

(angoisse, faveur, exaltation, etc.). Les moqueries que Nietzsche adresse à Kant, dans cette

perspective, si on les associe à une pensée de l’éternel retour qui se voudrait « révélation

cosmique », dans l’intuition pure d’une joie qui viendrait rejaillir sur le tout, prennent tout leur

sens… Il faudrait toutefois que cette joie ne soit pas celle de saisir le sublime « en soi », mais

qu’elle soit une joie demeurant auprès d’une beauté concrète, qui dévoilerait de ce fait une réalité

immanente. Sans quoi l’éternel retour deviendrait aussi problématique que le divin.

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Kant et Berkeley

Kant, dans les Postulats de la pensée empirique de la Critique de la raison pure, entend

réfuter une bonne fois pour toutes l'idéalisme radical. Nous verrons ce qu'il en est de cette réfutation

dans son rapport à l'idéalisme « dogmatique » de Berkeley, lequel pose l'affirmation selon laquelle

les choses extérieures à nous sont impossibles.

Ainsi donc, Kant veut démontrer que notre expérience interne n'est possible que sous la

supposition de l'expérience extérieure : il explique en effet que la perception du permanent (dont

dépend la perception de mon existence dans le temps elle-même) n'est possible qu'au moyen d'une

chose hors de moi et non au moyen de la simple représentation d'une chose extérieure à moi.

L'expérience extérieure est immédiate, l'expérience intérieure est médiate. La conscience de mon

existence est en même temps une conscience immédiate de l'existence d'autres choses hors de moi.

Il n'y a là au fond pas une réelle réfutation de Berkeley à vrai dire, et pour le comprendre, il

faut tâcher de comprendre ce que Kant entend par « expérience extérieure ».

Dans l'Esthétique transcendantale, Kant expose le concept d'espace : l'espace est une forme

pure de l'intuition, autrement dit c'est le sujet, tel qu'il est constitué a priori, qui injecte de l'espace

dans les « choses ». Sans sujet, il n'y a pas d'espace, et donc pas d'« expérience extérieure » (de

toute façon, il est déjà clair que sans sujet, il ne saurait y avoir d'« expérience », intérieure ou

extérieure). L'espace renvoie à une disposition subjective, et n'enveloppe pas quelque constitution

des choses en soi. Kant lui-même fait la distinction entre deux types d'extériorité : il y aurait

l'extériorité empirique et l'extériorité transcendantale. L'extériorité empirique renvoie à la manière

dont les choses sont extérieures au sujet en tant qu'il les expérimente dans l'espace, lequel espace

n'en demeure pas moins une forme pure de son intuition subjective. L'extériorité transcendantale

renvoie à la manière dont la chose en soi, qui n'est ni dans l'espace ni dans le temps, qui est la chose

telle qu'elle n'est pas pour un sujet, mais indépendamment de tout sujet, subsiste. L'extériorité

empirique est une extériorité relative : elle s'oppose à l'intériorité du sens interne, mais en dernière

instance elle demeure interne à la constitution subjective ; en tant qu'extériorité spatiale, elle est

associée à l'intériorité a priori du sujet (c'est dans le sujet seulement que des choses peuvent être

extérieures les unes aux autres selon la juxtaposition spatiale). L'extériorité transcendantale est une

extériorité radicale et absolue : c'est dans l'absolu que la chose en soi se distingue du phénomène

appréhendé dans l'espace et dans le temps par le sujet.

Kant montre donc qu'il y a une intériorité tournée vers l'extérieur (l'espace comme forme

pure a priori de l'intuition subjective) qui fonde une intériorité tournée vers l'intérieur (le sens

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interne). Il ne sort pas une seule seconde de l'intériorité, de ce fait. En fait, il ne sort pas de

l'idéalisme « dogmatique » de Berkeley. Certes, il précise que la perception du permanent n'est

possible qu'au moyen d'une chose hors de moi et non au moyen de la simple représentation d'une

chose extérieure à moi. Il semble faire référence ici à une extériorité transcendantale, et non

empirique. Mais en fait, la permanence dont il parle renvoie à une modalité spatiale, donc

subjective, et non à une modalité par-delà espace et temps, et non à quelque extérieur en soi. Car le

permanent a pour support non pas la contraction infinie du hors-espace, mais bien la substantialité

d'une étendue perdurant. Pour tout dire, Kant entend ici réfuter l'idéalisme « dogmatique » en posant

le fait que le sens externe conditionne le sens interne (même s'il n'en est pas tout à fait conscient).

Mais alors on ne quitte pas le domaine d'une subjectivité close, et donc le domaine d'un idéalisme

« dogmatique ».

Berkeley affirme que l'être renvoie à ce qui perçoit et ce qui est perçu. L'étendue, la forme,

le mouvement, comme les sons, les couleurs, etc., constituent des idées des choses par lesquelles

ces choses existent. Concevoir que les choses pourraient exister sans ces perceptions serait absurde,

car cela reviendrait à supposer qu'une idée pourrait être hors d'un esprit, en dernière instance. Kant,

absolument conscient de cela, ne fait que clarifier ce genre d'idéalisme, et c'est en cela que consiste

sa « révolution » : dire que l'espace renvoie à la constitution du sujet, c'est dire comme Berkeley,

contre tout idéalisme empirique, contre tout réalisme transcendantal, que toutes les propriétés des

choses appréhendées par un esprit, jusqu'à la spatialité et la temporalité, renvoient à des propriétés

de ce sujet.

Pour réfuter Berkeley, Kant aurait dû prouver que la chose en soi existe bel et bien, et non

affirmer, en un certain sens, et malgré lui, qu'il existe une extériorité spatiale fondant l'intériorité du

sens interne. En effet, affirmer cette extériorité spatiale n'est absolument pas réfuter Berkeley. Kant

met simplement l'accent sur l'idée d'extériorité et de réalité des choses spatiales (réalisme

empirique), là où Berkeley mettrait l'accent sur le fait que cette extériorité dépend de la constitution

du sujet, qu'elle est en dernière analyse une idéalité. Mais l'un et l'autre sont d'accord pour dire que

l'existence des choses extérieures renvoie de fait à quelques propriétés intrinsèques de l'esprit.

Kant n'utilise pas, dans le différend qui l'oppose à Berkeley, le véritable « argument »

décisif. A vrai dire, Berkeley définit la matière comme une idée fausse : l'esprit va supposer une

substance qui supporte l'étendue indépendamment de tout sujet susceptible de la percevoir, par

excès d'abstraction. Cette abstraction n'a rien de légitime selon lui. Autrement dit, Berkeley ne

réfuterait absolument pas l'extériorité spatiale, si celle-ci n'est jamais qu'une extériorité relative,

renvoyant en dernière instance à une intériorité transcendantale telle que Kant la pose. Mais

Berkeley réfuterait bien plutôt l'idée qu'il existe quelque « chose en soi » derrière les phénomènes.

Certes, à un moment donné, Berkeley envisage la possibilité qu'il puisse exister effectivement une

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chose indépendante de toute perception, une sorte de « matière » inconnaissable (en cela d'ailleurs,

il est plus critique que dogmatique, soit dit en passant). Mais il ajoute que de toute façon, qu'une

« matière » indépendante existe ou qu'elle n'existe pas, qu'une chose « en soi » existe ou qu'elle

n'existe pas, cette hypothèse est absolument inutile : si elle n'existe pas, il faut continuer, en toute

légitimité, à réduire l'être à l'être perçu, comme le bon sens nous l'enseigne ; si elle existe, nous ne

pouvons de toute façon l'appréhender de la sorte, et donc si dans ce cas précis nous continuons à

réduire l'être à l'être perçu, nul changement n'interviendra pour nous, et nous serons toujours dans le

« vrai », étant considérées les limites qui sont le nôtres. Ainsi, il est toujours possible que notre vie

soit le rêve d'une licorne, d'un singe ou d'un fou, puisque nous ne pouvons prouver le contraire ;

mais quand bien même l'une de ces hypothèses serait vraie, devrions-nous nous y attacher ?

Certainement pas, car, la vie nous étant donnée comme elle nous est donnée, il est plus utile

d'écarter ces lubies.

C'est donc sur une question de valeur, et non de vérité, que Kant et Berkeley s'opposent. Ils

combattent tous deux l'idéalisme empirique, le réalisme transcendantal, mais leur « choix » final

diffère : Kant pose une chose en soi malgré tout, une « extériorité transcendantale » (étant peut-être

une sorte de « matérialiste », donc, au sens radical de Berkeley), là où Berkeley, plus radical, refuse

par principe, sans pour autant dire qu'il connaît la « vérité » de cette non-existence, la réalité de

toute « extériorité transcendantale ».

Ce qui est amusant, c'est de voir qu'en lisant les textes de près, on découvre que le

« critique » (Kant) est peut-être un dogmatique, et que le dogmatiquement désigné comme étant

« dogmatique » (Berkeley) est peut-être un critique. En effet, Kant ne doute pas de l'existence d'une

chose en soi, d'une extériorité transcendantale, alors que cette existence est problématique (Kant dit

certes que la constitution de la chose en soi, telle qu'elle peut être connue, est problématique, mais

aussi que son existence est une nécessité absolue, alors que tout un chacun devra reconnaître que

cette existence n'est pas sans poser quelques problèmes, quelques incertitudes). En outre, Berkeley

n'affirme pas que la matière n'existe pas, mais qu'on ne peut rien en dire, et qu'il est même plus utile

de faire comme si elle n'existait pas (il reconnaît qu'il y a là une question d'utilité, de valeur, et non

une question de fait, là où Kant prétend affirmer l'existence de la chose en soi comme si elle était un

fait avéré).

Il faut suivre la manière de Berkeley dans cette affaire, car elle est plus raisonnable, plus

critique, plus nuancée. Autrement dit, pour savoir s'il faut donner raison à Kant ou à Berkeley, il

faut opposer une valeur à une autre valeur, et non un fait (inconnaissable de toute façon) à un autre

fait (également inconnaissable). Autrement dit : est-il plus utile de poser l'existence d'une chose en

soi ou de considérer que l'être se réduit au percevoir ou au perçu ?

Kant pose l'existence d'une chose en soi pour ménager une place pour la morale, pour la

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théologie morale. Si une chose en soi perdure derrière les phénomènes, on ne peut certes rien en

dire, mais on peut postuler certaines choses (Dieu, l'immortalité) qui rendront conséquent un agir

moral libre. Berkeley ne propose pas une morale mais c'est un fidèle croyant : les idées des choses

sont en Dieu, c'est ce qui leur confère leur suprême réalité. A dire vrai, il devient maintenant clair,

avec cette dernière remarque, que Berkeley lui-même, sans être pour autant matérialiste (tout

comme Kant ne saurait l'être d'ailleurs, pas même au sens de Berkeley), postule malgré lui une

chose en soi relativement « accessible » : Dieu. Et ici, Dieu est posé dogmatiquement. Les choses

de ce point de vue se renversent à nouveau : Kant est le critique de nouveau, Berkeley le

dogmatique. Berkeley bénéficie de la chose en soi au sens kantien (il pose l'existence de Dieu), sans

la thématiser comme telle (il sort de son idéalisme malgré lui, lequel devrait impliquer que rien hors

de soi n'existe), et sans précautions (il pose Dieu, ne le postule pas).

Aucune de ces deux options n'est satisfaisante théoriquement, et il faut d'abord affirmer ceci,

au nom du principe que Berkeley a posé, tel qu'il serait quelque peu modifié : rien hors de mon

esprit n'existe, ni matière ni esprit, c'est-à-dire nulle réalité en soi. Ce solipsisme serait conforme au

bon sens, à ce que l'expérience nous apporte. Mais alors serait-il « utile » ? Rien n'est moins sûr :

car nier l'existence d'autrui est suprêmement nuisible : cette solitude radicale, comme cela se

comprend de soi-même, serait l'extinction du désir, du plaisir, et la naissance de la folie, de

l'égocentrisme, de la cruauté, de la souffrance en soi. Ainsi donc il faut trahir l'idéalisme de

Berkeley, mais pas à la manière de Kant ou de Berkeley lui-même. A dire vrai, c'est une manière de

trahir l'idéalisme radical qui est décisif dans le cadre d'une métaphysique construite. Kant le trahit

pour fonder une morale sur les postulats de Dieu et de l'immortalité. Berkeley ne veut pas le trahir,

mais le fait, pour poser dogmatiquement l'existence de Dieu. L'un comme l'autre ont oublié la seule

façon efficiente, utile et conséquente, de trahir tout solipsisme cohérent mais délirant : il suffit de

rappeler, tout simplement, que mon prochain existe, que lui est une réalité en soi, puisque cela, je le

constate, même dans le cas où je demeure dans les strictes limites de « mon » esprit ; sans cela nulle

éthique n'est possible, sans considérer la question morale ou théologique. Toute trahison autre se

fonde sur cette trahison originaire du « bon sens » solipsiste.

Dans le cadre d’une éthique, ou d’une métaphysique, qui reconnaîtrait le caractère sacré et

décisif de toute vie terrestre, en tant qu’elle serait en elle-même éternelle, et qui reconnaîtrait, dans

un principe de totalisation et d’unification, l’unité irréductible du vivant en tant que tel, la

« réfutation » du solipsisme, ou de l’idéalisme radical, ne se poserait même plus en terme de

« réfutation », au sens négatif du mot, mais en terme d’intuition révélante, en un sens positif,

intuition qui saisirait l’intériorité inaccessible d’autrui (cette chose en soi) comme présence

nécessaire et vécue, ici et maintenant, en première personne. L’éternel retour comme abolition

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dernière de tout solipsisme.

Dans un tel contexte, qui demanderait des « preuves » pour cette « trahison » est un fou

furieux qui ne mérite pas qu'on s'adresse à lui. Kant voulant « prouver » qu'il n'y a pas d'idéalisme

dogmatique tenable : une stupidité, au fond (la stupidité d'un « grand esprit » peu instinctif qui

répondrait à une déclaration d'amour par un syllogisme tout à fait correct).

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III Le soi

La solitude ontologique

A première vue, j'ai tendance à ne pas vivre pour moi-même, mais pour nourrir l'image que

d'autres se font de moi. Ainsi, quand je demeure seul, quand nul regard ne se fixe sur moi, peu

importe si je me conduis de façon vile, basse, ridicule : dans la mesure où de tels actes ne sont pas

saisis par une autre conscience que la mienne, il semble qu'ils ne comptent pas. Plus profondément,

mes pensées mêmes, si je les garde pour moi, si elles n'apparaissent pas objectivement dans le

monde, n'ont au fond pas vraiment d'importance, et je considérerai, aussi paradoxal que cela puisse

paraître, qu'elles ne déterminent pas intrinsèquement celui que je suis. Depuis fort longtemps, tout

se passe comme si j'avais décidé que je n'ai pas, en tant que spectateur de moi-même, la légitimité

pour apprécier le sens et la valeur de mon être propre. Ce sera toujours autrui qui devra me dire ce

que je suis fondamentalement, et je ferai mien un tel jugement. On pourrait dire que c'est seulement

en tant que j'apparais que je pénètre dans l'être objectif, réel, mais alors il faut bien que j'apparaisse

pour un autre. Une telle dépossession me constitue, si bien que je finis par l'assimiler à ma propriété

la plus propre.

C'est lorsque j'agis en étant vu, lorsque j'exprime des pensées qui seront entendues, que je

crois pouvoir façonner un moi solide, réel, existant. Mes actions solitaires, mes pensées

silencieuses, n'auront une valeur que plus tard, lorsque je les raconterai ; ou bien, si je veux leur

donner une réalité dans le présent de leur déroulement, il faut que je fasse intervenir fictivement un

juge extérieur, par exemple la parole d'un ami, ou d'un parent, telle qu'elle serait susceptible

d'éclairer leur sens. Que penserait untel s'il me voyait agir ainsi ? Quelle image tel autre aurait-il de

moi s'il savait que j'ai de telles pensées ? Ces questions, avec leurs réponses incertaines,

accompagnent pour ainsi dire chaque moment de ma vie solitaire ou intérieure ; ainsi, je renonce

constamment, quoique inconsciemment, à l'authentique affirmation de moi-même, laquelle

consisterait à m'ériger en juge exclusif de mes mouvements et affections. Certainement, un tel

renoncement a pour motif premier une peur radicale, la peur d'un isolement absolu. Mais cette peur

est l'irrationnel même.

L'image qu'un autre se fait de moi ne m'est jamais donnée telle quelle, en soi, dans l'absolu.

Pour que je puisse accéder à une telle image, il faut que j'entende la parole de cet autre, ou que

j'interprète son regard ou ses gestes : en dernière instance, ce qui me sera donné, c'est la

représentation que je me fais de l'image que l'autre se fait de moi. Dans cette représentation, il y

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aura surtout ce que j'y aurai mis. Lorsque j'apparais à autrui, lorsque j'attends ce jugement qu'il va

porter sur moi pour prendre connaissance de mon être réel, je suis en fait dans l'attente de ma propre

interprétation relative à un tel jugement. Dès lors, je ne quitte pas un seul instant ma solitude et mon

intériorité, au moment même où j'ai l'impression que le sens profond de mon moi est livré par un

autre. Ce sont toujours des pensées n'existant que pour moi-même, soustraites à tout regard

extérieur, qui décident en dernière instance du sens de mon être propre, même dans le cas où c'est

l'image de moi présente en l'autre qui prétend dévoiler quelque vérité me concernant. Autrement dit,

ce sont toujours les pensées qui me paraissent dénuées d'importance, d'objectivité, de valeur, voire

de réalité, dans la mesure où elles ne sont perçues que par moi, ce sont toujours mes interprétations

personnelles, qui déterminent finalement ce que je suis, même lorsque j'ai décidé d'accorder au

point de vue d'autrui une valeur décisive. Je suis dans l'incapacité de sortir de moi-même, et, tandis

que je prétends le faire en conférant à autrui le pouvoir de révéler ce que je suis, je confonds

absurdement une certaine attention à autrui, laquelle m'appartient, avec une capacité fantastique

d'accéder, hors de moi-même, à l'être-en-soi de ses images. C'est cette situation que l'on serait en

droit de qualifier d'isolement absolu. Lorsque je comprends que tout ce que je suis pour moi, que je

dévalorise foncièrement en tant que cela n'est donné à nul autre, est en fait tout ce qui, de moi, me

sera donné, lorsque je médite sur cette tautologie, je puis me sentir totalement, absolument isolé.

Cela étant, ce sont précisément les moyens pour esquiver ce sentiment qui le renforcent, et

lui confèrent même une certaine positivité. Si je ne recherchais pas constamment la compagnie des

autres pour qu'ils me fassent enfin exister, je ne ressentirais pas comme un poids insupportable le

fait de n'être jamais que le seul maître dans ma propre maison. Si j'acceptais que mes pensées

intimes, ma solitude ontologique, sont l'unique sol sur lequel peut s'épanouir ma vérité, je ne

tenterais pas de combattre vainement ce fait, je le vivrais comme une nécessité. Certes, si j'avais par

le passé fait l'expérience d'une fusion avec autrui, si j'avais pu connaître l'être-en-soi de l'image

qu'autrui se fait de moi, je pourrais dire légitimement que j'éprouve, maintenant que ce n'est plus

possible, un sentiment d'isolement absolu. Mais une telle supposition est absurde. De fait, courtiser

constamment l'attention d'autrui renvoie à cette absurdité. C'est un faux problème, c'est une

mauvaise façon de comprendre l'expérience, conditionnant un sentiment d'abandon sans fondement

réel, qui déterminent ma fuite dans l'opinion d'autrui et la dévalorisation corrélative de mon

jugement et de mon vécu propre. Parce que j'oublie, hypnotiquement, mon activité d'interprète à

l'instant de la réception d'un point de vue extérieur, je comprends cette réception comme saisie de

l'extérieur en soi, qui viendrait sanctionner objectivement mon être sans ma participation. Cette

saisie illusoire devient alors très vite mon but premier, en comparaison duquel ma condition réelle,

ma pauvre solitude ontologique, apparaît comme un sort détestable et désolant. Mais si je

comprends que, parmi la multitude, à travers toutes mes apparitions et réapparitions, je demeure

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malgré tout essentiellement seul, avec mes seules pensées, que je suis l'unique législateur possible

en ce qui concerne l'interprétation du sens et de la valeur de mon être, alors le délire métaphysique

peut cesser : je suis, au sens propre, rendu à moi-même.

Pour le dire très simplement, il faut que je comprenne que je ne suis pas moins seul, pas

moins livré à mon seul point de vue, lorsque je suis perçu et jugé par autrui que lorsque j'agis et

pense en l'absence de tout spectateur extérieur : ma situation de solitude ontologique, en la présence

d'un autre homme, ne change pas essentiellement.

Si je dis que je vis pour nourrir l'image que d'autres se font de moi, deux hypothèses sont à

retenir : ou bien je veux modifier, transformer, ou complexifier l'ensemble des représentations que

d'autres se font effectivement de moi ; ou bien ce qu'il s'agit de nourrir, ce sont mes propres

représentations relatives à un tel ensemble. Dans le premier cas, je vis pour ce qui n'est qu'un néant

pour moi, ce qui est absurde. Dans le second cas, si j'accorde une certaine importance à l'opinion

extérieure, je ne quitte pas pour autant mon intériorité, ce qui est plus conforme à la raison.

Pourtant, il semble trop souvent que c'est la première hypothèse qui l'emporte. J'agis et pense

comme si ce que d'autres pensent intimement de moi, ce qui demeure pour moi éternellement

inconnaissable, constituait le lieu d'où surgit la vérité de mon être, pour lequel donc je devrais vivre

et souffrir. Trop souvent, je confie la valeur dernière, le sens définitif de mon moi, à une réalité

psychique étrangère qui, si elle est certes existante, me sera néanmoins dissimulée pour toujours.

Autant dire que je considère, la plupart du temps, que je ne sais pas qui je suis, que je suis même

incapable de le dire, que je suis la dernière personne à le pouvoir, alors même qu'il me faut vivre

pour ce moi qui m'échappe nécessairement.

Cela étant, si c'est bien la première hypothèse qui est la norme, ce qui me détermine

profondément n'est pas tout à fait conforme à ce qui vient d'être décrit. Certes, si je déroule les

conséquences de mes actions et de mes pensées les plus courantes, tout indique que je vise le plus

souvent à affecter, absurdement, l'intériorité inaccessible d'autrui, dans la mesure où je considère

que c'est en cette intériorité que se situe la réalité de mon moi. Mais selon ma certitude très

profonde, quoique à peine consciente, cette intériorité autre ne m'est précisément pas inaccessible,

ce pourquoi mon attitude ne me paraît pas tout à fait absurde. Lorsqu'autrui me parle de ce que je

suis, j'imagine qu'une fusion mystique se réalise, que j'accède à la vérité de ses convictions les plus

intimes. J'imagine que, s'il paraît sincère, chaque parole semble devoir traduire adéquatement ses

pensées et que, s'il paraît hypocrite, il le communique également, ses paroles traduisant alors, en

négatif, son jugement réel. J'imagine en outre que, face à une telle vérité révélée, je dois demeurer

muet, presque inexistant, que je ne suis qu'un réceptacle absolument passif, incapable d'affirmer un

point de vue. Il faut le dire, cette illusion n'est pas propre à tout acte de communiquer avec autrui :

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lorsqu'autrui me parle du monde, ou de lui-même, je puis différencier sa parole de sa pensée, ainsi

que l'expression de cette parole de sa perception par ma conscience. C'est seulement dans la mesure

où l'autre me transmet quelque signe ou quelque mot susceptible de révéler la vérité insigne de mon

être, que je perds tout sens critique, toute capacité à faire des distinctions entre je et tu, entre je et

cela, et entre cela et tu. Hypnotiquement, je me rapporte à ces paroles, ou à ces gestes qui parlent de

moi, comme à des intrusions radicales qui viennent rendre inaudible tout ce que je pourrais en

penser, en ce qu'elles seraient univoques et claires comme le jour.

On me dit par exemple que je suis ennuyeux. A cet instant, mon orgueil se révolte, et je

convoque, à part moi-même, avec vigueur, les distinctions que nous venons d'évoquer. « Après tout,

me dis-je, je sais mieux que cet homme si je suis ennuyeux ou pas ! Sa parole n'est qu'une parole,

elle n'est en rien supérieure à ma pensée intime ! De plus, lui-même pense certainement tout

autrement : peut-être avec ce mot veut-il juste me blesser, par méchanceté, et non me livrer sa

conviction ! » Ces protestations semblent émaner d'un bon sens irréfutable. Mais c'est tout le

contraire qui est vrai. Si j'ai besoin d'affirmer de telles évidences face au jugement d'autrui qui me

déprécie, c'est qu'elles ont précisément cessé d'être des évidences dans ce contexte. Les distinctions

qui sont faites ici avec véhémence sont rappelées parce qu'elles ne vont plus de soi, parce que leur

fondement vient de s'effondrer. Tandis qu'autrui m'affirme que je suis tel ou tel, tout se passe

comme si toutes les barrières s'étaient rompues : il n'est plus évident que je sache mieux que lui ce

que je suis, ni que ma conscience jouisse d'une position privilégiée pour résoudre cette question ; il

paraît en outre certain qu'il me transmet là le contenu intime de sa pensée. La suspension d'un

certain sens de la distinction apparaît à chaque fois que l'autre doit m'apprendre la vérité qui me

concerne, ce pourquoi, si d'aventure cette vérité me blesse, il me faudra d'abord, quoique

difficilement, tenter de restaurer ce sens. Une telle suspension renvoie à mon refus d'assumer seul

l'élaboration du sens de mon être : c'est la peur de l'isolement absolu qui la motive.

Malgré l'excuse que constitue cette illusion consubstantielle à l'acte d'être jugé par l'autre,

illusion qui me fait croire que j'accède à cette intériorité étrangère à laquelle je livre le sens dernier

de mon être, illusion reposant sur et aggravant la peur d'un isolement absolu, malgré cela je

demeure dans les faits radicalement inexistant dans la sphère où j'ai situé toute possibilité d'exister

réellement. Cela signifie que, dans les faits, je vis absurdement. Dès lors, il devient nécessaire

d'envisager une autre voie.

Si je vis nécessairement pour nourrir l'image que d'autres se font de moi, il existe une

deuxième hypothèse, que j'ai déjà évoquée : en réalité, je pourrais chercher consciemment à nourrir

mes propres représentations relatives à une telle image. Je ne viserais plus essentiellement la

modification de l'intériorité factuellement inaccessible d'autrui, visée qui s'accompagnerait de

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l'illusion selon laquelle une telle intériorité autre me serait en fait pleinement accessible, mais je

viserais bien plutôt la modification de mon propre être, et ce jusque dans ma relation avec d'autres.

De la sorte, non seulement je ne confierais pas mon être authentique à ce qui demeure un néant pour

moi, mais j'affronterais également la solitude ontologique qui est mon lot, et qui est le seul point de

vue à partir duquel je puis appréhender autrui en rendant justice à sa position dans l'être.

Si par exemple un ami me dit qu'il me trouve ennuyeux, que devrai-je penser ? Je devrai

penser qu'il me faudra désormais vivre avec cette conscience de l'ami qui, entre autres choses, me

trouve ennuyeux. Cette parole de l'ami inclut d'abord un dialogue entre moi et moi-même. Je ne me

révolterai pas contre cette parole, en rappelant vainement les distinctions entre elle et la conscience

qui la formule, entre elle et ma propre conscience. Car ces distinctions vont tellement de soi qu'elles

finissent par s'effacer derrière ce constat : ce qui est là modifié, c'est bien ma vie intérieure ; il

faudra bien vivre avec cela.

Mais dès lors, tandis que je réfléchis à tout cela, une conviction s'impose à moi : si au fond,

ce qui est là essentiel, dans ma façon de prendre en compte la parole d'autrui, c'est bien ma vie

intérieure à laquelle nul n'a accès, ne me faut-il pas revaloriser une telle vie intérieure, considérer

qu'elle compte en fait éminemment dans la détermination de mon être ? Autrement dit, si je

continue certes à vivre pour nourrir l'image que d'autres se font de moi, dans le cadre de la

deuxième hypothèse, il semble que je doive en fait me diriger vers une vie où l'opinion d'autrui n'est

plus la chose essentielle. Selon la deuxième hypothèse, ayant retrouvé ma solitude ontologique, j'ai

dès lors la possibilité de vivre cette solitude ontologique jusqu'au bout : sans accorder aux autres

l'exclusif privilège de dire ma vérité.

Découvrir que, même avec l'autre, je suis en commerce avec moi-même, c'est découvrir que

mon intériorité, que je dévalorisais parce que nulle conscience autre ne l'appréhendait, doit être

nécessairement revalorisée : cela doit se faire par considération pour l'autre, qui ne saurait se réduire

à ce que ma conscience en fait, mais aussi par considération pour moi-même, qui ne saurais vivre

qu'avec moi-même. Si j'ai conscience que la parole de l'ami qui me juge ennuyeux renvoie d'abord à

mon propre conflit intérieur, mettant en scène diverses images de moi-même appartenant à ma

propre conscience, je suis ramené à moi-même à l'instant même où je pensais qu'il y avait une

altérité qui entrait dans la délimitation de mon être. De ce fait, une fois ramené à ma solitude

factuelle, je pourrai me dire : de la même manière que tu as tenté de résoudre ce conflit intérieur par

égard pour l'ami, prouvant de ce fait que ta vie intérieure, par trop occultée et dévalorisée, était en

fait un terrain solide où peut s'épanouir ta vérité, de la même manière, maintenant que tu es ramené

à ta solitude factuelle, tâche d'avoir des pensées et des actions dignes d'être vécues, quand bien

même elles ne seraient perçues par aucune autre conscience que la tienne. Après tout, ce conflit

intérieur qui a suivi le jugement de l'ami, n'était-il pas inaccessible pour tout autre que toi ? Et

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pourtant, tu lui as accordé du poids, de la valeur, car cet ami compte pour toi. De même, toute

intériorité te concernant devra être à présent, à l'image de ce conflit intérieur, quelque chose qui

compte, qui a du poids, de l'importance. Vivre pour nourrir l'image que d'autres se font de moi, cela

peut signifier vivre pour soi-même, comme l'indique la deuxième hypothèse. Et de ce fait, j'affronte

la solitude ontologique qui est la mienne pour ce qu'elle est, et je cesse de mépriser mes pensées et

actions solitaires, c'est-à-dire tout ce que je suis susceptible de vivre dans mon existence.

Le moi réel, que je dévalorise le plus souvent en m'illusionnant sur l'accessibilité de la

conscience d'autrui, est en devenir permanent : il n'est jamais identique à lui-même précisément

parce qu'il est le flux intérieur de la conscience impliquant des modifications permanentes

(représentations et affections multiples temporellement). Si je prêtais réellement attention à ce qui

m'arrive continuellement, je ne serais capable de saisir nulle identité stricte : je constaterais que je

suis soumis à des changements de toutes sortes, à chaque instant, que mes pensées et actions

m'entraînent constamment vers de l'absolument nouveau, vers un dépassement constant de mon

être. Mais une telle vérité m'échappe, car j'ai confié mon être à d'autres consciences. Ces autres

consciences ont sanctionné mon être, elles m'ont fixé une identité : tu es curieux, désinvolte,

attentif, lunaire, étudiant, fils, frère, amant, ennuyeux, etc. Si cette identité est mouvante en quelque

manière, c'est à partir d'un noyau fixe et inchangé. Un nouveau jugement, tel le jugement de l'ami

qui me dit ennuyeux, sera certes une modification de mon identité, mais une modification censée

s'inscrire à l'intérieur d'une fixité non soumise au passage du temps.

L'illusion de posséder une identité renvoie au fait de confier son être à d'autres consciences

inaccessibles qui pourtant me paraissent accessibles. Elle dérive d'une double simplification, d'une

double amputation : celles de ma conscience et celles de la conscience d'autrui. Ainsi, donc, tandis

que l'ami me dit ennuyeux, son propre flux intérieur relatif à la pensée de mon être (flux intérieur

mouvant et continuellement changeant), se réduirait à un simple mot figé pour l'éternité, à une

essence fixe et éternelle : le mot « ennuyeux ». Première amputation. De même, ma réception d'un

tel message se réduirait à la réception de cette même essence inaltérable. Deuxième amputation.

Dès lors que je constate que cette parole suscite en moi un mouvement psychique interne qui

signifie beaucoup plus que ce simple mot, je dépasse déjà l'idée illusoire de l'identité : je suppose

d'une part que cette multiplicité temporelle attachée à une essence conceptuelle doit être analogue

dans l'esprit de mon ami (que je ne prétends dès lors pas saisir dans son adéquate entièreté) ; je

constate d'autre part qu'être ennuyeux signifie pour moi un conflit dynamique et pluriel qui excède

de part en part l'idée générale et indéterminée de l'ennui. Je rends justice à l'ami et je me rends

justice à moi-même, choses qui justifient l'abolition en moi du mythe de l'identité.

Etre constamment multiple, ne jamais être unique et identique à soi-même, c'est tout

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simplement être, c'est être attentif à la solitude ontologique qui est la mienne : je suis toujours seul

avec mes propres pensées, et ces pensées sont multiples et mouvantes ; donc je suis-moi-même

multiple et mouvant, non identique, non unifié ; voici le constat que je devrais faire. Vouloir être

identique, c'est prendre peur face à la solitude ontologique, qui peut être vécue comme un isolement

absolu : c'est vouloir occuper l'esprit d'autrui de telle sorte qu'il me renvoie une fixité consolante,

fixité qui semble me dire : « tu n'es pas seul ». Mais de la sorte, c'est amputer et simplifier la

conscience d'autrui. En outre, si elle est fuite devant soi et devant l'autre dans sa réalité, la peur d'un

isolement absolu, comme on l'a vu, est entretenue par les moyens employés pour l'abolir : c'est un

processus auto-engendré dont on peut aisément briser le joug, en acceptant tout simplement ce qui

est (la solitude ontologique). Accepter que seules mes pensées ont de la valeur dans la détermination

de mon être réel, et que dès lors mon être, puisque mes pensées sont multiples et mouvantes, est lui-

même multiple et mouvant, dépourvu d'identité : voilà la clé.

Mais le sentiment d'isolement absolu, et le mythe de l'identité qui lui est associé, ont peut-

être une source plus identifiable. En effet, autrui exige également, de son côté, que je le nomme, que

je le détermine, que je le fasse entrer dans l'être. Mais de la sorte, il ampute et simplifie ma

conscience. Si je le juge moi-même comme étant ennuyeux, il sera tenté de réduire le flux multiple

et changeant de mon intériorité qui se manifeste lorsqu'elle le thématise à cette simple essence fixe

et éternelle : l'ennui. Ainsi, mon identité aura été fixée par lui. Par la suite, donc, je chercherai à

retrouver cette identité qu'autrui avait déterminée pour moi, car elle a révélé un manque intrinsèque

en moi, une privation : un sentiment d'isolement absolu, que je n'accepte plus comme étant une

solitude ontologique avec laquelle il faut bien vivre, et que je tenterai de dépasser à mon tour via

l'illusion d'un accès amputant et simplificateur à l'âme de l'autre qui me parle.

Retrouver ce « sol » originaire qu’est ma solitude ontologique, en laquelle je suis multiple et

mouvant, c’est une façon pour moi de m’ouvrir au temps lui-même, en tant qu’il passe et devient,

de m’ouvrir au dévoilement progressif et discret d’une intuition qui annonce, toujours plus

clairement, que « tout revient » (par-delà tout bavardage « préoccupant », obstruant la voie vers

l’essentiel). L’ennui trouve son sens, dans cette perspective du retour, mais il a aussi pour

fondement cette joie continuellement renouvelée consistant à re-connaître. Dans cette re-

connaissance, c’est aussi l’intériorité inaccessible d’autrui qui devient palpable, et dont l’existence

est attestée, précisément dans la mesure où, pour l’éternité, son caractère inaccessible aura été posé.

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Tentative de déconstruction du dualisme âme/corps

1) L'autre pour moi

Un « objet » extérieur, un corps animé de l'intérieur et dont l'intériorité m'est étrangère.

2) Concession

La séparation nette de l'âme et du corps est évidente dès lors que je considère l'expression de l'âme

d'autrui, sa gestuelle ou sa parole, car :

- son corps appartient au monde perceptible, accessible à tous.

- son âme appartient à un monde inconnu de ceux qui le perçoivent, ledit monde étant donc

accessible à lui seul : oui, cette âme ne peut être saisie que par l'interprétation d'une musique

dansée et sentie (j'interprète ce que l'autre pense en fonction de la perception que je projette sur son

corps parlé).

3) Pertinence conditionnelle d'une séparation âme/corps

Il y a séparation si et seulement si :

- on cherche à définir l'homme en tant qu'il est un corps extérieur à soi,

- on considère seulement autrui pour comprendre quelque universalité douteuse.

4) Nuancer, offrir des nouvelles conditions

Si l'on cherche à définir l'homme en tant qu'il est ce qui arrive à soi seul, cette thèse d'une

séparation tranchée reste-t-elle pertinente ?

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Réponse : Non, bien sûr.

Explicitation : Car ce qui m'arrive ne se situe pas, a priori, dans deux mondes étanches

mutuellement, mais dans un seul monde sentant et senti :

- Toute affection du corps est perçue par l'âme.

- Toute affection de l'âme traduit une affection du corps.

- La réaction ou action de l'âme au coeur d'un seul monde qui l'affecte et la réaction ou action du

corps ainsi traversé constituent une seule et même réaction ou action.

- Le corps ne cause pas l'âme, ou inversement : il y a identité stricte.

Problème 1 : Dans la situation où la pensée est dirigée (Jung), où elle est un discours intérieur

relatif à un problème bien précis, il semble que l'âme s'autonomise ; elle semble ne plus être

attachée aux affections immédiates du corps, contrairement à l'âme dont la pensée est non-

dirigée (Jung), imagination, rêve, fantaisie. Comment résoudre ce problème ?

1) Une première remarque :

En fait, même lorsque la pensée est dirigée, le corps ne s'absente pas :

a) Le matériau de la pensée dirigée est le langage.

b) Ce langage, ces signes, ce système, ne sont pas des réalités indépendantes du corps, ils sont des

sons audibles, des traces ou gestes visibles, des odeurs diverses, c'est-à-dire des objets de ce seul

monde qui ont affecté le corps à un moment donné.

c) Pour tout dire, si la pensée est dirigée, l'âme qui perçoit le discours qui se déploie en elle n'est

rien d'autre que le corps tel qu'il garde en mémoire certaines affections passées (ces affections

renvoient aux corps humains ou objets porteurs de signes...).

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2) Une deuxième remarque

a) Ces affections passées du corps dirigé intellectuellement renvoient elles-mêmes à d'autres

affections passées. Le mot, le signe, audible ou visible, lorsqu'il affecte le corps, est associé à telle

réalité "là-devant" qu'il signifie, laquelle a aussi affecté le corps hors de ce temps pourtant présent.

Exemple : le son "pomme" est associé à toutes les fois où le corps a été affecté par l'objet qu'il

signifie (Spinoza).

b) Donc la pensée dirigée, c'est le corps tel qu'il a été affecté par des corps émetteurs de signes, mais

c'est aussi le corps tel qu'il a été affecté par les objets auxquels ces signes font référence.

c) Pensée dirigée : le corps est deux fois présent.

3) Un doute à omettre

Lorsque la pensée est dirigée, il semble que l'âme se confond avec le corps tel qu'il a été

affecté par le passé, mais non avec le corps tel qu'il est affecté présentement. L'âme affirmerait son

identité avec le corps qui n'est plus, mais elle semblerait nier son identité avec le corps actuel. Y a-t-

il alors négation du corps réellement présent, lorsque la pensée est dirigée ?

Réponse :

a) D'abord, il faut bien préciser que, lorsque la pensée est dirigée, elle ne cesse pas d'imaginer la

réalité présente. Autrement dit, lorsque se déploie en l'âme une pensée discursive, celle-ci ne cesse

pas de percevoir les affections présentes du corps dont elle serait l'âme. Certes, une faible attention

est accordée à ces affections présentes du corps, mais cela ne veut pas dire qu'elles ne sont pas

saisies : elles constituent, pour ainsi dire, l'arrière-fond nécessaire de l'activité mentale

b) Conclusion : La pensée dirigée, qui est identique à certaines affections passées du corps, en tant

qu'elle cohabite en outre nécessairement avec l'actuelle imagination errante, n'est pas négation du

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corps présent, même si elle demeure faiblesse de l'attention accordée audit corps présent.

c) NB : De même, dans le rêve nocturne, il n'y a pas négation du corps présent : l'âme continue de

percevoir les affections présentes du corps tandis qu'elle dessine une réalité peut-être différente...

Exemple : Celui ou celle qui a son amour à ses côtés, dans un lit, ne peut que rêver délicieusement.

4) Une troisième remarque

a) On peut noter que la pensée dirigée, souvent, se réoriente en fonction des affections présentes du

corps, de façon partiellement consciente. Une attention particulière est alors accordée au corps

présent, même s'il n'y a pas d'attention accordée à cette attention.

b) Exemple : La légendaire pomme-lune assommante de Newton, cette façon de sortir d'un rêve

pour pénétrer un nouveau rêve, un éveil plus intense...

c) Conclusion : La pensée dirigée, qui renvoie à certaines affections passées du corps, ne cohabite

pas seulement avec l'imagination, qui est perception présente d'un corps, mais elle peut aussi,

transitoirement, être contaminée par cette dernière. Ainsi, elle n'est pas négation du corps présent, ni

même négation de l'attention accordée à ce corps présent, et ce même si elle est parfois faiblesse de

l'attention accordée à cette attention.

5) Une mise en scelle

a) Ce qu'il faut maintenant montrer :

Le fait que la pensée dirigée, qui se connecte à certaines affections temporalisées du corps,

renvoie en elle-même au corps présent.

b) Question-réponse

Question : Qu'est-ce qu'une affection présente du corps ? Est-ce un corps radicalement neuf qui

perçoit une réalité radicalement nouvelle, absolument séparée de toute réalité perçue dans le passé

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ou dans l'avenir ?

Réponse : Non. Toute affection présente du corps est relative aux affections passées du corps,

c'est-à-dire qu'elle est reliée à une éducation, à une hygiène, à une organisation du corps, etc.

Exemple : Le fait-même que je puisse percevoir une chose comme un objet détaché parmi

d'autres objets dans un espace (3 dimensions) dépend de toute une organisation passée de l'appareil

perceptif.

c) Affirmation-explicitation

Affirmation : la pensée dirigée renvoie à certaines affections passée du corps

Explicitation :

- elle renvoie à des sons prononcés audibles ou à des signes tracés visibles, c'est-à-dire à des corps

humains parlants ou encore à des objets segmentés et inanimés (cadavres d'arbres ou autres),

émettant un sens.

- elle renvoie à la réalité signifiée par ces sons et par ces traces, laquelle constitue une somme de

phénomènes, une somme de corps séparés-reliés.

d) Conclusion

La pensée dirigée, si elle renvoie à certaines affections passées du corps, renvoie par là

même à ce qui rend possible, en partie, la manière dont le corps est affecté présentement. Du fait

même que la pensée dirigée est associée à certaines affections passée du corps, elle est liée en elle-

même aux affections présentes du corps, puisque celles-ci sont causées par de telles affections

passées.

6) Résolution énigmatique du problème posé plus haut : Newton et sa parabole

a) Newton réfléchit au problème de la chute des corps: il déploie une pensée dirigée.

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b) Le matériau de cette réflexion est le langage, lequel est constitué par une somme d'absentes

affections :

- sons audibles et traces visibles passés,

- réalité signifiée par ces signes, passée.

c) Ces affections passées du corps ne sont pas absolument disjointes du corps présent ; elles sont là,

dans la manière dont cette réalité là-devant est perçue actuellement. Autrement dit, lorsque l'âme de

Newton perçoit le discours intérieur relatif à la chute des corps, une certaine pensée dirigée, elle

perçoit un certain état mental dont chaque composant s'affirme dans la manière dont le corps est

affecté présentement, en tant que ce corps présent est relié causalement à toutes ces affections

passées.

d) Constat de Newton : une pomme tombe, contrairement à la lune. Soudainement, la pensée dirigée

est redirigée vers quelque illumination intuitive : "gravitation", "attraction".

e) A la lumière des remarques précédentes, quel est le sens à donner à cet événement ? :

- L'imagination atteste : chute d'une pomme

- La manière de cette imagination est rendue possible par une somme d'affections absentes, passées.

- Les affections passées ou absentes contenues par la pensée dirigée de Newton qu'elles causent font

partie de cette somme susdite.

- L'imagination de la pomme réoriente donc la pensée dirigée de Newton, elle lui renvoie

l'ascenseur.

f) Que s'est-il passé ?

- Sans trop s'en rendre compte, Newton a pris conscience que la manière en l'imagination dont la

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pomme affecte son corps est conditionnée par toutes ces absences passées contenues dans la pensée

dirigée.

- Or, Newton sait mieux que quiconque que la saisie d'une condition ou d'une cause dans sa vérité

adéquate suppose la saisie de ce qu'elle conditionne ou de son effet.

- Ainsi, Newton est comme guidé vers la nécessité de saisir la manière dont la pomme affecte son

corps présentement, puisque cette manière est bien l'effet dont la cause est le matériau de sa

réflexion, et ce en vue de se comprendre soi authentiquement.

- Pour Newton, et de façon générale, c'est lorsque la pensée dirigée est comprise comme constituant

la forme (partielle) de sa matière, soit de l'imagination actuelle, laquelle matière devient cause à son

tour, que cette pensée dirigée en question s'achève.

g) Déplions davantage.

Question : Quel est lien précis entre le fait de saisir la pensée dirigée dans sa vérité, et le fait de

donner une solution satisfaisante au problème posé par ladite pensée dirigée ?

Réponse :

- La pensée dirigée de Newton vise une cause susceptible d'expliquer le phénomène mécanique de

la chute des corps. En cela, elle ressemble à toute autre pensée dirigée, en tant que toute pensée

dirigée toujours se focalise sur la saisie d'une unité contenant sous elle une diversité qui pose

problème.

- Le propre de la pensée dirigée de Newton est de constituer elle-même l'effet de l'imagination du

corps passé, soit une certaine somme d'absences passées.

- En réalité, la cause, l'unité que recherche la pensée dirigée est la cause, l'unité qu'elle enveloppe

elle-même, cette cause unifiant l'inactuelle actualité dudit corps, de l'imagination.

- Donc, une fois que la pensée dirigée de Newton a compris ce qu'elle cherchait, à savoir le fait

même qu'elle cherche d'une façon certaine, alors seulement elle résout ses dits "problèmes", très

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concrètement.

- Les mots "attraction" ou "gravitation", ainsi que les jugements associés à ces termes, ne sont pas

autre chose que la pensée dirigée qui reconnaît dans sa vérité, dans sa force, dans sa puissance

d'affecter cela même qu'elle affecte.

- Toute connaissance commence avec l'expérience, mais toute connaissance ne dérive pas de

l'expérience (Kant).

h) Question de la chute des corps : "Pourquoi une pomme tombe-t-elle, alors que la lune ne tombe

pas ?"

Réponse de Newton : La lune tombe, mais différemment.

i) Explicitation de h)

Question 1 : qu'est-ce que le langage, que sont ces affections absentes et actuelles en même temps ?

Réponse : il est une éducation à saisir la ressemblance et la différence dans la réalité perceptible,

dans les objets qui traversent le corps.

Remarque :

Différence : distinction, détachement de chaque étant

Ressemblance : rassemblement des étants sous l'unité

Question 2

Dans la question de la chute des corps relative à la pomme ou à la lune, quel étonnement Newton

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saisit-il ?

Réponse

Newton s'étonne de la non-ressemblance apparente qu'il y aurait entre deux corps différents (lune et

pomme). Il recherche la ressemblance dans la différence. Il se trouve, il trouve sa traduction : vérité

assertorique.

7) Bilan-conclusion :

La pensée dirigée dirige ce qui la contamine, c'est-à-dire l'imagination errante présente

(corps présent).

La pensée dirigée a la puissance d'accorder lucidement une certaine attention à son impact

dans la manière dont l'imagination présente (le corps présent) se déploie.

Ainsi contaminée, la pensée dirigée résout le problème sur lequel elle se concentrait ; car en

saisissant l'effet de manière adéquate, elle peut saisir la cause de manière adéquate.

Donc la pensée dirigée est bien liée :

a) Souffrance de la révélation-réflexion

b) Etonnement face à la non-ressemblance de l'affection présente

c) Joie de la réverbération, laquelle appelle une nouvelle souffrance, etc., indéfiniment.

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Problème 2 : si la pensée est imagination errante, non pensée dirigée, l'affection du corps peut

renvoyer à des affections absentes, passées. Y a-t-il alors négation du corps présent ?

1) Réponse immédiate

Non : car ici, le point de départ ou le lieu originel de la pensée reste explicitement l'affection

actuelle d'un corps, laquelle affection n'est que tendue vers des absences non totalement niées.

2) Conséquences

a) Il est maintenant clair que l'humain en tant qu'il est ce qui m'arrive à moi seul n'a absolument pas

une âme et un corps séparés.

b) Question :

Certains continuent d'affirmer cette séparation tout en prétendant qu'ils ne parlent pas du

corps et de l'âme d'autrui, mais bien du corps propre ou de l'âme propre. Comment expliquer cette

étrangeté ?

Réponse :

- Ce "soi" doit se considérer comme un objet extérieur à lui-même, soit comme un "autre",

- ou plutôt, il doit se considérer tel qu'il est perçu comme un autre par les autres.

Dualité : son corps appartient au monde perceptible, accessible au public ; son âme, en

revanche, appartient à un monde apparemment inconnu de ceux qui perçoivent tel corps propre.

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c) Question : D'où vient le fait que ce "soi" se met à la place de l'autre, et ainsi se considère comme

un autre ?

Réponse : Cette rotation du regard s'opère lorsque la pensée dirigée est inattentive à quelque

attention accordée à l'imagination. Il semble que l'utilisation d'un certain langage rend possible cette

tentation de se mettre à la place de l'autre pour se considérer soi.

d) Explicitation du mécanisme qui vient d'être suggéré

- Qu'est-ce que le langage tel qu'il se déploie dans la pensée dirigée ? Réponse : des absences

présentes, mémorisées (sons, gestes, vacarme, coups, odeurs, etc.).

- En quoi le langage implique-t-il la tentation de considérer ses affections propres du point de vue

de la conscience d'autrui ? Réponse : le langage est la façon dont autrui me hante.

- Expliquons-nous. Lorsque je déchiffre un message, ou lorsque je reconnais la ressemblance

dans les différences que constitue la réalité, et ce solitairement, l'expérience d'autrui parlant se

manifeste comme force motrice. Oui, d'une certaine façon, autrui parlant me considère, me

commente, lorsque je fais l'expérience, en son absence, de mon aptitude à rendre signifiante la

réalité ci-présente.

- Je prends donc bien la place d'autrui pour me considérer moi-même toutes les fois où

j'expérimente une réalité rendue signifiante par l'absence présente d'autrui parlant. Ce dialogisme

fallacieux est à la base du dualisme âme-corps, que nous venons de tenter de déconstruire.

Appendice : précisions sur un aspect de l'oeuvre de Bergson

Bergson réfute, dans « L'âme et le corps », la tendance cognitiviste à identifier l'esprit à la

matière cérébrale. Sur ce point, nous ne pouvons qu'être d'accord avec lui. Mais il a tort de supposer

que Spinoza, qui est le point de départ de notre analyse, irait lui-même dans le sens d'un tel

réductionnisme crétin. Nous verrons cela.

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Bergson postule une mémoire intégrale qui ne serait pas « encartée » cérébralement. Le

cerveau enregistrerait uniquement les faits de mémoire servant l'action plus ou moins immédiate, la

motricité à court ou à moyen terme. Il ne contiendrait nulle « trace » de cette mémoire vive qui est

en nous, malgré nous, en laquelle l'intégralité de notre passé est « conservée », et qui coïncide avec

la multiplicité qualitative de nos faits de conscience profonds, avec la durée pure qu'on ne peut

spatialiser sans la trahir. Dans cette perspective, il y aurait certes une forme de solidarité entre le

cerveau et l'esprit : le cerveau serait comme la pantomime grossière (partielle) gesticulant au son de

la musique fluide, continue, complexe, et subtile de l'esprit. L'esprit quant à lui outrepasse le corps :

spatialement, l'oeil s'évade ; temporellement, l'esprit conserve absolument tout, et ce tout n'est pas

entièrement visualisable sur une « photographie » du cerveau en mouvement. Dès lors un espoir est

permis : si l'esprit, ou l'âme, est plus que le corps, alors cette instance pourrait bien survivre au

corps. Cette proposition ne serait pas contraire à une certaine « logique » (la logique du vivant

spirituel).

La réfutation bergsonienne du réductionnisme physicaliste est irréfutable. Mais là où nous

pourrions faire un reproche à Bergson, c'est dans le fait de déduire de cette réfutation une forme de

dualisme « spécial », qui n’est pas assez clarifié. Bergson a tort de « réduire » lui-même le corps à

l'étendue (le cerveau comme étendue visible, etc.). Nous l'avons vu, le corps est d'abord perception,

sensation. Nous l'avons identifié à cela depuis le départ. Or le fait de la perception, ou de la

sensation, est en lui-même invisible dans le monde. La manière dont je vois ou perçois une chose

là-devant, en tant qu'être corporel, n'est en elle-même pas visible pour un autre, ni même pour moi

d'ailleurs. Ma corporéité sensible n'est pas quelque chose « d'étant visible », ou « d'étant étendue ».

Mon cerveau vécu, lui-même, est inextensif. En tant que corps, donc, je ne suis pas dans l'espace, je

ne suis pas appréhendable. Je suis une pure temporalité interne, invisible, une durée pure.

Autrement dit, mon corps est exactement ce que Bergson entend par « esprit » ou « âme ». Un

monisme fondamental découle de là. Bergson fait dans la facilité : il réduit le corps à une matière

visible là-devant (le cerveau comme substance anatomique, c'est-à-dire morte), et il en déduit que

l'esprit n'est pas ce « corps » : autant dire que la mort n'est pas la vie, ce qui est l’évidence même.

Ce corps invisible de la perception, de la sensation, je le rattache analogiquement au corps

visible, apparemment percevant, appartenant à d'autres individus qui me ressemblent (car je

« sens » bien que ces corps sont animés de l'intérieur). Et là, certes, nous retrouvons une forme de

dualisme, mais un dualisme superficiel, qui se surajoute superficiellement au monisme fondamental.

Ces individus meurent, en tant que corps visibles, cela reste indubitable. Mais il m'apparaît aussi

que leur capacité de sentir ou de percevoir, capacité qui s'enracinait très certainement au sein d'une

mémoire corporelle intégrale, n'est plus, une fois qu'ils sont morts : je le « sens » et le constate très

bien. J'apprends alors que je suis moi aussi une étendue, visible pour d'autres, dont le corps invisible

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a pour substrat un corps périssable : je le connais intuitivement. Le dualisme superficiel et

provisoire devient monisme définitif : corps « visible », corps invisible et esprit ne font plus qu’un.

L'espoir bergsonien n'est plus vraiment permis. La mort est sûrement définitive.

Néanmoins je ne fais jamais que sentir, ou intuitionner, sans démontrer quoi que ce soit, la

nécessité de cette mort de mon corps invisible (ou de mon esprit) attachée à la périssabilité

apparente de tout corps visible pour un autre. L'impossibilité de la démonstration, les limites du

« sentir » ou de l'intuition, m'ouvrent à un nouvel espoir. Et ce sentir lui-même peut se renverser

d'ailleurs, vers une foi raisonnable. Bergson, cet anxieux, aurait voulu poser un ultime dualisme

« spécial » pour « sauver sa peau » après sa mort. Mais un monisme intégral, plus cohérent, moins

superficiel, en outre, moins soumis à quelque « réverbération ontologique » impensée, permet tout

autant une perspective eschatologique raisonnable.

En outre, dans une toute autre perspective, si le monisme est radical, rien n’exclut, dans le

cas où un « corps » en tout point identique au mien resurgisse, dans l’éternité physique, que mon

« âme », ainsi indissociable de lui, se re-manifeste également (nous posons ici la question d’une

« métempsychose à l’identique », dans le contexte de l’éternel retour du même ; et nous soulevons

ici le point central, quoique discrètement, pour ne pas heurter).

C'est le langage qui fait le lien entre le corps et l'âme, entre le fait de la perception, invisible,

et le fait de l'intellection, invisible également. Ce langage, s'il se saisit dans son unité, ouvre la voie

à un monisme joyeux, où même Dieu, l'âme immortelle, la liberté, sont des potentialités

envisageables. Parmi tant d'autres.

Spinoza lui-même a thématisé le langage en ces termes (cf. : le son « pomme »). S'il dit que

le corps est étendue visible, il parle alors du corps superficiel, tel qu'il est pour un autre, et non du

corps vécu en première personne. Ce corps vécu, qui renvoie au problème de l'expression, et du

langage, donc, chez Spinoza, c'est bien le corps des affects, inextensif. Identifier Spinoza au

cognitiviste contemporain revient à identifier Chopin à Gainsbourg : c'est-à-dire à identifier un

maître à qui on ne la fait pas à un disciple qui n'est jamais qu'un cancre brouillon sans discernement.

Celui qui produit cette identification, tel Bergson, n'a lui-même pas l'oreille assez fine.

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Rêverie et discursivité

La "pensée dirigée", chez Jung, est la pensée "discursive" : elle est le flux intérieur de la

conscience tel qu'il se formule en mots, mots qui composent des jugements, jugements qui

composent des raisonnements, raisonnements qui résolvent des problèmes. Cette structuration de la

pensée est, nous dit Jung, non pas la norme, mais une exception dans le vaste champ de la

conscience : de fait, elle requiert concentration, précision, attention, qualités qu'il n'est pas aisé de

déployer constamment ! La norme serait donc du côté de la pensée non dirigée, de la rêverie diurne,

de l'imagination errante et fantaisiste, qui, si elle peut être composée par des bribes de mots, de

phrases, demeure peu articulée, et sera avant tout focalisée sur le percept, sur cela qui advient là-

devant, ou encore sur les souvenirs d'enfance, les espoirs, les délires passagers, etc. Cette pensée

non dirigée ressemblerait, si elle était dicible, aux monologues intérieurs de James Joyce (Ulysse) :

elle est déstructurée, irrationnelle, elle procède par associations libres et gratuites, elle nie les

fameuses catégories kantiennes de l'entendement (causalité, nécessité, réalité, etc.), elle est la folie

douce qui hante constamment (et le plus souvent) notre esprit. En ce sens, Nietzsche a raison de

suggérer, dans la Naissance de la tragédie, que la plus grande part de notre vie psychique est

consacrée à une création quasi-infantile dénuée de toute orientation rationnelle. Nous nous

prétendons dotés de raison (et telle serait même, selon la tradition, notre différence spécifique),

mais sur un plan bêtement statistique (en considérant les durées passées à raisonner ou à dériver),

nous sommes essentiellement des doux rêveurs.

Cela étant dit, nous continuons à identifier la pensée à la parole articulée et construite. Ce

qui fait problème. Qu'est-ce à dire ? Ma thèse, dans un premier temps, est la suivante : nous

survalorisons la pensée dirigée (ou discursive, articulée, logique) à cause de l'angoisse

fondamentale que susciterait le constat d'une prédominance de la solitude attachée à la pensée non

dirigée ; autrement dit, c'est par souci d'intégrer l'autre en soi que nous occulterions la faible part

que représente l'intellection dans notre vie psychique, que nous opterions, sans thématiser ce

"choix", puisqu'il s'ignore en tant que choix, cela va sans dire, que nous opterions disais-je pour

l'illusion d'une "nature" généralement rationnelle, logique, de l'homme. Cette mésestimation

implique alors une scission radicale entre les deux modes de pensée que nous avons distingués :

rêverie et discursivité. Dès lors, le problème que je pose, dans un deuxième temps, est le suivant :

comment réconcilier ces deux sphères opposées entre elles ?

Explicitons d'abord la thèse proposée. La pensée dirigée est composée de mots, avons-nous

dit. Mais les mots ne sont pas venus dans nos consciences ex nihilo. Leur présence en nous dépend

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de rencontres déterminées, rencontres d'autres hommes, mais aussi rencontres d'autres objets

signifiés par ces hommes. C'est dans cette double relation, intersubjective et intramondaine, que la

possibilité du langage advient. Ainsi donc, quand je pense à part moi-même, dans la solitude

réfléchie, à l'aide de mots, autrui s'affirme en arrière-fond comme déterminant un tel déploiement,

en tant qu'il est, pour ainsi dire, sa condition nécessaire de possibilité : nécessaire mais pas

suffisante, notons-le bien : le monde aussi conditionne. Dans la pensée dirigée, l'autre est une

présence absente ; absente physiquement, mais présente en tant que principe causal. A l'inverse,

tandis que je rêvasse, sans but et sans mots, tandis que j'erre dans les limbes de la fantaisie diurne,

fantaisie consciente, disons-le tout de suite, car chaque image ici présentifiée est clairement perçue,

dans cette attitude, apparemment, je suis absolument isolé, clos sur moi-même, l'autre n'est plus là,

même pas de façon fictive, pour affirmer son influence sur moi. Je suis dans le singulier pur, dans

l'incommensurable, seul face à moi-même. Certes, dans ces moments-là, je ne suis pas angoissé : la

rêverie est associée, à juste titre, au contentement, au bonheur calme et serein. Mais c'est une fois

que j'envisage thématiquement l'omniprésence de ce mode, en mots, dans ma pensée dirigée

précisément, que je commence à me sentir angoissé. Et là et le point essentiel : notre vie psychique

est scindée en deux temporalités apparemment étanches mutuellement, tant sur le plan cognitif

(l'imagination errante contre l'intellection concentrée) que sur le plan affectif (la sérénité d'un état

est niée par l'état contraire). D'ailleurs, de même, la pensée non dirigée, si elle se voit intrusivement

pénétrée par des bribes de dirigisme rationnel, se sentira violée : au monde de l'enfance et de la

poésie, qui est le plus souvent le nôtre, voudra se substituer le monde froid, distant, désengagé,

formel, logique, des adultes ratiocinant, adultes qui, par politesse, et ce n'est que de la politesse, une

façon d'être policé, ont constamment ce souci d'intégrer autrui, mais un autrui désincarné, une forme

transcendantale neutre, à leur intériorité. Une angoisse de liberté esseulante face à un sentiment de

viol intrusif : deux champs de la pensée intégralement séparés (?).

Tentons néanmoins de rapprocher ces deux champs. D'abord, contrairement à ce que j'ai

postulé, par souci de bien distinguer, autrui n'est pas intégralement absent tandis que je rêvasse. En

effet, les affects indicibles que contient la pensée non dirigée solitaire, qui relèvent éminemment de

la faculté esthétique, dépendent d'une certaine manière de mes relations passées à autrui : si j'aime

contempler tel coucher de soleil, c'est aussi, par exemple, parce que mes parents m'ont élevé de telle

sorte que je puis y être sensible ; etc. Par ailleurs, la pensée dirigée n'est pas totalement socialisée,

elle a aussi sa part de solitude et de folie singulière : d'une part, comme nous l'avons dit, la

rencontre avec le monde, avec les objets signifiés par les mots, est une condition elle aussi

nécessaire de l'aptitude à la parole logique ; or, cette rencontre est solitaire, elle admet un parasitage

de l'errance inaudible ; d'autre part, au moment même où autrui me parle, et où il forge en moi cette

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capacité à déployer, plus tard, des discours intérieurs structurés, je suis également susceptible de le

percevoir sur le mode de la pensée non dirigée : il me parle, je le regarde vaguement, je pense à

autre chose, j'associe ses mots à des souvenirs lointains, de façon gratuite, etc. Nous sommes entre

adultes, mais je fais l'enfant : je le nie, je néantise ce moment où je suis avec lui ; de son côté, lui-

même fait peut-être la même chose. Telle est donc ma brève résolution : de fait, pensée non dirigée

et pensée dirigée se contaminent mutuellement, la solitude radicale et la reconnaissance polie, et

consolante, rassurante, d'autrui se côtoient et se confondent constamment. Mais ni l'un ni l'autre de

ces modes de la pensée n'accorde, au moment de son déroulement, c'est-à-dire au moment où il est

la dominante, la coloration majeure, il est ici question d'une différence de degré, une attention

suffisante à cette contamination pour qu'elle soit pleinement mise au jour. Par ailleurs, la pensée non

dirigée demeure le mode le plus fréquent, comme je l'ai dit initialement : il y a malgré tout une

guerre à mener, une conquête à réaliser.

Ma solution au problème posé étant donc élaborée avec les moyens du bord, je me propose

d'en poser un autre, dont l'élucidation s'appuiera sur les résultats obtenus plus haut. Voici la question

: dans ce cadre philosophique, que veut dire le langage, au fond ? A première vue, il ne dit rien de

concret, il est, en tant qu'il est censé signifier, la négation même du vécu concret intérieur.

Expliquons-nous. Tandis que vous me lisez, d'autres pensées, souvenirs, rêveries, vous viennent à

l'esprit. Vous êtes là, et vous n'êtes pas vraiment là. Mais cette dimension singulière de votre vécu,

je l'occulte purement et simplement. Pour moi, les mots ici utilisés ne sont pas accompagnés de

rêveries autres que les miennes. Ainsi donc, notre espace commun est purement logique, désincarné

: vous me comprenez, vous saisissez les mots que j'utilise seulement dans la mesure où ils possèdent

une somme déterminée et finie de prédicats analytiques qui ne renvoient qu'à des règles mécaniques

apprises par cœur (catégorisations), prédicats qui eux-mêmes renvoient à d'autres prédicats, etc. à

l'infini... jusqu'à la vacuité du sens : l'être... ou le néant, ici, c'est la même chose : "l'universel

abstrait" au sens hégélien. Donnons un exemple. Je dis le mot "mot". Très certainement, nous nous

entendons là-dessus, et uniquement là-dessus : "mot est signe, est référence, est logos, est discours,

est étant, signe est sens, est renvoi, est étant, référence est rapport, est relation, est étant, logos est

raison, est principe, est dévoilement, est étant, etc. à l'infini". Dans ce procès vertigineux, pas une

seule fois je n'ai fait référence à votre expérience singulière du réel. Ainsi donc, par ailleurs, le mot

"mot" renvoie à toutes les expériences spécifiques que vous avez faites de sa prononciation par

d'autres dans votre vie, mais aussi à toutes les expériences que vous avez faites de cette réalité

signifiée par le mot "mot", et ce condensé, je l'appelle "contenu concret, existentiel", du mot "mot"

(la rêverie y a sa place). Mais en ce qui me concerne, le contenu concret, existentiel du mot "mot",

est tout à fait différent du vôtre, et jamais vous ne pourrez le connaître dans sa complétude tout

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comme je ne connaîtrai jamais le vôtre dans sa complétude. Nous nous "entendons", nous sommes

l'un pour l'autre des entendements, seulement relativement au rien que constitue la régression à

l'infini, régression propre à la logique, que je viens d'expliciter. De là, nous ne nous écoutons pas,

nous ne sommes pas attentifs l'un à l'autre.

Une seule façon de sortir de cette impasse : parler, échanger avec et écrire pour ceux qui sont

présents dans nos vies, en chair et en os ; c'est dans l'expérience commune que se constitue une

compréhension des contenus concrets et existentiels des mots d'autrui. Par exemple, lorsque je

rencontre l'être désiré et que je lui dis, très tôt, que je l'aime, le mot "amour" n'a pas encore un sens

compréhensible pour lui, ou pour elle. Il ou elle a vécu des amours singulières dont j'ignore la

spécificité, de même de mon côté. Je lui dis "je t'aime", mais nous nous entendons seulement sur

des prédicats analytiques, empruntés à la chimie (phéromones) ou à la littérature (passion

romantique, bovarysme). Mais sitôt que j'apprends à connaître ses histoires singulières, et surtout,

que je vis avec cette personne ledit amour en question, nous pouvons réinjecter dans cette

abstraction initiale un peu de vécu, de vie : nous nous reconnaissons. Est-ce à dire que l'écriture, qui

se destine le plus souvent à des inconnus, est une aberration ? D'un certain point de vue,

probablement : la critique platonicienne du pharmakon, de l'écrit, dans le Phèdre, devient dans ce

contexte une dénonciation légitime de ce qui est à la fois un remède, un moyen technique pour la

mémoire, et un poison, une façon d'occulter la mémoire vive, de fuir la dialectique véritable, qui se

pratique en chair et en os. Mais, d'un autre point de vue, pas forcément : car nous faisons des

expériences communes, même si nous ne nous sommes jamais rencontrés. L'écrivant qui saura le

plus intensément, le plus multiplement être affecté, traversé, pénétré par son époque sera

éventuellement capable d'accéder et de faire accéder autrui (son lecteur) à un certain contenu

concret et existentiel des mots qui serait devenu collectif.

De là, transmettre une certitude, ou une révélation, concernant une réalité que désignent très

imparfaitement les mots, dans la mesure où cette réalité repose sur toute cette part d’errance

inaudible de la pensée non dirigée, de la rêverie, de l’intuition inarticulable, est l’impossibilité

même, si les mots écrits ne se transcendent pas eux-mêmes, vers un principe de communication

suscitant quelque « empathie » pré-verbale. Nietzsche, confronté à la « vérité » de l’éternel retour

du même, prit conscience de cette difficulté, et écrivit son Zarathoustra (mais en vain).

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La conscience et la non-conscience

Qu'entend-on primitivement par conscience ? Le fait même de penser la pensée, soit le fait

de penser ce qui devient, dans la mesure du moins où cette pensée qui est pensée lors du temps de la

conscience, c'est aussi le corps qui se sent lui-même traversé par des intensités, et car intensités

signifie : différences dans la grandeur, dans la réalité, dans la relation et dans la manière de la

puissance qui est rendue présente par la pensée, c'est-à-dire : sentiment de la transition continue, de

la transformation, de la variation, du "de-venir". Mais nous pouvons le dire autrement, de façon plus

explicite : la conscience est saisie du devenir, au sens où la clarté qui est sentie en elle devient

toujours plus clarifiée. Quoiqu'il en soit, il est certain que la conscience ne peut recevoir ce qui ne

devient pas. Cela serait possible s'il n'y avait pas d'intensités, ou si intensité voulait dire :

invariabilité quantitative, qualitative, relative et modale de la puissance qui apparaît au cours de la

pensée. Mais tel n'est pas le cas.

La conscience contient ce qui devient. Mais devient-elle elle-même, en elle-même ? Est-elle

ce qui varie ou bien ce qui ne varie jamais, se confond-elle ou non avec son contenu ? La réponse

est simple : nous l'avons dit, la conscience est une pensée qui pense la pensée, un fait qui se reflète

lui-même. Cette pensée qu'est la conscience, par définition, est elle-même la pensée qu'elle pense,

elle est comprise dans ce qu'elle pense. Disons-le, nécessairement, la conscience devient, puisqu'elle

n'est pas autre chose que ce qui se pense en elle. Certes, s'il y avait deux pensées s'écoulant

simultanément, il serait possible de dire que l'une, pensée par l'autre, devient, alors que l'autre,

pensant la première, ne devient pas. La conscience pourrait se tenir dans l'invariabilité d'un état figé,

tandis que son contenu, extérieur à elle, serait soumis à la différence et à la transformation. Mais il

n'y a certainement pas deux pensées ; seulement cette seule pensée, incertaine en son évidence.

La conscience est une certaine attention accordée à la manière dont le corps est affecté. Cette

manière dont le corps est affecté est elle-même une attention à elle-même, une façon de se sentir

soi. Et cette attention à soi est une attention à une certaine attention, puisque le soi est ce qui est

attentif. La conscience est une attention accordée à une attention accordée à une attention, etc. à

l'infini. La question de la conscience, de l'attention, nous mènerait tout droit vers une régression à

l'infini. C'est ainsi qu'elle renvoie apparemment à un trou sans fond, ou à un envol privé de sol,

c'est-à-dire au malaise lié à la privation de consistance et de direction. Mais cette façon de présenter

les choses n'est peut-être pas la seule possible. On pourrait tout aussi bien dire : il y a pensée, il y a

conscience. Ou encore : l'idée est, indexe d'elle-même (Spinoza). Point final. Dans ce cas, la réalité

de la conscience ne ferait plus aucun doute, dans la mesure où celle-ci serait bien localisée : bien

sûr, dirait-on, c'est cela la conscience, ce qui arrive, cette ouverture unique sur la différence, cette

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seule multiplicité ! Nous la sentirions bien venir.

Souvent, on est tenté, éventuellement à tort, de considérer la conscience comme un mode

"parmi d'autres" de la pensée. Dans cette mesure, il y aurait des états conscients et des états non-

conscients, simultanés ou successifs, qui se distingueraient les uns des autres pour former des

réalités séparées. Examinons les deux options :

1) Supposons d'abord que conscience et non-conscience sont simultanément disjointes. Par

exemple, supposons qu'il y a d'un côté la pensée qui pense la pensée, soit l'état conscient

proprement dit, et, hors de cette sphère, d'un autre côté, mais dans le même temps, la pensée qui est

pensée par cette pensée, soit l'état non-conscient. Il y aurait celle qui sent, jamais sentie, et celle qui

est sentie, incapable de sentir, à l'intérieur d'un seul instant. La conscience serait une réalité

partielle, contredite par une autre réalité partageant sa présence. Mais cela serait absurde : nous

l'avons dit, la conscience est le fait de se sentir soi-même, dans ce seul temps qui devient ; elle est

l'identité actuelle du sentant et du senti, la tautégorie, la sensation de la sensation, cette seule

sensation ; s'il y a conscience, actuellement, lors d'un écoulement donné, il ne peut y avoir

vraisemblablement que la conscience, à l'exclusion de toute autre manière de penser. La conscience,

sans doute, ne cohabite pas avec son contraire, puisque son inscription dans la pensée doit bien

impliquer sa totale coïncidence avec toute pensée possible, avec tout être possible. Une pensée

actuellement attentive est, normalement, absolument attentive, jamais partiellement inattentive.

Rejetons ainsi en toute légitimité apparente cette hypothèse qu'envelopperait telle première option.

2) Supposons maintenant que conscience et non-conscience sont successivement disjointes. On

admettrait alors que ce genre d'état qu'est la conscience n'est pas la seule possibilité de la pensée en

tant qu'elle est conçue comme discontinuité dans le temps. Il y aurait, parfois, des états de

conscience, puis, parfois, des états de non-conscience. Par exemple, il y aurait d'un côté l'endormi

qui ne rêve pas, non-conscient, et de l'autre l'éveillé qui se pense lui-même, conscient. L'absurdité

de cette option est beaucoup plus difficile à dévoiler, bien qu'elle soit certaine. Certes, d'un côté,

n'importe qui peut admettre qu'il a "vécu" des instants où il ne se sentait plus lui-même : celui qui a

été ivre, celui qui éprouvé la transe, celui qui est sorti du coma, etc. Mais en même temps, d'un

autre côté, nous ne pouvons raisonnablement nous fier à des témoignages aussi douteux. Car peut-

on vraiment "vivre" un temps où s'impose l'absence de toute sensation de soi, c'est-à-dire de toute

sensation tout court, l'absence de toute pensée ? Peut-on faire l'expérience de ce qui ne contient

jamais ce qui rend possible toute expérience ? De tels moments existent-ils vraiment ? Sont-ils réels

? De prime abord, absolument pas. Dès que cesse la conscience, la pensée qui se pense, alors la

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pensée en elle-même, tout être, doivent bien cesser. Contredire la conscience dans la succession

temporelle est bel et bien une chose visiblement impossible : toute non-conscience ainsi entendue

ne saurait être dite ; elle ne saurait être dévoilée par le dit, en tant qu'elle ne saurait se dévoiler elle-

même ; comment pourrait-elle contredire quoi que ce soit ?

3) En résumé, une illusion serait ici entendue, en ce qu'elle s'attacherait à l'idée maintenant

explicitement impensable que la conscience est une réalité seulement partielle de la pensée, laquelle

idée reposerait sur deux préjugés, sur deux croyances bien enracinées mais certainement non

fondées : la première poserait une non-conscience réelle extérieure spatialement à la conscience ; la

seconde en poserait une, tout aussi réelle, qui est extérieure temporellement à la conscience.

Dans la mesure où il n'y a que la pensée, il faut dire qu'il n'y a que la conscience. En cela

seulement, la non-conscience ne serait pas un mode de la pensée, ou de l'être, mais elle désignerait

bien plutôt l'absence de toute pensée, de tout être, l'absence de vie. Certaines expressions du

quotidien sont éloquentes à ce sujet : par exemple, on considère parfois que tel est "ivre-mort" ; ou

encore, on dit d'un drogué en transe qu'il "n'est plus avec nous" ; etc. Dans nos esprits est bien

présente la sage idée que tout corps qui ne se sent plus lui-même a cessé d'être un corps proprement

dit, est un corps qui s'est absenté. Malgré tout, le doute persiste : en un sens, tout de même, la non-

conscience semble bien posséder un certain être, une certaine consistance (après tout, si elle se

laisse penser ici-même, c'est qu'elle doit bien se poser d'une certaine manière...). Ce doute renvoie à

une certaine prise en compte du regard, de la pensée, de la conscience d'autrui, tels qu'ils affectent

d'une certaine manière notre regard, pensée, conscience. Présentons ce doute, et le quelque

prévisible rejet de sa teneur :

1) Prenons un premier exemple pour illustrer cette situation déroutante d'un doute : un homme qui a

été ivre apprend le lendemain par ses amis qu'il a quitté sa conscience, qu'il a cessé d'être, à un

certain moment de son ivresse. Lors de cette révélation, il est bel et bien conscient, il est, il vit. Et

c'est ainsi que la certitude d'avoir éprouvé la non-conscience devient elle-même sentie, consciente

pour lui. Autrui a vécu pour lui sa non-conscience, et il finit par la lui faire vivre, grâce à la

transmission d'un tel vécu. Pour tout dire, par autrui, la non-conscience semble devoir perdre un peu

de son inconsistance. Cela est vrai pour la non-conscience temporellement séparée (ivresse, transe,

etc.) mais aussi pour la non-conscience spatialement séparée : en effet, un médecin peut bien nous

apprendre la présence d'une maladie sans que nous ayons senti cette présence avant une telle

annonce ; il a pu déceler par exemple l'existence de certaines substances toxiques dans notre sang

(lesquelles restaient alors invisibles et encore indolores pour nous, c'est-à-dire non aptes à

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engendrer leur sentiment, leur conscience), et ce pour nous révéler, a posteriori, cette existence. La

maladie était une non-conscience, un non-être, cohabitant apparemment, de façon simultanée, avec

l'être, qu'autrui, le médecin, a pu vivre pour nous et ainsi nous dévoiler. Ici encore, c'est bien autrui

qui fait l'expérience de notre non-conscience et nous la transmet, comme pour compenser un

manque. Ici encore, autrui semble devoir rendre manifeste une singulière teneur de la non-

conscience.

2) Bien sûr, cette objection, ce doute, n'est pas négligeable ; il faut bien reconnaître que le fait de

dire : "il n'y a que cette pensée, cette pensée consciente, et toute non-conscience n'est pas", peut

bien nous conduire vers cette autre dangereuse proposition : "il n'y a que ma pensée, la pensée

d'autrui ne compte pas, n'a pas d'être réel". Pourtant, notre inquiétude, notre manque d'assurance, ne

seraient pas vraiment justifiés. Et c'est ce qu'il s'agit de bien montrer maintenant. Réfléchissons :

qu'est-ce qui serait si choquant, au fond, dans le fait d'admettre que finalement, inévitablement, s'il

y a bien toujours un "il y a", c'est qu'il y a encore ma pensée et seulement ma pensée, soit dans le

fait de nier la non-conscience ? Ce qui nous choquerait, c'est la violence apparente d'une solitude

radicale, fatale, indépassable. Ce qui nous choquerait, c'est la découverte d'une situation

d'enfermement absolu, de clôture totale. Ce qui nous choquerait, c'est l'affirmation d'une distance

infinie qui nous sépare d'autrui, lequel semble pourtant tellement proche, presque fusionné, tel qu'il

présente son visage, son expressivité, sa significativité, sa voix, sa parole. En un mot, ce qui nous

choquerait, c'est de devoir constater une perception consciente d'autrui en tant qu'elle ne peut jamais

renvoyer qu'à une auto-affection, impudiquement repliée sur elle-même. Mais il n'y aurait là peut-

être qu'une présentation bien dramatique et bien peu juste de considérer la chose. Nous n'aurions

pas tant de raisons d'être ainsi choqués. Dire que seule compte ma pensée, à l'exclusion de toute

autre pensée extérieure, nier la non-conscience, cela pourrait aussi vouloir signifier la quiétude d'un

lien extrême me connectant à autrui. En effet, contrairement aux apparences, celui qui croirait

connaître une consistance réelle de la conscience d'autrui telle qu'elle serait extérieure, serait celui

qui doit sentir le plus son absence, son évaporation angoissante dans le plus lointain, dans la mesure

où cette reconnaissance ne pourrait avoir effectivement lieu. Seul celui qui accepterait l'évidence

selon laquelle autrui comme instance séparée n'est pas réel pour soi pourrait se mettre véritablement

en quête d'autrui, en tant qu'il aurait décidé de se conformer à la seule manière d'accéder à autrui,

courageusement, mais poursuivant aussi ses intérêts les plus profonds, à savoir sa joie d'être

conscient d'autrui, avec autrui. Certes, si nous avions fait l'expérience, dans une autre vie passée,

d'une conscience réelle d'autrui pleinement accessible, laquelle nous serait devenue inaccessible au

sein de cette vie actuelle ontologiquement solitaire, nous aurions de bonnes raisons de gémir, de

nous plaindre, d'être choqués, car nous sentirions effectivement une privation, un manque, une

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mutilation. Mais nous n'avons encore jamais su si une telle expérience a eu lieu, ce qui veut dire

que, pour l'instant, elle n'a certainement pas eu lieu. Oui, par-delà pessimisme et optimisme, il faut

bien dire : autrui ne pourrait être ni plus proche ni plus loin, ni plus ouvert ni plus fermé, pour

l'instant.

3) Nous rendrions donc les armes, une bonne fois pour toutes, en déclarant : "Avouons-le, au

moment de la non-conscience, pour le non-conscient, qui est toujours ce seul non-conscient, soit

dans l'absolu, il n'y a rien, aucune vie, aucun il y a, cela est indubitable. Autrui, déployant sa

conscience distincte, insondable, peut bien la considérer dans tous les sens, de la façon la plus

lucide et la plus précise possible, cela, tant que cette non-situation durera, ne pourra rien changer à

l'affaire. Certes, plus tard, celui qui "fut" non-conscient, ayant retrouvé l'être, la sensation de la

sensation, pourra rencontrer cet autre en question qui a éprouvé son non-corps ; la qualité du regard

passé de cet autre, et une certaine aptitude à la communiquer clairement, seront alors cette fois-ci,

dans ce contexte nouveau, bien peu indifférentes pour celui qui fuyait furtivement hors de la pensée

; elles rendront même peut-être possible une manière positive de comprendre, d'intégrer à l'être, un

néant, une faille apparente dans le temps. Mais cette expérience tardive de la non-conscience n'est

jamais la possibilité d'une consistance réelle de la non-conscience : même si la non-vie est racontée

plus tard par des témoins extérieurs, elle ne saurait être ressuscitée en cela ; peut-être, le souvenir

qui appartient au soi, à la rigueur, est une forme de résurrection, car il est la répétition, atténuée

mais fidèle, d'un certain devenir ancien de ce seul corps qui se laisse sentir ; mais le souvenir du

non-corps provenant d'une pensée autre ne peut opérer nul retour de la vie, puisque le remémoré n'a

lui-même jamais été inscrit dans cette vie. Toutefois, et c'est le bon côté de la chose, la nécessité

d'autrui, de son récit, ne s'affirme pas moins pour autant. En effet, sans autrui, sans cette conscience

singulière qu'il pénètre, la saisie de l'inconsistance du néant, de la non-conscience, serait impossible

; car seule l'infidélité criante de son témoignage, son inadéquation, rend évidente cette

inconsistance, laquelle inconsistance n'aurait pu être soupçonnée en l'absence totale de témoignage

(adéquat ou inadéquat), puisqu'elle aurait alors concerné un non-corps dénué de toute attention,

même a posteriori, même vaine. Oui, sans autrui, ce qui est nécessaire pour la vie, consciente, ne se

poserait pas, à savoir la certitude de l'irréalité de sa négation, la certitude de la pleine légitimité de

son affirmation, la certitude d'elle-même. L'autre, qui narre le rien sous son masque trompeur, après

coup et hors du coup, est ma conscience absolument lucide, dès que j'accepte de jouer dans les

règles. En ce qu'il est reconnu comme non séparé, réel pour moi en tant qu'irréel hors de moi, nous

fusionnons proprement dans une pensée claire comme le jour, qui a retrouvé le site qu'elle n'avait

jamais quitté. Il n'y a que la pensée, il n'y a que la conscience pleine et assurée, il n'y a qu'autrui,

juste en tant que non ajusté, confirmant le non-être du non-être, de la non-conscience ".

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Conclusion

Nous avons pu établir assez précisément les raisons qui font que l'on peut être séduit par le

projet d'isoler deux modes distincts de la pensée, à savoir le mode conscient et le mode non-

conscient, mais aussi déceler les écueils envisageables de la soumission à cette tentation (perte

probable d'autrui et de soi). Pour ainsi dire, il est maintenant évident que c'est l'égarement

assurément inquiet et plaintif d'une volonté de reconnaître autrui par l'autonomisation-réification de

sa pensée en ce qu'elle serait pensée du dehors, qui fonde les deux préjugés constituant l'illusion

visible d'une non-conscience consistante : oui, c'est elle, cette pensée d'autrui sans doute mal

reconnue, sans doute mal perçue, semblant séparée, qui serait extérieure spatialement et

temporellement ; c'est elle l'autre pensée, le deuxième genre de pensée. Ajoutons que ces deux

préjugés en formeraient, fondamentalement, un seul : en effet, l'exemple du malade qui s'ignore,

puis parvient a posteriori à la conscience de son état, grâce à l'annonce inadéquate du médecin,

nous a bien montré que l'affirmation d'une dualité spatiale, simultanée, de la pensée, est au fond

l'affirmation de sa dualité temporelle, soit d'une dualité ancrée dans l'ordre de la succession, de

même que l'exemple d'une ivresse passée reconnue a posteriori en la personne d'autrui nous aurait

indiqué que tout redoublement de la succession ne serait qu'une intuition inscrite dans une

simultanéité spatiale. Posons-le en ces termes : la non-conscience renverrait à l'entente rétrospective

et non ajustée d'une expérience immédiate du non-corps qui n'a pas été éprouvée en elle-même.

Cette non-conscience qui nous hante serait un récit présentement insondable qui vient toujours trop

tard.

Cette extra-lucidité et omniprésence d’une conscience qui s’auto-désigne constamment

indique que son intuition la plus claire et la plus résolue, qui chemine avec toujours plus de

puissance, ne s’éteint, provisoirement, que lorsque l’intervention d’autrui et de sa vague sanction

négative s’affirme fallacieusement. Une révélation associée à telle éternelle redite, rengaine,

récurrence, récidive, de l’identique, ou à tel amour implacable du Fatum, ne posera pleinement sa

légitimité qu’une fois qu’elle aura reconnu ce combat qui est à mener.

Une maladie associée à un trop-plein de santé, une ivresse de l’exaltation, c’est bien ce qui

aurait lieu dans ce contexte.

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L'être temporel et l’être atemporel

"Que tout revienne sans cesse, c'est l'extrême rapprochement du monde du devenir et du monde de

l'être : cime de la méditation."

Nietzsche, Note d’août 1880

Nous, potentielle puissance, pour elle-même :

L'être serait le devenir, cette seule temporalité possible actuellement, en tant que la

conscience, l'être, ne serait pas autre chose qu'une série d'intensités, une variation continuelle qu'elle

réfléchit, une clarté chaque fois transitoire qui se saisit elle-même.

Eux, incertaine impression du dehors, en elle-même :

Non, l'Etre est l'un, l'identique, la répétition, le nécessaire. L'Etre s'affirme d'abord en tant

qu'il est l'Eternel invariable ; c'est ainsi qu'il nie le devenir, le temps qui passe, la durée changeante

et hasardeuse, tels qu'ils tendent à s'émanciper, tels qu'ils désirent acquérir leur indépendance.

L'Etre et le devenir s'opposent comme le Bien et le Mal. Car oui, la négation du devenir par l'Etre

est au fond une sorte de Justice Divine, bonne en elle-même. Car oui, par cette négation, l'Etre

sauve le devenir, il le rachète, il lui accorde une rédemption. Car oui, le devenir a besoin d'un

sauveur ; il est en lui-même injuste, coupable, dans la mesure où il meurt et naît, disparaît, souffre

de cette extinction, paie en somme, ainsi châtié, le tribut d'un grave péché. L'Etre, le Bien, absout le

devenir, le Mal ; il le prend sous son aile ; le surplombant, il le structure, il lui apporte une forme,

un sens, une direction, une situation, bien fermes et bien assurés. Pour tout dire, il lui offre tout ce

qui pourra lui faire oublier sa souffrance, afin qu'il finisse par aimer cette souffrance, cette juste

liquidation d'une dette, et afin qu'il finisse par accepter sa servitude, nécessaire. L'Etre n'est pas le

devenir, le multiple, la série des différences. Il les contient bien plutôt sous lui, par compassion. Il

les nie en eux-mêmes pour qu'ils puissent s'affirmer, dans le même temps, en lui-même, ainsi

consolés, innocentés, justifiés.

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Nous, plongés dans quelque confusion distincte :

Tout ce que nous venons d'entendre n'a pas été entendu, à défaut d'avoir été écouté, et

réciproquement. Trop fluide est l'écoulement impossible de votre intuition. Trop sublime, trop belle

et trop "moyenne" à la fois est votre splendide mélodie. Il faudrait raconter une très longue histoire,

et plus que cela encore, pour peut-être un jour vous comprendre. Mais pour l'instant, nous resterions

interdits.

Commençons toutefois par nous montrer conciliants. A dire vrai, nous devons bien accepter

le contenu majeur de votre énonciation : certes, l'être est l'un, l'identique, la répétition, le nécessaire,

il n'est pas quelque mort-né. Mais il nous semble bien, en vertu de nos étranges principes, que nous

devons pour l'instant espérer que vous-mêmes rejetez ces évidences. Etablissons quelque transitoire

positionnement qui serait "nôtre" :

1) Pourquoi l'être serait-il l'un ? Parce qu'il serait chaque fois un être, ce seul être, cette seule

conscience (le pour-soi), cette seule pensée qui se pense, ce seul corps qui se sent, cette seule vie

qui se vit. Parce que l'être, la conscience (le pour-soi), ne serait pas divisible, et ne serait pas non

plus une réalité partielle, une situation parmi d'autres. Oui, l'être serait l'un (ce seul un), car il ne

cohabiterait jamais avec quelque dehors consistant. Par exemple, on ne pourrait pas dire : il y a,

d'un côté, l'être, l'actif, la conscience proprement dite, le fait de sentir, et, d'un autre côté, l'autre

être, le passif, ce qui est pensé par la conscience, le fait d'être senti. L'être, ce serait sentir et être

senti, en une seule fois. L'être, ce serait la tautégorie, le coeur d'une certaine automonstration, c'est -

à-dire l'unité et non la dualité.

Pour tout dire, nous admettons l'unité de l'être dans la mesure où nous admettons son

irréductible multiplicité. En effet, pour nous, il n'est pas contradictoire, apparemment, de dire que

l'être est un, et d'affirmer, en même temps, qu'il devient, c'est-à-dire qu'il est une ouverture sur la

variation plurielle. Pour nous, l'être n'est certainement pas l'un qui nie le devenir, le multiple, mais

l'un qui s'affirme à partir de l'affirmation du multiple, et le multiple qui s'affirme à partir de

l'affirmation de l'un.

Pour nous, l'être est l'un qui éventuellement nie seulement la dualité, l'existence d'une

temporalité qui serait hors du devenir, extérieure au devenir. S'il y avait deux êtres, s'il y avait par

exemple, d'une part, un "corps", séparé en tant que seulement senti, et, d'autre part, une "âme",

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séparée en tant que seulement sentante, alors oui, il serait possible de considérer qu'un certain être

qui n'est pas une unique pluralité peut nier un autre être qui est une unique pluralité. Mais cela est

impossible.

Un seul être serait, et tout non-être ne serait pas : il y aurait l'être, cette seule et unique

multiplicité.

2) Pourquoi l'être serait-il l'identique ? Parce qu'il ne serait jamais l'être, ou la conscience (le pour-

soi) d'un autre distinct. Parce que l'être serait ce qui est propre à un seul corps, à une seule pensée, à

l'exclusion de tout autre corps ou de toute autre pensée. Si la conscience était double, si elle était la

conscience simultanée de deux corps séparés (séparés dans l'espace, par exemple), alors il serait

possible de considérer que l'être n'est pas un seul et même être, bien identifié. Mais cela doit être

absurde, tout simplement parce que cela contredit visiblement l'expérience la plus banale de tout

quotidien. Certes, il nous arrive parfois, lorsqu'un semblable nous parle, nous touche, nous pénètre,

de ressentir la curieuse impression que nous rejoignons véritablement sa conscience de corps

distinct, soit que deux corps partagent une même pensée, que deux êtres extérieurs l'un à l'autre

partagent un même être. Pourtant, cela signifie seulement que, par lui, notre conscience devient plus

évidente pour elle-même, plus assurément close (ouverte), en un mot, cela signifie que l'être en tant

qu'être identique se confirme, en toute normale logique ; cela ne peut signifier que l'être se

dédouble, confusément, puisque de fait, cela n'arrive pas tous les jours.

Disons-le, nous admettons l'identité de l'être, de la conscience, dans la mesure où nous

reconnaissons qu'il est une même série de différences. En effet, nous rejetterions l'idée selon

laquelle l'identité de l'être nie, contredit sa différenciation dans le devenir. Pour nous, l'être est

l'identique en tant qu'il serait la différence, et il est la différence en tant qu'il serait l'identique.

Pour nous, l'être est l'identique qui nierait en puissance une seule chose, à savoir l'altérité

séparée. S'il y avait un être autre, par exemple une "autre âme" occupant "le corps" d'une âme

donnée, alors oui, il serait légitime de penser qu'un certain être nie la différence identique, le

devenir, alors que l'autre l'affirme. Mais cela n'a pas lieu.

Ce même être serait, et tout non-être, tout autre être du dehors, ne serait pas : il y aurait

l'être, cette différenciation bien identifiée.

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3) Pourquoi l'être serait-il la répétition ? Parce que l'être, la conscience, ne serait jamais une rupture

franche, une réalité qui viendrait remplacer une autre réalité. Parce que l'être, la conscience (le pour-

soi), serait une permanence qui se transforme, une série de changements qui demeure. L'être se

répète en tant qu'il serait la conscience toujours déjà affirmée. Certes, on pourrait poser la pensée

comme une succession discontinue, soit comme le passage d'un être à un autre être, et il serait

possible alors de dire que l'être n'est pas la répétition. Certes, on pourrait dire qu'une certaine non-

conscience, succédant à l'être conscient ou le précédant, peut être sentie effectivement, niant la

répétition (on pourrait tout aussi bien dire que ce qu'il y a avant ou après la vie se laisse penser

véritablement, absurdité qui reste à prouver...). Toutefois, cette position demeurerait irrecevable,

elle s'opposerait à l'expérience. Pour le montrer, imaginons tel qui aurait dormi et ne se souviendrait

plus de son rêve. Supposons qu'il serait bien présent. Figurons un rêve bruyant, catégorique en

apparence, mais problématique et indécis en son fond proprement impropre :

Cet homme éveillé est actuellement bel et bien conscient, il est, conformément à ce qui

chaque fois arrive. En outre, il ne sent pas que cet être, que cette conscience présente, constitue un

fait qui pourrait ne pas se poser. De fait, d'un certain point de vue, il se maintient dans l'élément qui

a toujours été le sien. Une question se pose toutefois : son sommeil maintenant indicible, oublié, ce

qui est désormais un néant passé, change-t-il quoi que ce soit à ce sentiment de redondance ?

Réponse : absolument pas, en notre relative perspective. En effet, s'il y a deux options possibles, de

toute façon, dans les deux cas, la conscience demeure sûrement une saisie de la répétition :

a) d'une part, il se peut que, contrairement à ce qui se laisse remémoré actuellement, ce sommeil fut

traversé effectivement par un rêve, par une pensée perçue, par une conscience, par un être ; et dans

ce cas, il est clair que la conscience n'est pas le passage à une autre réalité, il est évident qu'elle est

une continuation : il y a eu conscience lors d'un rêve, et il y a encore conscience lors de la veille que

constitue cette pensée présente, rien n'a jailli à partir de rien, rien ne s'est évanoui vers le rien ; peut-

être dira-t-on que la veille en perspective, parce qu'elle occulte ledit rêve, semble nier cette

conscience qui la précède, de telle sorte qu'elle est une rupture radicale, mais on aura tort, car la

possibilité de l'oubli n'est pas un argument contre le caractère affirmatif ou répétitif de la

conscience, mais plutôt contre son caractère non changeant, soit contre ce caractère dont nous ne

saurions constater l'existence justement parce qu'il y a répétition ; nécessairement, de même que

certains épisodes passés de notre vie diurne s'échappent hors de notre mémoire sans pour autant que

la conscience cesse d'être toujours déjà cette seule présence, de même tout songe nocturne évaporé

ne signifie jamais la possibilité d'un surgissement brutal de l'être hors d'une consistance qu'il ne

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serait pas ;

b) d'autre part, et c'est la deuxième option, il se peut que, conformément à l'état présent de la

mémoire, ce sommeil fut absolument dénué de contenu onirique, absolument non-conscient,

absolument privé d'être (c'est plus difficile à croire, mais c'est possible...) ; et dans ce cas, il est

encore bien certain que la conscience ne saurait être une faille temporelle, un temps qui en

remplacerait un autre : car le non-rêve effectif du dormeur, ce non-corps, n'est pas un temps, par

définition ; probablement objectera-t-on que cette non-conscience qui s'intercale entre "deux temps"

conscients contredit la vie consciente en son sein-même, et donc que celle-ci est discontinue, mais

on se trompera, car la possibilité d'un tel entre-deux n'est pas un argument contre la répétition de la

conscience, mais contre la présence simultanée d'une conscience et d'une non-conscience, laquelle

simultanéité implique précisément un néant géniteur, la non-répétition ; nécessairement, de même

que ce qui n'est pas encore né peut bien ne pas être sans pour autant nier la permanence variable de

l'être, de même le repos vidé de toute pensée ne saurait vouloir dire qu'il y a éruption de la

conscience au sens où elle aurait délaissé un être séparé d'elle.

Posons-le donc en un éventuel maintenant, en toute vraisemblable légitimité : nous

constations que l'être est répétition en tant que nous constaterions qu'il y a continuellement miracle,

nouveauté, devenir. Pour nous, la répétition de l'être ne renvoie pas à la privation du miraculeux, de

l'étonnement radical. Pour nous, l'être serait répétition parce qu'il est évidemment miracle, et il

serait miracle parce qu'il est répétition, de façon impossible. Certes, s'il n'y avait pas de miracle, de

nouveauté, il n'y aurait pas de répétition, de rengaine, de reprise, de récidive, de récurrence de l'être,

il y aurait seulement un état stable, figé, invariable. Certes, s'il n'y avait pas de répétition de l'être, il

n'y aurait pas ce sentiment d'une affirmation chaque fois différente, stupéfiante, il y aurait seulement

une lassitude banale. Mais de telles suppositions ne doivent pas être vraiment fondées.

De là, de fait, l'être serait bel et bien la répétition qui nie une seule chose, à savoir

l'invariable, l'ennui, le probable. Certes, seul un être figé, prévu, seule, par exemple, une saisie

effective de certaines conditions précédant l'être (telles : des futurs parents, un rêve oublié, etc.),

pourrait rendre juste et nécessaire le fait d'admettre que l'être ne se répète pas, mais qu'il y a bien

plutôt un mort-né "parmi d'autres". Mais cet être avant l'être ne serait pas, par hypothèse.

L'être nouveau serait, encore, et le non-être prévoyant ne serait pas, à jamais : il y aurait

l'être, cette extase liée à une redite, cette Epiphanie.

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4) Pourquoi l'être serait-il le nécessaire ? Parce que la conscience (le pour-soi) ne pourrait pas ne

pas affirmer son affirmation. Parce que, oui, puisqu'il y a la conscience, l'être, il y a nécessairement

la conscience, l'être. Dans le cas impensable où l'être aurait la possibilité de ne pas être à un

moment donné du temps, il serait envisageable de reconnaître qu'il est non nécessaire, non

indispensable. Mais tout être est, et tout non-être n'est pas, assurément. Oui, toute conscience se

pense, et toute non-conscience ne se laisserait jamais penser. L'être ne saurait être une possibilité

parmi d'autres possibilités. Peut-être voudrions-nous toutefois reconnaître qu'"il y aurait" un avant

et un après pour l'être, par lequel il ne serait pas essentiel. Par exemple, nous pourrions dire que

l'ayant à naître ou le cadavre sont des étants non-conscients. Mais de telles suppositions ne sauraient

s'ajuster au seul fait qu'il est possible d'attester pour l'instant, au seul événement qu'il est nécessaire

de constater de prime abord. Explicitons cette ivresse songeuse, ici assertorique et actuelle, quoique

toujours négation à venir :

Qu'est-ce que le pas-encore-né, qu'est-ce que le mort, pour celui qui est né pour mourir, pour

ce seul qui naît et meurt, c'est-à-dire dans l'absolu ? Si nous partons de ce seul point de vue

problématique, ainsi fidèles à la nécessité de l'être, cela n'est rien du tout qui concerne en propre la

conscience qui se vit, non, rien du tout, du moins dans une certaine mesure : un non-encore-né ne se

sent pas, ne pense pas, pas plus qu'un cadavre, pas plus qu'une poussière de mort, et ce jusqu'à

preuve du contraire. Pourtant, toujours de ce point de vue, peut-être semble-t-il bien que la

naissance ou la mort d'un autre possède une certaine consistance, mais aussi que la naissance et la

mort qui frappent le corps non-autre renvoient à une réalité bien assurée, c'est-à-dire à un corps

passé ou à venir extérieur à lui. Et certes, en un certain sens, cette double, voire triple énonciation

serait tout à fait adéquate. Mais en même temps, nous ne pouvons la valider complètement, car elle

est une façon de présenter la chose qui peut nous induire en erreur :

a) D'une part en effet, si l'apparition de la naissance ou de la mort d'autrui qui est au coeur de cette

seule conscience présente qu'est "la" conscience, est bien réelle, bien vécue, si elle est bien l 'être, si

elle consiste bien, malgré tout cette réalité n'implique jamais, de fait, sa possibilité de contaminer,

d'affecter la non-conscience irréductible de l'autre qui serait mort ou presque né, laquelle non-

conscience demeure alors non-conscience, par-delà toute considération extérieure qui serait déjà ou

encore posée.

b) D'autre part, si l'apparition de la mort ou de la naissance du corps peut-être propre, au coeur d'une

conscience autre, est bien un étant authentique, malgré tout cette réalité distincte ne saurait altérer

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un tel non-corps, lequel doit rester alors dans l'élément indifférent du non-être.

c) Enfin, si l'apparition d'un témoignage d'autrui relatif à quelque naissance ou à quelque mort de la

pensée proprement souillée est tout à fait consciente, réelle, cela ne veut pas forcément dire que

cette pensée dite propre se sentira telle qu'elle serait née effectivement ou telle qu'elle se dirigerait

vraiment vers le néant :

- en effet, dans le cas où un dire d'autrui désigne et communique cette naissance, il ne s'agit pas

pour autrui de réveiller une mémoire partagée, mais seulement de manifester le devenir de sa seule

mémoire, à l'exclusion de celle qui "est" née, et donc ce dire ne saurait produire l'impression d'une

non-conscience consciente,

- en outre, dans le cas où une parole autre montre la mort du corps propre (un non-corps

improprement dit), il s'agit pour ce corps ici énoncé propre d'anticiper un dialogue à venir

(analogiquement relié à un certain dialogue présent pensé par ce corps), soit d'anticiper un dialogue

entre deux corps probablement autres seulement possibles, lequel dialogue, ainsi visiblement futur

et peu clair, implique une perception autre de ladite mort, mais aussi sa communication absente

présentement, soit implique ce qui ne saurait, a fortiori, créer la sensation actuelle de cette mort,

telle qu'elle serait pensée du non-être.

Pour tout dire, il faudrait éviter de poser, confusément, ceci : il semble que la mort et la

naissance, de l'extérieur, sont consistantes, et ce en un sens certain. Car cela pourrait nous guider

vers l'illusion selon laquelle mort et naissance renvoient à un non-être étant inenvisageable en ce

lieu dubitatif. Il vaudrait mieux dire, plus précisément, ainsi masqués : la mort et la naissance sont

des étants en tant qu'elles sont seulement une situation de communication vécue, et non un non-être

vécu.

De là, la réponse à notre question pourrait s'affirmer : le pas-encore-né, le mort, seraient des

fictions au sens strict, à savoir des paroles, des témoignages d'autrui figurant un certain épisode

passé (notons : aucune fiction ne naît présentement de rien, toute fiction doit bien être un

témoignage, soit continuer un passé qu'elle exprime, de façon plus ou moins explicite) ; certes ces

fictions seraient bien réelles, puisqu'elles seraient senties dans le temps de leur affirmation, et

puisque les souvenirs qu'elles évoqueraient renvoient à un certain devenir d'une conscience réelle ;

mais le pas-encore né ou le mort que serait une pensée située dans le néant, dans l'absence de toute

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vie, serait impensable. Le pas-encore-né, le mort, serait (il se pense) en tant qu'il est peut-être (en

tant qu'il se laisse remémorer et communiquer consciemment), et il ne serait pas (il ne sent rien) en

tant qu'il n'est assurément pas (en tant qu'il est un vide ou un cadavre non percevant).

Maintenant donc seulement nous pourrions clairement saisir ce que veut signifier l'être

comme nécessité et dire à nouveau, dans la lumière d'une situation honnêtement ajustée : puisque

tout ce qui est avant ou après une vie serait un étant seulement en tant qu'il est vécu, autrement dit

puisqu'il n'y a proprement pas d'être avant ou après l'être, il faut dire que l'être serait nécessaire

(notons : cette nécessité signifierait bien aussi que le corps présent ne pourrait pas non plus être

autrement dans l'ordre de la simultanéité ; rappelons-le, l'ordre de la succession, que nous avons

considéré ici, commande, précède la spatialité qui lui est propre).

A vrai dire, nous affirmerions la nécessité de l'être parce que nous affirmons son hasard

absolu, son caractère arbitraire, le fait qu'il serait totalement non causé par quelque élément

extérieur prédonné, et non dirigé vers quelque autre fin à venir. Certes, s'il n'y avait pas de hasard,

de caprice de l'être, de devenir, il n'y aurait pas nécessité de l'être, il y aurait seulement une

possibilité d'être parmi d'autres, un être hypothétique, précaire, mal assuré, relatif. Certes, s'il n'y

avait pas nécessité, il n'y aurait pas de caprice de l'être, il y aurait seulement une lancée et une

projection figées, mouvant l'être à partir du dehors. Mais de telles suppositions ne nous parleraient

pas encore. Pour nous, et pour l'instant, la nécessité de l'être nierait donc une seule chose, à savoir

l'éventualité d'un autre régime du nécessaire, soit l'éventualité d'une nécessité hypothétique, relative,

conditionnelle.

Oui, pour nous, la nécessité de l'être nierait ceci et seulement ceci : toute causalité séparant

la cause de l'effet, ainsi que toute téléologie déchirée...en un mot toute réaction. Certes, si l'être

réagissait, s'il était soumis à une condition réelle qui le précède sans être lui, ou encore s'il devait

obéir à un autre être qui serait après lui, oui, si l'être n'était qu'une hypothèse radicale, une

possibilité parmi d'autres possibilités, soit une réalité attendue, calculée, retombée, alors il serait

tout à fait impossible de poser sa nécessité, son caractère indéfiniment improbable, son inscription

dans une somme indéfinie de possibles. Mais, parce que l'être agit simplement, selon notre actuelle

position justement restreinte, parce qu'il serait en lui-même la seule condition qui lui confère une

certaine puissance, parce qu'il serait insoupçonnable, incalculable, impossible (ce seul possible), et

inattendu, il est, disons-le encore une dernière fois, absolument nécessaire, de fait.

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L'être serait, par lui-même contraint, et le non-être ne serait pas, cette hypothèse

inconsistante : il y aurait l'être, nous agissons.

Constatez donc. Nous sommes beaux joueurs. Nous acceptons de rire, de nous amuser avec

les jouets que vous nous avez généreusement prêtés. Nous voulons, comme vous-mêmes, les

affirmer, et d'ailleurs nous ne nous en privons pas ! Ainsi, certes oui, nous l'admettons : il y a l'être,

un, identique, répété, nécessaire. Car oui, conformément à votre énonciation, nous reconnaissons

que l'être ne naît ni ne meurt : il est absolument vide (non-autre), soit absolument plein (même), il

est absolument superficiel (multiple), soit absolument profond (un), il est absolument clos

(impossible), soit absolument ouvert (nécessaire de fait). Seulement, vous-mêmes ne nous donnez

pas le bon exemple : vous semblez bien las en jouant, avec votre regard dramatique et sérieux, et

peut-être même doit-on dire que vous êtes des "mauvais" joueurs. En effet, vous avez l'air de

devoir détruire vos jouets pour les reconstruire, puis pour vous réjouir finalement à leur contact. Ce

qui vous amuse apparemment, c'est un jouet qui a été déprécié et qui a pu ainsi obtenir, après coup,

une appréciation distincte, autonome, c'est, en bref, une évaluation renvoyant à quelque façon de

jouir personnellement d'un désastre causé, surmonté, puis en fin de compte valorisé, et ce chaque

fois par le jouissant-même. Pour tout dire, vous accusez le jouet, vous lui reprochez de ne pas

encore être tel qu'il "devrait" être dans un passé ou dans un à venir encore relativement possibles, et

c'est ainsi qu'il deviendrait impératif d'altérer ce jouet, de tendre vers sa justification, sa rédemption,

sa consolation, sa réévaluation. Pourtant, le jouet en question, la matière, l'être, ne saurait devoir

rejoindre, en tant qu'initialement coupable, quelque potentialité encore inconsistante, il ne saurait

être effectivement altéré, séparé, déchiré, rendu autre, pour la seule raison qu'il est, après tout, cette

nécessité absolue et semblable d'un fait, tel un innocent égal à l'innocence que peut traduire la clarté

rare et indispensable d'une étoile brillante. Autrement dit, ce jouet est divertissant en lui-même et

par lui-même (soit : pour lui-même), et c'est ainsi qu'il serait vain, stupide, bien étrange, de vouloir

le briser en deux comme vous essayez de le faire, pour le recoller ensuite, au coeur d'un plaisir

malsain, puisque tout divertissement qui se contraint lui-même ne possède justement aucun

"morceau" susceptible de se détacher effectivement. Reconnaissez-le : vous les simulacres de

casseurs, vous qui jouez les bûcherons, vous êtes probablement des originaux avides de

reconnaissance, des comédiens malhonnêtes, des copies dubitatives, et en cela vous refusez de jouer

complètement le jeu, de tomber les masques, d'admettre la plasticité de votre hache par-delà son

tranchant.

De là, nous-mêmes, au fond, nous sommes préoccupés à votre contact, nous sommes

inquiets ; car vous avez pâle mine, et votre regard éteint. Oui, au fond, ce n'est pas par un mépris

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gratuit que nous vous considérons de la sorte, mais bien par une certaine tendresse, soucieuse en ce

qu'elle est aussi amusée. Avouons-le, les seules questions qui nous occupent vraiment sont les

suivantes, et elles sont pleines d'empathie, pleines de notre péché mignon. Les voici donc ces

questions, dures et brutales comme la sauvagerie aimante du vivant, mais aussi douces et

précautionneuses comme sa grandiose faiblesse : "Qu'est-ce qui a bien pu vous arriver, pauvres

enfants terribles et décadents, pour que vous soyez ainsi jetés dans la confusion ? Qu'allons-nous

faire de vous ? Pourrons-nous vous faire retrouver le droit chemin ?" Reconnaissons-le toutefois dès

maintenant, pour le confirmer plus tard : certainement avons-nous affaire à une erreur de visée, soit

à une façon de se tromper de destinataire. Un indice peut nous le faire comprendre : celui qui

s'inquiète, compatit, ou s'attendrit, accuse, de fait, et de là casse lui-même...

Elles, reconnues apparemment, coupant notre parole :

Eh bien, nous voyons que nous y arrivons tout doucement. Nous savons que vous allez

retrouver ce "droit chemin" qui certes était au départ celui que vous pensiez nôtre.

Mais pourquoi toujours parler au conditionnel ? Vous venez de le découvrir, le "pas", la

négation, n'est jamais que la plénitude d'une marche qui "est" vers sa différence.

Oui, vous l'avez dit, l'Etre est l'un, le multiple, donc le deux, mais aussi il est l'identique, le

différent, donc la séparation, mais aussi il est répété, miraculeux, donc discontinu, mais encore et

enfin il est nécessaire, hasardeux, donc possible et contraint au coeur d'une finitude réactive.

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La perte, l'absence

J'éprouve à chaque seconde la perte d'un être imaginaire : une somme d'idées, de valeurs, de

sentiments constitutifs de mon être, à chaque moment s'évapore. Ma vie ne peut donc "exister" que

comme une représentation, ou plutôt : elle est un devenir-représentation constant, un édifice

branlant composé de spiritualité et de matière, lesquels se détruisent et se construisent

réciproquement.

A chaque instant, j'abandonne, sur les sillons d'un chemin trop bien tracé, les images

toujours fausses de ce que je suis ou crois être. Les traces que je laisserai au monde, dans

l'inscription objective de ma pensée, dans l'absorption par un autre du souvenir de mon « être », ou

encore dans l'incorporation de ma sensibilité « culturisable », toutes ces « choses » ne sont que des

illusions d'immortalité, qui ne fixent pour la « postérité » que des éléments de la contingence que

j'aurais pu « être ».

Ainsi, oeuvrer pour le monde, ce n'est qu'une façon de me consoler lamentablement d'une

pseudo-mort que je sens venir incessamment, c'est une façon de refuser d'affronter la mort véritable

qui reste la perte inconnaissable de mon instabilité intérieure... C'est croire que la disparition de mes

mythes que je pensais stables est la plus cruelle que je puisse souffrir.

Le fait d'oeuvrer trouve sa signification dans une métaphysique trop rassurante : celle qui me

détermine comme un être socialisable, mondanisable, idéalisable ; celle qui me permet de moins

craindre la mort, en l'assimilant audit meurtre quotidien de mon « être » illusoire.

Combien je suis touchant et triste, lorsque la réification de mon univers sensitif par "l'art"

me persuade que j'ai remporté une victoire sur l'authentique mort ! Quelle faible consolation ! Je ne

fais que figer ce que je n'étais, ce que je ne suis, ou ce que je ne serai pas : un bloc d'idées, de sens,

d'interprétations, d'intuitions, que l'écoulement indifférent de ma vie déforme et finit par démentir.

Combien je suis touchant et triste lorsque mon rapport à la société et aux individus me

persuade que les valeurs que j'incarne, en étant absorbées par une humanité qui me survivra, me

confèrent une certaine immortalité ! Car je me console d'une fausse perte, celle de la prétendue

unité éthique de la réalité que je présente.

Une mère qui éduque son enfant, un idéologue qui « transforme » le monde, un philosophe

qui pratique la dialectique, un prêtre qui transmet son amour de Dieu, tous espèrent combattre et

vaincre la crainte de leur disparition en inscrivant dans le monde et pour "l'Homme" l'exemple de ce

qu'ils n'ont pas été : à savoir des individus régis par des maximes stables ou fixées d'avance. Il ne

s'agit, pour eux, que de rendre immortel un être imaginaire.

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Combien je suis touchant et triste lorsque j'imprime, sur les pages de la "vérité", mon amour

de la spéculation abstraite, au coeur d'un système de signes peut-être désincarné ! Car je crois

léguer, de cette façon, mon identité cognitive à "l'Esprit" de l'humanité, alors que je n'actualise en

fait que la fixation d'un être qui m'est étranger : une somme de concepts, de quantifications, de

classements organisés selon des règles strictes dont la "rationalité" dissimule une contingence

fugitive.

Le scientifique, l'écrivant, en oeuvrant dans le sens d'une perfectibilité des structures

cognitives humaines, occultent volontairement la relation instable qu'ils partagent avec ladite

"vérité" ou adéquation, et ce afin de faire "exister" leur vain espoir de survivre à leur disparition

corporelle. Il ne s'agit, pour eux, que de rendre immortel un être imaginaire.

Ces images sensibles, sociales, ou cognitives, dont je ne peux que contempler, impuissant, la

fragilité, n'expriment jamais ce que je suis. Les saisir dans leur globalité ne me rapproche en rien de

"ma vérité", car mon avenir menace nécessairement de dévoiler la fausseté d'une telle totalité, et

car, de toute façon, les outils de cette globalisation, élaborés par le pouvoir certainement séparé de

la pensée, ne construisent qu'une représentation partielle du vivant.

La consolation face à la mort est un pharmakon : le plus doux et le pire des poisons. Elle

m'éloigne de ma vie immédiatement vécue en accrochant au mur des illusions les vestiges de sa

négation. Elle n'est que la consolation de ce que je ne connais que trop : la perte de mon idéalité

stable.

La crainte de la disparition doit rester inconsolable, si la vie se destine à elle-même, et non à

son interprétation.

Je connais bien cette mort de tous les jours, ce renoncement permanent à des interprétations

de ce que je suis. Mais je ne puis l'identifier à cette mort véritable, qui n'est pas seulement la perte

d'un être imaginaire extérieur à moi, mais aussi et surtout la perte d'une complexité instable, qui

elle, est définitive...

Je ne dois pas vivre pour seulement consolider une image transmissible de mon être, ou tel

autre concept trop abstrait, trop solitaire dans sa solidarité ascétique. Je dois vivre pour vivre, pour

méditer et contempler la beauté du couchant, pour sentir singulièrement la justesse d'un amour,

d'une affection, ou encore pour admirer, dans sa fugacité, la finesse d'une révélation.

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Tous ces instants, irréductibles et irréversibles, rien ne doit me consoler de leur perte.

Il y a une pertinence d'un certain oeuvrer. Oeuvrer au sens de "fabriquer sans relâche cette

vie qui est artisanat pur", cela est adéquat. Belles pulsations, alors, qui décorent mon existence en

son insistance. Lâches dérobades, peut-être, mais malice sans gravité exprimant légitimement la

volonté de dissocier l'indivisible lien éventuel. Décorer mon cadavre : ma joie !

Il y aura donc une lutte active et indéfinie contre l'Autre, ou ce reflet "infidèle" de ma

subjectivité, ou encore cette omniprésence du sapin. Maudite réflexion, maudit dédoublement ! Tout

cela m'oblige à me perdre dans un détestable miroir d'un narcissique assoupi.

Il faut rejeter l'autre vers l'extérieur, et le laisser à sa place. Mais il faut aussi être poli avec

lui : toujours suggérer qu'il est le premier et le dernier à parler, toujours suggérer qu'il est plus fort

que moi...

Egaré dans une forêt d'ombres informes et menaçantes, je sème sur une route qui ne mène

nulle part sûrement, des petits cailloux reliés invisiblement, afin d'occulter telle ou telle

incarcération carnassière. Plus que tout, j'évite la fixation de mon ombre propre. Cette ombre, c'est

l'Autre, dont la présence, rendue nécessaire par le pouvoir peut-être séparé de la pensée, est toujours

chaque fois possible.

Ecrire, oeuvrer : île rassurante...mais qui bouillonne aussi.

Une vie terrestre qui serait sommée d’être la plus accomplie, en tant qu’elle devient et non

en tant qu’elle fixerait quelque « essence » éternelle, ferait de l’œuvre la vie elle-même, et de la vie

une œuvre en soi. Cette vie aurait reconnu, très certainement, son éternité propre, en tant qu’éternité

du retour à l’identique.

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IV La question de Dieu

L'agnosticisme comme ouverture du sens

Un athée est aussi inconséquent qu'un croyant dogmatique. En toute logique, ce qui demeure

inexpérimentable (l'après-vie) constitue une infinité de mondes possibles. Mais l'athée sélectionne

arbitrairement l'une de ces possibilités (le néant, le non-monde) et la pose dogmatiquement, faisant

fi de toutes les autres possibilités - comme s'il avait fait l'expérience de cette après-vie (absurdité

d'autant plus flagrante qu'il s'agirait alors d'une expérience du néant!). De même, le croyant

dogmatique, tout aussi absurdement, sélectionnera arbitrairement une autre infime possibilité

(immortalité de l'âme auprès de Dieu) et la posera avec certitude.

Néanmoins ce second type est le plus souvent reconnu comme étant l'illuminé de service, là

où le premier (l'athée) aurait, dit-on, l'esprit critique de son côté... Foutaises! L'un et l'autre se

ressemblent plus qu'on ne le croit : ils ferment l'un et l'autre la perspective, sans aucune distance

critique (surtout : ils manquent cruellement de créativité et de fantaisie). Ils stérilisent ou

neutralisent l'imagination, laquelle, autorisée d'ailleurs dans ce mouvement par la logique même,

devrait pouvoir s'épanouir à se figurer indéfiniment toutes ces potentialités envisageables, en

nombres infinis, de l'après-vie (n'excluant de ce fait ni le néant ni l'âme immortelle, ni même la

réincarnation ou autres lubies eschatologiques, mais les comprenant ensemble comme des infimes

possibilités parmi une multitude d'autres, tout aussi enchanteresses, absurdes, tout aussi

envisageables ou cohérentes). L'agnosticisme, compris comme une ouverture des perspectives sur

l'après-vie, sera le point de vue le plus réfléchi et le plus critique, s'abstenant de toute affirmation

définitive, mais n'excluant pas les dérives d'une réflexion indécise.

Au fond, le croyant dogmatique comme l'athée veulent régler une bonne fois pour toute la

question de la mort, pour éviter d'avoir à y penser. C'est une forme de fuite un peu lâche. "Ne

chantez pas la mort, c'est une idée morbide", nous disent-ils. La mort est une compagne

mystérieuse, aimons-la pour ce mystère, au lieu de lui en tenir rigueur, la figeant, la craignant, ou la

haïssant.

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Sur quel mode dois-je affirmer la présence de Dieu ?

Pascal apporte de précieux éclaircissements concernant la façon d'affirmer la présence de

Dieu, en distinguant la vérité de la raison et la vérité du cœur. L'intelligence rationnelle (ou esprit de

géométrie) procède par déduction et démonstration, tandis que le cœur procède par intuition : cette

dernière « sent » les choses plus qu'elle ne les prouve. Seul le cœur peut « poser » (certes

problématiquement, du point de vue de l'esprit de géométrie), l'existence de Dieu, c'est-à-dire sa

nécessité. Face à l'immensité illimitée, spatio-temporelle, de l'univers, face à ce monde désenchanté

(après la révolution copernicienne, entre autres choses), face à « cette sphère infinie dont le centre

est partout et la circonférence nulle part », face au silence effrayant de ces espaces infinis, Dieu

semble s'être absenté du monde : l'homme ne peut absolument plus « prouver » rationnellement que

Dieu existe (là où auparavant, une interprétation scolastique de la physique aristotélicienne, posant

une finitude de l'univers et un géocentrisme rassurants, pouvait à la rigueur apporter de telles

fallacieuses « preuves »). Mais alors l'individu peut « sentir », dans cette disproportion de l'homme

s'étant manifestée (d'un homme qui en outre, s'étant abaissé, s'élève dans le même mouvement en

tant qu'il peut quant à lui saisir le monde par la pensée), à quel point il est devenu nécessaire qu'un

Dieu existe... Pascal entraîne son lecteur rationnel vers le désespoir le plus complet, pour détruire

toutes les prétentions d'une théologie rationnelle (cf. Anselm de Cantorbéry, Thomas d'Aquin,

Descartes, etc.), et c'est pour mieux réhabiliter en ce lecteur le sentiment, le cœur, comme seul mode

d'accès légitime à Dieu - en ce sens, la révolution copernicienne, la fondation galiléenne, sont une

chance plus qu'une calamité pour quiconque a la foi en Dieu : elles forcent le croyant à renoncer à

toute prétention rationnelle dans son rapport à Dieu, et à mobiliser la seule faculté qui soit en

rapport avec le divin : la faculté du cœur.

Là où les choses deviennent intéressantes, c'est que l'esprit de géométrie quant à lui n'est pas

absolument autonome : il procède par déductions, mais il lui faut un fondement à partir duquel ces

déductions s'enchaîneront. Or, ce fondement est nécessairement intuitif, il sera posé comme vérité

du cœur (exemples de vérités du coeur : il existe un espace à trois dimensions, une pensée

extérieure à moi existe, etc.). Ce fondement est indémontrable, comme les axiomes en

mathématique. Ainsi donc, la science elle-même, en tant qu'elle mobilise l'esprit de géométrie, doit

recourir à des sortes de « croyances » fondatrices pour développer son discours à partir d'une base

déterminée (depuis Galilée, par exemple, la physique n'a pas vraiment remis en cause le principe

cosmologique indémontrable de l'homogénéité de l'univers). Autrement dit, la faculté par laquelle

on accède à Dieu (le cœur) est une faculté que mobilise également la science pour établir ses

concepts fondamentaux, sur le fond desquels elle produira ses inductions, déductions, explications

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et prévisions.

Kant pour sa part avait bien compris que les limitations intrinsèques de toute démarche

rationnelle d'investigation de la nature impliquait une limitation des prétentions de la science

naturelle (l'inconditionné, ou la série totale des conditions, étant en dehors du champ de l'expérience

possible, et donc n'étant qu'une simple idée, ne pouvant donner lieu à une connaissance objective).

Du point de vue de la raison spéculative, il est possible d'outrepasser ces limites si du moins on

reconnaît la dimension régulatrice, et non constitutive, de l'idée mobilisée. Du point de vue de la

raison pratique, cette modestie avouée, pour ainsi dire, du sujet connaissant, rend possible le fait de

postuler l'existence des objets contenus par les concepts rationnels purs, et ce à des fins morales

(Dieu, immortalité, liberté).

Autant chez Kant que chez Pascal, la raison, ou la science, reconnaît ses limites, son

incapacité à saisir son fondement ontologique sur un mode rationnel, c'est-à-dire qu'elle reconnaît la

façon dont elle est contaminée par la croyance elle aussi (le cœur fondant des principes

indémontrables pour des déductions rationnelles à venir chez Pascal, l'idée régulatrice ou hypothèse

régulatrice permettant de constituer un horizon pour toute investigation scientifique chez Kant), et

ainsi elle ménage un espace pour la foi, laquelle peut affirmer le désir que, ce que la science laisse

indéterminé, improuvé, doive exister, et ce, ne serait-ce que pour donner un sens à la moralité, ou à

l'existence en général, de l'homme (le Dieu « senti » de Pascal, le postulat pratique de l'existence de

Dieu de Kant).

Certes Kant demeure rationaliste jusque dans sa théologie morale, et en cela il se distingue

de Pascal : ses postulats pratiques sont bien ceux de la raison pure pratique. Mais n'y aurait-il pas

quelque irrationalité du cœur qui se manifesterait en cette raison pratique pure ? De même, chez

Pascal, n'y aurait-il pas une « logique » du cœur (cf. pari pascalien) ? Pascal et Kant, si on les

confronte, si on opère leur synthèse, pourraient bien s'ajuster mutuellement. Il s'agirait d'extraire la

substance précieuse de l'un et de l'autre, et de rejeter les écueils de l'un et de l'autre, chose possible

si leur dialogue se produit effectivement.

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L’idée de Dieu en moi

Si Dieu existe, alors il désire nécessairement que nous agissions moralement. Car seule la

moralité nous élève à cette dignité qui est la condition d’une participation à la béatitude

suprasensible. Or, un acte moral est un acte désintéressé : un acte n’est pas moral si on l’effectue

pour obtenir quelque joie, quelque bonheur, quelque plaisir en retour. Un acte est moral si et

seulement si on l’effectue simplement parce qu’il est moral, sans se référer à quelque intérêt qui

nous concernerait, directement ou indirectement. En outre, même si le malheur ou la mort doivent

succéder, ici-bas, à l’acte moral, il faut néanmoins l’accomplir : cet aspect catégorique de la

prescription qu’il inclut en lui implique la nécessité de tels sacrifices.

Mais qu’est-ce à dire alors ? Si je suis croyant, et que je suis « persuadé » que je serai

récompensé pour mes bienfaits, au cas où je les accomplis, dans un monde supranaturel après ma

mort, alors mon acte moral n’est pas totalement désintéressé : je fais le bien non pas pour le bien

seul, non pas pour la prescription comme autoréférentialité catégorique, absolue, mais pour soigner

mon âme posée comme immortelle, et pour lui garantir une éternité post mortem constituée de

toutes les délices de la félicité pure.

En vertu donc de notre postulat de départ, il faut bien affirmer ceci : si Dieu existe,

souhaitant que nous accomplissions des actes moraux, soit absolument désintéressés, il désire que

nous ne croyions pas que nous puissions pénétrer avec certitude la nécessité d’une après-vie

heureuse pour l’homme bon ici-bas. Peut-être même qu’il souhaite, pour que notre acte soit pur, que

nous postulions, par précaution, que c’est le néant qui succède à notre vie.

Ainsi, un homme profondément bon et juste, ne mentant jamais, et servant son prochain

comme lui-même, pourra être plongé au sein d’une existence terrestre faite de mille tourments : il

expérimente l’injustice absolue, le Mal radical, qui le frappe. Mais s’il veut devenir véritablement le

« saint », l’homme que Dieu, s'il existait, souhaiterait voir accompli, alors il faudra que cet homme,

peut-être, soit convaincu, au maximum, qu’il ne trouvera aucune consolation après la vie souffrante,

mais juste et droite, qu’il aura vécue : le néant succède à sa misère grandiose, à l’injustice qui l’a

frappé, il doit tenter, sûrement, de s’en persuader. Seulement ainsi il aura été absolument moral,

désintéressé. Mais alors il doit penser également que Dieu, qui garantirait une consolation post

mortem, n’existe pas.

S’il veut même aller plus loin dans son mouvement de purification de l’acte moral, il pourra

se dire que Dieu malgré tout existe, mais que, les voies du Seigneur étant impénétrables, il se

pourrait qu’à la moralité succède post mortem les souffrances éternelles de l’enfer, les mille

tourments de la damnation. Ainsi le désintéressement de l’acte moral serait maximal.

Résumons-nous : si Dieu existe, alors nous devons penser qu’il souhaite peut-être que nous

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nous persuadions qu’il n’existe pas, ou qu’il réserve à notre moralité une « récompense » atroce :

l’enfer (il est alors Satan lui-même selon cette seconde hypothèse, et le Dieu bon, juste et vérace

n’est plus). Si Dieu existe, apparemment nous avons tout intérêt à penser qu’il n’est pas, ou que seul

Satan est, et ainsi éventuellement, il nous récompensera pour la pureté de notre moralité. Mais ici

alors la tromperie devient claire comme le jour : pour purifier notre acte moral, pour le rendre

désintéressé, nous avons fait comme si Dieu n’existait pas, ou comme si seul Satan régnait sur le

monde ; mais c’était pour séduire Dieu, dont on a supposé qu’il existait. Autrement dit, « Dieu », la

condition de départ (« Si Dieu existe ») renvoie déjà au fait de poser l’existence de Dieu comme

postulat pratique de base, soit à ce par quoi l’acte moral, précisément, n’est pas désintéressé.

L’affirmation de la négation de Dieu ne sera, dans ce contexte, qu’une comédie dérisoire, et surtout

elle est finalement contre-productive : Dieu « punira » ceux qui ont voulu se convaincre qu’il

n’existait pas ou que seul Satan est, pour en fait le séduire via quelque pseudo-désintéressement

exhibé, et ce de façon tout à fait intéressée.

Nous sommes donc dans une impasse : si Dieu existe, alors il ne récompense ni les hommes

qui pensent qu’il existe, ni ceux qui pensent qu’il n’existe pas ou que seul Satan est. Il ne

récompense donc personne. Il ne nous aime donc pas (nous le dégoûtons peut-être, avec nos petits

intérêts mesquins, ou avec notre comédie dérisoire). Mais le non-amour est impuissance, privation.

Donc Dieu serait impuissance. Mais Dieu par définition est la puissance absolue, il ne contient nulle

impuissance. Donc s’il est impuissance, alors autant dire qu’il n’est pas, qu’il n’existe pas en tant

que Dieu.

Si Dieu ne récompense que l’homme moral en tant qu’homme absolument désintéressé en

son être moral, alors Dieu n’est pas. Mais nous continuerons à supposer qu’il existe malgré tout. De

deux choses l’une donc : ou bien la moralité n’est pas désintéressement absolu ; ou bien Dieu ne

récompense pas la moralité, mais son contraire. Mais selon cette deuxième option, Dieu récompense

l’immoralité : il n’est pas ou il est Satan. Donc si Dieu existe, la moralité ne saurait être

désintéressement absolu.

Dieu exige donc que nos actes moraux ne soient pas totalement désintéressés : nous pouvons

croire en lui, et espérer légitimement que nos bienfaits recevront une récompense dans l’au-delà.

L’autre option d’un « désintéressement absolu » simulé (postuler le néant ou Satan) sera ici rejetée,

car elle est feinte et ruse, tromperie : Dieu ne doit pas aimer être trompé.

A vrai dire, postuler Dieu et un au-delà juste, consolant, ne renvoie pas vraiment au fait

d’agir, pour le sujet moral, de façon « intéressée », car toujours le doute subsiste. Ici, l’on fait

comme si Dieu et sa justice, comme si Dieu et la possibilité d’un souverain Bien post mortem pour

une âme progressant à l’infini sur le chemin de la vertu (âme acquérant dès lors une bonne

conscience toujours plus pure, toujours plus sainte, toujours plus satisfaite d’être vertu et bonheur

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connectés), l’on fait comme si donc une consolation pour le malheureux vertueux ici-bas était

envisageable selon des postulats justes mais conscients de n’être que postulats, et donc ce n’est

finalement jamais que l’espoir, la foi, et non la certitude ou le savoir, qui guident l’être moral sur le

chemin de son agir moral. Un moyen terme entre le désintéressement absolu et l’intérêt égoïste, est

l’espoir, la foi en Dieu : l’acte ici n’est pas totalement pur de tout intérêt, mais à la fois, comme il

s’agit là non d’une vérité apodictique, mais d’une vérité problématique de Dieu, la consolation en

perspective, dans sa possibilité, dans l’absolu, de ne pas être, renvoie à une forme de détachement à

l’égard de l’intérêt immédiat.

Si Dieu existe, il récompense celui qui a la foi, mais qui doute aussi, qui n’est pas certain de

l’existence de Dieu : ainsi son acte n’est-il pas absolument désintéressé, mais il l’est autant qu’il

peut l’être pour un homme. Dieu « punit » en revanche celui qui prétend avoir une certitude absolue

de son existence, d’autant plus s’il s’agit d’une connaissance qui se veut « démontrée », rationnelle

(Descartes, Thomas d’Aquin) : « démontrer » Dieu, c’est vouloir le dévoiler radicalement, et c’est

rendre impossible tout désintéressement. Il faut poser Dieu comme postulat se sachant postulat. Dès

lors, s’il existe, il récompensera une telle façon de postuler. Celui par ailleurs qui veut séduire Dieu

en postulant le néant ou Satan seul, celui-là est fourbe dans son agir « moral », qui n’est pas même

désintéressé, ni donc moral.

Mais alors s’affirme une autre possibilité, induite par l’acte de postuler Dieu, de le poser

dans la foi et non dans la certitude ou le savoir : Dieu peut ne pas exister. Si Dieu n’existe pas, alors

l’agir moral, qui postule qu’il doit exister mais que cela n’est pas certain, est dépourvu de

perspective rassurante. Et celui qui s’élève à la dignité du bonheur, en étant vertueux, pourrait ne

pas même connaître un tel bonheur, de toute éternité. Si Dieu n’existe pas, et que le néant succède à

la mort de l’individu, alors le Mal radical, l’injustice absolue, soit le malheur ici-bas du vertueux, ou

le bonheur ici-bas de l’immoral, de l’assassin, du menteur, du fourbe, ne seraient pas renversés, de

toute éternité. Les sacrifiés ne seront pas récompensés, et les sacrifiants ne seront pas « réajustés »,

ou « punis pour leurs crimes ».

Cela étant, si Dieu n’existe pas, alors apparaît le désintéressement absolu de l’agir moral :

l’individu bon et malheureux affronte son malheur avec dignité, et il sait qu’il pourrait ne pas le voir

« renversé » par une justice divine, puisque celle-ci peut tout aussi bien ne pas être (elle est

simplement postulée : sa réalité objective fait encore problème, par-delà sa « nécessité », d’un point

de vue pratique). Si Dieu n’existe pas, alors les victimes justes, les héros sacrifiés sur l’autel de la

vertu, peuvent définitivement être sanctifiés. Autrement dit, pour qu’existe le « saint », l’humain

objectivement désintéressé, quoique peut-être malgré lui, puisqu’il espère encore une justice divine

pour simplement persévérer dans le bien, il faut que Dieu n’existe pas.

Mais alors si Dieu existait, il aimerait pleinement ces êtres absolument désintéressés à leur

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insu, tels qu’ils agiraient moralement dans un monde sans Dieu. Une conclusion possible de notre

parcours est donc maintenant bien claire : si Dieu existe, il doit souhaiter qu’un monde sans Dieu

soit, que son existence postulée ne soit qu’une ruse pour que surgisse l’acte désintéressé absolu, le

sacrifice au nom de la vertu ici-bas précédant un néant total.

Mais cela n’est encore qu’une idée, une hypothèse, ou plutôt un postulat : c’est l’individu

moral raisonnant qui en arrive à cette conclusion : à savoir à la conclusion selon laquelle Dieu, en

tant qu’idée présente en la conscience humaine, se supprime lui-même pour pouvoir rendre dignes

de son amour des hommes dès lors absolument désintéressés.

Mais ce qui joue à même ce parcours, depuis le départ, est peut-être l’éminent « moteur »

simplement physique du monde, qui détermine nos corps et nos esprits de telle sorte qu’à leur

extraction hors d’eux-mêmes (vers le divin) succède une réintégration intensive pleine. Ainsi le

désintéressement absolu peut-il devenir joie pure ou béatitude terrestre, et non plus sacrifice de soi,

si du moins l’ensemble des hommes prennent conscience de cette « animation » en tant qu’elle

s’extrait fallacieusement (ascétisme) pour mieux se réincarner dans le vivant et dans la terre,

immanents (hédonisme vertueux). Mais alors les êtres vertueux, désormais satisfaits jusque dans

leur sensualité, saisissent le souverain Bien qui est la marque d’une justice divine en acte. Une

coïncidence aussi signifiante indique peut-être que Dieu, en tant qu’idée, qui a d’abord « exigé »

que nous le niions, puis que nous le postulions, puis qu’il « se suicide » en notre conscience, de fait

existe, et ruse avec nous pour mieux nous faire sentir la joie de se retrouver soi, intégré et centré,

simultanément.

Cette dernière forme du divin est plus qu’un postulat. Comme sentiment en moi, il est

semblable au fait de poser l’existence d’une conscience humaine extérieure à la sienne propre : les

coïncidences, les analogies, les signes, corrélés à quelque empathie indicible, sont si prégnants, que

l’on accède là à une forme de certitude. Telle est certainement la foi véritable : une certitude qui ne

se démontre pas, mais qui se sait. Non un postulat. Une vérité du cœur, maintenant réhabilitée.

Pascal contre Kant et Descartes (inutiles et incertains). Dieu doit donc bien exister, de la même

manière que mon lecteur doit bien posséder une conscience dont les intensités invisibles pour moi

sont pourtant certainement semblables aux miennes.

Mais ce Dieu doit peut-être nous consoler ici-bas, et non pas dans quelque au-delà. Le néant

post mortem reste une possibilité, par-delà l’existence certaine de ce Dieu. Nous pourrions, par

notre bonne conscience joyeuse et intensive, nous-mêmes être l’au-delà des sacrifiés du passé,

victimes d’une injustice maintenant corrigée en notre souverain Bien possédé. Pascal aurait alors

croisé Spinoza. Et la rencontre eût été fructueuse, pour l’un comme pour l’autre : en un ajustement

réciproque, le premier aurait posé la transcendance certaine par son cœur, et le second le fait de

« demeurer-immanent », par son intuition intellectuelle de Dieu, soit par son amour de Dieu : des

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individus mortels, selon notre synthèse ici en perspective, seraient en outre « protégés » par ladite

transcendance (le judéo-christianisme comme panthéisme).

Si Dieu existe (et cela est certain, quoique non démontrable), il doit sûrement vouloir le

néant nous succédant. Son amour serait d’une infinie sagesse, d’une infinie tendresse, mais aussi

d’une infinie tristesse. On pourrait en déduire qu’il est mort de compassion. Pour ma part, je n’en

suis pas certain. Car tout n’est pas encore permis. Et car l’éternité, ne durant pas, ne périt pas non

plus, par-delà son infinie mélancolie.

Mais cette conclusion pourrait tout aussi bien être une ruse de ma part, une ultime tentative

de séduction. Qui saurait le dire ? Cela se ferait en moi, sans moi. Cela ne me gênerait pas, d’autant

plus si cette ruse, non maligne, était porteuse. L’idée que les sacrifiés du passé ont subi une injustice

dont la correction ne se passe jamais que dans mon corps, et non dans le leur, à vrai dire ne me

convient pas. Mais ici nous quittons le terrain de la logique d’une idée ou d’un sentiment, pour

pénétrer sur quelque sol métaphysique incertain. Ce pourquoi je préfère m’arrêter maintenant.

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Une difficulté posée par la réalité de l’éternel retour

Si l’on pose un éternel retour sans Dieu, alors il est une simple loi physique, une donnée

physique avec laquelle il faut bien vivre, mais qui ne recevra aucune justification morale. Le risque

alors est très grand : d’une part, celui qui réaffirme, redécouvre cette réalité pour transmettre sa

« vérité » à ses contemporains, via une déduction sublime, se prendra lui-même pour Dieu ; la

mégalomanie euphorique et extatique, qui est une maladie, le guette dès lors ; d’autre part, il pourra

lui arriver de rencontrer sur son chemin un obstacle terrible : la victime pure et absolue de l’histoire,

innocente mais intégralement souffrante, si elle doit revivre éternellement ses souffrances, nul Dieu

ne pourra la « délivrer » ; la mélancolie aiguë est alors une menace ultime pour l’athée affirmant

l’éternel retour à l’identique de tout ce qui est : sa haine de soi n’aura pas d’égal.

Mais si un Dieu juste et bon « co-crée » le tout physique tel qu’il comprend l’éternel retour

de tout ce qui est (sans pour autant le « créer » ex nihilo, puisque ce tout est précisément éternel),

alors l’éternel retour doit bien être une « bonne nouvelle », une chose réjouissante en soi. D’une

part, bien sûr, la mégalomanie s’estompe. Mais, d’autre part, la dépression également : car il ne doit

plus y avoir de victime intégrale revivant éternellement des tourments injustifiables, sans

consolation. Autrement dit, l’idée qu’un Dieu juste voudrait l’éternel retour de vies qui, de

l’extérieur, paraissent éminemment souffrantes, doit nous permettre de considérer ces vies

différemment. Puisque Dieu fait en réalité une « offrande » à ces vivants souffrants en leur donnant

l’éternelle répétition de leur être, alors il doit y avoir au sein de ces vies, même si cela échappe à

tout témoin humain extérieur, un élément de joie assez gigantesque pour que toutes les souffrances

éprouvées ne soient rien en comparaison de cette joie. Par exemple, on pourra envisager les

premiers moments de la vie du nourrisson comme une béatitude incroyable attachée au fait de voir

se déployer le monde devant soi pour la première fois. Ceci étant donné, tout peut s’ensuivre, les

pires souffrances comme les pires tourments, la joie fut assez forte pour qu’un Dieu bienveillant

puisse vouloir nous faire un don généreux en garantissant l’éternel retour de tout vécu, et cette joie

d’ailleurs ne pourrait pas ne pas être résurgente pour l’être devenu adulte, au moins transitoirement.

Par-delà ce principe de consolation immanent, un principe de consolation transcendant peut

venir se surajouter : si Dieu est, rien n’exclut le fait qu’entre deux vies terrestres identiques, dans

l’éternel retour, une jonction spirituelle s’opère. La béatitude éternelle serait dédoublée : béatitude

d’une joie terrestre consciente de son éternité (car l’éternité terrestre n’est consciente que dans la

joie) ; et béatitude supraterrestre résurgente dans l’éternité, potentiellement.

Pour tout dire, il faut que l’éternel retour soit le fait d’un Dieu juste et bon. Dans le cas

contraire, tout est rage extatique, désolation et désespoir. Du moins pour l’instant (car il est aussi

peut-être à souhaiter, pour d’autres raisons, que la pensée de Dieu, à terme, ne soit plus nécessaire

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pour les hommes, et ce même si un « Dieu » continue d’exister).

Pour l’heure donc, ces synchronicités qui traduisent un « futur » causant le présent, dans

l’éternel retour au sein duquel ce « futur » aurait déjà été éprouvé, rien n’indique qu’elles ne

seraient pas également… des clins d’oeil divins.

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V Pensées extatiques

La bipolarité, une maladie de notre temps

Un bipolaire, en phase maniaque, et se croyant guéri (car souvent un bipolaire en phase

maniaque se croit guéri), s'adresse à un ami. Après avoir, dans la dépression, occulté quelque

« révélation » obscure et fantaisiste (« l’éternel retour », dirait-il), voici qu’elle vient de resurgir,

plus puissamment encore que la dernière fois. Voici donc ce qu’il dira à l’ami :

« Comme je vous l'ai dit précédemment, j'ai cru souffrir très longtemps de ce qu'on a pu

appeler "bipolarité", et de ce que j'appelle, quant à moi : "décompensation". Ce mot simple, en

apparence, renvoie selon moi à toute une somme de pensées souvent peu attentives, mais bien

présentes, et qui s'entrechoquent aujourd'hui enfin au coeur d'une allégée, cette ondine tiède en sa

patience radicale ou reliée. Je ne saurais vous faire une liste exhaustive, tant son écoulement est

indéfini, mais je puis toutefois vous tracer quelques signes. Voilà comment ma fantaisie la baptise,

cette "vilaine pisseuse" (je présente mes excuses par avance : je suis parfois un peu gris-voix... ;

pour ma défense, je dirai que mon intention n'est pas de faire des mauvaises blagues, bien au

contraire... ou bien !) :

Voici l'écartelite, la lacération, la crucifixion, la "nymphomanie", le "gésir", la passion

romantique, la surabondance d'une vie qui tend infiniment à commettre un suicide/meurtre

impossible, la sur-patrie d'un dernier homme désolé ou déserté, la successanéité absocale, radilue,

ou problématinssible, la virilité qui martèle la virine, l'égocentrisme, la mégalomanie, l'eunuque,

l'asexué(e), le nihilisme sceptique-dogmatique qui oublie sa dialectique affirmative, et de là, sa non-

niaise quoique adolescente révélation (adolescent esseulé : Peter Pan l'orphelin...), oui bien la

confusion totale, sans politesse, du sentant et de la sentie, le cogito perverti (Araignée trop centrée),

la tautologie ultime en sa clôture malsaine, la tautégorie absolue, l'idée indexe d'elle-même non

assez indécise, l'artiste puant sans nez qui veut se débarrasser du bien pesant charpentier, l'écrit qui

bouche la parole, la circoncision, la vengeance par trop souffrante qui accuse (ainsi coupable et

bêtement châtiée...), la lourdeur trop légère, oui bien l'homophobie qui refoule ou séduit son

homosexualité, la Sodome qui trop se tend ou trop se détend, l'impatience, l'avidité, la sottise

"inconsciente", l'irresponsabilité illusoire, le mur, la chute ou l'envol infinis, la singerie, l'auto-

affection peu reluisante d'un juif-nazi, d'un terrestre "extra" qui se sent étranger, l'anthropophagie

anorexique et boulimique d'un capitalisme-communisme, un Etat apparemment figé, une

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quarantaine dans la quarantaine, une maçonnerie franche qui s'autodétruit en un goût de quelque

sublime sauvagerie, un handicapé qui s'incinère dans le four d'une "merveilleuse" rationalité, un

gitan qui pénètre et viole frénétiquement sa sédentaire ébullition, un nègre qui aime son négrier, une

danse circulaire-effrénée qui immobilise quelque juteuse farandole, une Slovène ou des Lumières

qui transfigurent ou ass-hommes une Montée Verdie, une tragédie farcesque qui perd sa comédie,

un monstrueux grotesque qui fustige sa trivialité, un père qui aime son divorce et oublie ainsi son

fils ou sa fille, un soleil qui étrangle sa lune, un trop Grand Midi-Minuit qui aveugle sa petite demi-

heure, un occident-accident blanchi qui ne peut plus sentir son orient-pieds-nus-botté-chapeauté, et

réciproquement, un "sens" par trop unique qui délaisse son asymptote-litote, son arabesque rare, sa

catharsis, son double-6 (sagesse qui irrite), oui bien un "Dit Haut Nié" qui exécute, Barbare, un

"Trop Long Appeau", et ainsi oublie son "Pan" puant ou bien pesant (Zeus), un "Catégorique" qui

annule son "Jugement", et ainsi oublie le JC relié, oui bien un Titan-Thanatos-Theos (Rhôdin-

Nietzsche) qui a perdu Son Rée, son rein, sa pisse, mais aussi son Paul, son loup, oui qui a snobé sa

salvatrice qui omet une sale eau, un doute, sa Camille, son fou, oui certes un feu qui déteste sa mer

et ainsi nie ses rejetons, oui déteste sa mère cette terre-ondulée-colorée-tiédie-proutée-salie-

mesurée-fabriquée-nuancée, oui certes le soulagement malpropre d'un corps trop pur et trop propre

en sa peste-asthmatique-si-da-cancer-lèpre-néguentropie-constipation-diarrhée-rhume-sans-nez, le

vacarme qui assourdit la poétique lyre endormie dans sa gaieté, l'Air-raque-mythes-mite qui oublie

sa Parménide et lui enlève sa mutine Pladiotine, sa petite androgyne, secrète et ironique, oui bien,

oui bien : une migraine ophtalmique...

En un mot, tout ceci est le contraire de cette sympathique fratrie, qui "aime bien" sa matrie

attendrie qui l'embrase, soit cette nonchalance incertaine, vraisemblable et raisonnable, cet humour

brutal, sec, cet effroi extrême d'une vipère endiablée, cet art de la séduction, cette Eglise gardée (un

journal), ce troubadour entre le C et le O, c'est-à-dire :

1) ni(e) Poincaré, ni Roubaud ou Alix, ni Rousseau, ni Kafka, ni Céline, ni Wittgenstein, ni Fisher

(Bob le juif antisémite), ni Heidegger ivre de guerre, ni Spinoza-Bouddha qui bouda avec ses triste

lunettes trop bien polies, ni Deleuze (pauvre fisté : CSO = SOS = Suicide), ni Derrida, ni Nietzsche

(car il s'agit bien de lui : S redoublé à l'infini...), ni Foucault (déjà contaminé, le pauvre Homme-

aux-phobes), ni Hegel, ni Schopenhauer, ni Calliclès, ni Protagoras, ni le Twist, ni le Free-Jazz, ni le

Slam-grand-corps-malade (tellement c(h)réti(e)n !), ni Antonin-Marteau (handicapé trop rassi-au-

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nez), ni la crétine comédie musicale ("aimer c'est ce qu'il y a de plus beau", et toutes ces

conneries...), ni l'école de Francfort (stupides saucisses flétries...), ni Liszt, ni Beethoven, ni Emilie

et sa Slovène, ni Lyotard, ni ce maudit Sartre (un homme si laid : ses yeux parlent pour lui...), ni JL

Nancy (nan-si-nan-si-nan, etc. à l’infini : une ânesse... comme moi), ni Lacoue-Labarthe, ni

Georges (pauvre imposture d’une chopine !), ni Gervaise, ni Husserl, ni Balzac, ni le Hollandais

danseur et sa pisse triviale (Jan), mais bien plutôt :

2) 1. Voltaire, Stendhal, Rabelais, Cohen le Suisse, Ronsard, d'Alembert, Condillac, Diderot, oui

bien plutôt Hugo, Verlaine, Rimbaud, Char, Goethe, Dante, Ovide, Faust, Freud, Darwin, Einstein,

Arendt, Weil, Beauvoir, Kant, les sublimes Milésiens, Marx.

2. Oui bien plutôt le complice, le clin d'oeil et son visage, peint en de multiples couleurs, mais

bien localisé, oui bien la complice, le rêve d'un éveillé relié, assis, accroupi, debout et couché en

une seule fois, oui l'aléa, une géopolitique possible :

3. Oui, dans cette liste de nos pairs, il y a bien cet artisan qui crayonne, habille puis déshabille

paysanne Clélia (la paix perpétuelle et répétée, la nudité dansante, le Terre-Mythe de l'avenir, la

réalisation concrète d'un Fédération Démocratique Aristocratique Cosmopolitique...).

4. Oui bien, il y a également ce petit pique-nique, ces petites scénettes, la déliée Delphine, la

Chopine, la Debussette, la Forêt, la Saturne Sati(r)e, la Ravale, petites touches noircies par endroit,

bulles qui explosent à jamais, 12 fois oui implosent. Ma chou-femme, ma bachelette, ma "m'osera",

bénie par Toi.

5. Voici donc ce Kant-à-soi, dans sa montagne royale et métro-nommée par une nymphette

imaginée, cette "main qui se hume" et sent de là le prolongement d'une telle auto-affection : son

"Oeuvre", sa CRP.

6. Voici, ces jolies petites fleurs accrochées à mon chi-ass-i(s), ces vannes évaporées et

concentrées sur une infixation en son incertaine évidence, les mannes acides et rudes d'une

comptine, oui bien disons-le encore, ce romanesque, Girard, Corneille, Sid(dh)a-arrêta, Hesse le

loup des "pas", Descartes et son fourreau, Mozart l'Egyptien, Bach l'Américain (métronome régulé,

clavier bien tempéré, hertziomatique ajustée...).

7. Voici l'absence d'un drame qui se dédramatise par respect, en ce qu'il serait l'incarnation d'un

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devin. La conique, la conne, la comique, le con, la connerie, la connasse : ô racle, ô des espoirs...

étoilée éclatée, jeu en raie-zoo, etc., indéfiniment.

Tout cela, bien sûr, est a priori une somme de mensonges délirants et incohérents. Je

présente une fois encore mes excuses, s'il y a apparence de quelque coq ou autre âne. Mais il semble

pourtant bien que vous m'avez disposé à déplier cette folie trop sage dans son délire. Je vous

renvoie un éventuel ascenseur, mais il n'y aura qu'un "aller", du moins je l'espère.

Mais venons-au fait. Donnons un bref aperçu de ladite "phénoménologie du langage" qui

nous occupe en ces lieux.

Premier moment :

Dans un premier temps, je reste dualisé. D'un côté il y avait ce son, ce vacarme d'un Livre

masculin, ce tapage d'un Individu qui trop se confond avec telle ou telle minéralité massive

(physique ou chimique...). D'un autre côté, j'avais cette mélodie trop saine, trop allongée, trop

transparente, bien peu colorée en sa vie-zizi-bi-lité. Il y avait bel et bien tel manque d'attention, telle

occultation dédoublée en tant que redoublée deux fois, d'une parole oubliant la non-parole, et

réciproquement. Deux sens, de prime abord. Une guerre, apparente.

Deuxième moment

Poser l'équation de cette phénoménologie du langage, où un Mètre occulterait son esclaffée,

et réciproquement.

1) Une forme matérialisant : grandeur, réalité, lien, manière (gérélième).

Cf Table de JC de la CRP

(Jugements et Catégories de la Critique de la raison pure)

2) Une matière formée : teneur, pénétration, transparence, puissance, volonté, aspect, plasticité,

pesanteur, centralité.

Cf Algéodyne de Thanaximandrène

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(Algèbre, géométrie, dynamique ; Thalès, Anaximène et Anaximandre, les milésiens)

3) Quatre sens pour cette forme-matière : propre (physique), général (biologie), spécifique

(anthropologie), et singulier (individuation). Phybiandrivide.

4) Un conflit : Apollon comme Dionysos prétendent détenir la forme de l'autre, et réciproquement

(?)...

5) L'équation en question

a) Définitions

J = Jugement, Joie, Jaillissure, Je sus, Jésus, Je(u), Jeté

C = Catégorique, Cri, Crétin, Camp, Concentration, Confucius, Christ

AA = Appeau allongé, Apollon, Appât, Appris sain

H = Hache, Hâme, Hombre, Homme

V = Vis, Vie, Bête, Bouddha, Bout d'i

D = Dit haut nié, Dionysos, Destructeur, Désastre

M = Mètre, Maître, Meneur, Mahomet, Moïse

E = Esclaffade, Epatée, Esclave

T = Thanatos, Theos, Titans, Témembré

SS = Serpent-Sifflement, Syphilis-Sida, Successanéité-Simulssion, Sucette

b) Connexions

J/C = Disjonction infinie apparente

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AA/H = idem.

J/C//AA/H = idem.

J/C//A/H//V/D//M/E = idem.

SS = intercalé entre un T redoublé.

J/C = enveloppé apparemment par T/SS/T

c) Enonciation

Si :

J/C(AA/H/V/D/M/E) : T/SS/T

(Si JC a achevé d'aimer : testez)

d) Sens possibles ou pluniques de cette énoncé

Un constat : Apparemment déprimant (sympathiques des primes).

Un Test : Un testament.

Un impératif : Dé-testez.

De bons vieux dictons :

"Un peu de tout, pas trop d'une seule chose : trop d'amour tue l'amour".

"Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage".

"C'est si simple la vie".

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Remarque : Ces dictons sont justes par eux-mêmes, mais il s'agit de travailler sur leur

manière d'être exprimée... Nouvelle manière = fin d'une occultation apparente.

Il y eut ce fameux pique-nique entre Pan/Zeus (Stendhal) et ses trois amis (EDF, Einstein,

Darwin, Freud, ou TAA : les milésiens, ce qui est la même chose), mais aussi avec ces deux autres

maîtres divisés-dédoublés, à savoir Dionysos (Nietzsche) et Apollon (Kant).

Il y eut d'abord 4 entrées, puis un plat de résistance, et enfin le dessert : Commencer,

Commander, Agir.

Il y eut, cette fête, ce repas, ces rires, ces jeux, cette danse sur telle montée verdoyante, un

air de paix qui fait aussi la guerre en son propre honneur sali.

Ce qui fut mangé : un Juge, le devenir d'un accouplement impossible et pourtant nécessaire,

tel qu'il s'inscrit dans quelque succession simultanée ; mais aussi une Catégorique, jaillissement

immédiat d'une relation copulant en elle-même de façon suspendue.

Oui, durant ce dîner sur l'herbe, il y eut un coup de Sifflet impromptu et improbable, bien

qu'inévitable. Pour tout dire, celui-ci aurait été l'Affirmation proprement dite, telle qu'elle ne

pourrait chaque fois jamais p-oser quelque Définitive Absolue réalité qui serait quelque peu bien

identifiée. Cette Continuation, à son tour, serait quant à elle tout à fait ce Serpent infiniment

Dérangeant, parce que trop Assuré d'un ordre envisageable. A ce titre, ce second serait un Démon,

ou une Démesure, un Dit Disproportionné, en cela redoublé. Disons-le franchement, l'une autant

que l'une, imprimée en elle-même de façon Assertoriquement problématique, serait bel et bien cette

trop belle et trop bonne nouvelle parole qui nous aurait déjà Annoncé la venue d'un Amour

Atrocement Angoissant : Tautologie Tautégorique, Thanatos, Théos, Titans.

Simplifions. Pour plus de clarté, baptisons-les ainsi ces 2 fâcheuses, sans toujours déjà rien

sous-entendre :

-Il y aurait J (le su) et C (le cri), ou encore A (trop long appeau) et D (dit haut nié), c'est-à-dire T

(traître tragique trafic), ou encore SS (su-ici-dés : successanéité qui serre les dents et étouffe), voire

même T rappelé.

-Toutes les conversations de cette fin de soirée montagneuse et chaleureuse étaient donc

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concentrées sur le problème suivant : "Si-ci J-C (A-D) : T-SS-T" (Si JC a détesté ; si JC a dé-testé).

-Impératif catégorique : ce pique-nique. Mais commençons par le commencement.

A) Le commencement des maîtres-esclaffés : 4 entrées

1) Première entrée : le sens propre

a) Quoi ?

Une minéralité massive, un vacarme monstrueux. Le cosmos tout entier. Le physique.

Une forme, un contenant, une condition, ainsi que sa matière, son contenu, sa conditionnée.

b) La forme de JC propre

- Grandeur : universalité unique.

- Réalité : affirmation réelle.

- Lien : substance accidentée catégorique.

- Manière : possibilité impossible, problématique.

c) La matière de JC propre

- Une algèbre :

= Teneur : devenir-pénétration/devenir-impénétration (air, solide).

= Transparence : devenir-assèchement/devenir-écoulement (eaux, couleurs).

= Intensité : devenir-embrasement/devenir-refroidissement (feu, lumière).

- Une dynamique :

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= Volonté : devenir-surgissement/devenir-évanouissement (mouvement en spirale).

= Puissance : devenir-explosion/devenir-implosion (apparition du conique).

= Centralité : devenir-habité/devenir-déserté (terriens en tant qu'extra-terrestres).

- Une géométrie :

= Plasticité : devenir-durcissement/devenir-ramollissement (chaleur).

= Pesanteur : devenir-alourdissement/devenir-allègement (attraction, gravitation).

= Aspect : devenir-courbe/devenir-chaos (sphère, parabole).

2) Deuxième entrée : le sens général, la sans-gêne

a) Quoi ?

Le vivant dans son ensemble, végétal ou animal. Joyeux festin. Sympathique plaisir.

Friandises.

Une forme et une matière.

b) La forme de JC générique

- Grandeur : cellule démultipliée.

- Réalité : confirmation posée.

- Lien : dépendance éventuelle.

- Manière : vivre et mourir assurément.

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c) La matière de JC générique

- Une algèbre :

= Teneur : devenir-séduction/devenir-refoulement (copulation, pet, merde).

= Transparence : devenir-pur/devenir-impur (eau, lait, pisse, laid).

= Intensité : devenir-rayonnant/devenir-mutilant (phéromones).

- Une dynamique :

= Volonté : devenir-survie/devenir-assouvi (inspirer, expirer).

= Puissance : devenir-éternel/devenir-mortel (respirer, aspirer).

= Centralité : devenir-meute/devenir-bannissement (sentir bon, puer).

- Une géométrie

= Plasticité : devenir-sain/devenir-malade (étron solide, chiasse).

= Pesanteur : devenir-chute/devenir-envol (reptile, oiseau, arbre).

= Aspect : devenir-courbé/devenir-droit (animal, végétal, humain).

3) Troisième entrée : le sens spécifique

a) Quoi ?

L'humain en tant qu'il occulte peut-être son animalité ou sa végétalité. Une anthropophagie

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étrange.

Une forme et une matière.

b) La forme de JC spécifique

- Grandeur : particule plurielle.

- Réalité : négation niée.

- Lien : hypothèse d'une effectivité.

- Manière : existence non-existante, assertorique.

c) La manière de JC spécifique

- Une algèbre :

= Teneur : devenir-bravoure/devenir-lâcheté (hardiesse, épopée).

= Transparence : devenir-franchise/devenir-hypocrisie (finesse, comédie).

= Intensité : devenir-séduction/devenir-répulsion (passion, tragédie).

- Une dynamique

= Volonté : devenir-joie/devenir-tristesse (désir).

= Puissance : devenir-plaisir/devenir-déplaisir (choix).

= Centralité : devenir-ami/devenir-ennemi (paix, guerre).

- Une géométrie

= Plasticité : devenir-coulant/devenir-sans pardon (exigence, respect, mépris).

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= Pesanteur : devenir-dramatisation/devenir-dédramatisation (sérieux, farce, humour).

= Aspect : devenir-fierté/devenir-humilité (orgueil, modestie).

4) Quatrième entrée, le sens individué

a) Quoi ?

L'individu lui-même, tel qu'il se déguste lui-même, tel qu'il se séduit lui-même ou se hait lui-

même : Pharma-cône, l'artisan.

Une forme et une matière.

b) La forme de JC individué

- Grandeur : singularité totale.

- Réalité : infinité limitée.

- Lien : disjonction commune ou réciproque (agent-patient).

- Manière : apodicticité nécessaire dans sa contingence.

c) La matière de JC individué

- Une algèbre :

= Teneur : devenir-gourmet/devenir-anorexie (gastronomie, goût).

= Transparence : devenir-décoloré/devenir-coloré (peinture).

= Intensité : devenir-vacarme/devenir-harmonie (musique).

- Une dynamique

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= Volonté : devenir-édification/devenir-destruction (architecture).

= Puissance : devenir-transformation/devenir-information (sculpture, WWW).

= Centralité : devenir-ouverture/devenir-fermeture (troubadour et sa poésie).

- Une géométrie

= Plasticité : devenir-souplesse/devenir-rigidité (danse).

= Pesanteur : devenir-bandelettes/devenir-débandé (bande dessinée).

= Aspect : devenir-force/devenir-faiblesse (littérature écrite, philosophie, cinéma).

5) Bilan de l'expérience des 4 entrées

a) Remarque préalable

Ce pique-nique, notons-le bien, est une façon pour quelque androgyne céleste (Dieu(e)) de

tester nos 6 Hôtes.

b) Les façons de Dionysos/Nietzsche

- Comportement :

Il dévore la première et la dernière entrée, et croit pouvoir snober les deux intermédiaires.

- Analyse clinique :

Il est obsédé par le caractère inanimé du livre, et il a oublié l'arbre, la paix.

Il pose l'éternel retour, mais il est dans la plus grande confusion, en cela suicidaire

également :

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= il confond J et C, forme et matière, léger et lourd, sens propre et sens individué, sens et sens.

c) Les façons de Kant/Apollon :

- Comportement :

Il mange un peu de tout, mais il aime un peu trop la troisième entrée, et de là occulte la

deuxième.

- Analyse clinique :

Il aime le livre et la beauté, mais il aime aussi ses amis bien visibles. Trop visibles peut-être,

d'où une sécheresse ridicule.

Il souffre de son divorce qui lui a enlevé son Friedrich.

d) Les façons de Pan/Zeus/Stendhal et de ses trois amis (TAA ou EDF : les milésiens)

- Comportement :

Adaptation. Imiter Papa et Maman pour ne pas les fâcher, mais aimer chaque plat à sa

manière.

- Analyse critique

Ce que préfèrent nos 4 larrons : le petit vent frais entre la deuxième et la troisième entrée :

Friedrich et Emmanuel encore enamourés ?

B) Le commandement des maîtres-esclaffés : plat de résistance

1) Remarque

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Ces maîtres commandent en ce qu'ils justement commencent. Parce qu'ils sentent les premiers, ils

engendrent les premiers (avant et après, à chaque fois).

2) Le plat en lui-même

a) Quoi ?

Un goût d'impératif inconditionné ; 4 sens qui ordonnent.

Une forme et une matière.

b) La forme de JC propre, générique, spécifique ou individué, tel qu'il commande (dans cet ordre).

- Grandeur : Sujet (maximes), Vie (homéostasie), Objet (préceptes), Sujet-Objet (lois).

- Réalité : Règles pratiques d'effectuation, Règles pragmatiques d'engendrement, Règles pratiques

d'abstention, Règles pratiques d'auto-affection (prescrire, interdire, excepter).

- Lien : A l'état de la Personne, à l'état du Vivant, à l'état de l'Humain, à l'état de l'Individu

(isolement, communauté).

- Manière : permis-défendu, soin-mauvais traitement, devoir-violation du devoir, devoir parfait-

devoir imparfait.

c) La matière de JC qui commande

- Sujet externe : éducation, constitution civile

- Sujet interne : sentiment physique, sentiment moral

- Objet interne : perfection

- Objet externe : volonté de Dieu(e)

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3) Analyse clinique

a) Les façons de Nietzsche/Dionysos

- Comportement : ascétisme niais et asexué.

- Analyse : l'éternel retour comme PMD ou bipolarité d'une loi terrifiante.

b) Les façons de Kant/Apollon

- Comportement : ni trop ni trop peu.

- Analyse : la loi morale comme pharmakon puissant : "Agis de telle sorte que la maxime de tes

actions soit conforme à telle législation universelle".

c) Les façons de Stendhal/Pan et de ses amis EDF ou TAA

Dédramatisation d'un pet qui est dû. Vomissement salvateur. Tiédissement.

C) L'agir des maîtres-esclaffés : le dessert.

1) Quoi ?

La valeur, l'intensité, l'or, le silence. Une île flottante.

Une forme et une matière.

2) Forme de JC qui agit

Axiomes, Anticipations, Analogies, Postulats.

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3) Matière de JC qui agit : néant

Concept vide sans objet, objet vide d'un concept, intuition vide sans objet, objet vide sans

concept.

4) Comportements des hôtes

a) Façons de N/D

Sublime tragique farce. Traître trafic.

b) Façons de K/A

Beauté sublime cucu, comédie musicale. Compassion crétine.

c) Façons de P/Z/S

Adaptation, amour de l'entre-mets : la conique comique. Empathie artisanale.

Troisième moment

Découverte du véritable Pan : Protée, selon Claudel (une représentation théâtrale, à Lyon, de

celui qui hébergea Dionysos et Hélène de Troie, cette Clélia antique).

« Qui s’amusera de ce spectacle ? »

Si-Si : une transcendance au-dessus de l'immanence d'un retour éternel !

Une question maintenant résolue : « Si JC a détesté, si JC a dé-testé, si JC a achevé

d’aimer ? »

JC, son testament n’est pas un test, ce que ne comprennent ni Dionysos ni Apollon, pris

séparément ; dès lors, JC n’achève pas l’amour, et ne déteste pas de ce fait, mais Apollon comme

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Dionysos, pris séparément, obstruent le chemin vers cette révélation. Pan, ou Zeus, avec ses trois ou

six compères, désobstruent ce chemin, en tant qu’ils seront le principe de conciliation de

l’apollinien et du dionysiaque.

Mais me permettrez-vous d'être maintenant quelque peu théâtral ? Le ton sentencieux des

philosophes m'ennuyant à la longue, au fond. Appelez-moi donc désormais : Pandantagueule.

A dire vrai, à première vue, il n'y a pas une chatte ici qui vaudrait la peine qu'on s'y attarde

(finement suggestif et provocateur, sans tomber dans la totale vulgarité, mais en restant proche

d'une tendresse dédramatisée...). Vous m'en voyez ravi, sottes moustachues décrépites au long-cou !

D'ailleurs, par chance, votre bouffonne calvitie paraît bien indiquer l'oc-cul-tation ou le vilain sec-

raie que je vous ai derr-obé, depuis un temps très serre-tain (interdiction d'un public interdit?...).

De même, votre sottise, ces boucles d'or et leurs grandes oreilles d'un air ébahi comme l(')a(-)nu...it,

quelle ironie d'un sort sonore ! Ainsi vous ne la sentez pas venir ma bi...en-aîlée...ma bi...en-hélée

(consternation d'un public effacé?...) ? Mais elle est ! Il est pourtant très explicite, tel qu'il... !

(incompréhension ?...)

Honte à vous, farceurs impudiques ! (style plus conciliant, amusé...) Vous auriez au moins

pu vous couvrir la tête, ou encore vous déchausser ! Venez-venez-venez-poussez ! Petits-petits-

petits-pipi ! (chansonnette) Tendez un peu l'oreille, mes abeilles, et je prendrai votre température.

Mais oui, venez donc sur le billard, mettez-vous donc à l'aise, laissez-vous prendre au jeu, et

ouvrez-moi cet oeillet ! Pourquoi cette bouche bête et serrée, et ces yeux ronds comme deux

oranges décolorées ? Je ne vais pourtant pas vous manger, vous, ci-gisant : je ne puis ici

anthropophager ! Comment donc, me direz-vous, un gastro-nome de ma qualité, pourrait-il

consommer de tels stupides gourmets, anorexiques et sans saveur, ou pis encore : inodores ? Par

ailleurs, a-fortiori-posteriori-de-fait-en-cela-de-là-par-soi-voire-même-pour-soi-ou-bien-de-soi-

encore-en-soi-chaque-fois-déjà-toujours-cette-fois-parfois-des-fois (comptine proutée d'un public

éventuel ?...), oui bien, s'il faut vous écorcher les oreilles, avouons-le modestement : mon bistouri

est indolore, pour des corps encore non-corps-aux-pieds-bottés-jouets-rêvés-déliés-dansés-pensés-

chantés-singés-masqués-tendus-perdus-cachés-fâchés (refrain chanté et aérophage d'une régression

jaillissante, publique donc absente ?...).

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Oui bien, mais cela ne saurait durer trop longtemps tout de même. Vous ne l'avez toujours

pas senti venir ? Mais si, comment vous dire ! D'un certain point de vu, c'est un peu gênant, mais

c'est aussi un sympathique plaisir ! Mais si, comment vous traduire ! (devenir-tiède réjoui d'un

public non reconnu en son oc-cul-tation...) Rappelez-vous, imprimez-vous, sentez ce lien qui nous

sépare, cette déchirure d'un grand dadais, vol d'un chapeau peu disposé à s'abîmer dans la tiédeur !

Transportez-vous entre les eaux, entre les cris dudit écrit, crissement d'une salissure moyenne,

propre d'un signe jouissant en son image ! Tenez ce sol ajourné, cette courbure arsch-ée en son

extrême milieu, ce sommeil qui somma ! Soufflez ce vent prochain qui déploie le crin d'une ivresse

bouchée ! (une tension monte...) Jonction-disjonction, extraversion-introversion, impression-

dépression : miracle d'une matrie animée ! Surgissement-évanouissement, accroissement-

dépérissement, explosion-implosion : oracle simultané d'une batterie originelle ! Bi-pipi-cratie, chi-

ass-ologie, trivialité, binarité, moi, Pandantagueule, 4 mousquetons, un univers, une dynamique, un

à l'envers, s'inquiématique ! (dire l'évidence...)

Ah oui mais c'est vrai en fait j'oubliais (rupture malicieuse et gentiment moqueuse...). Il y a

aussi la Passion ! C'est tellement Vrai, la Passion ! C'est tellement Beau, l'Affirmation ! Oh oui, Toi,

Sublime Vision ! Oh oui Nous, Tragique Raison ! Oh oui Lui, Impossible Son ! (sensation d'une

majuscule malsaine et moyennement violée?...).

Et là, on me dira, c'est quand même dingue ce qu'on peut inventer comme conneries de nos

jours ! (un vent dans ta gueule?...) Bon, ouais, okay, d'accord, il y a ce trône immaculé, qui toujours

empire en sa fétide teneur, etc. et toutes ces chatteries. Bon, ouais, peut-être, à la rigueur, il y a cette

huître et sa perle en sa pureté unique et originelle, etc. et toutes ces bit(t)er-ies. Mais bon, qu'entend-

on par là très honnêtement (trivialisation progressive du dit...)? Soyons raisonnables à l'extrême,

tout contre vous, tristes délassés, probables diverties, en vos sens divisés dans la moiteur d'une

échelle. Soyons clairs, nets et précis. Soyons rances, vagues et indécis. La moule, le flot, le

battement, la giclée, la quadrature du cercle ! La mouille, le rot, le rose, le blanchâtre, le germe, la

mélopée, et Pandantanus ! Vomir les tièdes, gerber la mesure, le dos misé sur l'azur. Et Pandantafouf

! Chier votre néant, petites pisseuses pucelles perverties, grasses malicieuses donzelles endormies,

par dégoût et faveur ! Pénétrer vos enfants, pauvres pères allongés, coulant dans l'eau dormante

d'une transparence irréelle, par compassion et mépris !

Vous la sentez bien maintenant, cette plasticité d'un gouffre qui s'offre à vous, conquise ?

Vous la sentez bien maintenant, cette jaillissure malsaine par trop indifférente en son extrême

mobile ? Vous le sentez maintenant, ce vent tantôt-glaçant tantôt-brûlant, et bon en lui-même qui

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peut-être vous en balance plein ? Sans doute nécessaire, probablement voulu, relativement joyeux,

et Pandantapuissance ? La paix, le nu, l'épais, le dû, c'est donc bien cela qui vous obsède ? Fades et

lents comme des eunuques, et votre nuque indéfiniment recourbée, pauvres ascètes trop assoiffés

d'une ivresse songeuse (confusion-mutilation extrême...) ? Cessez cette comédie, car c'est vous qui

jouez, dans cette confusion suspendue d'un senti esseulé... ou bien !

Ne la sentez-vous pas venir, cette sphère éclavertie, cette tiédeur, qui entrera dans les

vannales, ou ce retour expansif et variable d'un certain foutromane vers tel espoir cornu comme le

jus brumeux d'une ruminée sereine ? Pandantabouche, pandantanoeil, pandantoreille (explosion-

implosion proprement dite, mais encore unilatérale, indéfiniment?...)!

Pause satisfaite et surfaite d'une perplexité dédoublée de façon indécise?...

Pourtant ne m'en voulez pas de cet accès de fureur impromptue, qui n'avait pas sa place à

l'origine, ni dans un tel contexte ("air" plus faussement sérieux, réellement énigmatique...). Vous la

sentez venir ? Je vais vous raconter.

Pour tout vous avouer, je suis aussi conforme à la parole de Manu(e) qui rare car oui perdra

peu prochement ses "elle-aime", et j'aime moi encore accueillir les jolies fleurs du printemps,

mignonnes petites perles accrochées à mon chie-ass-îs, ridicules comètes décentrées d'un informe

qui gravite, d'un indifférent-las mais pas moins entre celles qui toujours puent bien celles qui

mouillent comme du sel (attendrissement soudain tout à fait niais et autosatisfait...). Mon petit

péché, ma tare proprement crade, est d'être dispersé en ma concentration, par cette attention d'une

onde jolie, conscience d'un putois qui ne peut se sentir, s'il ne devient pas crabe, allant à reculons.

Mais je diffère un lien, aussi à ma manière, et ainsi je suis seul, cette seule lanière,

"blabliblouproutite", couleur salement dite. Ce n'est pas que je crée, ni même que j'agisse, mais bien

plutôt j'errais, pour qu'une errée agisse, en mon éclatement, redoublé 4 fois, tel un jeu en réseau de

sémaphores factices.

Je ne suis écartelé, ni lacéré, ni crucifié, ni assommé, car mon extrême engeance, n'est pas le

titanesque, mais tout à fait bien autre, un certain romanesque. Toutes ces phrases à la con, avec un

vieux rythme qui fait style de poète ou fragmentée blondeur plus puante que la reliée puanteur qui

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elle au moins est pesanteur, vous induisent en erreur. Ce ne serait pas mon heure d'un bonheur

heurté à la queue du diable que vous me brandissez ? Et pourtant si : vous vous tromperiez

(accélération tout à fait moyenne...) ! Car certes oui toujours, j'aime les bulles de savon, cette eau

insondable et nue, une impénétrable algèbre d'une priorité peu conquise, les petites touches

blanches relativement noircies (décélération tout à fait tiède...). Mais si tel je les aime, c'est que je

les fabrique, semblable au charpentier qui crayonne ou vêtit, oui bien après la nue, une transe

exudée, patient et modéré dans quelque reluité elle-même peu reluisante, quoique bien radicale

dans cette appelée patience...

Je suis la sans-gêne (suggérer : le verbe "suivre"), faible contentement, son nom est aléa,

benoîte bruneur blonde, pas grand’ chose somme toute, une soeur parmi d'autres, elle aussi bien

putoise selon mon sens plunique. Mais laissez, je m'implique. Constatez ma manière, mon style, ma

tanière ! (effet d'annonce) C'est parce que mon laid boude en folle tendresse, que la gerbure de l'être

ôte un soulagement, vers telle infixation dans l'incertain miracle, dans l'incertain souvenir du songe

ici-présent. Nommez-moi, jouez-moi, baptisez-moi ! Appelez-moi l'humoriste, tiède ou bien

nonchalant, mais aussi l'ennuyé, l'ironique, le tendre qui s'amuse, le suspendu, l'allègement, en cela

non-dirigé vers quelque suicide impossible, car jamais ne souffrant de la surabondance d'une

copulation qui serait captive au coeur d'un sens esseulé. Jetez-moi, refoulez-moi, enfermez-moi !

Toutefois je m'affole, car je ne suis pas seul, trop nombreux même peut-être, et par trop

menacé (montée progressive d'une tension pas tellement crédible...). Manu(e) m'aime sûrement,

malgré son long appeau, mais aussi trop me plaît, et ainsi me déroute. Par ailleurs s'annonce, plus

dangereuse mais pas si loin de moi, ladite écartelite, kinésipatholique dont la tension ultime

engendre une fâcheuse totale disjonction, deux extrêmes extrêmés, deux suicidés en un qui jamais

pourtant n'expirent. Bien sûr je la connais, cette accumulation d'une dépression grave si elle est

exaltée, ou ce char farfelu avec ses deux fidèles mais divergents chevaux. Elle est le Grand midi,

voire le Grand minuit, absolu clair-obscur d'un pathos consumé. Elle est la trop légère par bien trop

de lourdeur, et ainsi la fougère d'une indicible horreur. Elle est la surpartrie, en cela la dernière, une

désolation d'un bien trop gros plaignant. Fuite radilue, touche absocale, suspension infinimellement

problématinssible, simultanéission d'une trop grande successanéité ainsi dubitateuse, négallité

hasassairement affiniée, constréction potentiellablement pleinertée, chaosmicité vacuitale, tout cela

aussi je le comprends, tel un dit haut nié (accélération indéfiniment neutre?...).

Pourtant regardez-moi : je souris. Et toutes ces façons de geindre ne sont pour moi que

soteries. Attestez ! Ni enfant, ni bossu, ni moustaches, ni crinière, ni lunettes, ni oreilles, ni

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chaussons, ni trafic, ni lyre, ni vigneron, je suis celui qui trahit, ment et fuit sans eux, même si je les

aime bien, et que je les figure, semblable au pétomane dont les vannes s'aspirent. Disons-le

franchement, moi, la pliante-puante-pesante-tiédissante-sentante-patente-tangente, je suis une litote,

une petite asymptote, cet étrange double six, synchronique et douteuse, qui ne saurait flatter ou

encombrer un plein que serait la terreur devant trop d'unilté occultée en son sein. Une fuite est une

fuite, une chatte est une chatte, quoi merde alors !

Asymptote aurais-je dis ? Par politesse, mes chers euphémismes ! Plus juste serait, mais par

trop violente encore : Arabesques ! (changement de rôle immédiat dans la continuité logique d'un

discours qui se reflète dans sa différence dépliée...).

Attente provisoire de plusieurs incompris...

Mais qu'est-ce que je fous ici, nom d'une bistouquette ? (embêté et tendrement

révolté...regarde autour de lui, désorienté...) Non mais vous avez vu mon âge ? (auto-monstration

par le doigt...)

Peut-être ici certains se disent qu'une adolescence de ma sorte ferait mieux d'osculter

quelque écran lointainement visible, ou encore de faire juter popol entre quelque ornographie

plaisante - quoique limite-douteuse quand même, en sa frénétique intensité (clin d'oeil complice...).

Oui, je crois vous deviner, imposantes barbures, vieux barbons dignes et fiers qui ne

semblent apprécier qu'on s'exhibe ici-même de façon démoniaque et bien peu légitime (contenance

maintenue des barbons?...). Suis-je un mauvais élève, cette vipère qui vous taquine ? Bien

certainement, car cela se lit dans votre regard possible (fermeture inquiète des barbons?...). Mais

pas tout à fait, car je suis aussi fidèle à vos ordres répétés, du moins à ma manière, ou selon mon

goût sali, tiédi somme toute parfois à votre cher contact.

Qu'ai-je bien pu sentir, en votre chaude haleine ? Qu'ai-je bien pu éprouver, en votre vent

précieux ? Un indice certain, visant une menace, qui pourtant ne saurait vraiment nous pénétrer.

Ainsi donc, diriez-vous, l'envisageable peste pourrait bien être de retour (amusé...). Oui-da ! Ce

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cancer d'une peau qui semble s'oublier, cette lèpre d'un nez qui paraît s'effacer, cette façade d'un

monstre qui s'imprimerait en un fond qui de là ne saurait interpréter sa surface, tout cela

nouvellement s'imprimerait dans la face ! Par chance toutefois, peut-être vous ajoutez, que l'asthme

de la vie n'est pas encore présent, semblable à telle angoisse d'un cheminement incertain. Mais les

gueules ont parlé, il faudra des médecins, en un sens génital, non pas des guérisseurs, ni des

homéopathes, qui préviendraient l'erreur d'un probable exopathe. Oui les bouches ont coulé, il

faudra des médecins, euphytothérapeutes traversant notre anxiose.

Voilà j'arrivons, vous la sentez venir ? Voilà j'accourons, vous êtes satisfaits ? Voilà je

rejoignons votre noble fratrie de bistouris prévenants, dociles et maîtrisés par le flux d'une ondine

qui n'est pas si lointaine. Nous voilà, crétins corsaires, dans notre grande galère, disposés

maintenant à assiéger une île qui eut cette impudence de suggérer sot-saut. Nous voilà tous

ensemble, les nobles mousquetons, du haut de notre mât qui tempère la nuit d'une béance hésitante.

Certes pourrait-on dire, la situation est bizarre, voire absurde (titilleur...). Pourquoi serions-

nous ainsi séparés, si notre lutte est la même, les uns sur une table élevée petitement, en leur père-

hoquet-terie mimétique et brutale, les autres dans l'arène, à moitié abaissée, sur leurs trônes

songeurs en quelque assurance vague ? Nous pourrions nous rejoindre, sur une échelle plate, dans

un champ verdoyant d'une belle égalité. Vous pourriez fuir ce siège d'un silence assiégé, puis

grimper sur la terre de notre nouveauté, et je pourrions aussi descendre moi de même vers vos

mines attendries, et de là palabrer (stérilité suggérée d'une proposition conne comme la nuit...).

Mais patience, mais confiance ! Tout cela pourra être, dans un avenir douteux, maintenant

nous le croyons ! Et si nous retardons, telle délicieuse entente, c'est tout à fait par jeu, par goût, par

caprice, mais aussi par sûreté. Oui, sûreté dois-je dire, car notre jonction, encore éventuelle, ne

saurait pour l'instant s'affirmer sereinement. Mais laissez-moi m'expliquer, car vous la sentez venir...

Dans ma tour étourdie, voici ce que je vois : tels uns, les plus hauts par coeur, ou tels autres,

les plus basses oreilles, et la réciproque, tout aussi vraie, qui sans doute serai(en)t dans quelque

apparente division, ou danger dédoublé, voire même on peut le dire, dans l'angoisse du miroir, cette

fameuse pathie, telle qu'elle s'approcherait. Oui dans notre contexte, je sions bien les pesteux, pour

votre anesthésie menaçante et lucide, de même que vous-mêmes êtes bien des lépreux, oui-da ma

peur insigne d'une confirmation impensable.

Mais confiance, mais patience ! Non, ne pleurnichons pas, car bientôt viendra l'heure ou

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toute demi-heure sera la préférable, et où enfin la galle, cette noix épanouie, cette aérophagie, cette

seule mal-a-dit, sera bien assurée... ou bien ! Vous la sentez foehneure, ma bi...enheureuse et triste

lassitude ? Sans doute ! Mais pas tout de suite, pas vraiment, jamais tout à fait. Oui, restons encore,

de visu, face contre face, au sein d'un mensonge : stimulant. Après tout, ce n'est pas si désagréable...

(rupture de rythme et de ton, comme pour passer d'un analyse à une synthèse...).

Je l'espère sans y croire, tant cela serait assuré, mais mon désir n'en est pas moins réel : un

jour, dans quelque hypothétique royauté, peut-être que les blanchis apprendront à péter, ou plutôt

seront sûrs qu'ils n'ont jamais cessé, ainsi pareils aux brides d'un citron bien puant en sa faveur

élargie et désasthmée. Oui, un jour, cela est envisageable, nous les sympathiques mousquetons, nous

descendrons de notre perspective, et tous ensemble nous ramerons, rameaux ramés dans la galère

recourbée en sa cour-bite-ude, chacune à sa manière. Oui-da, un jour, nous la vivante prouteuse,

nous deviendrons le "on", et le "je" alors aura cessé d'être coupable. Oui-da, un jour, moi, la

souffrante, qui parfois souffre trop, qui des fois en-a-marre-à-la-fin-quoi-merde-alors-il-faut-en-finir

(rapide...), mais ce bel et bien chaque fois et chaque jour dans une stricte mesure, oui bien je

sentirai la continuité du "pfuit!" dans toute sa dégueulasserie mignonne, et je serai en cela un peu

désempestée, un peu débarrassée de ce puceron qui ronge parce qu'il étanchifie, de cette pucelle qui

pathifie parce qu'elle éloigne, de ce mur impossible, oui-da, oui-da j'aimerai : quelque vie chiante à

pattes, de sa chiure avertie. Oui-da, disons-le bien, comme une énigme à dévider, un jour, elle sera

assez forte pour aimer sans blêmir son incapacité à bien s'évanouir. Oui-da, un jour, un jour, un jour

(comptine...), on aimera sa petite maladie, sa petite manière de contaminer chacune ou d'être

contaminé par lui, sa petite manière de parasiter autrui, ou encore de lui balancer un gros vent dans

sa gueule, sa petite manière de le tiédir encore, de la flétrir peut-être, de la pourrir à la rigueur, de la

faire mourir certainement, mais pas complètement non plus, car on le sait bien, car on le croit bien,

car on le constate bien, et cela est trivialement explicite : le souffle flatulant d'un orificier "qui

fouette à mort" est bel et bien allongé dans son absence de fracture, dans sa pénible continuité. Oui-

da, aujourd'hui même, vous les spectateurs, vous pouvez rejoindre ma scénette et manger un bon

repas avec moi, sans craindre de devoir être victimes, coupables ou vengeurs, au fil de

l'empoisonnement que vous subirez très certainement (rupture...).

(Puis il ajoute, tendre et serein :) Mais il faut en-corps dire, encore ajouter ! Je m'implique,

je me délie, délirant déplié d'une implosion versale. Oui-da, oui-da, si-si je vous assure, nous

n'avons aucune raison de dramatiser ainsi telle ou telle rigolote jaillissure ! Oui-non, oui-non, mais

pourtant il y a drame, il y a scène, il y a faille, et cela sera encore tant qu'il y aura des glaces, des

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brûlures, des titans, ces "S" redoublés, cette successivanéité par trop gigantesque en sa terrifiante

extase d'une Epiphanie fanée qui niffirme. Ou-bien ! Ou-bien ! Suis-je plat ou dessert ? Est-elle

ligne ou courbée ? Est-on "nous" ou certains "je", privilégiés parmi les dieux ?

Mes amis, futurs prouteurs fadement lucides, vous croyez saisir déjà l'excrément de cette

suspension, car je crois chaque fois moi-même, relatif par mon impression, traduire cette évidence

qui n'étonnera personne, par-delà l'ombre grise portée sur vos sales gueules. Bi-pipi-cratie !

Chiasso-logie ! Démaristocratie ! On est là, on est les corsaires-galériens-mousquetons, chacun à sa

place, chacun entre l'ensemble et son modeste lien, et y a pas vraiment de quoi se la péter, puisque

n'importe qui peut le faire, justement, le nu, la paix.

Mais venons-en au fait. Mais venons-en au fait. Je voulais préciser d'emblée quelque chose

au sujet de notre rencontre possible, à savoir ceci : si vous ne pouvez pas me sentir, si vous êtes

incapables de supporter ma présence, alors il y a probable réciprocité, et donc je ne vous retiens pas,

ou vous conseille encore de bien continuer à la fermer, ladite ouverture. Mais oui, cassez-vous, si

vous n'aimez pas mon style, si ça vous fait plaisir de nier le non-niais, qu'est-ce que j'en ai à foutre

après tout, j'ai déjà assez d'amis comme ça pour ne pas vouloir absolument m'encombrer de

nouveaux ploucs et de leur bave pas très intéressante ! De même, si vous-même m'ennuyez, ainsi

pareils à de mauvais "anuseurs" qui ne savent bien dire la variation de leurs décontractions, alors

c'est moi qui vous quitterai, et définitivement, et sans aucun scrupule. Non mais sans déconner, il ne

faut pas me prendre pour un saint non plus! Je gerbe justement tout ce qui est sanctifié, pour

qu'ensuite ça aille mieux, et encore que ça cague pleinement, dans une salvatrice sérénité...

Ne plus chier, ne plus baiser, ne plus éjaculer, ne plus pisser, ne plus bouffer, ne plus vomir,

ne plus rendre un dû impensable, ne plus expirer : vivre, aimer, souffler, respirer, aspirer, venter tout

simplement. Ce qui pend dans ta gueule, ce qu'il y a pendant ta gueule, ce qui prendra nos gueules :

Démaristocratie !

(Posture du conteur : il est assis...) Résumons. Me voici sur mon navire, sur mon île, dans

mon Atlantide, en cette clairière robinesque, ou encore par-delà telle fratrie, ma cité de verre, ma

chambre close, où chacun élabore sagement son petit trou funéraire. Mais il n'y aura pas de

Requiem. Oui-non, il y aura Requiem : l'amour du rein, du ré, du flot jaunâtre qui nous réjouit (un

rein beau).

Me voici, dans mon sarcophage : une page à griser. Me voici, Nosferatu, et j'ai soif de sang

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frais. J'attends mes 3 dévoués compagnons, et j'espère bien sabler pour eux, telle une eau pétillante

et badine, quelque bouteille à la mer.

Arbrelle, où te caches-tu ? Encore à sculpter tes grands écrans blanchâtres, encore plongée

dans tes romans ? Il me semble que tu es en retard, une fois de plus. Soupirêve, qu'attends-tu pour

me rejoindre ? Encore à peindre tes photons, architecte bouffon d'un préambulesque montage jauni

? Charlequine, où te caches-tu ? Ta musique ballée, tes bandelettes dessinées, dansées en une

aquarelle du fiel bleu de ta vie, tout cela t'autorise donc à me poser lapine ? Ma louve, mon tigre,

ma chatte, vous êtes bien durs avec le bienveillant chevalin que je demeure pour vous. Mon Milet,

ma Milice, mon Milieu, viens vers moi que je t'ensorcelle ! Mais je patiente, et j'ai confiance...

Oui tout est bien, tout est très bien, je vous attendrai. Après tout, si je suis la terre rouge,

toute-puissance d'un ermitage théâtral, ou poétique d'une gastronomie "grassieuse", peu m'importe

la venue attardée de tel air, de tel feu, ou de telle eau ondoyante ! Ton arc, ta lance, ton fleuret, je me

les garde pour bientôt, moi le sabre vigoureux !

Profitons d'ailleurs de ce temps précaire d'une solitude transitoire pour narrer mon pays, mon

terroir, mon territoire. L'Abitcha est son nom, un syndrome-scandale. Deux rois snobs l'habitent,

absurdes asexués, et c'est une lutte pacifique qu'il s'agira de mener avec eux. Manu(e), à ma

gauche, dans sa montagne sèchement chaleureuse, dispose l'esprit sain, la santé d'un criticisme, ou

d'une part qui médite. Lion-Sotte, à ma droite, au coeur de quelque hyperborée brûlante en sa

pétrification, impose une maladie, une exagération sceptique, un air qui cliquette par trop de

dogmatisme. Leurs armes, qu'ils nomment eux-mêmes leur "faculté", ou encore leur "marteau",

tranchent à leur manière, une certaine ablation, peut-être déchirée, 4 fois mutilée. Le premier se

pense renard ou rossignol, éléphant ou panthère, mais elle n'est qu'une nymphette parmi d'autres

selon moi. Le second prétend incarner l'aigle, le dragon, ou encore le serpent, mais il n'est qu'un

bouffon indigne tel que je le vois, certainement un âne, tout au mieux un chameau enfantin.

Puissions-nous un jour les accorder, tels qu'ils toujours déjà se sont énamourés. De simples

chansonnettes suffiront, sans aucun doute, au cours je le devine d'un symphonique pique-nique.

Après tout, ils ne sont pas si monstrueux qu'on pourrait le croire... (malicieux...)

L'errance d'un amour envolé est mon fait, pardonnez-moi si je me répète. Pourtant je sais

très bien où je vais, car tout est là, devant moi, et car le reste n'est au fond que gras-bouilli, cri-

bouilli, bredouilli. Lors de cette nécessité d'un hasard prévu, je sais que tous je les rencontrerai : ces

"neufs" qui s'amusent, ces éléments bariolés qui s'emboîtent, cette maîtrise et son esclaffade, cette

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Algéodyne, ce Gérélième, cette Phybiandrivide, ces essences profondes et malsaines, mais aussi

Pladiotine-la-secrète, et Totote-la-litote, Cartine-la-mutine, et Marxien-le-martien, Hannette-la-

pipelette, tous ces amis de Manu(e), mais aussi et encore et sûrement Cacahouète-la-mi-galle, ou

Gillou-le-loup-gît, Heidivre-de-guerre, ou Pascaline-câline, oui bien c'est-à-dire ces amis de Lion-

Sotte.

Mon fol espoir, je l'avoue, ou ma flèche de nostalgie, est au fond attaché à ce souvenir d'un

couple harmonieux, facticement divorcé : un petit écran, un petit message, un petit intervalle entre

le net et la pas net. Hihihihi, ma Dixième ! Celle qui dit "Eux", dans le même temps où ceci

certainement elle dit : "abullition".

Ce qui est à suivre est à suivre. Tiens, je l'ai attrapée ! (Il broie une mouche au passage).

Mais voilà ma bonne vieille Arbrelle, cette rigolote cabriolette, vous la sentez venir ? Mon

monologue de sourd aveugle et muet touche à sa fin. Ou bien... »

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Images de pensée

Une parabole : Penser, être un corps

Penser, c'est toujours être la pensée d'un corps. Il y a jonction. Dire "il y a pensée", ou

encore "un corps pense", c'est dire "un corps se pose, s'écoule encore dans la durée".

Penser, c'est penser la pensée, et chaque fois celle-ci exprime ce que le corps exprime :

l'impermanence permanente, l'ouverture unique sur une multiplicité qui s'auto-affecterait.

La pensée pense qu'elle pense. Le témoin, le témoignage, le récepteur du témoignage ne sont

pas séparés. Ils renvoient tous à cette seule perspective possible, réelle.

Attester, constater, témoigner, juger, confirmer : cette seule manière d'être, une tautologie

envisageable. Chaque fois la pensée affirme ce qu'elle affirme : "il y a encore la vie, ce corps, de

fait."

Un symbole : jouer, rêver.

L'enfant joue ; il lance la balle, le jouet, qui retombe alors entre ses mains. Un constat : la

balle est pesante. Après un bref envol sans grands espoirs, la belle est revenue : voilà bien tel

enfant, en cela qui apprend, cette explicitation redoublée, voire la nature de son corps imprimé, ou

des "autres" expressément corps, un certain sens du devenir de la sphère : tout ce qui se laisse

lancer, tout ce qui se laisse élever dans les hauteurs, finit par redescendre, par rejoindre le sol,

extrêmement impossible.

L'enfant rêve ; il lance une étoile, qui reste suspendue dans les hauteurs ; toujours une étoile

sera le rêve le plus lointain, trop lourde pour retomber. Question de l'enfant qui rêve : "Qui attrape

mon étoile ? Qui éprouve profondément sa pesanteur ?"

Questions un peu sottes, et pas vraiment passionnantes...

L'enfant joue, rêve, car tel est son goût, son bon plaisir. Joie ultime de faire varier le

surgissement de l'évidence. Terreur extrême d'apprendre, d'accueillir chaque fois la révélation de

l'essentiel. Joie extraordinaire d'appartenir à la décentrée, détresse nécessaire de peser. Amusé,

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l'enfant apprend la verticalité symétrique : une balle jetée, remémorée. Enigmatique, l'enfant

apprend la verticalité asymétrique : une étoile lancée, accrochée.

Un signe : sauter, s'envoler.

Un corps pensant pense qu'il pense. Il s'énonce lui-même pour lui-même. Il jette, il

questionne, il joue et rêve. En bref, il évalue la pesanteur, sa propre pesanteur, en la soumettant à de

multiples variations. Il est aussi chaque fois la balle qui retombe, dans le plus extrême matin, il est

même chaque fois l'étoile qui reste accrochée, au coeur de l'ultime courbure. A première vue, un

corps pensant saute continuellement ; c'est ainsi qu'il passe d'un hasard à une nécessité, c'est ainsi

qu'il se transforme : ce qu'il est avant le saut n'est pas ce qu'il est après le saut, même si le sol qui se

dévoile sous ses pieds doit bien rester le même, en tant que dérobé. Plus précisément, un corps

pensant est en train de sauter ; il vient de prendre son envol, il n'est pas encore retombé ; curieux, il

demande : " Vais-je chuter ?"

Qui va m'attraper, le ciel ou la terre ? Où étais-je ? Où suis-je ? Où serai-je ? La pensée est le

lieu où se confondent peut-être radicalement la balle et l'étoile, le lourd et le léger, le symétrique et

l'asymétrique, le bas et le haut ; elle est le lieu du passage intense, de la transition. Délicieuse

attente, horreur de l'incertitude. Un corps pensant pense qu'il pense : sauter ou s'envoler ?

Dramatiser à outrance ne servirait pourtant à rien...

A la rigueur, retomber : vague routine. S'envoler, dans l'absolu : le miracle monstrueux. A

force de descendre, à force de s'abîmer, à force de trop s'extravertir, on perd le goût du saut ; et

l'ennui guette alors, par quelque fade bonheur. Pourtant dans le même temps, le saut se répète,

encore et à jamais. Puisque celui qui saute, continuellement, s'étonne absolument de sa chute,

apparemment seulement possible, toujours il retente l'expérience. Il conserve la passion du miracle,

la passion de l'instant où l'envol demeure envisageable, la passion de l'incertitude.

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Une sensation : le chaud, le froid ; le mou, le dur.

Celui qui saute, tente l'envol, s'insatisfait d'un climat, et du caractère qu'il suscite. Il ne

supporte pas la tiède moiteur qui s'impose ici-bas, il ne supporte pas la mollesse qu'elle

engendre. Est-ce là un simple caprice, une simple question de goût ? Il semble bien que non, en tant

que sa vie-même, peut-être, est en jeu (qui peut garder les pieds sur le sol sans se consumer, sans

être détruit, décomposé par le feu encore trop proche des entrailles de la terre ?). Semblable à la

cire, celui qui saute finira par fondre s'il ne se dégage des flammes d'en bas. Il est contraint de

sauter, en permanence. Est-ce là une simple question de goût, un simple caprice ? Evidemment :

affirmer la vie, vivre, se contraindre, être nécessairement, ce n'est jamais qu'un caprice, ce n'est

jamais qu'une question de goût, ou de dégoût...

Sauter, s'envoler : rejoindre les hauteurs glacées pour se durcir, pour se recomposer. Sauter,

s'envoler : rejoindre le seul lieu habitable, le seul lieu où la vie se pose intensément. Voilà toutefois

un dangereux séjour : trop de froid trop longtemps, et c'est tout le corps qui se pétrifie. Nécessité de

la chute, du déclin, par-delà la mortelle tentation de l'envol.

Une impression : réagir, agir.

Réagir est le propre d'une puissance dont le devenir n'est pas simplement conditionné par la

seule nécessité de son existence, mais aussi par l'existence d'une puissance autre. Réagir, cela

désigne tout mouvement qui est aussi contraint, causé, par quelque élément extérieur. La réaction

est une question de relation à l'altérité : tout mouvement (soit : toute apparition d'une puissance)

dont la manifestation dépend également, d'une manière ou d'une autre, de sa relation à autre chose

qui n'est pas lui, est une réaction. Disons-le autrement : dans le cadre de la réaction, celui qui

commande la puissance et celui qui obéit à la puissance sont aussi séparés.

Qu'est-ce que sauter ? Apparemment, sauter, c'est réagir, et même deux fois réagir : d'une

part, celui qui vient d'entamer son saut ne semble pas avoir simplement obéi à sa spontanéité close :

son ascension paraît aussi être la conséquence de sa relation à une puissance qui est hors de lui, qui

est dans autre chose que lui, du moins dans la mesure où elle est aussi mue par la tiédeur

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insupportable de l'ici-bas ; d'autre part, celui qui vient de retomber n'a pas chuté à la suite d'un libre

décret, ou par la grâce de son bon vouloir ; une fois encore, la puissance de la terre, cette puissance

autre, le contraint, la loi de l'attraction s'impose à lui, pour l'extraire des hauteurs saines et glacées.

Disons-le autrement : celui qui saute, apparemment, n'obéit pas seulement à sa propre impulsion

lors de l'ascension, et il ne lui obéit pas du tout lors de la chute : la terre commande aussi,

éminemment peut-être ; celle qui commande et celui qui obéit sont aussi séparés.

Qu'est-ce que sauter ? Evidemment, sauter, c'est s'envoler, créer, être un premier

mouvement, un miracle, à chaque fois. Evidemment, sauter, c'est agir. Qu'est-ce qu'agir ? Agir est

le propre d'une puissance dont le devenir est conditionné par la seule nécessité de de son existence.

Ce qui agit est indépendant, spontané, libre, en tant qu'il se ferme à toute extériorité qui pourrait

influencer son écoulement. Ce qui agit se met en mouvement de lui-même, il n'est absolument pas

mis en mouvement par autre chose ; il s'auto-affecte, il n'est absolument pas affecté par quelque

élément extérieur. S'il y a bien agir, alors celui qui commande et celui qui obéit ne sont tout

simplement pas séparés, de là comparables à quelque servile royauté.

Sauter, c'est agir, évidemment. Mais en quel sens ? Pourquoi donc ? Comment ? Sauter, c'est

agir, dans le sens où sauter, c'est être en train de sauter ; ni l'origine du saut, ni même son issue,

n'ont une réalité distincte pour celui qui saute. Celui qui saute demeure simplement dans les airs ; il

a oublié son lieu d'origine tout comme il ignore son lieu d'arrivée, pour la simple et bonne raison

que de tels lieux ne sont jamais vraiment advenus. Très concrètement, il vole, incertain, pour la

première fois, le plus librement du monde, obéissant à son seul caprice, obéissant à son bon plaisir,

flattant son goût le plus scandaleusement arbitraire. Lorsqu'il s'affirme dans les hauteurs, rien ne

distingue le sauteur de l'étoile, ou de l'oiseau : la fierté et la joie attachées à l'indépendance

dominent légitimement ; là où il se situe, quel " autre " pourrait avoir l'impudence de lui dicter sa loi

?

Supposons tout de même une fois encore que le sauteur a la possibilité de se sentir avant et

après le saut, de sentir que la terre commande aussi son ascension et sa chute. Apprendra-t-il

quelque chose de nouveau ? Découvrira-t-il que son agir d'étoile n'était qu'une illusion ? Sera-t-il

déçu, désenchanté ? Apparemment, trois fois oui. Et de fait, trois fois non. Oui, trois fois non, dans

la mesure où c'est toujours le moment de la suspension au-dessus du sol qui nous révèle le sens

profond de la totalité du saut ; ni l'origine ni l'issue du saut ne sont ces points de départ à partir

desquels pourrait être interprétée la totalité du saut.

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Supposons qu'il y a trois êtres distincts lors de l'expérience du saut : il y aurait celui qui se

prépare à sauter, celui qui est en train de sauter, et celui qui vient de retomber. Chacun raconte aux

autres ce qui lui arrive. Le premier se dit libre et contraint à la fois, c'est-à-dire relativement actif,

relativement réactif : d'un certain point de vue, il est libre de sauter, car il pourrait cesser de sauter,

mais d'un autre point de vue, il sent qu'il est contraint de sauter, comme si la terre, brûlante, le

lançait elle-même dans le ciel. Le second se dit entièrement libre de demeurer suspendu, c'est-à-dire

absolument actif : il est toujours libre de s'envoler, il n'a qu'à choisir ce qu'il préfère. Le dernier se

dit tout à fait contraint, c'est-à-dire absolument réactif : il ne pouvait pas ne pas chuter, même s'il

l'avait voulu de toutes ses forces, car la terre a imposé sa loi, de façon implacable, indiscutable.

Supposons maintenant que ces trois êtres distincts cherchent à définir la réalité unique et profonde

du saut. Dans un premier temps, c'est " l'ayant sauté ", le dernier, qui s'exprime, très sûr de lui : il

est celui qui n'ignore pas où le saut " veut en venir ", il est persuadé que sa parole est celle qui aura

le plus de poids. Il dénonce la naïveté des deux autres, il se moque de leurs espoirs puérils ;

gravement, mais non sans ironie, il leur annonce que le sauteur subit le saut, du début jusqu'à la fin.

Chacun de ses éclats de rire vise la destruction, le rabaissement. Il déclare que le sauteur, dans sa

globalité, est finalement bien pathétique, tout juste digne de pitié. C'est une chose tout à fait

humiliante qu'il apprend à ses auditeurs : le sautant retombera sans pouvoir choisir et, mentant, il

répétera indéfiniment ce ratage lamentable. Il est typiquement le cynique, le sceptique, le

dogmatique qui affirme la négation. Après cette douloureuse intervention, " l'ayant à sauter ", le

premier, très confiant lui aussi, et peu impressionné par ce qui vient d'être dit, prend la parole à son

tour. Il sourit sans agressivité, sans méchanceté, car il sait, de façon sereine, que lui seul est dans

son bon droit : il est l'origine, la condition de possibilité du saut, comment pourrait-il ne pas

entendre mieux que quiconque son sens véritable ? Grand prince, il éprouve de la compassion pour

les deux autres, victimes du fanatisme et de la démesure, non dotés de la faculté de nuancer.

Rejetant tout dogmatisme, il déclare qu'il est le médiateur, la voie de la sagesse, qui réconcilie les

opposés, qui réunit les extrémités. Il affirme que chacun de ses auditeurs a raison, à sa manière,

mais que lui-même a plus raison encore en tant qu'il a pu les mettre d'accord. Il est typiquement le

critique, le dialecticien, qui affirme la négation et l'affirmation dans le même temps. Finalement,

c'est au tour du " sautant ", du second, de donner son avis. Il est le plus discret des trois.

Visiblement, les deux discours qu'il vient d'écouter l'ont drôlement affecté ; il paraît amusé, réjoui,

semblable à l'endormi qui, après avoir oublié qu'il rêvait, se souvient : ce n'est qu'un rêve,

continuons de rêver. Et que dit-il maintenant ? Il dit ceci : "Toi, le dernier, ayant été, tu affirmes la

négation, et toi, le premier, l'origine, ayant à être, tu affirmes à la fois la négation et l'affirmation.

Moi, le second, étant, j'affirme l'affirmation. Au fond, nous ne sommes pas si "autres" : tous les trois

nous affirmons, tous les trois nous affirmons l'affirmation. Je suis celui qui parle votre parole, celui

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qui rêve votre rêve. Apparemment, vous croyez que la terre vous commande, vous croyez lui obéir

sagement ; mais j'ai moi-même inventé cette fiction, obéissant seulement à ma volonté d'être une

étoile actuellement suspendue. Séparés de moi, vous n'avez aucune consistance, de même que je ne

saurais me poser en votre absence impensable. Au fond, jamais nous ne sommes montés, jamais

nous ne descendrons, pour cette simple raison que le contraire est tout aussi vrai. La terre n'est pas

une force étrangère. Nous sommes la terre, la différente indéfiniment disjointe. La terre vole,

incertaine, au-dessus d'elle-même, pour ne pas se consumer. Typiquement, je suis le dogmatique qui

affirme l'affirmation ; c'est ainsi que je suis le seul type, ce seul type. Qui peut ne pas affirmer

l'affirmation ? Il y a le saut, c'est-à-dire la vie, la terre, un corps, une pensée, un témoignage, encore.

Soyons clairs : je commande, vous obéissez, mais nous ne sommes pas séparés. Soyons brefs :

nous, sautant, vilenie d'un maître, nous agissons."

Une routine : le clair, l'obscur ; le maître, l'esclave

Un corps pensant pense qu'il pense pour confirmer joyeusement le miracle : il n'y a rien de

plus clair, de plus évident. Mais trop de lumière aveugle, on finit par ne plus rien voir. Ce qui s'offre

le plus généreusement devient ce qui se dérobe ; ce qui se montre sans réserve devient ce qui est

sèchement occulté ; ce qui est le plus proche devient le plus lointain.

La lumière de la tautologie miraculeuse n'est pas seulement trop vive ; elle est aussi trop

rapide dans son retirement ; ainsi, semblable aux galaxies les plus lointaines qui s'éloignent de nous

à une vitesse si grande qu'on ne les perçoit plus en leur clarté, elle demeure invisible.

Le plus clair, le plus évident, trop intense, trop rapide, est obscur. Il devient même toujours

plus obscur, car il est toujours plus intense et rapide. C'est ainsi qu'on finit par oublier qu'il est

d'abord le clair par excellence ; c'est ainsi qu'il devient simplement invisible, au même titre que

toute chose inexistante à laquelle n'est accordée, a fortiori, absolument aucune attention.

Nécessairement donc, ce qui devient le plus obscur, c'est ce fait que le plus clair est obscur,

s'obscurcit, dans la mesure où le plus clair rejoint finalement tout ce qui n'existe pas. Puisque

finalement s'impose l'incapacité de soupçonner l'existence-même du plus clair, la possibilité de

saisir son occultation cesse.

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Voici donc le moyennement clair, qui concurrence le plus clair. Il finit même par acquérir le

monopole apparent de la clarté, au fil de l'extinction de ce dernier. Le moyennement clair, c'est la

banalité de la routine, la loi de l'ennui, ce qui va de soi. Sous les tièdes projecteurs moyennement

clairs, si un corps pensant pense qu'il pense, il n'y a rien de nouveau sous le soleil, et si un saut se

manifeste, il n'y a pas de quoi s'extasier, on sait bien de toute façon que la chute

adviendra. Probable, prévisible, connu d'avance, trivialement ennuyeux, ne valant pas la moindre

once d'enthousiasme, incapable d'étonner : tel est ce qui est moyennement clair. Le moyennement

clair n'est ni trop intense ni trop rapide, c'est pourquoi il semble ne perdre jamais sa visibilité

exclusive ; il est aussi fade que l'habitude, et aussi moyen que le dressage.

La sensibilité au plus clair et la sensibilité au moyennement clair renvoient à deux manières

de penser la pensée, c'est-à-dire à deux manières de sentir le saut, lesquelles se rejoignent

substantiellement, indéfiniment. La sensibilité au plus clair est une manière chaque fois

radicalement nouvelle, différente, d'être suspendu activement entre deux bords de rien ; la

sensibilité au moyennement clair est cette manière lasse, apparemment fort peu variable, de

reconnaître l'évidence d'un fait qui semble mesurément différent, d'identifier ce qui paraît

probablement réactif. Ce n'est qu'en apparence que ces deux manières sont distinctes. Car au fond,

elles constituent une seule manière : le pensant, la pesante, est bien toujours et encore une étoile

suspendue, un premier mouvement, mais aussi cette balle qui tombe, une continuation ; la

sensibilité à la clarté moyenne n'est jamais que l'expression étrange d'une sensibilité à l'éminente

clarté, à cette seule clarté, et réciproquement. La clarté moyenne n'a pas d'existence propre, séparée

de la clarté tout court (c'est elle aussi, véritablement, la "non visible!"), et réciproquement. La

fadeur, la lenteur relative de la lumière ne peut pas ne pas exprimer également et avant tout son

extrême intensité, son extrême rapidité, et réciproquement.

Intuition, soi : la sensibilité à la plus grande clarté, la joie. Ecoulement, moi : la sensibilité à

la moyenne clarté, l'ennui. L'un, discret comme le maître sûr de sa puissance niée, commande.

L'autre, bruyant comme l'esclave acquitté, obéit. Ils ont deux styles différents, mais au fond, ils ne

sont pas "séparés" : nous agissons.

Amusant devenir de la pensée : le maître est toujours plus puissant, c'est-à-dire toujours plus

intense et rapide, alors qu'il est aussi toujours moins perceptible, toujours plus discret, tandis que

l'esclave, soumis à cette croissante puissance, paraît toujours plus fade et lent, alors que le volume

de son trivial tapage augmente continuellement. La manifestation excessive de l'ennui finit par être

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le symptôme d'une joie d'autant plus débordante qu'elle est très difficilement saisissable. Maîtrise

d'un réagissant.

Un arrêt : avertissement

Ces petites touches imagées peintes plus hauts sont tout à fait lucides en elles-mêmes, et ne

devraient pas poser plus de problèmes. En effet, au même titre que toute assourdissante intuition,

demeurant inaudibles, elles sont suffisantes, dans la mesure du moins où ce qui veut ici se dire est

bien cette puissance non-dite d'un vacarme qui s'allongerait désastreux en ce qu'il serait

radicalement harmonieux, ou encore absolument moyen. Toutefois, cette suffisance en question

n'est pas satisfaisante. Trop précise, trop resserrée, trop immédiate peut-être : elle devient

finalement infiniment confuse, telle qu'elle se projetterait pour elle-même vers quelque élitisme

extrême, c'est-à-dire vers quelque ultime nullité. Pour tout dire, il faut bien ici-même, sur le chemin

à parcourir, s'extravertir, se déplier sans réserve.

Tel lion rugissant, en ses moustaches par trop recourbées, eût certes bien pu quitter

maintenant la partie, trop heureux de sa monstrueuse joie qui aurait su semer quelques mauvais

grains de perplexité équivoque. Mais connaissons-nous bien le danger d'une telle tentation ? Ce

poids immense sur le coeur, cette angoisse permanente que son désir aurait suscitée, l'avons-nous

pleinement ressentie ? De fait, peut-être pas vraiment, et, de là, effectivement, puisque ce serait

justement l'occultation de l'étouffant, son indicible secret, qui l'aurait rendu réel. Pauvre timide

lionceau qui se serait ignoré, jusqu'au silence.

Par pitié donc, explicitons, soyons mécontents face à ce qui n'est encore que le songe

extrême d'une mélodie surpuissante, l'un et l'autre copulant en notre déchirure déchirée, néant d'un

sens totalement signifiant. Par pitié, définissons-nous encore.

Un abîmé doit s'épancher, une béance doit régresser, une gueule doit s'ouvrir, monstrueuse

en sa gerbante et plate lucidité. Quel spectacle peu étonnant en lui-même !

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Le soliloque du perroquet

Introduction :

Voici une série d'affirmations relatives à l'apparition. Voici une apparition. Il y a une seule

affirmation, car il y a une seule apparition.

Affirmation 1 : Une apparition est ce qui se passe actuellement : un vivant lit, écrit.

Explicitation :

Une apparition est ce qui se passe au sein de l'actuel, et non ce qui arrive dans quelque

arrière-monde consolateur, seulement possible.

Une apparition est la vie et l'écriture, puisque tout ce qui arrive ici-même, c'est la vie et

l'écriture, un vivant qui écrit, un vivant qui lit.

Affirmation 2 : Il y a une seule apparition

Explicitation :

Il y a une seule apparition, car il y a une seule vie qui se pose actuellement.

S'il y avait deux vies qui se posaient actuellement, alors il y aurait deux apparitions

distinctes. Mais cela n'est pas le cas.

Il y a une seule apparition : cette apparition.

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Affirmation 3 : Cette apparition est nécessaire

Explicitation :

Cette apparition, la vie, ne peut pas ne pas se poser.

S'il n'y avait pas la vie, alors cette apparition, la vie, serait impossible.

Mais il y a la vie, par laquelle cette apparition est nécessaire. Qui a le pouvoir de ne pas

vivre, de ne pas soutenir cette apparition ? Personne.

Affirmation 4 : Cette apparition est l'ouvert et la puissance.

Explicitation :

Cette apparition, la vie, est ce qui apparaît là-devant, là-dedans, elle est ce qui est offert, ce

qui s'ouvre.

Cette apparition, la vie, est le fait de recevoir ce qu'il y a, elle est la réception-émission d'une

intensité, d'une qualité : puissance.

Cette apparition est l'ouvert qui annonce la puissance qui annonce l'ouvert.

Affirmation 5 : Cette apparition est toute la vie qui s'auto-affecte actuellement d'une certaine

manière.

Explicitation :

Cette apparition, la vie, est toute la vie qui s'éprouve elle-même actuellement, ou qui s'ouvre

à elle-même, ou qui a la puissance de se recevoir elle-même.

Cette apparition, la vie, est toute la vie qui s'auto-affecte actuellement, c'est-à-dire qu'elle est

toute la vie qui sent son propre corps affecté par son corps propre, actuellement.

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Cette apparition, la vie, est toute la vie qui s'auto-affecte actuellement d'une certaine

manière, de cette seule manière dont la vie est susceptible de s'auto-affecter.

Affirmation 6 : Cette apparition est toute la vie "passée" qui s'auto-affecte actuellement d'une

certaine manière.

Explicitation :

Il y a actuellement une "première vie" qui surgit, unique, unifiée, joyeuse, il y a actuellement

cette minuscule cellule qui se sépare, qui se déploie généreusement dans l'espace-temps : voici les

premiers arbres qui se dressent, les premiers animés qui se meuvent, les premiers humains qui

marchent, parlent, désignent manuellement... voici les premiers poètes, les premiers philosophes,

tels qu'ils découpent le langage... voici la guerre, les invasions, les totalitarismes, le capitalisme et

ses dérives, cette vie qui se refoule-séduit, ce sado-masochisme... voici tel amour, telle joie

singulière, cette vie qui se reconnecte à elle-même... voici la copulation, le choix des parents ou des

grands-parents, cette joie qui actualise une joie présente... voici donc toute cette vie "passée" qui

s'auto-affecte actuellement d'une certaine manière.

Un vivant qui écrit, lit, respire, aspire, touche, sent, voit, écoute, et surtout goûte, d'une

certaine glorieuse manière, et ce sans jamais vraiment inspirer, sans jamais vraiment expirer : cette

apparition.

Affirmation 7 : Cette apparition est toute la vie "présente" qui s'auto-affecte actuellement d'une

certaine manière

Explicitation :

Il y a ici une diversité joyeuse qui s'auto-affecte présentement, de façon actuelle d'une

certaine manière, sur la totalité du globe, au sein d'une simultanéité insécable.

Ce vivant qui écrit ou lit est cette diversité "présente". En lui, cette diversité s'affirme d'une

manière certaine, puisqu'il respire, sent, goûte d'une certaine manière.

En cette apparition, il y a cette diversité "présente". Cette apparition est cette diversité

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présente.

Affirmation 8 : Cette apparition est toute la vie "à venir" qui s'auto-affecte actuellement d'une

certaine manière

Explicitation :

Il y a actuellement la possibilité de la paix.

Cette vie "à venir" qui s'auto-affecte actuellement d'une certaine manière n'est rien d'autre

que ce vivant qui lit, écrit, aspire, respire, sent : goûte.

Affirmation 9 : Cette apparition est un espace ouvert et continu, non fragmenté a priori.

Explicitation :

Cette apparition, toute la vie qui s'auto-affecte, n'est pas seulement ce qui est visible juste

"là-devant". Elle n'est pas "un livre", ou "du papier-cadavre-d'arbre", ni même "des mains". Elle est

bien plutôt l'ouverture sur toute la vie de l'univers, cet espace qui se déploie et qui se ramasse

constamment, toujours plus puissant, toujours plus plein, jamais limité, jamais fragmenté a priori.

Affirmation 10 : Cette apparition est une temporalité ouverte et continue, non fragmentée a priori.

Explicitation :

Celui qui cligne ses deux yeux, celui qui se laisse fragmenter par des battements de coeur,

celui qui divise ses membres pour énoncer quelque métronome discontinu, celui qui croit apercevoir

"plusieurs vies", celui qui pense pouvoir éprouver le "néant", celui-là est peut-être incapable de

sentir la continuité de l'actuel impermanent, ou de sentir l'ouverture temporelle de cette apparition.

Pour faire taire ce fâcheux mécréant qui vous trahit, il faut simplement poser deux simples

questions :

- Y a-t-il une seule vie qui ne se poserait pas actuellement ? Non, bien sûr.

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- Y a-t-il une seule vie en laquelle toute la vie ne se poserait pas, avant et après elle ? Non, bien sûr.

Point final.

Affirmation 11 : Cette apparition est un espace-temps ouvert et continu, non fragmenté a priori.

Explicitation :

Cette apparition, toute la vie qui s'auto-affecte, se déploie simultanément dans l'espace et

dans le temps, au fil de sa progression, au fil de sa perte séparée certainement.

Cet espace est ouvert, cette temporalité est ouverte, cet espace-temps est donc, a fortiori,

ouvert.

Cette apparition et le cosmos tout entier sont à l'unisson.

Affirmation 12 : Cette apparition est éternelle

Explicitation :

Cette apparition, toute la vie qui s'auto-affecte actuellement, est une temporalité ouverte et

continue.

Avant la vie, il y a la vie, actuelle. Après la vie, il y a la vie, actuelle. Evidence d'une

éternité, rejet indéfini d'une indétermination.

Affirmation 13 : Cette apparition est l'éternel retour du même.

Explicitation :

Cette apparition, toute la vie qui s'auto-affecte, est éternelle, mais elle est aussi un

déploiement progressif (cf. Affirmation 11).

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Cette apparition, toute la vie qui s'auto-affecte, est éternelle, mais elle est aussi une

"première" vie (cf. Affirmation 6).

Synthèse = Retour éternel du même.

Affirmation 14 : Cette apparition est la conséquence d'une disparition

Explicitation :

Cette apparition, un éternel retour, est la conséquence de la disparition de "tout ce qui a

vécu", de tout ce qui s'est déployé.

Cette apparition, un éternel retour, est la conséquence d'une disparition, elle est un "au-delà".

Affirmation 15 : Cette apparition est une anamnèse

Explicitation :

Cette apparition, un éternel retour, est le souvenir d'elle-même, telle qu'elle s'est déjà

produite "autrefois" ou "bientôt".

Cette apparition est une pluie d'or, ou Danaë, elle donne la juste impression d'être une

répétition.

Affirmation 16 : Cette apparition est la saisie du souffle, la saisie d'elle-même.

Explicitation :

Cette apparition, telle qu'elle s'identifie à toute la vie qui s'auto-affecte, ou à son éternel

retour, est la saisie du souffle.

En effet, le vent vivant, tiède et âcre, tel qu'il traverse les montagnes, est cet accès immédiat

à la vie qui respire, toujours et encore dans cet espace-temps ouvert et continu.

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Affirmation 17 : Cette apparition est rigolote.

Explicitation :

D'une part, cette apparition est rigolote et moqueuse de par le fait que toute sa profondeur

sacralisée est contenue dans le pet, le vent, la respiration, toutes ces choses triviales et quotidiennes.

D'autre part, cette apparition, un éternel retour, est rigolote, car elle se conjugue à telle

obsession attachée à quelque "au-delà", alors qu'elle est elle-même cet au-delà.

Affirmation 18 : Cette apparition est la joie, la faveur, le plaisir, l'ennui étonné

Explicitation :

Cette apparition, un éternel retour, est la joie car elle est rigolote (cf. Affirmation 17).

Cette apparition, un éternel retour, est la faveur, car elle est l'affirmation qui rejette toute

expiration possible.

Cette apparition, un éternel retour, est le plaisir, car elle est toujours chaque fois cette vie "à

venir" qui s'auto-affecte actuellement d'une certaine manière, car elle est la saisie effective de la

possibilité d'une paix.

Cette apparition, un éternel retour, parce que tout ce qui vit a les yeux mi-ouverts, et cligne

son seul œil, est un ennui étonné.

Affirmation 19 : Cette apparition est écoutée par un seul sentir.

Explicitation :

Cette apparition, un éternel retour, toute la vie qui s'auto-affecte, n'est pas la réalité perçue

par quelque "entendement" isolé, ou par les dits "5 sens" détachés les uns des autres, ni même par

quelque "Mâle humain" qui serait doté de "facultés spécifiques".

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Cette apparition, un éternel retour, toute la vie qui s'auto-affecte, est écoutée par une seule

oreille, l'oreille d'un chat, d'une jument, d'un cochon d'inde, d'un moucheron, d'un arbre, d'une

bactérie, en un mot ledit sens est oreille ou nez du sur-vivant et de son homéostasie non-neutre.

Que perçoit cette oreille, ce sentir, ce goût ?

Elle perçoit, écoute, l'écho, l'éternel, l'insistance, à défaut d'entendre l'ek-sistence.

Affirmation 20 : Cette apparition est un seul langage

Explicitation :

Cette apparition, un éternel retour, toute la matière qui s'auto-affecte, n'est pas quelque

somme de "mots" audibles seulement par quelque "espèce humaine" détachée de tout sens

générique. Elle est hurlement à la lune, coups de sabots, miaulement d'une bestiole qui irrite, au

même titre que tout Pharma-cône.

Elle est un seul langage, où il n'y a pas de négation niée ou néfaste, puisque la vie ne peut se

nier, cette non-niaise vie.

Elle est un seul langage, où il n'y a "pas" de distinction, car elle est une assurément, oui bien

ce seul langage où il n'y a "pas" de dualisme, où le mal est donc simplement différent du bon, mais

aussi le laid du moche, le faux de l'adéquat, l'extérieur de l'intérieur, l'intelligible du sensible, le

passé de l'avenir, l'espace du temps, l'abstrait du concret, la durée de l'éternel, le mode de la

substance, la mort de la vie, le biologique du physique. Unité insécable.

Un seul langage, qui répète toujours : Point. Vie. Matière. Affirmation (et leurs variations :

leur dépliement).

Apparition = un seul langage = univocité, affirmation focalisée.

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Affirmation 21 : Cette apparition est Dieu(e) :

Explicitation :

Cette apparition enveloppe toutes les propriétés qui constituent l'essence, l'insistance de

Dieu(e) : elle est une (cf. A2), elle est nécessaire (cf. A3), elle est la puissance (cf. A4), elle est

omniprésente, omnisciente et omnipotente, car elle est toute la vie qui s'auto-affecte actuellement

d'une certaine manière (cf. A5, 6, 7, 8), elle est éternelle (cf. A9, 10, 11, 12, 13), elle est l'au-delà

(cf. A14), elle est inondée de lumière (cf. A15), elle a l'humour des seigneurs (cf. A17), elle est le

souffle (cf. A17), elle est un seul sens, une seule oreille (cf. A19), elle est un seul langage (cf. A20).

Cette apparition est Dieu(e), nous sommes, en tant que sur-vivants, des dieux les un pour les

autres, et l'androgyne céleste qui nous transcende peut-être est très suggestive dans sa malice :

divinité déviée, divinité verticale.

Affirmation 22 : Cette apparition est un destin

Explicitation :

Cette apparition, un éternel retour, toute la vie qui s'auto-affecte, est un destin.

A l'origine elle est une : la première. Puis elle se pluralise, et enfin se réunifie, pour se

remémorer soi, pour se reconstituer une, originelle.

Après les divisions et destructions, la paix ?

Affirmation 23 : Cette apparition est désobstruée

Explicitation :

Il faut désobstruer l'histoire de l'apparition, nous conseille Heidegger. Cela signifie qu'il faut

rechercher dans l'histoire la pensée la plus primitive, celle à partir de laquelle nous pesons l'Être,

ladite apparition.

Oui, il faut aller chercher les plus anciens, ce qui sont au plus proche de notre "à venir", en

tant qu'ils s'en souviennent très clairement.

Ces penseurs sont les égyptiens, les indiens, les australiens, etc. Ils nous promettent en le

suggérant cet éternel retour...

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Affirmation 24 : Cette apparition est amour

Explicitation :

Cette apparition est l'amour, car elle est l'humour, ce présent souvenu en une seule fois, et

ainsi inondé d'une clarté miraculeuse quoique banale.

Le visage d'un être que vous finirez par aimer follement, lorsqu'il surgit pour la première

fois, est incandescent, et vous ne pouvez l'expliquer : c'est qu'il est votre avenir, dont vous vous

souvenez, une promesse, dont vous savez qu'elle est tenue, une vie, que vous avez déjà vécue, et ce

pour toute l'éternité.

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Bibliographie

Philosophie

Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra

Nietzsche, Le gai savoir

Nietzsche, Fragments posthumes sur l’éternel retour

Nietzsche, Naissance de la tragédie

Deleuze, Nietzsche et la philosophie

Jung, Les racines de la conscience

Jung, Métamorphose de l’âme et ses symboles

Guillemant, Philippe, La route du temps

Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience

Bergson, L’évolution créatrice

Bergson, « L’âme et le corps », in : L’énergie spirituelle

Spinoza, Ethique

Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?

Heidegger, Etre et temps

Heidegger, Kant et le problème de la métaphysique

Arendt, La crise de la culture

Kafka, HE

Kant, Critique de la raison pure

Kant, Critique de la faculté de juger

Kant, Critique de la raison pratique

Hegel, Science de la logique

Pascal, Pensées

Berkeley, Principes de la connaissance humaine

Platon, Phèdre

Hume, Traité de la nature humaine

Sartre, L’être et le néant

Littérature

Stendhal, La Chartreuse de Parme

Léo Ferre, « Ne chantez pas la mort »

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