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SPRIALE - Revue de Recherches en Education - 1997 N° 19

Annette BÉGUIN

PERSPECTIVES DE FORMATION À L’ÉCRITURE PROFESSIONNELLE

DES DOCUMENTALISTES : LA NOTE DE SYNTHÈSE

Résumé : Les problèmes rédactionnels récurrents chez les personnes con-frontées à une même tâche d’écriture s’expliquent en tenant compte à la fois du contexte communicationnel de la tâche et du contexte de lecture tel que peut l’anticiper celui qui écrit. Une analyse précise de ces contextes est nécessaire pour mettre en place une formation à la pratique d’écriture correspondante. C’est ce que nous avons tenté de faire pour mettre en place une préparation à la note de synthèse du CAPES de documentation, en nous servant des outils théoriques fournis par la grammaire du texte.

Mots-clés : note de synthèse, CAPES de documentation, grammaire du texte, pédagogie de l’écriture.

Le CAPES de documentation comporte une épreuve écrite qui permet

d’évaluer les aptitudes professionnelles des futurs documentalistes en ma-tière de traitement documentaire1. Il s’agit de l’épreuve sur dossier. Cette épreuve correspond, selon une expression de Pierre Delcambre, à un « acte professionnel fictif »2 : le candidat se met dans la position d’un documenta-liste d’établissement secondaire qui constitue un dossier pour les usagers de son CDI. Ce dossier comporte un plan de classement, une liste signalétique, le résumé de deux documents et une note de synthèse. Les principaux regis-tres dans lesquels se joue l’écriture professionnelle des documentalistes sont donc sollicités. Toutefois le candidat qui pratique cette écriture fictive ne

1- Pour une présentation de ce Capes, on peut se référer utilement à LOYER, Fran-

çoise et BENHAMOU, Daisy. Réussir les épreuves du Capes : (externe, interne et spécifi-que). Paris : Ellipses-Éditions Marketting, 1 996.

2- DELCAMBRE, Pierre. Le dossier documentaire à l’examen : une préparation à l’exercice d’un métier ?, Pratiques, septembre 1993, n° 79, p. 77-93. Cet acte professionnel est fictif à plus d’un égard : les documentalistes du second degré, absorbés par de nombreuses tâches, ont rarement le temps d’assortir les dossiers documentaires d’une note de synthèse !

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peut que garder en mémoire la situation réelle dans laquelle il se trouve plongé : celle d’une épreuve de concours, vouée à une double correction par des experts en documentation. Cette ambivalence rend particulièrement dif-ficile la partie « note de synthèse ».

La note de synthèse apparaît à la fois comme la partie la plus impor-tante de l’épreuve du concours et comme celle qui pose le plus de problèmes en formation. Elle fait l’objet de nombreuses recommandations dans les rapports de jury. Au fil des années, ces recommandations ont fini par donner un caractère canonique à certains aspects de cette note, notamment à l’intro-duction et à la conclusion : l’introduction de la note doit problématiser le thème du dossier, en préciser les objectifs ; la conclusion doit proposer des usages du dossier et des conditions de mise à disposition.

Cependant, si l’on en croit les rapports de concours, les difficultés touchant le corps même de la note de synthèse resurgissent d’une année sur l’autre. Les candidats semblent toujours osciller entre deux écueils : soit faire de la note de synthèse une dissertation, soit en faire une succession de résumés. Il semble donc que, sur ce plan, les prescriptions s’avèrent ineffi-caces.

Notre propos s’attachera à mettre en évidence quelques éléments de grammaire du texte qui peuvent aider à comprendre et à résoudre les pro-blèmes rencontrés par les candidats. Nous ne nous attacherons pas, en l’oc-currence, aux difficultés de planification ou de sélection des unités informa-tives. Elles ont été clairement mises en évidence par Dominique-Guy Bras-sart dans un numéro de la revue Pratiques consacré au dossier et à la note de synthèse3. Nous nous attacherons par contre à la recontextualisation des informations, dont Dominique-Guy Brassart assure qu’elle « peut poser de réels problèmes de cohérence, de cohésion et de connexité aux « synthétiseurs » qui ne sont pourtant plus des rédacteurs débutants » (p. 110). Nous nous appuierons, pour tracer quelques pistes pédagogiques possibles, sur la préparation au CAPES de documentation mise en place à Lille 3.

1. — LA NOTE DE SYNTHÈSE DANS LES TEXTES OFFICIELS Le dossier documentaire qui sert de point de départ à la note de syn-

thèse est constitué d’une quinzaine de documents qui traitent d’un thème en

3- Brassart, Dominique-Guy. Remarques sur un exercice de lecture-écriture : la note

de synthèse ou synthèse de documents, Pratiques, septembre 1993, n° 79, p. 95-113.

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rapport avec l’éducation4. Le candidat qui rédige la note de synthèse est censé s’adresser, en tant que documentaliste, à tout ou partie de la popula-tion d’un établissement du second degré dont, dès l’introduction, il précise la nature (collège, lycée ou LEP). Il s’agit à la fois « d’éclairer » et de « convaincre » ces lecteurs potentiels, c’est-à-dire de leur donner une image aussi précise que possible des contenus du dossier tout en leur donnant envie de le lire et donc de s’intéresser au sujet proposé. Le corpus de documents est long (une soixantaine de pages). Il faut en prendre connaissance très rapidement et rédiger aussitôt un plan de classement des documents dont dépend aussi l’ordre de la liste signalétique et l’ordre de la note de synthèse.

Le rapport de jury de 1992 est sans doute le rapport le plus explicite concernant la note de synthèse. Il précise en particulier la position d’écriture du documentaliste-rédacteur. Il a tout d’abord à « réserver aux pièces du dossier un sort différent selon leur degré d’intérêt. Les unes ne méritent qu’une mention brèves, les autres pourront se trouver invoquées à plusieurs reprises dans la note de synthèse ». La note de synthèse « engage » donc le documentaliste « et l’autorise à une certaine liberté de ton et d’appréciation ». Le rapport introduit toutefois immédiatement une appa-rente restriction à cette liberté. Si le documentaliste doit mettre en valeur les points forts du dossier, il ne peut mettre en avant un point de vue personnel comme pourrait le faire l’auteur d’une dissertation. Son intervention consiste surtout à évaluer les documents au plan de leur valeur informative et de leur lisibilité pour les lecteurs concernés. L’énonciation s’effectue sur le mode impersonnel : le documentaliste-scripteur met en avant les documents, et non sa propre personne. D’autre part la diversité des lectures et des usages potentiels du dossiers interdisent une prise à parti des lecteurs trop directe.

Pour résumer ces directives tout en les interprétant, nous pourrions dire que le documentaliste se situe entre deux types de demandes entre les-quelles la zone de compatibilité est étroite.

D’un côté, il dispose d’une zone d’autonomie et d’expression qui se manifeste dans ce que nous appellerons le cadrage c’est-à-dire la présenta-tion des thèmes et sous-thèmes et l’ordre choisi pour cette présentation. Sui-vant son point de vue sur le thème, il choisira de faire émerger une idée et de la mettre en valeur par la position qu’il va assigner au document. Le pro-blème se rattache en cela à l’importance que revêtent les choix de planifica-tion dans un discours argumentatif. Si nous examinons, à titre d’exemple, les deux plans de classements fournis en annexe pour un dossier sur la culture

4- Exemple de sujets proposés au concours : les manuels scolaires ; droits des en-

fants, droits des élèves ; l’orthographe ; monde de l’école, monde du travail…

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scientifique et technique, nous apercevons immédiatement le caractère opti-miste du premier (du type « problème/solution ») qui met l’accent sur l’ac-tion pédagogique et le caractère plus « défaitiste » du second (du type « inté-rêt/limites ») qui met l’accent sur les obstacles et les problèmes. Cet effet résulte de la formulation des titres mais aussi de leur ordre de présentation. Les considérations de la dernière partie sont en effet celles qui risquent de perdurer le plus efficacement dans la mémoire du lecteur.

Toutefois le cadrage tel que nous l’entendons déborde la notion de plan pour s’étendre à l’ensemble de la gestion thématique. Le rédacteur de la note de synthèse reste maître de la progression de l’information à travers son texte.

Par ailleurs, le documentaliste ne gère pas ses propres idées mais les idées contenues dans les documents. Ainsi que l’indique Dominique-Guy Brassart5,

La note de synthèse n’est pas un texte « sur », un « méta-texte » qui pren-

drait un autre texte comme objet d’étude, mais un texte « avec », un texte qui puise sa matière dans une « base de données » imposée.

Pour permettre au lecteur de se situer par rapport aux textes proposés,

il importe de les caractériser à la fois par leur contenu et par leur apparte-nance discursive. Faire uniquement une synthèse des contenus des docu-ments reviendrait à gommer les formes de communication auxquelles ils se rattachent et qui sont pourtant indispensables à leur évaluation.

L’éthique professionnelle commande, en l’occurrence, que l’on soit très attentif à la référence du document-source et qu’on la rende aussi visible que possible pour les usagers. Mais le souci de situer le document peut conduire à oublier le cadrage. A l’inverse, une polarisation trop importante sur le cadrage peut conduire à ne pas suffisamment prendre en compte le document-source. Dans les deux cas, l’équilibre cadre/référence est perverti.

Nous faisons l’hypothèse que c’est le tiraillement entre ces deux exi-gences qui rend si difficile la rédaction de la note de synthèse. Le candidat doit gérer le cadre de son propos en s’affirmant et par ailleurs s’effacer der-rière les auteurs de documents pour présenter les contenus internes à ce ca-dre. La dissertation et la succession de résumé sont les deux cas limites où l’une des composantes est hypertrophiée au détriment de l’autre.

C’est dire qu’entre les copies excellentes où le cadrage et la référence sont gérés avec un égal bonheur et les copies incohérentes où les deux font défaut, se situe tout un ensemble de prestations intermédiaires dont les au-

5- op. cit.

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teurs ne parviennent pas à tenir de front les deux ordres d’exigences. Nous pourrions schématiser comme suit la répartition des notes de synthèses :

très bonne

copie dérive

dissertation dérive succession de

résumés copie incohé-

rente CADRAGE oui oui non non

REFERENCE oui non oui non

2. — DU DÉFAUT DE CADRAGE AU « SYNDROME DE SGANARELLE » Dans une note de synthèse efficace, le scripteur affirme l’ossature de

son texte et par là même témoigne de sa maîtrise intellectuelle du problème posé. Dans l’exemple ci dessous, le candidat garde toujours un point de vue global sur les contenus informationnels et il sait le faire partager au lecteur :

Exemple 1 (nouvelles technologies) : Mais (le réseau Internet) pose problème pour deux raisons. La première est

une question de pouvoir. Djamel Khamès constate dans le multimédia : du CD-Rom aux autoroutes de l’information, que les États-Unis ont d’ores et déjà une longueur d’avance sur le reste du monde en ce domaine. Ainsi se pose le problème de la do-mination anglo-saxonne. En effet, l’influence américaine se fait autant par ses logi-ciels que par l’omniprésence de son industrie culturelle (doc. 9). Le second pro-blème posé par Internet est lié à la démocratie et à la liberté. Peut-on laisser tout dire sur Internet ? Qui doit contrôler ce réseau ? Dans un pays comme la Chine popu-laire, l’État se bat contre Internet qui représente un danger. La liberté d’expression n’existe pas en Chine. Internet n’est donc pas accepté par les autorités. Pour Shapi-ro, l’État doit intervenir lorsque certaines opinions dominent outrageusement. Mais qu’en est-il si l’État est répressif et empêche la liberté comme en Chine ? (doc. 13).

Dans ce texte, les articulations qui structurent l’ensemble du paragra-phe sont nettement marquées. Le paragraphe commence par la phrase por-teuse de l’hyperthème. Une lecture-balayage permet de repérer très vite la ligne directrice qu’a choisie le candidat.

De manière générale, la fermeté du propos est étroitement tributaire de la progression thématique dominante. Les travaux de l’école de Prague, repris et développés par Bernard Combettes, aident à catégoriser ces phéno-mènes. Bernard Combettes6 distingue trois types de progression thémati-

6- Combettes, Bernard. Pour une grammaire textuelle : La progression thématique.

Bruxelles : De Boeck-Duculot, 1988. Combettes, Bernard. Le texte informatif : aspects linguistiques. Bruxelles : De Boeck-

Duculot, 1988. Chap. 4, p. 93-105.

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ques : une progression à thèmes dérivés qui monnaie un hyperthème en plusieurs sous-thèmes, une progression à thème constant qui rattache plu-sieurs propos consécutifs à un même thème, et une progression à thème linéaire, pour laquelle le propos tenu sur un thème est à son tour thématisé et fait l’objet d’un nouveau propos. Ces progressions thématiques se combi-nent, avec des dominantes, selon les textes. L’exemple ci-dessus combine une armature bâtie sur une progression à thème dérivée et, secondairement, des progressions linéaires ou à thème constant (Internet).

Dans bien des cas, cependant, le candidat disparaît derrière les docu-ments et le lecteur doit se référer au plan de classement pour percevoir les traces d’une pré-structuration, comme dans l’exemple qui suit :

Exemple 2 (culture scientifique et technique) : Le principal obstacle à la culture scientifique consiste, pour le document IV,

à la scission qui s’est opérée entre la culture humaniste qui peut paraître dépassée et la culture scientifique qui a beaucoup formalisé les connaissances, qui a « déshumanisé » la culture au point que l’être humain en tant que tel semble avoir disparu.

Le document IX confirme d’ailleurs la peur ou la fascination que la science peut susciter. Le volume des connaissances augmente de façon exponentielle mais aussi leur complexité et leur communication à travers les média. Si, comme l’indique le document XI, le film semble être un moyen de transmettre des connais-sances, il implique une double problématique : celle de construire un savoir à partir de questions et celle de savoir décoder un document audiovisuel.

Dans cet extrait, le candidat n’assure pas de cadrage. Le lecteur doit

l’inférer des propos attribués aux « documents ». De ce fait, la fermeté intel-lectuelle du scripteur semble prise en défaut. Plus gênant encore, la progres-sion du texte se fait sur le mode linéaire, par des associations d’idées em-pruntées aux documents. Les mots que nous avons indiqué en gras permet-tent au propos de rebondir mais non de se construire. La cohésion du texte est assurée, mais non sa cohérence. La pensée fonctionne par enchaînement aléatoire, sans architecture.

Parfois ce défaut n’atteint que certaines parties du texte, comme dans l’exemple suivant :

Exemple 3 (culture scientifique et technique) : On note une totale absence de communication entre culture scientifique et

culture humaniste. Alors qu’elles ont les mêmes origines grecques et qu’elles ont longtemps coexisté, elles se sont disjointes au XIXe siècle. C’est ce qu’explique Edgar Morin dans Les idées : leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisation (doc. 4). Jean-Marc Lévy-Leblond, dans une interview parue dans Argos évoque lui aussi cette disjonction. Alors qu’au XVIIe siècle la science appartenait à la culture, elle s’est par la suite autonomisée pour aboutir à cette absence de communication.

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Il évoque aussi le problème de la formation. La recherche scientifique est de plus en plus spécialisée et le travail morcelé (doc. 6). Joël Lebeau, maître de conférences à l’université d’Orléans et directeur d’études à l’IUFM d’Oléans-Tours, évoque ses problèmes pour faire acquérir une culture scientifique aux futurs professeurs des écoles (doc. 9). Il faut aussi sans cesse penser à innover l’enseignement scientifique. Si les livres de sciences prenaient auparavant la forme de récit, ce n’est aujourd’hui plus le cas (doc. 10).

Cet extrait de copie témoigne d’un dérapage de la progression théma-

tique. Le paragraphe commence dans les règles. Le cadrage thématique est bien assuré et le candidat rapproche judicieusement deux documents traitant d’un même thème. L’abandon du cadrage survient à la première expression que nous avons mise en gras. Là, le candidat reprend un thème du document et oublie la thématisation de son propre propos. Le lien logique est des plus lâches. L’adverbe aussi suffit à l’établir, sur le mode additif. A partir de là, le candidat « dérive » : son texte, au lieu de progresser selon une structure hiérarchique subordonnant des sous-thèmes à l’hyperthème annoncé en dé-but de paragraphe, progresse sur le mode linéaire. Une information tirée d’un document en appel une autre tirée du document suivant, ce qui donne au lecteur l’impression d’un discours qui échappe au contrôle logique : for-mation conduit à enseignement qui conduit à livre. On est loin du rapport entre culture humaniste et culture scientifique posé en tête de paragraphe.

C’est ce que nous avons appelé le « syndrome de Sganarelle », en souvenir de la célèbre admonestation que le personnage de Molière adresse à Don Juan7. Ce défaut de contrôle donne au lecteur l’impression désagréable d’un texte qui « tourne fou ». Dans la note de synthèse, le scripteur s’en rapproche lorsqu’au lieu de contextualiser les informations en fonction du cadre qu’il a défini il les enchaîne uniquement sur le plan de la référence.

Comment expliquer de tels errements ? La situation de communica-tion que constitue l’épreuve de concours permet de comprendre ces dérapa-ges.

Tout d’abord, le candidat sait que le lecteur réel de sa copie (c’est-à-dire le correcteur) a déjà lu son plan de classement et le garde en mémoire. Dans la précipitation de l’épreuve, il est donc tenté de porter les éléments de

7 - Don Juan, Acte V, scène IV. Extrait ; « Un bon pilote a de la prudence ; la prudence n’est point dans les jeunes

gens ; les jeunes gens doivent obéissance aux vieux ; les vieux aiment les richesses ; les richesses font les riches ; les riches ne sont pas pauvres ; les pauvres ont de la nécessité ; nécessité n’a point de loi ; qui n’a point de loi vit en bête brute ; et par conséquent, vous serez damné à tous les diables. »

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cadrage à l’actif de la connaissance du lecteur et donc de les laisser dans l’implicite.

De plus, la note de synthèse doit suivre l’ordre du plan de classement. Dans ce plan, chaque document ne figure qu’une fois. Le candidat est donc tenté de reprendre les documents un par un et de dire, en suivant leur succes-sion, ce qu’il juge pertinent sur chacun d’eux. La nécessité de synthèse est en quelque sorte « mimée » par l’utilisation de connecteurs qui n’ont, en fait, qu’une fonction de liaison limitée à deux éléments successifs.

3. — DE L’OUBLI DU DISCOURS AU « SYNDROME DU VAMPIRE »

3.1. — Le relief discursif et le rapport à la culture La dérive opposée consiste à hypertrophier le cadrage au détriment de

la référence. On sent fortement la présence de celui qui rédige la note de synthèse

et gère les contenus, au point d’être incapable de dire, à moins d’avoir lu le dossier, si les idées avancées lui appartiennent en propre ou si elles sont em-pruntées aux documents.

Dans certains cas limites, cette tendance va même jusqu’à l’absence de renvoi à tout ou partie des documents :

Exemple 4 (orthographe) : A l’heure actuelle, les enseignants s’inquiètent des fautes d’orthographe

multiples qu’ils peuvent trouver dans une dictée ou une rédaction : à chaque mot, l’élève fait facilement une faute d’orthographe. Les parents sont désarmés face à leur enfant et à ce problème qu’est la bonne maîtrise de l’orthographe.

Elle est responsable parfois de l’échec scolaire et social de l’enfant. Est-ce un fait nouveau ? On peut affirmer que non. Les enfants ont un niveau

moyen en orthographe beaucoup plus élevé aujourd’hui qu’en 1 873. Dans cet exemple, l’auteur utilise le retour à la ligne comme le signal

d’un changement de référence. Ce signal est trop ténu pour être perçu par le lecteur, excepté s’il vient juste de lire les documents et en a gardé le contenu en mémoire. Dans la situation fictive imposée par le concours, la date 1 873 surgit de manière absurde (il s’agit en fait de la date d’une série de copies d’élèves observée par des chercheurs et dont l’observation était décrite dans l’un des documents du dossier).

On a affaire ici à une forme de dérive qui consiste à « vampiriser » les documents. Ce défaut, sur un plan professionnel, est contraire à l’éthique du travail documentaire qui consiste au contraire à toujours rendre possible le

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retour aux documents-sources. Il est donc particulièrement grave dans la perspective du concours. Il apparaît rarement dans sa forme radicale qui consiste à ne faire figurer aucun renvoi aux documents dans l’ensemble de la note. Il est fréquent par contre dans des formes secondaires qui consistent à ne pratiquer qu’un seul type de renvoi : le renvoi par le n° du document in-diqué entre parenthèses.

Examinons cet extrait d’un dossier consacré aux nouvelles technolo-gies :

Exemple 5 (nouvelles technologies) : L’hypertexte, quant à lui, utilise aussi l’interactivité mais cette fois-ci pour la

lecture ou l’écriture. Il permet aux lecteurs selon un procédé presque naturel de naviguer d’un texte à l’autre mais aussi de mettre en relation les travaux de per-sonnes travaillant sur des thèmes différents. Ainsi loin d’être un mode d’accès au savoir purement individuel, il ouvre au contraire la voie à la construction d’un nouveau savoir collectif (doc. 1). Le danger cependant consiste à comparer l’hypertexte au texte car sa complexité d’utilisation induit aussi un autre rapport au savoir, de nouveaux apprentissages et manières de concevoir le savoir (doc. 4).

La stratégie rédactionnelle utilisée présente l’inconvénient notable

d’aplanir tout relief discursif. Caractériser un document pour des usagers, c’est, en effet, référer son contenu à un discours. L’attitude qui consiste à gommer la dimension discursive témoigne d’une soumission à l’autorité in-formationnelle du document par rapport auquel il n’est plus possible d’avoir un recul critique. Elle donne à entendre qu’on nie l’importance de la média-tion, ce qui ne laisse pas de gêner de la part de futurs documentalistes.

Nous n’utilisons pas ici le terme discours dans l’acception étroite de la linguistique, qui l’assimile aux marques de l’énonciation dans le texte, mais au sens large, d’ordre à la fois historique et sociologique, où l’entend Michel Foucault8. La notion de formation discursive, en particulier, nous paraît particulièrement importante en documentation. Dans l’Archéologie du savoir, Michel Foucault appelle ainsi un ensemble illimité d’énoncés soumis à des règles communes. Ces règles relèvent à la fois des choix thématiques et épistémologiques (concepts et relations entre concepts propres à un do-maine), de la bibliothèque, c’est-à-dire des systèmes de références internes à ce domaine, et du contrôle social, c’est-à-dire des institutions et des straté-gies qui gouvernent le domaine.

Situer un document c’est reconnaître la formation discursive dans la-quelle il s’inscrit et signaler cette appartenance au lecteur potentiel au moyen des marques qui lui sont les plus familières. C’est ainsi que dans un

8- Foucault, Michel. L’archéologie du savoir. Paris : Gallimard, 1969.

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même dossier des choix thématiques permettent de distinguer par exemple des textes d’ordre historique, d’ordre politique ou d’ordre pédagogique. D’autre part des références traversent plusieurs documents du dossier, signa-lant une « bibliothèque » commune à plusieurs auteurs et qu’il importe de signaler. C’était par exemple le cas de la référence au pédagogue Tomkie-wicz dans le dossier de concours droit des enfants, droits des élèves. Enfin, le rôle des institutions et le contrôle social est souvent sensible à travers le paratexte des documents. Ainsi, dans la plupart des dossiers, on trouve des propos officiels et du discours syndical, des documents de grande diffusion et des articles de recherche. A l’intérieur du discours de recherche lui-même, les propos d’un chercheur de l’INRP, impliqué dans une recherche-action, se distinguent du discours d’un chercheur du CNRS voué à la recherche fon-damentale…

Prendre en compte le « relief discursif » suppose que le candidat n’ar-rête pas sa lecture aux simples contenus du dossier, mais soit attentif à toutes les données de cet ordre qu’il est possible de prélever dans les documents, qu’il les sélectionne et les organise de manière à ce que chaque pièce du dossier soit facilement identifiable pour ses lecteurs potentiels. La liste si-gnalétique aide à repérer les différences de niveaux discursifs, mais elle n’y suffit pas.

Par ailleurs, toutes les données ne sont pas susceptibles de figurer dans la note de synthèse. On y fait figurer ce qui permet au lecteur d’évaluer les information contenues dans le document par leur poids dans le champ discursif de référence. Ainsi, si nous considérons le texte de Pierre Lévy « Nous sommes le texte », publié dans Lecture Jeune n° 75 en 1995, il serait peu judicieux de le considérer comme un article ordinaire alors qu’il s’agit, d’après une note, d’une conférence prononcée à la Sorbonne et déjà publiée une première fois dans la revue Esprit. La double publication, la garantie institutionnelle que constitue la Sorbonne donnent à ce texte une portée autre que s’il s’agissait d’une article ordinaire de Lecture Jeune. On peut supposer que l’auteur de l’article n’est pas n’importe qui et qu’il serait judicieux de mentionner son nom dans la note de synthèse. De même, le fait que cette conférence qui traite des nouvelles technologies ait été prononcée en 1993 permet de relativiser l’actualité de sa portée que la date de parution de la revue en 1995 aurait eu tendance à suggérer.

La plupart du temps, quelques notations pertinentes permettent de gar-der à chaque document son « relief discursif ». On peut éclairer le lecteur virtuel de la note de synthèse par la mise en valeur d’un seul indice, de pré-férence le plus familier dans le contexte culturel d’un établissement du se-cond degré : tantôt il s’agira de l’auteur, tantôt il s’agira du support (titre de

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périodique, titre de collection…). Un lecteur pourra, par exemple, se tourner vers l’extrait d’un Que sais-je ? en raison du prestige et du préjugé de lisibi-lité attachés à cette collection.

Pour être capable d’éclairer le lecteur sur le statut des textes du dos-sier, il faut disposer de connaissances extérieures au dossier. Seule la culture des candidats peut les aider dans cette tâche. Cette culture n’est pas seule-ment une culture générale. Il s’agit aussi de connaître les systèmes de réfé-rences particuliers à l’enseignement secondaire en France, puisque c’est le cadre professionnel fictif choisi pour l’exercice. On sent un souci de cet ordre dans l’exemple 3 ci-dessus : le candidat qui a rédigé ce texte se contente de nommer Edgar Morin, dont la célébrité permet d’économiser d’autres précisions. Il fait par contre mention du support (la revue profes-sionnelle des documentalistes Argos) à propos de Jean-Marc Levy-Leblond. Le troisième auteur, lui, est caractérisé par son appartenance institutionnelle (maître de conférences à l’université d’Orléans et directeur d’études à l’IUFM d’Orléans-Tours) qui donne une certaine autorité à ses propos en matière de formation.

Pour résumer, nous dirions que le rédacteur habile est celui qui sait mettre en évidence les points qui assurent, pour le public potentiel, la valeur d’un document ou d’un groupe de documents. Dans l’exemple ci-dessous, extrait d’un dossier sur le patrimoine, on constate que la stratégie de renvois aux documents est diversifiée :

Exemple 6 (le patrimoine) : L’idée de patrimoine ne s’est imposée que lentement, jusqu’à devenir au-

jourd’hui une priorité, ainsi qu’on peut le constater à travers un numéro de Textes et Documents pour la Classe consacré au sujet (5). La première prise de conscience est associée à l’idée de nation (5,3) et remonte au XIXe siècle. Les règles les plus importantes de sauvegarde du patrimoine n’ont pas plus de 70 ans ; les plus im-portantes datent d’à peine 30 ans (11) et il faut attendre 1975 pour que soit instau-rée, sous l’égide du Ministère de la Culture, une Direction du patrimoine (15, 3) regroupant des services jusque là dispersés. Depuis, la notion déborde le cadre national et concerne des niveaux plus larges, européen et international ou au contraire plus étroits (régions, municipalités) (3) : ainsi, en 1985, des commissions régionales de Patrimoine Historique, Archéologique et Ethnologique (COREPHAE) ont été créées dans le cadre de la décentralisation (7).

Le patrimoine est à la fois matériel et immatériel ; c’est un ensemble d’objets mobiliers et immobiliers, de sites, mais aussi de savoirs et de coutumes issus d’un passé proche ou lointain (11, 13), qui peuvent prendre à nos yeux une valeur sym-bolique et dont nous sommes tous les héritiers (5). Dans son article de l’Encyclopædia Universalis, André Chastel constate la coexistence, dans toute civi-lisation, de deux principes opposés et complémentaires : une force centrifuge qui

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pousse à la destruction des objets anciens et une force centripète qui pousse au contraire à leur conservation…

Dans cet exemple, le premier paragraphe récapitule toutes les infor-

mations d’ordre historique disséminées dans les documents, en signalant toutefois le numéro de TDC consacré à ce thème dont un large extrait figure dans le dossier. La dimension historique n’est pas principale dans les autres documents. Ils sont donc simplement signalés entre parenthèses. Un même document, traversé par plusieurs thèmes, peut faire l’objet de plusieurs ren-vois. Ainsi figure, dans le second paragraphe, une synthèse de définitions issues de plusieurs documents, simplement mentionnés entre parenthèses. Toutefois le document le plus fiable pour définir le concept de patrimoine (l’article de l’Encyclopædia Universalis) est, lui, fortement caractérisé et désigné à l’attention des lecteurs ainsi que le nom de son auteur, dont on peut raisonnablement supposer qu’il est un spécialiste de la question.

Dans de nombreuses copies, cependant, la caractérisation discursive est inappropriée ou trop sommaire :

Exemple 7 (culture scientifique et technique) : Il n’est pas facile de « vulgariser ». Un premier obstacle réside dans les

mentalités, affirme le document II. […] Mais le principal obstacle à la culture scientifique consiste, pour le document IV, à la scission qui s’est opérée entre la culture humaniste qui peut paraître dépassée et la culture scientifique qui a beau-coup formalisé les connaissances, qui a « déshumanisé » la culture au point que l’être humain en tant que tel semble avoir disparu.

Le document IX confirme d’ailleurs la peur ou la fascination que la science peut susciter.

Si on compare les solutions trouvées ici par le candidat à la version

qui consiste à mentionner le n° du document entre parenthèses (Exemple 5), on constate qu’il opère quand même une caractérisation discursive — bien faible, il est vrai ! — par la variation sur les verbes déclaratifs (affirme, confirme…). De manière générale, la nature des déclaratifs utilisés (conteste, s’insurge, explique, démontre…) permet de restituer une certaine coloration du propos, mais elle ne suffit pas à le caractériser.

La difficulté devient plus complexe encore lorsque les documents doi-vent être mis en rapport ainsi que le précise le rapport de jury :

Si les textes apportent des points de vue différents sur les questions soule-vées, on organise leur débat sans prendre parti, mais en soulignant leurs conver-gences et leurs divergences. A l’inverse, deux textes voisins d’esprit ou com-plémentaires peuvent avoir dans la note de synthèse un « temps de parole » com-mun, pourvu que tous les deux soient mentionnés. (rapport 1992, p. 19)

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L'ÉCRITURE PROFESSIONNELLE DES DOCUMENTALISTES

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Dans l’exemple ci-dessous, le candidat parvient à jouer fort habile-ment du cadrage et de la référence en faisant « dialoguer les documents » :

Exemple 8 (nouvelles technologies) : Pourtant, avec l’hypertexte et les hypermédias, il semble que l’on aille vers

une nouvelle relation au savoir pas forcément compatible avec la structuration de la pensée.

Pierre Lévy, chercheur et professeur à l’université Paris VIII, voit dans les hypermédias une nouvelle approche du savoir qui pourrait mener à une « intelli-gence collective » (document I). Dans le contexte de l’hypertexte, le texte n’a plus de limites ; il suscite l’écriture, l’interactivité. Katell Briatte, ingénieur au CNRS et spécialiste de l’hypertexte, rejoint cette idée (document IV) mais insiste sur le danger d’accroître encore le fossé entre les plus « forts » et les plus « faibles » par la complexité des hypertextes et de la navigation dans ce monde. Il faut selon elle socialiser l’hypertexte et l’utiliser dans un contexte de dialogue et d’échange.

Il est facile pour le lecteur de distinguer la part du candidat, séparée

du reste par un retour à la ligne, et la part de chaque document. Il sait à tout moment comment les documents se caractérisent et à qui référer le propos.

3.2. — Un problème de gestion textuelle : les « portées » L’examen des copies de candidat conduit cependant à nuancer l’hypo-

thèse que nous avons avancée ci-dessus et selon laquelle le défaut de réfé-rence aux documents sources serait due à une excessive polarisation sur le cadrage.

Dans l’exemple 5, traité ci-dessus, la référence aux documents se fait uniquement par le biais d’un renvoi entre parenthèse. Pourtant, il n’y a pas vraiment confusion des genres avec la dissertation. Qui a lu le dossier en question (et sur ce point nos lecteurs devront nous faire confiance !) se rend compte que le candidat ne se met pas en avant par une sorte d’inaptitude à la décentration. Il est, en fait, capable du recul et de la vue d’ensemble sur le dossier que demande la note de synthèse ; il a lu et compris les documents, il en restitue les contenus, mais il ne parvient pas à gérer, dans la phase de « textualisation »9, les outils linguistiques qui permettent de marquer à qui il faut attribuer les idées émises. Il s’en tient, tout au long de son devoir, à la seule technique rudimentaire du renvoi entre parenthèses qui laisse le lecteur dans la confusion. Bref, et pour utiliser une terminologie plus grammaticale, nous avons affaire ici à un problème de « portée ».

9- Sur les différentes phases de l’écriture, voir Bronckart, Jean-Paul et al.. Le Fonc-

tionnement des discours : un modèle psychologique et une méthode d’analyse. Neuchâtel ; Paris : Delachaux et Niestlé éditeurs, 1985. Première partie.

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La dérive « dissertation », lorsqu’elle apparaît chez les candidats, ré-vèle un manque grave de compréhension du cadre social dans lequel l’écri-ture s’inscrit qui est souvent le fruit d’une absence de préparation au concours. Elle se manifeste par un oubli des documents et une parole assu-mée de bout en bout par le seul auteur de la copie. La correction d’un nom-bre important de copies montre qu’en fait très peu de candidats se rangent réellement dans cette catégorie. Par contre, le défaut de la copie examinée ci-dessus est partagé par de nombreuses prestations. Il ne s’agit pas d’un problème profond mais d’un problème de surface qui peut être facilement résolu en formation par une prise de conscience du candidat et par l’examen qu’il pourra faire de solutions appropriées.

Une réflexion particulièrement éclairante pour la pédagogie à mettre en place nous est fournie par Michel Charolles dans un numéro de Pratiques consacré à l’organisation des textes10. Dans cet article, Michel Charolles avance l’idée que la matière discursive s’organise sur plusieurs plans diffé-rents et concomitants. Chacun de ces plans est associé à des problèmes ré-dactionnels qui lui sont propres. L’intervention didactique sera d’autant mieux approprié qu’elle s’appuiera sur la spécificité du plan concerné.

Michel Charolles propose donc de distinguer quatre niveaux d’organi-sation textuelle :

- la période, qui correspond à une unité d’énonciation dont les élé-ments entretiennent un rapport de dépendance syntaxique,

- la chaîne, constituée par une suite d’expressions coréférentielles, - la séquence, unité produite par le découpage de la matière discursive

(constitution des paragraphes, par exemple), - la portée, « portion de texte dont l’interprétation est indexée comme

devant s’effectuer dans un certain cadre (ou espace) de véridiction. » Ces différents plans (entrelacés) d’organisation textuelle sont en inte-

raction permanente. C’est ainsi que le retour à la ligne peut servir à marquer le terme d’une portée en même temps qu’il détermine la séparation entre deux unités discursives.

C’est sur le niveau des portées que se situent les principaux problèmes rencontrés par les rédacteurs de notes de synthèse. Le lecteur de la note de synthèse doit en effet savoir à tout moment s’il doit référer le propos à l’au-teur de la note ou à l’auteur d’un document.

10- Charolles, Michel. Les plans d’organisation textuelle. Pratiques, 1988, n° 57,

p. 3-13.

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Une première difficulté est inhérente à la situation même d’écriture dans le cadre d’un concours. Le candidat sait que les membres du jury qui liront sa copie ont déjà lu le dossier et connaissent le contenu de chaque document. Il lui faut néanmoins faire comme s’il s’adressait à des lecteurs qui n’ont pas encore pris connaissance des documents et auxquels il faut les présenter. La position d’écriture est donc doublement fictive : d’une part le cadre énonciatif choisi est celui d’un établissement scolaire imaginaire et, d’autre part, les destinataires virtuels de la note de synthèse, usagers du CDI imaginaire, ont nécessairement moins de connaissances sur le corpus docu-mentaire que le lecteur réel, en l’occurrence le correcteur de la copie de concours ! La maîtrise de ce cadre énonciatif doublement fictif est la pre-mière condition sine qua non de bonne réussite de l’épreuve.

Un autre ordre de difficulté concerne la limite entre les portées. Mi-chel Charolles observe avec justesse que la difficulté majeure posée par les portées consiste à marquer leurs limites. Dans l’idéal, le lecteur qui ne connaît pas un dossier et lit la note de synthèse devrait pouvoir désigner l’endroit du texte où l’on cesse de se référer à un document pour passer à un autre. Certains connecteurs, que Michel Charolles appelle les connecteurs-bouchons, ont le pouvoir de marquer nettement l’initialisation ou le chan-gement de portée (retour à la ligne, de fait, selon…). D’autres, qu’il appelle les connecteurs-passoires, indiquent au contraire que la portée se prolonge.

Exemples proposés par Michel Charolles : Selon l’institut National de recherches Pédagogiques, si deux millions de

Français sont illettrés, seuls 25 % peuvent lire couramment parce qu’ils ont… vu que… (connecteur « passoire » : parce que).

Selon l’institut National de recherches Pédagogiques, si deux millions de Français sont illettrés, seuls 25 % peuvent lire couramment. De fait, ils… (connec-teur « bouchon » : de fait)

Parfois la portée précède l’outil qui la signale — Michel Charolles

parle de portée à gauche -. C’est la technique systématiquement employée par les candidats qui se contentent, comme dans l’exemple ci-dessous, de renvoyer au document par une parenthèse située en fin de portée.

Exemple 9 (culture scientifique et technique) : Souvent oubliée, car peu réutilisable, l’éducation scientifique connaît de gra-

ves lacunes (D.2). A ce problème s’ajoute celui du statut de la culture scientifique à laquelle on

oppose souvent la culture humaniste traditionnelle. Aujourd’hui, les deux semblent incapables de communiquer entre elles. Seule semble possible une coexistence, pas toujours pacifique. Or ceci est grave, car on aboutit à une crise de la connais-sance ; il est important de rétablir les liens entre les deux (D.4).

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Le lecteur de ce texte est dans l’incapacité de délimiter ce qui relève de la présentation du documentaliste et ce qui relève de l’auteur du docu-ment IV.

Certains candidats, conscient du problème, essaient des solutions mal-habiles :

Exemple 10 (culture scientifique et technique) : Cette idée de la science est à remettre en cause. Des scientifiques comme

Jean Marc Levy-Leblond considèrent que la culture scientifique n’existe pas (doc. 6) car elle est liée à des pratiques sociales sans but culturel (doc. 6). La science ne fait aujourd’hui plus partie de la culture comme au XVIIe siècle (doc. 6). La science ignore la culture et vice versa (doc. 6). La science et la culture, c’est-à-dire la cul-ture humaniste, sont pourtant basées sur une même origine, une même méthodolo-gie et les mêmes valeurs (doc. 10). Cependant, elles se distinguent et s’opposent (doc. 10). C’est justement la naissance de la culture scientifique qui est à la base de ce dualisme (doc. 10). Tout cela provoque une perte de connaissance de part et d’autre. (doc. 10). Les deux cultures doivent, pour évoluer, puiser l’une dans l’autre (doc. 10). La science pour faire partie de la culture, comme la littérature, doit per-mettre une continuité entre la recherche et la vulgarisation scientifique (doc. 6). Il faut faire appel à des médiateurs même si cela pose des problèmes pratiques, des problèmes de transmission des innovations par les médias, mais aussi des problè-mes à l’institution scientifique qui s’est peu penchée sur la question de la diffusion de la science au grand public (doc 6). Des personnes comme Jean-Marc Levy-Leblond tente de résoudre les questions en participant à la mise à disposition de la culture scientifique pour tous à travers notamment une politique éditoriale de pro-duction d’ouvrages scientifiques (doc.6).

Dans ce paragraphe, seul l’auteur du document VI, Jean-Marc Lévy-

Leblond, est nommé. Le passage au document X n’est pas perceptible pour le lecteur. Le candidat veut parler des deux documents à la fois et ne par-vient pas à les distinguer. Il se raccroche alors à la solution qui consiste à donner entre parenthèse le numéro du document à la fin de chacune des phrases qui s’y réfèrent. Hélas, cette solution, très simple, en coupant à de nombreuses reprises la lecture, rend le texte très pénible à lire.

4. — COMMENT ORGANISER UNE FORMATION À L’ÉCRITURE DE LA NOTE DE SYNTHÈSE Les quelques réflexions ci-dessus nous ont amenés à poser les prin-

cipes de formation que nous avons appliqués à Lille 3 dans la préparation du concours.

Il convient tout d’abord de prendre garde à ne pas accumuler indéfini-ment des prescriptions ou des remarques d’ordre stylistique. Incriminer l’ab-

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sence « d’élégance » du candidat dans la manière d’écrire ne lui donne pas de prise sur son problème. Il est bien entendu nécessaire de définir ce qu’est ou n’est pas une note de synthèse en début de formation, mais se contenter de réitérer les recommandations n’est guère utile. Très vite, les candidats ont intériorisé les prescriptions au point de pouvoir les reformuler mais s’avèrent incapables de les appliquer. La tentation serait alors de déplacer sur un défaut d’attention du candidat ou sur une absence de « don » pour l’écriture ce qui touche en fait à la claire conscience de la communication dans laquelle il s’inscrit.

Pour pouvoir gérer son texte, le candidat doit d’abord être conscient de la distorsion qu’il vit entre une situation réelle d’écriture, celle du concours, et une situation fictive, dans laquelle il est enjoint de se placer, celle d’un documentaliste de lycée ou de collège. Une solution pour y par-venir consiste à explorer successivement les différents points de vue qu’il faut ensuite gérer simultanément.

rôle émetteur rôle récepteur

communication réelle candidat correcteur communication fictive documentaliste usager du second degré

Il semble judicieux de placer les candidats en début de formation dans

la position de lecteurs-usagers. On leur donne à lire de bonnes et de mau-vaises notes de synthèse sans qu’ils aient connaissance du dossier corres-pondant. Ils vivent ainsi « en réel » la situation de communication qu’on leur demande d’imaginer pour réussir l’épreuve mais ils l’explorent par in-version des rôles. Ils doivent dire, après lecture de chaque note de synthèse, s’ils ont l’impression d’avoir ou non une idée claire des contenus du dos-siers. Qu’est-ce qui reste dans l’ombre ? Quelles précisions auraient-ils en-vie de demander aux rédacteurs ? Quelles formes de rédaction leur paraît la plus efficace ? Les discussions qui accompagnent ces lectures permettent de faire émerger les critères de réussite d’une bonne note de synthèse.

Puis les candidats s’essaient eux-mêmes à l’écriture « profession-nelle ». Dans cette phase d’entraînement, il est plus aisé de s’en tenir à de mini-dossiers qui ne comportent que quatre ou cinq documents très courts mais bien contrastés au plan discursif. Il importe en effet de cibler la diffi-culté et de ne pas mêler les problèmes qui relèvent de la lecture ou de la planification du dossier avec ceux qui relèvent de la gestion textuelle li-néaire. On peut même expliquer les documents et on apportera utilement toute information sur leur utilisation possible dans un établissement scolaire. Toute la phase d’identification des documents se fait avec un accompagne-ment et on prend le temps nécessaire à la mise en écriture. La comparaison

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des brouillons permet de réfléchir sur le problème d’équilibre entre cadrage et portée que nous avons essayé de mettre en évidence au début de cet article (cf. tableau).

Il importe ensuite que les candidats apprennent à jeter un oeil critique sur leur propre prestation. Quelques consignes d’observation de copies, ap-pliquées à des copies choisies pour leur caractère représentatif, puis à leur propre copie, leur permettent de reconnaître des choix techniques.

On demande par exemple aux rédacteurs de surligner dans leur propre copie ce qui relève du cadrage. Certains se rendent compte qu’ils négligent cette dimension ou qu’ils utilisent, par exemple, la fin des paragraphes comme temps fort du cadrage du paragraphe suivant — vieux souvenir sans doute des « phrases de transition » qu’on leur prescrivait au lycée. On cons-tate alors avec eux qu’en lecture rapide on a tendance à privilégier les têtes de paragraphes et que cela correspond à des habitudes de lectures qu’il vaut mieux préserver dans le cadre imposé.

On demande également de souligner tous les indicateurs de portées, c’est-à-dire les éléments servant à caractériser le niveau de la référence, puis d’apprécier leur opportunité. La discussion collective porte alors sur la perti-nence des indicateurs choisis. Ce moment échappe en partie à la possibilité d’un apprentissage, car il est tributaire de la culture personnelle du candidat. La claire conscience de l’endroit où se situe le problème contribue cepen-dant à rendre possible une amélioration.

On peut aussi mettre les rédacteurs en position de correcteurs en leur demandant d’échanger les brouillons entre voisins, de séparer par une barre verticale les portées successives et d’identifier les marques d’initialisation et de clôture de portées. Dans bien des cas, les rédacteurs s’aperçoivent qu’ils gèrent mal ce problème, que leur lecteur, faute de repères est contraint à une lecture régressive ou hésitante (cf. les exemples 8 et 9). Certains, par exem-ple, privilégient systématiquement la portée à gauche de l’indicateur, ce qui provoque de nombreuses perturbation de la lecture.

Enfin, après s’être mis dans la peau des usagers, du documentaliste, des correcteurs, il ne reste plus aux étudiants qu’à se mettre en position de… candidats au concours !

EN CONCLUSION… Les éléments de réflexion que nous avons proposés sur la note de syn-

thèse au CAPES de documentation peuvent s’adapter à toute autre forme de synthèse de documents — rédiger l’introduction d’un numéro de revue comme celui-ci pose d’ailleurs les mêmes problèmes ! -. Le genre de démar-

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che pédagogique que nous proposons pourrait s’adapter à d’autres situations d’apprentissage (note de synthèse au BTS ; compte rendus de débats…).

Sans prétendre tout résoudre, la grammaire du texte éclaire des diffi-cultés d’écriture qui cessent d’être rebelles dès lors qu’on les analyse. Les apprentis rédacteurs s’en trouvent rassurés : leur réussite ne dépend pas d’un talent naturel, mais d’un savoir-faire que l’on peut espérer acquérir dès lors qu’il est identifié. Toutefois, la pertinence des éléments travaillés dépend de la prise en compte de la communication dominante dans laquelle le texte fonctionne et des régularités textuelles qu’elle génère. La démarche didacti-que doit tenir compte de tous les paramètres du contexte social propre à la tâche d’écriture envisagée.

Annette BEGUIN

Université Charles de Gaulle Lille 3

Abstract : The recurring editorial problems encountered by different people confronted by the same writing task can be explained by taking into consideration both the communicative context of the task and the reading context as the writer might anticipate it. An accurate analysis of these contexts is necessary to be able to set up an appropriate writing skills course. That is what we tried to do in order to set up a preparation for the synthesis of the documentation Capes, using theoretical tools provided by the text grammar.

Keywords : synthesis, text grammar, teaching of writing.

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Annexe La culture scientifique et technique

1. Relations entre science, culture et so-

ciété. 1.1. Relier science et culture : doc. 6, 4. 1.2. Vulgariser la science ? : doc. 12,

10. 1.3. Aborder la science différemment :

doc 5, 1. 2. Communication et transmission des

savoirs scientifiques et techniques à l’école

2.1. Des difficultés à surmonter : doc. 2, 3.

2.2. Des partenariat fructueux : doc. 8, 9.

2.3. Des outils motivants : doc. 7, 11.

1. L’évolution de la culture scientifique 1.1. Un bref rappel historique : doc. 1,

10. 1.2. Opposition entre culture humaniste

et culture scientifique : doc. 4. 2. La diffusion de la culture scientifique 2.1. Par l’école et par l’écrit : doc. 7, 8. 2.2. Par la video et les projets péda-

gogiques doc. 9, 11. 2.3. Par les médias et les musées :

doc.3. 3. Les différents problèmes rencontrés

par les sciences 3.1. Des problèmes de compréhension,

de transmission et de diffusion : doc. 2, 6.

3.2. La vulgarisation scientifique : doc.5, 12.