perron, n. (1988) santé et médecine hospitalière au saguenay, 1900-1930

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    ruditest un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

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    Article

    Normand PerronSessions dtude - Socit canadienne d'histoire de l'glise catholique, vol. 55, 1988, p. 75-86.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/1006948ar

    DOI: 10.7202/1006948ar

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    Sant et mdecine hospitalire au Saguenay, 1900-1930

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    S.C.H.E.C., Sessions d'tude, 55 (1988), p. 75-86

    Sant et mdecine hospitalire auSaguenay, 1900-1930

    Normand PERRON, historien

    En 1903, le Progrs du Saguenay, un hebdomadaire qui circule dansla rgion du Saguenay-Lac-Saint-Jean, relate un grave accident de travailsurvenu la Compagnie de pulpe de Chicoutimi et le transport de la victime son domicile, o elle dcde deux heures plus tard, sans qu'il soitjug opportun de la conduire l'hpital local. Une vingtaine d'annes plustard, l'hpital de Chicoutimi accueille annuellement 300 400 accidentsdu travail. Contraste important, mais un fait qui, parmi d'autres, illustrel'closion de la mdecine hospitalire au Saguenay. L'hpital, qui, jusquevers 1910, avait surtout t utilis pour l'hbergement d'orphelins, devieillards et de dshrits, devient peu peu un centre o des maladesreoivent des soins.Ce changement, qui survient Chicoutimi l'aube du XX e sicle,marque l'arrive de la mdecine hospitalire, un phnomne qui a dj desracines vieilles d'au moins un demi-sicle en Amrique. En bref, leconcept de la mdecine hospitalire peut se rsumer simplement en l'habi

    tude prise par les mdecins de soigner l'hpital. Mais les exigences dumilieu hospitalier se font aussitt diffrentes. Toujours plus d'quipements, de locaux, de lits, de personnels spcialiss, voil en d'autrestermes ce que signifie aussi le phnom ne de la mdecine hospitalire.La naissance d'un nouvel hpital au Saguenay relve de diffrentsfacteurs ayant trait aux conditions socio-conomiques, aux perceptions dela sant et de la maladie et, enfin, aux intervenants face au changement.Ces facteurs sont apparus dcisifs dans la transformation profonde del'Htel-Dieu Saint-Vallier de Chicoutimi au cours des annes 1900-1930.Un bref rappel des origines de cet hpital permettra, dans un premiertemps, de prciser la nature de l'institution au XIX e sicle; dans undeuxime temps, ce rappel aidera mieux saisir l'ampleur des changements aprs 1900.

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    L'hpital de Chicoutimi au XIX e sicleAprs sa nomination comm e vque en 1878, M r Dominique Racinepoursuit, avec encore plus de vigueur, son but de donner au nouveau diocse de Chicoutimi les institutions indispensables. Parmi elles, l'htel-Dieu1, une institution sise l'ombre des glises et des cathdrales depuisdes sicles, le proccupe plus particulirement ds 1879. ses yeux, lediocse a besoin de cette institution de charit et d'vanglisation.Pour des raisons financires, Racine demande d'abord son amiHector-Louis Langevin, ministre fdral des Travaux publics, la construction d'un hpital maritime. Il voque l'activit portuaire et, en particulier,l'obligation de loger des matelots malades d'origine, de religion et de culture trangres dans les familles catholiques de la ville. En 1884, cet hpi

    tal, connu sous le vocable d'Hpital de Marine ouvre ses portes.Entre-temps, l'v qu e avait obtenu de le confier aux religieuses augustinesde la Misricorde de Jsus, ce qui lui permettait, du m me coup, d'en faireun htel-Dieu. Ainsi est n l'Htel-Dieu Saint-Vallier.Avec sept ou huit lits, l'hpital offre des possibilits bien limites.Bientt, les augustines ajoutent des constructions, avec ou sans l'aide del'tat, tantt sur leurs terrains, tantt sur ceux du gouvernement. Aprs lamort de Racine en 1888 et la fin politique de Langevin en 1891, d'autres

    hommes ont pris la relve. L'arrangement fond sur l'amiti Racine-Langevin se rvle dans toute sa fragilit. Les religieuses ont bientt lechoix de quitter l'h pital ou de l'acheter. Elles l'acqu irent, en 1895, aprsdes ngociations difficiles.Qui vient l'hpital cette poque? Invariablement, d'une anne l'autre, une dizaine de matelots, quelques ecclsiastiques, des lves dusminaire, des pauvres (vieillards, dmunis, etc.), et, partir de 1894,avec l'ouverture de l'orphelinat, un nombre croissant d'orphelines.

    Gnralement, peu de malades sont hospitaliss et lorsque la populationchicoutimienne rclame les services des augustines, la voie du dispensairelui semble la meilleure. Sur le plan des soins, cet hpital, comme beaucoup d'autres, souffre d'une mauvaise rputation. la fin du XIX e sicle,les Chicoutimiens et les Saguenens n'y ont gure confiance.Dans les faits, l'htel-Dieu de Chicoutimi fait davantage fonctiond'hpital gnral jusqu' la premire dcennie du XX e sicle. Mme queles surs augustines qui l'ont fond proviennent de l'Hpital-Gnral de

    Qu bec. L'Htel-Dieu Saint-Vallier sert plutt hberger q u' hospitaliser.1 Sur les origines de l'Htel-Dieu Saint-Vallier, voir Normand PERRON, Un sicle devie hospitalire au Q ubec. Les augustines et l Htel-Dieu Saint-Vallier. 1884-1984, Sillery,Presses de l'Universit du Qubec, 1984, xxiv, 439 p.

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    Aussi, ds l'obtention de l'entire proprit de l'institution, les augustinesplacent-elles en priorit, parmi leurs autres projets, la construction d'unorphelinat. Celui-ci voit d'ailleurs le jour en 1902-1903.Le milieu socio-conomique au dbut du XX e sicle

    Sur un plan temporel, l'implantation de la mdecine hospitalire l'Htel-Dieu Saint-Vallier correspond une poque de changementsmajeurs du milieu socio-conomique rgional et, en particulier, du milieuchicoutimien. La transformation de l'hpital des augustines s'inscrit peut-tre bien dans un courant de modernit.Les activits agricoles et les activits forestires lies la coupe et au

    sciage du bois ont domin essentiellement l'conomie rgionale jusqu' lafin du XIX e sicle. Ces activits agro-forestires contribuent l'talementde la population. En 1900, Chicoutimi, la seule municipalit qui a, depuis1878, un statut de ville, compte un peu m oins de 4 000 habitan ts.

    La dispersion de la population limite d'ailleurs la clientle de l'Htel-Dieu. Les utilisateurs peuvent venir de loin pour les cas d'hbergement long terme, mais ils ne se dplacent pas sur de longues distances pourrecevoir des soins Chicoutimi. La visite du mdecin domicile demeure,de loin, la formule prfre. Aussi, en rapport avec la transformation del'hpital, le milieu chicoutimien prsente, dans les premires dcennies duXX e sicle, plus d 'intrt que celui de la rgion.

    Aprs une clipse au profit de Roberval dans les annes 1880,Chicoutimi renat littralement la fin du XIX e sicle avec la fondation,en 1896, de la Compagnie de pulpe2. Pour la premire fois auSaguenay-Lac-Saint-Jean, une industrie amne une concentrationd'emplois au cur mme d'une municipalit. La Compagnie de pulpeaura, de plus, un effet d'entranement important sur d'autres industries dela ville. La population chicoutimienne crot rgulirement au cours decette priode pour atteindre, en 1930, 12000 habitants. Si l'on y ajoute lespopulations voisines de Sainte-Anne (Chicoutimi-Nord) et de Rivire-du-Moulin, c'est plus de 14 000 habitants que compte la rgion immdiate del'hpital.

    Les risques d'accidents du travail dans l'industrie de la pulpe et dubois, en gnral, sont nombreux. Les dirigeantes de l'hpital tablissent,surtout aprs 1910, un lien entre la prsence de la pulperie et la frquentation de leur institution. Si, par la difficult qu'il prsente, le transport d'un

    2 Sur la ville de Chicoutimi, voir Russel BOUCHARD et Normand PERRON,Chicoutimi: la formation de la mtropole rgionale, Socit historique du Saguenay, Cahiersde Saguenayensia, Histoire de Municipalits, n 4, 1988, 78 p.

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    bless d'un chantier l'hpital limine toutes fins utiles le recours auxsoins hospitaliers, il en va autrement dans le cas d'un accident survenu lapulperie, celle-ci tant situe moins de deux kilomtres de l'hpital.Nanmoins, la seule distance franchir n'explique pas la frquentation del'hpital par les accidents du travail, puisqu' la fin des annes 1920, leshomm es de chantier se rendront l'hpital.

    Outre l'activit industrielle, le secteur des services contribue au dveloppement de l'conomie et de la socit chicoutimienne. titre de villepiscopale, Chicoutimi continue d'attirer des communauts religieuses etelle accapare les principales maisons d'ducation de la rgion. Au sminaire, qui existe depuis 1873, s'ajoute, en 1907, l'cole normale dessoeurs du Bon-Pasteur, la premire et la seule de la rgion jusqu'en 1925.Par le biais de l'hpital, la ville possde aussi l'unique orphelinat pourfilles de la rgion. En 1910, l'cole des arts et manufactures voit le jour,grce aux maristes et l'Acadmie qu'ils avaient fonde en 1902. C'estaussi la ville des services financiers. La Banque canadienne nationale tablit une succursale en 1894. En 1911, la premire caisse populaire de largion ouvre ses portes Ch icoutimi, dans le quartier ouvrier du Bassin.

    Enfin, ce milieu socio-conomique en effervescence bnficie d'unrelatif isolement gographique. C'est un facteur positif quand il s'agit defondation et de dveloppement d'institution. Comparativement auxrgions proximit des grands centres urbains, le Saguenay doit se pourvoir d'institutions indispensables son dveloppement. Ces institutions enrgions isoles peuvent alors prosprer paralllement aux institutions desgrands centres.

    Le processus d'industrialisation et d'urbanisation cre des conditionspropices au dveloppement de la mdecine hospitalire Chicoutimi.Cette ville, par sa prosprit conomique et la distance qui la spare deQubec, prsente un terrain favorable l'closion de la mdecine hospitalire ds la dcennie 1900. Le seul milieu urbain et industriel ainsi que lagographie ne suffisent nanmoins pas expliquer la transformation del'hpital. Toutefois, chose certaine, les religieuses auront choisi de monterdans le train du progrs et de vivre l'esprit de comptition qui caractrisela socit chicoutimienne au tournant du X X e sicle.volution des perceptions de la sant et de la maladie

    Sur le plan de la sant, le dsir de dominer la maladie trouve, depuisles XVIIIe et XIX e sicles, des chos nombreux allant des dcouvertes desPasteur, Koch et autres jusqu'aux proccupations sanitaires dans laconstruction des aqu educs et des gouts. Dans le Qubec de la fin du XIX eet du dbut XX e sicle, un virage culturel important touche le milieu de la 78

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    sant (lois, campagnes d'hygine, scurit dans les manufactures, environnement). Il rsulte des interventions du pouvoir politique et du pouvoirmdical, mais aussi de la technologie, de la publicit et des perceptions l'gard de la sant et de la maladie.Tout au cours de l'histoire, le pouvoir politique a prn diverseslgislations sur la sant et le bien-tre. Certaines lois ont attaqu lesracines du mal. D'autres mesures politiques ont eu plutt comme but decorriger les effets du mal. La lgislation concernant l'ac cs aux soins hospitaliers s'inscrit videmment dans cette dernire perspective. Pour lapriode 1900-1930, les lois qubcoises sur les accidents du travail (1909et 1926) et sur l'assistance publique (1921) sont ici considres.Les lois sur les accidents du travail dfendent d'abord le droit desouvriers recevoir les soins pour les blessures subies en milieu de travail.Le peu de libralit sur le paiement des soins dispenss aux accidents dutravail limitent toutefois les dispositions de la loi de 1909. Les correctifsapports en 1926 faciliteront l'accs aux soins hospitaliers, la loi prvoyant les obligations financires de l'employeur l'gard d'un accidentdu travail. Si les augustines avaient remarqu, vers 1910, les effets del'activit industrielle sur la frquentation de l'hpital, rien de comparableavec la fin des annes 1920 o les victimes d'accident du travail monopo

    lisent une partie de l'hpital3. La direction de l'Htel-Dieu Saint-Vallierimpute d'ailleurs la fermeture de son orphelinat, en 1926, l'obligation derpondre la demande de soins. cette poque, beaucoup de travailleursblesss viennent des chantiers; la distance n'est apparemment plus unobstacle.Quant la loi de l'assistance publique, elle s'adresse d'abord aux utilisateurs. Les subventions accordes aux institutions le sont par le biaisd'un simple article4 de la loi. En facilitant l'accs l'hpital la clientle

    dmunie, la loi tend favoriser une utilisation plus large de l'institutionhospitalire en cas de maladie. L'esprit de la loi confirmerait la pratique desoigner l'hpital. Mais cette loi, c'est aussi la reconnaissance tacite quela sant, par l'accs aux soins, devient un droit pour tous.Dans une tude des perceptions de la sant et de la maladie, les manifestations du pouvoir mdical apparaissent parmi les plus riches de signification. Qu'il s'agisse de l'ensemble des mdecins plutt que des seuls3 N. PERRON, Un sicle de vie hospitalire [...], p. 95ss.4 L'article 17 de la Loi tablissant le service de l'assistance publique prvoit que Lelieutenant-gouverneur en conseil peut, nanm oins, sur recommandation du service de l'assistance publique, dans les cas d'urgence et de n cessit absolue, aider de la faon qu'il le juge propos le dveloppement des uvres d'assistance publique de la province. (Statuts deQubec, 11 George 5, 1921, chapitre 79).

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    mdecins d'hpitaux n'a ici gure d'incidence. Le pouvoir mdical modifie les perceptions de la sant et de la maladie, ce qui entranera des consquences sur l'hp ital.La fondation de la Socit mdicale des comts de Chicoutimi et duLac-Saint-Jean, en 1900, procure en quelque sorte aux mdecins un outilpour affirmer l'importance sociale, politique et mdicale de leur profession. En effet, au-del de l'intervention purement mdicale, les mdecinsse heurtent de fortes rticences sur le plan social5. Une fois leur importance reconnue, les mdecins croient qu'ils pourront sensibilise! plus facilement la population et l'tat aux problmes de sant. Aussi, la Socitmdicale se proccupe-t-elle de donner ses membres le prestige scientifique qui devrait leur assurer une emprise sur la population. Une aurole

    de secret doit entourer la pratique mdicale dans le but de renforcer lepouvoir du mdecin, particulirement en mdecine curative. Aux mdecins, il est recommand de ne pas divulguer des informations sur la naturede la maladie, sur le mdicament utilis et sur son contenu. Rduit saplus simple expression, ce comportement voque l'ascendant que doitconserver le magicien-sorcier. C'est la ligne de conduite suivre pourmettre fin au ddain dont sont l'objet le mdecin et la profession mdicale.Le corps mdical adopte toutefois une attitude diffrente en ce quiregarde l'aspect prventif de son intervention. Ainsi, les connaissances surl'hygine sont diffuses sans restrictions apparentes, comme si les mdecins voyaient dj suffisamment de rsistance culturelle l'acquisition debons principes d'hygine. Globalement, sur le plan de la sant prventive,la socit rgionale prsente certains comportements la fois retardataireset normaux, en regard des progrs mdicaux rcents. Les croyances et leshabitudes voluent lentement. Les dmls des mdecins avec la population au sujet du respect de la loi dans les cas de maladies pidmiques etde morts suspectes en sont des tmoins. Mm e des curs ngligent de res

    pecter la loi sur les certificats de dcs et n'encouragent nullement leursouailles s'y conformer. Il se pourrait que la honte et l'esprit d'indpendance aient t des facteurs de rsistance importants.Dans l'ensemble, les mdecins du Saguenay-Lac-Saint-Jean travaillent formellement, au cours des annes 1900-1930, obtenir la reconnaissance sociale et politique. A la veille de la Crise, l'objectif sembleatteint, mme si le corps mdical n'est pas parvenu liminer totalementdu cham p des soins les charlatans, les sages-femm es, les religieuses, etc .Les pouvoirs politiques et mdicaux manifestent des engagementsnouveaux l'gard de la sant une poque o diffrents progrs et inno-5 Normand PERRON, Pour la reconnaissance de la profession de mdecin, 1900-1930, Saguenayensia, 26 (juillet-septembre 1984), p. 86-89.

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    vations techniques font reculer les frontires de la nature. La pasteurisation, les dcouvertes de micro-organismes infectieux, les vaccins, donnentun sentiment de matrise sur la vie et la nature . La m ise au point de l'app areil radiologique en Allemagne, en 1895, permet d'aller au-del deslimites naturelles de l'observation et du diagnostic. Cet appareil captive ladirection de l'Htel-Dieu Saint-Vallier au point qu'elle songe acqurircet instrument de travail ds 1903. M me s'il n'est achet qu'en 1922,essentiellement pour des raisons financires, l'appareil radiologique symbolise la voie de l'avenir pour la direction de l'hpital.

    Les interventions chirurgicales n'ont rien de nouveau en soi, maiselles sont maintenant dfinitivement passes des mains des barbiers-chirurgiens et des apprentis-sorciers celles des mdecins. Au Saguenay,les mdecins de l'Htel-Dieu Saint-Vallier bnficient d'une premiresalle d'opration en 1905. Ce n'es t toutefois qu 'en 1913 que la pice malclaire, mal are et situe au soubassement de l'hpital fait place unesalle d'opration moderne. L'ouverture de la nouvelle salle d'oprationmarque un pas dcisif de l'engagement de l'hpital dans la voie de lamdecine hospitalire. Et pour faciliter l'accs aux soins en milieu hospitalier, l'Htel-Dieu Saint-Vallier avait inaugur, l'anne prcdente, unservice ambulancier.

    L'hpital, cet endroit si souvent identifi la mort, devient le lieu deprdilection de la science mdicale. Se rendre l'hpital signifie bienttaccrotre ses chances de gurison. Et avec ce nouvel hpital, un nouveaumdecin nat: le mdecin d'hpital. Celui-ci fera aussitt sentir sa prsence sur le milieu de travail en hpital: il a besoin de locaux, d'quipement,de personnel.

    Les progrs techniques et l'accessibilit ceux-ci contribuent modifier l'image que les individus et la socit se font de la ma ladie. La sciencea lentement raison des connaissances et des croyances populaires.L'affrontement entre la mdecine scientifique, d'une part, et la mdecinepopulaire et l'exploitation des croyances culturelles, d'autre part, donneralieu des rsultats spectaculaires sur les plans de la littrature publicitaireet de la littrature romanesque.

    Au Saguenay, la publicit envahit soudainement, vers 1900, le champde la sant et du bien-tre 6, comme si tout coup elle pouvait prvoir unecoute favorable aux messages vhiculs dans la presse locale {Le Progrsdu Saguenay). La publicit se permet tous les artifices. U tilisant le prestigede la recherche scientifique et recourant des techniques hardies, elle jouepleinement la corde culturelle dans ses campagnes vantant les vertus mdi-6 Normand PERRON, Sant, maladie et publicit au Saguenay, 1900-1910,Saguenayensia, 26 (juillet-septembre 1984), p. 102-109.

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    cinales des produits pharmaceutiques et autres comme la bire, le vin, lesspiritueux.C'est une publicit importante en quantit, allant de la carte d'affairesau publi-reportage. Elle devient abondante vers 1900 et sa diminution

    certaines priodes s'explique par les politiques du Progrs du Saguenay.La publicit occupe alors trop de place dans les pages du journal. De plus,la publicit sur les boissons alcoolises subit les contrecoups des campagnes antialcooliques.

    L'aspect qualitatif de cette publicit instruit davantage sur les changements en cours propos de la sant et de la maladie. Le point le plus intressant de cette publicit parat tre la tentative d'intgrer les valeursculturelles dominantes aux bienfaits des produits de la science moderne.Elle exploite la fragilit de l'enfan t, la sant dans la vieillesse, la crdib ilit des communauts religieuses, la peur de l'hpital, la croyance en l'au-del, la ngligence coupable et ses consquences sur l'me et le corps,pour vendre des produits miraculeux. Cette publicit met encore en reliefla dimension que l'hom me peut prvenir la maladie. Elle prsente aussi lamaladie comme une ralit pouvant tre autre que celle de la soumission la nature, que celle de la punition de Dieu. Elle souligne encore la possibilit d'intervenir non seulement sur la maladie, mais aussi de la prvenir.

    L'efficacit relle de toute cette publicit dem eure difficile valuer.La diversit des annonces publicitaires et la dure de certains produits(Baby's Own, Pilules rouges, vins et spiritueux) laissent toutefois croire une rponse acceptable.

    Ecrit en 1913, le roman Maria Chapdelaine de Louis Hmon corrobore cette offensive des valeurs culturelles sur la nature. Plus qu'unroman, ce rcit du Canada franais apparat l'histoire comme une vritable uvre ethnographique. Maria Chapdelaine, c'est aussi, en effet,l'histoire des perceptions de la sant et du traitement de la maladie. Icitransparat tout le jeu de la nature et des valeurs culturelles 7. La vie y estprsente en quelque sorte comme un phnomne cyclique, soumise laloi implacable de la nature. Elle est aussi prsente comme l'enjeu de deuxsystmes de valeurs qu'incarnent principalement les personnages de lamre Chapdelaine et sa fille Maria, donc les anciens et les jeunes.

    Les personnages de Maria Chapdelaine expriment, vrai dire, unepluralit de croyances. Les plus gs rationalisent leur impuissance devantla maladie et la mort par le biais des forces surnaturelles. Chez la jeunegnration, le rve de matriser la nature trouve un terrain de prdilection.

    7 Normand PERRON, Perception de la maladie et de la mort dans MariaChapdelaine, Saguenayensia, 27 (octobre-dcembre, 1985), p. 128-131. (Communicationprsente au congrs de l'Acfa s, 1985.) 82

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    Le cas de Lorenzo Surprenant est instructif cet gard. Ces jeunes trahissent un sentiment de rvolte contre la passivit, contre le destin.De mme, les passages concernant la mort de la mre Chapdelaine

    sont rvlateurs sur le mlange des rites anciens et des croyancesmodernes: rebouteur contre mdecin, connaissance populaire contreconnaissance scientifique. Les attitudes propos de la douleur rvlent descomportements modernes: les intervenants veulent l'liminer dans lamesure du possible. Les personnages de Maria Chapdelaine donnent auxpilules les vertus presque miraculeuses que vhicule la publicit. Lespilules d'Eutrope Gagnon ont quasiment les proprits multiples des populaires pilules rouges.Si le recours l'hpital demeure hors de question pour lesChapdelaine, c'est que la distance le rend pratiquement inaccessible. Lasocit dcrite dans Maria Chapdelaine n'e n p rsente pas moins un intrtmarqu pour les soins selon des m thodes m odernes.Proccupations sociales et conomiques, intrts pour les innovationstechniques, offensive des mdecins, produits pharmaceutiques, tout celaentrane des attitudes moins soumises envers la maladie et la mort et deschangements culturels importants dans les premires dcennies du XX e

    sicle. La qualit de la sant devient aussi une question de culture. Leseffets se feront sentir, entre autres sur le milieu hospitalier.Les augustines, les mdecins et l'tatface au dfi de la mdecine hospitalire

    Durant les annes 1900-1930, dans le cas de l'hpital de Chicoutimi,les intervenants se limitent essentiellement aux surs hospitalires, aucorps mdical et l'tat. Plus tard, aprs 1940, le groupe des utilisateursdeviendra, son tour, un intervenant remarqu, rclamant sans cesse plusde services. Mais c'est d'abord aux surs augustines et aux mdecins quele dfi du changement se pose dans les premires dcennies de mdecinehospitalire. Ce sont ces deux intervenants qui vont dcider, dans le quotidien, de la stagnation, de l'avance plus ou moins rapide de la mdecinehospitalire.Jusque vers 1910, les relations entre les augustines et le ou les mdecins autoriss pratiquer l'Htel-Dieu Saint-Vallier sont rduites leurplus simple expression. A cette poque, le mdecin, dit mdecin visiteur,se prsente l'hpital lorsque les augustines l'appellent pour traiter les casdifficiles. Les plaintes des mdecins s'expriment habituellement sousforme de souhaits. Mais aprs 1910, les changements amorcs en milieuhospitalier vont rapidement bouleverser l'administration de l'hpital. Pour

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    progresser, la gestion de l'hpital doit voluer: la bonne marche de lamdecine hospitalire en dpend. cette poque, le nom bre de malades et d'interventions chirurgicalesaugmente rgulirement. Vers 1900, l'Htel-Dieu Saint-Vallier accueille

    quelques dizaines de malades par anne. En 1930, plus de 1 500 maladessont hospitaliss, bon an, mal an. La Crise ne freinera que lgrement lacroissance. Mme chose en ce qui regarde les interventions chirurgicales:16 en 1910 comparativement plus de 1 000 vers 1930.Les mdecins de l'Htel-Dieu ne lsinent par sur leur formation professionnelle. Certains vont se spcialiser aux Etats-Unis et en France, cequi favorise l'application immdiate des dernires connaissances mdicales Chicoutimi. Une clientle croissante soigner signifie aussi pour

    les mdecins un rle accru en milieu hospitalier. D'ailleurs, les mdecinss'intgrent sans retard dans le processus de modernisation de l'hpital.En 1910, les mdecins dsirent nettement, pour la premire fois, participer la gestion de l'Htel-Dieu Saint-Vallier. Le sentiment que lemilieu hospitalier leur appartient les pousse s'y installer davantage.Dsireux d'obtenir la reconnaissance de leur statut dans la nouvelle institution hospitalire, ils dcident unilatralement de former un bureau mdical qui se composera des membres actuels et qui devra donner son

    assentiment pour l'admission des membres futurs. Ils pourront ainsi limiter la venue de nouveaux mdecins l'hpital. Ils se rservent aussi ledroit d'hospitaliser et de traiter les malades. Les augustines demanderontl'intervention de l'abb Eugne Lapointe qui reconnat la communautson indpendance, son droit de rgir son service m dical et celui de cho isirles mdecins. Lapointe n'en conseille pas moins aux religieuses deprendre avis des mdecins, un changement notable par rapport au pass.Avec la loi de l'assistance publique, l'tat devient, dans les annes

    1920, un nouvel intervenant dans le fonctionnement de l'hpital. Lesaugustines s'en accommodent: cette loi leur apparat presque comme unbienfait du ciel, mme si elles doivent attendre 1928 avant d'obtenirl'autorisation de demander des subventions gouvernementales. La rsistance est venue de l'vque du diocse, M r Michel-Thomas Labrecque.L'intervention gouvernementale par le biais de l'assistance publiquen'effraie pas trop les augustines. C'est toujours la gestion de l'hpital quiles proccupe: sur ce point, les lignes de conduite adoptes avec le gouver

    nement, avec les corps publics et avec les mdecins sont semblables.Ainsi, en 1918, lors de la fondation de l'Htel-Dieu de Roberval, lesaugustines ont dni tout droit d'intervention un comit de citoyens dsireux de participer la gestion administrative du nouvel hpital. En 1928,les sceurs montrent une attitude semblable, cette fois l'gard des mde- 84

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    cins de Chicoutimi. Elles refusent de reconnatre le comit de mdecinsqui souhaite intervenir dans l'administration du nouveau pavillon, celuique la comm unaut s'apprte construire avec l'aide de l'tat. Les mdecins de Chicoutimi prtextent l'exemple de l'hpital Notre-Dame Montral, o un comit de mdecins participe l'administration de l'institution. Mais voil: l'hpital N otre-Dam e n'e st pas la proprit d'une communaut religieuse. Par contre, les augustines accepteront que la demandede subvention se fasse au nom de la rgion plutt qu'au nom de la communaut, cette procdure n'altrant en rien leur emprise sur la gestion del'hpital.

    Dans les faits, malgr un refus catgorique de partager la gestionadministrative de leur institution, y compris le service mdical, l'hpitals'est engag pleinement dans la mdecine hospitalire, sans tropd'accrocs, puisque les augustines partagent officieusement avec les mdecins la gestion mdicale de l'hpital. Les frictions entre les religieuses etle corps mdical n'empcheront pas les mdecins de jouer un rle dterminant dans le dveloppement de la mdecine hospitalire et dans la transformation de l'hpital de Chicoutimi. Les mdecins d'hpitaux, l'instarde tous les mdecins, ont travaill pour la reconnaissance de leur profession. l'hpita l, ils seront bientt les seuls grer les soins aux m alades.

    Pour sa part, l'tat, par son aide financire, permet des possibilitsnouvelles aux hpitaux. Agissant sur le long terme, celui-ci vite les susceptibilits en laissant les institutions libres d'adhrer l'assistancepublique. Il se satisfait, dans les dbuts, d'une simple surveillance pourcelles qui bnficient de la loi.Les attitudes des augustines sur l'orientation de l'hpital montrentune volution constante cette poque. La direction opte pour l'hpitalqui soigne des m alades plutt que pour celui qui hberge diffrents infortuns. Dans les annes 1910 et 1920, les dcisions d'agrandir et de mieux

    quiper l'hpital confirment l'engagement des augustines dans le processus de la mdecine hospitalire.*

    L'ambiance socio-conomique chicoutimienne du dbut du XX esicle a t, certes, un atout favorable au dveloppement de l'Htel-DieuSaint-Vallier. Mais si la prosprit de la ville et l'isolem ent gog raph ique peuvent stimuler la croissance de l'hpital, ils n'expliquent pas sarorientation.

    Les perceptions nouvelles de la sant et de la maladie ont des consquences importantes l'gard des soins du corps. L'ide de la soumission 85

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    la maladie recule; celle de la sant perue comme un droit progresse.L'omniprsence de la maladie et de la mort est en dclin, les progrs techniques aidant. La consommation des soins augmente. Une des manifestations de ce changement culturel transparatra dans l'hpital. Les progrsscientifiques font de celui-ci le lieu idal de la science mdicale dans soncombat contre la maladie.

    La vision plus matrialiste de la sant, de la maladie et de la mortconduit au dclin de la conception cyclique de la vie pour laisser davantage place une conception linaire. l semble bien que le rptitif et la soumission la nature cdent le pas, une attitude nouvelle qui pourrait avoirplusieurs consquences, entre autres sur des activits conomiquesanciennes comm e l'agriculture.

    Enfin, la volont de changement pose aussi le problme du dfi auchangem ent. Dans le cas d'un hpital existant, la principale rsistance peutvenir du prop ritaire. Il y eut effectivement rsistance de la part de la communaut des augustines, mais une rsistance dirige sur la gestion administrative de l'hpital et non contre la progression scientifique del'institution. Cette rsistance a peut-tre retard quelque peu ie processusde la mdecine hospitalire, mais ne l'a jamais enray. Des comparaisonsavec des hpitaux d'autres rgions seraient clairantes. Elles permettraientde dterminer les particularits de l'exemple de Chicoutimi, mais surtoutde mieux connatre la priode o prend racine l'hpital moderne auQubec, dont les origines remontent bien avant la Rvolution tranquille.

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