paulme - recuerdos de mauss

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Paulme - Recuerdos de Mauss

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  • 7/21/2019 Paulme - Recuerdos de Mauss

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    Article

    Denise PaulmeSociologie et socits, vol. 36, n 2, 2004, p. 131-134.

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    DOI: 10.7202/011051ar

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    Un matre incomparable / An Incomparable Master

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    J e voudrais dabord remercier Marcel Fournier de nous avoir donn loccasion deraviver le souvenir dun homme qui fut, cest le moins quon puisse dire, je crois,exceptionnel. On ma demand dvoquer quelques souvenirs car je suis sans doute

    lun des rares survivants avoir approch lhomme. Mais pour cela, je dois vous parler

    un peu de moi et je vous prierais de men excuser.Aprs le bachot, je mtais inscrite en licence la facult de droit, non par un amour

    immodr de la chicane mais pour une raison trs simple, ctait la seule discipline

    lpoque o lon put se prsenter aux examens sans avoir jamais assist un seul cours

    magistral. Or, il se trouvait que je devais par ailleurs travailler et donc que je ne pouvais

    pas assister aux cours. Je travaillais car, non que je fusse dans lobligation de le faire,

    denise paulme

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    Un matre incomparable1

    1. Confrence prononce au colloque sur Lhritage de Marcel Mauss, Maison des sciences de lHomme,

    Paris,16 mai 1997. Denise Paulme (1909-1998) a dabord fait des tudes de droit puis dethnologie sous ladirection de Marcel Mauss et de Paul Rivet.Charge du dpartement dAfrique noire au Muse de lHommede 1937 1961, puis directrice dtudes lcole pratique des hautes tudes,elle a effectu en Afrique de nom-breuses missions,notamment chez les Dogons au Mali,en Guine et en Cte-dIvoire.Elle est lauteure de plu-sieurs ouvrages,dont La Mre dvorante, essai sur la morphologie des contes africains (Paris, Gallimard, 1976).On lui doit la publication des notes des cours de Marcel Mauss lInstitut dethnologie de lUniversit deParis (Marcel Mauss,Manuel dethnographie, Paris, Payot, 1947, deuxime dition, 1967).

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    mais mon pre avait tenu me donner un moyen de gagner ma vie, donc mon

    indpendance. Et, pendant deux ans, je travaillais comme secrtaire, cest--dire

    stnodactylo, je tapais des factures et des lettres commerciales longueur de journe

    auprs dun personnel qui, en fait, fut ma premire exprience ethnographique, car centait pas le milieu auquel javais t habitue jusque-l. Cela dura deux ans qui furent,

    je dois dire, assez pnibles. Et puis la chance intervint pour moi, sous la forme dune

    grave dpression conomique qui amena beaucoup dentreprises licencier une par-

    tie de leur personnel et je fis partie dune charrette. Ce ntait pas trs grave en ce sens

    que je vivais toujours chez mes parents, je leur expliquai quune licence, car javais

    quand mme pass les deux premiers examens, les deux premires annes, me donne-

    rait un atout supplmentaire, si je me trouvais par la suite oblige de gagner ma vie. Ils

    lacceptrent facilement, et je trouvai donc une libert que je navais en somme encore

    jamais connue. Je flnais beaucoup dans les boutiques de libraires du quartier latin,

    mais je frquentais quand mme un peu la bibliothque de la facult de droit et cest

    dans les couloirs de la facult quun jour je tombai sur une affiche de lInstitut deth-

    nologie qui tait alors log par lInstitut de gographie rue Saint-Jacques, avant quil se

    transporta, en 1937, au Muse de lhomme, le nouveau Muse de lhomme, et laffiche

    annonait un cours de droit primitif, donn par un professeur dont le nom ne me

    disait absolument rien. Or, les seules matires qui mavaient un peu retenues jusque-l,

    dans lenseignement que javais tout de mme suivi, ctaient le droit romain, je pense

    pour llgance des formules, et lhistoire du droit, o lon parlait un peu des diff-rentes formes de la famille et des droits de succession dans lancien rgime. Je rsolus

    donc daller voir, ce qutait le droit primitif, et cest ainsi que je me retrouvai un soir

    coutant le premier cours de Mauss, lInstitut de gographie. Rien ne mavait prpa-

    re ce que jallais entendre, et je sortis compltement transporte, enfin, je marchais

    dans les nuages. Rien, en effet,ne ressemblait moins un cours magistral que ce que je

    venais dentendre. Jy retournai, bien sr, lenchantement dura, et je minscrivis sans tar-

    der lcole pratique des hautes tudes o Mauss alors tait chez lui, puisquil y avait,

    Jean-Pierre Vernant le rappelait hier, la chaire des religions des peuples non civiliss, et

    l, Mauss donnait son cours dans une petite salle, sans estrade, o tout le monde sas-

    seyait autour dune grande table. Il tenait beaucoup cette disposition et lorsquil fut

    nomm, quelques mois plus tard, au Collge de France, il exigea tout dabord une salle

    semblable. Il ne put la garder du fait de laffluence du public, mais je pense que le trait

    est assez caractristique de lhomme. Je reviens lInstitut de gographie, o Mauss,

    donc, donnait son cours en arpentant lestrade, de long en large, sans presque jamais

    regarder ses notes. Beaucoup plus quun cours magistral, on avait le sentiment dassis-

    ter une sorte de monologue interminable nest-ce pas, sans dbut ni fin, o lon tait

    convi dailleurs participer, et o lon passait chaque instant et sans effort des AruntadAustralie ou de Carl Strehlow (un missionnaire allemand qui vivait en Australie) la

    Bible, Mauss y faisait de frquentes allusions, aux Esquimaux ou bien lInde

    brahmanique de son matre Sylvain Lvi. Tout cela entreml de coq lne, dallusions

    des souvenirs personnels ou des rminiscences littraires. Ctait vraiment tout fait

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    passionnant. En ce qui concerne les rminiscences littraires, je me rappelle notam-

    ment un cours tout en entier, a ctait aux hautes tudes, consacr un passage du

    roman de Tolsto,Anna Karenine, o un personnage un peu secondaire, Lvine, va faire

    les foins avec ses moujiks. Cela dura toute une heure et, mon Dieu, personne ne son-gea sen plaindre. Les souvenirs personnels aussi taient trs frquents, quand, par

    exemple, parlant du code civil, Mauss racontait : Le Code Napolon voudrait que

    jhrite du corset de ma grand-mre, mais quen ferais-je ? Ceci pour indiquer vi-

    demment lexistence ventuelle dun droit fminin par opposition au droit masculin.

    Ces souvenirs personnels, il les tenait surtout, il les puisait surtout dans la guerre de 14-18

    ou dans un voyage au Maroc de quinze jours, qui tait certainement sa seule exp-

    rience de terrain ethnographique. La guerre de 14-18, il lavait faite en partie comme

    interprte auprs dun tat-major anglais et cela avait t rellement une exprience eth-

    nographique. Ainsi, nous narrait-il, propos des techniques du corps, comment un

    incident tait survenu lorsque des soldats anglais avaient t invits creuser des tran-

    ches, et pour cela ils avaient reus des bches, mais les bches taient franaises. Or,

    parat-il, la technique pour bcher nest pas la mme chez les Anglais et chez les

    Franais. Je livre cette remarque vos mditations. Ou, lorsquil tait question, donc trs

    souvent, du voyage de quinze jours au Maroc, qui avait t videmment une grande

    exprience,Mauss signalait, toujours propos des techniques du corps, laventure dun

    explorateur occidental, je ne sais sil tait allemand, nerlandais ou sudois, qui avait

    voulu faire le plerinage la Mecque, qui donc avait endoss le costume musulman,mais qui avait t surpris en train duriner. Or, les Arabes, on le sait, pour cela, sac-

    croupissent. Donc lhomme avait t dnonc par ce fait et immdiatement lapid.

    Physiquement, Mauss tait de taille moyenne, peu prs, avec un type smite trs

    prononc, un systme pileux abondant, il avait des poils qui lui sortaient des narines et

    des oreilles, et il tait trs fier de rappeler : Je suis le portrait vivant de lempereur

    Hail Slassi. a, il en tirait une vritable satisfaction. Dans sa mise, il tait assez

    recherch, assez soign avec une forte anglomanie. Il se vantait davoir t lun des pre-

    miers clients dun magasin anglais sur les Boulevards. Il portait souvent, en hiver, un

    pardessus je crois quon appelait un macfarlane, une plerine sur les paules

    comme on voit encore sur des dessins ou des caricatures de cochers de fiacres davant

    la guerre de 14-18. Et je pense quil aura sans doute t lun des derniers porter un tel

    vtement. Pour lui, ctait assez caractristique. Jai le souvenir aussi dune robe de

    chambre cossaise absolument rutilante. Il recevait ses tudiants le samedi matin, dans

    le petit appartement de la rue Bruller (qui a prcd celui du boulevard Jourdan).

    Ctait un petit appartement qui me faisait toujours penser une sorte de lanterne de

    phare, car il tait situ au dernier tage dun immeuble qui donnait sur le chemin de fer

    de Sceaux, avec un grand espace dcouvert. Lappartement tait trs lumineux, trsclair.Et jai le souvenir dy avoir retrouv un jour Michel Leiris, que Mauss avait convo-

    qu pour le gronder, trs paternellement dailleurs, propos de LAfrique fantme

    (Leiris,1934) qui venait de sortir et o Leiris rapportait de manire assez agressive, le

    rcit dun dner auquel la mission daffaires Djibouti avait t convie par ladminis-

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    trateur de lendroit et Mauss redoutait quun tel texte, lu dans les milieux coloniaux,

    rende, par la suite, plus difficile la prsence de missions ethnographiques sur le terrain.

    Je pense que Mauss se trompait car je dois dire que LAfrique fantme, lorsque le livre

    sorti, neut aucun succs; il ne dpassa gure le cercle trs limit des lecteurs de la nrf.Le grand succs de LAfrique fantme est venu beaucoup beaucoup plus tard.

    Enfin, un dernier souvenir, cest celui que je garde dun jour de 45-46, je pense, o

    je lui portai un premier exemplaire de sonManuel dethnographie (Mauss,1947), que

    javais rdig partir des notes que javais prises en strotypie de son cours. Je dois dire

    que javais eu beaucoup de mal tablir la bibliographie parce que gnralement les

    rfrences taient inexactes, je veux dire que lanne ntait pas la bonne, que la page,

    lorsquil tenait la voir cite, gnralement tait fausse, ou bien ctait dun autre livre

    du mme auteur, enfin, peu importe. Alors Mauss, lorsque je lui remis le livre, le prit,

    et puis il tapa du poing sur la table en disant: Au moins, a existe. Et je pense que je

    navais jamais rv une plus belle rcompense.

    Voil peu prs ce que je peux dire de Marcel Mauss. Il fut un matre incomparable.

    bibliographie

    Leiris, Michel (1934), LAfrique fantme, Paris, Gallimard.

    Marcel, Mauss (1947),Manuel dethnographie, Paris, Payot, deuxime dition,1967.

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