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Page 1: Parties Prenantes Et RSE

PARTIES PRENANTES ET RSE : DES ENJEUX SOCIOPOLITIQUESAU-DELÀ DES CONTRATS Didier Cazal ESKA | Revue de l'organisation responsable 2008/1 - Vol. 3pages 12 à 23

ISSN 1951-0187

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-de-l-organisation-responsable-2008-1-page-12.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Cazal Didier , « Parties prenantes et RSE : des enjeux sociopolitiques au-delà des contrats » ,

Revue de l'organisation responsable, 2008/1 Vol. 3, p. 12-23. DOI : 10.3917/ror.031.0012

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Distribution électronique Cairn.info pour ESKA.

© ESKA. Tous droits réservés pour tous pays.

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RÉSUMÉQuelles représentations, implicites ou explicites, de l’entreprise et de la société, la RSE véhicule-t-elle ?Investie de lourds enjeux, la RSE invite en particulier à repenser les conceptions de l’entreprise et de saplace dans la société. Ces questions sont examinées à travers la théorie des parties prenantes, qui joueun rôle central pour la recherche sur la RSE et auxquelles les pratiques renvoient largement. Elle consti-tue à nos yeux un bon révélateur des écueils potentiels de la RSE car elle ne propose en définitive qu’unevision économique assez classique et libérale de l’entreprise et de ses relations avec la société. Nous sou-lignons en particulier le poids de l’approche contractualiste qui limite singulièrement les renouvellementsque l’on peut attendre de la RSE. Il existe donc un important décalage à combler entre les enjeux socio-politiques de la RSE et les fondements théoriques disponibles pour la recherche.

Mots-clés : responsabilité sociétale de l’entreprise, théorie des parties prenantes, théories contrac-tualistes de la firme, enjeux sociopolitiques

ABSTRACTWhich representations of society and the firm, does CSR convey ? CSR has major stakes and it particu-larly invites to rethink the conception of the firm and its place and role in society. I deal with these issuesby examining stakeholder theory, which plays a prominent role in CSR research and which practices lar-gely refer to. In my view, it clearly reflects possible shortcomings of CSR, because eventually stakeholdertheory only offers a rather classical economic and free market-driven view of the firm and its relations tosociety. The paper pinpoints the weight of the contractual approach, which greatly impedes the renewalsexpected from CSR. There is a wide gap to be filled between CSR sociopolitical stakes and the availabletheoretical foundations for research.

Key wordsCorporate social responsibility, stakeholder theory, contractual theories of the firm, sociopolitical stakes.

PARTIES PRENANTES ET RSE :DES ENJEUX SOCIOPOLITIQUES

AU-DELÀ DES CONTRATSDIDIER CAZAL, PROFESSEUR A L’IAE DE LILLELEM – UMR CNRS 8179E-mail : [email protected]

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INTRODUCTION

La RSE comporte une invitation à repenserl’entreprise, ce qui constitue l’une des hypothèsesdirectrices de ce papier. Elle traite non seulement del’entreprise mais aussi de ses relations avec la société: quelle conception de la société émerge alors de laRSE ? Alors que les enjeux sociopolitiques de la RSEappellent des traitements différenciés et suscitent delarges débats, la recherche, par les cadres théoriquesqu’elle construit, en particulier la théorie des partiesprenantes, n’offre qu’une vision assez largementdominante, la vision contractualiste, fortementenracinée dans une perspective libérale, voirenéolibérale. Si l’on considère que la recherche doitaussi alimenter les débats publics sur la RSE, il paraîtdommageable pour ces débats qu’elle confortemajoritairement la seule approche libérale, audétriment d’autres conceptions. Que la définition dela RSE donnée par l’Union européenne dans son livrevert se rallie à cette vision économique libéralen’indique que l’une des options possibles de la RSE,certes répandue, mais non une conséquencenécessaire. Le développement d’approchesalternatives dans la recherche sur la RSE relève à nosyeux d’un intérêt non seulement scientifique maiségalement sociétal.La première partie du papier vise à mieux cerner cer-tains enjeux sociopolitiques de la RSE et en proposequelques formulations. Nous soulignons alors l’in-térêt de poser ces questions sous l’angle plus restreintdes parties prenantes et de la littérature académiquequi en traite : un consensus assez large autorise à voirdans la théorie des parties prenantes l’un des fonde-ments théoriques les plus développés pour larecherche sur la RSE. La deuxième partie analyse lesarguments contractualistes puisés par Freeman, fon-dateur de cette théorie, dans la théorie de la justice deRawls et fait ressortir les limites de cet ancragephilosophique. La troisième partie examine quelquesquestions embarrassantes pour la RSE, telles qu’ellesressortent de l’analyse de la théorie des partiesprenantes : s’agit-il de reconduire la vision d’unesociété faite d’individus libres, égaux, responsables etégoïstement intéressés, conjointement à la vision del’entreprise proposée par les théories économiquesdes coûts de transactions ou de l’agence ? Cesapproches contractualistes jouissent dans le champ dela théorie des parties prenantes d’un privilège éton-nant ; nous soulignons alors leurs limites et implica-tions pour la recherche sur la RSE et la nécessitéd’autres cadres d’analyse si l’on considère la RSEcomme l’opportunité de renouveler les conceptionsde l’entreprise et sa place dans la société et d’en fairel’objet d’un débat public large et ouvert.

DES ENJEUX DE LA RSE A LA THEORIE DESPARTIES PRENANTES

Autour de la RSE se nouent des enjeux multiples.Comment les définir, sans céder à la synthèse facileou au syncrétisme consensuel ? L’exercice nous paraîtpossible, même si ces enjeux peuvent eux-mêmes êtrediversement interprétés : tout débat, scientifique oupublic, nécessite un minimum d’accord sur les ques-tions à traiter. La RSE ouvre nombre de perspectiveset d’opportunités : de quoi la RSE offre-t-elle l’occa-sion de débattre ? Nous faisons l’hypothèse qu’il s’agitdes conceptions conjointes de l’entreprise et de lasociété.Après avoir formulé certains de ces enjeux, nousmontrons pourquoi et en quoi la théorie des partiesprenantes constitue un révélateur pertinent de cesenjeux.

Des enjeux multiples et imbriqués

Quel que soit son contenu en tant que notion, la RSEn’en a pas moins des effets pratiques : développementde nouvelles pratiques de gestion et de nouveauxmarchés, émergence de nouveaux acteurs dans lesdébats sociopolitiques nationaux et internationaux...Quatre enjeux nous paraissent centraux. Ils sont pré-sentés sous forme de propositions, sur lesquels uncertain accord existe. Nous laisserons de côté lesquestions liées à la performance ainsi que celles liéesà l’opérationnalisation (opérateurs, procédures,normes et labels…).

Le rôle de l’entreprise dans la société estnon seulement économique mais aussisocial, politiqueLa RSE traite de la place de l’entreprise dans lasociété, de sa contribution à la vie en société et pasuniquement dans sa dimension économique. La RSEpermet d’aborder tout ce qui excède le rôle de l’en-treprise comme simple agent économique : elle offreune opportunité de sortir d’une vision étroitementéconomique de l’entreprise, comme l’ont bien perçuses opposants libéraux, de Friedmann jusqu’à Jensen.La question du profit comme finalité ultime voireunique de l’entreprise se pose alors.Pour Evan et Freeman (1983/1993 : 255), renouvelerla conception de la firme implique de poser la ques-tion suivante: «For whose benefit and at whoseexpense should the firm be managed ». Il est dès lorsclair que la question des finalités de l’entreprise, per-tinente pour les économistes ou les gestionnaires,comporte également des implications sociopolitiques :la notion de profit l’implique, car elle implique un

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destinataire (traditionnellement actionnaire), ce quisoulève alors des questions de gouvernance.Il est sans doute symptomatique que l’essor desthèmes comme la RSE ou la gouvernance tient large-ment à des scandales et abus divers (financiers,sociaux, environnementaux)… Ce sont les limites oudérives pratiques d’un système économique et poli-tique qui ont conduit à remettre en cause les concep-tions économiques standards.

La RSE confère de la légitimité et favorisele débat autour de l’entreprise en sociétéDe plus en plus d’acteurs hors de l’entreprise invo-quent la RSE : gouvernements, organisations interna-tionales et non gouvernementales, groupes de pres-sion… La RSE cristallise ainsi nombre d’enjeux, quelsque soient le bien-fondé (pertinence) et les fonde-ments (sociopolitiques) de la notion, ce qui confortesa légitimité… En ce sens, la RSE contribue à lastructuration et à l’animation de la société civile etfavorise une certaine diversification des acteurs sur lascène sociopolitique. La RSE devient le support de lalégitimité nouvelle ou grandissante de divers groupes(depuis les syndicats historiques jusqu’aux groupes dedéfense de l’environnement, de minorités …), ce quirenforce d’une certaine manière la légitimité de lanotion. L’entreprise n’échappe pas non plus à cettequête de légitimité, même si celle-ci ne lui est pasvitale ni centrale, comme à ces groupes qui lui doiventleur existence ou leur essor.

La RSE pose des questions de représenta-tion politique et cognitiveLa RSE pose également des questions relatives à lagouvernance des entreprises et à la régulation desmarchés voire de la société. Si l’importance de cesprocessus est claire, la question des acteurs et institu-tions impliqués reste ouverte. De même, on peut s’in-terroger sur l’intervention d’organisations autres queles entreprises dans la régulation des marchés (desproduits et services, du travail, voire des marchésfinanciers) : dans ces interactions entre entreprises etsociété autour de la RSE, qui doit représenter lasociété face aux entreprises ?Au-delà du jeu de mots, la question de la représenta-tion est doublement politique : quels porte-paroledans les débats, quelles conceptions de l’entreprise etde la société autour de la RSE ? S’il y a débat, commeon peut le souhaiter dans une société démocratique,comment l’organiser, comment et par qui l’arbitrer ?

La RSE favorise le débat et donc la citoyen-neté de et dans l’entrepriseDe par sa dimension sociale ou sociétale explicite, laRSE apparaît investie d’importants enjeux politiques

pour la société civile. Ils ressortent de manière éclai-rante dans certaines problématiques : citoyenneté del’entreprise et dans l’entreprise, démocratie dans l’en-treprise et participation de l’entreprise à la démocra-tie dans la société. Ces questions ne sont pas nou-velles : elles hantent les sociétés industrielles, aumoins depuis les années cinquante, sous des formesvariables (management participatif, démocratie indus-trielle, autogestion, expression des salariés…). Ce quiest nouveau, c’est la médiatisation dont elles fontl’objet comme la diversité des acteurs impliqués. Lesquestions relatives à la mise en œuvre de la RSE met-tent bien en avant cette dimension politique : entrelaisser-faire et volontarisme, auto-régulation secto-rielle, professionnelle ou d’entreprise, et intervention-nisme gouvernemental ou supra-gouvernemental, onretrouve les débats anciens sur la régulation dusystème économique, le libéralisme, l’encadrement dumarché et la fonction économique de l’Etat.L’entreprise devient ainsi un champ politique, auniveau de ses pratiques internes et un acteur politiquedans ses relations avec son environnement. SelonCapron et Quairel-Lanoizelée (2004 : 46), de nou-veaux types de partenariats se mettent en place, qu’onpeut analyser comme « une nouvelle forme de régula-tion de l’action publique en même temps qu’uneforme de régénération des contenus de légitimationdu capitalisme ».On peut alors se demander dans quelle mesure larecherche sur la RSE intègre ces enjeux et contribueà renouveler la conception de l’entreprise, de sa placedans la société et de ses relations avec différentsacteurs. Apporter des éléments de réponse à cettequestion ne va pas sans difficultés. L’une d’entre ellestient à la multiplicité des usages savants de la notionde RSE, qui redouble celle des usages civils. La litté-rature est marquée par un certain éparpillement, dontil serait artificiel de faire ressortir des tendanceslourdes.Nous avons pris le parti d’examiner cette question àtravers la théorie des parties prenantes (stakeholdertheory). Celle-ci soulève en effet nombre de questionsimportantes pour notre propos qui se limitera à l’exa-men de ses dimensions sociopolitiques1.

La théorie des parties prenantes commerévélateur politique

Comme le soulignent Capron et Quairel-Lanoizelée(2004 : 97), « le concept de parties prenantes estomniprésent dans toute la littérature sur la responsa-bilité sociétale des entreprises », ce qui constitue unpremier élément de justification de notre projet.On pourrait sommairement résumer la RSE par deux

1. pour une présentation détaillée, nous pouvons renvoyer à Cazal (2005) ; pour un examen critique, à Cazal, Dietrich (2005) ; denombreux éléments de discussion ont été récemment apportés dans Bonnafous-Boucher et Pesqueux (2006), dans lequel Mercierpropose une revue de littérature détaillée.

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questions centrales : de quoi l’entreprise est-elle res-ponsable et devant qui ? C’est de la seconde que traite,dans le champ académique la théorie des parties pre-nantes. Celle-ci constitue un ensemble d’élaborationsthéoriques et conceptuelles assez homogènes, qui ali-mente un corpus de littérature conséquent dans lemonde anglophone au moins : en 1995, après unedizaine d’années de développements, Donaldson etPreston (1995 : 65) évaluaient déjà le volume de publi-cations à une douzaine d’ouvrages et plus d’une cen-taine d’articles ; ces nombres ont au moins doublédepuis2.Un consensus assez large règne pour considérer lathéorie des parties prenantes comme un fondementrelativement solide pour la recherche sur la RSE, lesrelations entreprise-société (Business and society) ou l’é-thique des affaires. Elle est également invoquée dansles débats sur la gouvernance d’entreprise (en parti-culier à l’encontre de la perspective purement action-nariale) et à propos des relations entre stratégie d’en-treprise et développement durable.Comme tout domaine de recherche en développe-ment, cette théorie connaît encore des controverses.Elles ont néanmoins des allures de querelles intestinescar elles s’inscrivent sur un fond de consensus autourd’un ensemble de questions et de manières de les trai-ter. En attestent notamment :- sur un plan institutionnel, l’avènement d’auteurscanoniques avec un auteur fondateur, Freeman, deréférences incontournables, de manifestations scienti-fiques et l’essor continu de publications, manuelscompris ;- sur un plan cognitif, la définition et la hiérarchisa-tion des parties prenantes et la caractérisation de leursrelations à l’entreprise, la partition du champ en troisvolets (descriptif : état des relations réelles des entre-prises avec leurs parties prenantes ; instrumental :effets des modes de prise en compte des parties pre-nantes sur la performance de l’entreprise ; normatif :prescription de modèles de management)…Une sorte de noyau dur s’est ainsi progressivementmis en place. Les voix discordantes sont ainsi restéesrelativement rares ou sans échos. C’est assez récem-ment que des perspectives alternatives ont réellementcommencé à émerger, souvent chez des chercheurseuropéens ou australiens, avec des cadres théoriquesempruntant au néo-institutionnalisme en économie(Mellahi & Wood, 2003) ou en théorie des organisa-tions (O’Connell & al., 2005), à la théorie critique(Jones & Fleming, 2003 ; Reed, 1999) au postmoder-nisme (Calton & Kurland, 1995), à la socio-économie(Turnbull, 1994), ou à l’analyse des réseaux (Rowley,1997) ; plus largement, dans la recherche sur la RSE,d’autres cadres théoriques commencent à être mobi-lisés, ainsi les postcolonial studies (Banerjee, 2000), lanarratologie (Igalens, 2006, d’Almeida, 2006), le sense-making (Basu, Palazzo, 2008), la sociologie des mou-

vements sociaux (Gendron), la philosophie deHabermas (Scherer, Palazzo, 2007).Loin de constituer le seul cadre théorique possible, lathéorie des parties prenantes est en tout cas largementprédominante et reste la seule à présenter des déve-loppements conséquents et cohérents. Par ailleurs, au-delà des débats académiques, la notion de parties pre-nantes suscite une vaste résonance publique commeen atteste l’usage grandissant de la notion.Cet usage implique une conception plus ou moinsexplicite de l’entreprise et de sa place dans la vie de lasociété. Nous ne prétendons pas que l’usage public dela notion entraîne nécessairement l’adhésion aux pré-supposés des élaborations savantes. Il nous paraîtnéanmoins utile de poser la question : à quoi peutconduire l’usage, même naïf et innocent, d’unenotion lourdement investie de sens dans les cerclesacadémiques ?Aussi abstraite que paraisse la théorie des parties pre-nantes, la notion n’est pas sans implications pratiques.Capron et Quairel-Lanoizelée relèvent ainsi : « les par-ties prenantes servent de base aux domaines d’évalua-tion de la performance sociétale et constituent lespublics cibles de la diffusion d’informations socié-tales. Les divers référentiels de management de laRSE sont fondés sur la théorie des parties prenantes» (2004 : 100).Sur quoi repose cette théorie ? Quels en sont les fon-dements ou présupposés politiques ? Dans quellemesure prend-elle en compte les enjeux sociopoli-tiques évoqués, et propose-t-elle des voies de renou-vellement des conceptions de l’entreprise et de sonintégration dans la société ? C’est l’objet de notreseconde partie.

DE LA JUSTICE SOCIALE A L’EQUITE DESCONTRATS DANS LA THEORIE DES PAR-TIES PRENANTES

Dans cette deuxième partie, nous examinons toutd’abord la construction de Freeman. Pour sa théori-sation des parties prenantes, il articule la visioncontractuelle de l’entreprise de Williamson et certainséléments tirés de la théorie de la justice de Rawls(1987, 1988, 1991). Nous soulignons d’abord les abusdes emprunts à Rawls, notamment dans leurs impli-cations pour la théorie des parties prenantes et pourla recherche sur la RSE. Certaines limites liées à desemprunts plus justifiés nous paraissent égalementproblématiques, que nous exposons ensuite.

Des emprunts problématiques à la philoso-phie politique de Rawls

A défaut d’être l’inventeur de la notion de parties pre-

2. ce que confirme la consultation de bases de données bibliographiques.

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nantes, Freeman est au moins l’auteur qui aura le pluset le premier contribué à sa diffusion académique et àsa systématisation. Plutôt que par la voie empirique, ilapprofondit cette notion de manière théorique, pui-sant dans des corpus économiques et philosophiques.Une première justification du concept réside dansl’opposition à la conception actionnariale, selonlaquelle l’entreprise doit être gérée au seul profit desactionnaires. Le terme de stakeholder (partie prenante)aurait ainsi selon Freeman (1999 : 234) été forgé pardérivation de shareholder (actionnaire) : « an obviousliterary device meant to call into question the empha-sis on ‘stockholders’ ». Le terme ainsi construit, « theconcept of stakeholder is a generalization of thenotion of stockholders » (Evan & Freeman, 1993 :259).Freeman adopte la conception de la firme commenœud de contrats défendue par Williamson. Celle-ci,très largement reprise par la plupart des auteurs, peutêtre considérée comme un élément du noyau dur dela théorie des parties prenantes. Néanmoins, commele signalent Child et Marcoux (1999 : 208),Williamson envisage essentiellement des contratsbilatéraux volontaires : une entreprise peut déciderd’intégrer à son conseil d’administration un représen-tant des consommateurs, tout comme ce dernier peutdécider d’y siéger. Ce caractère volontariste descontrats est embarrassant car la théorie des partiesprenantes considère la participation au conseil d’ad-ministration de parties prenantes variées, en sus desactionnaires, comme relevant d’obligations morales.Ces obligations constituent une prémisse fondamen-tale de la théorie des parties prenantes.Freeman s’attaque alors à la difficulté suivante : com-ment justifier le caractère impératif des contratsmulti-latéraux entre l’entreprise et ses parties pre-nantes ? Pour cela, il utilise la théorie de la justice deRawls (1987, 1988, 1991) : ce dernier prolonge etmodernise la théorie classique du contrat social(Locke, Rousseau, Kant, Hobbes), afin d’établir lesprincipes fondateurs d’une société juste, sans présu-mer des valeurs morales des individus la constituant.Rawls a profondément renouvelé la philosophie poli-tique du vingtième siècle, en s’opposant à l’utilita-risme prédominant dans les questions de justicesociale et de traitement des inégalités, pour fonder unégalitarisme libéral, respectueux des valeurs indivi-duelles.Le recours à des arguments de Rawls confère une cer-taine légitimité à la construction de Freeman, mais,au-delà de l’argument d’autorité, quelle est la perti-nence de cette transposition aux problèmes quecherche à résoudre ce dernier. Celle-ci soulève ainsiune série de problèmes : le recours à Rawls paraît àcertains égards fallacieux, abusif ou forcé. Child etMarcoux (1999) soulignent certains de ces abus quantà la justification de la théorie des parties prenantes par

la théorie de la justice de Rawls. Cinq aspects de cettetransposition nous paraissent problématiques.- Peut-on appliquer à l’entreprise une constructionélaborée, comme celle de Rawls, au niveau de lasociété dans son ensemble ? La transposer telle quelleà l’entreprise qui n’est qu’une composante bien parti-culière de la société est un peu tendancieux : peut-ondire de l’entreprise ce qu’on peut dire de la société etest-elle dotée des mêmes institutions ? Rawlsconsidère de plus des sociétés fermées, excluant toutedéfection : les sociétaires n’ont d’autre choix que des’entendre, alors que les parties prenantes peuventopter pour le conflit ou la défection, plutôt que laloyauté, selon les termes de Hirschmann.- Chez Rawls, le « voile d’ignorance » permet aux indi-vidus délibérant sur les institutions fondatrices de lasociété (principes de base) de faire un choix équitablecar ils ignorent quelle position leur sera dévolue dansla société : disposant seulement d’un minimum d’élé-ments fondamentaux relatifs à la société, ils peuventdébattre de manière impartiale et rationnelle.Freeman cherche à justifier les contrats multilatérauxéquitables avec les parties prenantes, qui deviennentalors des obligations morales rationnelles et non plusde simples possibilités offertes au volontariat. L’écartest grand entre la fondation d’une société juste et lajustification d’une obligation morale relative à un dis-positif de management : le voile d’ignorance trans-posé par Freeman vise seulement à déterminer descritères pour établir des contrats équitables avec lesparties prenantes.- Le dispositif du voile d’ignorance a une ambitionbien plus limitée chez Freeman, mais il nécessite de lapart des parties prenantes un niveau de connaissancebeaucoup plus important que chez Rawls, sur l’orga-nisation et le fonctionnement de l’entreprise commesur son environnement ou sur la nature des contrats.Les parties prenantes (stakeholders) doivent simple-ment ignorer leurs enjeux et intérêts (stakes) dans l’en-treprise : cela ramène en définitive à la possibilité dedéfinir la notion de partie prenante dans l’absolu(Cazal, Dietrich, 2005). Le voile devient alors bientranslucide… Autant les individus chez Rawls sontrelativement interchangeables et mutuellementindifférents les uns aux autres (Arnsperger & VanParijs, 2000 : 65 ; Chauvier, 2004 : 123-124), autant lesparties prenantes comme les entreprises sont mar-quées par des spécificités constitutives et une inévi-table interdépendance : Child et Marcoux (1999 : 216)soulignent qu’ignorer ces « contingences arbitraires »risque de vider les contrats de tout contenu (en quoipourraient-ils être adaptés ?) tandis que les connaîtrereviendrait à supprimer le voile d’ignorance. Dans lepremier cas, l’obligation disparaît puisque les contratséquitables ne sont préférables que dans certaines cir-constances, dans le second cas, c’est l’équité qui dis-paraît puisque les parties prenantes doivent en savoir

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trop pour faire abstraction de leurs propres intérêts etenjeux.- La transposition du contrat social de base auxcontrats équitables dans l’entreprise se révèle encoreproblématique à un autre niveau : Freeman adopteclairement une conception économique (dérivée deWilliamson) du contrat et il entend par là des contratsimplicites destinés à des transactions multiples etnécessitant certains mécanismes de gouvernance(Freeman & Evan, 1990 : 351). L’articulation entrecontrat social (conception philosophique) à l’échelled’une société et contrat implicite (acception écono-miste) à l’échelle d’une entreprise soulève de nom-breux problèmes que quelques tentatives d’intégra-tion (notamment Donaldson & Dunfee, 1994, 1999 ;Phillips, 2003) ne résolvent ni n’évitent de manièreconvaincante. Chez Rawls, le contrat social assure unefonction de méta-régulation politique, fonder politi-quement la société et la doter de ses grands principesde base, tandis que chez Freeman, les contrats multi-latéraux assurent une micro-régulation des transac-tions entre parties prenantes.- Enfin la construction de Rawls a une finalité fonda-mentalement philosophique et on ne peut l’invalidercomme dépourvue de réalisme ou purement spécula-tive. La théorie des parties prenantes utilise unedémarche voisine mais avec des finalités prescriptives: prôner la représentation des parties prenantes dansles conseils d’administration et la participation decelles-ci aux décisions stratégiques. Justifier unerecommandation pratique par un dispositif spéculatifnous semble poser un problème d’ordre au moinslogique.

Un arrière-plan individualiste et libéral

Si la transposition de la théorie de la justice de Rawlsà celle des parties prenantes est abusive par certainsaspects, l’adoption justifiée de certains aspects decette théorie entraîne également des conséquenceslourdes et problématiques pour la théorisation deFreeman.- La conception de la société chez Rawls est large-ment atomistique et anhistorique et les institutions(au sens sociologique) de la société n’ont chez luiguère d’épaisseur sociale. Cette théorie a soulevé desobjections, notamment chez les « communautariens »(Sandel, Walzer) : des individus anhistoriques (du faitdu voile d’ignorance) ne peuvent décider par leurpacte, également anhistorique, de l’organisation d’unesociété nécessairement inscrite dans l’histoire3.L’argument s’applique également à la construction deFreeman : comment concevoir des contrats, destinés

à organiser des transactions concrètes, sur une baseaussi abstraite et détachée ?- Cette conception de la société comporte égalementune forme d’universalisme et plus particulièrementd’ethnocentrisme : la conception des institutions etdes principes fondamentaux d’une société peut-elleêtre universelle, sans considération des particularitéshistoriques et sociales de la société considérée4 ? ChezFreeman, que doit l’idée de parties prenantes à lasociété américaine qui l’a développée ? Dans quellemesure une telle notion est-elle transposable dans dessociétés où la place de l’Etat ou des gouvernementslocaux est historiquement davantage prégnante, etplus encore dans celles dont les modes d’organisationsociale, économique et politique sont très éloignés dusystème américain ? Freeman raisonne sur la grandeentreprise privée capitaliste, au sein d’une économiede marché et d’une société démocratique : qu’en est-il d’autres formes d’entreprises (publiques, familiales,coopératives, associatives…) au sein d’autressystèmes économiques et politiques ?- La conception de l’individu chez Rawls constitueégalement un point de convergence avec les concep-tions économiques comme celles de Williamson.Habermas (Habermas & Rawls, 1997 : 13) note ainsichez Rawls l’intention « de présenter la théorie de lajustice comme une partie de la théorie générale duchoix rationnel » : l’individu est foncièrement animépar un « intérêt égoïste éclairé » (ibid.) ou par un «égoïsme rationnel ». Comme le souligne Ricœur, «contractualisme et individualisme avancent ainsi maindans la main » (1990 : 267). Une partie du raisonne-ment de Rawls s’appuie significativement sur desarguments tirés de l’économie, comme le maximin ; enattestent également sa conception du choix rationnelou ses emprunts à la théorie des jeux. Une conceptionéconomique aussi standard de l’individu et de sa ratio-nalité semble bien limitée pour la théorie des partiesprenantes et la recherche sur la RSE et en retrait parrapport aux avancées de la théorie des organisations.- Enfin l’idée de contrat comme institution de baseimplique celle de consensus fondateur. Il s’agit claire-ment d’une conséquence de la conception des indivi-dus « comme personnes libres et rationnelles sou-cieuses de promouvoir leur propre intérêt » (cité parRicœur, 1995 : 89), des personnes libres et égales «c’est-à-dire douées d’une personnalité morale qui leurpermet de participer à une société envisagée commeun système de coopération équitable en vue d’unavantage mutuel » (ibid. : 211). Ainsi comprise, lasociété est fondamentalement dépourvue de conflitset de tensions. Un tel consensualisme est éminem-ment réducteur pour l’entreprise.La transposition d’un cadre théorique d’un champ àun autre et d’un niveau à un autre (de la philosophie

3. voir p. ex. Ricœur, 1995 : 100 ; Arnsperger & Van Parijs, 2000 ; Kymlicka, 1999.4. Rawls intégrera cette objection après son ouvrage princeps en limitant la portée de ses principes aux démocraties constitution-nelles ou libérales.

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politique et des fondations d’une société au manage-ment et au fonctionnement de l’entreprise) pose tou-jours de nombreux problèmes. Il est clair queFreeman n’a jamais eu pour ambition de développerune philosophie politique de l’entreprise et il a claire-ment apporté des éléments originaux d’approfondisse-ment conceptuel à la théorie des parties prenantes.Néanmoins ceux-ci n’emportent pas la conviction :soit les emprunts à Rawls sont partiellement abusifs,soit ils aboutissent finalement à aménager des concep-tions économiques traditionnelles plutôt qu’à lesrenouveler.Le ralliement, parfois explicite5, de nombre d’auteurs àl’approche de Rawls témoigne précisément de cet enra-cinement de la théorie des parties prenantes, au-delà deFreeman, dans une philosophie contractualiste et indi-vidualiste. Que sur ce fond philosophique, se greffentdes conceptions économiques également contractua-listes revient à passer d’un libéralisme (philosophique)assez ouvert, à un libéralisme économique standardbeaucoup plus restrictif. L’ouverture du versant philo-sophique du libéralisme est attestée par la vigueur desdébats autour de la théorie de la justice de Rawls, ducommunautarisme au libertarisme, en passant par lasocial-démocratie, le républicanisme de Habermas oule néo-pragmatisme de Rorty. Rappelons d’ailleurs queRawls avouait à propos de sa théorie de la justice : «aux Etats-Unis, cette conception serait appelée libérale,ou peut-être libérale de gauche ; en Grande-Bretagne,plus probablement social-démocrate ou peut-être tra-vailliste » (1987, p. 9-10) ; il a de plus pris fermementposition en faveur d’un certain égalitarisme et de lanécessité de politiques sociales, autant d’éléments quile situent assez loin du versant économique du libéra-lisme.Aux fondements de la théorie des parties prenantes, onne trouve en définitive qu’une vision assez libérale etcontractuelle. En quoi cela est-il problématique pour laconception de la RSE ? Ce passage à une vision éco-nomique libérale nous semble passablement plus pro-blématique et fait l’objet de notre troisième partie.

RSE ET APPROCHE CONTRACTUELLE DEL’ENTREPRISE

D’autres auteurs ont développé l’approche contractua-liste des parties prenantes à partir de la théorie del’agence : la théorie des parties prenantes reste ainsiprofondément ancrée dans une vision économiquecontractualiste, certes élargie mais bien loin des renou-vellements théoriques annoncés. Nous soulignons lesdifficultés plus générales que pose une approche pure-ment contractuelle de la RSE dans les termes d’unethéorie de l’agence élargie. Nous analysons ensuite leslimites d’une conception du contrat comme mode de

régulation sociale ou d’entreprise. Nous indiquonsenfin, face au pluralisme limité de la théorie des partiesprenantes, des pistes de recherche dépassant la visioncontractualiste.

Une théorie de l’agence généralisée ?

Freeman rappelle l’opposition fondatrice de la théoriedes parties prenantes : c’est contre la conceptionactionnariale (shareholder theory) qu’il s’élève. Lesdébats avec les partisans d’une théorie de l’agencestricte (actionnariale) sont assez vifs depuis quinzeans. Néanmoins, Freeman et les théoriciens des par-ties prenantes ne prônent pas des positions diamétra-lement opposées : d’une part, ils partagent avec lespremiers une vision contractuelle de l’entreprise ;d’autre part, Evan et Freeman (1993 : 259) reconnais-sent eux-mêmes que la notion de partie prenante estune généralisation de celle d’actionnaire. Le désac-cord porte seulement sur le fondement du contrat (laresponsabilité de l’entreprise se limite-t-elle au seulprofit ?) et sur la diversité des contractants (limitéeaux seuls actionnaires ou étendue à d’autres parte-naires).La théorie de l’agence n’interdit pas formellementqu’on l’élargisse aux autres parties prenantes, ce quepropose Charreaux (2003) avec sa théorie de la gou-vernance partenariale. On aboutit alors une théorie del’agence généralisée, non à une théorie alternative : onpasse simplement d’une création de valeur actionna-riale à une création de valeur partenariale. Le désac-cord entre conceptions strictes et conceptionssouples de la théorie de l’agence (Langtry, 1999) portedavantage sur les conséquences que l’on en tire quesur les fondements de la théorie elle-même : la théo-rie de l’agence étendue peut aussi intégrer desconsidérations morales, comme le fait la théorie desparties prenantes.En quoi la vision contractuelle de l’entreprise est-ellesusceptible d’infléchir de manière dommageable laconception de la RSE ? Certaines de ses caractéris-tiques centrales risquent de vider la RSE de toutcontenu original, en contradiction avec certainesambitions originelles.On peut rapidement présenter les caractéristiquescentrales de la conception contractuelle de l’entre-prise comme :- anhistorique et a-contextuelle, or le développementde la RSE nécessite justement de prendre en comptel’ensemble des contextes spécifiques au sein desquelselle a émergé. L’analyse de ces contextes doit per-mettre de faire la part entre les facteurs purementconjoncturels (effets de mode) et des facteurs plusprofondément enracinés qui en font une dimensiondurable des relations entre entreprise et société ; on

5. Freeman, Evan, 1990 et les critiques de Child, Marcoux, 1999 ; voir également Donaldson, Dunfee, 1994, 1999 ; Phillips, 2003

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ne peut guère concevoir les parties prenantes demanière abstraite en dehors d’un contexte et d’unehistoire spécifiques, comme le reconnaissent Phillips,Freeman & Wicks (2003 : 498).- individualiste et sous-socialisée ; la liberté et l’égalitédes partenaires au contrat permettent d’évacuer lesphénomènes collectifs. Rapports et enjeux de pouvoirsont réduits à leurs dimensions économiques de rela-tions entre individus intéressés. L’individu sous levoile d’ignorance chez Rawls, comme la partie pre-nante chez Freeman, reproduit la figure classique del’homo economicus animé par une logique maximisa-trice standard (Caillé, 2005 :138-139). L’intégrationd’enjeux et d’acteurs non exclusivement économiquesétend et généralise la logique économique tradition-nelle plutôt qu’elle ne la dépasse.- a-conflictuelle et consensualiste : « la métaphorecontractuelle induit normalement l’idée de consente-ment rationnel des parties » (Boyer, 1996 : 402). ChezRawls en particulier, contrat et consensus sont quasi-ment consubstantiels. La rationalité individuelle et larecherche de l’intérêt rendent les conflits aisémentsolubles dans le contrat.- centrée sur l’entreprise et ignorant l’action collective: l’action est celle d’agents, réduits à des individus ;dans ce cadre, l’action collective, comme les institu-tions qui l’encadrent et qu’elle contribue à constituer,ne trouve pas de place, ce qui revient à gommer ladimension proprement sociale et sociétale de la RSE.La conception politique sous-jacente est clairementlibérale : « cette théorie s’inscrit dans une traditionlibérale, renforcée par le constat d’une carence dudroit positif qui substitue l’autorégulation à la régle-mentation » (Capron, Quairel-Lanoizelée 2007 : 41) ;en l’absence de tout arrière-plan institutionnel, le rôlede l’entreprise en matière de régulation est survalorisé(ibid. : 42).Enfin, rappelons que la théorie des parties prenantesrepose sur le principe que ces parties prenantes sontincarnées par des agents : qu’en est-il alors desintérêts qui ne sont pas dûment représentés, des « par-ties qui ne prennent pas » faute de contractants (géné-rations futures, espèces animales ou végétales, voireautochtones – Banerjee, 2000) selon l’heureuseexpression de Pesqueux ? La RSE est alors réduite aumanagement des parties prenantes, plus précisémentà la gestion des relations contractuelles de l’entrepriseavec ses parties prenantes, ignorant alors fatalementtoute notion d’intérêt collectif ou de bien public etdonc toute forme de régulation autre qu’exercée parl’entreprise.Les partisans de l’approche contractuelle invoquentune approche élargie, intégrant l’influence des cadresinstitutionnels et cognitifs sur les acteurs6, alors «pris(e) en compte dans leur fonction d’utilité »7. C’estune logique économique, élargie certes mais standard,

qui est alors proposée, dont les limites ont été ample-ment soulignées tant par des économistes (conven-tionnalistes, régulationnistes) que par des sociologues(sociologie économique, néo-institutionnalisme). Cescourants montrent avec des arguments divers qu’onne peut réduire les phénomènes collectifs à des tran-sactions économiques ponctuelles ou formelles entreindividus.Plus généralement, peut-on faire du contrat la formecanonique de relations entre l’entreprise et ses partiesprenantes ?

Les mirages du contrat

Les juristes, les philosophes et sociologues du droitont justement développé des réflexions sur ces ques-tions. Qu’il s’agisse du contrat social des philosophesou des contrats implicites des économistes, la notionde contrat puise ses racines dans le domaine juridique.Comme le rappelle Supiot (2005 : 167), « le contratsous sa forme canonique lie des personnes égales quiont librement souscrit des obligations généralementréciproques ». Ces caractéristiques (égalité, liberté,réciprocité des contractants) s’appliquent-elles auxparties prenantes ? N’oublions pas à cet égard que lecontrat de travail (liant justement l’une des partiesprenantes à l’entreprise) se définit justement par l’ins-tauration d’un lien de subordination ; celui-ci justifiel’existence même du droit du travail. Plus générale-ment, les contrats tels qu’ils se développent concrète-ment sont loin d’obéir à ces grands principes.Liberté et égalité des contractants sont ainsi bien sou-vent battus en brèche. Supiot (2005 : 169) souligneainsi l’émergence des contrats d’allégeance, contratsd’un nouveau type dont « (l’)objet premier n’est pasd’échanger des biens déterminés ni de sceller unealliance entre égaux mais de légitimer l’exercice d’unpouvoir ». Ces contrats comprennent les contrats dedépendance « dont le propre est d’assujettir l’activitéd’une personne aux intérêts d’une autre » (ibid., p.170) et les contrats dirigés (accords-cadres, contratsde plan, conventions médicales). Les premiers sontlargement représentés avec les activités de distribu-tion ou de sous-traitance, qui lient des entreprises àd’autres (donc parties prenantes), sans que lescontrats en question présentent les caractères cano-niques du contrat.Selon Battifol, spécialiste des contrats, cité par Caillé(2005 : 145) « si l’on tient qu’il n’y a plus de libertédans la mesure où l’objet du contrat est de plus enplus étroitement déterminé par la loi, ou par l’une desparties qui impose sa volonté à l’autre, on concluraque le contrat ainsi établi existe de moins en moins ».Le contrat équitable et implicite avec les parties pre-nantes devient bien plus formel que substantiel. Evan

6. Nous suivons ici la remarque d’un des rapporteurs anonymes du premier congrès du RIODD.7. Selon les termes même du rapporteur cité dans la note précédente.

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et Freeman évoquent d’ailleurs la fiction que consti-tue la grande entreprise moderne, dont le but se limiteà coordonner les intérêts des parties prenantes (1993: 261-262) grâce à des contrats équitables, qui sonteux-mêmes des fictions.La notion même de contrat social en philosophiepolitique est problématique (Chauvier, 2004) : l’analo-gie puise dans le droit afin de désigner le pacte socialfondateur, mais jusqu’où peut-on la pousser ? Cecontrat, hypothétique, comment peut-il engager desparties et lesquelles, d’autant que personne n’en est lesignataire ? La notion de contrat implicite chez leséconomistes nous semble poser le même type de pro-blèmes. Même si l’on reconnaît dans le contrat socialune « stratégie argumentative formelle » (Boyer, p.405), l’accord ou le pacte social qu’il désigne n’estqu’hypothétique ; or les théoriciens des parties pre-nantes postulent la réalité de cet accord et des caracté-ristiques de liberté, d’égalité et d’engagement réci-proque chez les parties prenantes dans leur ensemble.Enfin, les contractualistes placent une foi considé-rable dans le contrat, y voyant le moyen exclusif deréguler l’ensemble de l’économie : le système écono-mique se réduit alors à « des associations volontairesd’adultes libres, responsables, coopératifs, consen-tants et complexes », concrétisées par des contratséquitables (Freeman & Phillips, 2002 : 343). Freemans’est d’ailleurs récemment rallié au libertarisme (ibid.)qui prône une liberté économique sans entraves etune régulation exclusive par le marché. Le contrat est-il auto-suffisant ? Supiot (2005 : 157) rappelle : « laliberté contractuelle (…) n’est pas concevable sansune foi partagée dans un Tiers garant des conventions». Un juriste spécialiste des contrats (in Caillé, 2005 :145) indique également : « il faut que l’institutionajoute au contrat ». Compter sur la bonne volonté etla bonne foi des parties pour exécuter le contratrelève au mieux d’une forme de naïveté, surtout lors-qu’on postule des individus foncièrement intéressés.Pour Supiot, « l’idée selon laquelle le lien contractuelserait la forme la plus achevée du lien social et auraitvocation à se substituer partout aux impératifs uni-latéraux de la loi est une composante de l’idéologieéconomique, qui conçoit la société comme un amasd’individus mu par la seule vertu du calcul d’intérêts» (2005 : 142).

Au-delà du contrat ?

Enfin, ayant souligné les limites de l’approchecontractualiste pour la recherche en RSE, nous signa-lons différentes voies possibles de renouvellement.Nous rappelons le caractère réducteur du pluralisme

invoqué par la théorie des parties prenantes avant d’é-voquer l’émergence de courants théoriques plusféconds à nos yeux, davantage respectueux du plura-lisme nécessaire et de l’importance des enjeux socio-politiques de la RSE.

Quel pluralisme ?La théorie des parties prenantes affiche un pluralismeen définitive assez pauvre : au-delà de la prise encompte d’agents multiples qui en constitue l’intérêtmajeur, elle ne promeut en fait qu’une vision assezlimitée sur le plan politique, réduisant les relationsentre entreprise et société à des contrats entre agentséconomiques.Certains, comme Pesqueux (2006, p. 27), voient dansce pluralisme l’expression d’une approche commu-nautarienne et ce dernier va jusqu’à dénier le caractèrecontractualiste de la théorie des parties prenantes(2006 : 27). Cette approche communautarienne, déve-loppée en particulier à l’encontre de Rawls8 et de sathéorie de la justice, repose sur la reconnaissance et laprise en compte d’identités multiples fondées sur descommunautés inscrites dans l’histoire, que la théoriede Rawls laisse justement de côté. Or la théorie desparties prenantes, dans sa difficulté à cerner celles-ciautrement qu’en termes d’agents (économiques) nousparaît justement incapable d’appréhender ces iden-tités : les parties prenantes ne sont que des agentséconomiques, des Homo economicus, essentiellementmus par leurs intérêts, non par des préoccupationsidentitaires, culturelles, et surtout dénués de touteépaisseur historique et de tout encastrement institu-tionnel.La société est réduite à un ensemble de parties pre-nantes, une collection d’agents dépourvus de dimen-sion collective et historique, qui n’ont de communque la poursuite de leur intérêt. En fait de conceptionpolitique pluraliste, la TPP ne mobilise qu’une visiontrès libérale et exclusivement économique de lasociété.Le pluralisme théorique pose lui aussi nombre de pro-blèmes. Ainsi, dans leur théorie de l’identification etde la prégnance des parties prenantes, Mitchell et al.(1997) invoquent-ils simultanément les théories del’agence, des coûts de transaction, de la dépendancedes ressources ou les analyses sociologiques néo-ins-titutionnalistes. Freeman a lui-même plaidé pour uneapproche féministe, une épistémologie néo-pragma-tiste ou une approche libertarienne9. Le syncrétismefréquent chez les auteurs de la TPP nous semble révé-lateur d’une recherche de consensus à tout prix : s’ilpeut y avoir désaccord sur les moyens, les finalités res-tent communes, à savoir l’intérêt économique. Lacompatibilité de la vision contractualiste avec les

8. par des auteurs assez hétérogènes comme Sandel, McIntyre, Taylor, Walzer, voir en français l’anthologie dirigée par Berten etal., 19979. Respectivement Wicks et al., 1994 ; Wicks, Freeman, 1998 ; Freeman, Phillips, 2002.

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cadres théoriques et épistémologiques mentionnésreste de toute manière passablement problématique :la conception de l’homo economicus et de sa rationalitéest ainsi largement rejetée par le néo-institutionna-lisme ou le féminisme.

Quels renouvellements théoriques ?Les limites d’un cadre fonctionnaliste ou positivistepour la recherche sur la RSE commencent à être sou-lignées de plus en plus fréquemment (par exempleScherer, Palazzo, 2007 ; en français Dhaoudi et al.,2007). La théorie des parties prenantes semble assezlargement rejeter ce type de cadre, se réclamant denombreux courants théoriques non positivistes (parexemple néo-institutionnalisme, féminisme) voire d’é-pistémologies assez éloignées comme le pragmatisme(Wicks et Freeman, 1998) ou certaines formes d’in-terprétativisme, mais elle reste néanmoins largementprisonnière d’un cadre contractualiste. Notre proposest d’indiquer que fonder la recherche en RSE sur lathéorie des parties prenantes risque fort, du fait de cecadre contractualiste et malgré un refus bien inten-tionné du positivisme ou de l’instrumentalisme,d’entériner des conceptions fort libérales, bien éloi-gnées du pluralisme affiché.Il existe de nombreuses pistes de recherche alterna-tives, dont nous évoquerons les plus prometteuses.Quelles caractéristiques doivent-elles présenter pourdépasser les limites soulignées de la théorie des par-ties prenantes ? De manière assez cursive, nous indi-querons les points suivants : une conception plusriche et complexe de la société et de sa dynamique etde la place de l’entreprise dans celles-ci, une concep-tualisation plus poussée des enjeux de légitimité et depouvoir associés à la RSE, une compréhension del’essor de la RSE dans la dynamique des systèmeséconomiques, sociaux et politiques.En termes de cadres théoriques féconds, nous pou-vons tout d’abord identifier la sociologie économiqueet la notion d’encastrement social (l’embeddedness deGranovetter) et la sociologie des mouvementssociaux10. Les théories économiques de la régulation(Mellahi & Wood, 2003) et des conventions inscriventégalement les phénomènes de RSE dans un cadresocio-économique plus global. Les enjeux de pouvoiret de légitimité et l’importance des débats publicsautour de la RSE peuvent être traités à partir decadres inspirés de Foucault (voir notammentDhaoudi et al., 2007), de Habermas (Scherer, Palazzo,2007) et plus généralement des Critical ManagementStudies11. Le néo-institutionnalisme12 fournit des élé-ments précieux d’analyse sur l’institutionnalisation dela RSE. Les études post-coloniales (Banerjee, 2000)apportent en particulier un éclairage sur la RSE dans

le cadre de la mondialisation. La narratologie (Igalens,2007) ou le sensemaking (Basu, Palazzo, 2007) per-mettent de mieux comprendre les dimensions discur-sives et langagières de la RSE. Enfin, la théorie del’acteur-réseau13 contribue à une analyse fine de laconstruction des parties prenantes. La recherche surla RSE peut également puiser de manière féconde descadres d’analyse dans d’autres sciences sociales, lessciences politiques et les sciences juridiques notam-ment.

CONCLUSION

Nous avons pris le parti d’examiner la question dessoubassements sociopolitiques de la RSE à traversl’analyse de la théorie des parties prenantes. Il en res-sort que les conceptions de l’entreprise et de lasociété sous-jacentes à ce champ de recherche revien-nent au mieux à une conception libérale élargie. Celle-ci allie des conceptions économiques bien classiquesavec des considérations normatives et fait de la formecontractuelle le modèle de base de la société commede l’entreprise ; même « moralisée », elle reste fonciè-rement arrimée à une approche individualiste,consensualiste et économiquement intéressée desrapports sociaux.La société nord-américaine a sans doute constitué unterreau favorable au développement de telles concep-tions. On peut néanmoins s’interroger sur leur perti-nence hors de ce contexte.Le contractualisme est-il une fatalité de la RSE ?Certes non, comme nous l’avons développé. Il consti-tue en tout cas la stratégie argumentative et concep-tuelle la plus développée en la matière, mais d’autrescadres théoriques en émergence méritent davantagede place dans la recherche sur la RSE. La dominationdu contractualisme dans la communauté académiquela plus avancée sur ces questions jette des ombresinquiétantes : faute de clarifier les conceptions del’entreprise et de la société, cette vision libérale etindividualiste risque de s’imposer de manière subrep-tice. La notion de parties prenantes (stakeholder)devient elle-même un enjeu (stake) des débatssociaux, politiques et économiques.La notion de parties prenantes contient intuitivementou implicitement des promesses que les développe-ments théoriques actuels ne tiennent pas. La fortenormativité éthique qui sous-tend la notion dans lalittérature voisine avec un économisme standard. Si larecherche doit viser à enrichir les débats publics,d’autres cadres théoriques, encore émergents, prenantmieux en compte ces enjeux sociopolitiques, sontnécessaires à l’analyse de la RSE.

10. appliquée à la RSE par Gendron notamment, voir aussi Rowley & Moldoveanu, 2003.11. Jones & Fleming, 2003 ; Reed, 1999 ; voire notre essai de synthèse, Cazal, 2007a.12. O’Connell et al., 2005 ; Déjean et al., 2004 ; Bensebaa & Béji-Becheur, 2007.13. Minvielle, 2006 l’a utilisée pour la RSE ; pour une discussion de cette approche, voir Cazal, 2007b.

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BIBLIOGRAPHIE

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