particularités de l’hémostase chez la femme enceinte et maniement des antithrombotiques

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2009) 13, 404—410 MISE AU POINT Particularités de l’hémostase chez la femme enceinte et maniement des antithrombotiques Use of antithrombotic agents during pregnancy Yesim Dargaud a,,b , Lucia Rugeri a a Unité d’hémostase clinique, hôpital Edouard-Herriot, pavillon E, 5, place d’Arsonval, 69003 Lyon, France b EA 4174, université Claude-Bernard Lyon I, 69003 Lyon, France MOTS CLÉS Grossesse ; Thrombose ; Anticoagulants ; Aspirine ; Thrombophilie Résumé La grossesse induit des modifications substantielles qui créent un déséquilibre en faveur d’un état d’hypercoagulabilité. Pendant la grossesse, associés à l’augmentation de l’activité procoagulante et à la diminution de l’activité fibrinolytique, d’autres facteurs de risque comme l’alitement prolongé, la surcharge pondérale, l’âge maternel, la gêne au retour veineux due à l’utérus gravide augmentent d’avantage le risque thrombotique des femmes enceintes qui paraît quatre à six fois plus élevé au cours de la grossesse par rapport à des femmes de même âge n’utilisant pas de pilule estroprogestative. L’utilisation des médicaments antithrombotiques est donc nécessaire pendant la grossesse et le postpartum chez certaines patientes. Les bénéfices et les risques de la prescription de ces agents chez les femmes enceintes doivent être évalués en termes de leurs actions sur l’organisme maternel et sur le fœtus. Les données de littérature, souvent issues d’études non contrôlées, ne permettent pas actuelle- ment de faire des recommandations étayées par un haut niveau de preuve scientifique dans ce domaine. En attendant les résultats de futures études avec une méthodologie rigoureuse, la prise en charge de ces patientes doit être multidisciplinaire nécessitant une collaboration étroite entre les obstétriciens, les anesthésistes, les hémostasiens et les médecins vasculaires. © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. KEYWORDS Pregnancy; Venous thrombosis; Pulmonary embolism; Summary Pregnancy induces hypercoagulability with increased procoagulant activity and decreased fibrinolytic activity. In addition prolonged decubitus, overweight, maternal age, impaired venous drainage related to uterus development increase thrombotic risk by four to six fold. The use of antithrombotic agents is therefore required in some parturients acccording to their benefit/risk ratio for parturient and fetus. Data provided mainly by Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (Y. Dargaud). 1279-7960/$ — see front matter © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.pratan.2009.11.005

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e Praticien en anesthésie réanimation (2009) 13, 404—410

ISE AU POINT

articularités de l’hémostase chez la femmenceinte et maniement des antithrombotiques

se of antithrombotic agents during pregnancy

Yesim Dargauda,∗,b, Lucia Rugeri a

a Unité d’hémostase clinique, hôpital Edouard-Herriot, pavillon E,5, place d’Arsonval, 69003 Lyon, Franceb EA 4174, université Claude-Bernard Lyon I, 69003 Lyon, France

MOTS CLÉSGrossesse ;Thrombose ;Anticoagulants ;Aspirine ;Thrombophilie

Résumé La grossesse induit des modifications substantielles qui créent un déséquilibre enfaveur d’un état d’hypercoagulabilité. Pendant la grossesse, associés à l’augmentation del’activité procoagulante et à la diminution de l’activité fibrinolytique, d’autres facteurs derisque comme l’alitement prolongé, la surcharge pondérale, l’âge maternel, la gêne au retourveineux due à l’utérus gravide augmentent d’avantage le risque thrombotique des femmesenceintes qui paraît quatre à six fois plus élevé au cours de la grossesse par rapport à desfemmes de même âge n’utilisant pas de pilule estroprogestative. L’utilisation des médicamentsantithrombotiques est donc nécessaire pendant la grossesse et le postpartum chez certainespatientes. Les bénéfices et les risques de la prescription de ces agents chez les femmes enceintesdoivent être évalués en termes de leurs actions sur l’organisme maternel et sur le fœtus. Lesdonnées de littérature, souvent issues d’études non contrôlées, ne permettent pas actuelle-ment de faire des recommandations étayées par un haut niveau de preuve scientifique dansce domaine. En attendant les résultats de futures études avec une méthodologie rigoureuse,la prise en charge de ces patientes doit être multidisciplinaire nécessitant une collaborationétroite entre les obstétriciens, les anesthésistes, les hémostasiens et les médecins vasculaires.© 2009 Publie par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDSPregnancy;Venous thrombosis;Pulmonary embolism;

Summary Pregnancy induces hypercoagulability with increased procoagulant activity anddecreased fibrinolytic activity. In addition prolonged decubitus, overweight, maternal age,impaired venous drainage related to uterus development increase thrombotic risk by fourto six fold. The use of antithrombotic agents is therefore required in some parturientsacccording to their benefit/risk ratio for parturient and fetus. Data provided mainly by

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (Y. Dargaud).

279-7960/$ — see front matter © 2009 Publie par Elsevier Masson SAS.oi:10.1016/j.pratan.2009.11.005

L’hémostase de la femme enceinte et maniement des antithrombotiques 405

Anticoagulants;Aspirin;Thrombophilia

uncontrolled studies do not allow high grade recommendations on the topic. The management ofthe high risk patients should therefore be based on a multidisciplinary approach associating theexpertise of obstetricians, anaesthetists, haematologists and specialists in vascular medicine.© 2009 Published by Elsevier Masson SAS.

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Introduction

La maladie thromboembolique veineuse (MTEV) et lespathologies vasculoplacentaires sont des complicationspotentielles de la grossesse. Elles sont favorisées par lesmodifications de l’hémostase liées à la grossesse qui setraduisent par un état d’hypercoagulabilité et un risquethrombotique clinique plus élevé. La présence d’autres fac-teurs de risque de thrombose d’origine constitutionnelle ouacquise peut augmenter davantage le risque thrombotiqueet peut justifier la mise en place de traitements antithrom-botiques pendant la grossesse.

Modifications de l’hémostase pendant lagrossesse

La grossesse normale est associée à des modifications del’ensemble des mécanismes de l’hémostase ayant pourconséquence une hypercoagulabilité [1]. Ces modificationspermettent une meilleure protection des femmes contrele risque hémorragique au moment de l’accouchementmais augmentent de manière significative le risque decomplications thromboemboliques. Les changements obser-vés pendant la grossesse normale correspondent à uneaugmentation de la plupart des facteurs de la coagulation,une diminution de certains inhibiteurs comme la protéine Sainsi qu’à une diminution de l’activité fibrinolytique abou-tissant à un état d’hypercoagulabilité en antepartum qui secorrige progressivement après l’accouchement pour se nor-maliser complètement au bout de quatre à huit semaines[1]. Les principales modifications d’hémostase observéesaux différents stades la grossesse sont résumées dans leTableau 1.

Une thrombopénie modérée avec une réduction de 7 à11 % de la numération plaquettaire est fréquemment notéeentre le cinquième mois et le terme. La thrombopé-nie gestationnelle n’est pas responsable de complicationhémorragique et elle est souvent accompagnée d’une aug-mentation du volume plaquettaire. Il existe au moins deuxhypothèses pour expliquer cette thrombopénie modérée :destruction maximale des plaquettes pendant le troisièmetrimestre ou thrombopénie de dilution par augmentation duvolume plasmatique pendant la grossesse.

L’augmentation de certains facteurs de la coagula-tion concerne principalement le complexe facteur VIII(FVIII)/facteur Willebrand (VWF), le fibrinogène et le fac-teur VII (FVII). L’élévation du VWF survient précocement dès

la dixième semaine de gestation et entraîne une élévationdu FVIII, puisque le VWF est la molécule qui transporte etprotège le FVIII dans le plasma (taux fois 3 pour le VWF etfois 2 pour le FVIII) [7,8]. La grossesse est également res-ponsable d’une augmentation nette de quatre à dix fois du

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aux de FVII plasmatique et de deux à trois fois du taux debrinogène [1]. Les facteurs XII, X et IX augmentent égale-ent progressivement tout au long de la grossesse, alors que

’activité plasmatique du facteur XI diminue modérémente 20 à 25 %. En revanche, les taux des facteurs XIII, V et II,estent relativement stables tout au long de la grossesse.

Les modifications liées à la grossesse touchent peu le tauxlasmatique de protéine C et l’activité d’antithrombine (AT)eut être légèrement diminuée (10—15 %) chez les femmesnceintes. En revanche, il existe de facon très précoce uneiminution importante de la protéine S (PS), qui peut persis-er jusqu’à deux mois dans le postpartum. Ce déficit acquisn PS associé à l’élévation des taux de FVIII et FIX est res-onsable d’une résistance de la protéine C activée (RPCa)endant la grossesse.

Pendant la grossesse, parallèlement aux modifications dea coagulation, une diminution progressive de l’activité fibri-olytique est induite par l’augmentation du plasminogènessociée à la diminution de l’activateur tissulaire du plas-inogène (t-PA) et à l’augmentation des inhibiteurs de labrinolyse tels que les PAI-1 et -2 (plasminogen activatornhibitor), d’origine respectivement endothéliale et placen-aire [1].

L’hypercoagulabilité induite par ces différents méca-ismes se traduit par une élévation des marqueurs’activation tels que les d-dimères, les complexeshrombine—antithrombine (TAT), les fragments 1 + 2 dea prothrombine (F1 + 2) suggérant une augmentationmportante de la génération de thrombine chez les femmesnceintes.

aniement des antithrombotiquesendant la grossesse

’hypercoagulabilité liée à la grossesse et le risquehrombotique qu’elle entraîne justifient l’utilisation desntithrombotiques chez certaines femmes enceintes. Lesolécules antithrombotiques actuellement disponibles sur

e marché sont représentées par les antivitamines K, leséparines, le danaparoïde, la pentasaccharide, les anti-hrombines et les antiagrégants plaquettaires. La balanceénéfice—risque de tels traitements n’implique pas unique-ent leurs actions sur l’organisme maternel mais aussi leur

ction fœtale potentielle.

es antivitamine K

es traitements antagonistes de la vitamine K (AVK) gardenteu d’indications pendant la grossesse [2]. Ils traversent laarrière placentaire et présentent un risque important deaignements. Le risque tératogène a été démontré par plu-ieurs études avec un risque d’hypoplasie nasale entre la

406 Y. Dargaud, L. Rugeri

Tableau 1 Tableau résumant les principales modifications de l’hémostase aux différents trimestres de la grossesse.

Paramètre d’hémostase 1er trimestre(valeurs extrêmes)

2e trimestre(valeurs extrêmes)

3e trimestre(valeurs extrêmes)

Fibrinogene (g/L) 3,7 (2,5—5,2) 4,4 (2,6—5,4) 5,4 (2,9—6,2)F II (UI/dL) 125 (70—224) 125 (73—214) 115 (68—194)F V (UI/dL) 93 (46—188) 85 (36—185) 85 (39—184)F VII (UI/dL) 111 (60—206) 150 (80—280) 171 (87—336)FVIII (UI/dL) 122 (53—833) 141 (44—453) 212 (79—570)VWF (UI/dL) 133 (56—318) 167 (66—427) 376 (133—1064)F X (UI/dL) 103 (60—169) 115 (74—177) 127 (72—208)FXI (UI/dL) 93 (70—116) 77 (59—95) 56 (42—70)Antithrombine (UI/dL) 102 (92—112) 107 (93—121) 106 (92—120)Protéine C (UI/dL) 92 (79—105) 106 (89—123) 101 (81—121)Protéine S libre (UI/dL) 26 (19—33) 17 (13—21) 12 (10—19)

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Fragments 1+2 (nmoles/L) 0,97 (0,67—1,27)Plaquettes (G/L) 275 (211—339)

ixième et 12e semaine et de rares anomalies du systèmeerveux central peuvent être observées tout au long de larossesse [3].

Les recommandations actuelles préconisent de contre-ndiquer les AVK entre la sixième et 12e semaine pourrévenir l’embryopathie et après la 36e semaine pouréduire le risque hémorragique. Il est ainsi recommandé,hez les patientes traitées par AVK au long cours, la réalisa-ion systématique d’un test de grossesse et le remplacementes AVK par un traitement par héparine dès que possible.’indication principale des AVK pendant la grossesse esteprésentée par les valves cardiaques, en particulier dans leas de patientes porteuses d’une valve mitrale ancienne ouyant des antécédents thrombotiques. Pour ces patientes,n relais au cours du deuxième trimestre peut être envisagé2].

En postpartum, en cas d’indication d’un traitement parVK, la warfarine peut être prescrite (Grade 1A) [2].

es héparines et dérivés

es héparines non fractionnées (HNF) ou de bas poids molé-ulaires (HBPM) ne traversent pas la barrière placentaire,lles peuvent être prescrites sans risque tératogène.

Les HNF peuvent être prescrites en intraveineux directIVD) ou en sous-cutanée (SC). Elles ont pour inconvénients :

leur demi-vie courte nécessitant habituellement deuxinjections par jour dans les traitements préventifs, deuxà trois injections par jour dans les traitements curatifs ;le risque de thrombopénies induites à l’héparine (TIH)(2—3 %) ;le risque d’ostéoporose, en particulier lors d’une utilisa-tion prolongée [4].

Les HBPM sont administrées par voie SC une à deux foisar jour. Pendant la grossesse, de nombreuses études ontontré l’efficacité et l’innocuité de trois molécules dans le

raitement préventif de la MTEV. Il s’agit de l’enoxaparineLovenox®), la daltéparine (Fragmine®) et la nadroparineFraxiparine®). En France, seules l’enoxaparine et la dal-éparine ont l’autorisation de prescription à partir dueuxième trimestre. Toutefois, l’absence d’effet tératogène

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1,63 (1,05—2,22) 3,14 (1,9—4,38)256 (207—305) 246 (192—300)

eur facilite d’utilisation et le risque limité d’effets secon-aires en font les médicaments antithrombotiques de choixès le début de la grossesse.

Dans le postpartum, l’absence de passage dans le laitaternel autorise l’allaitement sous traitement par HNF ouBPM.

Le danaparoïde (Orgaran®) n’a d’indication qu’en cas deIH. Aucune toxicité fœtale n’a été mise en évidence. Uneéta-analyse a rapporté son utilisation dans 51 grossessesont 37 traitées pendant plus de 20 semaines pour TIH ouour intolérance à l’héparine. Quatre césariennes ont étééalisées sous péridurale avec deux patientes qui ont pré-enté des hémorragies probablement liées à un surdosagen danaparoïde [5]. L’hirudine recombinante (Refludan®) quist également indiquée dans le traitement de TIH a unectivité antithrombine ; il s’agit d’une petite molécule quiasse la barrière placentaire et qui est donc contre-indiquéeendant la grossesse.

La place des nouveaux antithrombotiques reste à défi-ir. Plusieurs publications ont rapporté l’efficacité cliniquee la pentasaccharide (Arixtra®) à dose préventive pen-ant la grossesse dans des cas d’intolérance aux HBPM etu danaparoïde. Selon les résultats des études effectuéesur des modèles animaux, le fondaparinux ne semble pasraverser la barrière placentaire mais certaines études ontapporté une activité anti-Xa détectable chez cinq nouveau-és de mères traitées par fondaparinux. De ce fait, lesecommandations internationales préconisent d’éviter sontilisation en dehors de la prévention antithrombotique chezes patientes ayant des antécédents de TIH, si la danapa-oïde ne peut être prescrite [2].

La posologie et la durée de différents traitements anti-hrombotiques chez les femmes enceintes dépendent deeurs indications préventives ou curatives mais égalementu type de pathologies thrombotiques : cardiaque, veineuseu vasculoplacentaire.

’aspirine

e traitement par acide acétylsalicylique (ASA) peut êtrerescrit seul ou en association aux héparines selon lesndications. Aucune complication fœtale liée à l’utilisation

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L’hémostase de la femme enceinte et maniement des antith

d’ASA n’a été démontrée pendant les deuxième et troisièmetrimestres. Moins de données sont disponibles pendantle premier trimestre mais aucun effet tératogène n’aété rapporté à ce jour permettant ainsi la prescriptiond’ASA dès le premier trimestre chez la femme enceinte[2].

Un traitement par ASA n’est pas conseillé pendantl’allaitement.

Utilisation des antithrombotiques dans lecadre des pathologies maternofœtales

L’incidence des pathologies maternofœtales reste encoremal déterminée du fait de l’hétérogénéité des méca-nismes et le taux non négligeable d’évolutions défavorablesdes grossesses normales. Cinq pourcent des femmesfont deux fausses couches au cours de leur vie et1 % d’entre elles en présentent au moins trois. Laresponsabilité du syndrome des antiphospholipides dansles pertes fœtales précoces et tardives n’est plus àdémontrer. En revanche, de nombreuses études ont mon-tré des résultats différents concernant l’implication desautres marqueurs de thrombophilies dans les patholo-gies vasculoplacentaires. Il n’existe que deux étudescliniques randomisées qui ne permettent pas de concluresur l’intérêt d’un bilan de thrombophilie complet chezdes patientes ayant des antécédents isolés de pertesfœtales, de retard de croissance intra-utérine (RCIU) oud’éclampsie.

Le manque de données physiopathologiques sur lesmécanismes de ces complications est à l’origine derecommandations de niveau de preuve limité, expliquantl’hétérogénéité des attitudes thérapeutiques adoptées parles cliniciens. La huitième édition des recommandations del’American College of Chest Physicians (ACCP) qui reprendl’ensemble des indications qui ont été publiées en 2008[2] privilégie la recherche du syndrome des antiphospho-lipides chez des femmes ayant présenté au moins troispertes fœtales précoces survenues avant la 12e semained’aménorrhée ou au moins une mort fœtale inexpliquée(niveau 1A). La recherche de syndrome des antiphos-pholipides est également recommandée en cas de RCIUou prééclampsie sévère et/ou récurrent (niveau 2C). Encas de découverte d’anticorps antiphospholipides chez despatientes ayant des antécédents obstétricaux isolés sansantécédent personnel de MTEV ou de thrombose artérielle,un traitement préventif par HBPM associé à de faibles dosesd’ASA (100 à 160 mg) est recommandé (niveau 1B) [2]. Lespatientes ayant des antécédents de MTEV ou de thromboseartérielle doivent bénéficier de doses curatives d’HBPM enassociation avec l’ASA. Chez les sujets ayant un antécédentde prééclampsie en l’absence de thrombophilie, un traite-ment préventif par aspirine faibles doses est recommandétout au long de l’antepartum (niveau 1B). En cas de patho-logie vasculoplacentaire avec présence de marqueurs de

thrombophilie constitutionnelle, une seule étude a montréla supériorité d’un traitement HBPM à l’ASA dans les acci-dents tardifs. Toutefois, les données sont insuffisantes etles experts font actuellement une recommandation contrel’utilisation systématique d’héparines dans ce contexte(niveau 2C).

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botiques 407

tilisation des antithrombotiques dans leadre des pathologies artérielles

es recommandations concernant les patientes porteusese valve cardiaque et traitées par AVK au long cours sontoutenues par un haut niveau de preuve. Le choix du traite-ent antithrombotique doit prendre en compte le type de

alve, sa position et les facteurs de risque individuels de laatiente (niveau 1C) ; par conséquent, les recommandationsctuelles proposent plusieurs schémas thérapeutiques :un traitement par HBPM ou HNF à doses curatives toutesles 12 heures avec une adaptation de la dose en fonc-tion de l’activité anti-Xa vérifiée quatre heures aprèsl’injection qui doit être entre 0,35—0,7 U/ml (niveau 1C) ;un traitement par HNF ou HBPM à doses curatives jusqu’àla 13e semaine poursuivi par un traitement AVK avecreprise du traitement héparinique avant l’accouchement(niveau 1C) ;il est recommandé pour les valves mécaniques à hautrisque thrombotique d’associer le traitement hépariniqueà l’aspirine (75—100 mg) (niveau 2C).

tilisation des antithrombotiques dans leadre de la maladie thromboemboliqueeineuse

’embolie pulmonaire est encore une des premières causese mortalité pendant la grossesse malgré une incidenceaible de la MTEV chez les femmes jeunes en âge de pro-réer [6]. Depuis 20 ans, la prescription large de traitementsntithrombotiques préventifs en postpartum a permis deiminuer de manière significative l’incidence de la MTEVu postpartum, mais l’incidence des complications throm-otiques survenant pendant l’antepartum reste stable eta prise en charge du risque thrombotique en antepartumose encore plusieurs questions ouvertes à la discussion.a MTEV est une pathologie multifactorielle impliquant plu-ieurs facteurs de risque acquis et/ou constitutionnels dont’ensemble constitue « le risque thrombotique individuel »’un sujet donné.

Parmi les facteurs de risque largement reconnus chezes femmes enceintes sont comptés l’âge supérieur à 35,’obésité avec un index de masse corporelle (IMC) supé-ieur à 25, l’immobilisation, l’alitement, les techniquese procréations médicales assistées [7]. Le rôle du tabacans la MTEV est encore discuté. Chez les patientes ayantn antécédent personnel de MTEV, le caractère spontané,nsolite de l’antécédent thrombotique ou sa survenue lors’une grossesse antérieure sont des facteurs de risque deécidive thrombotique pendant la grossesse en cours [8,9].oncernant le rôle potentiel des marqueurs de thrombophi-

ies constitutionnelles et/ou acquises par rapport au risquehrombotique veineux chez les femmes enceintes, le défi-it en antithrombine, le syndrome des antiphospholipidesont considérés comme des facteurs de risque majeur alorsue les anomalies combinées ou les mutations homozygotes

u facteur V Leiden et du gène du facteur II et le défi-it en protéine C sont reconnus comme des facteurs deisque importants de MTEV. Les autres anomalies constitu-ionnelles comme le déficit en protéine S et les mutationsétérozygotes du FV Leiden et G20210A du FII sont considé-

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08

ées comme des facteurs de risque modéré chez les femmesnceintes.

En cas de MTEV aiguë survenant pendant la grossesse, ilst recommandé de mettre en place un traitement par HNFu HBPM à doses curatives adaptées à l’activité anti-Xa ou auCA (niveau 1A), avec une préférence pour les HBPM du faite leurs effets secondaires moindres (niveau 2C). Les recom-andations anglaises et américaines autorisent l’utilisationes HBPM à doses curatives en une ou deux injections touteses 24 heures [10,11]. La durée minimale de traitement pré-onisée pour une thrombose veineuse proximale survenueendant la grossesse est au moins six mois. Il est égalementréconisé de poursuivre le traitement héparinique aux dosesuratives pendant toute la grossesse et pendant au moins sixemaines en postpartum (niveau 1B), avec si possible la pro-rammation de l’accouchement pour permettre un arrêt duraitement de 24 heures (niveau 1C).

Un traitement préventif de quatre à six semaines estystématiquement recommandé en postpartum chez touteses femmes à risque thrombotique (niveau 2C). Le trai-ement préventif de la MTEV en antepartum fait objete recommandations de faible niveau de preuve. Aucune

ecommandation de niveau 1A n’est disponible et lesecommandations de l’ACCP 2008 proposent souvent plu-ieurs attitudes possibles en laissant aux cliniciens lehoix le plus adapté selon le cas particulier de chaqueatiente.

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Tableau 2 Exemple de score clinique pour l’évaluation du risentant des antécédents personnels de thrombose et/ou des m

ATCD personnel de MTEV ATCD de MTEV penTVC ou EP massiveEP ou TV proximalEP ou TV proximalTV distale spontanTV distale avec fa

En cas d’ATCD personnel deMTEV

Thromboses récidiPrésence de séqueThrombose récent

Thrombophilie Déficits combinésDéficit en PC, PS,En l’absence de thATCD familiaux sig

Autres facteurs de risque Alitement prolongÂge > 35 ansIMC > 30Grossesse multiple

Résultat total

Prise en charge proposée parle score

Résultat total <3 :systématique en aRésultat total 3—5en début du derniRésultat total ≥ 6de la grossesseQuel que soit le scsystématique en pet port systématiq2 tout au long de l

Y. Dargaud, L. Rugeri

Les recommandations les plus solides concernent troisypes de patientes :

celles qui ont un antécédent de MTEV déclenché parun facteur de risque transitoire pour qui les recom-mandations ne préconisent pas de faire une prophylaxieantithrombotique systématique en antépartum ;celles qui ont un antécédent de MTEV associé à un déficiten antithrombine ou à un syndrome des antiphospholi-pides, ou à une thrombophilie combinée, pour qui untraitement par HNF ou HBPM à dose curative ou inter-médiaire est indiqué tout au long de la grossesse ;les patientes sous AVK au long cours avant la grossesse,un traitement par HNF ou HBPM à dose curative est éga-lement recommandé pendant toute la grossesse.

En cas d’antécédent de MTEV survenu sous traitementstroprogestatif, un traitement préventif par HNF ou HBPMst également recommandé.

En revanche, dans tous les autres cas, la décision théra-eutique est laissée à la libre appréciation du clinicien. Ilst important de noter que ces cas représentent la majo-ité des patientes qui sont prises en charge en pratique

uotidienne, comme les femmes présentant une throm-ophilie sans antécédent personnel de MTEV ou cellesui ont des antécédents de MTEV avec facteur déclen-hant transitoire (chirurgie, plâtre, traumatisme, voyage,tc.) associé à une thrombophilie constitutionnelle. Selon

sque individuel de MTEV chez les femmes enceintes pré-arqueurs de thrombophilie.

dant une grossesse antérieure ou 6ou TV survenue dans l’enfance (< 16 ans)

e spontanée ou de survenue sous OP 3e avec facteur transitoire 2ée ou survenue sous OP 2cteur de risque transitoire 1

vantes (au moins 2) 3lles post thrombotiques 3e (< 2 ans) 2

ou mutations homozygotes FV ou FII 3mutation hétérozygote FV ou FII 1rombophilie mise en évidence,nificatif ou récidivant 1

é, immobilisation 2111

pas de prophylaxie hépariniquentepartum: prophylaxie héparinique à commencer

er trimestre: prophylaxie héparinique tout au long

ore total, prophylaxie hépariniqueostpartum pendant au moins 6 semainesue d’une élasto-contention de forcea grossesse

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L’hémostase de la femme enceinte et maniement des antith

les recommandations actuelles, devant ces cas correspon-dant à un risque modéré de MTEV, les médecins ont lechoix entre plusieurs attitudes possibles : soit un trai-tement par HNF ou HBPM à doses préventives, soit àdoses intermédiaires, soit une simple surveillance cli-nique tout au long de la grossesse. Cette large possibilitéde choix thérapeutique impose la nécessité pour une éva-luation très minutieuse du risque individuel pour chaquepatiente.

Les recommandations francaises publiées par l’Anaesen 2003 et par le SFAR en 2005 sont en accord avec lesrecommandations internationales et soulèvent égalementdes questions par rapport à l’évaluation du risque throm-botique individuel pour chaque patiente en fonction deses différents facteurs de risque constitutionnels et acquis[12].

Différents groupes ont proposé des scores clinicobiolo-giques comme outils d’évaluation du risque thrombotiqueindividuel chez les femmes enceintes. Les scores cliniquesont l’avantage de pouvoir rationaliser la prise en chargedes grossesses à risque thrombotique mais ne peuventen aucun cas apporter une réponse précise à toutes lessituations cliniques complexes où l’avis des experts resteindispensable. Un score clinique (Tableau 2) développé parnotre groupe a été récemment évalué dans une étudeprospective multicentrique chez 286 femmes à risque throm-botique qui a montré une bonne efficacité et une tolérancesatisfaisante de l’attitude thérapeutique suggérée par lescore [13]. En accord avec le caractère multifactoriel dela MTEV, le score tient compte de plusieurs facteurs derisque comme :• les antécédents thrombotiques de la patiente avec une

hiérarchisation du risque de récidive en fonction du carac-tère spontané, de la gravité de l’accident thrombotique(siège, MTEV récurrente, séquelles. . .) ;

• les facteurs de risque maternels (l’âge, l’IMC oualitement. . .) ;

• les marqueurs de thrombophilie constitutionnelle etacquise. Le niveau de risque calculé par le scoreest accompagné d’une proposition de prise en chargethérapeutique en accord avec les recommandations inter-nationales.

Surveillance biologique des paramètresd’hémostase pendant la grossesse

L’incidence de la TIH pendant la grossesse est extrêmementfaible. C’est la raison pour laquelle les recommandationsinternationales récentes ont considérablement réduit lasurveillance des plaquettes chez les femmes enceintesbénéficiant d’un traitement par HBPM, une surveillancerégulière systématique de la numération plaquettaire n’estplus recommandée (niveau 2C). En cas de traitement parHNF, une numération plaquettaire doit être réalisée deuxfois par semaine pendant au moins les 15 premiers jours dutraitement.

En cas de traitement curatif par HBPM, l’activitéanti-Xa doit être comprise dans la fourchette atten-due selon le type d’HBPM utilisée. Pendant la grossesse,l’adaptation des doses en fonction du poids resteencore discutée. En cas de traitement préventif, la sur-

[

botiques 409

eillance de l’activité anti-Xa n’est indiquée qu’en cas’insuffisance rénale, de complication hémorragique ou deoids extrêmes.

Pendant la grossesse, les d-dimères n’ont pas de valeurrédictive démontrée par rapport au risque de MTEV et leururveillance pendant la grossesse n’est pas justifiée.

onclusion

urant la grossesse, les traitements anticoagulants sont indi-ués pour le traitement préventif ou curatif de la MTEV,our la prévention des complications thromboemboliqueses valves cardiaques mécaniques et pour la prévention desathologies obstétricales liées au syndrome des antiphos-holipides, en association avec l’aspirine. La prescriptione ces traitements chez les femmes enceintes nécessiteu préalable l’évaluation des bénéfices et des risques duoint de vue maternel et fœtal. Les difficultés à organiseres études cliniques contrôlées chez les femmes enceintesxpliquent l’absence de recommandations de haut niveaue preuve accompagnée d’une prise en charge très hété-ogène des praticiens devant ces cas complexes. Il existeonc un besoin accru de données issues d’études cliniquesigoureuses chez les femmes enceintes à risque thrombo-ique.

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