paris sotchi-norilsk, déficit minéral européen et excédent russe, le cercle

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Paris-Sotchi-Norilsk, Dé cit minéral européen et excédent russe DIDIER JULIENNE / STRATÈGE DES RESSOURCES NATURELLES | LE 13/02 À 17:21 Sotchi n'est pas Norilsk. d'un coté les JO, de l'autre la ville minière polaire de Sibérie septentrionale éponyme du groupe minier russe Norilsk Nickel. Un jour, alors que j'y conversais avec des scientiques de la société, l’un d’entre eux me désigna en un regard... Norilsk, ville stratégique polaire de Sibérie septentrionale éponyme du groupe minier russe Norilsk Nickel. Alors que j'y conversais avec des scientifiques de la société, l’un d’entre eux me désigna en un regard le vaste horizon oriental de la ville : c’est une « nouvelle frontière minière » ; les terres inexplorées sont immenses jusqu'à l’océan Pacifique, les ressources stratégiques y sont nombreuses et elles seront un jour exploitées. Comment assurer la demande minérale de l’Europe ? C’est une question que je me suis longuement et souvent posé pendant que je travaillais au sein de groupes russe (Norilsk Nickel), américain et européen qui m’entrainaient vers des territoires miniers, des marchés et des métaux stratégiques aussi variés que : les platinoïdes, les terres rares, les métaux précieux, les métaux de base, les métalloïdesC'est également la question qui régissait les échanges d'un récent colloque organisé par Guillaume Pitron, Jérome Davant, Global Links et MTL index sous le patronage du député Pouria Amirshahi. Puisque l'Europe a réduit pour des raisons diverses l'exploration et/ou l'exploitation minière de son propre sous-sol, une réponse à la pénurie européenne était déjà ,et restera, la Russie et ses vastes espaces. Comme toujours, la question n’est pas de connaitre les ressources minérales stratégiques de la Russie. Elle dispose d’un immense sous-sol et à la chance d’être productrice de tout ou presque. Elle est leader ou dispose de gisements de classe mondiale dans les platinoïdes, les sables minéralisés, les métaux de base, les terres rares, le cobalt, l’uranium, le nickel et le cuivre si demandé par son voisin chinois, et une flopée de métalloïdes dont les noms se terminent tous en ium, etcLe plus souvent, elle est autosuffisante et/ou exportatrice, elle ne manque de rien. De plus, elle a la chance de voir ses territoires terrestres et maritimes stratégiques s’agrandir au fur et à mesure que les voies navigables du nord lient l’Europe à l’Asie mais aussi atteignent, avitaillent et assurent une continuité territoriale entre le l’ouest du pays et les zones riches de matières premières stratégiques au nord et au nord-est. Notre question devient donc : l'’Europe peut-elle avoir accès à ces ressources ? Comment peut-elle se reposer sur cette profondeur stratégique orientale pour ses besoins actuels et futurs de métaux critiques ? Chacun pense deviner la politique énergétique russe et chacun pense qu’elle est aussi valable pour les matières minérales critiques. C’est une pensée inexacte lorsque l’on contemple la valeur de l’énergie dans l’inconscient russe construit dans des hivers longs, rigoureux voire polaires. Pour les métaux et métalloïdes, en effet, la Russie n'est pas engagée dans une exploitation minière identique à l’exploitation énergétique, parfois pour des raisons d’héritage, parfois de nécessité : l’héritage d’infrastructures soviétiques qui fonctionnaient mais qu’il fallait moderniser ; la nécessité de se limiter à ce que l’on sait faire, ou bien que l'on peut faire car on manque d’engagement et de main d’œuvre pour faire plus (environ 20% de la population russe habitent 75% du territoire à l’est de l’Oural, là existent des richesses inexploitées). Alliance Russie-Europe Paris-Sotchi-Norilsk, Déficit minéral européen et excédent rus... http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-91069-paris... 1 sur 3 24/11/14 17:42

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PPaarriiss--SSoottcchhii--NNoorriillsskk,, DDééfificciittmmiinnéérraall eeuurrooppééeenn eett eexxccééddeenntt rruusssseeDIDIER JULIENNE / STRATÈGE DES RESSOURCES NATURELLES | LE 13/02 À 17:21

Sotchi n'est pas Norilsk. d'un coté les JO, de l'autre la ville minièrepolaire de Sibérie septentrionale éponyme du groupe minier russeNorilsk Nickel. Un jour, alors que j'y conversais avec des scientifiquesde la société, l’un d’entre eux me désigna en un regard...

Norilsk, ville stratégique polaire de Sibérie septentrionale éponyme du groupe minier russe Norilsk Nickel.Alors que j'y conversais avec des scientifiques de la société, l’un d’entre eux me désigna en un regard le vastehorizon oriental de la ville : c’est une « nouvelle frontière minière » ; les terres inexplorées sont immensesjusqu'à l’océan Pacifique, les ressources stratégiques y sont nombreuses et elles seront un jour exploitées.

Comment assurer la demande minérale de l’Europe ? C’est une question que je me suis longuement etsouvent posé pendant que je travaillais au sein de groupes russe (Norilsk Nickel), américain et européen quim’entrainaient vers des territoires miniers, des marchés et des métaux stratégiques aussi variés que : lesplatinoïdes, les terres rares, les métaux précieux, les métaux de base, les métalloïdes… C'est également laquestion qui régissait les échanges d'un récent colloque organisé par Guillaume Pitron, Jérome Davant,Global Links et MTL index sous le patronage du député Pouria Amirshahi.

Puisque l'Europe a réduit pour des raisons diverses l'exploration et/ou l'exploitation minière de son propresous-sol, une réponse à la pénurie européenne était déjà ,et restera, la Russie et ses vastes espaces.

Comme toujours, la question n’est pas de connaitre les ressources minérales stratégiques de la Russie.Elle dispose d’un immense sous-sol et à la chance d’être productrice de tout ou presque. Elle est leader oudispose de gisements de classe mondiale dans les platinoïdes, les sables minéralisés, les métaux de base, lesterres rares, le cobalt, l’uranium, le nickel et le cuivre si demandé par son voisin chinois, et une flopée demétalloïdes dont les noms se terminent tous en ium, etc… Le plus souvent, elle est autosuffisante et/ouexportatrice, elle ne manque de rien.

De plus, elle a la chance de voir ses territoires terrestres et maritimes stratégiques s’agrandir au fur et àmesure que les voies navigables du nord lient l’Europe à l’Asie mais aussi atteignent, avitaillent et assurentune continuité territoriale entre le l’ouest du pays et les zones riches de matières premières stratégiques aunord et au nord-est.

Notre question devient donc : l'’Europe peut-elle avoir accès à ces ressources ? Comment peut-elle sereposer sur cette profondeur stratégique orientale pour ses besoins actuels et futurs de métaux critiques ?

Chacun pense deviner la politique énergétique russe et chacun pense qu’elle est aussi valable pour lesmatières minérales critiques. C’est une pensée inexacte lorsque l’on contemple la valeur de l’énergie dansl’inconscient russe construit dans des hivers longs, rigoureux voire polaires. Pour les métaux et métalloïdes,en effet, la Russie n'est pas engagée dans une exploitation minière identique à l’exploitation énergétique,parfois pour des raisons d’héritage, parfois de nécessité : l’héritage d’infrastructures soviétiques quifonctionnaient mais qu’il fallait moderniser ; la nécessité de se limiter à ce que l’on sait faire, ou bien que l'onpeut faire car on manque d’engagement et de main d’œuvre pour faire plus (environ 20% de la populationrusse habitent 75% du territoire à l’est de l’Oural, là existent des richesses inexploitées).

Alliance Russie-Europe

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Sans empire mais immense, avec une population active en décroissance, la Russie, doit-elle développer sesressources stratégiques et pour qui ?La demande intérieure russe et la production industrielle russe ont des limites naturelles qui n’encouragent pasà l’exploitation de toutes les matières premières. La Russie n’est pas la Chine car ses ressources sontsupérieures à ses besoins; l'expression de ces derniers est moins centralisée moins planifiée qu’à Pékin,immensité du territoire là encore ; enfin, ses coûts de production ne sont pas aussi compétitifs.

La Russie peut développer les ressources stratégiques de ses territoires pour des alliances. dans ce cas, elleprivilégiera les relations internationales historiques, celles de confiance, celles du fond des âges, qu’elle saitfaire vivre lorsqu’elle le souhaite, et non pas sur des alliances politiques de circonstances.

La première alliance concerne la production: les États de l’empire d’hier qui sont également fortementexportateurs de matières premières stratégiques. Le but est d’agréger les exportations, de créer descommodity hubs. Cette perspective anticipe également les phases d’instabilité que connaîtront cesrépubliques lors des prochains renouvellements de gouvernants. La Russie encourage une stabilisation dèsmaintenant: d'où le projet d'Eurasie douanière différente d’une Union Européenne orientale.

L’Europe est la seconde alliance, celle de la consommation. nous y trouverions une profondeur stratégiqueorientale tout en devenant l’horizon commercial naturel de la Russie. En effet, développer ses ressourcesstratégiques minières pour des exportations vers l’Europe transformerait la Russie en une terre d’immigrationminière au même titre que l’ont été par exemple l’Australie ou l’Afrique du Sud. En Europe, travailler dans laRussie des matières premières pourrait devenir une idée aussi répandue qu’exploiter une mine en Amériquedu sud ou au Canada. Regardons dans le passé, de la fin du XIXe siècle jusque dans les années 1920 lepremier producteur de platine de l’Oural n’était-il pas une société parisienne : la Compagnie Industrielle duPlatine.

Mais cette réponse de l’Europe à ses propres besoins nécessiterait que d’anciennes diplomaties et limitessoient dépassées et que les cartes du « smart power européen » soient placées sur le dessus.

Il serait également réaliste de reconnaître qu’après le sabordage qui mit une fin au régime soviétisme-l'épilogue fut relativement paisible (sauf dans le sud) et rapide si l’on songe aux fureurs et aux longueurs decertaines dissolutions d’empires européens- la Russie est rentrée dans une lente évolution (trop lente pourcertains) en direction des démocraties à l'européenne. Cet objectif connait une étape, sur le fond et sur laforme, à mi-chemin entre l’Europe et la Russie historique et inspirée non pas par son Orient mais par son Sud.Mais, cette étape, « oligarchie hellénique contemporaine », n’est pas la ligne d’arrivée. Une diplomatie del’accès aux ressources contemple d'autres horizons plus lointains.

A l'heure de la fresque historique de la cérémonie d'ouverture des jeux de Sotchi, comment conclure un sujetsur la Russie sans aborder son mysticisme empreint de traditions et dont les rites orthodoxes ancestrauxsuscitent l’émotion du lien mystique slave qui relie l’être à sa terre. Cette terre natale, à qui le citoyen s'identifiejusqu'aux produits de son sous-sol, c'est la maison commune dont il est l’intendant et non pas le propriétaire.Le tout dans l’immense dimension de son espace ; prenez le temps d'une expédition vers l'est, vers Sakhaline: le temps se dissout dans le voyage, il n'existe plus ; les paysages défilent, se ressemblent, deviennentimmobiles puis ne sont rompus que par l’apparition d'un fleuve.

Le tout est résumé par Mme de Sévigné : « l’étendue fait tout disparaître, excepté l’étendue même, quipoursuit l’imagination, comme de certaines idées métaphysiques dont la pensée ne peut plus se débarrasser,quand elle en est une fois saisie. »

Elle continue dans la même veine: « Ce qui caractérise ce peuple, c’est quelque chose de gigantesque en toutgenre : les dimensions ordinaires ne lui sont applicables en rien. Ni la vraie grandeur ni la stabilité ne s’yrencontrent ; mais la hardiesse mais l’imagination des Russes ne connait pas de bornes, chez eux tout estcolossal plutôt que proportionné, audacieux plutôt que réfléchi et si le but n’est pas atteint, c’est parce qu’il estdépassé »

Tout est dit, l’accès aux métaux critiques de la Russie se fera avec une terre et un peuple et non pas contre

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@didierjulienne

eux.

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