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P aul Wirz, ethnologue et grand voyageur, s’intéressa particulièrement à la Nouvelle- Guinée. Il y fit sept voyages, visitant les populations du sud-ouest (Marind), du lac Sentani, du golfe de Papouasie, des Hautes- Terres du sud et de l’est, du fleuve Sépik, de la région du Maprik ainsi que des Asmat. Près de 3 300 des 10 000 photographies de Wirz furent prises en Nouvelle-Guinée. Outre les recherches qu’il effectua sur l’art, la religion et les coutumes de l’île, il y collecta des sculp- tures, publia livres et articles, tourna des films et recueilli des documents sonores. La famille de Paul Wirz était originaire de Suisse, d’une région proche de Bâle, connue pour sa production de fil de soie. Sa passion pour les voyages naquit à la suite de deux visites en Afrique du Nord entre 1912 et 1913. En 1914 et 1915, il étudie l’anthropologie, l’ethnologie, la géographie et la zoologie à l’Université de Zurich. Très marqué par l’ensei- gnement d’Otto Schlaginhaufen, il cherche à s’établir en Nouvelle-Guinée pour y étudier la culture de peuples peu soumis, à l’époque, aux influences extérieures. En 1919, il retourne en Suisse pour y étudier l’anthropologie, avec Félix Speiser, à l’Université de Bâle. Il y obtient son doctorat l’année sui- vante, ayant soutenu une thèse sur les popula- tions de Marind et leur culture. Sur ce sujet, il publie, par la suite, un livre en deux tomes illustré de ses photographies. Cet ouvrage reste encore aujourd'hui le tra- vail ethnographique le plus important sur les Marind dont la culture s’est considérablement modifiée au contact de l’extérieur. Grâce à ses publications, à ses photographies et à son implication dans la formation de collections muséales, Paul Wirz contribua de manière essentielle à enrichir la connaissance des arts de la Nouvelle-Guinée. C’est au Museum der Kulturen de Bâle que l’on peut trouver la majeure partie des documents photogra- phiques de Wirz. Son fils, Dadi, préserve lui- même la collection familiale. Entretien avec Virginia-Lee Webb Associate Research Curator Département des Arts d’Afrique, d’Océanie et des Amériques Metropolitan Museum of Art, New York Florence Carrie : Pourquoi avez-vous décidé de monter une exposition sur les travaux de Wirz ? Virginia-Lee Webb : Tout d’abord, parce que Wirz est un personnage important dans le domaine des cultures du Pacifique et des études qui s’y rapportent. Ce fut un chercheur proli- fique qui a écrit de nombreux livres. Actuellement, plusieurs universitaires le tradui- sent ou lui consacrent des publications. Par ailleurs, nous possédons un ensemble très inté- ressant de ses photographies, quasiment incon- nues du public. En outre, l’année dernière (6 octobre 2002-27 avril 2003), s’est tenue au Kantonsmuseum Baselland de Liestal, en Suisse, une exposition qui présentait, en quelque sorte 72 Art Tribal 02 / PRINTEMPS 2003 Photographies de Nouvelle- Guinée par Paul Wirz (1892-1955) par Virginia-Lee Webb Hommes et masques aia- imunu à l’intérieur d’une maison (Ravi), 1930. Papouasie Nouvelle-Guinée, province du Golfe, delta du Purari, village de Kaimari. Épreuve aux sels d’argent. The Metropolitan Museum of Art, New York. Fonds provenant de différents dona- teurs, 1992. (1992.417.174) « Ses photographies à lui sont intimistes, particulièrement celles représentant les populations de Marind ou du lac Sentani. Bien que beaucoup de ses clichés soient conditionnés par les événements dont ils témoignent, il est absolument évident que Wirz entretient un rapport personnel avec ses sujets.Vous pouvez le ressentir encore et encore et c’est ce qui rend ses images très particulières. »

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Paul Wirz, ethnologue et grand voyageur,s’intéressa particulièrement à la Nouvelle-Guinée. Il y fit sept voyages, visitant les

populations du sud-ouest (Marind), du lacSentani, du golfe de Papouasie, des Hautes-Terres du sud et de l’est, du fleuve Sépik, de larégion du Maprik ainsi que des Asmat.

Près de 3 300 des 10 000 photographies deWirz furent prises en Nouvelle-Guinée. Outreles recherches qu’il effectua sur l’art, la religionet les coutumes de l’île, il y collecta des sculp-tures, publia livres et articles, tourna des filmset recueilli des documents sonores.

La famille de Paul Wirz était originaire deSuisse, d’une région proche de Bâle, connuepour sa production de fil de soie. Sa passionpour les voyages naquit à la suite de deuxvisites en Afrique du Nord entre 1912 et 1913.

En 1914 et 1915, il étudie l’anthropologie,l’ethnologie, la géographie et la zoologie àl’Université de Zurich. Très marqué par l’ensei-gnement d’Otto Schlaginhaufen, il cherche às’établir en Nouvelle-Guinée pour y étudier laculture de peuples peu soumis, à l’époque, auxinfluences extérieures.

En 1919, il retourne en Suisse pour y étudierl’anthropologie, avec Félix Speiser, à l’Universitéde Bâle. Il y obtient son doctorat l’année sui-vante, ayant soutenu une thèse sur les popula-tions de Marind et leur culture. Sur ce sujet, ilpublie, par la suite, un livre en deux tomesillustré de ses photographies.

Cet ouvrage reste encore aujourd'hui le tra-vail ethnographique le plus important sur les

Marind dont la culture s’est considérablementmodifiée au contact de l’extérieur. Grâce à sespublications, à ses photographies et à sonimplication dans la formation de collectionsmuséales, Paul Wirz contribua de manièreessentielle à enrichir la connaissance des artsde la Nouvelle-Guinée. C’est au Museum derKulturen de Bâle que l’on peut trouver lamajeure partie des documents photogra-phiques de Wirz. Son fils, Dadi, préserve lui-même la collection familiale.

Entretien avec Virginia-Lee WebbAssociate Research CuratorDépartement des Arts d’Afrique, d’Océanieet des AmériquesMetropolitan Museum of Art, New York

Florence Carrie : Pourquoi avez-vous décidéde monter une exposition sur les travaux deWirz ?Virginia-Lee Webb : Tout d’abord, parce queWirz est un personnage important dans ledomaine des cultures du Pacifique et des étudesqui s’y rapportent. Ce fut un chercheur proli-fique qui a écrit de nombreux livres.Actuellement, plusieurs universitaires le tradui-sent ou lui consacrent des publications. Parailleurs, nous possédons un ensemble très inté-ressant de ses photographies, quasiment incon-nues du public. En outre, l’année dernière (6octobre 2002-27 avril 2003), s’est tenue auKantonsmuseum Baselland de Liestal, en Suisse,une exposition qui présentait, en quelque sorte

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Photographies de Nouvelle-Guinée par Paul Wirz (1892-1955)par Virginia-Lee Webb

Hommes etmasques aia-imunu à l’intérieurd’une maison(Ravi), 1930.PapouasieNouvelle-Guinée,province du Golfe,delta du Purari,village de Kaimari.Épreuve aux selsd’argent.The MetropolitanMuseum of Art,New York.Fonds provenantde différents dona-teurs, 1992.(1992.417.174)

« Ses photographies à lui sont intimistes, particulièrement celles représentant les populations deMarind ou du lac Sentani. Bien que beaucoup de ses clichés soient conditionnés par les événementsdont ils témoignent, il est absolument évident que Wirz entretient un rapport personnel avec sessujets.Vous pouvez le ressentir encore et encore et c’est ce qui rend ses images très particulières. »

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pour la première fois, l’œuvre photographiquede Wirz, et c’est en liaison avec ce projet quenous avons décidé de montrer ses travaux.

Cette exposition se situe dans le cadre de ceque nous appelons une « galerie tournante »dans la mesure où les photographies que nousy présentons sont extraites des collectionsmême du musée et que nous les changeonspériodiquement. Cette galerie est ouverte gra-tuitement au public, du mardi au vendredi.Nous avons beaucoup de chance car nous dis-posons ainsi de notre propre espace dans l’aileMichael C. Rockefeller.

F. C. : Peut on considérer Paul Wirz comme unpionnier dans le domaine de l’ethnographie ?V.-L. W : Sa première expédition de 1915 chezles tribus Marind, au sud-ouest de la Nouvelle-Guinée, fut d’une grande importance : il sou-haitait étudier des cultures qui avaient eu trèspeu de contacts avec des civilisations exté-rieures, en particulier les Européens. Bien sûr,les Hollandais l’avaient précédé et contrôlaientnombre des cérémonies traditionnelles aux-quelles Wirz et sa femme Elisabeth eurent l’oc-casion d’assister au cours de leur séjour. Il put,toutefois vivre avec les Marind et se docu-menter sur leur art, d’une extraordinaire créati-vité. Et, quoique ses photographies fussentparfois prises dans des conditions quelque peu

« artificielles » (des cérémonies traditionnelle-ment nocturnes se déroulant de jour, parexemple), elles représentent tout de même untémoignage visuel de cette époque... dontnombre des formes artistiques ont disparu ouont changé depuis, évidemment.

Wirz est également extrêmement importanten raison des expéditions qu’il entreprit chez lesdifférentes tribus du lac Sentani et de la côteNord. Au-delà de leur art, il portait énormémentd’intérêt aux populations et aux personnes elles-mêmes. Cette attitude lui permit de se déplacertrès librement et se reflète parfaitement dans sesphotographies. C’est une chance qu’il ait vécu etétudié en Nouvelle-Guinée à de nombreusesreprises, ce qui lui a permis de nous renseignersur les évolutions qu’ont connues ces culturestout au long de sa vie.

F. C. : À qui devons-nous, en premier lieu, la« découverte » de la Nouvelle-Guinée ?V.-L. W : C’est une question difficile ! LaNouvelle-Guinée a connu tant de visiteurs !Dans chaque région les premiers contacts onteu lieu à des moments légèrement différents.Avant la Première Guerre mondiale, les profes-seurs de Wirz (Schlaginhaufen et Speiser) furentdes chercheurs et des écrivains prolifiques. Wirzest certainement l’un des premiers chercheurspour ce qui concerne les régions du lac Sentani

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Paul Wirz « Pascha» avant son pre-mier voyage, 1915.Photographeinconnu.

Épreuve à l’al-bumen.The MetropolitanMuseum of Art,New York.Don de Dadi Wirz,1999.(1999.131.2)

Elisabeth Wirz (aucentre) avec deuxfemmes indigèneset un enfant, 1917.Indonésie, pro-vince dePapouasie.Épreuve à l’al-bumen.The MetropolitanMuseum of Art,New York.Don de Dadi Wirz,1999.(1999.131.4)

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ou Marind. Après les guerres et les grandes expé-ditions coloniales, quoique leurs travaux fussentde moindre portée, apparurent des personnalitésplus connues, tels Margaret Mead ou GregoryBateson. Chaque région détient sa propre histoirede ses premiers contacts avec les Occidentaux.

F. C. : Dans quel genre de contexte culturel Wirztravaillait-il ?V.-L. W : Fortement influencé par ses professeurs, ilévoluait dans un environnement où les études cul-turelles n’étaient pas prises à la légère. LesUniversités de Bâle et de Zurich étaient et restentdes centres importants de recherche sur l’art duPacifique. Wirz était très imprégné d’une philoso-phie de retour à la nature, préservée des influencesextérieures, pas forcement primitive, mais un envi-ronnement naturel. Je crois que l’art de ces régions

l’attirait comme un aimant. Découvrant desformes artistiques étonnantes en Nouvelle-Guinée, et rencontrant des collectionneurs enEurope, il fut amené à se concentrer sur cet art età constituer des collections exceptionnelles.

F. C. : Comment voyageait-il ?V.-L. W : Ou tout seul ou en famille. Parfois ils

établissaient un camp de base et il voyageait àpartir de là. Durant ces premières expéditions, ilétait accompagné de sa famille. Elisabeth mourutà leur retour en Europe, puis sa seconde épousel’accompagna également. Wirz se maria plusieursfois. Ils ne comptaient que sur eux-mêmes, desmissionnaires, des coloniaux ou les indigènes. Ilne disposait pas d’autre infrastructure.

F. C. : Que faisait-il en Europe entre ses expédi-tions ?V.-L. W : On lui offrit un poste d’enseignant maiscela ne le satisfaisait pas. Il préférait voyager,effectuer des recherches et construire sa collec-tion. Il donna de nombreuses conférences etpublia des livres et des articles sur ses recherches.Après son retour de sa première expédition, ilobtint son doctorat et publia un livre en deuxvolumes fondé sur ses travaux sur les Marind. Ildisparaissait pour se plonger dans ses écrits.

F. C. : Pourriez-vous nous parler de ses talents dephotographe ?V.-L. W : Il avait une vision très originale. Àl’époque, les photographies répondaient souventà une formule — une formule académique

Paul Wirz dansun canoë tenantune sculpture,1930.PapouasieNouvelle-Guinée, pro-vince du Golfe,rivière Turama.Photographeinconnu.Épreuve aux selsd’argent.TheMetropolitanMuseum of Art,New York.Fonds provenantde différentsdonateurs,1992.(1992.417.123)

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Photographies de Nouvelle-Guinée par Paul Wirz (1892-1955)

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Campement aubord de la rivièreTorassi, 1917.

Indonésie, pro-vince dePapouasie.Épreuve à l’al-bumen.The MetropolitanMuseum of Art,New York.Don de Dadi Wirz,1999.(1999.131.5)

Danseur demaportant une coif-fure représentantun nuage au cou-cher du soleil,1916.Indonésie, pro-vince dePapouasie, peupleMarind, village deKumbe.Épreuve aux selsd’argent.The MetropolitanMuseum of Art,New York.Fonds provenantde différents dona-teurs, 1992.(1992.417.14)

Homme marindtenant un tam-bour, avecElisabeth Wirz enarrière-plan, 1916-1917Indonésie, pro-vince dePapouasie, villagede Domandeh.Épreuve aux selsd’argent.The MetropolitanMuseum of Art,New York.Fonds provenantde différents dona-teurs, 1992.(1992.417.80)

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dépendant du matériel utilisé ou du contextede la photo. Ses photographies à lui sont inti-mistes, particulièrement celles représentant lespopulations de Marind ou du lac Sentani. Bienque beaucoup de ses clichés soient condi-tionnés par les événements dont ils témoi-gnent, il est absolument évident que Wirzentretient un rapport personnel avec ses sujets.Vous pouvez le ressentir encore et encore etc’est ce qui rend ces images très particulières.

Ces capacités artistiques étaient intuitives

car il n’avait aucune formation photogra-phique. Il faisait fréquemment des dessins, cequi nous permet d’établir des parallèles entreces deux formes de sensibilité artistique. Il pritde nombreuses photos d’objets pour en faireun fichier et, dans les régions du lac Sentani etdu golfe de Papouasie, et accumula de nom-breuses images montrant le contexte danslequel ces objets étaient fabriqués et utilisés.

Dans ses photos les plus anciennes, on peutvoir des compositions très conventionnelles car il

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Photographies de Nouvelle-Guinée par Paul Wirz (1892-1955)

Homme papou deMerauke, vers1915-1922.Indonésie, pro-vince dePapouasie.Épreuve à l’al-bumen.The MetropolitanMuseum of Art,New York.Don de Dadi Wirz,1999.(1999.131.3)

Homme montrantune sculpture pro-venant d’unemaison de chef(Ondoforo), 1921ou 1926.Indonésie, pro-vince dePapouasie, lacSentani, villaged’Ifar.Épreuve aux selsd’argent.The PhotographStudy Collection.Department of theArts of Africa,Oceania, and theAmericas.The MetropolitanMuseum of Art,New York.(PSC 2000.2.30)

Poteaux sculptésd’une maison dechef (Ondoforo),1926.Indonésie, pro-vince dePapouasie, lacSentani, villaged’Asei.Épreuve aux selsd’argent.The PhotographStudy Collection.Department of theArts of Africa,Oceania, and theAmericas.The MetropolitanMuseum of Art,New York.(PSC 2000.2.34)

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s’intéressait énormément à l’anthropologie phy-sique et prenait des photos anthropométriquesou ethnographiques pour enrichir sa documen-tation sur les individus et leurs décorations cor-porelles. Et pourtant d’autres clichés de cetteépoque sont presque des instantanés, très per-sonnels, comme si ses modèles n’avaient pasconscience de sa présence ou, du moins, se sen-taient tout à fait à l’aise avec lui, son gros appa-reil et les plaques photographiques qu’il utilisait.

F. C. : Pouvez-vous nous décrire vos photos pré-férées ?V.-L. W : Parmi les photographies des tribusMarind, ma préférée est une image prise entre1916 et 1917. Elle est à la fois extrêmementconstruite et très énigmatique. On y voit unhomme de Marind couvert de décorations cor-porelles très particulières. Il tient un tambour etpose devant un arbre. Mais le tambour est sus-pendu à une corde. On discerne égalementl’ombre de Wirz prenant la photo. Il passe au-dessus de l’appareil qui utilise des plaques degrandes dimensions. Dans le fond, on aperçoit safemme Elisabeth vêtue d’une robe à l’euro-péenne. Cette image décrit l’histoire de la photo-graphie en train de se concevoir en même tempsque le sujet lui-même : je la trouve fascinante.

Il y a aussi les photographies représentant lesacteurs du dema et les différentes danses desmasques. Ce sont des documents très importantssur les formes artistiques. Ces clichés sont remar-quables. L’un d’entre eux montre un homme por-tant une coiffe qui symbolise un nuage au soleil

couchant. Ce concept ainsi que sa représenta-tion artistique sont assez extraordinaires.

Il réalisa de nombreux portraits mettant enscène les décorations corporelles de ses sujets.Certains d’entre eux ont un coté formel, cesont des portraits traditionnels, au sens occi-dental du terme. La personne est assise,regarde droit vers l’appareil. D’autres sontprises sur le vif. Par exemple, dans une photo-graphie figurant sur une page de l’album etreprésentant un groupe d’hommes et ungroupe de femmes : à première vue, ils sem-blent être placés de façon très traditionnelle,alignés côte à côte dans un style très « anthro-pométrique », mais en fait ils sont trèsdétendus. En posant, ils mettent leurs mainsdevant eux. L’ordonnance du tableau est per-turbée parce qu’ils ont l’habitude qu’on lesprenne en photo. L’image des femmes dégageune impression de détente, certaines sourientet le regardent en face. Il y avait de manièreévidente une bonne relation entre eux.

F. C. : Qui donc l’inspirait ?V.-L. W : Ses professeurs et ses collègues. Parmila collection des photographies de Wirz auMetropolitan se trouvent aussi des photos d’uncertain Paul B. Rautenfeld qui se rendit dans legolfe de Papouasie avant lui. Ils se connaissaientet échangeaient des clichés, mais les photogra-phies sont visuellement très différentes.

F. C. : Combien présentez-vous de photogra-phies dans cette exposition ?V.-L. W : Il y a cinquante-neuf photos et il a ététrès difficile de faire un choix parmi les septcents tirages. J’ai décidé alors de montrer unesélection représentative de notre collection. Cen’est pas une présentation exhaustive de sonœuvre car nous ne possédons pas de photo-graphies de toutes les expéditions qu’il a faitesen Nouvelle-Guinée.

F. C. : Comment avez-vous opéré votre sélec-tion ?V.-L. W : J’ai fait une sélection chronologiquepour montrer ses quatre premières expéditionsen Nouvelle-Guinée, chez les tribus Marind, aulac Sentani, sur la côte Nord et dans le golfe dePapouasie. La majorité des photos dont nousdisposons concernent ces voyages. Ensuite j’aiessayé de choisir celles qui avaient la plusgrande importance d’un point de vue visuel, cequi est primordial, à mon avis. Ces photogra-phies m’intéressent en tant que représenta-

Pêcheurs sur larivière Obat, vers1915-1922.Indonésie, pro-vince dePapouasie.Épreuve à l’al-bumen.The MetropolitanMuseum of Art,New York.Don de Dadi Wirz,1999.(1999.131.1)

Homme s'ap-puyant à un canoësculpté et peint,1930.PapouasieNouvelle-Guinée,province du Golfe,peuple Wapo.Épreuve aux selsd’argent.The MetropolitanMuseum of Art,New York.Fonds provenantde différents dona-teurs, 1992.(1992.417.156)

Groupe d’hommesmarind, 1916.Indonésie, pro-vince dePapouasie.Épreuve aux selsd’argent.The MetropolitanMuseum of Art,New York.Fonds provenantde différents dona-teurs, 1992.(1992.417.491)

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tions de la vision de Wirz et vecteurs d’infor-mation relatives à la culture. Dans la sélectionqui a été faite, vous pouvez voir architecture,environnement, sculptures et portraits.

F. C. : Pouvez-vous nous parler de la collectiond’objets de Wirz ?V.-L. W : C’était un collectionneur complet. Ilpossédait un très bon œil ! Je pense que les col-lections des musées, spécialement en Suisse, leprouvent bien. Sa collection a incité beaucoupde gens à étudier l’art de la Nouvelle-Guinée. Sesphotographies n’étaient pas largement diffuséesen dehors de ses propres publications qui furentle moyen essentiel de faire partager ses connais-sances. Son objectif principal, quand il allait dansle golfe de Papouasie, était la collecte d’objets.Nous savons où se trouvent plusieurs des sculp-tures acquises et photographiées dans la régiondu lac Sentani, par exemple, l’une appartient auVölkerkundemuseum de l’Université à Zurich. Lacélèbre sculpture Maternité est conservée auMuseum der Kulturen de Bâle.

F. C. : Qui a étudié son œuvre ?V.-L. W : Un des principaux chercheurs est ledocteur Andrea Schmidt. Elle a publié une étudesur Wirz et continue à faire des recherches leconcernant. Son travail revêt une grande impor-tance dans divers domaines. Il nous aide àappréhender l’ensemble de ses collections.

Au Metropolitan Museum, grâce à l’aide dela fondation des amis du Musée, nous avons eula chance de bénéficier des travaux de deuxuniversitaires, le docteur Terence E. Hays et ledocteur Robert L. Welsch. Ils ont étudié les dif-férents aspects des recherches et de la collectede Wirz. En plus de sa biographie et de sesphotographies, ils examinent maintenant sacollection, cette étape est très intéressante.

F. C. : Le Metropolitan détient-il des objets de lacollection Wirz ?V.-L. W : Quatre objets provenant du golfe dePapouasie figurent dans nos collections. À l’ori-gine, ils furent acquis par Wirz et ensuite passè-rent dans la collection de Nelson A. Rockefeller.Ils nous arrivèrent avec le legs Rockefeller en1979. Une sculpture, une planche (gerua) desHighlands, Papouasie Nouvelle Guinée, cultureSiane, fut collectée par Dadi Wirz, le fils de Paul,et fut donnée par Nelson A. Rockefeller en 1969au musée d’art primitif.

F. C. : Pourquoi est-ce seulement maintenant

que les travaux de Wirz recueillent une certaineattention ?V.-L. W : Parfois il faut un certain temps avantque le public reconnaisse l’intérêt d’une collec-tion. En fait, il n’a pas fallu tant de temps quecela. Wirz est mort en 1955, il n’a donc falluque deux générations avant que l’on se penchesur ses travaux. Ses photographies se sont parailleurs avérées d’une grande importance pourles communautés contemporaines de Nouvelle-Guinée dans la recherche de leurs racines et larégénération de leur art et de leur vie cultu-relle.

F. C. : Quand avez-vous acquis sa collection dephotographies ?V.-L. W : En 1992. Nous possédons environ 1100 images. Je pense que c’est l’une des plusgrandes collections de tirages originaux dansune collection publique.

F. C. : Que contient la collection ?V.-L. W : Elle comprend des photographies deWirz et de Rautenfeld, ainsi que des photosacquises par Wirz auprès d’autres personnes,en particulier l’universitaire hollandais A. J.Gooszen. Il y a aussi des cartes postales. Ellesétaient dans des albums que Wirz et sa familleavaient constitués.

F. C. : Comment les avez-vous acquis ?V.-L. W : Ils ont été sur le marché pendant uncertain temps, nous les avons achetés.

F. C. : Wirz avait également tourné des films,en possédez-vous aussi ?V.-L. W : Oui, nous avons des copies vidéo. Il y aaussi des films originaux en Europe. Nos copiesproviennent de films appartenant aux archives duNational Museum of Natural History deWashington D C. Il s’agissait de bobines de filmsau nitrate, très inflammables, mais ils ont été pré-servés. Le docteur Andrea Schmidt travailleactuellement sur la filmographie de Wirz.

F. C. : Le film pourrait-il être utilisé dans uneexposition d’art océanien ?V.-L. W : Nous n’avons pas encore utilisé le filmsur le Pacifique dans une exposition. Vousnoterez qu’un film figure dans l’expositiond’Alisa LaGamma, Genesis: Ideas of Origin inAfrican Sculpture (jusqu’au 23 avril), mais c’estune nouveauté pour le musée. C’est trèsimportant de montrer au public comment lesobjets étaient utilisés et les gens s’intéressent

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beaucoup à cela. Une filmographie accompa-gnait l’exposition Wirz à Liestal.

F. C. : Parlez-nous de la collection de docu-ments photographiques du musée.V.-L. W : Nous possédons plus de 120 000photos. La collection a commencé à voir le jourau Museum of Primitive Art en 1958. À l’occasionde chaque exposition ou publication, les respon-sables sélectionnaient des objets et obtenaientdes photos. À l’époque nombreux étaient leschercheurs et les photographes qui travaillaientsur le sujet et la collection s’agrandit rapidement.On y trouve des images de Walker Evans, EliotElisofon, Philip Dark, Tobias Schneebaum, WilliamB. Fagg, Douglas Newton et Man Ray. En fait, ellea crû de façon significative entre la fermeture duMuseum of Primitive Art en 1975 et son transfertici au MET quand l’aile Rockefeller ouvrit en1982. La collection s’est modifiée également.Nous avons fait l’effort d’acquérir non seulementdes photos de terrain mais aussi des photos d’ob-jets. Les photographies, œuvres d’art à partentière, contribuent à notre compréhension desarts et des cultures d’Afrique du Pacifique et desAmériques. C’est notre objectif. La frontière entrel’art et l’ethnographie est très perméable. Il s’agitd’une collection unique à bien des égards.

Nous construisons cette collection avecbeaucoup d’énergie et avons beaucoup dechance que de nombreuses personnes nousaient aidé et fait des promesses de dons et delegs au musée. J’encourage tout le monde ànous signaler des collections et suis toujoursdisponible pour examiner des photographies.

F. C. : Autorisez vous la consultation des origi-naux ou sont-ils digitalisés ?V.-L. W : On peut voir les deux. Bien sûr les ori-ginaux sont consultables. En fait on vit un

moment très exaltant avec une collection de cetype. Si vous avez besoin d’une image à titre deréférence nous commençons à digitaliser lesphotographies. La digitalisation est égalementtrès importante pour des raisons de conserva-tion, en particulier pour les images du XIXe etdu début du XXe siècle.

F. C. : Quel est votre prochain projet ?V.-L. W : Il y a toujours de nombreux projets enperspective. Nous essayons de faire au moinsune rotation de photo par an dans cet espace. Jesuis entrain d’écrire sur l’histoire de la photogra-phie dans le Golfe de Papouasie en vue d’uneexposition sur l’art de la région par RobertWalsch et c’est très exaltant. Je prépare égale-ment un document relatif à mes recherches àpropos de la collection de photos que possède leMET et provenant de l’expédition dans lePacifique de Crane. (1928-1929) ainsi qued’autres expéditions privées qui se rendirent enNouvelle-Guinée et en rapportèrent des photos.

RéférencesHAYS, Terence, E., « Paul Wirz’s New Guinea Photographs »,

Report to the Metropolitan Museum of Art (non publié),1999.

KAUFMANN, Christian, « Paul Wirz and the Appreciation ofNew Guinea Art », in Art of Northwest New Guinea, editedby Suzanne Greub, Rizzoli, New York, 1992, pp. 140-153.

SCHMIDT, Andrea, E., « In Search of Men of Nature: PaulWirz’s Photography in New Guinea, 1916-1955 », PacificStudies, 20, n° 4 (décembre 1997), pp. 35-50.

Ibid., « Paul Wirz: Ein Wanderer auf der Suche nach der“wahren Natur” », Basler Beitrage zur Ethnologie, vol.39, 1998.

WEBB, Virginia-Lee, « Photographs of Papua New Guinea:American Expeditions 1928-29 », Pacific Arts, 11/12(juillet) 1995, pp. 72-81.

Photographies par Paul Wirz, sauf indication.© The Photograph Studio of The Metropolitan Museum ofArt, New York, Tanya Savickey photographe.All photographs Copyright © Dadi Wirz and Museum derKulturen Basel.

Photographs of New Guinea by Paul Wirz(1892-1955)Commissaire : Virginia-Lee Webb, Ph. D.,Associate Research Curator Department of theArts of Africa, Oceania, and the Americas (Tel.:212-650-2138 ; Fax: 212-396-5039. E-mail:[email protected]).The Metropolitan Museum of Art, New York, Mezzanine, The Michael C. Rockefeller Wing, 1000 Fifth Avenue, New York, New York - 10028, USA.Jusqu’au 27 juin 2003, du mardi au vendredi,de 10 h à 16 h 30.Une brochure est disponible.

Groupe de femmesjee-anim, 1917.Indonésie, pro-vince dePapouasie, villagede Saguee.Épreuve aux selsd’argent.The MetropolitanMuseum of Art,New York.Fonds provenantde différents dona-teurs, 1992.(1992.417.492)

Art Tribal 02 / PRINTEMPS 2003 83

Photographies de Nouvelle-Guinée par Paul Wirz (1892-1955)

WIRZ - fr 72-85 26-05-2003 18:20 Pagina 83