pantacle-16

52
N° 16 - Janvier 2008 PANTACLE Spécimen

Upload: tazoub

Post on 10-Aug-2015

186 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: pantacle-16

N° 16 - Janvier 2008

PANTACLESpécim

en

Page 2: pantacle-16

CONVENT GÉNÉRAL 2008O.M.T.

199, BIS RUE SAINT-MARTIN

75003 PARIS

ORDRE MARTINISTE TRADITIONNEL

CONVENT GÉNÉRAL

PARIS

8 ET 9 NOVEMBRE 2008

EN PRÉSENCE

DU

GRAND MAÎTRE

DES PAYS DE LANGUE FRANÇAISE

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 3: pantacle-16

Sauf mention spéciale, les articles publiés dans cette revue ne représentent pas lapensée officielle de l’O.M.T., mais uniquement celle de leurs auteurs. Les manuscritsnon insérés ne sont pas rendus.

Tous droits de reproduction réservés.Impression : D.R.C. 02.32.35.39.78

Sommaire

Le Pèlerinage intérieurGuy Eyhérabide .................................................................... 2

L’Évangile de Thomas ............................................................ 8

L’aventure gnostiqueClaude Larochelle ................................................................ 10

Le site internet .................................................................... 23

Le ministère de la RéconciliationMichel Armengaud .............................................................. 24

À propos de MoïseJean-Pierre Soula ................................................................ 32

Musique et mystique chez Louis-Claude de Saint-MartinChristian Rebisse.................................................................. 40

L’Initié (poème)Carol Antoine ...................................................................... 48

En couverture : Le Monocorde divin, Robert Fludd.

Revue de l’Ordre Martiniste TraditionnelChâteau d’Omonville – 27110 Le Tremblay

www.martiniste.org

Janvier 2008 N° 16

PANTACLEPANTACLE

Imprimé sur papier recyclé

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 4: pantacle-16

Le Pèlerinage intérieurDe l'exil à l'exode : le chemin du retour

Eyhérabide Guy

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 5: pantacle-16

OUS PARTIRONS d'un postulat commun à toutes les formesd'ésotérisme : il y a deux faces du Réel, l'une cachée,l'autre apparente ; une face intérieure, invisible et ésoté-

rique, et l'autre extérieure, visible et exotérique. À cela, il faut toutde suite ajouter que l'apparent, le visible et l'exotérique, procèdedu caché, de l'invisible et de l'ésotérique. L'intérieur donne énergieet forme à l'être extérieur. En un mot, l'intériorité de l'Être n'a pasbesoin de l'extériorité pour exister mais en a besoin pour se mani-fester sur le plan formel. Le Réel est donc double et Dieu, l'Hommeet l'Univers manifestent cette dualité : il y a un Dieu caché et un Dieurévélé, un homme intérieur et un homme extérieur, et un univers àplusieurs niveaux, un niveau profond et voilé, l'autre apparent.

Ainsi, pour l'esprit humain, le monde extérieur est-il le refletde notre monde intérieur. Le monde est tel que nous le concevons,et si nous voulons changer le monde, il faut d'abord changer laconception que nous en avons. Tout ceci est bien résumé par lamaxime « nous contemplons ce que nous sommes ». À titred'exemple, l'homo economicus de nos sociétés matérialistes ne voitdans la nature que des ressources à exploiter et non de la beautéà contempler. Pour l'homme traditionnel, la nature est un cosmosordonné selon une structure verticale (il y a un haut et un bas),et une structure horizontale à la fois temporelle (passé, présent,futur) et spatiale (les 4 points cardinaux). Le temple en est un par-fait symbole. Quant à l'homme, microcosme de ce macrocosme,il en est l'image réduite, un condensé. Mais il a quelque chose enplus, la conscience de soi, qui lui permet de faire l’expérience deson être et de se connaître lui-même. Il est le miroir privilégié, leregard par lequel Dieu peut contempler le monde, ainsi que le disaitMaître Eckhart « Dieu regarde le monde à travers notre regard ». Lemystique sait donc pourquoi il est ici-bas. Son parcours est orientéà l'image de l'initié qui chemine dans le temple de l'Occident versl'Orient, source de toute lumière. Sa vie est un chemin initiatiqueà l'horizon duquel se profile la réintégration dans l'unité divine.

Ainsi se dessine l'histoire de l'âme humaine dans sa chute etson ascension à travers les trois mondes manifestés : le mondede l'Esprit ou monde des Archétypes, le monde de l'Âme ou mondedu mouvement et du devenir, et le monde des formes matérielles.C’est la descente de l'unité dans le multiple, le retour du multiple

N

3

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 6: pantacle-16

vers l'unité, et au-delà de l'être, l'Un indicible, l'Absolu, source etfin de toutes choses. Nous allons donc suivre le cheminementd'une âme, son éloignement du Principe et son retour, en ne perdant pas de vue le but de celui-ci : la connaissance de soi entant qu'âme émanée à la ressemblance de Dieu. Nous avonsquitté notre pays natal, avons oublié jusqu'à sa géographie, et nousne retrouverons la paix que dans le retour en ce monde spirituel,origine et fin de notre odyssée.

En préambule à ce voyage, il est bon de nous attarder quelquepeu sur le fait suivant. En tant qu'être humain, nous sommes untissu d'histoires imbriquées, entrelacées. Il y a d'abord l'histoirede notre corps, aboutissement d'un long processus évolutif qui,des êtres unicellulaires à notre corps, a généré des organismes deplus en plus complexes, écheveau de forces, d'échanges d'énergiesqui, par le jeu du métabolisme, parviennent à préserver leurunité, leur individualité. Ce temple est lié aux forces de la vie etrégi par ses lois, alliance d'éléments existant depuis le début destemps se combinant en des formes elles-mêmes temporelles etpérissables.

Nous sommes aussi un être individuel, un ego qui a sa proprehistoire. Comme le corps, il est circonscrit entre les deux dates denotre naissance et de notre mort. Comme lui, il est éphémère et mortel même si certaines de ses expériences les plus profondesrestent gravées dans la mémoire de notre subconscient.

Nous sommes enfin une âme qui, elle aussi, a sa propre histoiremais qui se situe dans une autre temporalité. Dans ses allers-retours entre le monde matériel et le monde spirituel, elle serévèle peu à peu à elle-même se servant des expériences qu'ellea pu faire dans sa vie terrestre.

De ces trois temporalités, c'est bien sûr, cette dernière quinous importe ici, même si les deux autres interfèrent dans ledéveloppement spirituel de l'être humain. Cette histoire de l'âmeest paradoxale, en ce sens qu'elle est à la fois universelle et sin-gulière. Universelle en effet, car tout homme connaît ce processusde descente et de remontée. « Tous les mystiques parlent le mêmelangage parce qu'ils viennent tous du même pays » dit Saint-Martin. « Les hommes passent mais les états sont à jamais

4

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 7: pantacle-16

permanents » ajoute William Blake. Mais cette histoire de l’âmereste singulière car chacun la vit dans l'intimité de sa conscienceet nul ne peut effectuer le voyage à notre place.

Il est temps maintenant de partir et d'accompagner l'âme dansson périple. Beaucoup de contes narrent l'histoire d'un personnagequi quitte son pays natal pour découvrir le vaste monde. Il affrontealors nombre d'épreuves pour retrouver, riche de cette expé-rience, son lieu d'origine et la paix intérieure. C'est bien là, en raccourci, l'histoire de l'âme descendue dans le monde terrestre.

« Tous les mystiques parlent lemême langage parce qu’ilsviennent tous du même pays. »

Dans un premier temps, elle s'en va, elle s'éloigne, elle s'exile.Il s'agit, comme pour l'adolescent, de quitter le cocon originel etd'acquérir son autonomie. Dans l'état de fusion, on ne se connaîtpas soi-même. Il faut se séparer pour conquérir la connaissancede soi. Cette séparation nécessaire a été illustrée de maintesmanières et a pris de nombreuses formes. Plusieurs mots se réfé-rant à des états de conscience essaient de la cerner : oubli, sommeil, ignorance, perte, exil, blessure, déchirure. Ils traduisentdans leur diversité un plus ou moins grand état de souffrance suscité par le manque ou la perte. Blessure et déchirure impliquentviolence et douleur alors que oubli et sommeil évoquent un étatd'inconscience qui les ignore. Chacun s'appropriera l'un de ces motsen fonction des résonances qu'il reconnaîtra en lui.

Dans un très beau livre Divine blessure, Jacqueline Kelennécrit : « La blessure n'est ni la souffrance, ni le mal, elle est aucontraire le rappel que notre nature véritable n'est ni limitée, nisouffrante. Elle donne accès à une autre perception, elle est uneaspiration à un infini que ne peut combler aucun bien de cemonde ». Et elle ajoute plus loin : « Qui a le goût de l'absolu sesent appelé à la perfection et ne peut plus transiger, et devient lui-même pour les autres une blessure, non parce qu'elle fait mal maisparce qu'elle ravive la nostalgie de l'être, qu'elle rappelle unmanque essentiel ». L'état de sommeil ou d'amnésie est souventévoqué dans les contes. L'être ne se souvient plus qu'il vientd'ailleurs, et il faut un déclic, un appel pour que le réveil survienne,

5

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 8: pantacle-16

que le souvenir surgisse à la conscience. La nostalgie est toujourslà au cœur de la conscience humaine mais l'homme a du mal à ladéchiffer, à lui attribuer sa véritable origine. Aussi, très souventse fourvoie-t-il en des chemins perdus. Nous sommes à la sourcede ce qu'est le désir. L'homme est fondamentalement un être dedésir. Mais à quoi va s'attacher ce désir ? Il lui faudra apprendreà spiritualiser son désir s'il veut apaiser cette souffrance ou cettemélancolie.

Spiritualiser son désir, orienter sa vie, lui donner un sens. Maiscomment trouver son Orient ? Par une conversion de son regardet de son cœur. Alors pourra commencer le chemin du retour. Cechemin, disions-nous en titre, nous conduit de l'exil à l'exode.L'exil est un état statique. L'exilé ne se mettra en route quelorsque naîtra en lui le désir du retour. Akbar le juste a fait graversur le porche d'une ancienne ville, au sud de Delhi, ces paroles attri-buées à Jésus : « Le monde est un pont, passe dessus, mais n'yétablis pas ta demeure ».

Prendre conscience de notre condition de pèlerin, peut-êtreest-ce là le premier déclic, le premier pas nécessaire pour quenaisse ce désir. Louis-Claude de Saint-Martin dans le Tableau des rapports entre Dieu, l'homme et l'univers, parlant des livres deshébreux, nous invite à méditer sur la pérégrination du peuplehébreu, de l'Égypte à la Terre promise, comme emblématique dela condition humaine en général. L'Égypte, c'est notre mondesensible, où nous sommes en exil. Le passage de la Mer rouge sym-bolise la prise de conscience de la dimension transcendante de notreêtre. La traversée du désert, c'est la purification nécessaire, lalongue marche de l'initié et les épreuves qu'elle comporte, et l'ascension céleste à travers les sept sphères de la Création. LaTerre promise, c’est la promesse de la réintégration des êtresdans l'Unité divine.

L'ascension céleste dont nous parle le Martinisme est bien cetteéchelle de Jacob reliant la terre et le ciel. Les sept planètes nousrévèlent sept plans de l'être, mais aussi sept modalités de notreêtre intérieur qu'il nous faut développer et harmoniser. Le chemindu retour est bien une ascension, une verticalisation de nous-mêmes. C'est pourquoi l'image de la montagne à escalader revientsi souvent dans le symbolisme ascensionnel. L'image de l'oiseau

6

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 9: pantacle-16

y est aussi associée ainsi que celle de l'arbre. Tous sont des liens,des ponts entre les mondes. Jacob Boehme écrit à propos del'arbre :

Retenez bien [...] ce que j'ai voulu dire par cette image. Le champ repré-sente la nature, le tronc d'arbre les étoiles, les branches les éléments ;les fruits qui poussent sur cet arbre, ce sont les hommes, la sève àl'intérieur de l'arbre signifie la pure divinité. Or, les hommes ont été créésà partir de la nature, des étoiles, des éléments. Mais Dieu le Créateur règneà l'intérieur de tous, comme la sève dans l'arbre tout entier.

Nous nous séparerons en invoquant une dernière fois JacobBoehme. Il a écrit : « Le mystique est un homme en qui l'Esprita fait une brèche ». Seule cette brèche peut nous réveiller dusommeil de l'inconscience. Et cette brèche est souvent blessureen ce sens qu'elle ravive en nous la nostalgie de l'Unité. Nous avonstous quitté notre pays natal et nous aspirons tous à y retourner.Cette aspiration nous incline à chercher partout la voie, le guidequi pourrait nous permettre ce retour.

Ce guide, nous le cherchons trop souvent à l'extérieur de nous-mêmes, alors qu'il nous attend, tapi à l'intérieur de notre être, prêtà se manifester au premier signe de notre part. Le pèlerinageintérieur commence lorsque nous reconnaissons ce guide invi-sible comme la partie la plus haute de nous-mêmes et acceptonsde suivre son chemin. Cette fine pointe de l'âme que nous pou-vons appeler notre ange, c'est notre perfection en devenir. Et il estbien vrai de dire que l'homme est bien moins un ange déchuqu'un ange en devenir. ■

« Le monde est un pont,passe dessus mais n’y établispas ta demeure. »

Illustration : p. 2, Les Noces chymiques de Christian Rosenkreutz,dessin de Hans Wildermann, 1923.

7

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 10: pantacle-16

L’Évangile de Thomas

Découvert en 1946 aux environs de Nag-Hammadi, en Haute-Égypte, cet évangile a soulevé bien des polémiques. Il aurait étérédigé en Syrie, en langue copte, au IIe siècle de notre ère. Il seprésente sous la forme de 114 logia attribués à Jésus. Nous vousen proposons ici quelques extraits.

« Voici les paroles du Secret. Jésus, le Vivant, les a révélées,Didyme Jude Thomas les a transcrites.

1. Il disait : Celui qui se fera herméneute de ces paroles ne goûtera plus de mort.

2. Jésus disait : Que celui qui cherche soit toujours en quêtejusqu’à ce qu’il trouveet quand il aura trouvé, il sera dans le trouble,ayant été troublé, il s’émerveillera,il règnera sur le Tout.

3. Jésus disait : Si ceux qui vous guident affirment : voici, leRoyaume de Dieu est dans le Ciel, alors les oiseaux en sont plus près que vous ; s’ils vous disent : voici, il est dans la mer,alors les poissons le connaissent déjà…Le Royaume : il est à l’intérieur de vous, et il est à l’extérieur de vous.Quand vous vous connaîtrez vous-mêmes, alors vous serez connus et vous connaîtrez que vous êtes les fils du Père, le Vivant ;mais si vous ne vous connaissez pas vous-même, vous êtes dans le vain, et vous êtes vanité.

8

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 11: pantacle-16

6. Ses disciples l’interrogeaient ainsi :Faut-il jeûner ? Comment prier ? Comment faire l’aumône ?Que faut-il observer en matière de nourriture ?Jésus disait : Arrêtez le mensonge, ce que vous n’aimez pas, ne le faites pas ;vous êtes nus devant le Ciel, ce que vous cachez, ce qui est voilé, tout sera découvert.

22. Jésus vit les petits qui étaient au sein.Il dit à ses disciples : Ces petits qui tètent sont semblables à ceux qui entrent dansle Royaume.Ils lui dirent : Alors, en devenant petits, nous entrerons dans le Royaume ?Jésus leur dit : Lorsque vous ferez le deux Unet que vous ferez l’intérieur comme l’extérieur, l’extérieur comme l’intérieur, le haut comme le bas, lorsque vous ferez du masculin et du féminin un Unique,afin que le masculin ne soit pas un mâleet que le féminin ne soit pas une femelle, lorsque vous aurez des yeux dans vos yeux, une main dans votre mainet un pied dans votre pied, une icône dans votre icône, alors vous entrerez dans leRoyaume !

Note : L’Évangile de Thomas, traduit et commenté par Jean-Yves Leloup, a été publié chez Albin Michel, dans la collection« Spiritualité vivantes ».

9

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 12: pantacle-16

L’aventure gnostique

Claude Larochelle

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 13: pantacle-16

USQU’AU milieu du XXe siècle, la Gnose et les Gnostiques nenous étaient connus que par les historiens des premierssiècles et les Pères de l’Église qui les dénonçaient pour

leur hérésie. Depuis le IVe siècle, ces informations ne pouvaient êtreconfrontées avec des documents originaux. Il y eut un grandsilence dans l’histoire, jusqu’à ce que des vestiges émergent dusable de l’oubli. Voici l’histoire exaltante d’une découverte en troisétapes :

En premier lieu, en 1769, Bruce rapporte de Thèbes, un papy-rus [Codex de Bruce] qui fournit deux Livres de Iéou et un textesans titre. À la même période, au même endroit, le document PistisSophia est exhumé [Codex Askewianus]. Ces textes s’accordentmal avec le tableau du gnosticisme tracé par les hérésiologues despremiers siècles.

Ensuite, en 1896, Schmidt achète, en Égypte, un livre sur papyrus[codex de Berlin] contenant l’Évangile de Marie (Maria Magdalena),l’Apokryphon (Livre secret) de Jean et la Sophia de Jésus.

Enfin, en 1945, au Nord de Louqsor, un paysan de Nag Hammadidéterre une jarre de terre, haute d’un mètre, contenant unedizaine de livres reliés de cuir brun. Une part est brûlée, uneautre vendue au marché noir, mais la majeure partie est acquisepar le Musée copte du Caire. Les 13 codex renferment, en 1156pages, 54 œuvres différentes et la plupart inconnues dont lefameux Évangile selon Thomas. La majorité des textes écrits engrec au IIe siècle vont être traduits ensuite en copte aux IIIe et IVe

siècles, avant d’être enfouis.

Les textes proposent des interprétations et rituels chrétiens diffé-rents de ceux officialisés au concile de Nicée en 325. Ils furentrejetés comme hérétiques. Afin de les protéger, ils furent rassembléset cachés peu après. Contrairement à l’Église officielle, les Gnostiquess’attachaient au sens ésotérique et non historique des textessacrés. Ils envisagent les choses divines comme une connais-sance intérieure et secrète, transmise par la tradition et l’initiation.Les manuscrits originaux de Nag Hammadi sont conservés auMusée copte du vieux Caire. Une copie photographique est travailléeet traduite avec texte explicatif. Trois études en ont été entreprisesdans le monde : en allemand à Berlin, en anglais à Claremont en

11

J’

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 14: pantacle-16

Californie, et en français, depuis 1974, à l’Université Laval de Québec.La Bibliothèque copte de Nag Hammadi de l’Université Laval apréparé une édition pour la Bibliothèque de la Pléiade.

Il est important de signaler qu’à l’est d’Israël, entre 1947 et1958, des fouilles archéologiques successives ont permis la miseà jour de manuscrits sur les rivages de la mer Morte. Ces décou-vertes nous ont fait découvrir la communauté essénienne deQumrân. Après ce bref rappel historique, nous sommes prêts àexplorer la Gnose et les Gnostiques.

La quête de sens et la Gnose

Dans sa recherche du bonheur, l’humain est en quête de compréhension sur lui-même et son environnement. Affectés parla douleur de l’exil, animés par un sentiment de manque etl’impression d’être lancés dans une aventure dont les règles nouséchappent, nous cherchons à connaître la réalité de la vie et àacquérir la maîtrise de notre destin. Cette quête de sens a favo-risé le développement de la magie et des premières religions, etce mouvement de recherche n’a jamais cessé. Parmi les nombreuxgroupes philosophiques, religieux ou ésotériques qui émergèrentdans l’histoire de l’humanité, il y eut les Gnostiques.

Dix-huit siècles nous séparent des Gnostiques… Qui étaientces êtres assez lucides pour porter sur la Création un regarddénué d’indulgence, assez sensibles pour avoir ressenti l’angoissed’une éternité toujours promise et toujours refusée ?

Le terme de « gnostique » est vague et présente des signifi-cations différentes, mais il a pris un sens privilégié dans les pre-miers siècles de notre ère. Sur les rives orientales de laMéditerranée, au moment où le Christianisme cherche sa voie, oùprophètes et messies parcourent les routes de l’Orient, certainshommes appelés « Gnostiques » (du grec gnôsis – connaissance)se regroupent autour de quelques maîtres et partagent un ensei-gnement radicalement différent des thèmes et mythologies quiavaient alors cours. Ce qui caractérise les Gnostiques est la façondont ces thèmes sont réinterprétés. C’est la révélation d’une histoire secrète qui traite de l’origine et de la destinée de l’humanité.

12

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 15: pantacle-16

Selon le Gnostique, la vie et le devenir de la Création sont uneœuvre manquée, mais il a une certitude : il existe en l’homme unelumière issue du vrai Dieu inaccessible, étranger à l’ordre perversde l’univers réel. La tâche de l’homme est de regagner sa patrieperdue, de retrouver l’unité première et le royaume de ce Dieuinconnu et méconnu par toutes les religions antérieures.

Les Gnosticismes chrétien et païen s’épanouissent dans unepériode de décomposition du monde antique, en proie à uneangoisse profonde. Les documents témoignent de l’attitude spirituelle et de la sensibilité des Gnostiques face aux problèmesde la destinée humaine : « D’où suis-je venu ? Que suis-je ?Qu’est le monde matériel ? Où irai-je au-delà de cette vie ? »Cette angoisse, qui ne touchait pas seulement l’élite et les masses,présente des similitudes avec celle des sociétés modernes oùl’économie vacille et où l’injustice, les violences sont présentes.La solitude de l’individu dans les grands États, rend encore pluspesante la mort et porte chacun à considérer sa propre condition.

Notions sur la Gnose et le Gnosticisme

La Gnose est une connaissance. C’est sur cette connaissanceet non sur la croyance et la foi que les Gnostiques s’appuientpour édifier leur image de l’univers et les implications qu’ils entirent. C’est une connaissance parée de merveilleux prestiges,une révélation secrète et mystérieuse. Ce qui est proprementgnostique, c’est l’opposition de la lumière et des ténèbres. L’hommeparticipe à la fois du monde inférieur et de la nature supérieure :il est une étincelle lumineuse emprisonnée dans la chair. La tâchedu Gnostique sera donc de remonter la pente fatale pour regagnerle monde supérieur d’où jamais l’homme n’aurait dû chuter.

Les principaux courants gnostiques chrétiens opposent le Dieuvengeur de la Bible (Jéhovah) au Christ bon et libérateur duNouveau Testament. Ils affirment qu’il y a un Dieu bon, sansnom, incréé, et un Démiurge mauvais, Iadalbaoth, responsable dela création de la matière.

À l’origine de tout, il y a un Éon invisible, parfait, inconcevableet éternel, habité par un Être Absolu immuable replié sur lui-même, coexistant avec sa Pensée qui est Silence absolu. De cette

13

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 16: pantacle-16

14

unité primitive du Pro-Père et de sa Pensée va émaner une secondeimage du Père. Cette première émanation est dégagée del’isolement primordial et capable d’engendrer. Elle suscite alorsl’émergence d’une succession de couples d’éons hiérarchisés quiformeront le Plérôme.

D’où vient cette séparation radicale entre les mondes ? Àl’aurore du temps, un des habitants du Plérôme, démiurge, ou Éon,a perverti l’équilibre des virtualités. Par erreur ou orgueil, il est inter-venu dans son déroulement et provoqua des perturbations de lamatière ignée qui entraînèrent sa descente progressive et sadégradation vers les cercles inférieurs. Le monde où nous vivonsest surtout un monde non prévu, non voulu, où chaque chose,chaque être, est le résultat d’un malentendu cosmique.

La pensée est alourdie par la matière. Les Gnostiques ont tra-duit cet engourdissement de l’esprit par l’image du sommeil. Nouspassons notre vie à dormir. Et seuls ceux qui le savent peuventréveiller en eux l’étincelle qui réside malgré tout en nous. Seréveiller, veiller, voilà les termes qui reviennent dans les textes gnos-tiques. Rappelons-nous la parabole des vierges folles et des viergessages : « Soyez vigilants, car le Seigneur vient comme un voleurdans la nuit » fait remarquer Jésus aux apôtres endormis au Jardindes Oliviers. La Gnose, symbolisée par un feu illuminateur etrégénérateur, arrache l’âme de l’élu au sommeil. Une fois atteinte,la gnôsis est une connaissance totale et immédiate qui embrassel’Homme, le Cosmos et la Divinité.

Les Gnostiques

Le Gnosticisme a des origines variées dans l’espace et dans letemps. Son évolution a par la suite engendré plusieurs variantes.En voici quelques illustrations :

1) Les Gnostiques pré-chrétiens

Selon Serge Hutin, il y a des origines orientales et grecques auxthèmes développés par les Gnostiques chrétiens. L’idée du salutprocurée par une connaissance existe dans les Upanishad del’Inde ; le Bouddhisme prône la délivrance par l’illumination ; l’Égypte a fourni les mythes des multiples générations de dieux et

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 17: pantacle-16

de déesses et des descriptions du jugement des âmes ; le mythede la descente et de la remontée des âmes est emprunté à laBabylonie. Le thème du « Sauveur sauvé » et la lutte entre lalumière et les ténèbres sont d’origine iranienne. Les Esséniens, dontles manuscrits ont été retrouvés dès 1948, peuvent être considéréscomme des Gnostiques pré-chrétiens, car l’existence de la commu -nauté de Qumrân a duré de 160 avant J.-C. jusqu’en 68 après J.-C.,année au cours de laquelle la Légion romaine détruisit le monastèrede Qumrân, puis le Temple de Jérusalem en 70. Nous ferons main-tenant un rapide tour d’horizon de quelques Gnostiques du débutdu Christianisme.

2) Simon le Mage (ou le Magicien ou le Samaritain)

Simon le Mage est le plus ancien des prophètes errants. Quinzeans après la mort du Christ, il prêche aux mêmes endroits quel’apôtre Pierre qui doit souvent combattre son influence. Né à Gitta,en Samarie (région de Palestine centrale), Simon se promène avecHélène, ancienne prostituée de Tyr, et il affirme que tous deux sontSoleil et Lune, Puissance Suprême et Sagesse descendues descieux. Simon et Hélène prêchent, convertissent, et opèrent miracleset prodiges. C’est le temps de la multitude des prophètes et dieuxincarnés que les auteurs païens décrivent avec ironie. Simon n’estqu’un de ces prophètes, mais il attire les foules. On l’écoute et le suitcomme les apôtres. Il a un message singulier, reconnaissable entretous, car il est cohérent, rationnel, subversif : le message gnostique parexcellence. Voici un aperçu de l’enseignement de Simon le Mage.

D’après Simon, l’homme possède en lui une parcelle du feu divin,donnant des possibilités, mais tout dépend de lui pour qu’elles sedéveloppent ou disparaissent. Autrement dit, « l’âme n’est pasimmortelle par nature, elle peut seulement le devenir » si l’hommeentretient et nourrit ce feu privilégié qu’il porte en lui ; sinon, lefeu divin retournera au néant.

Cet enseignement contredit celui des apôtres pour qui l’âme del’homme est immortelle, quoiqu’il fasse. Pour le Gnostique, c’est « iciet avant la mort » que tout se joue. Chacun de nos instants estcompté, chaque minute de notre vie est une porte ouverte sur le néantou sur l’immortalité. La possibilité de la réincarnation n’est pas partagéepar tous, ce qui explique le sentiment d’urgence qui les habite.

15

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 18: pantacle-16

3) Les principaux Gnostiques des premiers siècles

N’ayant eu ni église ni dogme ni concile, le Gnosticisme s’estdéveloppé selon des voies multiples qui toutes en font partie. Sil’histoire du Christianisme est celle de la victoire du dogme contreles hérésies, le Gnosticisme doit éviter de privilégier un courantau détriment des autres. Il n’y a pas d’hérésie pensable dans leGnosticisme puisque, par essence, la Gnose englobe au lieu de divi-ser. Ainsi, on pourrait conclure que la Gnose, comme chez lesmystiques traditionnels, favorise tolérance et indépendance. Auxyeux des Gnostiques, chacun est responsable de son évolution.

Après Simon le Mage, plusieurs disciples continuèrent sonenseignement, dont Ménandre et Saturnin, mais chacun suivitune voie personnelle, y ajoutant ses propres méditations. Lespremiers Gnostiques chrétiens ont vécu aux IIe et IIIe siècles aprèsJésus-Christ, comme Carpocrate, Basilide et Valentin. Ces deux derniers enseignaient en grec à Alexandrie. Nous allons les considé-rer brièvement.

Selon la cosmologie de Valentin, au sommet il y a le Dieu bon,isolé, et en-dessous, trente cercles, jusqu’à notre monde terrestre,gardés chacun par un Éon. Cet ensemble constitue le Plérôme, lemonde de la Plénitude, réservoir des Essences. L’Éon du tren-tième cercle avait pour nom « Sophia », la Sagesse. Or, Sophia voulut un jour contempler la splendeur du Plérôme. Une fois franchi le dernier cercle, elle fut éblouie, prise de vertige et chutajusqu’à notre monde. Cette intrusion de Sophia eut des consé-quences. Enceinte de la Plénitude, elle accoucha d’une créature,un monstre inhumain que sa mère ne pouvait regarder et surlequel elle jeta un voile qui sépara les deux mondes. De ce monstrenaquit l’homme, à la suite de retouches, de corrections oud’additions auxquelles participèrent les Éons du Plérôme. Quelquechose subsista en l’homme de la brève contemplation de la splen-deur d’en haut… un reflet de l’Invisible… une touche de lumièrequi favorisa peut-être, profondément dans la psyché, l’insatiablequête, le désir de retourner vers l’Origine.

D’après Basilide, il fut un temps où rien n’était. Cela ne signi-fie pas qu’il n’y avait rien, cela veut dire que le rien lui-mêmen’existait pas, et Dieu fut alors appelé « Celui qui n’est pas ». Le

16

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 19: pantacle-16

monde est une illusion, un mirage d’un autre monde non-créé, nonengendré. Au bout de la pensée de Basilide, on rencontre leSilence. Il imposait, comme Pythagore, un silence de cinq anspour susciter chez le disciple une conscience accrue, un supplé-ment d’âme.

Selon Carpocrate, les lois trompeuses de ce bas monde ont étécréées par les anges inférieurs pour détourner les intentions duvrai Dieu. Ainsi, pour retrouver la source pure du Désir et la Loivéritable, les humains doivent violer les lois du monde en touteoccasion. Carpocrate et son fils Épiphane prônent l’immoralismeérigé en système rationnel, l’insoumission totale élevée au rangde voie libératrice. Parallèlement à la Gnose qui se développait àpartir d’Alexandrie, un prophète important créa une religion gnostique d’envergure. Il s’agit de l’iranien Mani.

4) Mani et le Manichéisme

Mani (Manès) est né en Babylonie (Mésopotamie : Iran, Irak,Koweït) le 14 avril 216. Porté très tôt à la méditation et aux acti-vités intellectuelles et artistiques, il a une première révélation à12 ans et, à 24 ans, dans sa grande révélation, un ange luiordonne de se manifester. Mani est persuadé d’être le « Sceau desProphètes » (repris par Mahomet vers 610), et se considère commele dernier des Envoyés de Dieu.

Protégé du roi Shâpûr, il prêche en Iran et y développe sa religion.Plus tard, sous le règne du roi Bahrâm I, il est emprisonné et meurtle 27 février 277, après d’atroces souffrances. Sa formation reli-gieuse comportait l’étude des quatre Évangiles et des Épîtres dePaul. Il prit aussi connaissance des apocalypses d’Adam, de Seth,d’Hénoch, de Noé et eut accès à différents écrits gnostiques.

Le Manichéisme n’est pas une simple hérésie chrétienne. Mania fondé une nouvelle religion, destinée à conquérir le mondeentier. Pour empêcher les erreurs d’interprétation et les doutes,il a écrit lui-même tous ses messages et ses dogmes. LeManichéisme sera alors une « religion du Livre », fondée sur laParole de ses Écritures. Mani a veillé à ce que ses copistes conser-vent intacte sa Révélation, sous peine de sacrilège, ce qui permitla conservation de ses livres.

17

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 20: pantacle-16

Le Manichéisme propose l’enseignement sous forme de mythecar le Gnostique considère que la Vérité nécessite attente et médi-tation, contemplation extatique et mystique. Cela facilite l’ immer-sion dans la Vérité, qui envahit une âme disponible. C’est devantle mythe et par le message porté en filigrane, que la Vérité est saisieet que s’opère la Gnose.

La religion manichéenne, la plus persécutée de l’histoire, aexisté jusqu’au XVe siècle et il y a encore des résurgences moderneset contemporaines. Pendant ces douze siècles, l’Église fondée enBabylonie par Mani et les doctrines qu’elle a inspirées se répan-dent de la Chine à l’Espagne et à la France, après avoir pénétrésuccessivement dans de nombreuses provinces des Empires iranien, romain, musulman et byzantin.

Voici les principaux thèmes à la base du Manichéisme et seretrouvant plus tard dans la tradition manichéenne :

– Dualisme des Principes, deux Substances essentiellementdistinctes. C’est donc l’opposition entre le Dieu bon, Père dumonde invisible, dominant l’empire de la Lumière, et le Démiurge,créateur et maître du monde visible, prince de la Terre, desténèbres infinies.

– Rejet de l’Ancien Testament pour le remplacer par les propresécrits de Mani car seules les Écritures illuminent celui qui lesécoute et qui se laisse saisir par leur force.

– Attachement particulier à l’enseignement de l’apôtre Paul.

– Reconnaissance d’un « Christ Spirituel » n’ayant pas subil’incarnation et dont la crucifixion ne fut qu’apparente. Rejet dessacrements parce que matériels : « le Corps et le Sang du Christ »qu’il faut recevoir se retrouvent dans sa Parole.

Les documents coptes

Les premiers écrits coptes furent découverts en 1789 et en 1896.Mais les textes qui ont véritablement révolutionné la recherche surles débuts du Christianisme et le développement de la Gnose sontles documents coptes découverts à Nag Hammadi.

18

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 21: pantacle-16

Découvertes de Nag Hammadi : des documents nombreuxet variés

Les documents découverts à Nag Hammadi sont variés etdemanderaient une description élaborée impossible à faire dansle présent texte. Plusieurs Évangiles sont connus, ceux de Thomas,Philippe, ou Marie, et ont été traduits par plusieurs auteurs. Ils pourraient être présentés dans de futures recherches. Pour lemoment, nous aborderons un écrit nommé « Texte sans titre » etsurnommé : Traité de la création du monde. Cette mythologieest aussi reprise dans l’Hypostase des Archontes et l’AuthentikosLogos. Il raconte les étapes de la Création du monde et de lachute de l’Homme. En voici quelques extraits :

S’il est vrai qu’il y a ac[cord entre] tous les humains sur le fait que lecha[os] est ténèbre, il est donc issu d’une ombre, on l’a appelé « ténèbre ».Or, l’ombre provient d’une œuvre existant depuis le commencement. Il estdonc évident que cette dernière existait avant que le chaos ne fût et quec’est après la première œuvre qu’il est venu […].

Ainsi donc, Le premier Adam de la lumière est spirituel.Il apparut le premier jour.Le deuxième Adam est psychique.Il apparut le [six]ième jour, auquel on donne le nom d’Aphrodite.Le troisième Adam est terrestre, c’est l’homme-de-la-loiqui est apparu le huitième jour, [après le re]pos de la pauvreté, celui qu’on appelle « jour du soleil ». Or la postérité de l’Adam terrestre se multiplia et parvint à maturité. Elleconçut en elle toutes les histoires au sujet de l’Adam psychique ; néan-moins, tous étaient dans l’ignorance. (Écrit sans titre : Traité de la création du monde.)

Ces textes mythologiques sont difficiles à comprendre et à ana-lyser. Les manuscrits de Nag Hammadi n’ont pas encore livré tous leurssecrets, mais on peut déjà constater qu’ils présentent des similitudesavec les principaux écrits mystiques et ésotériques. Voyons main-tenant l’évolution et le destin de la Gnose au cours des siècles.

19

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 22: pantacle-16

Destin de la Gnose

En Europe, du VIIIe jusqu’au XIIIe siècle, se développa, sousdiverses formes, ce que certains ont appelé le « néo-manichéismemédiéval », comme les Pauliciens en Arménie et les Bogomiles enBulgarie. Graduellement, des communautés Bogomiles se dirigè-rent vers l’Albanie et le nord de l’Italie. De Lombardie, ce mou-vement des Cathares (Cathari : Purs) se répandit sur le Midi dela France. Il fut favorisé aussi bien par les conditions politiques etsociales de l’époque que par la sclérose d’un catholicisme romainsubissant les contrecoups du schisme de 1054 entre l’ÉgliseCatholique de Rome et l’Église de Constantinople.

Les liens entre le Manichéisme et les Cathares ne sont pasclairement définis. Selon Bertran de La Farge, le Christianismecathare n’est pas une résurgence du Manichéisme. S’il y a des res-semblances, c’est qu’ils ont des origines communes. La philosophiegnostique emprunte à de nombreuses sources qui remontent àl’ancienne Égypte et doit beaucoup à la Perse et à la Babylonie.

Dès le XIe siècle, dans différents pays d’Europe, on commençades purges religieuses et de nombreux Manichéens furent pendus.En 1209, le pape Innocent III lança la croisade contre les Albigeois(Cathares de la région d’Albi). En 1233, le pape Grégoire IX miten place les services de l’Inquisition. On frappa aveuglément ettoute personne suspectée d’hérésie était envoyée au bûcher.L’expansion cathare ne survivra pas aux coups fatals qui lui furentportés. Le 16 mars 1244, s’acheva la dernière résistance officiellede la religion cathare. Alors que leur citadelle était assiégée depuisun an, les Parfaits de Montségur étaient à leur tour livrés auxflammes. Des mystiques furent encore brûlés sur le bûcher jusqu’auXIVe siècle.

Les condamnations de plus en plus dures de la part des égliseschrétiennes obligèrent les sectes gnostiques à se cacher, puis à disparaître. Malgré les répressions religieuses qui prennent diversesformes selon les époques, de sérieuses survivances de la Gnosese cachent dans la littérature alchimique. De même, il y a inter-communication entre la littérature kabbalistique et certaines doctrines du Gnosticisme hellénisé, sans compter la permanenceet la persévérance des mouvements traditionnels.

20

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 23: pantacle-16

Conclusion

Durant ce rapide survol de l’univers de la Gnose, nous avonsconstaté que l’incompréhension et l’inquiétude face à l’existencesont le lot de l’humanité depuis l’éveil de la conscience. Cetteangoisse a suscité de nombreuses réflexions et tentatives deréponses. La Gnose est une de ces démarches traditionnelles.Inspirée par les mythologies orientales, l’ésotérisme égyptien etla philosophie grecque, elle s’est articulée plus ouvertement durantla période chrétienne.

Les diverses pensées gnostiques répondent toutes à unerecherche qui est ancrée au cœur de l’humain, et dont nous trou-vons des échos à toutes les époques, aussi bien dans les culturesd’Asie, des millénaires avant le Christ, que dans le monde moderne.On peut dire qu’il y a un archétype gnostique universel, qui prenddes formes et expressions diverses selon les époques et les milieux.

Les principaux écrits gnostiques présentent l’aventure del’Humanité comme une descente de la Lumière dans la matière etinsistent sur l’importance d’éveiller notre conscience pour favori-ser le retour de l’âme vers le Divin. Nous rejoignons ici l’essentieldes enseignements traditionnels. Les enseignements martinistesmettent l’accent sur l’éveil de l’intelligence du cœur, la liberté depensée et d’action, et sur la responsabilité de chacun au regardde son évolution.

Suite à la séparation des mondes divin et matériel et à la chutede l’Homme, on peut se désoler d’être les victimes involontairesd’une absurdité qui nous dépasse ; on peut aussi s’en plaindre etse sentir immolé comme un agneau vertueux. Il est probablementplus sage d’observer nos propres comportements, alors que nousentretenons des inégalités entre les humains, polluonsl’environnement ou massacrons en masse les animaux… Nesommes-nous pas alors en train de « pervertir l’équilibre des virtualités de notre monde ? »

Toutefois, nous développons aussi notre sensibilité face à nosabus ; il y a une prise de conscience planétaire des injustices etinégalités économiques et sociales ; nous sommes plus préoc-cupés par l’écologie et le développement durable. Nous commençons à être sensibilisés aux devoirs de l’homme et non plus

21

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 24: pantacle-16

seulement à nos droits… Il y a donc un espoir de changement pournotre monde…

Le retour nostalgique vers l’univers perdu, la Réintégration, nepeuvent se faire au détriment du monde qui nous abrite ; nous nepouvons faire l’économie de rétablir notre propre équilibre, avantde vouloir ré-équilibrer « l’aventure cosmique ». ■

Références utilisées :

DAVY, Marie-Madeleine, 1972, Encyclopédie des mystiques T.1, Paris, Petitebibliothèque Payot, 1996, p. 273.

DECRET, François, 1974, Mani et la tradition manichéenne, Paris, Seuil« Sagesse », 2005.

DORESSE, Jean, Les Livres secrets des Gnostiques d’Égypte T.1, Paris, LibrairiePlon, 1958.

DORESSE, Jean, « La Gnose », in PUECH, Henry-Charles, (direction), Histoiredes religions, II*, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1972, p. 364-429.

HUTIN, Serge, Les Gnostiques, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1978.

LACARRIÈRE, Jacques, Les Gnostiques, Paris, Albin Michel, coll. « SpiritualitésVivantes », 1994.

LA FARGE, Bertran de, La voie cathare, Le Tremblay, Diffusion Rosicrucienne,2000.

Liens internet :

www.clepart.freesurf.fr/chapitre1.html – [histoire du christianisme]

www.systerofnight.net/religion/html/gnose.html

www.ftsr.ulaval.ca/bcnh – [Bibliothèque Copte de Nag Hammadi ; faculté deThéologie et des Sciences Religieuses de l’Université Laval]

www.nag-hammadi.com/fr/index.html

http: //fr.wikipedia.org/wiki/gnosticisme

22

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 25: pantacle-16

23

Le site internet de l’O.M.T.

www.martiniste.org

Depuis quelques années déjà, l’O.M.T. possède un site inter -net : www.martiniste.org. Il présente le Martinisme sous sesaspects historiques et philosophiques. Une partie du site estconsacrée à la revue Pantacle et propose la lecture en ligned’un extrait de chaque numéro paru. Un formulaire permetégalement à ceux qui ne sont pas membres de l’Ordre des’abonner à la revue. Chaque mois, le site propose un texteà découvrir ou à redécouvrir ; nous vous recommandonsdonc de le consulter régulièrement et de le faire connaître àvos amis.

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 26: pantacle-16

Le ministère de la

RéconciliationMichel Armengaud

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 27: pantacle-16

ANS SON OUVRAGE intitulé Sédir, levez-vous, RobertAmadou nous présente la théosophie de Louis-Claude deSaint Martin. Il en vient à faire cette observation : « Saint

Jean, saint Paul, l’Apocalypse sont, par coïncidence ou par influence,les sources de la théosophie saint-martinienne. En y retournant,nous comprendrons mieux le Martinisme, en esprit et en vérité … »C’est cette démarche que nous allons suivre.

Parmi les nombreux titres que Louis-Claude de Saint-Martindonne au Christ, celui qui revient très souvent est « Réparateur ».Pour Martinès de Pasqually, le Christ était aussi le Réconciliateurpuisque dans le Traité sur la réintégration des Êtres, il écrit : « LeChrist, me direz-vous, n’est-il pas venu pour réconcilier les vivantset les morts avec le Créateur ? Dieu le fils, par sa passion etl’effusion de son sang, n’a-t-il pas ouvert les portes du royaumedes cieux à tous ceux qui étaient morts en privation divine ? » LeChrist est en effet l’intermédiaire cosmique indispensable au processus de régénération. C’est la raison pour laquelle la Traditionmartiniste parle de lui comme du « Réconciliateur »1.

Nous allons voir en quoi les écrits de saint Paul peuvent nouséclairer sur ce titre de « Réconciliateur » donné au Christ, et enquoi consiste cette Réconciliation.

Le sens du mot

Le mot « réconciliation » signifie « remise en accord ou remiseen harmonie », par exemple pour des personnes brouillées. Ce quisuppose qu’il y ait eu un accord préalable, puis une rupture néces-sitant une réconciliation. Nous pensons spontanément à l’étatparadisiaque du jardin d’Éden, puis à la chute de l’Homme qui anécessité la Réconciliation en Jésus-Christ. Qui se réconcilie, et avecqui ? ou encore, qui est réconcilié ? Comment et quand se pro-duit la Réconciliation ? Quels sont les effets de la Réconciliation ?

Emploi du mot dans la Bible

Ce mot n’est pas du tout employé dans la version hébraïquede l’Ancien Testament, par contre, il est utilisé une douzaine defois dans la Septante, version grecque de l’Ancien Testament.Dans le Nouveau Testament, Paul est le seul à l’employer, si l’onexcepte l’unique emploi de Matthieu (5, 24).

D

25

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 28: pantacle-16

La première fois que Paul emploie ce mot, c’est dans sa secondeépître aux Corinthiens. Pour eux, la réconciliation correspond à unsouvenir historique précis. Lors de la reconstruction de la ville, Césaravait proclamé une réconciliation accueillant, de la Grèce et de toutl’Empire, des gens au passé compromis qui bénéficiaient d’uneamnistie.

« Tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec Lui … »

(2 Co 5, 18) Dans la conception paulinienne, il s’agit de laRéconciliation des hommes avec Dieu, par Dieu. C’est le péché del’homme qui avait créé l’obstacle entre lui et Dieu.

Nous sommes alors confrontés à un dilemme : est-ce Dieu quiproduit un changement dans les dispositions des hommes à sonégard ? Mais dans ce cas, quelle place reste-t-il pour le librearbitre de l’homme ? Est-ce en Dieu que le changement se produit? Dieu abandonne-t-il ses griefs contre l’humanité ? Mais Dieu quiest amour, peut-il se brouiller avec les hommes ? Nous pouvonsécarter ce dilemme, si nous estimons que toute réconciliation estnécessairement bilatérale : il faut que Dieu et l’homme changentà la fois leur attitude l’un vis-à-vis de l’autre.

Mais dans toutes ces approches, nous avons mal posé la question. En effet, nous sommes partis d’une définition a priori dela réconciliation. Or chez saint Paul, ce mot prend une autre signi-fication. Il s’agirait de l’établissement de relations nouvelles entreDieu et les hommes. Dieu ne change pas. Les hommes ne chan-gent pas. C’est la relation entre les deux qui change. Une imagenous éclairera sur ce mystère : au moment où le voile du templede Jérusalem se déchire, le Debir (Saint des Saints) ne change pas,le Hékal (Saint) ne change pas, mais entre les deux, la sépara-tion disparaît.

Voici ce que nous dit Louis-Claude de Saint-Martin dans LeNouvel Homme :

Le voile de ton temple se déchirera en deux depuis le haut jusqu’enbas, parce que ce voile est l’image de l’iniquité qui sépare ton âme de lalumière où tu as pris ton origine ; et comme en se divisant en deux partsil laisse à tes yeux un accès libre à cette lumière qui t’était inaccessibleauparavant, c’est assez clairement t’indiquer que c’était la réunion de

26

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 29: pantacle-16

ces deux parts qui avait formé ta prison, et qui te retenait dans lesténèbres ; nouvelle image de cette iniquité que le réparateur n’a pascraint de traverser en paraissant sur le Calvaire au milieu de deux voleurs,afin de te donner la force et les moyens de briser en toi à ton tour cetteiniquité.2

« Dieu nous a réconciliés avec Lui, par la mort du Christ »

(Rm 5, 10) C’est par l’intermédiaire du Christ que laRéconciliation s’est faite. Le Christ est mort pour tous, et parcette mort c’est l’amour du Christ qui nous étreint. En précisantqu’un seul est mort pour tous (2 Co 5, 14), Paul exprime toute ladimension exceptionnelle du Christ. Lorsqu’il ajoute que par cettemort, tous sont morts, nous devons nous interroger sur le sensqu’il donne au mot « mort ». L’épître aux Romains nous éclaire enprécisant que nous sommes morts au péché (Rm 6, 2) et vivantspour Dieu en Jésus-Christ (6, 11).

« Celui qui n’avait pas connu le péché, Dieu l’a fait devenir péché »

(2 Co 5, 21) Ceci ne signifie pas que Jésus a manifesté lepéché, mais qu’il a endossé tout le poids de tous les péchés del’humanité. Nous pouvons penser au bouc émissaire des Hébreux :deux boucs étaient prévus pour l’ancien rite, le premier était offerten sacrifice d’expiation à Dieu et le second était chargé des péchésaccumulés par la communauté pendant l’année écoulée. Pourcette fête de l’Expiation, c’était le grand prêtre qui chargeait le boucde tous les péchés des fils d’Israël ; mais ici, c’est Dieu qui identifieJésus au péché, et si le bouc émissaire était envoyé à Azazel dansle désert, Jésus, lui, a expié le Péché du monde par le sacrifice desa vie. En réconciliant l’humanité avec Dieu, il a établi la paix parle sang de sa croix (Col 1, 20).

« La Réconciliation a été opéréeau temps fixé »

(Rm 5, 6) Dans sa lettre aux Romains, Paul précise que le« Christ est mort pour des impies, au temps fixé ». L’expressiongrecque traduite par « au temps fixé » peut aussi se traduire par« au temps marqué » ou encore « au bon moment » ; mais tousces sens se complètent, car le temps fixé par Dieu est nécessai-rement le bon moment. Nous observons l’empreinte de la culture

27

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 30: pantacle-16

juive de Paul sur sa pensée. En effet, dans l’Ancien Testament, Dieuest le maître de l’Histoire. La mort du Christ sur la croix s’inscritdonc dans le plan divin.

« Si nous sommes en Christ, nous sommes une nouvelle créature »

(2 Co 5, 17a) Paul introduit ici la condition nécessaire pour êtreune nouvelle créature : être en Christ. Ce qui rejoint la penséeque Louis-Claude de Saint-Martin exprimait dans une lettre qu’iladressa à Kirchberger, Baron de Liebistorf le 19 juin 1797 : « […]la seule initiation que je prêche et que je cherche de toute l’ardeurde mon âme, est celle par où nous pouvons entrer dans le cœurde Dieu, et faire entrer le cœur de Dieu en nous, pour y faire unmariage indissoluble, qui nous rend l’ami, le frère et l’épouse denotre divin Réparateur […] »3

« Le monde ancien est passé, voici qu’une réalité nouvelle est là »

(2 Co 5, 17b) Littéralement, le texte grec dit : « Voici, leschoses anciennes qui sont passées sont devenues nouvelles. »La rédaction de cette lettre a pour toile de fond, le conflit quioppose Paul aux Judaïsants. Les Judaïsants étaient les Chrétiensd’origine juive qui voulaient imposer la loi juive aux Chrétiens ;pour eux, il fallait être Juif pour être Chrétien. Par exemple, ilsvoulaient imposer la circoncision à tous les hommes. Dans le climat conflictuel qui les oppose à Paul, nous pouvons comprendre que l’expression « les choses anciennes qui sontpassées » se réfère au Judaïsme. « Toutes ces choses sont deve-nues nouvelles » par la mort et la résurrection du Christ. Lapensée de Paul n’est pas que les choses nouvelles se substituentaux anciennes, mais que les choses anciennes se transformentpour devenir les choses nouvelles. Nous pouvons y voirl’indication que le Christianisme n’est pas une nouveauté quiremplace le Judaïsme, mais il en est l’aboutissement, de mêmeque le pharisien Paul est devenu l’Apôtre du Christ.

« Si nous avons connu le Christ selon la chair,maintenant nous ne le connaissons plus ainsi »

(2 Co 5, 16) Ce que Paul veut certainement dire, c’est quemaintenant que « Christ est mort et ressuscité », notre

28

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 31: pantacle-16

compréhension des choses a changé, désormais notre connaissancepeut dépasser les limitations de notre faiblesse humaine. Notre vueétroite peut s’élargir pour appréhender l’essentiel : le mystèrechristique. Paul étend à toute l’humanité sa propre vision, telle qu’illa définissait quelques mois plus tôt dans sa première lettre auxCorinthiens : « Car j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinonJésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. » (1 Co 2, 2).

C’est son vécu qui inspire Paul, car lorsqu’il persécutait lesChrétiens, il connaissait le Christ selon la chair, c’est-à-dire dansla faiblesse de sa compréhension humaine. Ce n’est qu’après sarévélation sur le chemin de Damas qu’il ne connaît plus le Christselon la chair, mais selon l’esprit.

La Réconciliation est-elle effective pour tous ?

Si Paul dit que « tous » sont morts au péché (2 Co 5, 14 et Rm6, 2), il ne dit pas que Dieu les a « tous » réconciliés, mais que« Dieu nous a réconciliés… ». Nous, c’est-à-dire, ceux qui avec luiet comme lui, vivent en Christ, ceux qui ont accepté d’être « lesvivants qui ne vivent plus pour eux-mêmes mais pour Celui qui estmort et ressuscité pour eux » (2 Co 5, 15). Étant en Christ, ils sontde nouvelles créatures qui participent aux choses nouvelles (2Co 5, 17).

C’est l’emploi restrictif du « nous », qui nous laisse penser que« tous » ne sont pas effectivement réconciliés. Ce que confirmePaul lorsqu’il précise que Dieu « nous » a donné le ministère dela Réconciliation (2 Co 5, 18). Ce ministère ayant pour butd’exhorter les non-croyants à se réconcilier, c’est bien là la preuvequ’il reste une part à accomplir par l’homme, pour que cetteréconciliation potentielle devienne effective.

Pour ce qui est du « ministère de la Réconciliation », le mot« ministère » est une traduction du grec diakonian qui vient duverbe diakonew qui signifie « servir ». C’est Paul qui emploie le plusce mot dans le Nouveau Testament, ce qui correspond bien à sonvécu, placé au service de l’annonce de l’Évangile. Ce service estdéfini comme un don de Dieu. Nous devons nous laisser réconci-lier avec Dieu (2 Co 5, 20).

29

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 32: pantacle-16

Paul demande aux Corinthiens de se réconcilier. Ainsi, nous comprenons mieux le processus de la réconciliation, qui est un donde Dieu, mais qui doit être accepté par l’homme. Si le pardon despéchés est effectif, il faut en plus une démarche personnelle del’homme vers Dieu, pour que la réconciliation soit accomplie. Laréconciliation va donc au-delà du pardon des péchés. Le problèmedu libre arbitre de l’homme est sous-jacent : Dieu donne maisencore faut-il que l’homme accepte.

Car, comme le dit Louis-Claude de Saint-Martin s’adressant àchacun de nous : « … sans cette crucifixion du Réparateur, lafamille humaine n’eut jamais pu entrer dans les sentiers quidevaient la conduire à la vie, et sans ta crucifixion particulière, celledu Réparateur même devient inutile à ta guérison spirituelle,comme le serait à la guérison de tes plaies corporelles un baumequi te serait offert, mais dont tu ne voudrais pas faire usage ».4

« Le ministère de la Réconciliation par la parole »

(2 Co 5, 19) Si Dieu met en « Paul et ses fidèles » la parole deréconciliation, cela signifie qu’il y a une deuxième étape dans laRéconciliation. La seconde épître aux Corinthiens nous préciseque Paul et ses fidèles opéreront par la parole. Certains passagesdes lettres de Paul nous éclairent sur cette parole : cette paroleest celle de la foi (Rm 10, 8) qui doit apporter la révélation, laconnaissance, la prophétie et l’enseignement (1 Cor 14, 6). Elledoit être exprimée dans le Christ (2 Cor 2, 17) pour annoncer lemystère de l’Évangile (Eph 6, 19). C’est la parole de vérité,l’Évangile qui sauve (Eph 1, 13). « Ainsi, la foi vient de la prédi-cation, et la prédication, c’est l’annonce de la parole du Christ. »(Rm 10, 17)

Nous comprenons que selon la conception de Paul, laRéconciliation est en œuvre « dans le fait que nous pouvons dèsmaintenant mourir au péché et vivre de la grâce ».5 Mais il appar-tient à l’homme de s’ouvrir à cette grâce par la Foi en Christ. Ilfaut tenir par la foi sans se laisser déporter hors de l’espérancede l’Évangile. Nous devons demeurer en Christ qui est notre paix,et vivre pour celui qui est mort et ressuscité pour nous. Grâce auChrist nous avons l’accès au Père, ce que les synoptiques ontsymbolisé par la « déchirure du voile du Temple ». Ce voile qui

30

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 33: pantacle-16

31

empêchait l’accès au « Saint des Saints » du temple de Jérusalemse déchire au moment où le Christ rend l’esprit.

Dans son ouvrage intitulé La Réconciliation dans la théologiede saint Paul, Jacques Dupont nous donne un point de vue d’unegrande pertinence, et nous en ferons notre conclusion :

« Pour saint Paul, ce que Dieu change, ce n’est pas Ses propresdispositions ; ce n’est pas davantage les dispositions de l’hommeà Son égard ; c’est la situation dans laquelle l’homme se trouvepar rapport à Lui. L’attention ne porte pas sur les sentiments, surla psychologie de la Réconciliation, mais simplement sur unesituation de fait. Dieu a rétabli des relations pacifiques entre lemonde et Lui. […] Mais il appartient encore à chaque homme dese réconcilier positivement et personnellement avec Dieu. Il fautdonc que chacun s’approprie la Réconciliation en changeant sespropres dispositions. Il faut que chacun rende effective pour sonpropre compte la Réconciliation que Dieu a déjà accordée aumonde. »6 ■

Notes :

1. Pantacle n° 6 de janvier 1998 – p. 10.2. SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, Le Nouvel Homme, Le Tremblay, Diffusion

Rosicrucienne, p. 347.3. Pantacle n° 3 de janvier 1995 – p. 3-54. SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, Le Nouvel Homme, Le Tremblay, Diffusion

Rosicrucienne, p. 345.5. QUESNEL, Michel, Cahier évangile n° 22, p. 37.6. DUPONT, Jacques, La Réconciliation dans la théologie de saint Paul, Louvain,

Salvation, 1953, p. 18.

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 34: pantacle-16

À propos de MoïseJean-Pierre Soula

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 35: pantacle-16

PRÈS l’étude du Beréshîth, autrement dit la Genèse,il semble indispensable de s’attarder sur le per-sonnage de Moïse. Jusqu’à présent, les biblistes l’ont

considéré comme un personnage de légende, bien qu’on lui aitimputé l’écriture des cinq livres du Pentateuque, à savoir : laGenèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. Cescinq livres constituent la Torah « la Loi ». Cependant, certainesexégèses attribuent l’écriture de ces cinq livres à des auteursdifférents et à des époques variées. A-t-il vraiment existé ounon ? Bien des controverses se sont élevées à ce sujet. Dansnotre imaginaire, il apparaît sous les traits du Moïse de Michel-Ange,lequel le représente descendant du Sinaï, et portant les fameuses« Tables de la Loi ». Évoquons au passage une caractéristique decette toile : le personnage porte deux petites cornes au front,somme toute assez mystérieuses. Il semblerait que cela soit dûà une erreur de traduction de la Vulgate. En voici la raison : Moïseest censé avoir connu Yahvé, face à face, durant son ascension duSinaï. Il a donc été transfiguré à la manière du Christ, treizesiècles plus tard, et c’est auréolé de lumière rayonnante qu’ilserait redescendu de la montagne et non pas orné de cornes. Oubien alors, serait-ce une déformation de la Tradition égyptienne,l’assimilant au dieu Khnoum à tête de bélier, ou au Taureau symbole de puissance pharaonique ? N’oublions pas qu’il est censéêtre un proche de Pharaon.

Une autre image du « Moïse » légendaire revient également àla mémoire, celle de Charlton Heston dans Les Dix Comman -dements ainsi que le « Moïse » de la comédie musicale du mêmenom, source de grande émotion.

Aucun spécialiste, ni aucun religieux n’a pu prouver son existence. Spinoza lui-même, remarquait qu’il ne pouvait pasavoir écrit un livre où est décrite sa propre mort. Nous allonsdonc essayer d’y voir un peu plus clair en nous basant sur les récitsde certains personnages de l’Histoire, sans pour cela s’opposer àla Tradition, car il n’est pas dans notre intention d’entrer en conflitavec les croyances religieuses de chacun. Simplement, nous nousposons des questions et invitons nos lecteurs à en faire de même.

Ainsi, pour Manéthon, prêtre égyptien hellénisé, Moïse fut unprêtre d’Égypte se nommant Osarsiph. Ce personnage considéré

A

33

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 36: pantacle-16

34

comme impur à cause de la lèpre qu’il avait contractée, aurait étédéchu par Pharaon et chassé d’Égypte en compagnie d’autres personnes atteintes du même mal. Pour certains chercheurs, il aété paré de fantasmes dans lesquels on le voit hériter de toute lasagesse de l’Égypte ancienne. Sans nous engager trop loin dansles différentes hypothèses et déclarations de “spécialistes”, attar-dons-nous en quelques phrases sur le « Moïse » de la Tradition.La Bible nous explique qu’il doit son nom à une princesse qui lesauva des eaux, à la suite du massacre des nouveaux-nés hébreux.Soit dit en passant, nul document archéologique égyptien ne faitmention de ces “crimes” et cela est bien surprenant, lorsqu’on saitavec quel soin les scribes consignaient par écrit les moindres évènements du quotidien. La princesse l’aurait appelé Moïse (sauvédes eaux), pour l’avoir découvert au bord du Nil, parmi les roseaux.En hébreu, Moïse se dit Mosheh et s’écrit h c s (lire de droite àgauche), c’est-à-dire m (M) c (Sh) h (H), mot dont la racine pro-vient de l’égyptien Mosè (Mosis chez les Grecs Ptolémaïdes) indi-quant une filiation et non un sauvetage. Ainsi, beaucoupd’Égyptiens, notamment les rois et princes, portaient des nomsissus des divinités de leur panthéon accolés au suffixe Mosè ; parexemple, nous connaissons ceux dont l’une des nombreuses titulatures était Ra-Mosè , c’est-à-dire fils du dieu Râ ou Rê. Cenom fut par la suite transformé en Ramsès. Nous trouvons éga-lement Thot-Mosè, déformé, lui, en Thoutmosis. Autre exemple decette déformation “chronique” due aux Grecs : Men-Khâ-Oû-Rê,devenant Mykérinos… Le nom de Mosè apparaît du reste à plusieursreprises sur les papyri égyptiens, sans pour cela, mentionner unequelconque appartenance de l’un d’eux à une peuplade d’esclavesou de travailleurs forcés au service des monarques successifs.

Une autre énigme, tout aussi liée à Moïse, est le nom « Hébreu »lui-même. Cette appellation proviendrait du nom générique« Habirou ». Ce peuple serait apparu en Mésopotamie vers 3000 ansavant J.-C., et aurait été constitué de tribus ou peuplades diverses.En fait, ce nom signifierait « venu d’au-delà du fleuve », le Nil oul’Euphrate ? Difficile de le dire. Il a donc été contemporain de lacivilisation égyptienne sans en avoir son envergure, loin s’en faut !L’intérêt de son étude est qu’il nous offre la toute première reli-gion monothéiste, peut-être une émanation de celle fondée par lepharaon Amen-Hotep IV (1360 av. J.-C.) connu sous le nom

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 37: pantacle-16

d’Akh-En-Aton qu’il avait choisi en l’honneur du dieu unique qu’iladorait : Aton, représenté par le disque solaire.

Enfin, au sujet des fameuses « Tables de la Loi », nul documentne vient authentifier leur existence, si ce n’est ce qui est consi-gné dans les écritures sacrées, elles-mêmes issues d’une infinitéde sources orales ou de poèmes, de loin postérieures à l’époquemoïsiaque ! Quand on sait que les Hébreux dans leurs pérégrina-tions à travers les déserts étaient démunis de beaucoup de choses,à commencer par les produits de première nécessité (n’oublionspas que, selon la Tradition, ils se sont enfuis de nuit, laissant pratiquement tous leurs biens derrière eux), par quel tour deforce, Moïse aurait-il pu graver dans le marbre dur ou même lapierre, le texte sacré ? Qu’en est-il aussi du Mont Sinaï ? Il est trèsdifficile de le situer avec exactitude. Les chercheurs le placent unpeu partout : Djebel Moussa (Moussa ou Musa étant le nom arabisé de Moïse), Mont Karkom dans le Neguev et même DjebelHallâl au Nord-Est de la péninsule du Sinaï.

Concernant les « dix plaies d’Égypte », deux volcanologues,Gilles Lericolais et William Ryan, pensent avoir une explicationvalable sur l’explosion épouvantable du Santorin, qui eut lieu à peuprès à cette époque, au large de la Grèce. Les cendres projetéesdans la haute atmosphère auraient obscurci les cieux jusqu’enÉgypte et ce, durant des semaines, en provoquant des chutes degrêlons, de pierres, et des pluies exceptionnelles. Ces pluiesauraient favorisé le pullulement d’une infinité d’espèces vivantesplus ou moins nuisibles : locustes ou criquets migrateurs, moustiques, mouches etc., qui auraient pu engendrer de nom-breuses épidémies, détruire les récoltes, etc. Parallèlement à cettevermine, les batraciens se seraient développés en abondance,particulièrement les grenouilles. D’autre part, au sujet de l’eau duNil transformée en sang, il ne faut pas oublier que ce fleuve longde 6671 km, si l’on compte qu’il prend sa source au-delà du lacVictoria, traverse, tout comme ses affluents, toutes sortes de solsauxquels il arrache des tonnes de terres, dont certaines peuventteinter ses eaux de différentes nuances, et notamment d’ocrerouge, d’où le mythe du sang que la Tradition en aurait tiré.

Mais revenons à notre personnage. Pour Thomas Römer, dansson ouvrage intitulé Moïse « lui que Yahvé a connu face à face »,

35

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 38: pantacle-16

la prononciation hébraïque du nom denotre héros, Mosheh, correspondrait àcelle d’une tournure égyptienne du IIe

millénaire avant notre ère, preuve donc,de son authenticité. Ce chercheur penseque l’archétype du patriarche aurait puêtre inspiré par trois personnages histo-riques. Le premier, un certain Mesouy,contemporain du pharaon Méren-Ptah (findu XIIIe siècle avant J.-C.), le premier, dureste, à mentionner l’existence d’Israël(stèle de 1208 avant J.-C.). Mesouy seraitdevenu pour un court moment pharaon,sous le nom d’Amenmès, avant d’êtrechassé du trône. Comme Moïse, il auraitépousé une femme kouchite (du célèbrepays de Madian).

Environ quarante ans plus tard, autemps de Ramsès II, un sémite nomméBen-Ozèn devient « écuyer tranchant »du monarque, prenant un nom égyptiencontenant le suffixe Mosè. À l’instar deMoïse, il se fit l’intercesseur dans un conflitopposant les corvéables asiatiques ins-tallés le long du Nil aux contrôleurs duroyaume. Ces Asiatiques étaient appelésShosous par les Égyptiens. Ils vénéraientun dieu appelé Yahou ou Yahvé.

Enfin, toujours selon Römer, le personnage le plus proche de la figuremoïsiaque serait le chancelier Beya dontle nom égyptien contient aussi le préfixecélèbre. Au décès du pharaon Séthi II,aidé de la première veuve, Taousert, ilinstalle sur le trône le jeune prince Siptah.Malheureusement, l’enfant meurt mysté-rieusement tout comme le fils premier-nédu pharaon biblique ! C’est donc Taousert

36

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 39: pantacle-16

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 40: pantacle-16

38

qui hérite du trône avec le soutien du chancelier Beya, ce quientraîne une violente opposition du parti adverse ayant à sa têteSethnakht, autre prétendant au trône. La guerre civile éclatant,nos deux personnages forment une armée composée de Shosouset de Habirous. Ils en profitent pour piller les trésors adverses, cequi ne manque pas de rappeler la spoliation des Égyptiens justeavant l’Exode. Les Cananéens finissent par être vaincus parSethnakht (1186 av. J.-C.). Ce dernier se lance à leur poursuite,alors qu’ils fuient vers le Levant. Il ne parviendra pas à les rattraper.

Remarquons toutefois que la fuite de Beya est postérieure àl’apparition d’Israël, donc, il ne peut s’agir de l’Exode biblique !Selon Yaïr Zakovitch, il n’y a probablement pas eu d’Exode, carIsraël est issu du monde cananéen comme le prouvent sa langue,ses mythes, ses dieux… Les découvertes archéologiques mon-trent qu’Israël est une nation indigène de la terre de Canaan.N’oublions pas la fuite des Shosous de Beya hors d’Égypte et leurarrivée probable en Canaan, ce qui aurait quelque peu “chamboulé”la culture et les mœurs locales, d’où le récit de la fuite d’Égypteet l’existence d’un nouveau dieu, Yahvé… Dans ce cas, Beya auraitété assimilé à Moïse, mais étant à moitié égyptien, il n’auraitalors pu fouler le sol sacré, et serait censé être mort et enterréau mont Nébo.

Si Moïse a vraiment existé, l’hébreu ne devait pas lui être bienfamilier puisqu’étant de naissance égyptienne, d’où sa réponse àDieu lorsqu’Il lui demande de libérer son peuple : il rétorque quesa langue est lourde et qu’il a du mal à s’exprimer. À ce sujet, certains chercheurs prétendent qu’il était bègue. Disons plutôtque son vocabulaire hébraïsant devait être très limité ! Quant àsa famille, les prénoms de son frère et de sa sœur, Aaron etMyriam, sont vraisemblablement des prénoms égyptiens trèsdéformés par le zèle des scribes d’époques ultérieures et entiè-rement au service des souverains et dirigeants religieux. Nous pourrions encore disserter sur l’existence vraie ou imagée du prophète à la manière de Freud qui soutient que Moïse, prince égyptien et partisan du culte d’Aton, aurait pu fuir l’Égypte à causedes persécutions organisées par les adorateurs d’Amon. Il auraitalors entraîné dans sa fuite des esclaves sémites et des partisanségyptiens qui seraient devenus les fameux Lévites, gardiens du Temple.

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 41: pantacle-16

Une dernière remarque s’impose : qu’en est-il exactement descélèbres tours de magie accomplis devant Pharaon, comme parexemple, le bâton de Moïse jeté à terre par Aaron et qui se trans-forme en serpent, imité immédiatement par les Mages égyptiensdont les cannes, changées également en reptiles, furent dévoréesillico par le serpent moïsiaque ? Pensez-vous que les scribesseraient restés muets devant de tels prodiges ? Là encore, lesarchives égyptiennes sont muettes.

Dans l’incertitude où nous nous trouvons, nous nous garderonsde toute affirmation dogmatique, en considérant simplementMoïse comme un personnage “virtuel”. Qui a écrit le Beréshîth ?À quelle époque exacte ? Quelles étaient les véritables sources decette connaissance ? Nul, jusqu’à présent, n’a pu apporter devéritables réponses, mis à part les religieux les plus orthodoxes.

Souhaitons qu’une découverte archéologique ou historiquenous apporte, un jour, la lumière sur l’un des personnages les plusénigmatiques de l’Antiquité ! ■

Illustrations : p. 32 et 37, gravures de Gustave Doré.

39

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 42: pantacle-16

Musique et mystiquechez Louis-Claude de Saint-Martin

Christian Rebisse

« La musique est le seul fil d'Ariane qui soit donné sensiblementet généralement à tous les hommes, pour les conduire dans lelabyrinthe ; les autres fils ne sont réservés qu'à des individus età des élus particuliers ou généraux ; il suit de là que nul hommen'est excusable de ne pas ouvrir les yeux à la vérité. »

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 43: pantacle-16

ETTE RÉFLEXION qui ouvre l’un des textes que Saint-Martin a consacré à la musique dans De l’esprit des choses nousmontre l’importance qu’il accordait à cet art. Dès son

premier ouvrage, Des erreurs et de la vérité1 (1775), il donne unelarge place à la musique. Dans ses livres suivants, ce thème restecertes marginal : L’Homme de désir2 s’y attarde quelque peu, LeMinistère de l’homme-esprit3 l’effleure dans sa troisième partie,tout comme les chants 33 et 41 du Crocodile4. Le livre dans lequelSaint-Martin développe le plus ce thème, après son premierouvrage, est De l’esprit des choses5, où il consacre deux étudesà la musique. Enfin, il existe un texte peu connu – il ne fut publiépour la première fois qu’en 1977 – : la Lettre sur les rapports del’harmonie avec les nombres6. Il s’agit là de l’un des textes les plusintéressants que le Philosophe Inconnu ait consacré à cet art. Larécurrence de réflexions sur la musique dans son œuvre nous aincité à nous attarder sur cet aspect original de la pensée duPhilosophe Inconnu.

Musique et nombres

Le XVIIIe siècle est riche en réflexions et controverses surl’harmonie. Après la « querelle des Bouffons » où s’affrontèrentJean-Philippe Rameau et Jean-Jacques Rousseau, la querelle desGluckistes et des Piccinistes faisait rage à l’époque même oùparaissait Des erreurs et de la vérité7. Il est donc probable queSaint-Martin ait lu quelques-uns des traités sur l’harmonie publiésà son époque comme celui de Jean-Philippe Rameau (1726). Cemusicien jugeait sévèrement les textes sur la musique publiéspar Jean-Jacques Rousseau dans l’Encyclopédie de Diderot etd’Alembert (1751-1776). Même si le Philosophe Inconnu ne faitpas référence à Jean-Jacques Rousseau dans ses écrits sur lamusique, son influence y transparaît en bien des points8.

La réflexion de Saint-Martin s’inscrit essentiellement dans deuxregistres. Le premier, s’appuyant sur une arithmosophie enracinéedans la cosmogonie martiniste, analyse ses aspects symboliques.Le second souligne les vertus de cet art et présente ses pouvoirssubtils, voire magiques. Ces deux points de vue parsèment les écritsdu Philosophe Inconnu d’une manière plus ou moins organisée. Lesaspects symboliques dominent dans ses premiers écrits, Deserreurs et de la vérité ou la Lettre sur l’harmonie qui, bien que non

C

41

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 44: pantacle-16

42

datée, appartient probablement à cette période9. Les écrits plustardifs, L’Homme de désir ou De l’esprit des choses, évoquentplutôt les vertus et propriétés de la musique.

L’harmonie originelle

Pour Saint-Martin, la musique se prête à merveille pour peindrel’état du monde depuis son principe d’harmonie originel jusqu’àson état actuel de désordre et de dissonance. Elle nous montre eneffet « les deux lois de force et de résistance, ou d’action et de réac-tion qui régissent l’univers matériel et l’univers spirituel […] »(EC, p. 170*). Elle présente aussi « l’image de la division univer-selle que le crime primitif a opérée entre les puissances régulièreset les puissances irrégulières » (EC, p. 171).

Comme on le voit, et c’est l’une des caractéristiques essentiellesde son analyse, Saint-Martin tente de faire coïncider les principesde son système cosmogonique avec ceux de l’harmonie musi-cale. Sa démonstration repose sur une vision du monde qui trouveson origine dans les enseignements de son premier maître, Martinèsde Pasqually. Ses arguments, dans lesquels l’arithmosophie occupeune place importante, ne peuvent s’entendre réellement que parceux qui ont une connaissance de la doctrine des Élus-Cohens.Notons que le rapport établi par le Philosophe Inconnu entrel’harmonie et les nombres semble l’éloigner des idées de Rousseaupour le rapprocher de celles de Rameau.

Dans sa Lettre sur l’harmonie et les nombres, tout commedans Des erreurs et de la vérité, Saint-Martin développe son argu-mentation à partir d’une réflexion sur l’accord parfait, qu’il présentecomme étant l’image de la Création, avant que son harmonie nefusse détruite par la dissonance d’une double chute, celle despremiers anges, suivie de celle d’Adam. Le sujet de l’accord parfaitest pour lui l’occasion de mettre en évidence un principe essen-tiel : le rapport intime de l’unité divine avec le nombre quatre.L’accord parfait « porte le nombre 1, en ce qu’il est le seul etunique, qu’il est entièrement rempli de lui-même et qu’il est inalté-rable dans sa valeur intrinsèque comme l’unité » (LR, p. 210).Saint-Martin précise qu’il « est composé de quatre sons qui renferment entre eux trois intervalles » (LR, p. 2). Dans Deserreurs et de la vérité, il énonce que les « trois premiers sons qui

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 45: pantacle-16

le composent sont séparés par deux intervalles de tierce » (EV, p.508) – tierces qui « se trouvent surmontées d’un intervalle dequarte dont le son qui le termine se nomme octave » (EV, p. 509).

Pour lui, ce quaternaire, agent principal de l’accord, est l’imagede « la Cause active et intelligente » (EV, p. 509), le Christ qui préside et domine tous les êtres corporisés. On retrouve là unschéma souvent utilisé dans les rituels des Élus-Cohens : deux triangles réunis de manière à former une étoile à six branches,enfermés dans un cercle que domine une croix. Cette croix, symbole du quaternaire, est pour Saint-Martin celle de la « doublepuissance » du Christ, qu’il associe par conséquent au nombre huit.Ainsi, pour le théosophe, l’octave représente le principe supé-rieur de l’harmonie et de la Création universelle. Le nombre huitde l’octave est « l’alpha et l’oméga ; ce qui nous indiquel’universelle puissance du huiténaire dans la Création » (LR, p. 4).

L’harmonie brisée

La dissonance apportée par la Chute brise l’harmonie primor-diale, et la Création passe alors sous la domination du nombre sept.L’accord de septième est pour le Philosophe Inconnu celui de ladissonance, et le retour à l’harmonie ne pourra se produire quepar le passage à l’accord parfait, grâce auquel les êtres pourronttrouver leur repos « dans l’unité qui est leur source » (EC, p. 171).C’est le passage par l’octave, que Saint-Martin associe au Christ,le « Réparateur », qui conditionne un retour possible à l’équilibre :« l’oreille ne se trouve pas en repos sur le septième de ces sons, maisseulement lorsqu’elle est parvenue jusqu’au huitième » (LR, p. 5).

En dehors des aspects techniques de l’harmonie, le PhilosopheInconnu s’interroge également sur la fascination qu’exercentmusique et spectacle sur l’homme. Dans De l’esprit des choses,il présente cet attrait comme une sorte de réminiscence de lavéritable destination de la musique. Plus ces spectacles « tien-nent de l’ordre merveilleux et sur-temporel, et plus ils le charment ;c’est-à-dire que, plus ils tiennent à cet état d’admiration qui le sortdu temps, et l’approche de sa région primitive, active et pleine deprodiges, et plus il se trouve dans son élément naturel » (EC, p. 182).Les spectacles mettent en action sous les yeux de l’homme les prin-cipes de la Création et des forces antagonistes qui la meuvent. Si

43

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 46: pantacle-16

la musique y tient la première place, c’est parce que dans l’ordrede la Création, le Verbe a précédé la Lumière, « le son précède lalumière » (EC, p. 180).

Vertus et destination de la musique

Au-delà des aspects symboliques dont nous n’avons soulignéque quelques éléments, Saint-Martin envisage également lamusique sous un angle différent, en abordant ses vertus et sa destination. Il souligne l’intérêt que l’homme aurait à utiliser sespropriétés non seulement dans sa quête spirituelle, mais pourremplir la mission à lui échue.

Dans Des erreurs et de la vérité, le Philosophe Inconnu intègreses observations sur la musique dans sa réflexion sur la « languepremière et universelle » dont l’homme a perdu l’usage. Il fait decet art l’une des productions de la langue vraie, qui avait lamusique pour mesure et la parole pour signification. Certes, depuisla chute d’Adam, l’homme ne produit plus qu’une « musique arti-ficielle » en comparaison de la « musique principe », mais cet artconserve néanmoins une certaine puissance. Ces principes font échoà l’Essai sur l’origine des langues de Jean-Jacques Rousseau – enparticulier au chapitre XII de ce livre –, à la différence que contrai-rement à cet auteur, Saint-Martin ne situe pas cette origine dansun passé lointain mais dans une période anhistorique.

Pour Saint-Martin, la musique possède cette vertu essentiellede permettre à l’homme de briser les barrières temporelles quil’environnent, pour « que les vertus d’en haut puissent le pénétrer »(EC, p. 171). De même, il veut que Dieu ait fait de l’homme une« lyre divine » (EC, p. 179-180), pour qu’il produise des harmo-nies bienfaisantes dans toute la Création. Celui qui prend sa lyreou chante peut mettre en mouvement les « trésors actifs del’harmonie » et faire rayonner autour de lui ces richesses. En liantde la sorte son moi intime à ces puissances, il peut « communi-quer jusqu’à cette région pure et supérieure », pour non seulement« porter son être jusque dans la région divine, mais faire encoredescendre cette région divine dans tout son être » (EC, p. 175).

De telles idées rappellent celles de Marsile Ficin, qui, à laRenaissance, avait composé des hymnes magiques destinés à capter les vertus des planètes. Par ailleurs, les théories de Saint-

44

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 47: pantacle-16

Martin sur le rôle de l’air, le support des vibrations musicales,sont proches de celles du philosophe italien11 : « La musique peut-elle exister sans le son, le son sans l’air, l’air sans l’esprit, l’espritsans la vie, et la vie sans notre Dieu ? Quelles merveilles et quellespuissances ne sont pas renfermées dans la musique ? » (HD, n° 84.)

Le Philosophe Inconnu avance une idée originale en énonçantque l’homme devrait utiliser cet art pour remplir son ministère. Pourlui, l’homme avait été choisi « pour être le chantre de Dieu etpour en célébrer toutes les merveilles ; il avait été choisi pour rectifier tous les accords dissonants qui ne cherchaient qu’à troubler l’harmonie de la vérité » (HD, n° 84). Ainsi l’hommes’égare-t-il lorsqu’il n’utilise la musique que « pour chanter lesobjets inférieurs ». Saint-Martin juge donc la musique des sièclesmodernes « faible et impuissante », et il ajoute : « Tu peux nousplaire quelquefois, tu peux même nous agiter ; mais peux-tu nousavancer et nous instruire ? Peux-tu remplir toutes les nuances ? »(HD, n° 112). Dans L’Homme de désir, le Philosophe Inconnulance une complainte nostalgique sur les temps lointains oùl’homme encore pur possédait sa première science ; ces temps oùla nature entière formait les cordes de sa lyre, et où il ne faisait« pas violence, comme aujourd’hui, à cet art sublime, enl’appliquant à la peinture des désordres et des ravages, tandis qu’iltient à l’ordre et à l’harmonie de son origine » (HD, n° 112).

La musique principe

Mais pour rendre à la musique sa destination primitive, il fau-drait que l’homme en possède la clé, or, cette dernière lui a étéenlevée. Dans Le Crocodile, Saint-Martin place dans la bouche del’animal qui représente l’agent des forces du mal, ces motsétranges : « Je dis à la musique, que je lui donnais la carrière laplus vaste pour peindre tout ce qu’elle voudrait, mais j’y mis deuxconditions : la première, que le diapason resterait dans mesarchives ; la seconde, que la portée de sa voix et de ses instrumentsserait limitée à la gamme planétaire connue des nations […]12 ».

Il reste à l’homme à retrouver cette musique vraie, cettemusique principe dont l’harmonie résonne hors du monde temporeldélimité par le cercle des planètes. Pour que sa musique puissese joindre aux harmonies supérieures, « il faut que l’homme y

45

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 48: pantacle-16

46

joigne sa parole pure ; car l’air est souillé comme toute cettenature et la parole non épurée le souillerait encore davantage.Aussi, c’est quand cet air est ainsi purifié par la parole pure quela musique peut à son tour attirer la parole vive qui est au-dessusd’elle et qui ne cherche qu’à en faire son organe et son instrument »(EC, p. 176). Cette idée de pureté, Saint-Martin avait été touché dela trouver chez les Chinois, car on dit que leurs musiciens doiventavoir « des mœurs pures et le goût de la sagesse, pour tirer des sonsréguliers et parfaits de leurs instruments de musique. (OP, p. 169).

Les quelques points que nous venons de mettre en évidencemontrent la richesse du discours d’un théosophe dont le regardest sans cesse porté par une rare capacité à tout rapporter à unephilosophie dans laquelle l’homme tient une place centrale.Musique, spectacle ou théâtre, tout est prétexte pour lui à rappelerl’homme vers le principe d’harmonie d’un paradis dont il a perdules clés. On aurait tort cependant de prendre à la lettre ses idéessur l’harmonie. Louis-Claude de Saint-Martin avertit d’ailleurs lui-même son lecteur dans l’introduction de la Lettre sur l’harmonie,en soulignant qu’il ne faut pas prendre ses théories pour une« vraie science ». Selon lui, une telle science ne réside d’ailleurspas « dans de froids raisonnements ou d’ingénieuses dissertations,mais dans les vertueux désirs de l’âme et l’usage de toutes lesforces de notre être » (LR, p. 1). ■

Notes :

* Abréviations utilisées pour les textes de Saint-Martin : EV, Des erreurs etde la vérité ; OP, Œuvres posthumes ; EC, De l’esprit des choses ; HD,L’Homme de désir ; LR, Lettre sur les rapports de l’harmonie et les nombres.

1. SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, Des erreurs et de la vérité, ou les Hommesrappelés au principe universel de la science, Édimbourg [Lyon], par un Ph….Inc...., [Jean-André Périsse-Duluc], 1775, fin du chapitre VI, p. 507-525.

2. SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, L’Homme de désir, Lyon, J. Sulpice Grabit,1790 : n° 84, p. 140 ; n° 112, p. 177 ; n° 180, p. 262 et n° 191, p. 276.

3. SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, Le Ministère de l’homme-esprit, Paris,Migneret, an XI [1802], p. 402-403.

4. SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, Le Crocodile, ou La Guerre du bien et du malarrivée sous le règne de Louis XV, Paris, Librairie du Cercle Social, an VII, chants33, p. 128 et 41, p. 170.

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 49: pantacle-16

5. SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, De l’esprit des choses ou Coup d’œil philo-sophique sur la nature des êtres et sur l’objet de leur existence, par lePhilosophe Inconnu, Paris, Laran-Debrai-Fayolle, an VIII [1800], tome I,p. 170-179.

6. « Lettre sur les rapports de l’harmonie avec les nombres », Livre vert,manuscrit de la Bibliothèque nationale de France, FM4 1282. Ce texte a étépublié par R. AMADOU, avec un commentaire et des notes musicologiques deJacques REBOTIER dans Renaissance traditionnelle, n° 32, octobre 1977, p. 247-269.

7. Sur l’influence de Rousseau sur le Philosophe Inconnu, voir JACQUES-LEFEVRE,Nicole : « Saint-Martin et Rousseau », appendice III de Lettre à un ami ouConsidérations politiques philosophiques et religieuses sur la révolutionfrançaise, Grenoble, Jérôme Millon, 2005.

8. Cf. STAROBINSKI, Jean, « Présentation » de l’Essai sur l’origine des langues,ROUSSEAU Jean-Jacques, Paris, Gallimard, 1990 « Folio essais », p. 9-54.

9. Elle reprend de nombreux éléments du septième chapitre de ce livre. Elleen suit à peu près le plan et utilise les mêmes arguments.

10. Nous donnons ici la pagination du manuscrit FM4 1282 de la BnF de laLettre sur les rapports de l’harmonie avec les nombres.

11. Cf. WALKER, D.-P., La Magie spirituelle et angélique de Ficin à Campanella,Paris, Albin Michel, 1988, chap. I, « Ficin et la musique », p. 19-36.

12. Le Crocodile, op. cit., chant n° 33, « Suite du cours scientifique du crocodile. Députation des sciences », p. 128.

Illustration : p. 40, Nicomedes Gómez, Le Verbe créateur.

47

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 50: pantacle-16

L’InitiéCarol Antoine

Par la grâce de Dieu, il est né magicien ;Les hommes en tout lieu virent que c’était bien.Mystique, un peu geignard comme tout paysan,Mago, un doux vieillard, lucide cependant,Vécut petit enfant dans l’âpreté des champs...Les ailes de sa foi en l’Homme sur la croix,En perpétuel débat sur les bibliques lois,Le lâchaient quelquefois dans l’abîme du doute,La face détournée de la céleste route.Mais, vite, aiguillonné par le feu de son âme,Il reprenait confiance en sa divine flamme.De retour au bercail - chez son Dieu de bonté -,Après chaque bataille à moitié remportée,Il immolait le soir, à l’heure de s’asseoirJoyeux et détendu devant un vieux miroir,Deux bougies de son cru dans un nuage d’encens,Au rythme d’un cantique à l’épreuve du temps.Dans l’antique décor de sa hutte écartée,Les magiques accords d’une flûte enchantée,À Mozart empruntée, arrachaient au néantSes souvenirs enfouis sous les neiges d’antan.Sa conscience assoupie, enivrée d’harmonie,S’envolait hors du temps dans l’espace infiniVers le sacré sanctuaire où tout est révéléSur les grands mystères de la divinité.Assujetti, hélas, aux lois universelles,Malgré toute sa grâce aux yeux de l’ÉternelEt ses généreux dons, le soir sur son autel,Pour demander pardon du crime originel,En tant qu’être incarné, Mago était mortel.

48

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 51: pantacle-16

Je ne puis dire quand Jéhovah l’appela,Mais à l’enterrement, jaillis de l’au-delà,En tenue de gala, d’éminents dignitairesDu royaume du Père accueillis sur la TerreEn hommage à leur rang par cent coups de tonnerre,Chantaient le Requiem autour de son cercueil,Dans la cohue des pleurs de ses proches en deuil.Le calme revenu, on entendit soudainDans l’air voilé, au loin, depuis le Saint des Saints,La voix d’un séraphin dans un rude messageEnvoyé aux humains par le Sage des Sages :« Familles éplorées et amis attristés,Fils de l’humanité, vous tous qui m’écoutez,Accablés de douleur par la fin du prophèteVous criez : “oh, malheur !” quand, chez nous, c’est la fête.Comprenez donc enfin que ce semblant de finVient d’un décret divin pour votre plus grand bien.Tandis que de vos pleurs vous mouillez son tombeau,Des couronnes de fleurs et nos chants les plus beaux,Après son dur labeur, le mènent au reposDans la sainte demeure, à l’ombre du Très-Haut.Votre aïeul n’est pas mort, il ne le pourrait être.Dans les jours à venir, dans des siècles peut-être,Un autre coin du monde le verra renaître.Sa nature pétrie à jamais dans l’argileFait figure du nid désormais inutileQue l’oiseau abandonne, une fois achevéSon service envers Dieu et envers sa couvée.Son âme libérée guidée par le karma,Reviendra s’égarer, trépas après trépas,Dans des corps dévolus aux humaines chimères Pour appréhender mieux ou percer les mystèresQui entourent les cieux et règlent l’univers,Puis, au moment voulu – en toute dignité –,Rentrer dans l’Absolu, maître à perpétuité. »

© Copyright - O.M.T.

Spécim

en

Page 52: pantacle-16

Spécim

en