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D e Kôngo à Congo, il n’y a qu’un C, comme Culture et confusions. Parce qu’en réalité, il y a une immense différence in- troduite par l’orthographe, un grand écart comme celui qui dis- tingue une nation d’une civilisa- tion. Kôngo est une civilisation, une culture au sens large. Tandis que Congo désigne un fleuve (le deuxième du monde par son débit) et deux états : la république du Congo, ca- pitale Brazzaville ; et la république démo- cratique du Congo (ex-Zaïre), capitale Kinshasa. Ce sont les deux capitales les plus proches au monde, entre elles deux, plus qu’une frontière réelle, un lien, le fleuve qui s’écoule nonchalamment teinté chaque nuit par les reflets des feux de ces deux villes parmi les plus importantes d’Afrique centrale. La première orthographe, kôngo désigne ce qu’historiens et anthropologues appel- lent parfois un complexe ethnique, c’est-à- dire un ensemble de populations liées par une même vision du monde, des croyances similaires, provenant originairement C Cu ul l t tu ur re e - - A Ar rt t s s 104 104 L’Arbre à Palabres N° 21 Août 2007 Palabres 21 Version Finale 17/08/07 14:43 Page 104

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De Kôngo à Congo,il n’y a qu’un C,comme Culture et

confusions. Parce qu’en réalité, ily a une immense différence in-troduite par l’orthographe, ungrand écart comme celui qui dis-tingue une nation d’une civilisa-tion. Kôngo est une civilisation,une culture au sens large. Tandis

que Congo désigne un fleuve (ledeuxième du monde par son débit) et

deux états : la république du Congo, ca-pitale Brazzaville ; et la république démo-cratique du Congo (ex-Zaïre), capitaleKinshasa. Ce sont les deux capitales les plusproches au monde, entre elles deux, plus

qu’une frontière réelle, un lien, le fleuve quis’écoule nonchalamment teinté chaque nuit par

les reflets des feux de ces deux villes parmi les plusimportantes d’Afrique centrale.

La première orthographe, kôngo désignece qu’historiens et anthropologues appel-lent parfois un complexe ethnique, c’est-à-dire un ensemble de populations liées parune même vision du monde, des croyancessimilaires, provenant originairement

C Cu ul lt tu u

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ontribution Kongo à la modernité des

Urban-Tribes1

d’une aire linguistique commune.Ainsi, les populations kôngo sontréparties sur cinq pays : le Gabon,l’Angola, le Cabinda et le sud desdeux Congo dont nous avons par-lé précédemment.

Depuis bientôt cinq siècles, no-tamment du fait de l’esclavage, lacivilisation kôngo et ses valeurs parle biais de la tectonique des peuples,s’est diversifiée pour former denouveaux rameaux en Amérique duSud et dans les Caraïbes.

Le monde kôngo est presque unarchétype de sources réelles ou fan-tasmées par et pour les Urbantribes : Des pagnes bariolés à la coif-fe rasta, les dreadlocks ; de laS.A.P.E. (Société des Ambianceurset des Personnes Élégantes) des an-nées quatre-vingt aux jeunes créa-teurs actuels qui réinventent l’utili-sation du wax 2 ; par la musique, lasculpture et le vêtement les Urbantribes perpétuent le Geste kôngo, l’es-thétique kôngo pourrions-nous di-re. Nous partirons de cette derniè-

re dans sa forme traditionnelle,pour ensuite via le passage dupagne en raphia au pagne en wax,enfin parvenir à l’esthétique kôngomoderne, source inépuisable d’ins-piration desUrban tribes. Né en Ile-de-France, de parents kôngo, je mepropose d’être en quelque sortevotre passeur en ce monde de va-leurs insoupçonnées avec lesquellespourtant depuis déjà longtempsvous avez appris à coexister.

Esthétique kôngo traditionnelle

Robert Nesta Marley, plusconnu sous le nom de Bob Marleyde façon poétique présente sa che-velure rebelle comme un insignekôngo : Dreadlocks Congo bongoare chante-t-il dans la chanson in-titulée Natty dread, nous pourrionstraduire ceci par les mèches terriblessont les bongo (gros tambours) duCongo. Le rasta est le beau terrible,ceci est la signification de Nattydread, il est le lion de la jungle ur-

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CThème d’une conférence donné en 2006 devant les étudiants de l’écolesupérieure technique d’Art et Design C-SIX-DOUZE (Paris 10e).

Mâ Ntsiéla-Nsondé Régis

1 - Il faut entendre commetribus urbaines les groupes,communautés et mouve-ments qui usent de codesde communication etd’identification vestimen-taires, musicaux etc. pourse reconnaître et êtres iden-tifiables par d’autres Urbantribes, et par la société engénéral par souci de dis-tinction. Se faisant ils nour-rissent la mode avec ungrand « M » en créant denouvelles tendances. AinsiPunks, Grunges, Rastas,Zulus du mouvement Hip-Hop, Skas, Hippies, Bobos,Sapeurs, Raveurs etc. peu-vent être entendus commeautant d’Urban tribes.2 - Imprimé de coton dontla texture est réalisée à la ci-re avec une technique ins-pirée de celle du batik. Leverbe to wax veut dire cireren anglais, les Britanniquesimportèrent cette tech-nique surtout utilisée au-jourd’hui pour la confec-tion des tissus africains(pagnes) appelé bazins ver-sion haut de gamme (plusbrillant et soyeux). Tissumulticolore ou uni se ca-ractérisant par la vivacitédes tons, sa légèreté faitqu’on l’emploie en portpagne, et pour la confec-tion de vêtements d’été.

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baine, nouvelle Babylone, terrainde jeu de nos Urban tribes. Ce sontmes parents qui m’ont appris lesens de cette coiffe dans la culturetraditionnelle kôngo, elle est celledes veufs, de ceux qu’un malheurtrop grand a rendus mélanco-liques. Au Congo Brazzaville seulsles fous, les ermites (donc lessages), les artistes et plus récem-ment les maquisards de la derniè-re guerre civile (les Ninjas) osentarborer cette coiffe désignée dé-sormais de par le monde commecoiffe rasta, Dreadlocks .Aujourd’hui aux quatre coins dumonde, une multitude d’hommeset de femmes jeunes ou moins

jeunes portent des locks : grunges,punks, alter mondialistes, rastas,artistes etc.

Mon père Simon MiakaluzabiN’Sondé, céramiste-peintre-sculp-teur, par sa pratique artisanale m’aéveillé au sens de la couleur dans lavision du monde kôngo ; Miénandima mère, à la façon dont la couleuret la forme se conjuguent pour fai-re que le corps féminin ait de l’al-lure, devienne silhouette.

Dans la civilisation kôngo, lesquatre couleurs cardinales sont lenoir (ndômbe), le blanc (mpèmbe),le rouge (mbwaki) et le vert (nkun-zu). Du noir relève ce qui évoqueles ténèbres, ce qui est redoutable

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Natty dread photoJulien Douek sérieMatricule 22 2006,© AKORZÉAM, Paris2007.

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voire mauvais, ce qui est morbide.Le blanc renvoie au fait d’avoir rai-son, à la vérité éclatante, il évoqueégalement le monde des esprits, lacommunication avec l’Invisible.

Souvent les statues rituelles(nkissi nkondi) étaient représen-tées avec des yeux blancs, sans pu-pilles pour signifier la communi-cation avec le monde d’en deçà,celui qui est en amont et en avalde celui de ceux qui vivent leurvie de chair, les humains. Le rou-ge évoque aussi bien l’intelligen-ce que la sagesse et la maturité,voire l’autorité. Un individu paréde rouge force le respect, inspirela crainte. Couleur de feu et desang, comme dans nombre de ci-vilisations humaines, c’est l’attri-but aussi bien du guerrier que dela femme mûre, qui est prête à semarier. Enfin, le vert, symbolise lavie, la délivrance, aussi bien l’ac-

te de jugement que le choix, ladécision qui est la réalisation decet acte.

Couleur et forme sont deuxcadres indépassables de l’esthé-tique kôngo, Miakaluzabi monpère et son groupe d’artistes legroupe main, s’inspirant des bas-reliefs égyptiens ont inventé unstyle totalement original de figu-ration des personnalités humainesdans leurs tableaux et leurs as-siettes peintes. Sur celle-ci on voitun ngàngà (expert en pratiquesmagico-religieuses) qui s’apprête àreplonger un bracelet de cuivredans de l’huile de palme incan-descente. Seule la main innocen-te pourra l’y récupérer sans dom-mage. C’est donc en réalité un ac-

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Assiette brisée voixCréation N’Sondé : Céramique de Simon Papa KongoN’Sondé, photo Tamara Saphir © AKORZÉAM, Paris2007.

Yeux blancs - Les yeux de l’Invisible, photo DavidBouchard série Matricule 22 2000, © AKORZÉAM

Paris 2007.

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te de justice qui est ici représenté.Quelques années plus tard, son

frère cadet, mon jeune oncleEugène N’Sondé enfonce le clou, ilperpétue dans sa pratique de la cé-ramique et de la peinture ce qui aété initié par le groupe main et l’abo-lit en un même élan en se concen-trant sur la sculpture. Au moyen dela réflexion critique qu’il mène sursa pratique artistique et que nousavons recueillie lors d’une inter-view, il affirme que le détail est se-cond parce que les dessins racontentune histoire, cette histoire est la plusimportante ; ceci vaut, il noussemble, pour son approche de l’artplastique en général. Ses sculpturesen argile rouge font l’éloge de la for-me, de la courbe, de la femme, de

sa douceur quitte à procéder à uneexagération légère des courbes, de lachute des reins, il travaille à faire quel’allure reste majestueuse. Une allu-re majestueuse même lorsque lechoix du sujet est grave. Sa derniè-re thématique en exposition s’inti-tule Exode. L’actualité de son thèmeest brûlante en ses temps d’indi-gence où fuyant la guerre et sesplaies, nombre d’hommes, defemmes et d’enfants s’en vontcontre vents et marées, frontières etgouvernements, s’échouer pleinsd’espoirs à l’orée de l’Europe.

Le pagne : passeport pour lamodernité ?

L’étoffe utilisée pour la confec-tion des vêtements féminins etmasculins et qui enveloppe l’enfantet le maintien sur le dos de celles-ci est appelée communément pagnedans toute l’Afrique francophone,en langue kôngo on dit mulèlé oumlèlé.

Il n’est pas rare dans les rues deParis de croiser des femmes afri-caines ou afro européennes qui por-tent l’enfant au dos comme on dit.Depuis peu, on rencontre de jeunespapas ou mamans, toutes culturesconfondues, portant leur progéni-ture en bandoulière, au dos ou surle ventre, dans des étoffes de tissusparfois molletonnées et renforcéespar des structures métalliques.

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Bracelet rituel]Création N’Sondé : N’Sondé Papa Kongo Simon, photoTamara Saphir © AKORZÉAM, Paris 2007.

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Contribution africaine à la moder-nité des Urban tribes ?

Traditionnellement, dans la civi-lisation kôngo, le pagne était en

fibre végétale, en fibre de palmiernommée raphia.

ette étoffe rectangulaire pouvaitêtre utilisée comme couverture oucomme vêtement, enroulé autourde la taille ou sous les bras pour lesfemmes. Tissées en pièces beaucoupplus petites, de la taille de la main,les étoffes de raphia étaient encore

aux XVe et XVe siècles utiliséescomme monnaie dans tous lesÉtats provinces du royaume Kongo.Ce type de pagne, en raphia, avaitet n’a jamais perdu sa valeur rituel-le, il est encore aujourd’hui un in-signe d’autorité politique ou spiri-tuelle, symbole de sacralité et d’au-torité.

Ce dernier aspect n’a cessé des’accentuer à l’époque moderneavec la raréfaction de ce type de tis-

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Mâ Marie DosLe port du pagne, photo Tamara Saphir série Mboongi2006, © AKORZÉAM, Paris 2007.

Kovo Raphia entier 2Dread locks kôngo, photo Tamara Saphir série Mboongi2006, © AKORZÉAM, Paris 2007.

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sage, les industries locales n’ayant purésister aux importations des textilesproduits à l’étranger dès l’établisse-ment des premiers comptoirs occi-dentaux, avant même l’époque co-loniale. Aujourd’hui, lorsqu’on par-le de pagne en Afrique comme enEurope, il s’agit du wax.

Ces pièces de coton sont impri-mées des deux côtés avec l’aide decire pour mieux fixer la couleur.Certaines sources portent à croireque les origines de ces tissus et decette méthode de teinte seraient in-donésiennes. La méthode de teintesera reprise par les Européens, d’oùle nom de wax qui signifie cirer enanglais. Incorporés dans des troupescoloniales britanniques et hollan-

daises en poste en Indonésie à Java,Sumatra et Bornéo, des soldats gha-néens auraient été séduits par cesétoffes aux coloris très vifs et les au-raient introduits au Ghana dans lebut de les commercialiser. Ainsi, lewax serait inspiré du batik javanais.Après le Ghana et le Togo, ces tis-sus conquièrent rapidement leNigeria et bientôt toute l’Afriquecentrale. Aujourd’hui ce marchécompte une population de plus de120 millions d’Africains dont lesNigérians et les Congolais des deuxCongo constituent la grande majo-rité. On comprend donc mieuxpourquoi le groupe hollandaisVlisco (propriété de Unilever) est laréférence pour ce qui est du wax dehaute qualité, même si elle œuvreelle-même notamment en Côted’Ivoire et au Ghana à l’envolée dela production africaine.

À Brazzaville et à Pointe-Noire,respectivement capitale politique etéconomique du Congo Brazzavillemais également à Paris (capitale del’Afrique noire en Europe) l’ama-teur de wax achète le plus souventde grandes pièces de tissus afin dese faire couper sur mesure des en-sembles, de facture assez simplespour la vie de tous les jours, ou as-sez élaborés pour les mariages et lesfêtes où il s’agit d’être élégant. Ainsi,il y a de très nombreux petits ate-liers où des artisans couturiers s’af-fairent pour que le wax, qui n’est

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Wilfried et Eugène N’Sondé., photo Tamara Saphir sérieMboongi 2006, © AKORZÉAM, Paris 2007.

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du pagne donc, la facétieest féminine puisque lesmodèles masculins se ré-sument à des ensemblesbermudas ou pantalon –

pas le plus souple des tissus, épou-se sur-mesure leur clientèle.

Comme jadis, le pagne est nonseulement vêtement mais égale-ment parfois espace symbolique.Ainsi certains sont imprimés à l’ef-figie de chefs d’états ou de diri-geants de partis politiques durantles élections, tandis que sur d’autresornés de cierges allumés et de biblesouvertes on peut lire des phrasestelles que Christ apporte la lumière(Muklisto adjali muinda). Le plussouvent heureusement, la couleur,les motifs géométriques abstraits etla brillance due à la cire sont les élé-ments déterminants recherchés parles amateurs de wax. Les coupes va-rient selon les modes du moment etles caprices des facétieux Congolais.Il faut cependant noter qu’il y a unnombre de modèles beaucoup plusimportants pour les femmes quepour les hommes. Du point de vue

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Eugène N’Sondé, photo Tamara Saphir sérieMboongi 2006, © AKORZÉAM, Paris 2007.

Muklisto cruzCrâo le Sage. Photo Tamara Saphir série Mboongi 2006,© AKORZÉAM, Paris 2007.

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chemise manches courtes ; ou en-core à des ensembles inspirés de lacoupe des boubous que portent leshommes d’Afrique de l’Ouest.

Facétie ? Cet état de fait est sansdoute dû au contrecoup de la SA-PE qui, des années soixante-dix jus-qu’à aujourd’hui, a détourné cesmessieurs congolais des vêtementsafricains pour embrasser les coutu-riers Français, Italiens, Anglais ouJaponais.

Grandeur et décadence de l’es-thétique kôngo :

Le dandysme apparaît surtout

aux époques transitoires où la démo-cratie n’est pas encore toute-puissan-te, où l’aristocratie n’est que partiel-lement chancelante et avilie. […] Ledandysme est le dernier éclat d’hé-roïsme dans les décadences… 3

À la fin des années soixante-dix,sur les rives du fleuve Congo naît àBrazzaville un mouvement vesti-mentaire original. Des Congolais etdes Zaïrois s’autoproclament « dan-dys africains » et forment la Sape(Société des Ambianceurs et desPersonnes Élégantes).

Pour reprendre à la lettre la cita-tion de Charles Baudelaire, chantredu dandysme, l’époque qui voitnaître ces néodandys est effective-ment transitoire, en 1960 souffle levent de la décolonisation, grandnombre de pays africains se défontdu joug colonial. Près de vingt ansplus tard lorsque naît la Sape, loind’être toute-puissante on peut direque la démocratie est mort-née.Avec le déclin du soleil des indépen-dances, pour reprendre l’expressionconsacrée, et l’installation de ré-gimes totalitaires dans les deuxCongo (dont l’un sera rebaptiséZaïre par Mobutu) se brisent les es-poirs de millions d’individus.Le dandysme est un soleil cou-

chant ; comme l’astre qui décline, ilest superbe, sans chaleur et plein demélancolie. 4

Excentriques et provocateurs, seréappropriant tenues coloniales,

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Wilfried N’Sondé., photo Tamara Saphir série Mboongi2006, © AKORZÉAM, Paris 2007.

3 - Le peintre de la vie mo-derne, Au-delà du roman-tisme, Charles Baudelaire,p.234, GF Flammarion1998.4 - Ibid.

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casques y compris entre autres sym-boles coloniaux, ils s’adonnent à desjoutes vestimentaires inspirées sansdoute des concours des danseurs etpercussionnistes locaux. Le gagnantest celui qui aura su le mieux lier larichesse du vêtement, le luxe à l’élé-gance.

À ce jeu, très vite le phénomèneva s’exporter à Paris et Bruxelles es-sentiellement, les ex-métropoles co-loniales, là où la population desdeux Congo est la plus importan-te. De mouvement vestimentaire laSape devient véritable phénomènede société quand nombre d’artistescongolais dont les musiciens qui ensont le fleuron deviennent à leurtour sapeurs. Des chansons sont en-registrées à la gloire du vêtement etde sa griffe : Versace, MarithéFrançois Girbaud, Jean PaulGauthier, Franceso Smalto,Roberto Cavalli, Yves SaintLaurent, Yohji Yamamoto, Weston,Church pour les chaussures… etc.,toutes griffes dehors les sapeurs sedisputent la suprématie de l’élé-gance. Les deux figures phares dumouvement sont dès les annéesquatre-vingt, un Ambianceur, lechanteur étoile du Congo KinshasaPapa Wemba prince des sapeurs etDjo Balard, néodandy du Congo-Brazzaville qui depuis la naissancedu mouvement n’a d’autre raisonde vivre que d’être élégant.

Djo Balard est reconnu roi des

sapeurs et célébré en 1985 dans unfilm qui fut et reste une référencepour la communauté noire africai-ne d’Europe et d’Afrique, BlackMic Mac.

Ce film tourné par ThomasGilou réalisateur qui commençait làsa série de films communautairesavant La vérité si je mens, dresse leportrait tragi-comique du Parisblack des années quatre-vingt. Il n’ymanque rien, ni les squats, ni lesfoyers de travailleurs maliens, ni lesexpulsions, ni les galères de sans-pa-pier et surtout pas… les sapeurscongolais. Djo Balard aux côtésd’autres membres de la Société desAmbianceursmontre comment cer-taines boîtes de nuit accueillaient devéritables défilés de mode afin decélébrer l’éphémère cendrillon dusoir. Là, s’arrête la comparaison avecCharles Baudelaire, ce dernier pré-sentait le dandysme comme uneéthique, une hygiène de vie, com-me un éclat d’héroïsme 5. À la fin duXIXe siècle, il mettait en gardecontre les contresens soulignantque Le dandysme n’est même pas,comme beaucoup de personnes peu ré-fléchies paraissent le croire, un goûtimmodéré de la toilette et de l’élé-gance matérielle. Mais bien plutôtune doctrine de l’élégance et de l’ori-ginalité. 6

Nombre de sapeurs de la vieilleécole de la Sape se sont sans doutefourvoyés, la fée du conte les aura

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5 - Ibid., p.232.6 - Ibid., p.233

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oubliés après minuit et ils se serontvus pâlir devant leur miroir, devantl’horreur et la médiocrité de leurpropre spectacle : Le Dandy doit as-pirer au sublime sans interruption ;il doit vivre et dormir devant un mi-roir. 7

De ce mouvement est né le goûtde l’élégance chez toute une géné-ration qui a pris l’habitude de se sa-per et qui se sape encore dès quel’occasion se présente (sorties, ma-riages, entretien d’embauche, sou-tenance de travaux universi-taires…), mais tout à fait raisonna-blement. Une nouvelle icône de laSape pourrait bien être André 3000,un des chanteurs du groupeOutkast – qui comme le nom dugroupe l’indique – répond aux cri-tères d’originalité, d’excentricité etmême d’élégance que requière ledandysme.

Peut-être n’est-ce pas un hasardsi c’est chez une personnalité dumouvement Hip-Hop que l’on re-trouve l’esprit de la Sape, l’esprit dudandysme.

Ce mouvement artistique poly-morphe qui lie les arts graphiques,la danse, la musique et la mode ves-timentaire sait faire flèches de tousbois. Il nous permet en quelquesorte de boucler la boucle. Sansdoute le port de la basket s’est-il gé-néralisé aux quatre coins du mon-de sous son action au point quel’on parle de Culture Hip-Hop. Le

baggy, le pantalon large laissant ap-paraître le caleçon à la façon destaulards U.S. qui n’ont pas droit àla ceinture, la casquette, l’élégancereconvertie en bling bling 8… etc.Deux éléments nous intéressentparticulièrement dans ce mouve-ment :

En premier lieu, il a populariséle tressage, les nattes collées, tech-nique plusieurs fois millénaire ettrès importante non seulementdans la culture kôngo mais danstoutes les civilisations négro-afri-caines.

La nouveauté est que grâce auxmédias internationaux, dernière-ment des Asiatiques et desEuropéens blancs aussi sont coiffésà la manière de Sean Paul, SnoopDogg ou Alicia Keys. Ce momentdu tressage du cheveu crépu je l’aivécu depuis l’enfance comme unmoment particulier d’échange et detransmission entre les femmesd’une même famille, qui sont doncliées ou qui vont l’être par ce geste,ce moment passé ensembles qui du-re souvent plusieurs heures. Peut-être est-ce différent dans les salonsde coiffure, mais dans sa pratiquedomestique, ce sont quasi exclusi-vement les femmes qui coiffent, quidessinent avec agilité des sillons etautres symboles géométriques sur lecuir chevelu.

En second lieu, je veux soulignerque cette culture est portée vers la

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7 - Mon cœur mis à nu,Mille-et-une-nuits, 1997,p.10.8 - Onomatopée pour si-gnifier ce qui brille, qui esttape-à-l’oeil.

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scène, vers la pré-sentation d’unspectacle scé-nique, que cesoit un spectaclede danse ou unconcert de rapqui peut lier lesdeux. Ainsi de jeunes créateurs surle modèle de cette musique qui seconcocte à la maison, font-ils placedans leur espace domestique pourque s’y invitent tissus, crayon noir,feuilles blanches et tissus parmi les-quels… le wax bien sûr.

Il en est ainsi de R’Zella, cettejeune styliste de 24 ans a commen-cé par la danse avant de prendre letaureau par les cornes et de conce-voir des modèles pour ses propresspectacles. Dans la danse, la postu-re, la courbe et les lignes que dessi-ne le corps sont importantes. Aprèsune formation d’habilleuse costu-

mière au GRETA,elle abandonne ladanse pour seconsacrer exclusi-vement à la pas-

sion du vêtement, elle décide de neplus monter sur scène mais d’ha-biller ceux qui s’y risquent.L’avantage c’est que le temps duspectacle est en quelque sorte in-temporel, comme elle dit si bien :l’avantage c’est que peu importe lamétéo. C’est une sorte de momentparticulier où le temps et l’espaces’évanouissent ou au contraire en-gloutissent artistes et spectateursdans le son, les lumières éclatanteset les clairs-obscurs. C’est là queR’Zella a décidé de faire vivre sesœuvres. Elle aime le wax, sa textu-re naturelle, et l’odeur qu’il donne à

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Tracés, photo Tamara Saphir série Mboongi2006, © AKORZÉAM, Paris 2007.Tracés 2, photo Tamara Saphir sérieMboongi 2006, © AKORZÉAM, Paris 2007.

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Page 13: Palabres 21 Version Finale 17/08/07 14:43 Page 104...(nkissi nkondi) étaient représen-tées avec des yeux blancs, sans pu-pilles pour signifier la communi-cation avec le monde d’en

la peau à travers les vêtements ; elle aime ce cotonplein qui pêche pourtant par son manque d’élasti-

cité.Autant que faire se peut, elle va donc in-nover, pour lui restituer de l’élasticité où,

comme sur la photo, elle s’en sertpour rendre lumineuse et plus

évasée la coupe de cette salo-pette de crépon. Elle l’a dé-nommée Écureuil et aime lecrépon comme nos mères dans

les années quatre-vingt… à cau-se de son tombé. Dans ses modèles el-

le utilise beaucoup de pinces, cintrés, aé-rés sous les bras pour l’aisance sur scène. Elle m’amême confié le secret de sa palette de peintre envêtement, elle aime toutes les couleurs, sauf leblanc, même pas une petite tâche. C’est unehorreur quasi-métaphysique, horror vacui, lapeur du vide. Cependant quand une amie luia ramené du wax d’Afrique centrale elle n’a pashésité une seconde bien qu’il comporte une

bonne dose du coloris blanc abhorré. Elle m’a ditce qui allait peut-être devenir une nouvelle tendan-

ce, un nouveau tissu, du wax transparent tissé avecbeaucoup plus de finesse que le wax traditionnel. Le faitde devoir déjà pouvoir qualifier de traditionnel le wax

qui a lui-même remplacé le pagne en raphia tradition-nel pour le reléguer vers le sacré fait penser que le temps

s’est affolé. Il est temps d’en finir, par où nous avions com-mencé, avec des lignes et de la couleur…

Et R’Zella ? Ça veut dire gazelle en berbère, ne vousétonnez pas si c’est sa griffe qui sera celle qui saura sa-per les futures Urban tribes avec le goût, les lignes etles couleurs de la nouveauté. �

Cultures & ArtsPalabres

116116 L’Arbre à Palabres

N° 21 Août 2007

Modèle « Gao », photo R’Zella, © R’Zella, Paris 2007.

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