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Cinémathèque Robert-Lynen P i o n n ie r s d u c i n é m a

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Cinémathèque Robert-Lynen

P i o n n i e r s d u c i n é m a

Une ombre est une zone sombre créée

parce qu’un corps opaque est placé

devant une source de lumière

(une bougie, une ampoule, le

soleil…). Les ombres naissent

ainsi de la projection « en

creux » de la lumière. C’est le

principe du cinéma : une image

mouvante, faite d’ombre et de lumière, projetée sur une grande

surface claire.

7 Platon, un grand philosophe qui a vécu

en Grèce il y a plus de deux mille ans, a imaginé une belle histoire

avec des ombres : des hommes, enchaînés dans une caverne,

voient projeté sur le mur qui leur fait face, grâce à un feu, tout ce

qui se trouve derrière eux :

aux origines, la projection…

2

Ainsi installés, ils n’ont qu’une vision faussée de

la réalité, ils ne voient pas vraiment le monde qui

existe à l’extérieur de la caverne mais seulement son

image, sous forme d’ombres projetées. Platon pose la

question : n’est-on pas comme ces hommes, condamnés

à ne voir de la réalité qu’une image floue et déformée ?

b les théâtres d’ombres Projeter des images, mais surtout raconter des histoires, recréer

des mondes… voilà ce que permettent, depuis fort longtemps, les

théâtres d’ombres.

Dans ces théâtres nés en Chine (ou peut-être en Inde ?) il y a près

de deux mille ans, les figurines, situées derrière un écran de toile,

sont éclairées par une lampe à huile. Elles sont faites de cuir très

fin, peint à la main, et sont manipulées par un montreur d’ombres

grâce à de petites baguettes. 9

Utilisé d’abord à des fins religieuses et pour évoquer l’âme

des morts, le théâtre d’ombres est

peu à peu devenu un spectacle

à part entière. En France, c’est

un dénommé Séraphin qui le

premier a réalisé des spectacles

d’ombres chinoises. C’était au XVIIe 7

siècle, et son théâtre d’ombres, installé

au château de Versailles, servait alors

à divertir la famille royale. Mais à

la fin du XIXe siècle et au début du

XXe siècle le théâtre d’ombres en

France est devenu, comme en

Asie, un spectacle populaire.

3

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b b b les lanternes magiques

L’invention de la lanterne magique remonte au milieu du XVIIe

siècle, il y a plus de 350 ans. Le premier à mentionner cette ma-

chine est Athanase Kircher, un homme de sciences comme il en

existait alors, qui a étudié et écrit des livres sur la lumière, le son,

les hiéroglyphes... Mais, telle qu’il l’avait dessinée, sa lanterne

ne pouvait marcher et on doute qu’il en ait jamais vu ! Christian

Huygens, un astronome hollandais, est sans doute le vrai inventeur

de la lanterne magique : lui seul a su la doter d’un système optique

perfectionné, comme il en avait dû en fabriquer pour explorer

les étoiles et les planètes à l’aide de sa longue-vue. D’abord

privilège des rois, la lanterne magique s’est mise à

voyager dans les campagnes grâce à

des colporteurs qui l’emmenaient,

sur leur dos, de village en village.

Scènes comiques, politiques, vues

de pays lointains, fantômes… il y avait là tout un

monde à découvrir, accessible à tous.

8 Certaines plaques de verre sont animées

grâce à des rouages, des manivelles, des

tirettes et des caches. . . On peut faire dispa-

raître les personnages, s’allonger un nez,

tourner les planètes...

Les images peintes à la main sont de couleur

vive ; un bonimenteur est là, qui raconte les

histoires, décrit les plaques, fait rire son

public. Il peut y avoir de la musique aussi.

C’est donc un spectacle total, sur grand

écran, en couleur et sonore : on cherche tout

simplement à recréer la vie, rien que ça !

Malgré tout, les quelques

mouvements des plaques de

lanternes magiques ne sont

pas assez variés pour donner

l’illusion de la vie, et les images

pas assez « naturelles » . C’est

qu’il y avait encore beaucoup

de choses à comprendre

avant d’inventer le cinéma…

Par exemple, comment créer

l’illusion du mouvement.

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La lanterne magique est ensuite devenue, au XIXe siècle,

un objet d’instruction pour les écoles mais aussi le jouet

favori des enfants sages. C’est pourquoi il en existe de

très grandes, pour les projections devant un large

public, et de plus petites, pour projeter chez soi,

comme cette très jolie (et rare) lanterne-Chinois. 9

… et le mouvement

b la mode des jouets optiques En 1832, un physicien et mathématicien belge, Joseph Plateau,

invente une machine au nom étrange, le phénakistiscope (du grec

phenax, « trompeur », et skopein, « regarder »). C’est un disque sur

lequel sont dessinées douze étapes d’un même mouvement : si l’on

fait tourner à vive allure ce disque, placé verticalement, et qu’on

le regarde au travers d’une fente, alors l’illusion du mouvement se

fait, le clown jongle, le chien fait des cabrioles, la petite fille

joue à la corde à sauter…

Il aura fallu bien comprendre le phénomène dit de

« persistance rétinienne » (le fait que toute image

persiste un court temps sur notre œil, même si on ne

la regarde plus) et faire de nombreux essais avant de

pouvoir reconstituer un mouvement bien

visible. En effet, si l’on faisait tourner

les images sans placer son œil devant

le disque noir percé de fentes, on ne

verrait qu’une bande de couleur floue. 7

Sans toutes ces

découvertes du

XIXe siècle sur le

fonctionnement

de la vision, le

cinéma n’aurait

pas pu exister.

6

7

6 Un an après, en 1833, le zootrope de William George Horner

et Simon Stempfer voit le jour, et un peu plus tard, en 1876, le

praxinoscope d’Émile Reynaud. Tous deux partent du principe du

phénakistiscope mais le perfectionnent : la manipulation est plus

aisée et la luminosité améliorée. Comme les lanternes magiques,

ces machines deviennent les jouets favoris des enfants bien lotis.

b b un jouet devenu grand : le théâtre optique d’émile reynaud

En 1880, Reynaud met au point le praxinoscope 9à projection qui permet, grâce à l’ajout d’une

lanterne magique, de projeter sur un écran des

personnages en mouvement et un décor fixe.

Mais le problème essentiel demeure : comment

faire durer cette illusion de mouvement au-delà

d’une simple boucle ? Reynaud trouvera la solution

après quinze ans de recherches, en 1888, avec son

théâtre optique, un gigantesque praxinoscope à

projection muni de bobines qui s’enroulent sur

elles-mêmes : des centaines d’images peuvent enfin

le zootrope le praxinoscope

8

s’enchaîner pour raconter une histoire entière, pendant plus de dix

minutes ! En 1892, Reynaud lancera au musée Grévin les premières

projections de dessins animés grâce à son théâtre optique, les

pantomimes lumineuses. 7

7 Les personnages de ses films sont dessinés et peints à la main par

Reynaud sur des carrés de gélatine (6 x 6 cm) et sont détourés en

noir. Chaque carré est disposé

ensuite sur une bande perforée

de longueur indéfinie (jusqu’à 50

mètres), qui se déroule à partir

d’une bobine et s’enroule sur une

autre. L’ensemble du dispositif,

animé par Émile Reynaud, se

trouve derrière l’écran par rapport au public. Le génial inven-

teur peut ainsi ralentir, accélérer ou revenir en arrière pour varier

l’animation, provoquer du suspense ou des rires en fonction de

la réaction du public. En plus d’être en couleur et sonores, les

premières projections étaient donc… interactives !

9

b b b le détour de la science

7 À la fin du XIXe siècle, le physiologiste Étienne-Jules Marey a

réalisé un impressionnant zootrope « 3D » en y insérant, à la place de

dessins sur une bande de papier, douze plâtres

d’un oiseau en plein vol . Marey travaillait

en effet sur le mouvement des animaux

(terrestres, aériens ou aquatiques),

celui des hommes aussi, et sur certains

phénomènes comme les effluves de

fumée, les courants d’eau, le trajet d’une

balle qui rebondit…

Il avait ainsi inventé, afin de saisir les différentes

étapes du mouvement d’ailes des oiseaux, un fusil chronographique qui, à la place de

tirer des balles, « tirait leur portrait »,

c’est-à-dire les photographiait en pein vol. 9

Par la suite, Marey a mis au point des appareils photo-

graphiques de plus en plus sophistiqués, permettant des prises

de vues très rapprochées d’un même mouvement. Seule l’analyse

du mouvement intéressait cet homme de science, mais toutes ses

recherches ont mené à la fabrication, en France, de la première

machine capable d’enregistrer une série de photographies sur pel-

licule, mais aussi

de les projeter, le cinématographe. Ainsi passées de

la science au spec-

tacle, ces images

sont devenues du

cinéma.

Si, à la toute fin du XIXe siècle, les frères Lumière ont bel et bien

fabriqué une machine appelée cinématographe, ils ne sont donc

pas les seuls à avoir participé à l’invention du cinéma. Des ombres

chinoises au fusil chronophotographique de Marey, en passant

par les lanternes magiques, les jouets optiques, et toutes les

inventions qui ont vu le jour un peu partout dans le monde (il y en

a eu d’autres, beaucoup d’autres, qu’il serait trop long d’évoquer

ici), c’est un nombre incalculable d’avancées techniques, de

hasards heureux, de recherches amusées qui ont donné naissance

au cinéma. Mais c’est ainsi, les frères Lumière symbolisent aux

yeux de tous, depuis longtemps, l’invention du cinéma.

6 Le cinématographe des frères Lumière, le voici donc, en pleine

action. C’est une machine qui permet de prendre des images mais aussi de les projeter, ce qui est très rare. On le voit, il fallait tourner

une manivelle pour entrainer la pellicule. Chaque image était ainsi

« photographiée », l’une après l’autre.

b premiers films, premières séances

naissance du cinéma

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8 Une fois la pellicule développée, on pouvait la remettre

dans la machine et la projeter, en tournant de la même façon

la manivelle. Comme tout semblait simple alors !

Les frères Lumière ont réalisé, grâce à leur cinématographe,

de magnifiques films qui ont permis de modifier les

regards : même si les images étaient en noir et blanc, sans

son, et toutes tremblantes, elles sont d’abord apparues

comme incroyablement « réelles », donc effrayantes, sur-

tout lorsqu’elles montraient un train arriver en gare ! La

première séance publique de cinéma , concoctée par les

frères Lumière, eut lieu le 28 décembre 1895, au Grand

café à Paris.

Cependant, aux États-Unis, Thomas Edison avait élaboré

dès 1891 le kinetoscope, première machine permettant

de visionner des films. 9 Il suffisait d’y glisser une pièce

d’un penny et de regarder dans la lorgnette pour voir

s’animer de petites scènes. Afin

de tourner ces films, Edison avait

fait fabriquer le kinetograph, une

caméra dotée d’une pellicule de

35 mm de large et de perforations rectangulaires des deux côtés, ce

qui deviendra le format habituel

des films projetés en salle jusqu’à

ce qu’apparaisse

il y a quelques

années le format

numérique.

8 The Kiss, Edison, 1896

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b b au pays de la magie

Georges Méliès fut, tout comme

les frères Lumière, une véritable

star des débuts du cinéma.

Surtout connu pour ses films

merveilleux, il est à l’origine un

magicien qui s’est installé, en

1888, dans le théâtre du célèbre

Robert Houdin. Mais c‘est aussi

un grand inventeur : après avoir

découvert le cinéma grâce à

la première séance des frères

Lumière, il achète un projecteur et

le transforme en caméra afin de

réaliser ses propres films.

Méliès souhaite en effet ajouter une touche de modernité à ses

spectacles de magie. C’est dans cet esprit qu’il tournera, de 1896

à 1914, des centaines de films truffés d’effets spéciaux, ce qu’on

appelait alors les films à trucs. Il va utiliser toutes sortes de « trucs »

pour rendre ses films magiques : l’arrêt sur image, le fondu enchaîné,

la surimpression, le gros plan, le ralenti, l’accéléré, l’usage des

caches et des maquettes…

On le voit par exemple ici gonfler 9

sa propre tête grâce à une surim-

presion obtenue en tournant deux

fois avec la même pellicule : une

fois pour le décor (et Méliès à

l’intérieur), l’autre fois pour juste sa

tête, qui semble grandir parce que

la caméra se rapproche de plus en

plus d’elle. C’est tout simple, mais il

fallait y penser !

Georges Méliès a aussi été le premier à créer un studio de cinéma

en France, à Montreuil, en 1897, afin de déjouer les intempéries et

les changements de lumière qui ralentissent consdérablement les

tournages en extérieur. C’est là qu’il tourne, en 1902, le film le plus

célèbre de sa carrière : Le Voyage dans la Lune, premier film de

science-fiction au monde – on dit alors féerie.

Une copie du film, entièrement peinte à la main par une vingtaine

d’ouvrières spécialisées, chacune apposant « sa » couleur, a été

retrouvée il y a quelques années. Il y a là de quoi faire rêver, non ?

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b b b les arpenteurs de pellicule

Le cinéma était, à ses débuts et jusqu’à très récemment, fait de

bobines de pellicule transparente passant devant un faisceau

lumineux à l’intérieur d’un projecteur, comme une plaque de verre

à l’intérieur d’une lanterne magique. Mais la pellicule défile vite,

très vite, contrairement aux plaques

qui sont fixes, ou presque.

Certains cinéastes comme Len Lye,

Stan Brakhage ou Norman McLaren 9

en ont profité pour explorer les

possibilités de ce défilement : ils ont

peint ou gratté directement la pelli-

cule, parfois même ils ont collé sur

elle de petits bouts d’objets tout fins,

comme des ailes de papillon. 7

Cela donne, à la pro-

jection, des images très

surprenantes, magnifi-

quement colorées, énig-

matiques et pleines de

poésie.

Mothlight de Stan B

rakhage (1963)

7 The Dante Quartet de Stan Brakhage (1987)

Free Radicals de Len Lye (1958)

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b b b les arpenteurs de pellicule

Mothlight de Stan B

rakhage (1963)

Rainbow Dance de Len Lye (1936)

Synchrony de Norman McLaren (1971)

7 The Dante Quartet de Stan Brakhage (1987)

LE CINÉMA GRAPHIQUE - Une histoire

des dessins animés : des jouets d’optique au

cinéma numérique

de Dominique WilloughbyVue d’ensemble inédite d’un art visuel apparu voici

près de deux siècles : le mouvement des images créé

par une série de dessins, gravures ou peintures, de-

puis son invention en 1833 avec les disques strobos-

copiques jusqu’aux techniques numériques contem-

poraines. Éditions Textuel, 2009, 352 pages

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

CAMÉRAS d’Alain Fleischer Une traversée du cinéma avec, comme fil rouge,

l’amour d’une machine. Ou comment l’évolution tech-

nique de la caméra modifie les tournages et les films

qui en résultent : du film amateur au tournage profes-

sionnel, du studio hollywoodien à la Nouvelle Vague,

du cinémascope au téléphone portable… Cinéma-thèque française / Actes Sud Junior, 2009, 96 pages

LANTERNE MAGIQUE ET FILM PEINT 400 ans de cinéma

de Laurent Mannoni et Donata Pesenti CampagnoniCe catalogue, illustré par 500 documents (plaques de

verre, lanternes, films peints, affiches) retrace toute

l'histoire des lanternes magiques à travers les théma-

tiques de la vie quotidienne, des voyages, des contes

et légendes, de la religion, des sciences et des fan-

tômes... Cinémathèque française / La Martinière, 2009, 336 pages

SUR INTERNET :De nombreux sites proposent de découvrir les origines du cinéma. Parmi eux :

9 le site heeza, l’univers du cartoon, très riche en jouets d’optique.

9 les zooms sur un objet du site de la Cinémathèque française, qui présentent

avec brio deux inventions d’Émile Reynaud et de Georges Méliès.

9 le site europafilmtreasures, où l’on peut voir de très jolis films.

Dossier réalisé en 2013 © Cinémathèque Robert-Lynen