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Éditions Goater12 rue Gaston Tardif

35 000 Renneswww.editions-goater.org

Dépôt légal : 1re semestre 2015ISBN : 978-2- 918647 -44 -7

Goater Noir

– Collection dirigée par Jean-Marie Goater et Antoine Mottier– Illustration de couverture : Morvandiau

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Pour Claire, un jour on en aura le temps. Peut-être pas aujourd’hui, ni même demain, peut-être même pas dans cette vie.

Mais un jour on en aura le temps, et là tu verras comme ce sera bon de se poser un peu.

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«Ce qui ne vous tue pas vous rend moins mort. »Simone Berthelot

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Première partie

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ContaminationPremier Jour sans Toi

Alors ma mère m’a dit « d’abord tu écris ta lettre à madame Layeux ta prof de CM2 pour la remercier de t’avoir laissé passer en sixième et ensuite pour Sarah, si tu as des choses à lui dire, tu n’as qu’à lui faire un livre pour tout lui raconter ».

J’ai dis OK. Mais madame Layeux attendra.Alors voilà.Mon nom c’est Charlie Pakula, mais tout le monde m’ap-

pelle Pas Cool.J’ai dix ans, bientôt dix ans et demi. Ma prof, madame

Layeux, dit que je parle bien mais que je parle trop.Aujourd’hui vendredi 5 juillet commencent les grandes

vacances.Moi, je m’en fous bien des grandes vacances.À la fin de l’été, je ferai ma rentrée au collège.Ça ne me fait même pas peur.J’ai pas peur des piqûres non plus, pas peur de l’avion,

même quand ça remue et que les hôtesses s’attachent en vitesse sur leur petit siège avec un sourire de traviole.

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J’ai pas peur quand mon beau-père David me fait réciter mes maths, que soi-disant il va m’expliquer mais qu’en vrai il s’énerve parce qu’il n’y comprend rien.

J’ai pas eu peur sur le Space Mountain.Ce qui me fait peur, ce qui me fait vraiment peur, c’est

que les docteurs de l’hôpital ne savent pas si tu vas mourir ou pas, Sarah.

Ça, ça me fait drôlement peur.Ça me fait me coucher tard le soir, me lever tôt le matin.Ça me fait laisser des pâtes dans mon assiette et dire non

quand mes copains veulent que j’aille jouer au foot avec eux.Tu es mon amoureuse, Sarah. Tu dis tout le temps « Pas

Cool c’est mon amoureux pour quand je serai grande » mais je sais qu’en vrai je le suis déjà.

C’est pour ça qu’il faut pas que tu meures.C’est pendant le dernier cours de sport que tu es tom-

bée. C’était hier, pendant le tout dernier jour d’école. On faisait de l’acro-gym. L’acro-gym c’est comme de la gym mais avec des acrobaties. On fait des genre de pyramides avec les grave-costauds en bas, les moyen-costauds au milieu et les pas-du-tout-costauds comme moi en haut. Tout au sommet il y a toujours toi. Tu es plus que légère, c’est comme si tu étais en carton. Bref, on faisait une pyramide quand, en montant en haut de la pyramide, tu as eu un genre de vertige. Tu étais juste au-dessus de moi, tu es devenue toute pâle. Tes yeux sont partis vers le haut et tes paupières ont fait comme les « baisers papillon » de ma mère.

Et puis tu es tombée en arrière.

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J’ai bien essayé de te retenir mais j’ai pas assez de force, moi. Ceux qui auraient pu ce sont les grave-costauds qui sont en bas de la pyramide mais du coup ils servent à rien.

Tu es tombée sur la tête.Depuis tu n’as plus ouvert les yeux.À l’hôpital ils disent qu’ils ne savent pas ce que tu as, qu’il

faut attendre. Que peut-être tu te réveilleras comme si de rien n’était mais que peut-être tu es morte dans ta tête et que ce sont juste tes poumons qui respirent parce qu’ils en ont pris l’habitude.

S’il n’y avait que l’habitude qui comptait, tes yeux s’ou-vriraient et ta bouche me ferait ton drôle de sourire de d’habitude que j’aime tant. S’il n’y avait que l’habitude qui comptait ça se saurait. Mais eux ils ne savent rien de rien. Ils le disent avec des mots compliqués mais la vérité c’est qu’ils ne savent rien.

Rien de rien.Ma mère, elle travaille dans les téléphones. C’est pas pour

ça qu’on en a plus que les autres ou que j’en aurai un avant mes copains. Son travail c’est de se faire engueuler par des clients pas contents et de réussir à les garder quand même comme clients. Moi je ne ferai pas ça comme travail. Le soir elle rentre trop fatiguée. En plus quand on a des trucs à lui raconter elle met son doigt sur sa bouche et elle dit « Chhhhh ». C’est comme chut mais sans le ut. Alors il faut se taire et ne pas faire de bruit. Parfois avec David on oublie tellement de faire du bruit qu’elle s’endort. Du coup quand elle se réveille elle nous gronde et on a le droit de refaire du bruit.

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Ma mère et mon père, ils ne sont plus ensemble depuis quand j’étais trop petit pour me rappeler. David c’était le meilleur ami de mon père avant mais plus maintenant. Ils ne se parlent plus depuis des années. David il est docteur, toubib comme il dit. Ma mère elle dit qu’il est médecin de famille et mon père il dit que David, notre famille, il l’a bien soignée.

Mon père il habite dans la même ville mais pas dans la même rue. Il me faisait rigoler avant que Sarah tombe. Il aime bien faire des blagues.

Moi j’ai la gare d’alterné. J’alterne, une semaine je me gare chez mon père (les semaines pères) et celle d’après je me gare chez ma mère (les semaines pas pères). Pour les vacances ils s’arrangent. Au début je me souviens qu’ils s’embrouillaient tout le temps mais maintenant c’est plus cool.

Tant mieux.Mon père il est policier. Capitaine de police Nathan

Pakula.Comme à la télé.Il a un vrai pistolet. Moi je ne l’ai vu que démonté mais

même comme ça, il fait peur.Moi jamais je serai policier. Mais jamais de la vie !Docteur non plus, ils savent rien les docteurs.Plus tard moi, j’écrirai des histoires. Des trucs qui font

peur, des trucs qui font très très peur.Ma mère tout le temps elle a un livre avec elle. C’est

jamais le même parce qu’elle lit super vite. Mais souvent les couvertures elles font peur rien qu’à les regarder. Une fois on était en vacances et elle lisait un livre avec sur la couver-ture une seringue énorme. Au bout de l’aiguille il y avait une goutte de sang qui faisait comme si elle allait tomber mais

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sans qu’on sache trop quand. Le titre c’était Phase terminale. Ça donne pas envie d’être en terminale.

Je ne sais pas comment fait ma mère mais elle est en retard partout. Pas une fois comme ça de temps en temps. Non, elle est en retard tout le temps. Elle a trois montres. Deux offertes par mon père quand ils étaient encore ensemble et une par David. Trois montres. À quoi ça lui sert ? David a avancé toutes les montres et les horloges de la maison de quinze minutes, ça n’a servi à rien non plus. C’est la vraie heure qu’il faudrait retarder de quinze minutes sans le dire à ma mère mais ça doit être compliqué.

À l’hôpital on a le droit de voir les gens qui sont là-bas pendant seulement deux heures l’après-midi. Deux heures avec toi c’est pas beaucoup surtout s’il y en a déjà une de partie à cause du retard de ma mère.

On finit par prendre la voiture. C’est dur d’écrire dans une voiture.

Réanimation Pédiatrique. C’est le nom de l’endroit où tu es. Où tu dors, en fait, depuis hier. Réanimation c’est parce que tu es dans les vapes et qu’ils font ce qu’ils peuvent pour que ça ne dure pas trop. Pédiatrique c’est les enfants. Les doc-teurs d’ici ils ne font que ça. Les enfants arrivent endormis et ils repartent réveillés. Moi jamais de la vie je ferai ça comme travail ! Réveilleur d’enfants.

Ce que tu es pâle, Sarah. Tes lèvres ont la même couleur que ta peau. Et ta peau a la même couleur que les draps. Il y a des écrans avec ton cœur qui bat dedans. J’aime bien ça, moi. Ma mère elle me laisse tout seul avec toi dans ta chambre. Je crois qu’elle n’aime pas les hôpitaux en fait. Du coup elle sort de la chambre tout le temps. Un coup pour faire pipi, un

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coup pour aller s’acheter un café. Moi je reste à côté de toi. Les infirmières elles m’ont dit de te parler, que tu entendais tout même si tu ne disais rien, je crois qu’elles me prennent pour ton frère.

Alors je te parle.Et je te tiens la main.

* * *

– Ne me lâche pas la main Omar, tu as promis à maman.Les sacs de papier kraft menaçaient de vomir leur pré-

cieux contenu sur le trottoir glissant de pluie de l’impasse de Varsovie. Omar était fasciné par les lumières rouges que ses pas allumaient sous ses tennis achetées la veille. Saïda malgré ses quatorze ans n’était pas bien grande. Son père lui disait sans cesse « Saïda est tellement petite que quand elle se mariera les seules robes qu’on trouvera à sa taille seront des robes Hello Kitty ! » Après quoi il éclatait d’un rire qui dévoi-lait très haut ses gencives. « Tu ris comme un dromadaire », lui répondait Saïda dans un demi-sourire.

Elle souriait en pensant à leurs échanges quand l’ombre fondit sur elle par-derrière l’arrachant au sol et à son frère comme emportée par un courant d’air glacé. Omar regarda sa main vide suspendue dans les airs comme si Saïda venait de lui faire un tour de magie. Dans la pénombre il baissa les yeux sur les paquets de pâtes répandus au sol. Seul le hurle-ment de sa grande sœur le ramena à la réalité. Il murmura son prénom. Un cri lui répondit « Cours ! » Il tourna les talons et courut vers les lumières plus fortes des lampadaires de la rue de Rome. Omar courait en regardant les lumières que

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projetaient ses pas pour éviter de penser à ce qu’il laissait derrière lui.

Une voiture tourna de la rue de Rome à l’impasse de Varsovie éblouissant Omar qui interrompit sa course effrénée pour se protéger les yeux. La voiture s’arrêta si brusquement que ses pneus crissèrent sur l’asphalte, s’immobilisant à moins de trois mètres de l’enfant. Les portières avant de la vieille Ford s’ouvrirent ensemble et deux immenses noirs en sortirent, Omar les connaissait, comme tous les gamins du quartier. Côté conducteur il y avait Moussa avec un maillot de l’Olympique de Marseille et son passager, Tony, survête-ment Nike gris clair flottant sur sa frêle silhouette. Tous deux semblaient épouvantés par ce qu’ils voyaient à la lumière de leurs phares, le conducteur brandit son téléphone portable et prit une photo tandis que son passager saisit Omar dans ses bras avant de se précipiter dans la voiture en hurlant « On se casse ! » à son chauffeur.

Omar regarda ce que les phares de la voiture éclairaient d’une lumière blafarde.

Quinze mètres devant eux, nu comme un ver, un homme frappait, griffait, mordait une Saïda qui gisait sur le dos, les bras en croix sans ébaucher le moindre geste défensif.

Puis l’homme tourna la tête. Son regard exprimait la fureur. De sa bouche coulait un sang que la lumière blanche rendait plus rouge encore. Il passa de la position à quatre pattes à la position debout en un éclair et il ne lui fallut pas plus de temps pour se précipiter vers la voiture.

« Moussa on se casse ! » Assis sur ses genoux Omar serra les paumes de ses mains sur ses oreilles. L’homme était rapide,

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la voiture amorçait à peine sa marche arrière qu’il était déjà sur le capot s’accrochant de ses mains ensanglantées.

Mais Omar ne vit pas ses mains, il ne vit que ses yeux. Et ce regard lui glaça les os.

La voiture opéra un demi-tour rapide qui lui fit percuter des containers de poubelles qui répandirent au sol leurs sacs gris. L’homme lâcha le capot et fut projeté côté conducteur. Moussa abattit son poing sur la targette de fermeture cen-tralisée des portières, enclencha la première et appuya sur la pédale d’accélérateur de toutes ses forces. L’homme glissa devant la roue avant côté conducteur, sa cuisse gauche passa sous la roue dans un craquement sec. L’homme ne cria pas. Comme la voiture arrivait au bout de l’impasse de Varsovie pour tourner à droite dans la rue de Rome, Omar se retourna et vit l’homme ramper à la force des bras dans leur direction traînant derrière lui une cuisse gauche dont le fémur brisé en son milieu réalisait un angle grotesque.

* * *

Tu détestes les animaux.Non pas que ça te fasse tousser ou que ça te donne des

boutons ou quoi que ce soit dans le genre. Non, tu les détestes. Même les bébés chats. Pourtant dans le genre mignon les bébés chats c’est abusé.

Mais non.Je te dis ça parce que les docteurs, qui ne savent pas ce

que tu as, disent que peut-être tu seras différente à ton réveil. Imagine que tu te réveilles et puis tu aimes les chats et tu ne m’aimes plus moi… Tu comprends mieux pourquoi je préfère

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te dire comment tu es, en vrai. Pour que tu ne te trompes pas de chemin quand tu reviendras de là où tu dors.

Donc, tu détestes les animaux.Ma demi-sœur, Lyssa, elle adore les animaux. Elle a un rat.

UN RAT !!! Son rat s’appelle Monsieur Klinsberg du nom de son ancien professeur de physique-chimie. Elle est grande Lyssa, elle rentre en fac de médecine à la rentrée prochaine et elle a un an d’avance. Elle est gothique ma demi-sœur. Elle vient d’avoir son bac et elle veut être docteur comme son père. Je comprends pas ça moi, docteur c’est nul.

En fait Lyssa n’est pas vraiment ma demi-sœur, elle est la fille de David et d’une autre fille que ma mère. Mais comme David et maman sont ensemble depuis un tas d’années et qu’elle vit avec nous je ne savais pas comment l’appeler. À part Lyssa. Alors Maman m’a dit que c’était ma demi-sœur quand même. Vu comment elle est spéciale ma demi-sœur je ne suis pas pressé d’en avoir une entière. Mais elle est sympa, elle me laisse promener Monsieur Klinsberg. Toi quand tu as vu notre rat pour la première fois tu as eu si peur que tu as couru dans le jardin. Tu as couru tellement vite que maman en te voyant passer devant elle t’a dit que tu devrais faire de l’athlétisme. À l’époque je t’avais dit que tu devrais plutôt faire maîtresse mais maintenant je veux bien que tu fasses athlétisme.

Je veux bien que tu fasses tout ce que tu veux sauf rester comme ça à dormir sans rien dire.

S’il te plaît Sarah.Tes parents viennent d’arriver alors avec maman on va

rentrer à la maison.Je t’écrirai ce soir.

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* * *

– Arrête-toi !Les agents Cohen et Ben M’hidi, futurs lieutenants de

police en toute fin de formation, venaient de prendre leur service quand ils tombèrent sur une scène de panique urbaine d’une grande étrangeté. Rue de Rome, une rue commerçante et populaire, un homme nu et estropié hurlait de fureur au milieu de la chaussée. Sa blessure à la cuisse rendait sa pro-gression impossible mais aucun passant ne se serait aventuré à lui porter secours tant ils avaient peur de lui.

S’approchant pour lui venir en aide, l’agent Cohen avait été mordu à la main.

Le central à la radio leur indiqua que les pompiers étaient en chemin comme Cohen aperçut à l’extrémité nord de la rue les lumières rouges et tournoyantes des secours.

Ben M’hidi jeta un œil dégoûté sur la main de son collègue.

– Tu en profiteras pour leur montrer ta main, ça a une sale gueule…

L’agent Cohen avait horreur de la vue du sang, il prit sur lui pour faire comme s’il en était rien et sourit en faisant une moue pour minimiser le problème.

Le VSL des pompiers s’arrêta à cinq mètres du forcené et déversa un quintet de pompiers plus massifs les uns que les autres. Ben M’hidi rengaina son tazer en s’approchant d’eux.

– Je vous préviens il mord alors si j’étais vous je mettrais des sacrées protections.

De la rue des Tisserands accourut un jeune homme en jean et t-shirt blanc. Il se précipita sur les pompiers.

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– Eh m’sieur, y’a une meuf qui saigne au fond de la rue, elle a l’air morte – L’adolescent jeta un œil à l’homme nu hurlant de haine au milieu de la rue. – Y’aurait un cousinage avec celui-là que je serais pas surpris.

Un binôme de pompiers courait déjà dans l’impasse de Varsovie. Pompiers et policiers appelèrent chacun de leur côté pour avoir des renforts.

* * *

L’habitacle de la vieille Ford était éclairé par les lumières écarlates du gyrophare du camion des pompiers.

– T’inquiète pas Omar, ils vont s’occuper d’elle.Tony raccrocha en voyant les secours se précipiter impasse

de Varsovie. Cela faisait dix minutes qu’il était en attente sur le répondeur du centre 15.

– T’inquiète pas, je te dis.Les yeux perdus dans la pénombre de la rue dans laquelle

gisait sa grande sœur, Omar eut la certitude qu’il ne la rever-rait plus, elle et son père, se disputer pour de faux. Une larme tiède coula sur sa joue.

* * *

Ils sont spéciaux tes parents, non ?Je dis ça en général, parce que depuis hier ils ont toutes

les raisons du monde d’être de travers comme moi à cause de ce que tu sais. Mais même sans ça ils sont spéciaux je trouve.

Je ne dis pas que je ne les aime pas ou qu’on peut pas les aimer mais ils disent des trucs parfois on peut se demander…

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Par exemple quand ils sont rentrés dans ta chambre et qu’ils m’ont vu à côté de toi tu sais ce qu’il m’a dit ton père ?

– Tu sais, Pas Cool, si tu veux dormir là je peux demander à ta mère.

Avoue que c’est limite, non ? Pour voir si c’était vrai moi j’ai dit « D’accord ». J’ai dit au revoir à ta mère et je suis parti rejoindre la mienne en bas. Elle a l’air fatiguée ta mère, elle a les yeux tout rouges.

Les ascenseurs des hôpitaux c’est un truc de fou.Ça me rappelle les petits sandwichs en triangle qui sont

cachés dans des genres de grosses brioches et qu’on mange dans les fêtes comme le baptême de mon cousin. On ne sait jamais sur quoi on va tomber. Un coup c’est du saumon, un coup c’est du pâté…

Les ascenseurs des hôpitaux c’est pareil à chaque fois que la porte s’ouvre. Un coup c’est un boiteux, un coup c’est une fille avec un pansement sur la moitié de la tête. Moi j’ai peur à chaque fois. Et puis l’odeur… ça pue les malades souvent, tu as remarqué ? Pas toi Sarah, toi tu sens bon, mais les malades dans les ascenseurs, ça pue. Un coup ça sent le produit qui pique les genoux, un coup ça sent la chasse d’eau pas tirée…

* * *

Où était passée la moitié manquante de son visage ? Le jeune pompier avait besoin de se focaliser sur autre chose que cette question-là pour poursuivre son massage cardiaque. Il avait intégré la brigade la semaine précédente et n’aurait jamais imaginé baptême du feu plus immonde. Ce qu’il vivait semblait tout droit sorti d’un film de Lucio Fulci. Un type

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nu comme un ver qui avait l’air sous crack avait dévoré une gamine. Ses bras tendus sur le torse dénudé et bardé d’élec-trodes il délivrait un massage cardiaque efficace mais le cœur dépendait entièrement de lui pour faire son travail. Un col-lègue s’apprêta à choquer la gamine, brandissant des palettes reliées à un défibrillateur de plastique jaune.

– Tout le monde dégage !La fille s’arc-bouta sous l’effet du courant électrique. Le

scope fut branché à nouveau. Elle était repartie du premier coup. Les jeunes cœurs sont formidables se dit-il comme son collègue hurlait à la radio.

– On la dégage sur le CHU, qu’ils se tiennent prêts, elle est super instable.

Le brancard s’anima en douceur vers le VSL avancé dans l’impasse. Aux fenêtres, quelques silhouettes impuissantes se retranchaient derrière leurs rideaux.

Le pompier souhaita intérieurement bonne chance aux flics pour l’enquête de voisinage avant de donner deux coups de poing au capot du VSL pour lui signifier qu’il pouvait rejoindre le CHU. Ce dernier s’ébranla en douceur. Rue de Rome il passa devant une Ford Taunus verte.

À l’intérieur de la Taunus, un jeune enfant suivait de ses yeux immenses le passage de l’ambulance. La Ford démarra et se mit dans sa roue.

* * *

On se connaît depuis la petite section de maternelle, c’était l’année où mon père était allé vivre sans ma mère à cause de son meilleur ami qui prenait toute la place dans le lit. Le

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premier jour de classe la maîtresse nous avait tous placés par ordre alphabétique. Charlie Pakula et Sarah Polychronos, on s’est retrouvés sur la même table. Tu imagines, si elle avait fait autrement, j’aurais fait quoi sans toi, moi ? La première matinée de classe tu m’avais demandé « Pourquoi tu t’appelles Pakula alors que ton père s’appelle Docteur Akerman même que c’est MON docteur ? » C’était compliqué à expliquer surtout que j’étais pas sûr de tout comprendre puisque personne ne m’avait vraiment raconté. Du coup je t’ai fait un sourire, j’ai haussé les épaules et tu m’as dit en parlant plus fort et plus lentement. « Ton père il a pas le même nom que toi. » Ça faisait bizarre qu’on me parle fort comme ça. Bizarre et un peu peur. Alors j’ai commencé à pleurer. Du coup la maîtresse elle s’est accroupie à côté de moi et elle m’a demandé pourquoi je pleurais et c’est toi qui lui as répondu. « Il pleure parce que son père il lui a pas donné son nom parce qu’il ne sait pas parler. » Du coup j’ai pleuré encore plus fort et tu m’as dit « C’est pas grave, déjà t’as un nom, c’est mieux que rien. Quand tu sauras bien parler tu t’appelleras Docteur Akerman comme lui. »

* * *

Laurence Bonnieux soupira. L’odeur de café s’élevant de sa tasse avait à peine eu le temps de lui titiller les narines qu’un message réclamant sa présence immédiate retentit dans toutes les salles du service des urgences.

– Le médecin senior est attendu couloir A. Le médecin senior, couloir A.

Deux brancards entourés de pompiers et de médecins du SAMU occupaient le couloir quand le Dr Bonnieux arriva.

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Dans le premier les cheveux poissés de sang, un masque à oxygène sur le visage, une adolescente semblait en état de choc.

Le second chariot évoqua à Laurence l’agonie d’un animal blessé. La tête sanglée au brancard par une lanière de cuir, un homme agitait ses membres entravés pour tenter de se libérer. La partie supérieure de sa cuisse gauche fracturée bougeant de façon frénétique. Ses hurlements étaient inintelligibles, mélange de cris inarticulés, de grognements animaux et de gémissements.

En les voyant passer devant elle et en parcourant les premiers comptes-rendus de ses collègues, le Dr Bonnieux se trouva face à un dilemme. Deux entrées simultanées relevaient de la plus haute urgence et seule une salle de déchoquage libre. D’un côté, une jeune fille présentant de multiples mutilations et lacérations luttait pour survivre, d’un autre son agresseur hors de lui avec un fémur brisé qui menaçait d’embrocher à tout moment l’artère fémorale ce qui équivaudrait à une mort aussi rapide qu’inéluctable.

– La gamine direct au déchoquage et lui en salle 2. Et personne ne lui enlève ses sangles tant qu’on n’en sait pas plus. On lui pose une voie, je veux une recherche de toxique en urgence et vous me le calmez à coup de Valium.

– Et couvrez-le, c’est pas la saint Viagra aujourd’hui.Une aide-soignante passa dans le couloir et déploya une

couverture de survie argentée sur l’homme qui claqua des mâchoires en sa direction, les yeux exorbités.

Cohen s’approcha de Laurence Bonnieux. Elle soupira en songeant au café qui refroidissait dans la salle de repos du

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service. Le policier présentait une vilaine morsure entre le pouce et l’index de la main droite. Il était pâle et transpirait.

– Commencez par vous asseoir, je ne veux pas avoir à vous recoudre le crâne si vous vous retrouvez par terre.

L’agent Patrick Cohen s’assit sans sourire. Il ouvrit son col de chemise et respira profondément. Le Dr Bonnieux fit la moue en observant la plaie à travers une loupe ronde d’une trentaine de centimètres de diamètre munie d’un puissant système d’éclairage.

– Moche. Un nettoyage ici sera peut-être insuffisant, il y a des chances que vous soyez obligé de passer au bloc.

Les berges de la plaie présentaient un aspect déchiré, et le praticien remarqua un discret enduit jaunâtre sur la partie la plus proche du pouce. Cela pouvait correspondre à du tissu graisseux sous-cutané mais les mains n’en étaient pas le siège principal.

– À quand remonte cette morsure ?De l’extrémité d’une lame de bistouri elle mobilisa la

substance jaunâtre, collante. L’aspect correspondait à une sécrétion purulente mais le délai était trop court pour qu’elle soit déjà apparue. La substance venait de la bouche de l’agres-seur, se dit-elle à court d’explication alternative.

– Quarante minutes à tout casser. Pourquoi ?Laurence Bonnieux sortit sans un mot pour entrer dans

la salle de déchoquage. Autour de Saïda, étendue les bras en croix tout à la disposition de ses sauveteurs, s’affairaient deux infirmiers anesthésistes, un anesthésiste et le médecin du SAMU qui venait de prendre en charge son transport. Tous s’occupaient à lui installer des voies d’abord de gros calibre afin de la remplir le plus rapidement possible pour compenser

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le sang déjà perdu. Mais le Dr Bonnieux avait en tête tout autre chose que de participer à la course contre la mort enga-gée autour de la petite Samia. Armée de sa loupe elle voulait observer les berges des plaies. Elle avait l’embarras du choix, la victime présentant des plaies et des morsures si nombreuses qu’elle ne savait par où commencer. Afin de gêner le moins possible ses collègues elle se concentra sur les plaies de sa main gauche. Laurence Bonnieux s’appliqua à dégager la plaie qui s’étendait de la base du métacarpe de l’index à celle de la première phalange de l’annulaire. La plaie était vilaine et l’on distinguait nettement les traces pointues des canines et celles plus tranchantes des incisives. La lumière qui inonda la plaie révéla ce que l’urgentiste craignait de trouver. Un enduit pultacé recouvrait déjà les berges de la plaie sur plus d’un centimètre. De sa poche de blouse elle extirpa un kit à prélèvement, elle ôta de son étui un coton-tige d’une quin-zaine de centimètres de long. Elle caressa de façon presque amoureuse l’enduit, imprégnant copieusement le coton avant de le replacer dans son fourreau et d’inscrire sur l’étiquette à coté de la date et du nom de la patiente : « agent pathogène inconnu ». Elle souligna deux fois inconnu puis renouvela l’opération sur la plaie de l’agent Cohen avant de porter elle-même les prélèvements au laboratoire et d’insister pour que ses recherches fussent prioritaires.

À son retour aux urgences elle appliqua des doses massives d’eau oxygénée sur la plaie de l’agent Cohen avant de lui injecter des gammaglobulines et de le confier à ses confrères chirurgiens orthopédistes pour une exploration de la plaie au bloc opératoire.

La nuit promettait d’être longue.

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* * *

J’arrive pas à dormir.Un adulte qui n’arrive pas à dormir il a trop du bol, il peut

faire tout ce qu’il veut. Il peut regarder la télé, se faire des tartines, aller sur Facebook pour dire « Peux pas dormir ! » et attendre que ses amis réagissent pour les appeler avec son portable.

Mais nous… La télé, mieux vaut ne pas y penser, les tar-tines pareil, Facebook on a pas l’âge (même si Bastien qui est dans notre classe son frère qui a huit ans il a un compte Facebook sauf qu’il n’a pas d’ami à part Bastien. Et Bastien pareil. Le compte Facebook trop déprimant… « Maman a dit d’aller manger » « J’aime » point-barre…).

Donc nous les petits on est là à rien faire d’autre que regarder le plafond.

David mon beau-père l’année dernière il m’a dit « Tu n’as qu’à compter les moutons, ça marche à tous les coups ! » Le truc à pas dire. Le soir même je commence à compter à peine la lumière éteinte. Un mouton – Deux moutons – Trois etc. Total il m’a pris une angoisse de me tromper arrivé à soixante-dix, par là, que j’ai été obligé d’allumer. J’avais trop peur de me tromper et de devoir tout reprendre à zéro mou-ton. Le lendemain, heureusement c’était dimanche. Je lui ai dit à David comment c’était tout pourri son truc des moutons.

Lui se marre, maman se marre, merci, Lyssa arrive et on m’oblige à lui raconter et elle se marre… Donc tout le monde se marre de moi et personne n’a de bons conseils à me donner pour mieux dormir.

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Moi je sais que maman quand elle a le seum et qu’elle part en vrille elle a des pilules dans sa table de nuit que tu en prends une et tu dors genre tout de suite. David il dit qu’avant ça se vendait en suppositoire mais que ça marchait trop vite et que les gens s’endormaient avec le doigt dans les fesses.

David il est marrant.Mon papa aussi il est marrant.Plus que David, même.Bref, je leur demande s’il y a des pilules pour mon âge qui

font dormir et David, qu’est docteur (je te redis des fois que tu aies oublié), il m’a expliqué que le sommeil c’est comme le bus, il en passe un toutes les heures et demie et si tu le rates tu n’as qu’à attendre le prochain… Une heure et demie à faire le hibou.

Heureusement j’ai ton livre à écrire et ma lampe de poche avec une pile toute neuve.

Il est tard genre minuit, le bus est passé et je l’ai raté.Deux fois.Descends du bus, Sarah, s’il te plaît.Je suis là.

* * *

– Je lui en ai envoyé presque trop de Valium pour son poids, il gigote moins mais pas question de l’opérer si la séda-tion ne fonctionne pas mieux que ça, il est du genre nerveux ton nudiste. De toute manière la petite est au bloc et en a encore pour un moment.

L’anesthésiste de garde avait toutes les raisons de se méfier. Il lui fallait être d’une prudence absolue dans des affaires aussi

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délicates. La moindre erreur de posologie et le patient ou sa famille pourraient se retourner contre lui et contre l’hôpital. En face de lui Laurence Bonnieux ne le poussait d’ailleurs pas, elle était dans l’attente d’une place au bloc opératoire et évaluait à une heure le délai d’attente avant que son patient ne puisse bénéficier du parage de ses rares plaies et la pose d’un clou centro-médullaire dans son fémur brisé.

– On sait quel genre de toxique il s’est enfilé pour être comme ça ? Crack ? Meth ?

L’infirmier anesthésiste appela, dégaina calepin et stylo, gribouilla dix secondes et raccrocha.

– Rien, la toxico dit qu’il n’a rien pris. Par contre elle m’a dit que sa CRP était à 359 et ses leuco à 500… Elle vérifie et elle nous appelle.

L’anesthésiste resta interdit.Infection majeure, leucopénie. Les tiroirs dans sa tête

s’ouvrirent. Infection virale ? Bacille Gram négatif ? Que pou-vait-il avoir contracté ? Était-il seulement dingue ?

Laurence Bonnieux partageait sa perplexité doublée d’un sale pressentiment. Elle décrocha le téléphone.

– Docteur Bonnieux, je voudrais les numérations de… – Elle consulta ses notes. – Saïda Chorfas et Patrick Cohen je vous prie.

Elle griffonna fébrilement, faisant trois colonnes une par patient. Elle sépara les colonnes en plusieurs rangées pour y consigner les marqueurs inflammatoires, les taux de leuco-cytes, l’hémoglobine. Au bout du fil d’une voix atone, le technicien de garde égrenait les résultats biologiques.

– Et vous avez vérifié, j’imagine.Elle raccrocha.

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L’anesthésiste regarda par-dessus l’épaule du régulateur des urgences. Un pli se creusa au-dessus de son nez. Il com-menta d’un mot.

– Merde.Le Dr Bonnieux hocha la tête et se retourna vers le patient

attaché au brancard. Elle vérifia les résultats sur sa feuille, aucun doute n’était permis. Tous trois avaient les mêmes signes biologiques particulièrement bruyants et rapides à type de baisse de globules blancs, augmentation de la CRP et des autres marqueurs inflammatoires.

– Ce n’est pas un dangereux psychopathe – elle ouvrit un tiroir et en sortit un masque qu’elle s’appliqua sur le visage avant d’en tendre un à son collègue –, c’est le patient zéro. Appelle l’Infâme.

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Deuxième Jour sans Toi

À quoi tu penses ?C’est bien joli de dire « Elle est dans le coma » mais c’est

pas comme si on disait « Elle est en Espagne ». Le coma c’est pour nous, c’est juste que tu ne fais rien avec nous mais toi, tu es comment dans ta tête ? Est-ce que c’est vrai que tu entends tout ce qu’on dit ? Est-ce que tu pleures à l’intérieur de ta tête ? Est-ce que ça te gratte le nez et tu peux rien faire ?

Si seulement je pouvais savoir ça…Les bébés prisonniers dans le ventre de leur mère on nous

dit de leur parler, je ne vois pas pourquoi ça ne serait pas pareil pour toi, hein ? Tu es prisonnière dans ta tête, c’est ça ton problème.

Ma mère veut m’envoyer en Dordogne avec mes cousins. « Ça te changera les idées, mon chat, ici c’est un peu triste. » Un peu triste. Carrément. Ce qui le serait encore plus c’est si j’étais loin de toi, là ça serait franchement l’horreur. Au moins ici je peux aller te voir tous les jours. Une infirmière a bien compris que j’avais besoin de te voir genre tout le temps. Je le sais parce qu’elle m’a dit quand je suis parti « Tu peux venir même en dehors des horaires de visites si tu veux ». Elle m’a

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fait un clin d’œil. Sympa, non ? Surtout qu’aujourd’hui ma mère ne peut pas m’amener (un truc avec le contrôle tech-nique de la voiture), que David est de garde et que mon père travaille tout le week-end. Du coup j’ai un billet de vingt euros dans la poche pour le bus et le repas et les clés de la maison. Là je finis mon petit-déjeuner et je file te voir.

Quel pyjama tu auras ?

* * *

Le service des urgences était sens dessus dessous. Laurence Bonnieux avait fait part de ses craintes qu’une maladie à la contagiosité particulièrement virulente ne soit présente dans les murs de l’hôpital et cela chez trois patients potentiels. L’administrateur de garde avait sorti son manuel « Que faire en cas de… » à la page « maladie à la contagiosité particuliè-rement virulente », s’était effrayé de ce qu’il y lisait mais avait dû se plier au protocole. Le service de Maladies Infectieuses fut réquisitionné, son chef de service le professeur Zacharie Della Rocca surnommé l’Infâme fut réveillé et prié de prêter main-forte et synapses rapides au brainstorming en cours.

L’Infâme, quinquagénaire omniscient au crâne imberbe et à l’allure d’arachnide, tenait son surnom de sa toute première garde d’interne. Alors interrogé par une maman au sujet de la profonde fatigue de son enfant de cinq ans il avait lâché après un examen clinique aussi complet que silencieux son diagnostic comme une sentence implacable : Lymphome.

Son surnom était né.

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Il le traînait depuis vingt-cinq ans et n’avait rien fait pour le faire mentir, comme ne s’était pas démenti son talent de praticien.

La pièce dans laquelle se tenait la réunion de crise était bien trop petite.

Tout le monde était suspendu aux lèvres du Dr Berthier, biologiste et virologue aussi réputé que Della Rocca.

– Bon, je vais devoir faire simple pour les profanes et pré-cis pour les autres. Nous sommes en présence d’un virus à ARN à capside tubulaire de type Rhabdoviridae.

Della Rocca émit un sifflement.Le virologue ne se laissa pas perturber.– C’est un virus de la famille du virus rabique. Une

forme… modifiée, plus aérodynamique, j’attends des nou-velles des confrères européens mais je n’ai connaissance d’aucune publication à propos d’un truc pareil.

L’administrateur de garde prit la parole.– Quelqu’un pour traduire ?L’Infâme le regarda, lui sourit.– La rage, mais dans une version sous stéroïdes. Une

rage 2.0.L’administrateur déglutit. Le patron du service de

Maladies Infectieuses lui fit le programme.– On vide le service, on y loge les trois patients en chambre

sécurisée avec accès restreint. Si la rage – il dessina des guil-lemets dans l’air moite de la pièce de ses index et majeurs – traditionnelle est prise à temps elle est exceptionnellement curable, mais dès que les signes neurologiques apparaissent on ne peut rien faire pour le patient.

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L’administrateur semblait en attendre plus, le médecin poursuivit.

– Dans le cas présent, on peut considérer si on raisonne comme on le fait pour les enragés classiques que notre agres-seur inconnu est condamné et dangereux. Pour les deux autres il est trop tôt pour se prononcer. Les trois patients vont recevoir des doses de vaccins antirabiques, des antibiotiques même si en l’occurrence cela ne servira à rien. Les questions importantes à élucider seront l’affaire des forces de l’ordre : Qui est ce type ? D’où vient-il ? A-t-il mordu quelqu’un avant de s’attaquer à la petite Saïda ?

L’administrateur fronça les sourcils.– On doit prévoir de recevoir d’autres cas, j’imagine.L’Infâme inspira profondément, retint son souffle.– On doit se tenir prêt.

* * *

Ali Ben M’hidi se disait que pour son premier mois dans les forces de l’ordre il allait avoir des choses à raconter en rentrant chez lui. L’état de santé de son collègue l’inquiétait. Ils ne se connaissaient que depuis quelques semaines et ne se croisaient que pour terminer leur formation d’élève lieute-nant de police avec une écrasante probabilité de ne plus jamais se revoir de toute leur carrière mais Ali Ben M’hidi et Patrick Cohen avaient appris à s’apprécier. Au commissa-riat ils avaient rajeuni les cadres et quand leur chef les avait surnommés « La bande de Gaza » ils avaient convenu d’en rire et de passer à autre chose.

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