ouganda rwenzoris

6
18 Après le Kilimandjaro et le mont Kenya, la chaîne de montagnes des Rwenzori, en Ouganda, est la plus haute d’Afrique, et un des seuls massifs enneigés du continent. Menacée par le réchauffement climatique, son extraordinaire biodiversité est un paradis pour les amoureux de la montagne. Texte et photos: Clément Girardot 27 OCTOBRE 2011 REPORTAGE En Ouganda, une terre de neiges

Upload: clement-girardot

Post on 28-Mar-2016

220 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

reportage sur les monts rwenzoris

TRANSCRIPT

Page 1: ouganda Rwenzoris

18

Après le Kilimandjaro et le montKenya, la chaîne de montagnesdes Rwenzori, en Ouganda, est la plus haute d’Afrique, etun des seuls massifs enneigés du continent. Menacée par le réchauffement climatique,son extraordinaire biodiversitéest un paradis pour les amoureux de la montagne.

Texte et photos: Clément Girardot

27 O

CTO

BRE

2011

REP

OR

TAG

E

En Ouganda,une terre de neiges

Page 2: ouganda Rwenzoris

en péril

Page 3: ouganda Rwenzoris

20

Il a fallu slalomer en moto, sur une

route à 1’400 m d’altitude, pour ar-

river dans le village de Kilembe, au

sud d’une vallée luxuriante de l’Ou-

ganda. Nous sommes au mois de no-

vembre et en cette fin de la petite

saison des pluies, les voyageurs ne se

bousculent pas dans la seule auberge

du hameau.

Aux confins du village, un routard

américain campe dans son 4x4. On

jurerait que Kilembe est la dernière

étape de sa longue dérive à travers les

continents. Avec sa barbe et ses che-

veux longs, cet homme à la dégaine

de vieux hippie est ici pour profiter

des énergies cosmiques qui, dit-il, ir-

riguent la vallée.

Depuis l’Antiquité, la chaîne de mon-

tagnes des Rwenzori, où se trouve le

village de Kilembe, fascine les aven-

turiers. Ils ont longtemps cru qu’elle

abritait les sources du Nil. En 1978, le

commandant Cousteau, qui les sur-

vole en hydravion écrit dans son car-

net de voyage: «Voici que se profilent

à l’horizon les crêtes des Rwenzori.

Ce sont des hauteurs que les Anciens

nommaient les montagnes de la lune

parce qu’ils supposaient qu’elles se

dressaient au bord de l’univers. Nous

approchons des pics cotonnés de gla-

ce et de brumes. Un vers d’Apollinaire

me revient en mémoire. La neige aux

boucliers d’argent... J’ai sous les yeux

les boucliers d’argent de l’équateur.»

UN AIDE-SOIGNANT DEVENU ROIEn face du village se dresse l’impres-

sionnante chaîne de montagnes des

Rwenzori qui marque la frontière

entre l’Ouganda et la République

démocratique du Congo. Encerclé

d’éternels nuages, ce massif de 120 ki-

lomètres de long et de 65 kilomètres

de large culmine au Mont Stanley,

troisième sommet du continent afri-

cain avec les 5’109 mètres d’altitude

du pic Marguerite. Inscrit au patri-

moine mondial de l’UNESCO depuis

1994, le massif des Rwenzori connaît

d’incessantes précipitations qui irri-

guent toute la région, formant des

torrents qui dévalent les vallées pour

alimenter la rivière Semliki. Elle re-

joindra ensuite le Nil Blanc qui se

jette dans le lac Albert, au nord de

l’Ouganda.

Pour les autochtones, ces cimes sont

l’Olympe des dieux de l’ethnie des Ba-

konzo, un peuple montagnard qui

a longtemps défié le pouvoir central

de Kampala. Le territoire escarpé sur

lequel ils vivent est un royaume qui

a fait sécession en 1962 et qui est

aujourd’hui reconnu au même titre

que de nombreux autres royaumes

traditionnels. Son monarque, Char-

les Mumbere, est rentré en 2009 de

Page précédenteLa chaîne de monta-

gnes des Rwenzoriculmine au MontStanley, à 5’109

mètres d’altitude.

Ci-dessousL’aspect cadavérique

des arbustes té-moigne de la rareté des précipitations.

Ce type de sénéçongéant, que l’on ne

trouve qu’en Centra-frique, peut mesurer

jusqu’à six mètres.

A 3’100 mètres d’alti-tude, les tentes du

premier camp offrentun repos bien mérité

aux randonneurs.

Page 4: ouganda Rwenzoris

Près du champ volcanique de FortPortal, dans lesRwenzori, le com-merce de la bananeest florissant.

son exil de 26 ans aux Etats-Unis. Il y

travaillait comme aide-soignant.

Comme d’autres bourgades de la ré-

gion, le village de Kilembe mise sur le

trekking pour survivre. Le hameau

accueille ainsi Rwenzori Trekking Ser-

vices, une des deux compagnies de

guides habilitées à accompagner les

visiteurs au sommet. Une activité

d’autant plus importante que la mine

de cuivre de Kilembe a été fermée en

1982. Elle attirait des milliers de tra-

vailleurs et générait du métal envoyé

par wagons entiers à Kampala. Té-

moins de cet âge d’or, des baraque-

ments construits en rangs d’oignon de

chaque côté de la route qui mène au

village. Les expatriés canadiens, in-

diens ou sud-africains sont rentrés

chez eux, les habitants sont retournés

à leurs champs et Kilembe est rede-

venu un hameau tranquille dans une

des régions les plus pauvres de l’Ou-

ganda. Peut-être pas pour longtemps:

l’envolée du prix du cuivre sur le mar-

ché mondial devrait attirer à nouveau

les investisseurs étrangers qui pour-

raient faire reprendre l’extraction.

CHENILLES ÉNORMESET REBELLES ISLAMISTESJe pars en trekking le lendemain de

mon arrivée. Le but de mes cinq jours

de marche: l’ascension d’un pic de

3’970 mètres. Mon guide, Benard Ena-

ga, est originaire des étendues plates

et arides du nord de l’Ouganda. A 29

ans, ce passionné de montagne fait

partie des rares accompagnants auto-

risés à entreprendre toutes les ascen-

sions du massif avec ses clients. Cet

aventurier qui aime passer plusieurs

semaines à plus de 3’000 mètres re-

çoit des visiteurs très motivés, comme

cette Canadienne de 78 ans venue es-

calader le Mont Stanley après dix

jours de trekking dans des conditions

météo plutôt difficiles.

L’aube vient de se lever alors que nous

commençons notre ascension par un

chemin en lacets très raides à travers

la forêt tropicale. Dans cette contrée

gorgée d’eau, la végétation prend des

dimensions extraordinaires: les fou-

gères sont immenses et les bambous

si épais que les rayons du soleil pei-

nent à atteindre le sol qui grouille de

chenilles et de limaces monstrueuses

tandis que sur une liane, se repose un

caméléon.

Page 5: ouganda Rwenzoris

La région est par-semée de rivièressur lesquelles des

ponts ont étéconstruits à la hâte.

Page de droiteCouvertes de

mousse, les bruyè-res arborescentesgéantes poussent

entre 3’000 et 3’700 mètres.

L’eau est une res-source essentiellepour la faune et la

flore des Rwenzori.

Un crâne de sanglierindique aux randon-

neurs que les che-mins ont été crééspar des chasseurs.

Cette chenille enforme de point d’interrogation

rappelle que l’ave-nir des Rwenzori

est incertain.

27 O

CTO

BRE

2011

REP

OR

TAG

E

Le parc national des Rwenzori a con-

nu une histoire troublée. Aujourd’hui

surveillé par des rangers, il était dans

les années 1990 le refuge d’un grou-

pe de rebelles islamistes et un pa-

radis pour les braconniers qui ont

laissé leur empreinte sur les sentiers:

un crâne de sanglier, la fourrure

d’une antilope... «La chasse a rendu

les antilopes et les singes très crain-

tifs. Même si elle est interdite, il fau-

dra un moment avant que ces espè-

ces se laissent à nouveau approcher»,

explique Benard Enaga. Pour lui, nom-

bre de ces anciens chasseurs qui tra-

vaillent maintenant comme porteurs

ont la nostalgie de leur activité d’ori-

gine.

DES LIENS QUI DISPARAISSENT«Elle était à la fois un métier et un

mode de vie pour ces hommes qui

restaient jusqu’à deux mois dans la

montagne, dormaient sous des ro-

chers et s’alimentaient de viande

d’animaux sauvages en imaginant que

cela leur permettrait de vivre plus

longtemps», raconte mon guide. En

interdisant la chasse et en limitant

fortement les activités humaines dans

le parc, le gouvernement ougandais

a sans doute sauvé la faune. Mais

la prohibition a également provoqué

la quasi-disparition des liens écono-

miques, identitaires et spirituels qui

depuis des siècles unissaient les com-

munautés de la région à ces monts

enneigés.

UN MAUVAIS FILM D’HORREURC’est d’ailleurs en référence à leur

manteau blanc que les autochtones

les appellent «Rwenzururu», «terres

de neige». Une appellation qui pour-

rait bientôt ne plus être d’actualité.

Ici, comme sur tous les glaciers équa-

toriaux de plus de 4’500 mètres, neige

et glace fondent à vue d’œil. La super-

ficie qu’elles recouvrent a diminué

de 40% en moins de soixante ans et

elles pourraient bien disparaître d’ici

2025.

Autre enjeu de taille: il pleut de

moins en moins. Les riverains ne sa-

vent pas combien de temps encore la

pluie permettra de faire de bonnes ré-

coltes. Lorsqu’on monte à 3’000 m

d’altitude, on comprend leur angois-

se. Là, les silhouettes cadavériques de

milliers de bruyères arborescentes

victimes de la sécheresse forment un

spectacle digne d’un mauvais film

d’horreur. A 4’000 mètres commence

la zone alpine, qui n’a de commun

avec les Alpes que le nom et le relief

accidenté. Déformée, biscornue, la

flore semble venir d’une autre planète

et les rochers se parent d’une mousse

à la couleur jaune et rouille.

Les effets du réchauffement climati-

que se font sentir tant sur les monta-

gnes équatoriales des Rwenzori que

sur les glaciers alpins. Fonte des gla-

ciers, baisse des précipitations: les

menaces qui pèsent sur cet écosys-

tème unique auront dans les années

qui viennent, des conséquences im-

portantes sur le bassin du Nil et sur

l’existence des millions de riverains

pour qui elle est une ressource. �

Clément Girardot

Page 6: ouganda Rwenzoris